la lettre de
l’Observatoire Synthèse de la lettre n° 28 - juin 2010
L’emploi non salarié en 2010 L’Observatoire Alptis de la protection sociale Créé en 1996, l’Observatoire Alptis de la protection sociale fait partie du groupe associatif Alptis, spécialiste de l’assurance de personnes. Véritable centre de recherches, animé par un réseau d’universitaires et de représentants socio-professionnels, l’Observatoire scrute les grandes tendances à l’œuvre dans le monde des travailleurs indépendants et des petites entreprises. Ses travaux font l’objet de publications et notamment d’une lettre semestrielle. La lettre de l’Observatoire n° 28 (juin 2010), dont est tirée cette synthèse est consacrée à la féminisation des professions indépendantes, “une thématique peu étudiée ou de façon partielle”, souligne Stéphane Rapelli, économiste, qui a mené l’étude. Vous pouvez télécharger la version intégrale de l’étude sur le site www.observatoire-alptis.org • O bservatoire Alptis de la protection sociale 12, rue Clapeyron 75379 Paris cedex 08 www.observatoire-alptis.org
Et les femmes ? Vrai/Faux
Indépendantes : stop aux poncifs Les femmes représentent aujourd’hui 47 % des actifs, mais seulement 33 % des travailleurs indépendants. Pourquoi ce statut attire-t-il moins les femmes que le salariat ? Parce qu’il réclame un investissement important et offre un revenu relativement moins intéressant. Fréquemment avancés, ces éléments d’explication méritent d’être nuancés. Temps de travail, rémunération, qualification…, l’étude de l’Observatoire Alptis passe au crible les facteurs qui peuvent jouer sur la féminisation des professions indépendantes.
La pénibilité de certaines professions non salariées limite leur féminisation. Faux Les métiers de l’artisanat du bâtiment restent, il est vrai, des bastions masculins. Pourtant, les évolutions technologiques actuelles ont considérablement diminué dans ce secteur le recours systématique à la force musculaire. À l’opposé, de nombreuses professions non salariées dans les domaines de la santé, du paramédical ou de l’hôtellerie-restauration nécessitent une bonne résistance physique et comptent une importante proportion de femmes. En résumé, la féminisation d’une profession dépend davantage des stéréotypes de genres que de caractéristiques objectives.
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La vie en couple et la vie de famille empêchent les femmes de faire le choix de l’indépendance. Faux Certes, l’indépendance implique un investissement personnel conséquent : un non-salarié travaille en moyenne 52 heures par semaine. À priori, la charge de travail paraît donc peu compatible avec une vie de famille. Pourtant, l’enquête de l’Observatoire Alptis à partir des données de l’INSEE montre que la présence d’au moins un enfant à charge n’est pas un facteur déterminant et que celui-ci influence de la même manière femmes et hommes.
Les inégalités de revenus entre hommes et femmes sont moins importantes que dans le salariat. VRAI ET Faux Le revenu moyen annuel d’une
femme non salariée (hors secteur agricole) se monte à 29 000 e contre 35 000 e pour un homme, soit un écart de 38,5 %. Dans le salariat, l’écart constaté est effectivement supérieur (45 %). Mais ce chiffre tient compte des rémunérations des femmes qui exercent à temps partiel. Or, celles-ci représentent une
Définitions
3 statuts pour les non salariées • Les indépendantes Elles exercent une activité sans faire appel à une main d’œuvre salariée. C’est le statut majoritairement choisi aujourd’hui par les femmes non salariées. • Les employeuses Elles emploient au moins un salarié. Elles représentent moins d’un tiers des effectifs des non-salariées. Les femmes chefs d’entreprise dirigent plus souvent des sociétés de moins de 50 salariés et majoritairement dans le secteur du commerce et des services. • Les aides familiales Elles sont membres de la famille d’un non-salarié et exercent une activité régulière au sein de son entreprise sans percevoir de rémunération. Traditionnellement très féminisé et fréquent dans les métiers de l’agriculture, du commerce et de l’artisanat, ce statut est aujourd’hui en perte de vitesse. Depuis 2005, les femmes ont en effet la possibilité de choisir le statut de conjoint collaborateur, salarié ou associé, qui offre une meilleure couverture sociale.
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salariée sur cinq. Si on ne retient que les travailleurs à temps complet, la différence de salaire entre hommes et femmes n’est que de 23 %. Les professions juridiques et paramédicales se distinguent par l’importance des inégalités de revenu qui s’expliquent en partie par un temps de travail moindre : les hommes non salariés travaillent en moyenne 8,4 heures de plus par semaine que leurs homologues féminines.
Les femmes non salariées sont plus qualifiées que les hommes. VRAI ET Faux Dans l’ensemble, les femmes non salariées ont en effet un niveau de formation supérieur à celui de leurs homologues masculins : 38 % d’entre elles possèdent un diplôme supérieur au baccalauréat contre 23 % des hommes. Mais ces chiffres globaux masquent des disparités selon les secteurs. Dans l’agriculture et le commerce par exemple, elles sont largement moins qualifiées que les hommes. Dans les professions libérales, elles sont plus nombreuses à être titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat (87 % contre 75 % des hommes), mais ont moins souvent poursuivi des études en troisième cycle.
Classement
Le top 15 des métiers les plus féminisés Métiers
Taux de féminisation
Sage-femme
100 %
Psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes
89 %
Infirmiers libéraux
81 %
Artisans coiffeurs, manucures, esthéticiens
72 %
Interprètes, traducteurs
72 %
Astrologues, professionnels de la parapsychologie
71 %
Fleuristes
68 %
Artisans teinturiers, blanchisseurs
64 %
Professeurs d'art
63 %
Détaillants en habillement et articles de sport
61 %
Artisans de l'habillement, du textile et du cuir
60 %
Exploitants et gérants libres de station-service
60 %
Artistes dramatiques
58 %
Moniteurs d’école de conduite
57 %
Petits et moyens détaillants en alimentation générale
57 %
L a l e t t r e d e l ’ O b s e r v a t o i r e - n ° 2 8 - Synthèse
Analyse
Les stéréotypes ont la vie dure Alors que le travail salarié se conjugue de plus en plus au féminin, les activités indépendantes demeurent largement dominées par les hommes. Seul un non-salarié sur trois est une femme. Comment expliquer cette apparente misogynie du travail indépendant ? Pourquoi une femme choisit-elle de s’installer en indépendant ? Première explication, parce que ses parents ont travaillé eux-mêmes en indépendants et lui ont transmis, sinon l’entreprise, au moins le goût d’entreprendre. Autres éléments déterminants, elle a obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur et acquis une première expérience salariée. Mais ces critères sont identiques pour les hommes. Ils ne permettent donc pas d’éclairer la faible féminisation du non-salariat et son inégale répartition (lire page suivante).
Le poids des traditions Au sein des professions indépendantes, la femme a longtemps été cantonnée au rôle d’aide familiale. Elle remplissait des tâches connexes à l’activité (secrétariat, comptabilité, accueil de la clientèle...), certes essentielles, mais pas considérées comme productives. Bien que le statut d’aide fami-
lial connaisse aujourd’hui une régression, ces représentations demeurent malgré tout prégnantes et participent sans doute à limiter la capacité d’entreprendre des femmes ou à l’orienter vers des activités bien déterminées. Les artisanes par exemple occupent plus souvent des fonctions commerciales que de production.
Nouveaux modes d’exercice L’arrivée de femmes dans un secteur fortement masculinisé fait apparaître de nouveaux modes d’exercice. Les non-salariées modulent par exemple davantage leur temps de travail que leurs homologues masculins. Ce phénomène atteste de l’emprise de la sphère familiale sur l’activité professionnelle féminine. Pour accroître l’attractivité du statut d’indépendant auprès des femmes, il demanderait à l’avenir d’être mieux analysé et pris en compte.
Interview
“Ce n’est pas qu’une affaire de sexe” Michèle Codron est pharmacienne à la retraite. Elle est membre du conseil d’administration Miltis et du Comité local des adhérents de Lille. Maurice Jérôme est médecin généraliste à Orléans depuis trente ans. L’Observatoire Alptis les a interrogés sur leur expérience de professionnels libéraux de la santé et leur perception de la féminisation de leurs métiers. Observatoire Alptis : Les professions de santé se féminisent. Qu’est-ce qui attire selon vous les femmes vers vos métiers ? Michèle : Pour ma part, ce qui m’a motivé pour devenir pharmacienne, c’est la perspective de travailler en équipe et de disposer de temps pour ma famille. Je n’ai jamais rencontré de difficultés pour faire face aux responsabilités dans le domaine dans la santé. Par contre, j’ai dû me former à la gestion administrative et financière. O A : Professionnels hommes ou femmes, est-ce vous avez observé si les patients/clients faisaient aujourd’hui la différence ? Maurice : Parmi les générations les plus âgées, certains patients masculins peuvent ressentir une gêne à être examinés par une femme. Mais cela relève du cas particulier. Michèle : Les risques d’agression liée à la drogue en pharmacie sont réels. Avoir dans son équipe un collaborateur musclé peut être dissuasif. C’est pourquoi j’ai recruté un homme préparateur en pharmacie. L’avantage d’une équipe mixte, c’est aussi qu’elle facilite le conseil sur des questions jugées intimes par la clientèle féminine ou masculine.
O A : Estimez-vous qu’il y a des qualités féminines utiles pour l’exercice de vos métiers ? Maurice : Homme ou femme, le médecin généraliste doit avoir une bonne capacité d’écoute et de dialogue. Ça ne s’apprend pas sur les bancs de la fac, mais ce n’est pas une affaire de sexe. O A : Qu’est-ce qui retient selon vous les femmes de travailler en libéral ? Michèle : Il est plus difficile de se lancer aujourd’hui qu’à mon époque. Les charges financières sont lourdes et les amplitudes horaires également. Mais cela est vrai pour les jeunes femmes comme pour les hommes qui privilégient dans un premier temps l’assistanat ou parfois l’association. Maurice : Une fois leurs études terminées, rares sont les jeunes femmes à vouloir s’installer. 40 % d'entre elles choisissent d’exercer uniquement en remplacement. Le phénomène n’est pas propre aux femmes, les jeunes médecins ont un état d’esprit différent du nôtre lorsque nous nous sommes installés. Ils ont envie de préserver du temps libre et de travailler autrement.
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Secteurs
Où travaillent les femmes indépendantes ? Majoritaires parmi les infirmiers libéraux, les fleuristes et les interprètes-traducteurs, mais minoritaires chez les experts-comptables, les artisans du bâtiment ou les opticiens-lunetiers... La part des femmes non-salariées varie énormément selon les secteurs et les métiers. Tour d’horizon.
Agriculture Dans ce secteur, la part des femmes non-salariées connaît un déclin continu depuis les années 1970. Cette évolution s’explique notamment par le recul du statut d’aide familial. Dans le même temps, on assiste à une légère progression des femmes employeuses et indépendantes, mais principalement parmi les générations les plus âgées : de nombreuses femmes d’agriculteurs reprennent en effet à leur compte l’exploitation familiale pour quelques années lorsque leur mari part à la retraite.
Industrie et construction Les femmes non-salariées restent très minoritaires dans ces deux secteurs. Dans l’industrie, la raréfaction des très petites entreprises a mécaniquement entraîné la baisse des effectifs non-salariés, notamment féminins. Dans le bâtiment et les travaux publics, on observe en revanche une légère croissance de la féminisation, qui s’explique en partie, comme dans le secteur agricole, par la reprise de l’entreprise familiale par l’épouse au moment du départ à la retraite de son mari.
Les femmes représentent 47 % des effectifs non salariés dans le secteur de la santé Artisanat Globalement, l’artisanat est marqué pas la domination masculine : les hommes représentent 85 % des effectifs. Ce chiffre ne tient certes pas compte des aides familiaux, mais les femmes artisanes sont de moins en moins nombreuses à choisir ce statut. Plus souvent aujourd’hui indépendantes, parfois employeuses, elles se concentrent dans des domaines d’activité traditionnels (coiffure, esthétique, manucure, blanchisserie...), mais font aussi une percée dans l’artisanat d’art, les services (nettoyage, entretien, toilettage d’animaux) et l’imprimerie-reproduction.
Commerce Le repli du statut d’aide familial affecte également fortement ce secteur : à la fin des années 1990, un quart des femmes commerçantes étaient recensées sous ce statut ; dix ans plus tard, elles sont moins de 8 %. Davantage de femmes se lancent aujourd’hui comme employeuses, la plupart
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néanmoins sur des marchés bien spécifiques : commerce de fleurs, habillement et articles de sport, hôtellerie-restauration, exploitation de station service, détail alimentaire, commerce de produits de beauté et de luxe.
Santé Dans ce secteur, les femmes travaillent presque à parité avec les hommes : elles représentent en effet 47 % des effectifs. Certaines professions de santé, comme les métiers de sagefemme, d’infirmier libéral ou de psychologue, sont depuis longtemps très féminisées. D’autres, traditionnellement plus masculines, s’ouvrent aujourd’hui largement aux femmes : celles-ci sont devenues majoritaires chez les pharmaciens et sont en passe de rattraper les effectifs masculins de médecins libéraux, généralistes ou spécialisés, et de masseurs-kinésithérapeutes. En revanche, les métiers de chirurgien-dentiste, vétérinaire ou opticien-lunetier demeurent encore l’apanage des hommes, les jeunes diplômées de ce secteur optant plus souvent pour le salariat.
Autres professions libérales Dans le domaine du droit, les traditions socioculturelles jouent certainement toujours en défaveur des femmes, même si quelques professions juridiques, notamment celles de notaire et d’avocat, se sont largement féminisées : les avocates tendent d’ailleurs à être aussi nombreuses que leurs confrères masculins. Parmi les autres professions libérales réglementées, la part des femmes est encore faible : les géomètres-experts, les architectes et les experts-comptables sont à près de 85 % de sexe masculin. De manière générale, les métiers de l’expertise et du conseil sont largement exercés par des hommes et seules quelques professions non réglementées, comme celles d’interprète-traducteur, professeur d’art ou moniteur d’autoécole, comptent dans leurs rangs une majorité de femmes.
Pour aller plus loin Retrouvez l’étude complète sur l’indépendance au féminin, accompagnée de tableaux statistiques et de repères bibliographiques, sur le site www.observatoire-alptis.org Outre cette étude, la Lettre de l’Observatoire n°28 présente les travaux des membres du Comité scientifique et fait le point sur les actions de prévention menées par le Régime social des indépendants (RSI) auprès des professionnels indépendants et de leur famille.