Lettre de l'observatoire de la protection sociale Alptis N°32

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la lettre de

l’Observatoire Lettre n° 32 - février 2012

Généralistes libéraux,

Une nouvelle étude de l’Observatoire : “Médecine générale libérale, une profession en mutation” Ce numéro de la Lettre de l’Observatoire présente la synthèse d’une étude complète réalisée par l’économiste Stéphane Rapelli (http://rapelli.free.fr) sur le thème des évolutions en cours dans l’exercice de la médecine générale libérale et sur l’opportunité d’une approche entrepreneuriale. Vous pouvez consulter ou télécharger cette étude sur le site www.observatoire-alptis.org

L’Observatoire Alptis de la protection sociale Créé en 1996, l’Observatoire Alptis de la protection sociale fait partie du groupe associatif Alptis, spécialiste de l’assurance de personnes. Véritable centre de recherches, animé par un réseau d’universitaires et de représentants socio-professionnels, l’Observatoire scrute les grandes tendances à l’œuvre dans le monde des travailleurs indépendants et des petites entreprises. Ses travaux font l’objet de publications et notamment d’une lettre paraissant de 2 à 4 fois par an. • O bservatoire Alptis de la protection sociale 12, rue Clapeyron 75379 Paris cedex 08 www.observatoire-alptis.org

le salut par l’entrepreneuriat ? Crise de vocation des généralistes libéraux et déserts médicaux : pour enrayer ces phénomènes grandissants, une nouvelle structuration de l’offre médicale a été mise en œuvre. Dernière création s’inscrivant dans cette dynamique : la société interprofessionnelle ambulatoire (SISA). Si ses apports sont incontestables, ils sont toutefois insuffisants pour développer efficacement les structures de soins partagées qui correspondent aux aspirations des jeunes médecins. Comment aller plus loin ? L’étude de l’Observatoire Alptis, en précisant les apports, risques et insuffisances de la SISA, démontre le potentiel avéré de l’introduction de systèmes entrepreneuriaux dans l’organisation de l’offre de soins de premiers recours. Décryptage

La SISA fait bouger l’offre de soins 1

Un cadre juridique plus abouti

Leur création visait à offrir de meilleures conditions de travail aux médecins. Mais aussi à assurer une présence équilibrée sur le territoire grâce à des aides financières conditionnées par le choix du lieu d’implantation. Pourtant, depuis leur création en 2007, les maisons de santé souffrent d’un manque de cadre juridique approprié. Un obstacle franchi en 2011 grâce à la création des sociétés interprofessionnelles ambulatoires (SISA). Créées par la Loi Fourcade du 10 août 2011, elles permettent de structurer la pratique commune de différents corps professionnels médicaux libéraux. La SISA peut être constituée “entre des personnes physiques exerçant une profession médicale, d’auxiliaire médical ou de pharmacien”, mais doit compter au minimum deux médecins et un auxiliaire médical. Sa finalité est “la mise en commun de moyens pour faciliter l’exercice de l’activité professionnelle de chacun des associés” et “l’exercice en commun (...) d’activités de coordination thérapeutiques ou de coopération entre les professionnels de santé”. Un décret (en cours de rédaction) précisera les activités qui peuvent être exercées en son sein.

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Une gestion budgétaire simplifiée

La densité des médecins généralistes libéraux (pour 100 000 habitants, 2009)

L’innovation majeure de la SISA est de permettre l’encaissement par la société des rémunérations perçues par les associés dans le cadre de leur activité commune. Auparavant, cette pratique était interdite par le Code de santé publique au regard du compérage qu’elle pouvait impliquer. Seules les activités exercées en commun prévues par le décret pourront donner lieu à partage. La SISA apporte également une réponse aux contraintes juridiques liées à la répartition des sommes versées par l’Assurance maladie dans le cadre des nouveaux modes de rémunération dédiés à des équipes de soins. Aucune des structures existantes, Société Civile de Moyens (SCM), Société Civile Professionnelle (SCP) ou Société d’Exercice Libéral (SEL), ne permettait d'assurer cette fonction de répartition.

Qu’est-ce qu’une maison de santé ? “La maison de santé est une personne morale constituée entre des professionnels médicaux, auxiliaires médicaux ou pharmaciens. Ils assurent des activités de soins sans hébergement de premier recours au sens de l'article L. 1411-11 et, le cas échéant, de second recours au sens de l'article L. 1411-12. Par ailleurs, ils peuvent participer à des actions de santé publique, de prévention, d'éducation pour la santé et à des actions sociales dans le cadre du projet de santé qu'ils élaborent et dans le respect d'un cahier des

Interview

charges déterminé par arrêté du ministre chargé de la santé. Le projet de santé est compatible avec les orientations des schémas régionaux mentionnés à l'article L. 1434-2. Il est transmis pour information à l'agence régionale de santé. Ce projet de santé est signé par chacun des professionnels de santé membres de la maison de santé. Il peut également être signé par toute personne dont la participation aux actions envisagées est explicitement prévue par le projet de santé.” Article L6323-3 du Code de la santé publique

Densité pour 1 000 habitants 60 ; 70 70 ; 80 80 ; 90 90 ; 100 100 ; 119

Les points noirs désignent les départements pour lesquels la part des médecins généralistes libéraux âgés de 55 ans et plus est d'au moins 45 %. Dans le Cher, la densité des libéraux généralistes est comprise entre 60 et 70 praticiens pour 100 000 habitants. Au moins 45 % de ces médecins sont âgés de 55 ans et plus. Source : Irdes 2011

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Une aide au développement des maisons de santé ?

Jusqu’à présent, les maisons de santé souffraient en effet d’une absence de statut propre à leur fonctionnement. Cette situation imposait aux porteurs de projet de s’investir dans des domaines juridiques qu’ils ne maîtrisent pas. Une réalité qui compliquait le montage des dossiers devant être validés par l’Agence Régionale de Santé (ARS). Si la création des SISA vient ainsi offrir un cadre attendu aux maisons de santé existantes, elles ont toutefois des limites. Et ces dernières ne semblent pas permettre de considérer les SISA comme un moyen de développer fortement des maisons de santé.

Docteur François Simon

Membre de la section “Exercice professionnel” au sein du Conseil national de l’Ordre des médecins, médecin généraliste à Saint-Renan (Finistère). Membre du groupe de travail sur la création des SISA. omment les médecins ont-ils accueilli la création des SISA ? C Docteur François Simon : Les médecins comme les autres professionnels de santé exerçant dans les maisons de santé pluri-professionnelles attendaient avec impatience la création d'une structure juridique leur permettant de recevoir des financements et de les répartir entre eux dans un cadre déontologique et fiscal sécurisé. La loi “Hôpital, Patients, Santé et Territoires” (HPST) de 2009 avait prévu l'expérimentation de nouveaux modes de rémunération dans les maisons de santé. Or, il n'existait aucune structure juridique permettant de les recevoir et de les répartir entre professionnels. C'est ainsi qu'a été constitué au niveau du ministère, sous la tutelle de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), un groupe de travail dont la mission a consisté à réfléchir à l'adaptation

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des structures existantes ou à la rédaction des statuts d'un nouveau type de société. Quel est l'impact attendu sur l'organisation de l'offre de soins ? Les maisons de santé doivent faciliter et, si possible, garantir l'accès aux soins dans les zones où les professionnels de santé se font rares. On sait que l'exercice en groupe correspond aux aspirations des jeunes médecins. La plupart d’entre eux affirmant qu'ils ne s'installeront pas seuls, cet exercice, en proximité d'autres professionnels, peut sûrement être un facteur décisif d'installation en milieu rural, tout comme en milieu urbain. En effet, lorsque l'on parle de désertification, c'est toujours à la France rurale profonde que l'on pense, alors que nos périphéries urbaines souffrent bien souvent du même mal.


La lettre de l’Observatoire - n° 32

Quels sont les risques et limites des SISA ? 1

La création de “coquilles vides”

Première problématique : l’effet d’aubaine. Si la réalisation d’un projet médical est nécessaire pour la constitution d’une maison de santé et l’attribution des aides associées, il ne peut être exclu que certains projets de mutualisation soient menés uniquement pour réaliser des économies d’échelle. Si l’Agence Régionale de Santé oppose des protocoles d’évaluation, la logique économique du groupement ne peut toutefois pas être effacée par la volonté des pouvoirs publics de déployer une offre médicale dans une logique populationnelle. D’autre part, la possibilité pour un associé d’exercer hors SISA (en fonction des conditions précisées dans les statuts) pose la question de “l’occupation clandestine” et d’une société qui ne serait qu’un simple toit. Un risque pour une juste répartition des moyens attribués en fonction du positionnement géographique.

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Un partage des tâches parfois complexe

Deuxième problématique : la délégation d’actes et la rémunération. La répartition des tâches au sein de la structure pluridisciplinaire peut rapidement devenir source de tensions, la délégation pouvant notamment être vécue comme une dépossession du métier. Cela peut être le cas lorsqu’un infirmier, qui assure le premier accueil du patient, est appelé à poser un pré-diagnostic. De plus, les coefficients, sur lesquels est parfois fondée la rémunération correspondant à l’activité de chaque professionnel, peuvent créer une concurrence néfaste et mettre en péril la cohésion de la structure. D’où l’intérêt des modalités alternatives de rémunération : forfait ou capitation. Et la nécessité d’une bonne coordination.

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Le navire sans capitaine

Troisième problématique : qui pilote ? Dans le modèle des maisons de santé, la structure naît de l’engagement fort

d’une personne qui ne ménage ni son temps ni ses efforts. La soutenabilité de la structure en dépend. Dans le cadre de la SISA, aucune place particulière n’est accordée au gestionnaire. Comme pour les Sociétés civiles de moyens (SCM) et les Sociétés civiles professionnelles (SCP), les statuts doivent désigner un ou plusieurs gérants. Or, dans le cas d’une offre de soins pluridisciplinaire, l’investissement d’un manager est fondamental pour assurer la coordination et la répartition des tâches tout en poursuivant les objectifs en termes d’offre de soins.

Interview

Docteur Pierre de Haas

Médecin généraliste, responsable de la maison médicale de Pont d’Ain. Quels sont les liens entre SISA et développement des maisons de santé ? Les SISA ont été créées pour répondre aux besoins de la centaine de maisons de santé libérales qui expérimentent actuellement les nouveaux modes de rémunération. Ceux-ci ont la particularité d’indemniser les temps de coordination de l’équipe, qui décide de son organisation, et l’éducation thérapeutique du patient. C’est le développement de ces nouveaux modes de rémunération qui peut encourager la multiplication des maisons de santé, mais pas la SISA qui n’est qu’un cadre. Pour un médecin libéral, exercer en maison de santé est la seule manière de travailler de manière coordonnée et structurée, de sortir de la solitude et du manque de moyens générés par la pratique individuelle. Leur création n’est pas forcément aisée, surtout quand il n’y a pas de leader pour porter le projet. Il existe toutefois des consultants spécialisés pouvant proposer leurs services. De plus, des réseaux dédiés à des pathologies se transforment pour devenir des réseaux d’accompagnement à l’organisation de l’offre de soins de premiers recours.

actu observatoire Le Mag des Indépendants est en ligne L’Observatoire Alptis de la protection sociale lance un nouveau site d’information destiné aux travailleurs indépendants. L’objectif est de coller au plus près de l’actualité des TNS et d’offrir une information de qualité régulièrement renouvelée. Information thématique, conseils pratiques, enquêtes y sont proposés sous forme d’articles et de vidéos.

À découvrir sur : http://actu-independant.alptis.org/

Publication éditée par l’Observatoire Alptis de la Protection Sociale - 12, rue Clapeyron, 75379 Paris Cedex 08 n www.observatoire-alptis.org Direction de la publication : Georges Coudert - Coordination éditoriale : Pascal Geneyton - Rédaction : In Medias Res - Maquette : Déesse Design ISSN : 1621-97-83. Dépôt légal en cours.

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La lettre de l’Observatoire - n° 32

Si l’offre de soins intégrait le modèle entrepreneurial... 1

Un nouvel équilibre pourrait être trouvé

Les jeunes médecins généralistes sont de moins en moins nombreux à souhaiter s’installer en libéral. La majorité fait le choix du remplacement et du salariat. En cause, les difficultés rencontrées par la profession (charges administratives, impact sur la mobilité professionnelle, solitude de l’exercice, stress lié à l’augmentation des consultations journalières...). Mais aussi une offre de salariat de plus en plus conséquente avec la multiplication des établissements médicalisés et les emplois proposés par les collectivités. Face à ce constat, intégrer un modèle entrepreneurial à l’organisation de l’offre de soins pourrait constituer une évolution bénéfique. Les généralistes libéraux tentés par l’expérience de création ou de direction d’une entreprise

Principaux modes d'exercice des nouveaux médecins

Libéral Salarié

Champ : omnipraticiens et spécialistes, ensemble du territoire national, données au 1er janvier de l'année. Lecture : au 1er janvier 2011, parmi les nouveaux inscrits au tableau de l'ordre, 507 médecins ont choisi l'excercice libéral exclusif et 3 774 le statut de salarié. Source : Legmann (2010) et Romestaing (2009, 2010, 2011a, 2011b)

Interview

médicale générale pourraient en effet proposer aux jeunes générations un cadre sécurisé d’exercice salarié. Ceci pourrait se concrétiser par le développement des contrats de médecins collaborateurs salariés en complément du statut de médecin collaborateur libéral. Et faire naître un nouvel équilibre.

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L’offre de soins pourrait être plus qualitative

Dans une organisation intégrant une coordination efficace, chaque acteur aurait l’opportunité de progresser. Premièrement, parce que le partage de connaissances concernant le patient favoriserait une mobilisation plus efficace des ressources et des savoir-faire de chacun. Deuxièmement, parce qu’une bonne répartition des tâches permettrait, d’une part pour le généraliste – qui reste au centre de l’exercice pluridisciplinaire – d’accroître son expérience analytique, d’autre part pour les auxiliaires de gagner en savoir-faire pratique. Avec au final, pour le patient, le bénéfice d’une prise en charge globale de meilleure qualité.

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L’offre de soins pourrait être plus économique

Les structures multidisciplinaires intégrant une solide coordination permettent, outre d’augmenter les bénéfices de la mutualisation des moyens, de faire baisser les coûts grâce à la délégation d’actes. En effet, si l’infirmier vaccine à la place du médecin, l’acte sera moins onéreux. D’autre part, l’offre pluridisciplinaire permet de réduire les coûts de transaction. Les différents professionnels n’ont plus à rechercher l’information, ni à négocier la réalisation des prestations par différents spécialistes extérieurs.

Professeur Gilberg

Directeur du département médecine générale de la faculté de médecine de Paris Descartes. oit-on former les jeunes médecins à l’entrepreneuriat ? D Professeur Gilberg : Les chiffres et l’administration ne les intéressent pas et représentent souvent des freins importants à l’installation en libéral. Tout ce qui est “gestion d’une petite entreprise” a toujours rebuté les médecins. En fin d’études, ils veulent travailler hors de l’hôpital, en ambulatoire, mais pas forcément en libéral. Le salariat les attire. Ils souhaitent sinon intégrer une structure qui fonctionne déjà, dans laquelle l’investissement en dehors de leur pratique médicale sera minime. Ce serait une erreur de demander aux médecins de consacrer une partie de leur temps à des aspects de gestion. Comment surmonter cette problématique ? Sans doute en ouvrant les maisons de santé à des professions non

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médicales pour ce qui concerne la gestion. Les médecins seraient aux commandes mais des gestionnaires interviendraient dans la structure. Sans tomber dans les travers qui ont pu être observés concernant les hôpitaux. Cet engouement pour le salariat pose pourtant la question de l’indépendance... Oui, c’est évident. Mais peut-on vraiment parler d’indépendance pour des médecins libéraux qui touchent des versements de l’assurance maladie ? Dans un contexte marqué par l’encadrement accru des pratiques, les médecins rendent des comptes. La qualité des soins est évaluée, le libéralisme total n’existe plus. C’est aujourd’hui dans le rythme de travail qu’il faut aller chercher de la liberté.


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