Lettre de l'observatoire de la protection sociale Alptis N°33

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la lettre de

l’Observatoire Lettre n° 33 - septembre 2012

Découvrez la nouvelle étude de l’Observatoire sur le thème de la précarité Ce numéro de la lettre de l’Observatoire présente la synthèse d’une étude complète, réalisée en mai 2012 par l’économiste Stéphane Rapelli (http://rapelli.free.fr). Vous pouvez consulter ou télécharger cette étude « La précarité chez les travailleurs non-salariés : quelles réalités ? » sur le site www.observatoire-alptis.org

L’Observatoire Alptis de la protection sociale Créé en 1996, l’Observatoire Alptis de la protection sociale fait partie du groupe associatif Alptis, spécialiste de l’assurance de personnes. Véritable centre de recherches, animé par un réseau d’universitaires et de représentants socio-professionnels, l’Observatoire scrute les grandes tendances à l’œuvre dans le monde des travailleurs indépendants et des petites entreprises. Ses travaux font l’objet de publications et notamment d’une lettre paraissant de 2 à 4 fois par an. • O bservatoire Alptis de la protection sociale 12, rue Clapeyron 75379 Paris cedex 08 www.observatoire-alptis.org

La précarité chez les travailleurs non salariés : Quelles réalités? Longtemps, le fait d’exercer une activité indépendante a été un choix de vie et l’ouverture vers une carrière prestigieuse. Depuis les années 2000, c’est souvent la nécessité de créer son emploi qui fait loi. Dans ce mouvement, la précarité inhérente à l’indépendance devient parfois de la pauvreté, en particulier pour les auto-entrepreneurs.

Non-salariés, inégaux face à la précarité 1

Libre, à quel prix ?

Liberté et précarité sont inscrites dans la définition du travailleur non-salarié. Du côté des avantages : liberté du choix d’exercice, du statut, de la gestion du temps. Mais il faut compter avec une activité et des revenus fluctuants, et des couvertures faibles pour la maladie, la vieillesse, ou le chômage. Tout est question d’équilibre entre volume d’activité, recettes et choix de vie. Or, d’une manière générale, les non-salariés sont touchés par un taux important de pauvreté monétaire (niveau de vie inférieur à 954 € mensuels). Il atteint, pour les personnes âgées de plus de 18 ans, 16,9 % contre 6,3 % pour les salariés. Une situation qui témoigne des difficultés rencontrés par cette catégorie de travailleurs qui, en France, représentait en 2009 près de deux millions de personnes (hors auto-entrepreneurs). 1


Revenus médians et niveau de vie par catégories de ménages Nombre de ménages (en milliers)

Part dans l’ensemble des ménages

Revenu disponible annuel médian (ménages)

Travailleurs nonsalariés

1 904

7,2 %

39 980 €

22 120€

Agriculteurs, artisans, commerçant, chefs d'entreprise

1 604

6,0 %

36 220 €

19 450 €

Professions libérales

300

1,1 %

66 410 €

39 460 €

Salariés

12 755

47,8 %

33 910 €

20 010 €

Chômeurs

1 309

4,9 %

17 810 €

11 890 €

Retraités

9 294

34,8 %

23 960 €

18 850 €

Inactifs

1 392

5,2 %

17 140 €

11 870 €

Ensemble

26 701

100,0 %

28 740 €

19 080 €

Niveau de vie annuel médian (individus)

Qu’est-ce qu’une valeur médiane ? La médiane est la valeur qui partage un groupe en deux parties égales.
Ainsi, pour les salaires, la valeur médiane sépare les 50 % des salariés qui gagnent plus et les 50 % des salariés qui gagnent moins que cette valeur. C’est une mesure beaucoup plus intéressante qu’une moyenne simple, qui additionne tous les revenus salariaux et les divise par le nombre de salariés. Lecture : En 2009, on dénombre 1 904 000 ménages dont la personne de référence est travailleur non-salarié. Ils représentent 7,2 % de l’ensemble des ménages. Leur revenu disponible médian s’élève à 39 980 € par an, ce qui génère un niveau de vie de 22 120 € par individu. Source : Insee (2012a).

Répartition des individus pauvres monétairement par CSP

7,6% 21% 24,9%

23,0%

Retraités Inactifs 15,2%

33,2%

75,1%

Chômeurs Salariés Non- salariés

Ensemble de la population

Actifs occupés

Champ : personnes âgées de 15 ans et plus, 2009. Lecture : les non-salariés représentent 7,6 % de l’ensemble de la population en âge de travailler et 24,9 % des actifs occupés. Source : Insee (2012a).

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Précaires ? Oui, mais pas tous…

Les travailleurs indépendants sont très inégaux face à la pauvreté monétaire. Ceux exerçant dans les activités de services inhérentes à l’art, aux spectacles et aux activités récréatives sont les plus mal lotis en termes de revenus. Ils gagnent en moyenne 11 fois moins qu’un professionnel juridique. En outre, ils sont les plus exposés à l’éventualité de ne rien gagner. Les professions libérales réglementées du secteur de la santé, du droit, du cadre de vie vivent une situation globalement plus confortable que les autres nonsalariés. C’est au prix d’un volume de travail conséquent, avoisinant régulièrement les 50 heures par semaine. La

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détention de diplômes d’études spécifiques semble protectrice. Ce n’est pas le cas des autres professions comme les activités de coaching ou de conseil. La déréglementation de l’exercice libéral depuis les années 2000, associée à la création du statut d’auto-entrepreneur (cf. page 4) a fortement encouragé les actifs à créer leur propre emploi. Souvent moins par vocation que par nécessité de travailler. Mais la mécanique, voulue vertueuse, bute sur le fait que tous les non-salariés n’ont pas les capacités et les réseaux nécessaires pour réussir.


La lettre de l’Observatoire - n° 33

Niveaux de revenus des non-salariés non-agricoles

Moyenne

Médiane

Proportion de revenus nuls (%)

Industrie

26 110

16 640

10,9

Construction

28 270

21 170

7,1

Commerce

26 310

14 860

12,4

Services

40 130

21 690

9,9

- dont Professions juridiques

90 580

54 060

3,1

- dont Professions libérales de santé

65 290

49 210

1,9

- dont Arts, spectacles et activités récréatives

14 530

4 860

19,5

Total hors autoentrepreneurs

34 190

18 960

11,2

Auto-entrepreneurs

2 660

930

18,1

Total y compris autoentrepreneurs

31 610

17 010

11,8

Revenu d'activité (€)

Champ : travailleurs non-salariés non-agricoles, 2009. Lecture : dans le secteur de la construction le revenu d’activité annuel médian s’établit à 21 170 €. La proportion de revenus négatifs ou nuls est de 7,1 %. Source : Pignier & Domens (2012).

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Disparate, la précarité est aussi relative

Interview

Sophie Boutillier

Docteur en sciences économiques et en sociologie, maître de conférences-HDR Directrice du master Stratégie d'innovation et Dynamique entrepreneuriale Chercheur au CLERSE (CNRS UMR 8019) à l'Université du Littoral Côte d'Opale-Lille Nord de France Sophie Boutillier a mené en 2011 une étude* sur la création d'entreprise à Dunkerque (population à 92 % salariée) portant sur 80 entrepreneurs ayant créé leur entreprise depuis moins de cinq ans. Elle revient sur les motivations de ces candidats au travail non salarié et sur les obstacles qu'ils doivent surmonter.

Qu’est-ce qui a motivé la création d’entreprise ? La nécessité de travailler a été le point de départ. Une moitié d’entre eux ont d'abord été salariés puis ont monté une structure sur le même créneau d’activité. Ce sont des personnes qui avaient d'abord besoin de « s'en sortir » avant de penser à gagner beaucoup d'argent. Mais cette première étape et leur cheminement de créateur leur ont ouvert d'autres horizons et désirs, notamment quant à l'autonomie que permet le fait d'être « à son compte ». Même si certains étaient déjà attirés par cela, tous ont cherché à améliorer leurs conditions de vie et ils sont aujourd'hui plutôt satisfaits. Nombre d’entre eux espèrent être en mesure, à terme, de créer des emplois. Quel est le profil de ces créateurs ?

La pauvreté monétaire ne définit pas à elle seule la précarité. Certaines fragilités socio-économiques dont l’Insee a fait la liste (découvert bancaire, faiblesse de l’épargne, retards de paiement pour les factures d’énergie, logement sans chauffage, etc.) marquent aussi les difficultés quotidiennes. On considère que la précarité est forte pour les individus qui connaissent 8 des 17 fragilités définies par l’Insee.

Ce ne sont pas des entrepreneurs dans l'âme. Ils ne sont pas issus de familles baignées par l'entrepreneuriat et le soutien qu'ils ont reçu de leurs proches a essentiellement été moral. Ces créateurs se sont tournés vers des institutions d'accompagnement spécialisées qui les ont guidés pour l'ensemble des démarches.

Sur ce plan, les non-salariés sont moins précaires que d’autres « pauvres ». Seuls 9,3 % des ménages non-salariés nonagricoles et 6,1 % des non-salariés agricoles (dont ménages retraités), atteignent le seuil des 8 items. Les ménages de non-salariés actifs ou retraités rencontrent en moyenne 10,1 difficultés ou restrictions. Ce nombre est inférieur à celui qui est constaté pour l’ensemble des ménages (10,6). Cela s’explique notamment par la porosité entre les biens et services utilisés dans le cadre professionnel et ceux consommés personnellement : l’appartement qui héberge le cabinet de kinésithérapie est aussi le logement de la famille, le véhicule et le forfait téléphonique acquis pour l’usage professionnel peuvent être utilisés à titre privé...

Oui, si l’accompagnement n’est pas suffisant. Quand on pousse les gens vers la création d’entreprise pour créer leur emploi, tous ne sont pas équitablement armés. Pour certains, c’est une vraie contrainte et un gros défi à relever car ils pénètrent dans un monde qu’ils ne connaissent pas. Ces créateurs ont longtemps eu des habitudes de salariés, avec des horaires contraints, des tâches définies. Là, ils doivent s’auto-discipliner. Et ce n’est pas toujours simple.

Les agriculteurs, doublement pauvres Si l’impact sur les conditions de vie atténue la pauvreté monétaire des non-salariés, les ménages d’agriculteurs échappent au phénomène. Ils représentent 3,8 % de l’ensemble des ménages français, mais 4,8 % de ceux cumulant les deux pauvretés. Les estimations montrent que, par rapport aux ménages ouvriers, ils encourent un risque 1,9 fois plus élevé de souffrir des deux pauvretés.

Ces nouveaux venus dans l’entreprise sont-ils pénalisés ?

* L’étude est consultable sur http://riifr.univ-littoral.fr/wp-content/ uploads/2012/05/doc254-labrii.pdf

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Le non-salariat reste apprécié

D’une manière générale, la qualité de l’emploi des travailleurs non-salariés reste meilleure que celle des statuts représentatifs des emplois précaires. Leurs conditions de travail leur donnent d’ailleurs satisfaction puisqu’ils ne sont, selon l’Insee, que 3,4 % à souhaiter changer d’emploi contre 8,4 % des salariés dans leur ensemble. De plus, si le nonsalariat expose plus fortement au risque de ne rien gagner, il permet en contrepartie d’accéder, dans certains cas, à de très bons revenus. D’où l’attractivité de ce statut qui bénéficie également d’avantages matériels divers (voiture, téléphone...). 3


La lettre de l’Observatoire - n° 33

Auto-entrepreneurs, un statut à part 1

La moitié gagne 930 euros par an

Le statut créé en 2008 avait essentiellement pour objectif de stimuler et de faciliter la création d’entreprise. Quatre ans plus tard, il se distingue dans le non-salariat par l’important niveau de pauvreté qui lui est associé avec un revenu médian de 930 € annuels, soit 12,3 fois moins que le seuil de pauvreté (11 448 € par an). Sur 751 000 auto-entrepreneurs enregistrés, seuls 324 000 ont un chiffre d’affaires positif. Et 72 % d’entre eux ont gagné moins de 5 000 € dans l’année. Un tiers des auto-entrepreneurs est composé par des artisans, les deux tiers par des professions libérales.

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Parfois un appoint

Peu d’auto-entrepreneurs peuvent vivre de leur activité. Mais le manque de données plus complètes limite l’analyse. Le statut semble ainsi principalement destiné à tester une activité non-salariée (en limitant le poids des contraintes fiscales et administratives), mais aussi à simplifier la pluriactivité (cumuler un emploi salarié et une activité non-salariée). Bien sûr, si ces faibles revenus sont associés à d’autres fragilités socioéconomiques, le statut pourrait révéler des situations de pauvreté sévères.

Pour aller plus loin Retrouvez l’étude complète de l’Observatoire sur le thème : « La précarité chez les travailleurs non-salariés : quelles réalités ? », directement sur www.observatoire-alptis.org Vous pouvez aussi consulter sur ce site l’ensemble des études réalisées par l’Observatoire Alptis de la protection sociale et des Lettres de l’Observatoire. Parmi les derniers travaux réalisés par les chercheurs de l’Observatoire : - Généralistes libéraux, le salut par l’entrepreneuriat ? (Lettre n° 32 – février 2012) - Le statut d’EIRL en question (Lettre n° 31 – octobre 2011) - Comment les TPE ont-elles passé la crise ? (Lettre n° 30 – mai 2011)

actus

www.observatoire-alptis.org

observatoire

aMag des indépendants Si vous êtes travailleur non salarié, le Mag des indépendants est fait pour vous ! Lancé en fin d’année 2011, ce webzine de l’Observatoire Alptis de la protection sociale vous donne toutes les infos pratiques et règlementaires en lien avec votre activité professionnelle. Sous forme d’articles ou de vidéos, vous retrouvez sur le Mag des indépendants tout ce qui vous concerne : toutes les dispositions légales et règlementaires, mais aussi des actus thématiques, des conseils pratiques, des enquêtes… Rendez-vous sur http://actu-independant.alptis.org

aPension de réversion C’est la nouvelle vidéo mise en ligne sur le Mag des indépendants. Qui a droit à une pension de réversion ? Les conjoints d’artisans et commerçants sont-ils moins bien traités que les salariés en matière de retraite complémentaire ? Comment faire pour mieux préparer la retraite de son conjoint ? Découvrez les réponses de Bruno Chrétien, expert en protection sociale, sur http://actu-independant.alptis.org

aRegard sur les agriculteurs La prochaine étude de l’Observatoire, en cours de réalisation, portera sur le thème : « Qui sont les agriculteurs aujourd’hui ? ». En attente de publication fin novembre 2012, thème principal de la Lettre de l’Observatoire n° 34 (décembre 2012)

Publication éditée par l’Observatoire Alptis de la Protection Sociale - 12, rue Clapeyron, 75379 Paris Cedex 08 n www.observatoire-alptis.org Direction de la publication : Georges Coudert - Coordination éditoriale : Pascal Geneyton - Rédaction : In Medias Res - Maquette : celine-martin.com ISSN : 1621-97-83. Dépôt légal en cours.

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