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17/06/2021
Ambre Chambon
6 Édito
8 Garde-robes
28 Noémie Ninot - Archives Jean-Paul Gaultier
32 Système d’archivage
56 Du vêtement à la pièce d’archive (1)
78 Maxime Benoist - Archives Givenchy
80 Du vêtement à la pièce d’archive (2)
sommaire
104 Flore Audéon - Archives Maison Margiela
108 Jeanne Brandalise - Archives Chanel
110 Étiquettes
118 Sophie Kurkdjian - Culture(s) de Mode
122 Crédits
124 Remerciements
Édito
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À mi-chemin entre culture et société, le vêtement est une forme d’expression. Il est un curseur temporel mais surtout, il engage des liens entre les personnes. Des vêtements entreposés dans des garderobes à ceux conservés dans de grandes maisons de mode ou dans des musées, il suffit de regarder ce qui existe et ce qui a été préservé pour comprendre cette richesse. Face à la saturation matérielle de notre environnement, composer avec l’existant a justement l’avantage d’ouvrir un monde d’échanges matériels, sensibles et générationnels. Ce sont des étudiants en mode, archivistes, professeurs, amis et chercheurs. Ensemble, nous avons échangé autour d’un même sujet qui résonne en nous de manière singulière. Archiver leurs vêtements tout comme leurs voix est une manière d’archiver une période de vie. C’est aussi une façon d’exposer notre rapport au vêtement. De la garde-robe au musée, ce parallèle fait office de leitmotiv tout au long de l’édition. Ce catalogue se veut donc comme une réflexion autour de notre rapport au vêtement, mais aussi comme une lecture personnelle de l’archive et de ce qu’elle signifie à mon échelle.
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Garde-Robes Derrière la porte de leurs espaces de vie se cache une autre antre. Parfois visible, parfois cachée, leur garde-robe est un concentré de leur personnalité. Ils ont la vingtaine et une sensibilité accrue pour le vêtement. La façon dont s’organise cet espace est tout aussi représentative de la place qu’occupe le vêtement dans leur esprit.
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Garde-robe de Ambre Aperçu de l’intérieur du placard en bois intégré à la structure de l’appartement.
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Garde-robe de Ambre, Détails de la partie droite : succession de vestes de costume sur cintres en bois.
Garde-robe de Ambre Sur l’étagère supérieure, de gauche à droite : pulls pliés, t-shirts roulés, pantalons pliés. Sur la tringle : t-shirts, chemises, cardigans, blazers, vestes et manteaux entreposés sur cintres en bois.
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Garde-robe de Aïtana Aperçu de la partie gauche de l’armoire. De haut en bas : boîtes, livres, vêtements sur cintres, vêtements pliés et entreposés dans des tiroirs.
Garde-robe de Aïtana Aperçu de la partie droite de l’armoire. De haut en bas : accessoires, vestes, chemises, hauts suspendus sur cintres, vêtements pliés et entreposés dans des tiroirs.
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Garde-robe de Noémie Placard ouvert. Hauts et bas pliés sur étagère. Vestes, robes, jupes, ceintures entreposées sur cintres en métal et quelques housses.
Garde-robe de Noémie Placard ouvert. Vestes, robes jupes, ceintures entreposés sur cintres.
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Garde-robe de Noémie Aperçu de l’intérieur du placard en bois, intégré à la structure de l’appartement. De haut en bas : sous-vêtements pliés et superposés sur étagère. Chaussures empilées ou stockées sous housses.
Garde-robe de Noémie Partie inférieure : chaussures empilées ou stockées sous housses.
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Garde-robe de Noémie Détails de la supérieur du placard ovuert : vêtements pliés et empilés.
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Garde-robe de Nicolas Vestes, manteaux, chemises, hauts entreposés sur cintres en bois sur le portant.
Garde-robe de Nicolas Aperçu de l’intérieur du placard en bois, intégré à la structure de l’appartement. Chemises, hauts, lainages pliés et empilés. Ceintures et sous-vêtements.
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Garde-robe de Nicolas Portant métallique blanc. Sac, robes, chemises, jupes, vestes, manteaux entreposés sur cintres. Vêtements sous housses. Chaussures au pied du portant.
Garde-robe de Nicolas Gilet court entreposé sur stockman, rembourré de ouatine et agencé par Nicolas.
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Garde-robe de Mia Aperçu de l’intérieur du placard intégré à la structure de l’appartement. En haut à gauche : lingerie et bas sous boîtes. À gauche : hauts, jeans et sous-vêtements pliés et superposés. À droite : vestes, hauts, chemises sur cintres, chaussures stockées dans ou sur des boîtes.
Garde-robe de Mia Portant métallique. Sacs, vestes, vêtements sous housses, chaussures au pied du portant.
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Garde-robe de Mia Aperçu de l’intérieur du placard, pyjamas, boîtes de lingerie, bas dans leur boîte d’origine.
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Noémie Ninot Archives Jean-Paul Gaultier
22 ans, collectionneuse (presque) compulsive et amatrice de vêtements, Noémie fait partie de celles qui ont une approche singulière de la matérialité. D’une part, il y a les vêtements qu’elle porte au quotidien. De l’autre, les pièces qu’elle collecte : du coup de cœur inopiné sur les plateformes de seconde main à la quête de la pièce ultime de sa marque japonaise tant adorée. Son expérience aux archives chez Jean-Paul Gaultier n’a fait que renforcer son affection sacrée pour le vêtement.
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Comment définirais-tu l’archive ? N : Pour moi l’archive est une question de temps. C’est vouloir perpétuer un objet, une pièce, une photo. Le fait de conserver attire immédiatement l’attention sur un objet, tu en prends soin, tu dates, tu donnes une vie et une mort comme on le ferait pour un être humain. C’est aussi classifier. Mais c’est surtout une question de mort et des informations que tu laisses derrière toi après ta mort. Je trouve ça très important pour l’histoire d’une vie, aussi insignifiante qu’elle soit. Comment s’organisaient les archives chez Jean-Paul Gaultier ? N : Il y en avait partout. Le projet de fond était de tout reprendre en photo et d’envoyer les pièces dans un entrepôt à Tours afin qu’elles soient centralisées. Si des pièces doivent sortir, ils envoient un coursier. Au début elles étaient au siège à Paris et il fallait constamment les chercher. Il y a un outil digital qui s’appelle Web Museo où les vêtements sont recensés. Je devais ré-actualiser les fiches déjà existantes parce que les photos étaient de mauvaise qualité. Il fallait photographier les pièces sur mannequin avec une bonne lumière et ensuite mettre à jour la description technique. Tous les vêtements sont emballés avec leur fiche : pour la Haute Couture ce sont des pochettes épaisses avec du papier de soie, pour le prêt-à-porter ce sont juste des pochettes fines. On devait aussi mettre un code barre. C’est un nouveau système pour que l’on sache où sont les pièces parce qu’elles sont toujours éparpillées entre la presse, l’atelier pour être réparées ou au studio. On a shooté 1400 pièces en deux mois et on devait faire 50 à 40 fiches par jour avec code barre. Ce projet est génial car il a permis de tout regrouper. La société qui s’occupe spécialement de l’entrepôt stockait aussi les archives de Dior. Est-ce que cette expérience a modifié ton rapport au vêtement ? N : J’avais envie de tout étiqueter. Déjà avant de faire le stage je voulais archiver mes photos et après j’ai même voulu archiver mes vêtements. J’ai acheté une petite étiqueteuse pour mes photos, il faudrait que je trouve autre chose pour mes vêtements... Ce stage ça m’a permis de connaître le vêtement véritablement. En stylisme tu aperçois le vêtement, mais tu ne le vois pas. Tu l’emballes, tu le déballes, tu le mets sur cintre ou sur un mannequin, et voilà. Avec une autre stagiaire chez Gaultier, on était en train de jubiler devant des corsets en osier on les touchait pendant 3, 4 minutes… on n’a pas le temps de faire ça en stylisme. Le fait de
travailler aux archives, ça fait du bien. Tu as l’impression de faire quelque chose de plus sincère et de mettre de ton amour. C’est un échange très charnel. Tu n’achètes pratiquement que des pièces vintage, comment fais-tu tes recherches ? N : Je cherche des designers particuliers et je vois en fonction de ce que me propose l’application. Pour Comme Des Garçons, je cherche selon les pièces. Pour Junya Watanabe, c’est pareil. Je sais qu’il y a des collections qui m’intéressent plus que d’autres. Donc tu cherches uniquement par créateurs ? N : Oui mais j’aime aussi accumuler des pièces étranges sans marque, surtout pour l’accessoire. Il m’arrive de dénicher des chaussures atypiques sur Vinted à 5 euros. En fait je me dis : quand tu vas dans un musée d’histoire de la mode, tu vois des pièces anciennes que tu ne vois plus portées aujourd’hui, donc comment ça va être dans 200 ans ?
C’est pour ça que j’aime conserver ces pièces, avec le temps elles prendront de la valeur.
Ça t’est déjà arrivé de vendre une pièce de collection ? N : Oui, cette semaine j’ai revendu un puffer Rick Owens. Au début c’était pour des styling et finalement elle ne me correspondait pas. Elle n’avait pas sa place dans ma collection. Généralement j’essaie de ne pas revendre. Il y a quatre ans, j’avais jeté plein de vêtements et je regrette un peu. Je me dis que ça aurait été cool de les garder juste pour les avoir, même si c’était une période que je n’aimais pas. Et d’un autre côté, ça fait du bien. Penses-tu que cette lubie de collectionner vient de ta famille ? N : Oui, ma mère garde tout, elle a du mal à jeter. J’aime que tout soit rangé et à la fois tout s’accumule et ça m’agace. J’ai fait le choix de l’accumulation… même dans les livres. Petite, je collectionnais les étiquettes de vêtements, des timbres, et là j’ai recommencé à accumuler des tickets de caisse. C’est une addiction. Demain, tu pourrais tout revendre sur un coup de tête ? N : Non. C’est un projet de vie. Je me sentirais nue.
N : Alors qu’aujourd’hui ça peut-être anodin ou étrange, dans quelques années ça sera perçu autrement. Un jour, j’ai vu une jupe Junya Watanabe à motif tartan, elle était moche mais en même temps belle et très sensuelle. J’ai ressenti tellement de choses dans mon corps. Je me suis dit : il me faut cette jupe. Et là, elle est dans ma penderie dans un sac plastique qui la protège. Le fait que ce soit une jupe Junya Watanabe, ça rajoute cette valeur chère à mes yeux. Elle est sûrement trop petite pour moi. Pour autant je n’ai pas envie de la porter, c’est vraiment une collection. Je crois que c’est juste la satisfaction d’avoir la pièce, de la savoir dans ma penderie même si je ne la regarde pas. Et dans six mois je peux très bien aller sentir ma robe Rei Kawakubo en me réjouissant de l’avoir. Fais-tu la distinction entre tes pièces de collection et ton vestiaire quotidien ? N : Oui ! Récemment je me suis achetée un gilet Issey Miyake en noir. Celui-ci je le porte et je ne pourrai pas le mettre dans ma collection. En fait, tout pourrait être collection, c’est juste une question de point de vue.
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« J’ai beaucoup de vêtements de collection que je ne mets pas, mais je trouve que c’est important de les avoir et de garder la date. » Noémie Ninot
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Système d’archivage Habituellement classés et répertoriés dans les musées ou dans des maisons de mode, les vêtements subissent un autre traitement une fois leur heure de gloire passée. Détachés du corps, ils deviennent des entités sacrales qui dégagent une aura. Nombre d’entre eux ne reverront pas le jour de si tôt. À l’échelle d’une garderobe individuelle, archiver des vêtements reviendrait à un contre-sens. Pour Noémie, collectionner est apparu comme une évidence. Le rapprochement entre l’entité vestimentaire et la pièce quasi muséale s’inscrit dans une continuité avec son amour pour le vêtement. Comme si la distinction de cette partie d’elle-même lui donnait la possibilité d’offrir une existence sensible et personnelle. C’est dans cet espace clos qu’elle s’est construite le luxe d’une relation étroite avec ses pièces. Ce système matérialise le songe d’un musée privé, à son échelle.
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Du vêtement à la pièce d’archive (1) Si vous deviez choisir une pièce que vous devriez garder toute votre vie, laquelle choisiriez-vous ? C’est à partir de cette question qu’un processus de documentation s’est articulé. Ce sont des pièces dotées d’un capital affectif dû au lien familial, à la marque adulée ou tout simplement pour la qualité même du vêtement. Elles sont signe d’admiration, de nostalgie, de douceur ou de bonheur. Elles ont 20, 30 ou 40 ans. Par la voix de leur propriétaire, elles s’incarnent comme le symbole d’une existence vouée à perdurer.
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Dossier de Ambre, veste de costume Page de gauche : questionnaire, scan de l’étiquette, QR code de l’enregistrement audio sur la veste de costume. Page de droite : scan du dossier avec documentation sur la pièce.
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Dossier de Aïtana, veste de tailleur Page de gauche : questionnaire, scan de l’étiquette, QR code de l’enregistrement audio sur la veste de tailleur. Page de droite : scan du dossier avec documentation sur la pièce.
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Dossier de Noémie, jupe faux cul Page de gauche : questionnaire, scan de l’étiquette, QR code de l’enregistrement audio sur la jupe. Page de droite : scan du dossier avec documentation sur la pièce.
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Dossier de Nicolas, gilet Page de gauche : questionnaire, scan de l’étiquette, QR code de l’enregistrement audio sur le gilet. Page de droite : scan du dossier avec documentation sur la pièce.
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Dossier de Mia, guêpière et porte-jarretelles Page de gauche : questionnaire, scan de l’étiquette, QR code de l’enregistrement audio sur l’ensemble. Page de droite : scan du dossier avec documentation sur la pièce.
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16/04/2021
« Elle représente cette nostalgie que j’ai face à l’évolution de notre rapport à l’objet et au vêtement.» Ambre
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27/04/2021
« Je trouve qu’en termes de ‘relique’ de mode, c’est une pièce assez importante. » Aïtana
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29/04/2021
« Quand j’achète mes pièces d’archive, c’est pour qu’il y ait une sorte de temporalité et pour qu’elles puissent vivre longtemps. » Noémie
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22/04/2021
« Je les vois plus comme des œuvres d’art que comme des vêtements portables. » Nicolas
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20/04/2021
« J’ai envie de me souvenir toute ma vie de cette mémoire du corps qu’elle m’offre. » Mia
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09/03/2021
Maxime Benoist Archives Givenchy
Un des premiers échanges qui a nourri les débuts de cette réflexion : la rencontre avec Maxime, ancien étudiant de l’École Duperré récemment devenu professeur. Sa posture aux frontières de la création et de la critique atteste du lien étroit, parfois nécessaire, de ces deux entités. Aux archives de la maison Givenchy, il a découvert avec émerveillement l’existence d’un autre goût pour le vêtement. Rencontre.
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Quelles ont été tes expériences dans la conservation ? M : Pendant mes études à l’école D uperré, j’ai fait un stage à Glassbox. Là-bas, j’ai vu comment s’organisaient les expositions et le montage de projets. J’ai toujours été un peu dans l’indécision entre la posture de créateur et une approche plus distanciée et critique. Je voulais avoir une visibilité sur une démarche d’archivage, de conservation et de valorisation d’un patrimoine dans une maison de mode. En parallèle de mon master, j’ai donc travaillé un an aux archives chez Givenchy et j’ai continué pendant un an et demi en tant que freelance. Comment s’organisent les archives chez Givenchy ? M : En général, les archives ne sont jamais la priorité d’une maison, ça advient plutôt quand il y a un budget à dépenser en extra.
L’apport en valeur n’est pas financier mais plutôt de l’ordre symbolique et de l’enrichissement historique d’une marque. Je suis arrivé au moment où le service a été relancé après une dizaine d’années sans activité. Des prestataires se chargent de stocker les collections. Avec mon équipe, on s’est retrouvé à travailler sur un fond archivistique qui n’était pas rangé. Il fallait tout reconstruire. On distinguait deux types de fonds : dans un premier temps il y a le fond textile qui concerne les pièces de collections vestimentaires et accessoires puis il y a le fond papier qui regroupe les croquis, photos, lookbooks et les documents administratifs. Il y avait des centaines de milliers de documents dans des cartons vaguement triés par décennies et il fallait tout reprendre. Pendant une année, il y a eu tout un travail de ré-identification des archives avec la mise en place d’un inventaire et d’un système d’archivage. Une fois que tout est identifié, il fallait répertorier en mettant en priorité certaines années fondatrices de la maison.
à-dire que les descriptions devaient être harmonisées en utilisant un même vocabulaire. Tout était digitalisé, on définissait les critères d’identification et la destination du stock. Ces éléments créaient une bande de métadonnées où chaque document était identifié par un numéro et un code-barre. Puis il y avait une partie numérisation rattachée à la chaîne de production. Les fichiers images étaient nommés de la même manière afin de proposer une base de données consultable. Cette base de données interne allait permettre aux designers de faire leurs propres recherches.
sur des échanges avec des messages personnels qui témoignent du côté humain derrière tous ces objets.
Quelles sont les méthodes de conservation ? M : La méthode classique se fait sur cintre avec une housse en coton, dans un hangar climatisé avec une régulation thermique. On a aussi des cintres bustes ou des cintres anatomiques recouverts de jersey de coton qui permettent le maintien de la forme d’une pièce. Et enfin il y a les boîtes de patrimoine qui sont plus grandes qu’un cercueil (d’ailleurs on les appelle comme ça). La pièce y est stockée en volume avec du papier de soie en éventail plissé qui nécessite un vrai savoir-faire. C’est un système très coûteux Quel est le rôle d’un archiviste ? M : J’étais dans le cœur historique de la maison tout en ayant une compréhension du vêtement. Quand on est archiviste, on a la main dans la matière. Ce n’est pas une posture d’historien, mais paradoxalement il y a une proximité avec ces archives qui atteste d’une connaissance fine et précise des choses.
Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne réécrit pas l’histoire parce que de manière factuelle on la voit, donc on la retrace.
L’objectif était de développer un vrai fond patrimonial qui donnait une assise à la marque.
Parfois, cette histoire est désacralisée quand on voit les pièces et la manière dont elles sont bricolées, notamment pour les accessoires. J’ai passé plusieurs mois à retracer l’historique des licences qui étaient une réalité commerciale importante dans les a nnées 1970 à 1990 . Tout se faisait à partir de l’administratif pour établir une chronologie.
À partir d’un protocole d’inventaire, il fallait uniformiser les standards de conservation. Pour le papier comme pour le textile, il y a une normalisation des procédés, c’est-
Que retiens-tu de cette expérience ? Ce qui m’a marqué, c’est l’accès quasi total et privilégié. Il y a des choses qu’on ne voit même pas au musée. Je suis déjà tombé
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Du vêtement à la pièce d’archive (2) Un drap de coton fin sépare le vêtement du temps. Empêchant l’atteinte physique de la dégradation, cette membrane en fait presque oublier l’identité de la pièce conservée. N’en reste que l’empreinte mémorielle, parée d’une étiquette comme seul moyen de lecture du vêtement. Du musée à la garde-robe, du collectif à l’individuel, du factuel à l’affectif, ces housses s’habillent des mémoires intimes.
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sujet / titre
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Pièce n°1 : Costume bleu marine matière : 60% laine 40% polyester année : 1973 lieu de fabrication : Paris description : costume bleu marine à fines rayures blanches et poches entretien : ne pas laver, ne pas blanchir, repasser à température élevée, nettoyage à sec
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Pièce n°2 : Veste de tailleur marron matière : 75% laine 25% polyester année : 80’s lieu de fabrication : France description : veste de tailleur marron à rayures ton sur ton avec détails en velours sur le col et les poches entretien : ne pas laver, ne pas blanchir, repasser à température basse, nettoyage à sec
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Pièce n°3 : Jupe faux cul matière : polyester - doublure modal année : 1999 lieu de fabrication : Japon description : jupe à petits carreaux de couleurs beige et marron, 2 zips invisibles, bas de jupe sculpté en flûte, au dos poche fanny pack bag façon vertugadin entretien : ne pas laver, ne pas blanchir, repasser à température basse, nettoyage à sec
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Pièce n°4 : Gilet court noir matière : laine année : Automne / Hiver 2002 lieu de fabrication : Japon description : gilet noir manches longues, deux poches à rabats, volumes irréguliers créés par la patte de boutonnage arrondie, boutons en bois entretien : laver à 30°, ne pas blanchir, repasser à température basse, nettoyage à sec
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Pièce n°5 : Guêpière matière : 55% polyamide 21% élasthanne 19% viscose 5% polyester année : ? lieu de fabrication : France description : Corset transparent avec armature et bretelles, s’agraffe sur le côté, motif Marly (pois et ornements). entretien : laver à 30°, ne pas blanchir, repasser à température basse
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Pièce n°5 : Porte-jarretelles matière : 55% polyamide 21% élasthanne 19% viscose 5% polyester année : ? lieu de fabrication : France description : Porte-jarretelles avec Motif Marly (pois et ornemnets), s’attache au dos entretien : laver à 30°, ne pas blanchir, repasser à température basse
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Pièce n°5 : Bas matière : polyamide polyester année : ? lieu de fabrication : France description : Bas marron
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22/04/2021
Flore Audéon Assistante régie de conservation de collection Hermès
Quelle place donner aux archives au sein d’une maison ? Après une expérience aux archives de la Maison Martin Margiela, Flore travaille aujourd’hui auprès de la maison Hermès à la conservation des collections. Deux maisons, deux fonctionnements distincts qui révèlent que le pouvoir d’action dépend de l’importance de la structure. Objet de storytelling de plus en plus convoité, bien que l’archive soit devenue inhérente à toutes maisons cet engouement ne se traduit pas systématiquement par des politiques de développement. Lors de cet entretien, Flore souligne avec justesse l’intérêt de déterminer la ou les fonction(s) de l’archive.
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Quel a été ton parcours ? F : Je suis issue du monde des musées. J’ai fait de la médiation culturelle puis de la muséologie à Montréal. J’ai toujours été passionnée par le vêtement mais je ne savais pas par où commencer une carrière professionnelle dans ce secteur. J’ai fait un stage aux Arts Déco où j’ai eu la chance de me retrouver au département mode. Tout s’est enchaîné assez vite avec notamment une première expérience chez Hermès au conservatoire des créations. Puis j’ai été en alternance à la collection d’art contemporain de la Société Générale. Suite à cela, j’ai intégré les archives chez Margiela pour finalement revenir chez Hermès au conservatoire des collections. En règle générale, quels sont les critères de conservation ? F : La température, le taux d’humidité, la lumière et la veille sur les ravageurs. Outre les conditions ambiantes, les conditions de stockage vont être déterminées sur les types de housses, les boîtes et les cintres. Comment s’organisent les archives chez Maison Margiela ? F : La constitution des archives a commencé sous la direction de Martin Margiela, mais elles étaient stockées de manière un peu sauvage sous les combles. Il n’y avait pas de département d’archives à proprement parler. Cela s’est structuré par les services généraux. Je suis arrivée trois ans après la création du département. Il y avait déjà pas mal de pièces qui étaient inventoriées sur la base de données Launch Metrics mais on sentait le manque de place. J’ai dû coordonner tout le projet de déménagement vers de nouvelles réserves. J’ai l’impression que le problème de l’espace se pose pour de nombreuses maisons qui ont un projet d’archivage... F: Oui, en fait il y a plusieurs stades. Pour les maisons qui ont plusieurs années d’archives, je dirais qu’on en est à la phase de déménagement en quête d’un nouvel espace avec plus de place. De fait, il y a tellement de pièces que cela ne suffit pas. Dans les maisons plus jeunes, il s’agit plutôt de chercher un espace aux normes pour éviter un stockage sauvage. Certaines maisons comme Dior, Kenzo et Jean-Paul Gaultier ont leurs stocks d’archives dans des entrepôts en Touraine. Chez Margiela, l’archive occupe aujourd’hui une place importante dans la création.
F : Chez Margiela, l’archive occupe aujourd’hui une place importante dans la création. Pour la structuration des archives chez Margiela, l’urgence était de trouver un lieu de stockage et de faire l’inventaire. C’est là que ça rentre en confrontation avec l’usage des archives. Le but numéro 1 des archives, c’est de nourrir la création donc de répondre aux demandes de studio de John Galliano. Il fallait être très efficace dans le traitement des demandes ce qui était assez paradoxal puisque je devais en parallèle mettre en place des normes de conservation assez exigeantes. C’est la même problématique que pour l’exposition. Le soin que l’on pourra apporter à certaines pièces va être annulé selon la fréquence des sorties de chaque pièce. Ce que j’ai constaté par rapport à des endroits plus structurés, c’est qu’il faut définir l’objectif de chaque collection pour une bonne structuration.
Tant que tu n’as pas défini les objectifs tu ne peux pas avoir de politique de conservation cohérente. Et en interne, comment cela se structure-t-il ? F : La politique de conservation commence déjà par un organigramme. À titre de comparaison, chez Hermès le département d’archives est clairement défini alors que chez Margiela j’étais seule et je dépendais du service de logistique. À partir du moment où tu es un électron libre, il n’y a pas cette reconnaissance patrimoniale, ce manque d’institution et de règles fait que tu ne peux pas mener une politique cohérente. Tout en haut de la pyramide de gestion la question majeure reste : quelle place l’entreprise donne aux archives ? N’y a-t-il pas une déconnexion géographique entre le cœur d’une maison et le service d’archives ? F : Dans beaucoup de maisons, les archives sont à part tant sur le fonctionnement que géographiquement. Avant chez Margiela j’avais des interactions avec ceux qui travaillaient au siège au studio, mais depuis le service a été déplacé. Quand tu es au sein de la maison, tu vois ce qu’il se passe, tu acquiers des anecdotes et tu peux développer un storytelling. Quand tu es dans ta réserve à l’autre bout de Paris, tu perds ces éléments immatériels qui viennent nourrir ton discours.
On commence à tendre vers un schéma où tu récupères des archives mais tu ne peux pas leur donner de sens car tu n’as pas l’histoire qui va avec. J’avais des collections entières de vêtements incroyables mais sans les histoires qui venaient avec. De là vient s’ajouter l’intérêt de la documentation. Quelles spécificités relèves-tu dans la conservation des collections Margiela ? F : Les collections étant très variées en termes de matériaux, la transition avec mon expérience en conservation d’art contemporain s’est faite de manière très évidente, il y avait une convergence avec les matériaux utilisés chez Margiela. C’est une maison très à part de ce fait-là, le traitement des matériaux n’est pas aussi conventionnel qu’ailleurs. Ce serait intéressant de voir si dans d’autres maisons il y a des collections aussi complexes. Mais il y avait justement cette confusion entre les pièces censées être archivées qui étaient envoyées à l’atelier. Ce qui est particulier chez Margiela, c’est le geste de récupération des pièces en vue de les transformer. C’est assez antinomique d’avoir des archives qu’on ne peut pas utiliser en tant que conservateurs. La difficulté est de trouver un terrain d’entente sur l’idée que la pièce d’archive n’est pas destinée à être modifiée. Quand il y a l’instauration d’un département patrimoine, cela empêche cet écart. En tant que conservatrice, tu es plutôt partisane d’une conservation de l’archive sans usages créatifs connexes ? F : Oui, je pense qu’aujourd’hui c’est assez simple de dupliquer des pièces. La pièce d’archive devrait à peine sortir. On a des bases de données de plus en plus précises et il y a des moyens techniques dans les maisons pour les reproduire. L’archive devrait servir de mémoire ou pour des expositions dans des cadres exceptionnels. Ça aurait plus de sens d’investir pour des très bonnes conditions de conservation parce que ce serait cohérent sur la durée. La communication inter-maisons au sujet du patrimoine et de la conservation estelle transparente ? F : Le réseau Culture(s) de Mode a vraiment à cœur de fédérer un noyau de la conservation pour pouvoir échanger sur ces questions au-delà des appartenances individuelles de chacun. Je pense qu’il y a une bonne communication qui rejoint un intérêt commun de la préservation du patrimoine.
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Travailler en contact avec l’archive questionne aussi le statut du vêtement et la notion d’usage… F : Oui ce n’est plus un vêtement, c’est une archive. Déjà le fait de mettre des gants, cela veut dire que tu n’es plus en contact avec un vêtement, c’est autre chose. D’où l’intérêt des matériaux de conditionnement où tu rentres dans un autre stade, où tu traites le vêtement avec d’autres rituels. Le fait de travailler dans les archives, donc en proximité avec le passé et avec de la matière existante est assez antinomique avec le système de la mode, quel est ton regard vis-à-vis de ça ? F : Oui, moi ça me rassure beaucoup de travailler dans cet univers. Évidemment, je trouve que ce système va beaucoup trop vite et qu’il y a un excès. C’est un peu culpabilisant d’aimer le vêtement et de s’apercevoir des conséquences que ça a. C’est un peu moins vain et éphémère et ça légitime ma présence dans la mode. Pour autant, à force de produire il faudra forcément archiver au même rythme. F : Ce qui est intéressant, c’est que ce problème commence aussi à se poser dans les archives. Vu qu’il y a de plus en plus de productions au sein des maisons, il y a de plus en plus d’archives. Avant, les premiers défilés de Martin Margiela contenaient une vingtaine de looks, aujourd’hui il y en a une cinquantaine. La question qui se pose c’est : qu’est-ce qu’on archive ? On a dépassé le stade où la question de l’intérêt de l’archivage se posait. On sait qu’il faut conserver, sauf qu’on est confronté à la quantité et qu’archiver des pièces, ça a un coût. Créer une collection doit avoir du sens, c’est un parti pris. On n’archive pas des pièces au hasard, on archive parce qu’elles ont une signification bien précise qui donne un tournant à ta collection. Plus on archive, plus on sature les espaces. C’est un peu tout ou rien : avant on archivait rien et puis maintenant on archive tout. En termes de sens, plus tu vas archiver, plus tu vas perdre l’essence de ce qu’il y a d’intéressant. Je pense que ce serait important d’avoir plus de communication entre le studio de création et le service d’archives qui sont finalement déconnectés mais complémentaires.
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« On peut se rassurer en se disant qu’on prend soin de ce qui a existé et se dire qu’on donne du sens à cette existence. » Flore Audéon
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18/04/2021
Jeanne Brandalise Archives Chanel
Au détour d’une conversation téléphonique, Jeanne témoigne de sa courte expérience aux archives accessoires de la Maison Chanel.
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J : Je suis en stage au département d’archives accessoires chez Chanel. Ils ont une nouvelle base de données et ma mission consiste à lier les photos des bijoux à des fiches techniques. Ce système digital vient d’être mis au point. Les ateliers G oossens ont été déménagés à Aubervilliers et là je travaille depuis Pantin où se situe le département patrimoine : il y a tous les bijoux fantaisies tout comme les collections de mode. Par rapport à mon projet de diplôme, j’avais effectué des recherches sur les a ccessoires et tout a pris sens parce que j’ai pu comprendre les références des bijoux. Il y a une régisseuse qui s’occupe de faire les patronages sur les modèles pour les expositions. Chanel a commencé à conserver les pièces et les accessoires uniquement à partir des années 50 donc depuis des longtemps ils achètent les pièces lors de ventes aux enchères. Étonnamment, les pièces sont généralement en très bon état. Les accessoires sont stockés dans d’énormes tiroirs noirs dans une pièce aux normes de conservation. Tous les bijoux sont posés à plat dans les tiroirs, recouverts d’une petite protection et séparés par des cales en mousse. Comme ce sont des bijoux fantaisies et qu’il n’y a pas de métaux précieux, c’est un peu moins sophistiqué en termes de rangement. Ils réalisent des reproductions de bijoux à partir de moules pour des shootings ou des films. Ce protocole est réalisé uniquement par la maison Chanel, autrement ils ne prêtent pas les originaux par souci de conservation. Les pièces reproduites ne sont pas considérées comme des authentiques dû à la date de création postérieure.
Aperçus du département patrimoine Chanel. Crédits images : Jeanne Brandalise
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Étiquettes Écrire le vêtement. Le raconter par les mots, par la voix.
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26/05/2021
Sophie Kurkdjian Culture(s) de Mode Les contraintes d’espace se font vite rattraper par le temps. Si les archives doivent continuer d’exister, cette réalité se heurte aux problématiques de stockage et de moyens mis en place. D’où le parallèle entre les enjeux de durabilité confrontés aux archives : une fois la matière créée, que faut-il archiver ? Conserver, oui, mais quoi ? Produire, oui, mais comment et en quelles quantités ? Aussi, le rôle culturel de la mode se joue peut-être à ce niveau : engager une conscience et un esprit critique vers une approche plus vertueuse de la matérialité. Conversation avec Sophie Kurkdjian, chercheuse, professeure et directrice du réseau Culture(s) de Mode.
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Quel constat faites-vous sur la question du patrimoine et des archives en F rance ? S : La question du patrimoine est très vaste. Elle ne s’arrête pas seulement à l’objet, elle va au-delà. Lors de la création du réseau Culture(s) De Mode, on était parti du constat qu’en France on a beau avoir une histoire incroyable dans la mode, les chercheurs étaient un peu isolés. Le patrimoine n’était pas valorisé comme la peinture ou la sculpture. Ce n’est pas comme si rien n’existait, mais les initiatives sont isolées. D’un point de vue des pratiques professionnelles, à l’université il y a très peu de postes qui sont créés sur le patrimoine de la mode. C’est un cercle vicieux parce qu’il n’y a pas d’institutionnalisation de la question de la mode. À la différence des anglais et des américains, nous avons une histoire très longue. La mode fait partie de notre histoire qui nous permet de rayonner à l’international. D’un point de vue du patrimoine, les archives sont reconnues depuis quinze ans donc c’est très récent. Les équipes sont très petites et les maisons allouent un budget moindre à ce département. C’est un peu problématique, il faut avoir beaucoup d’argent et ça demande beaucoup de temps et de moyen de conserver un vêtement. Ce n’est pas comme une peinture. Il faut avoir de l’espace et des personnes qualifiées. Donc c’est toujours bien que le service d’archives existe, mais le problème c’est qu’il n’y a pas d’investissement suffisant pour que ce soit viable. Culture(s) de Mode a été créé pour montrer ce qu’il se passe, on est loin d’être inexistant, on est juste invisible. Le réseau permet de valoriser les personnes en lien avec ce secteur, c’est aussi une vitrine de leurs travaux en termes de pratiques et de techniques. En interne, on a un groupe “patrimoine” dirigé par plusieurs directeurs d’archives de différentes maisons telles que Balenciaga, Chloé et Lanvin. C’est un moyen de valoriser leur travail et de leur apporter plus de soutien et de visibilité. Ce milieu semble pourtant discret, il y a peu d’échanges entre les maisons à ce sujet. Peut-on parler de concurrence dans le département des archives ? S : Il y a beaucoup d’argent en jeu derrière les marques.
Aujourd’hui, on a compris que les archives étaient devenues un objet de storytelling et qu’il s’agissait de les mettre en avant.
Il y a une concurrence dans la protection des données, pour des maisons comme Hermès, Chanel ou Balenciaga et la façon dont ils protègent leurs archives. Ça reste un business. On ne voit pas cela comme des musées complémentaires, mais plutôt comme des secrets. Cette discrétion est sûrement due aux enjeux financiers. Au même titre que l’intérêt des archives de la part des maisons, il y a cet intérêt croissant pour les plateformes de seconde main dans le luxe auprès des consommateurs. Peut-on envisager ce parallèle comme une modification de notre approche à la durabilité ? S : C’est une vraie articulation intéressante, on pourrait penser que de prime abord, les archives et la question du développement durable n’ont pas beaucoup de lien. L’archive est une question d’objet iconique : on expose dans des musées. À l’opposé, pour le développement durable, la question qui se pose est : comment faire pour produire moins ou dans des conditions plus dignes ? En fait on s’aperçoit qu’il y a beaucoup plus de liens.
Valoriser les vêtements au sein des musées, c’est aussi montrer au public, au client, que le vêtement a une histoire et une valeur. Derrière cette robe Chanel, ce n’est pas seulement la marque et le luxe, c’est l’histoire d’une maison, d’un style, d’une technique et d’artisans. Chez Culture(s) de Mode, on pense que l’on peut revaloriser ce patrimoine. On a d’ailleurs publié un manifeste pour questionner le sens du patrimoine et de la recherche. On est persuadé qu’il faut éduquer ou réaliser plus d’outils de vulgarisation, des livres, des expositions... mais pas seulement sur la petite robe noire Chanel qui certes, est intéressante en termes d’histoire, mais on la connaît plutôt bien. Il s’agit aussi de valoriser des objets moins connus et nous sommes persuadés que ça peut éduquer en un sens.
Un vêtement, ça se protège, ça se conserve, ça ne se jette pas. Avertir sur le patrimoine des maisons est un moyen de revaloriser le vêtement et d’expliquer qu’il n’est pas jetable. C’est le résultat de multiples étapes, de savoir-faire de femmes et d’hommes et qui ont été
complètement oubliés. Malgré cet intérêt croissant pour les archives du côté des maisons, pensez-vous qu’on peut s’attendre à des actions plus audacieuses ? S : Je ne sais pas. L’exposition de Dior aux Musée des Arts Décoratifs en 2017 avaient fait 700 000 visiteurs. Le problème c’est qu’elle a été utilisée comme un outil marketing, réalisée et financée par la marque (ce qui n’enlève rien à la qualité de l’exposition). C’était une expérience folle et je pense que les gens recherchent ça quand ils vont au musée. Mais il n’y avait pas d’esprit critique. On ne parlait pas de ceux qui avaient fait les robes, des techniques… Je pense qu’il y a une vraie volonté de valoriser les archives mais des fois on se dit que ce serait bien de les valoriser autrement. D’abord la mode, ce n’est pas seulement le luxe, tout ne revient pas à un seul couturier. Le patrimoine pourrait être abordé avec un peu plus de critique. Outre les mesures d’action politiques des grandes maisons, il y a cette grande question : qu’est-ce qu’on archive face aux nombreuses productions qui sont faites chaque année ? S : Apparemment, c’est de plus en plus compliqué pour les responsables de choisir ce qu’il va être archivé. Déjà, il y a ce problème d’espace (la plupart des archives sont en banlieues). Ça rejoint complètement la question du développement durable et de la fast-fashion. On produit tellement qu’on a beau avoir la meilleure volonté du monde, le problème c’est qu’on produit trop. Et surtout, est-ce que ça fait sens de tout conserver ? En même temps ça reflète un peu notre production aujourd’hui, le fait qu’on produise vite et plus. Après, qu’est-ce qu’on en fait, qui va traiter ces pièces ? D’autant que les équipes de patrimoine sont souvent très petites, à l’exception de Chanel et Vuitton. À titre personnel, pourquoi cet intérêt pour l’archive ? S : J’ai commencé par faire des stages au musée, notamment au Palais Galliera, j’ai été fascinée par ce que j’y ai vu. Au début j’ai été fascinée par l’objet et par ce que ça représentait en termes de technique de travail. Il y avait cette idée de découdre des choses. Ce qui m’intéresse dans le patrimoine, c’est aussi savoir d’où on vient, qui sont les gens et les techniques qui ont produit ces savoir-faire. Le geste de la main est important. On parle toujours des nouvelles technologies de nos jours mais on 119
sait que la main n’a jamais été aussi présente. Je pense que dans le patrimoine, on peut faire comprendre qu’on ne peut pas acheter un jean à 9,99 euros, parce que ça ne respecte pas les droits de l’homme et la planète. Via le patrimoine, on peut dire qu’une robe respecte ces critères. Là, on parle du luxe mais on peut prendre l’exemple des archives de chez Monoprix des années 30, il y avait deux collections par an avec un respect de la chaîne de production. Vous avez notamment mis en place une cartographie chez CDM avec la localisation des musées et des savoir-faire en France. On peut dire qu’il y a une volonté politique de votre part. S : Oui, on dit que les chercheurs cherchent mais ne trouvent pas. Il y a un vrai écart entre l’industrie et la recherche, on a beau écrire des livres, l’industrie continue comme elle veut… Mais avec ce type d’outils on est persuadés qu’on peut faire prendre conscience qu’il y a des musées de mode un peu partout et pas seulement à Paris. On peut vraiment contribuer à changer la manière dont on appréhende la mode. Cette cartographie va se développer et va permettre d’insister sur ce lien au territoire et aux populations. La notion de décentralisation revient systématiquement en fin de compte. S : Oui tout à fait ! On parle beaucoup des archives et du patrimoine à Paris mais bien que ce soit intéressant, même au niveau économique, la France est dans sa totalité intégrée dans l’industrie de la mode depuis longtemps. On s’aperçoit de la richesse des lieux, des histoires et des collections de ces musées hors de Paris qui sont somme toute impressionnantes. Donc c’est important d’en parler et de les valoriser.
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« Je trouve que le patrimoine est un excellent moyen de faire stop à la fast-fashion et de dire : venez au musée, posez-nous des questions sur le nombre d’heures de couture, sur la matière, qui l’a fait et où. » Sophie Kurkdjian
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Crédits Direction et réalisation : Ambre Chambon Série « Du vêtement à la pièce d’archive » Set Design (rideaux en plâtre) : Jeanne Brandalise Assistantes photo et style : Aïtana Garcia, Jeanne Brandalise Modèles : Mia Gosset, Sunny Bezy
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Remerciements Ce projet est l’aboutissement de trois années d’étude d’une grande richesse accompagnées d’un ensemble de personnes remarquables. J’espère qu’il apportera matière à réfléchir ou à échanger autour d’un sujet qui nous touche tous de près ou de loin. Je tiens à remercier chaleureusement les contributeurs de ce projet sans qui rien ne serait possible : Noémie Ninot, Aïtana Garcia, Mia Gosset, Nicolas Boyer, Maxime Benoist, Flore Audéon, Jeanne Brandalise et Sophie Kurkdjian. Merci à Camille Verguin pour ses conseils en graphisme. Enfin, un immense merci à l’ensemble du corps professoral : Céline Mallet, Christian Tournafol, Mathieu Buard, Jérémy Soudant, Emmeline Renard, Isabelle Akani-Guéry, Sylvie Folléa et Séverine Bascouert.
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