HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

Page 1

HISTOIRE & PATRIMOINE RÉGION

NAZAIRIENNE

PRESQU’ÎLE GUÉRANDAISE

Patrimoine - Histoire - Culture, en Pays Noir / Pays Blanc

Sentinelles de la mémoire Les maires de Saint-Nazaire (7

e

partie)

Saint-Nazaire, 1857 L’année fabuleuse

Gustave Bord, gloire

Le cépage « Aunis »,

et ruine d’un Nazairien (2e partie)

de Guérande à Sarzeau (1e partie)

L’usine élévatoire, inscrite

Vignes et vendanges à Mesquer, 1412-1912

aux monuments historiques

A.P. H.R.N - n° 100 - mars 2021 - 16 €


Lancement du paquebot France, aux Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire, le 11 mai 1960. Au bas de la photo, sur la tribune officielle, le président de la République, Charles de Gaulle, et son épouse, marraine du navire. (Collection Patrick Pauvert)


U

Éditorial

ne langue existe si elle est fixée par l’écrit. Oralement, la nôtre, souvent estropiée, se rapproche occasionnellement d’un sabir. Certains prophétisent sa disparition, future langue morte, tel le latin, désormais peu présent dans les programmes scolaires. Or, les maisons d’édition, les livres et revues se multiplient. Les auteurs, passionnés d’écriture, s’y adonnent avec plaisir. Tous démentent ces propos négatifs. Récemment, un « confinement » a été imposé, afin d’échapper à un certain virus contagieux et mortel. Serait-ce le règne de l’ennui ? Non, « une personne d’esprit ne s’ennuie jamais ». Pour tout littéraire, c’est l’occasion de se consacrer à la réflexion et à la recherche : « … que faire en un gîte à moins que l’on ne songe1 ». Nos auteurs n’y ont pas manqué. Il suffit de lire Histoire & Patrimoine pour constater l’abondance d’articles et de livres. Ces écrits, non seulement, entretiennent la connaissance de notre histoire, mais ils pérennisent et font vivre notre langue. Certaines personnalités s’impliquent dans la vie de leur cité. Les maires de Saint Nazaire sont de ceux-là. Ils ont assisté leur ville, lors de sa renaissance, après les destructions de la guerre. La raison d’être de Saint Nazaire, sa gloire, en quelque sorte, est la construction navale, et, par là même, le trafic maritime. Dans le présent numéro, on peut approcher son évolution sous divers angles : à partir de cette année 1857, qui a vu la ville basculer dans la modernité, ou encore, par le biais de l’usine élévatoire, bâtiment emblématique du port, qui vient d’être classée monument historique. Les hommes qui se sont sacrifiés pendant les conflits ne sont pas oubliés. Les monuments consacrés à leur souvenir, véritables sentinelles de la mémoire, font l’objet d’une étude détaillée. Un coup de projecteur est, aussi, donné sur le sort réservé aux volontaires de l’Armée de Bretagne, regroupés au camp de Conlie, à la fin de la guerre de 1870. La topographie de Méan, et de ses environs, nous fait remonter les siècles, en harmonie avec la toponymie. Un article, tout aussi sérieusement documenté, nous conduit aux villas balnéaires. Elles supposent une société florissante, dans laquelle Gustave Bord a évolué, jusqu’à sa chute... Enfin, qui eût cru que nous flirterions sur le Channel ? La vie présente, décidément, d’heureux moments. Pourquoi ne pas aborder l’histoire en empruntant le chemin de la gastronomie, sous l’égide de Dionysos, toujours honoré ? L'étude de la culture de la vigne est, notamment, l’occasion de déchiffrer d’anciens manuscrits, activité de spécialistes. Ainsi, notre revue présente un large éventail, une vision générale, de ce que fut la vie de nos ancêtres. L’histoire est, par définition, universelle. Cette nouvelle livraison de notre publication porte le numéro 100. Il reste encore beaucoup à découvrir. L’avenir est assuré, pour les esprits curieux.

Christiane Marchocki 1 - « Le lièvre et les grenouilles », La Fontaine.

1ère page de couverture : Une vue du monument aux morts de Paimbœuf. (Georges Bareau [1866-1931] - Photo Daniel Sauvaget)

mars 2021

- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 1


A . P. H . R . N

Association Patrimoine et Histoire de la Région Nazairienne Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - https://aphrn-asso.fr - Tél. 06 07 11 21 88

HISTOIRE & PATRIMOINE n° 100 - mars 2021 ÉÉditeur : A.P.H.R.N Direction de la publication : collégiale (voir dernière page) Maquette/Mise en page/Coordination : Tanguy Sénéchal Impression : Khilim Dépôt légal : 1er trimestre 2021 N° ISSN : 2116-8415 Revue consultable aux Archives de Loire-Atlantique sous la cote Per 145

Contribuez à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Vous vous intéressez à l’histoire, et, en particulier, à l’histoire de notre région ? Vous souhaitez apporter votre témoignage sur une époque, aujourd’hui révolue ? Vous possédez des documents, ou objets, anciens (écrits, photos, dessins, peintures, tableaux, sculptures, objets divers), qui pourraient faire l’objet d’une publication ? Vous aimez écrire, raconter, transmettre, ce qui vous intéresse, ou vous tient à coeur, et qui a trait à l’histoire locale ? L’APHRN vous propose de publier vos écrits, ou documents, ou de transcrire vos témoignages, dans la revue HISTOIRE & PATRIMOINE. Téléphonez-nous, au 06 07 11 21 88, ou écrivez-nous, à l’adresse ci-dessous, ou, tout simplement, adressez-nous, directement, votre texte, sous forme numérique. Vos propositions seront examinées avec la plus grande attention et soumises au conseil de direction de l’APHRN, qui vous répondra dans un délai d’un mois, maximum. Adresse électronique : aphrn.asso@gmail.com - Adresse postale : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire

Abonnez-vous à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Un abonnement à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE, c’est l’histoire de la région nazairienne/guérandaise, tous les quatre mois, dans votre boîte aux lettres, en mars, juillet et novembre (votre abonnement vous permet, de plus, de bénéficier d’un tarif préférentiel sur les numéros hors-série, qui paraissent à différentes périodes de l’année). C’est l’histoire locale, dans toute sa diversité, écrite, à la fois, par des historiens professionnels, connus et reconnus, et par des amateurs éclairés, dans la tradition des publications de notre association, depuis sa création, par Fernand Guériff, il y a 51 ans. C’est, aussi, un support en constante évolution, d’un graphisme soigné, richement illustré, composé de près de cent pages à chaque livraison. Nous vous proposons cet abonnement avec une réduction de 10 % par rapport au prix public, frais de port compris (trois numéros par an, parution en mars, juillet et novembre).

ff abonnement ..... 27 €/an

Pour vous abonner, vous pouvez, au choix : vous inscrire, en ligne, sur notre site internet, à l’adresse https://aphrn-asso.fr rubrique « Abonnement » nous adresser un courriel à l’adresse : aphrn.asso@gmail.com nous écrire, à : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire téléphoner au 06 07 11 21 88 Vous pourrez, ensuite, régler votre abonnement par carte bancaire, virement ou chèque. Il est possible de s’abonner à tout moment de l’année. L’abonnement vaut pour l’année civile en cours (les numéros parus, antérieurement, dans l’année, vous seront adressés) Le renouvellement de l’abonnement s’effectue au cours du mois de janvier de chaque année.

2 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021


SOMMAIRE HISTOIRE & PATRIMOINE n° 100 — mars 2021

01 Éditorial Christiane Marchocki 04 Les maires de Saint-Nazaire Patrick Pauvert

-7

e

partie 1947 -1968

18 Saint-Nazaire, 1857 - L'année fabuleuse Christian Morinière

Gustave Bord, gloire et ruine d’un Nazairien

P. 50

32 Seconde partie : Ivresse de la fortune et chute Loup Odoevsky Maslov

Grandeur et décadence des villas balnéaires

50 à Saint-Nazaire - 2e partie Bernard Tabary

Le verrou de Méans

60 Origine du nom de quelques anciennes îles de l’embouchure de la Loire Claude Thoméré

P. 60

Usine élévatoire - Saint-Nazaire, Ville d’Art et d’Histoire

72 L’inscription au titre des Monuments Historiques Emmanuel Mary

de la mémoire 83 Sentinelles Daniel Sauvaget 86 Les monuments aux morts de la région nazairienne Daniel Sauvaget

P. 134

104 Les monuments aux morts 14-18 de Saint-Nazaire

Daniel Sauvaget - avec la participation des Archives municipales de Saint-Nazaire

110

Georges Bareau, sculpteur nazairien

Daniel Sauvaget

Le cépage nommé "Aunis", de Guérande à Sarzeau

114 I - Introduction : Les cépages connus en Bretagne Christophe M. Josso

P. 150

et vendanges à Mesquer - 1412-1912 124 Vignes Jocelyne Le Borgne Conlie : l’humiliation

134 La terrible aventure de l’Armée de Bretagne (1870-1871) Jean de Saint-Houardon

150

P. 154

Journal d’un aumônier breton - 1850-1851 - 30 e partie Christiane Marchocki

Jules Verne - Pitre-Chevalier - Édouard Bonnaffé 154 Trois écrivains fascinés par l’océan et inspirés par leurs origines bretonnes Benoît Bonnaffé

et L'IMAGINAIRE 160 L'HISTOIRE Flirt sur le Channel - Édouard Bonnaffé SE PASSE AUJOURD’HUI 168 ÇA Le covid 19 ? ou La covid 19 ? - Bernard Tabary

P. 160

À LIVRE OUVERT 171 - Paul Gauguin - L'aventure atlantique 1848-1887 - (Christian Morinière) 172 - Hommage aux ombres - (Michel Labonne) 171 173 - Découvrez Guérande - (Josick Lancien - Gérard Mallet) - Christiane Marchocki 174 - La dame des marais salants - (Xavier-Boniface Saintine) - Christiane Marchocki 175 - Faut pas vous fracasser pour moi... La vie est belle - (Benoît Bonnaffé) - Christiane Marchocki

176 L’ASSOCIATION

mars 2021

- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 3


Le 26 novembre 1952, la fille de Gaëtan Lagrange (propriétaire du nouveau cinéma Normandie), coupe le ruban inaugural. À droite François Blancho.

Les maires de Saint-Nazaire Septième partie 1947-1968

Patrick Pauvert Voici la septième partie de l’histoire des maires de Saint-Nazaire.

29 - Blancho François

A

4 novembre 1947 – 26 mai 1954 ux élections du 4 novembre 1947, à la grande satisfaction de la section socialiste nazairienne, François Blancho retrouve son écharpe de maire.

4 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

Comme ses prédécesseurs, il se consacre pleinement au déblaiement et à la reconstruction de la ville.


Maquette du projet de terrain de sport et parc paysager, au Grand-Marais.

Les chantiers de démolition En plus des prisonniers allemands, quelque 120 entreprises se sont précipitées sur les chantiers de démolition. De nombreux scandales éclatent. Les contrôles sont difficiles. Beaucoup d’entreprises facturent quatre fois le nombre d’heures passées réellement. On démolit à tour de bras. De nombreuses maisons, peu atteintes devaient être réparées, mais cela ne fait pas l’affaire des propriétaires qui préfèrent toucher les dommages de guerre. Les déblais sont utilisés pour combler les excavations des bombes et à construire des platesformes. Mais la grande partie de ces déblais sont déversés dans le « Grand-Marais » destiné à devenir terrain de sport et parc paysager.

La ville se déplace vers l'ouest

La grande idée retenue par l’architecte de la reconstruction, Lemaresquier, est de déplacer vers l’ouest le centre-ville et construire une grande rue, du futur Hôtel de Ville à la nouvelle Gare. Malheureusement, pour le tracé de cette rue, il faut démolir de nombreuses maisons, notamment celles de la rue Jean d’Ust, pourtant intactes, dont la grande école Sainte-Thérèse. L’architecte préconisait une voie de 50 m de large de la gare à l’hôtel de ville, tandis que les commerçants préféraient une rue étroite dans le style de la rue Crébillon à Nantes. La partie élargie de l’ancienne rue Jean d’Ust est une sorte de compromis.

Une autre artère va être créée : l’avenue Léon Blum. Elle descend de l’Hôtel de Ville jusqu’à la mer. Cette fois encore, il faut démolir des maisons qui n’ont pas été touchées par les bombardements, comme celles de l’ancienne rue de Pornichet, qui rejoignait la rue du Croisic. Il est vraiment regrettable que cette nouvelle avenue n’ait pas été choisie comme la grande rue commerçante, avec son aboutissement sur la plage.

mars 2021 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 5

L'école SainteThérèse, rue Jean d'Ust, démolie pour permettre l'implantation de l'avenue de la République.


Saint-Nazaire, 1857 L'année fabuleuse Christian Morinière

En 1857, Saint-Nazaire bascule dans la modernité et devient une ville portuaire adaptée au Nouveau Monde de l’industrie et des communications. Les bases de sa future prospérité sont mises en place cette année-là.


U

ne année fabuleuse porteuse de son avenir pour les siècles à venir.

»» »» »» »» »»

»»

1er janvier 1857. Le port est déclaré ouvert. 17 juin. La loi désigne Saint-Nazaire comme tête de la ligne pour les Antilles. 10 juillet. Un décret accorde à la ville un entrepôt réel des douanes. 10 août. La ligne de chemin de fer Nantes– Saint-Nazaire est inaugurée. 1er octobre. Une ligne du télégraphe électrique relie la ville au réseau européen. 3 novembre. Saint-Nazaire devient un quartier de l’inscription maritime et est dotée d’une école d’hydrographie de la Marine.

La ville, en chantier permanent, devient la deuxième ville du département.

Le port de Saint-Nazaire est déclaré ouvert La décision de creuser un port dans l’anse nazairienne a été prise pendant la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe (dite Monarchie de Juillet). Le mérite de cet ouvrage ne revient donc pas à Napoléon III comme souvent indiqué. La loi du 19 juillet 1845 est fondatrice du nouveau Saint-Nazaire. Elle alloue les crédits nécessaires pour l’établissement d’un bassin à flot. Cette décision clôt la longue période de gestation pour la construction d’un port en eau profonde sur l’estuaire de la Loire. Les travaux ont commencé avant le vote définitif de la loi. La digue de ceinture nécessaire pour couvrir les travaux de terrassement est en chantier en mars 1845 et achevée le 5 juillet. Comble de malheur, le 29 juillet suivant, au cours d’une marée d’équinoxe, une brèche de 30 mètres de long et de 8 mètres de hauteur s’est ouverte. Il fallut huit jours pour réparer l’incident. Les maîtres d’œuvre sont l’ingénieur en chef Auguste Jégou et l’ingénieur Jules de La Gournerie. L’adjudication des travaux est accordée à l’entreprise de M. Bucquoy en février 1848, juste à la veille de la révolution de 1848, mettant fin à la Monarchie de Juillet ; Lamartine proclame la Seconde République, qui se donne comme président, Louis-Napoléon Bonaparte. Trois ans plus tard, à la suite du coup d’État du 2 décembre 1851, il fonde le Second Empire et se proclame Empereur. Pendant cette période troublée, les crédits tardent à arriver, l’outillage est mis en place, mais les travaux progressent lentement. Les nombreux ouvriers venus du Vannetais ou du Pays de Retz logent dans des habitats provisoires, proches de taudis. Ils sont congédiés en hiver.

mars 2021

- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 19

Bulletin des lois ordonnant la construction du bassin de Saint-Nazaire. (Archives Christian Morinière)

Le port de SaintNazaire en 1857. Cette gravure montre les abords du port en cours d’achèvement. Son pourtour n’est pas encore urbanisé. L’estacade sud n’est pas construite. (D’après un dessin d’Alfred Guesdon [1808-1876] L’Illustration, n° 756, du 22 août 1857. Collection Christian Morinière)


Gustave Bord Gloire et ruine d’un Nazairien Seconde partie :

Ivresse de la fortune et chute Loup Odoevsky Maslov1

Au décès d’Alcide Bord, le canal de la Basse-Loire n’était pas achevé. En novembre 1888, Gustave proposa au préfet de poursuivre les travaux de son père, mais il négligea totalement le chantier, se consacrant à l’agrandissement du Château des Charmilles, à qui il donna son allure définitive, par l’ajout du pavillon Ouest, contenant les services, et l’agrandissement du pavillon Est, celui de la bibliothèque, par l’ajout d’un billard et, à l’étage, d’une chapelle, inspirée des chapelles palatines carolingiennes.

D

otée d’une voute en stuc octogonale peinte d’un ciel étoilé, elle comportait une tribune par laquelle on devait passer pour accéder à l’autel. Ce lieu de culte tenait du théâtre par son aspect et de l’oratoire par ses dimensions, mais Gustave en avait obtenu la consécration, et il ajouta à son personnel déjà 1

1 - Loup Odoevsky Maslov est l’auteur du blog Chroniques de Saint-Nazaire : http://saint-nazaire.hautetfort.com/

Ci-contre Les Charmilles, pavillon de plage et logis, en 1900. (Carte postale phototypie Vasselier)

Page de droite Gustave Bord, en 1885. (Fonds et collections Odoevsky Maslov)

nombreux un chapelain, qui avait charge d’instruire ses fils. Ces agrandissements donnèrent à la façade nord le profil exact d’un château tel que le définissent les codes et usages : plus de sept travées de longueur. Le lourd mobilier de noyer ciré de l’appartement de la rue de la Paix trouva sa place avec les bronzes, les porcelaines, les tableaux, et sa collection d’instruments de musique qui furent installés dans le petit-salon.


mars 2021

- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 33


Grandeur et décadence des villas balnéaires à Saint-Nazaire Deuxième partie Bernard Tabary

Au cours de la première partie, présentée dans le n° 99 (novembre 2020) de la revue Histoire & Patrimoine, j’ai essentiellement insisté sur la gestion " très discutable " du château de Porcé (ou villa des Charmilles) après son acquisition, tout à fait inattendue, par la municipalité de Saint-Nazaire (1944). Je vais m’intéresser maintenant au sort des autres villas du même genre ; quelques autres, pas toutes – ce serait fastidieux, très compliqué et je n’aurais pas la documentation suffisante. Ci-contre Le château d’Heinlex, de nos jours, façade avant. (Photo Bernard Tabary)

Page de droite Le blason du château : « Post nebula phœbus ». (Photo Bernard Tabary)

J

e vais commencer par une réalisation un peu en marge ; elle n’est pas balnéaire au sens propre du mot, mais elle a lancé une mode – sortir de la ville, respirer le bon air – et elle a beaucoup influencé l’architecture des villas balnéaires, avec une très grosse utilisation de la brique associée à la pierre.

50 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021


Le Château d’Heinlex Rendons à Cézard ce qui est à Cézard. Cette villa est un château. Le banquier et armateur Alphonse Cézard achète en 1857 les ruines de la place forte médiévale des Rohan (ainsi que le domaine environnant, vingt-sept hectares – espace vital !) et fait construire en 1860, sur le site même des ruines, une belle maison bourgeoise ; mais il tient à conserver l’appellation « château », qui va s’imposer sans controverse.

Vu de l’extérieur, le bâtiment, de forme rectangulaire très harmonieuse, semble assez modeste, sans prétentions ; à l’intérieur, l’impression est tout autre. C’est particulièrement évident au dernier étage qui comporte un certain nombre de chambres, mais aussi – surtout – une immense salle de bal. C’est que monsieur Cézard vit sur un grand pied et aime recevoir. Sa devise est inscrite sur l’un des murs : Post Nebula Phoebus – Traduction : Après les nuages [vient] le soleil (Phoebus/Apollon est le dieu Soleil).


Le verrou de Méans

1

Origine du nom de quelques anciennes îles de l’embouchure de la Loire, 1

situées à son carrefour avec le Brivet et d’autres étiers de Brière 1 - Méans est l'ancienne orthographe de Méan, du latin medianus milieu.

60 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

Claude Thoméré


En l’an mil, l’Estuaire de la Loire débouchait sur l’Océan à travers un archipel d’îles ; les multiples chenaux dans lesquels se divisaient le courant donnaient à l’embouchure l’apparence d’un quasi-delta, dans des formes changeantes de chenaux, sans arrêts renouvelées.

L

a Brière – la grande Brière aujourd’hui – était une immense lagune aux eaux tranquilles que ne venaient contrarier que les fils d’eaux du Brivet, qui plongeaient au niveau de Rozé, croyant déjà avoir atteint l’Océan.

Le Brivet n’était pas le seul exutoire de la Brière et d’autres étiers se jetaient en Loire, avant et après Montoir, remplacés aujourd’hui par les canaux du Priory, de la Taillée et de Martigné1 creusés dans les projets d’assèchement du marais après 1770.

Vue aérienne de l'estuaire, 1 - Il est possible que le ruisseau du Bec – un toponyme indis- à la confluence cutablement frison, saxon ou scandinave – occupait avant les du Brivet avec la Loire. travaux d’assèchement de la compagnie Debray, le débouché des canaux de la Taillée et de Martigné sur l’estuaire de la Loire. Il est réduit aujourd’hui à désigner une prairie de Loire.

mars 2021

- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 61

(Source : Département de Loire-Atlantique © IGN - clichés 2016)


Usine élévatoire Saint-Nazaire Ville d’Art et d’Histoire

Créé entre 1856 et 1881, le port de Saint-Nazaire est composé de deux grands bassins fermés par des écluses. Ce plan d’eau, « suspendu » au-dessus de l’estuaire de la Loire et de l’Océan, est alors la condition nécessaire pour pouvoir créer un port moderne. À l’ère naissante des paquebots transatlantiques, rester tributaire de la marée qui, lorsqu’elle est basse, couche les navires sur la vase ou le sable, est impossible.


L’inscription au titre des Monuments Historiques Emmanuel Mary Mission des patrimoines Ville de Saint-Nazaire

L’usine élévatoire, en attente, désormais, de sa restauration et réouverture. (Martin Launay/ Ville de Saint-Nazaire)


Tableau, de 1876, présentant la naissance du port de Saint-Nazaire. À gauche, le bourg d’origine, puis, sur la droite, les deux bassins du port. Le premier est en service, avec voiliers et navires à vapeur. Le second est en cours de réalisation. On remarque l’écluse d’entrée et de sortie du bassin. Sur la droite, les chantiers navals s’installent. C’est le début d’une grande histoire portuaire et industrielle.

Un port pour l’Atlantique

T

raditionnellement, les ports atlantiques sont des ports d’échouage : à basse mer les bateaux « touchent le fond ». Si cet usage est possible avec de petites embarcations c’est bien sûr impossible avec un paquebot, les grands voiliers cap-horniers ou les gros cargos qui doivent toujours « rester à flot ».

74 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

Les bassins du port permettent alors de disposer d’un vaste plan d’eau, profond, pour accueillir les navires. Jusqu’à la fin du XIXe, le port n’est desservi que par une seule entrée, l’entrée Est. Elle va vite se révéler trop petite, pour les navires océaniques dont la taille va croissante. Outre le trafic portuaire, les chantiers navals s’inquiètent. Leurs clients (surtout la Compagnie Générale Transatlantique) envisagent de nouvelles commandes.


Une écluse géante L’ère des transatlantiques géants va commencer et la première écluse, si elle n’est pas complétée par une écluse plus adaptée, va finir par condamner la construction navale à disparaitre. Il y a urgence1.

Le projet d’une nouvelle écluse est adopté par une loi de 1896. Elle est financée par la Ville, la Chambre de Commerce, le Département et l’État. La nouvelle entrée du port est taillée à travers le « vieux Saint-Nazaire » en coupant l’ancienne presqu’île de granit en deux. (Peintre : Jacques Alfred Brielman. Collection de la Chambre de commerce et d’industrie de Saint-Nazaire. Cliché Gilles Luneau. Saint-Nazaire Agglomération Tourisme – Écomusée)

1 - - Suite à la série des Provinces, s’annonce le France de 1912. Il sera suivi du Paris, et de l’Ile de France, plus gros navire à franchir l’écluse. L’histoire se répète lors de la commande de Normandie. Il faut prévoir une forme écluse géante pour accueillir le nouveau « super liner » (Forme Louis Joubert). Ce sont les nécessités de la construction navale qui expliquent l’évolution du port. À ce titre, on peut parler de « port-naval ».

mars 2021

- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 75


Sentinelles de la mémoire Daniel Sauvaget


86 Les monuments aux morts de la région nazairienne 87

Une passion française

89

Monumentalité et statuaire

93

Éloge de la simplicité

95

Floraison d’emblèmes et de symboles

98

La question des signes religieux

100

Épitaphes et inscriptions

102

La sortie du purgatoire

104 Les monuments aux morts 14-18 de Saint-Nazaire 104

La genèse du projet

106

Les débats nazairiens

107

Le monument de 1924

108

Les péripéties de l’érection du monument actuel

109

La Colombe de la Paix

110 Georges Bareau, sculpteur nazairien (Paimboeuf, 1866 – Nantes, 1931) 112

L’héritage de Georges Bareau 84 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021


Les monuments aux morts de la région nazairienne Daniel Sauvaget 86 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021


C

e Grand élan national largement commenté par les chroniqueurs et les historiens a encouragé une forme de matérialisation du rituel de recueillement : des monuments spécifiques exprimant à la fois cette ferveur patriotique et un culte des morts, un hommage aux combattants et, souvent, une ode à la victoire, parfois une fierté nationale quelque peu revancharde. Ainsi ont surgi sur l’ensemble du pays jusqu’aux colonies des milliers de monuments qui sont le legs d’une époque profondément marquée par la guerre. L’administration a commencé dès 1916 à réfléchir à la codification des règles de l’hommage réservé aux morts. Au retour de la paix, élus, citoyens, anciens combattants vont militer en faveur de ce type de monument public dont l’expansion est soutenue par l’État. On sait que des monuments aux morts de la guerre de 1870-1871 avaient déjà été édifiés, tardivement (à partir de 1895) : statues dans les grandes villes, simples plaques de bronze dans quelques petites communes. L’épitaphe n’invoquait pas que les morts de 1870, mais ceux d’autres guerres, dont les guerres coloniales – comme ce fut le cas à Nantes. Le fameux Soldat de l’An II inauguré sur le front de mer de Saint-Nazaire en 1910 est contemporain de ce mouvement dans les villes. Il n’avait pas été conçu dans ce but, comme l’a rappelé Patrick Pauvert à l’occasion de travaux faits en 20101 : seul fait avéré, la statue était un don de l’État à la Ville, qui a décidé elle-même de son affectation.

Une passion française

Au lendemain de la Grande Guerre, un vaste cycle de commémorations et d’hommages aux morts s’est imposé sur toute la France, un phénomène unique dans l’histoire du pays. Cinq millions de soldats au combat, près d’un million et demi morts au front, des centaines de milliers revenus blessés, mutilés.

La situation est très différente après 1918, et sans commune mesure. La quasi-totalité des communes françaises décide de consacrer un monument spécifique aux soldats morts, y compris en Alsace-Lorraine dont les habitants étaient de nationalité allemande de 1871 à 1918 (et où les commémoratifs sont sciemment consensuels). Rares sont les collectivités locales dépourvues d’un monument 14-18 (seulement deux en Loire-Inférieure d’après Pilven Le Sevellec), localités sans aucun mort, associées à un village voisin, et villages définitivement détruits sur le front. Le financement est généralement communal et public (souscription auprès de la population), et les municipalités ne sont pas les seules à prendre de telles initiatives. La vague d’hommages s’étend à des monuments paroissiaux dans les églises sous forme de bas-reliefs, de fresques peintes, de vitraux, parfois de statues. 1 - Presse-Océan, le 4 janvier 2010).

mars 2021

- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 87

Page de gauche Montoir-de-Bretagne (Photo Daniel Sauvaget)


Les monuments aux morts 14-18 de Saint-Nazaire Daniel Sauvaget Le monument inauguré à Saint-Nazaire en 1924 à la mémoire des morts de la guerre 1914-1918 ne survit plus que dans des images anciennes, des cartes postales en particulier, car il a été détruit par les bombardements de la guerre suivante.

C

omme toutes les communes de France, Saint-Nazaire avait voulu rendre hommage aux « enfants de la commune », selon l’expression consacrée, « morts pour la France ». Une unanimité régnait en ville comme dans le pays tout entier en faveur d’une action mémorielle, civique, et a priori laïque. Ce qui n’a pas empêché l’apparition, comme dans d’autres villes, de débats significatifs de l’ambiance politique de l’époque. Ici, le projet émergea très tôt, avant même la fin de la guerre, sous la pression de notables rejoints au lendemain de la guerre par les anciens combattants, et bien accueillis par l’institution municipale. Contrairement aux petites communes, qui souvent se sont contentées d’obélisques et de simples mausolées, Saint-Nazaire ne pouvait, de par son statut de grande ville et de sous-préfecture que tenter de se distinguer par une forme de monumentalité, et peut-être aussi par une thématique dite républicaine, point trop guerrière. C’est ce que révèlent les débats du Conseil municipal, touché, quoique minoritairement par des tendances pacifistes – tendances qui ne s’exprimaient pas alors en tout lieu à propos de l’hommage aux morts, bien qu’on connaisse (hors de notre région) nombre d’affirmations directes ou indirectes de ce sentiment dans la statuaire et les inscriptions des monuments.

La genèse du projet Page de droite et pages suivantes Le monument aux morts de 1924, sur le front de mer de Saint-Nazaire. (Archives municipales de Saint-Nazaire)

Dès 1917, la Municipalité reçoit une lettre du sculpteur Georges Bareau, domicilié à Saint-Brévin-les-Pins et à Neuilly-sur-Seine, Nazairien de cœur1. Cette lettre se recommande d’une réunion tenue le « 19 novembre, par de nombreuses notabilités de Saint-Nazaire à la mairie, en vue de la formation d’un comité pour l’érection d’un monument aux morts qui devrait être élevé 1 - Cf. notre article dans ce numéro sur Georges Bareau, né à Paimbœuf en 1866 et vivant alors à Saint-Brévin

104 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

à une place d’honneur de la ville… » (Archives municipales – conseil municipal du 30 novembre 1917). Les membres de l’assemblée communale approuvent le projet, à l’unani­mité, reconnaissant que « la Ville doit aux Nazairiens morts pour la France un monument qui soit digne de leur héroïsme, digne aussi de notre cité ». Toutefois, la décision concrète nécessitera un certain délai. En 1918, le Comité du Monument aux Morts pour la Patrie présidé par M. Vivant Lacour, alors maire adjoint et prochain maire (décembre 1919), sollicite une subvention à la Municipalité, sur la base d’une délibération du Comité en date du 16 décembre 1918. Les conditions pour que le monument soit réalisé sont ainsi énumérées : confier l’exécution du monument à Georges Bareau, statuaire, qui s’est engagé à faire des maquettes pour lesquelles il a touché le 25 octobre une indemnité de 2 000 francs ; le Comité (qui compte 141 membres) a les pleins pouvoirs pour estimer si le résultat financier de la souscription, conforté de contributions de la Ville de Saint-Nazaire et de la Chambre de Commerce permet d’élever un monument « digne du haut sentiment de patriotique reconnaissance ». Le Comité souhaite que l’emplacement retenu soit la Place Marceau, et qu’il soit édifié « en l’honneur des Enfants de Saint-Nazaire et de l’arrondissement morts pour la Patrie ». La référence à l’arrondissement, fréquente dans le cas des rares monuments aux morts de 1870 disparaîtra. Le Comité précise toutefois en une simple phrase du même courrier que M. Bareau n’a présenté aucun projet à cette date du 16 décembre 1918… Épisode dont on ne connaît pas les tenants et aboutissants, mais Yves Pilven Le Sevellec a retrouvé une protestation de l’artiste qui n’avait pas été invité à une réunion importante du Comité d’érection2.

2 - Le Courrier de Saint-Nazaire du 14 octobre 1922, citée par Pilven Le Sevellec page 27 de son étude parue dans le n° 4 de Visions contemporaines, 1990



Georges Bareau sculpteur nazairien (Paimbœuf, 1866 – Nantes, 1931) Daniel Sauvaget Ce sculpteur dont l’œuvre la plus connue est le monument à Jacques Cartier érigé à Saint-Malo, en 1905, était très attaché à la région nazairienne, dont il était originaire.

Monument aux morts de l'église de Saint-Nazaire. (Photo Daniel Sauvaget)

N

é à Paimbœuf en 1866, il a passé l’essentiel de son enfance à Saint-Nazaire où son père était charpentier de marine, avant d’étudier aux Beaux-Arts de Paris grâce à une bourse de la Ville de Nantes et du Département.

110 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

Une partie de ses œuvres a disparu, fondue pendant la Deuxième Guerre mondiale, à Nantes en particulier, mais aussi à Saint-Nazaire, où buste de Fernand Gasnier avait été inauguré en 1912. À l’inverse, son Jacques Cartier a échappé à la destruction ; il en existe une copie au Québec depuis 1926. Georges Bareau a conçu quelques monuments aux morts de la guerre 1914-1918, dont ceux de Paimbœuf et de Saint-Brévin.


On trouve de temps à autre en galerie ou salle des ventes des bronzes répertoriés par les spécialistes de l’esthétique fin de siècle. Dès 1917, il milite pour que Saint-Nazaire rende hommage à ses soldats victimes de la guerre. Il propose à la Ville l’acquisition « d’une plaquette commémorative » dont il est l’auteur (…) dédiée aux héros de la Grande Guerre et destinée aux familles des militaires morts pour la France. Son prix est de 12 francs (bronze) et de 30 francs (argent). Le Conseil municipal va passer commande, à un prix toutefois inférieur (délibérations du Conseil municipal du 30 octobre 1917). Peu après, il demande au nom de plusieurs notabilités le patronage de la Municipalité en vue de l’érection d’un monument. Il recevra pour cela une subvention pour la réalisation de maquettes en octobre 1918, mais les archives révèlent qu’il n’a remis aucun projet. C’est ainsi que la commission ad hoc optera pour le projet présenté par un autre sculpteur, Siméon Foucault – Cf. l’article sur les monuments aux morts de Saint-Nazaire dans ce même numéro d’Histoire et Patrimoine. Ces péripéties ne vont pas empêcher Bareau de concevoir le monument paroissial, toujours visible en très bon état dans une aile de l’église de Saint-Nazaire. Plusieurs communes lui ont fait confiance pour honorer leurs morts : Paimbœuf, sa ville natale, et Saint-Brévin, la commune où il fait de longs séjours, et d’où partent ses courriers concernant les projets de monuments. Plus ambitieuses que les petites communes de la région, ces deux localités ont opté pour le type-statuaire, et souhaité disposer d’une œuvre originale. On découvrira cependant que celle de Saint-Brévin n’est pas exclusive et que le modèle de poilu de Saint-Brévin se trouve aussi à Courbevoie, près de Neuilly où se trouvait son atelier. Toutefois, à la différence de celui de Saint-Brévin, le poilu de Courbevoie n’est pas accompagné de la mention gravée sur le socle, ce le poilu de la Paix qui intrigue tant. Le monument de Paimbœuf est une statue de la Victoire derrière laquelle apparaît un poilu aux aguets. C’est une vibrante allégorie érigée devant l’église et l’école communale, dont on a retrouvé récemment le modèle en plâtre (cf. Ouest-France du 3 mars 2015). Le modèle qui a été vendu également à la ville de Luçon, en Vendée. S’étant engagé à fournir une œuvre unique à Luçon, il fut contraint, devant la menace d’un procès, d’accepter un compromis sur sa rémunération : un site luçonnais relate les faits, ce monument avait été inauguré une semaine après celui de Paimbœuf.

Monument aux morts de Courbevoie, copie ou modèle de celui de Saint-Brévin. (Photo Daniel Sauvaget)

Monument aux morts de Luçon, copie ou modèle de celui de Paimbœuf. (Photo Daniel Sauvaget)

mars 2021

- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 111


Le cépage nommé "Aunis" de Guérande à Sarzeau I - Introduction :

Les cépages connus en Bretagne Christophe M. Josso Seule la Bretagne nantaise est restée, au XXe siècle, une région viticole1, mais, au siècle précédent, la limite traditionnelle et climatique de la culture de la vigne remontait jusqu’à Vannes2 où l’on cultivait le Gros-Plant, et Redon3 où l’on cultivait le Muscadet.

C

es cépages montrent que le sud du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine s’inscrivait dans un continuum viticole avec la Loire-Atlantique : la Bretagne méridionale, où le climat permet la viticulture (et la saliculture4). Nantes produit principalement des vins blancs5, dont le marché a longtemps été « circonscrit à la Bretagne6 ». 123

1 - Ne partageant pas l’enthousiasme de ceux qui se réjouissent du réchauffement climatique pour pouvoir « enfin » planter de la vigne jusqu’au nord de la Bretagne (et au-delà), je n’aborderai pas ce sujet (qui ne concerne pas l’histoire de Bretagne). Le réchauffement climatique va être une catastrophe économique pour de nombreux vignobles en Europe, et une catastrophe humanitaire pour de nombreux pays dans le monde… 2 - GUYOT Jules, Étude des vignobles de France : pour servir à l’enseignement mutuel de la viticulture et de la vinification françaises. Régions du Centre-Nord, du Nord et du Nord-Ouest, éd. Victor Masson et fils, 1868 ; page 575. 3 - Ibid ; page 569. 4 - BURON Gildas, Bretagne des Marais Salants – 2000 ans d’histoire, éd. Skol Vreizh, 1999 ; carte page 17. 5 - Il existe évidemment des cépages rouges comme le Gamais, le Grolleau, le Cabernet, le Côt…. Des particuliers ont pu cultiver aussi d’autres cépages pour eux-mêmes. 6 - SCHIRMER Raphaël, Muscadet – Histoire et Géographie du vignoble nantais, éd. Presses Universitaires de Bordeaux, 2010 ; page 164.

114 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

Remontons le temps.

Les cépages venus par la mer

On nomme « Gros-plant » en gallo7 la Folle blanche, qui est aussi nommée « Blancheton8 » dans les pays de Loire. C’est un cépage rustique et d’abondance, bien moins distingué que le Muscadet ; il est arrivé des Charentes par voie maritime le long du littoral atlantique au XVIIe siècle pour produire de l’eau-de-vie, c’est sa vocation première. 7 - Parler gallo-roman d’oïl de la Haute-Bretagne (moitié orientale de la Bretagne, entre Saint-Brieuc et Saint-Nazaire, Rennes et Nantes). 8 - GALINIÉ Henri, « Les cépages du département de Loiret-Cher en 1804 », in Recherches sur l’histoire des cépages de Loire, 5. 2017. https://halshs.archives-ouvertes.fr/ halshs-01427299.


Une réponse adressée à l’intendant de Bretagne en 1779 explique ce qu’on en pensait à cette époque : « les vins de gros plans ne se conservent pas plus d’un an ou deux, sont très mauvais au goust… mais tres propres a bruler9 ». Dans les derniers temps de sa production dans le Pays de Retz, on connaissait cette eau-de-vie sous le nom de « Fine Bretagne10 ».

9 - RÉSEAU Pierre, Dictionnaire des noms de cépages de France, éd. CNRS, coll. « Biblis », 2014 ; page 183 10 - La « Fine Bretagne » - l’authentique - était une eau-de-vie produite dans le Pays de Retz par distillation de vins nantais issus du cépage Gros-plant, « fine » désigne une eau-de-vie de qualité supérieure. Ce nom traditionnel a été détourné au profit d’une A.O.C. eau-de-vie de cidre, empêchant de fait le réemploi du nom dans le Vignoble Nantais, d’autant plus que la plus grande partie de la Loire-Atlantique est exclue de l’aire géographique définie dans le cahier des charges.

C’est sous l’influence des Hollandais11, qui dominaient au XVIIe siècle le commerce maritime, que le vignoble de Nantes s’oriente vers la production de vins blancs secs qui plaisent aux consommateurs du nord et d’eau-de-vie12. Jean Éon écrivait en 1646 au sujet de l’influence des Hollandais sur la viticulture bretonne : « ils ont mis de hauts prix à nos danrées, dont ils avoient plus de befoin, comme vins, vinaigres, eaux de vie : & les Nantois allechez par les gros profits qu’ils faifoient… ont plãté tout leur meilleur terroir en vignobles13 ». 11 - DION Roger, Histoire de la vigne et du vin des origines au XIXe siècle, 1959, rééd. Flammarion, 1977 ; pages 423-460. 12 - LACHIVER Marcel, Vins, vignes et vignerons, éd. Fayard, 1988 ; page 253, 261, 265. 13 - ÉON Jean (carme sous le nom : Mathias de Saint-Jean), Le commerce honorable ov considerations politiqves… Compofé par un Habitant de la ville de Nantes, éd. Gvillavme Le Monnier, 1646 ; page 88.

mars 2021 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 115

« Jean Moreau déchausse sa vigne », Savenay, mars 1990. (Photographie de Yannick Boucaud, publiée en carte postale.)


Vignes et vendanges à Mesquer - 1412-1912 Jocelyne Le Borgne Des « clos de vigne » sont signalés dans différents aveux, baux à complant et actes de vente depuis le XVe siècle jusqu’à la Révolution ; puis les comptes-rendus des Conseils municipaux prennent le relais au XIXe siècle, avec la publication des bans de vendanges et quelques mises en garde contre les « grappilleurs » de tout poil !

D

es archives privées de plusieurs familles mesquéraises, évoquent les travaux saisonniers dans les vignes : leur rendement, rapport et les aléas climatiques et épidémiques… enrichissant ainsi, notre connaissance de cette culture ancestrale.

124 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

Le vignoble mesquérais en quelques dates… En 1412

Guillaume de Kerderian, seigneur de la « maison et mettairie noble » de Villeneuve, produit au décès de sa mère, un aveu où il recense « les vignes … app (ar) ten (ant) audit rachat ».


En l’absence de carte ou cadastre, chaque vigne est située dans son environnement, comme « au grant clox près dudit he(r)bregement… item un petit clox jouste ledit he(r)bregement entre le chem(in) qui maint du maroys Auguen au bourc de Mesqu(er) d’une p(a)rt et les vignes Jehan Leguen d’autre… ». La contenance de chaque clos de vigne est mesurée en hommées1, ainsi le « grant clox » faisait « doze hom (m) ees » et le « petit clox, seix hom (m) ees ». Les vignes Kerderian représentaient au total trente-deux « hom (m) ées » auxquelles il convient d’ajouter treize « hom (m) ées de vignes complantées ». Elles jouxtaient les vignes du seigneur de Tréhembert (famille Muzillac) et d’environ douze Mesquérais, complanteurs pour la plupart, dont l’aveu révèle l’identité : Louis Garino, Joces Le Normant, Perot Ricart, Allain Laego, Jean Laego et Guillo Macé2… » et se situaient entre les marais de Rostu au nord-est, la grande lande de Mesquer au sud et l’étier de Kercabellec et du Conguy à l’ouest.

1 - Une Hommée = environ 5 000 m2 : Travail effectué en un jour par un paysan-vigneron. 2 - Laego et Macé : ces deux patronymes sont à rapprocher des croix « Laego » et « Macé » inventoriées dans un article précédent sur les croix de Mesquer, publié dans la revue n° 99 d'Histoire et Patrimoine.

En 1540 et 1586

Deux « mynus » (aveux) de succession sont adressés « à monseigneur le daulphin duc et seigneur proprietaire des pays et duché de Bretaigne » pour le premier et « au Roy » pour le second, par la seigneurie de Tréhembert ; ils recensent de nombreux clos de vigne. En 1540, le rédacteur mentionne à plusieurs reprises l’existence de « … pieczes de terre qui aultresfoiz furent en vigne », comme « à K(er)cabellec une piecze de terre q(uel) aultreffoiz fut en vigne contenant environ quatre hommées ». Aucune précision n’est donnée dans ce document, quant à la disparition de ces vignes : maladies, aléas climatiques ou tout simplement abandon de culture, lié aux problèmes de la succession de « Tréhembert » qui est passée de Jeanne Muzillac, mariée à Jehan Du Pont, à Guyon Du Pont, leur fils, et enfin à « Cristofle de Sesmaisons », petit cousin de Jeanne de Muzillac et auteur du mynu de 1540 ! En 1586, François de Sesmaisons (frère de Cristofle de Sesmaisons) mentionne « les vignes vieilles et nouvelles de la dicte maison de Tréhembert, en domaine et en complaints », comme la « nouvelle vigne à complant tenue par lucas Le guerver » ou « les nouvelles vignes des Roberts »…

mars 2021 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 125

Ci-dessus, et page de gauche Vendanges entre amis, à Kervarin (Mesquer), en 1950. (Photos © Henri Fohanno)


Conlie : l’humiliation

La terrible aventure de l’Armée de Bretagne (1870-1871) Jean de Saint-Houardon « Je crois que nous avons été sacrifiés. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mais j’affirme qu’on n’aurait pas dû nous envoyer là, parce que l’on devait savoir que nous n’étions pas armés pour faire face à des troupes régulières » déclara un certain Général de Lalande, appelé comme témoin devant la commission d’enquête parlementaire chargée d’examiner les actes du Gouvernement de la Défense nationale.

I

l parlait là du sacrifice inutile de milliers de Bretons parqués dans des conditions épouvantables dans le camp de Conlie, construit à la hâte fin octobre 1870 pour abriter et former les soldats de l’Armée de Bretagne constituée dans la

Gravure représentant le camp de Conlie. (Gravure de Jeanne Malivel [1895-1926], illustrant L'Histoire de notre Bretagne (1922), de Jeanne Coroller-­ Danio [1892-1944] - CC0 1.0)

précipitation, afin d’affronter les Prussiens arrivés sur les marches de l’Ouest. Ils n’y connaîtront que la faim, le froid, et pour beaucoup la maladie et la mort, quand nombre de ceux restés valides furent envoyés se battre sans formation et pour ainsi dire désarmés.


Contexte et chronologie des faits

La courte guerre de 1870 entre la France et la Prusse est peu connue des Français pour avoir précédé deux conflits mondiaux dont l’importance fut sans précédent. Elle fut courte. L’armée impériale de Napoléon III, mal équipée, mal commandée et insuffisante en effectifs essuie rapidement des défaites en cascades, dont certaines seront particulièrement sévères comme celles de Metz et de Sedan, cette dernière scellant la capitulation, le 1er septembre 1870. L’armée régulière a alors presque complètement disparu. Napoléon III, qui a déclaré inconsidérément la guerre à la Prusse, est déchu par l’Assemblée Nationale alors qu’il se trouve prisonnier en Allemagne. S’ensuivit la proclamation de la République, le 4 septembre 1870, et la formation d’un gouvernement de transition, dit « de Défense Nationale ». Le 4 septembre, la République est proclamée à Paris. Son gouvernement provisoire, composé d’une dizaine de députés républicains et présidé par le Général Trochu (1), se trouve rapidement sous la coupe de Léon Gambetta, âgé de 32 ans, qui s’arroge le ministère de l’Intérieur, puis celui de la Guerre. Il n’accepte pas la défaite et il entend relancer les hostilités. Pour cela, et parce qu’il se méfie des officiers généraux, il se garde de nommer un chef d’État-major général et laisse à Charles de Freycinet (2), un ingénieur qui lui est acquis, mais qui ne dispose pas des compétences appropriées, le soin de coordonner les armées. Il en appelle à une reconstitution des troupes et intervient dans la nomination des commandants en chef. Le comte de Kératry, un député breton libéral, opposé à l’Empire, le suit. Gambetta le nomme Général et Commandant des gardes nationaux mobilisés en Bretagne. Celui-ci court alors les cinq départements bretons afin de recruter des volontaires et ainsi élargir les effectifs pour participer à cette reconstitution, non sans obtenir rapidement un certain succès. Dès lors, les dizaines de milliers de Bretons appelés ou répondant à son appel seront acheminés jusqu’à Conlie, une commune proche du Mans, où un camp de tentes sera monté à la hâte dans des conditions météorologiques qui s’avéreront rapidement exécrables avec l’arrivée de pluies diluviennes continues et le froid. Le sol fraîchement labouré pour le niveler deviendra très rapidement un champ de boue où les hommes, dont beaucoup n’étaient chaussés que de sabots, s’enliseront, tomberont malades quand ils n’étaient pas déjà touchés par la variole qui sévissait alors en Bretagne.

Ainsi, le camp de Conlie, où ils attendront vainement leurs équipements et leur formation militaire, deviendra-t-il pour nous un sinistre lieu de mémoire. Les armées prussiennes se partageaient alors entre Paris, coupé du reste du pays, puisqu’elles en faisaient le siège, et les provinces qu’elles gagnaient d’Est en Ouest jusqu’à joindre la ville d’Orléans qu’elles occupèrent, repoussant les troupes françaises sur Vendôme. C’est ce qui amènera Gambetta à emprunter le 7 octobre un ballon dirigeable pour quitter la capitale et se rendre à Tours où l’on se réorganisait,

Il incombait alors au Général Alfred Chanzy d’organiser l’action de l’Armée de la Loire qui comptait quelques 150 000 hommes. Gambetta arrive à Tours le 9 octobre. Le général de Kératry est nommé à la tête de l’Armée de Bretagne le 22 courant pour appuyer celle de la Loire. Parler d’Armée à propos de l’Armée de Bretagne confinée dans un des onze camps conçus pour recevoir des mobilisés est ici une gageure.

mars 2021 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 135

Portrait de Léon Gambetta. (Portrait peint par Léon Bonnat [1833-1922], en 1888 - CC0 1.0)


Journal d’un aumônier breton 1850-1851 -

30e partie Christiane Marchocki

S’il est un lieu où l’on vit confiné, c’est bien sur un navire. Impossible de s’évader à volonté en dehors des escales. Et encore… ceci n’est pas permis à tous. Il faut un motif officiel : « Me voilà séquestré à bord de ma frégate », peut-on lire.

C

ette vie de reclus autant que de communauté exige des règles strictes, des usages réglementés, en un mot, une discipline. Un évènement venu de l’extérieur est vraiment un « Évènement ». Nous assistons, par manuscrit interposé, aux distractions, par là même, à la vie du bord. C’est toute une époque. Notre ami nous confie ses pensées. C’est un moment de vie révolue que nous partageons.

150 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

C’est celle d’un homme d’église dans un milieu nautique, ponctuée d’incursions et de récits exotiques. Les sujets ne manquent pas. Cette côte africaine nous devient familière, l’inconfort, le risque de maladies inconnues aussi. Cette croisière n’est pas terminée.


4 janvier 1851

5 janvier 1851

J’ai fait encore une course à terre. J’avais une visite. Plusieurs, même, à faire. J’avais fait ma barbe pour le dîner que nous avions à donner à la table du commandant de La Caravane et je voulais en profiter. Je n’ai que le temps de faire un tour chez Mr de M…, procureur de la République charmant jeune homme au goût sérieux soupirant après son retour dans la patrie. Il a des tendances religieuses assez prononcées et sera tout à fait des nôtres avant longtemps. Je désire faire la connaissance de nos missionnaires à Gorée. Encore 3 mois. Je ne serais pas fâché d’avoir quelqu’un avec qui causer. Mes malades sont mieux. Il n’y a pas pour eux de danger imminent. Il est fâcheux qu’on ne puisse pas les expédier immédiatement. On réussirait peut-être à les sauver, du reste aujourd’hui la température est excellente à Gorée. Toujours un peu chaude vers midi, mais pendant quelques heures seulement. Le ciel est magnifique. Notre dîner n’a pas été fort gai. Il n’y a jamais chez nous d’entrain ni gaieté franche et bonne. Nous avons fini la soirée tant bien que mal avec un cigare. Ma promenade sur le pont et quelques parties de whist jusqu’à dix heures, nos invités nous ont quittés pour s’embarquer sur un petit cotre de la colonie et se rendre à… pour y faire une partie de chasse le lendemain, les autres pour gagner leurs couchettes à bord de La Caravane.

Aujourd’hui dimanche. Je me suis rendu à bord de la corvette pour y prendre l’aumônier et nous sommes allés de compagnie avec le docteur et un jeune officier qui a le malheur d’être aussi une façon de jésuite à robe courte visiter ces messieurs de Dakar. J’espérais y trouver Monseigneur, il en était parti le matin même. Nous avons assisté à vêpres. Le docteur y a exercé sa charité en visitant l’œil de la malheureuse supérieure et les habitants de la maison atteints d’une fièvre extrêmement dangereuse. Pour l’œil de cette pauvre femme, il n’y a pas de remède, elle l’a perdu. Elle le savait déjà et avait pris ce malheur avec résignation d’une douceur et d’une simplicité admirables. Elle semblait heureuse d’avoir déjà donné à Dieu un de ses yeux. Pour l’instant, le cerveau est pris et il ne reste pas beaucoup d’espoir. Nous avons été invités à notre retour à bord de La Caravane à dîner au carré. J’ai accepté parce que je voulais passer la soirée chez eux et entendre de la musique. J’avais une sorte d’appréhension. Je savais qu’une certaine dame créole y donnait bien souvent des déjeuners peu convenables. Je m’étais trompé. Ces messieurs dames ont tous été très aimables et quoiqu’ayant beaucoup chanté et beaucoup bu, je n’ai éprouvé aucune gêne. Nos chasseurs sont arrivés à la fin du dîner racontant bien plus d’infortune que de succès. Ils avaient peu chassé et avaient eu beaucoup de fatigue.

Ci-contre L'ancien Palais du Gouverneur, à Gorée (Sénégal), dans l'attente d'une restauration. (Photo Ji-Elle - CCO 1.0)

Page de gauche Une vue de l'ile de Gorée. (Photo Hassane Adam CC BY-SA 4.0)

mars 2021 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 151


Jules Verne Pitre-Chevalier Édouard Bonnaffé Trois écrivains fascinés par l’océan et inspirés par leurs origines bretonnes Benoît Bonnaffé Flirt sur le Channel est une nouvelle, publiée par mon arrière-grand-père, Édouard Bonnaffé, en décembre 1888, alors qu’il était âgé de 19 ans.

A

vant de la lire, je vous propose de la situer dans un contexte familial et maritime influencé par Jules Verne.

Origines d’Édouard, du côté paternel : des armateurs

Cinquième et dernier enfant d’Edmond Bonnaffé et de Marguerite Chevalier, Édouard est né à Paris en décembre 1867 et il y est décédé à 66 ans en janvier 1934. Son père Edmond, né au Havre d’une famille d’armateurs avait abandonné la tradition après un siècle de succès et de déboires dans ce métier. Après des études de droit contrariées par la révolution de 1848, Edmond entra à la compagnie des chemins de fer de l’Ouest. À 35 ans, le 7 janvier 1861, il épousa Marguerite Chevalier, la fille unique de Pierre François Chevalier dit Pitre-Chevalier, (Pitre signifiant Pierre), né à Paimbœuf, journaliste au Figaro dont il fut directeur de la rédaction, écrivain aux facettes multiples comme on le verra dans la mouvance du courant romantique. Edmond cessa de travailler à la compagnie des chemins de fer de l’Ouest après son mariage avec l’héritière de Pitre-Chevalier. Il acheta un hôtel particulier à Paris rue de la Faisanderie et mena une vie de critique d’art. Cet érudit reconnu publiait au Figaro, à la Revue des 2 Mondes, à la Gazette des beaux-arts et au Journal des artistes. Il tenait salon chez lui le dimanche et recevait des célébrités littéraires, comme José Maria de Heredia, à qui il inspira des poèmes.

154 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

Son ouvrage Bordeaux il y a 100 ans, une étude d’un intérieur bordelais à la veille de la révolution avait été loué par la haute société de Bordeaux. Edmond y avait décrit Bordeaux en 1788 à partir de souvenirs de famille, donnant au premier armateur, François Bonnaffé, son arrière-grand-père, une seconde vie qui a beaucoup interessé des universitaires, vers 1990. Il faut donc dire quelques mots de ce lointain ancêtre dont le parcours singulier est accessible sur internet. Arrivé en 1743 à Bordeaux avec une simple lettre de recommandation, il entra comme employé chez un négociant. Dans une ville en plein essor, il devint armateur très vite reconnu par ses pairs. Homme simple et droit, il ne pratiqua jamais le commerce triangulaire et refusa les titres de noblesse qu’on lui proposa. Ses succès lui permirent d’épouser Jeanne Boyer appartenant au milieu des armateurs. Il suivit les idées des Lumières, finança la première Montgolfière de la ville et fut ruiné par les assignats, puis par la Révolution et les guerres napoléoniennes qui avaient scellé le déclin de Bordeaux. Il ne reste de lui que quelques meubles, des lettres et un tableau de famille. Le souvenir de François s’était évanoui quand Edmond résolut qu’il en fût autrement. Il fit si bien qu’un siècle après la révolution de 1789, Bordeaux honora François Bonnaffé, à l’occasion de ce premier centenaire de 1789, d’un nom de rue dans le quartier Mériadec, eu égard à sa moralité, à sa personnalité et à ses largesses envers la population affamée pendant la révolution.


Origines d’Édouard, du côté maternel : Pitre-Chevalier La famille a peu de documents sur PitreChevalier, grand-père maternel d’Édouard. Il dirigea le Figaro et le Musée des familles, un magazine à grand tirage qui publiera les premiers romans de Jules Verne. Historien, il produisit 20 ouvrages avant tout histoire régionale et romans historiques. Avec l’avocat et grand défenseur de la Bretagne, Émile Souvestre, il écrivit un livre sur Nantes et la Loire-Inférieure.

Il coécrivit avec Jules Verne en 1852 une pièce de théâtre. Il accoucha d’une monumentale Bretagne ancienne et moderne rééditée en 1989 qui contribua à la faire redécouvrir aux élites parisiennes. Il fut, avec d’autres romantiques, l’un des champions de la réhabilitation de la Bretagne, qui a deux rues Pitre-Chevalier, l’une à Paimbœuf, où il est né, et l’autre à Nantes. Piriac l’a remis à l’honneur en republiant, en 2011, le roman Donatien et, en 2012, trois nouvelles, qui se passent en Bretagne du Sud au bord de l’océan.

Portrait de Pitre-Chevalier. (Hippolyte Bayard [1801-1887] et Charles Constant Albert Nicolas d'Arnoux de Limoges Saint-Saëns, dit Bertall [18201882] - BNF - CC0 1.0)

mars 2021 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 155


Flirt sur le Channel L’HISTOIRE & L’IMAGINAIRE

Édouard Bonnaffé Ô petite paire de gants aux doigts effilés. Ô rose fanée, mais encore empreinte d’un si doux parfum, vestiges du passé que je viens de retrouver au fond de mon tiroir, dormant sous un fouillis de sachets de mouchoirs et de cravates. Vous qui avez appartenu à la plus gracieuse des fées, vous qui avez été témoins d’un moment de bonheur, laissez-moi recueillir ici des souvenirs prêts de s’effacer et vous presser pieusement sur mes lèvres, comme on baise les reliques de ceux qu’on a perdus !

À

bord du steamer Paris, qui quitte Dieppe pour Newhaven, le 29 juillet 188… à quatre heures du soir, la mer est très forte, le vent capricieux. Gaiement, je me promène sur le pont, tandis que, longeant la jetée s’agite une multitude de chapeaux, de cannes, d’ombrelles, de mains et de mouchoirs, nous commençons à sortir du port et à nous sentir soulevés par la houle. Une petite main frôle mon coude. – Tiens, c’est vous, miss Mary ? Vous avez déjà fini d’installer ces dames en bas, dans le salon ?

160 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

– Tout est arrangé, répondit Miss Mary. Ma mère et ma tante ne demandent qu’à ne pas être malades et à dormir. – Tant mieux, fis-je un peu malgré moi. Vous savez, mademoiselle, que l’on vous a confiée à moi pour la durée de la traversée ; on veut que je veille sur vous, comme sur une enfant. – C’est que je suis si enfant ! répliqua la jeune fille avec enjouement. Puis, sans transition, elle ajouta : quel dommage que maman ne puisse pas jouir de ce spectacle ! Voyez Dieppe qui s’étale devant nous, l’église, la plage, les cabines de bains, les hôtels, le Casino, n’estce pas très joli ? – Ravissant, ravissant. Et c’est là que j’ai dansé avec une valseuse incomparable, si aimable, si rieuse. Vous savez bien ? – Non, qui ça ? interrogea Miss Mary intriguée. – Vous-Même. – Ah ! Miss Mary a un petit moment de confusion. – Oui, repris-je, je n’étais pas fou de la valse : c’est vous qui m’avez appris à l’aimer.


Nouveau moment de confusion de mon interlocutrice. Je profite de cet instant, très favorable du reste à Miss Mary, pour la dépeindre en quelques mots. Sa famille a fait la connaissance de la mienne à Dieppe, pendant le mois de juillet. Mes sœurs se sont beaucoup attachées à Miss Mary qui les a immédiatement gagnées par son entrain, son amabilité, et qui d’ailleurs, il faut le dire, est charmante et me plaît aussi singulièrement. Elle est intelligente, très agréable, causeuse, vivante et sympathique au plus haut point. Moi, confiant et sans arrière-pensée, nous en étions arrivés à ce degré de familiarité inoffensive et délicieuse, familiarité si impo­ ssible à atteindre avec la plupart des jeunes filles élevées à la française et qui séduit tant chez les étrangères. Petite, yeux et cheveux noir de jais, elle possède, sans être jolie, ce rien insaisissable que l’on nomme la beauté du diable. Quand elle rit, ce qui lui arrive fréquemment, toute sa physionomie s’épanouit et remue : cela donne à l’ensemble de ses traits un cachet particulier : la franchise bonne enfant. Quoiqu’Anglaise, Miss Mar y s’exprime en français avec une facilité et une verve étonnan­tes, mais elle a beaucoup d’accent, et comme ses compatriotes, ouvre à peine les lèvres pour prononcer les mots ; aussi a-t-elle l’air, en parlant, de souffler sans effort, de sa bouche, des petites boules de coton. Je trouve cela très gentil, très original, et je n’ai pas manqué de le lui dire l’autre soir, pendant le cotillon.

Maintenant, miss Mary a relevé la tête de côté. D’une main elle s’appuie à l’un des gros manchons du paquebot et regarde dans le lointain, l’autre main abritant ses yeux du soleil, la courbe sinueuse du rivage qui s’évase en s’éloignant, le phare d’Ailly que l’on distingue encore très bien, tout blanc, se découpant sur le ciel bleu. Miss Mary porte un chapeau de paille blanche autour duquel une gaze flotte et tourbillonne furieusement, comme si le vent allait l’arracher. Un long manteau de voyage l’enveloppe tout entière : elle a ainsi un petit air d’héroïne de roman qui lui sied à merveille. – Vous rêvez, Miss Mary ? – Je rêvais, répond-elle, je ne rêve plus, vous m’avez dérangée. Et brusquement : Promenons-nous, voulez-vous ? – Avec plaisir, Mademoiselle. Intrépides, nous arpentons le pont, courant de bâbord à tribord et de l’avant à l’arrière. Le vent souffle, il y a de mauvaises vagues qui viennent du large : souvent le roulis nous précipite à l’improviste l’un contre l’autre, et c’est alors une série d’excuses : – Pardon ! Mademoiselle… – C’est moi qui vous demande pardon, Monsieur, je vous ai bousculé sans le vouloir. Nous visitons la cabine du capitaine et le timonier qui, sous ses ordres, dirige la roue du gouvernail. Puis nous passons en revue la file des bouées, les agrès suspendus au-dessous des canots de sauvetage, et toujours nous jasons comme des collégiens en récréation. – Mademoiselle, c’est exquis ce que vous avez écrit sur l’album où je fais signer mes amis

mars 2021 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 161

Page de gauche Le jeune Édouard Bonnaffé, pour traverser la Manche, a pu naviguer sur le Paris II, le Paris III, ou le Rouen, ces deux derniers faisant partie d’une série de paquebots anglais à roues, de 760 tonneaux, construits en vue de l’exposition universelle de Paris de 1889. Vitesse 17,25 noeuds, traversée estimée entre 3 h 20 et 3 h 25. À titre de comparaison le Paris II ne jaugeait que 483 tonneaux et ne dépassait pas 3 noeuds. Trop lent, il a été vendu en 1888. Ici une carte postale montrant le Paris III, dans le port de Dieppe, en 1888. (Carte postale Photographe inconnu Collection particulière)

Ci-dessous Vers 1900, le train de la ligne ParisDieppe, arrivant directement sur le quai, en l’absence de gare maritime. (Carte postale Photographe inconnu Collection particulière)


ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI

Le covid 19 ? ou La covid 19 ? Non ! Non ! Trois fois non ! Grand-mère ne doit pas nous pousser dans les orties !

Bernard Tabary Il y a quelque temps – en mai 2020 –, on nous a dit, à la TV, que l’Académie Française (pas moinsse !) avait réagi sur son site internet à la grave, à la fondamentale question qui se pose à la société française depuis le début de la pandémie. To be or not to be ? Être ou ne pas être ? Dire ou ne pas dire ? Faut-il ou ne faut-il pas ? Genre masculin ou genre féminin ? Soit : Le covid 19 ou La covid 19 ? Puisqu’il faut l’appeler par son genre... (C’est grave, docteur ?)

E

t de quoi a donc accouché la docte et sérieuse assemblée qu’académique on nomme et qui regroupe les Quarante Immortels ? Elle a pondu un article péremptoire, supposé apporter une réponse absolue et définitive : covid serait de genre féminin. Hélas, il se trouve (j’ai vérifié) que cet article est anonyme (ah !...) – les communications anonymes, ce n’est ni beau ni courageux ; c’est douteux, ça ne sent pas bon – et présente quelques caractères de ce qu’on appelle – le mot est carrément péjoratif – un sophisme (ah !... numéro 2). Qu’est-ce qu’un sophisme ? Le mot vient du grec sofia qui désigne la sagesse ; sauf que le sophisme n’est pas sage du tout. Le sophisme se donne l’apparence – seulement l’apparence, hélas ! – de la sagesse. Mais c’est un raisonnement tordu, mal fichu, mélangeant le vrai et le faux, présentant des arguments solides et des affirmations inexactes ou litigieuses ; au final un raisonnement louche et suspect, qui ne vaut Rien ! C’est très gêna nt, vena nt de l’illustre Académie, supposée être la Gardienne éclairée de l’Ordre linguistique et grammatical du français – la langue qui est la nôtre. La prestigieuse institution serait-elle en passe de se déliter et de devenir une banale société anonyme – en lettres toutes minuscules – ?

168 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

En creusant le sujet (l’internet fourmille de renseignements), je me suis rendu compte que cet article sulfureux et contestable a été introduit sur le site, le 7 mai 2020, par le Secrétaire Perpétuel de l’Académie, Madame Hélène Carrère d’Encausse en personne (j’ai écrit « le » secrétaire parce qu’HCE refuse la féminisation systématique des titres et métiers, du style auteure ou autrice), sans même – c’eût été, semble-t-il, la première des choses à faire – avoir pris le temps de consulter sa base ! Les Académiciens ne sont pourtant que quarante au grand ma ximum, souvent moins – car les Immortels décèdent aussi (oxymore !) – et se réunissent très régulièrement pour délibérer… Or cette base bien définie est loin d’être d’accord avec son secrétaire perpétuel sur le sujet qui nous préoccupe… Il s’agit là d’un acte d’autorité inapproprié, d’un abus de pouvoir, d’un coup de force audacieux et quelque peu téméraire. Le secrétaire perpétuel, même d’âge très vénérable (91 ans, 20 ans d’Académie, n° 683), même docteur honoris causa de six universités, même auteur (et non auteure/autrice) d’une quarantaine de livres – la plupart traitant de la Russie et de l’URSS –, n’est pas à elle seule l’Académie, que diable ! Ils sont tout de même Quarante !


L'aventure atlantique 1848-1887

L

a première partie de la vie de Paul Gauguin est liée à l’Atlantique. Renouant avec ses années de marin, Paul Gauguin, accompagné de Charles Laval, part de Saint-Nazaire pour le Panama, le 10 avril 1887. Depuis la crise économique de 1882, Gauguin vit dans une extrême pauvreté. Il s’est fait une place dans les milieux impre­ ssionnistes. Mais, après un premier séjour à Pont-Aven à l’été 1886, il veut chercher son inspiration dans des ailleurs exotiques et sauvages, loin des chapelles impressionnistes. Son séjour panaméen avec son ami Charles Laval est une catastrophe. L’isthme est en plein chantier pour la construction du canal interocéanique de Ferdinand de Lesseps. Sitôt, le prix du voyage retour réuni, ils partent par la Martinique. C’est là un tournant majeur pour l’art de Gauguin. Le livre reconstitue le contexte de cette période avec une description du Saint-Nazaire de 1887 et sa place dans le percement du canal de Panama. Il s’appuie sur la correspondance de Paul Gauguin avec sa femme Mette et ses amis, sur des recherches d’archives pour éviter de romancer outre-mesure la vie de Gauguin et colporter des propos moralisateurs infondés.

Paul Gauguin

L'aventure atlantique 1848-1887

Christian Morinière Éditions Saint-Nazaire Histoire 288 pages - 18 € En vente dans les librairies indépendantes et points presse ou à snhistoire@orange.fr

mars 2021 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 171

À LIVRE OUVERT

Paul Gauguin


À LIVRE OUVERT

Hommage aux ombres Recueil de poèmes sur la Résistance

Les hommes du vent Aux habitants de l’île de Sein Tout ici est libre Tout est force au vent d’océan Porte de lumière sur mer d’Iroise Horizon des ombres Tout ici est puissance Tellement, que la nature s’est ramassée Terre de lichens et de pierres, par le souffle écrasée. Les hommes sont ici les choses les plus hautes C’est pour cela qu’ils sont partis Ils ont entendu l’appel et ils sont partis Tous sur leurs bateaux Marins des ombres au vent libre Marins du feu, des confins de la terre. Beaucoup ne reviendront jamais

Michel Labonne

Hommage aux ombres

Recueil de poèmes sur la Résistance

Michel Labonne Éditions L'Harmattan 180 pages - 18 €

172 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021


Découvrez Guérande Le patrimoine dans tous ses états

P

our qui aime la presqu’île guéran­daise et suit son histoire avec passion, curieux des traces laissées par les habitants des âges précédents, ce livre - coécrit par Josick Lancien et Gérard Mallet, personnalités guérandaises, bien connues pour leur action - ne peut que les séduire. À titre de documents, les photos mises en page sont, à la fois, belles et précises. Elles accompagnent un texte agréable, captivant, tant par le style que par les informations données. Chacun aura confirmation de ce qu’il savait, ou croyait savoir. À défaut, il bénéficiera d’un complément de détails. L’histoire récente est, elle aussi, évoquée. Il en reste des vestiges, dont l’oubli serait parfois préférable, mais dont il faut tenir compte, vis-à-vis de ceux, les plus nombreux, ignorant ces évènements. Ce livre est un véritable guide pour un périple de découvertes, à la recherche de sites historiques, témoins de la vie

passée. Ceux-ci resteraient ignorés si aucun écrit n’en faisait mention. Au cours de ces lignes, on voyage dans le temps le plus lointain, tel le néolithique. Nos ancêtres revivent un peu. Nul doute que bien des lecteurs se prendront au jeu. Ils rêveront d’identifier, à leur tour, des preuves tangibles de la présence des hommes qui nous ont précédés. Qui ne rêve pas d’éprouver cette émotion secrète que ressent l’explorateur ? Cet ouvrage lui montrera le parcours à suivre.

Christiane Marchocki

Découvrez Guérande Le patrimoine dans tous ses états

Josick Lancien - Gérard Mallet Éditions du Traict 72 pages - 18 €

mars 2021 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 173


À LIVRE OUVERT

La dame des marais salants

N

ous ne sommes pas les premiers à nous intéresser à la région nazairienne et à la presqu’île guérandaise. Xavier-Boniface Saintine nous a devancés lors de la première moitié du XIXe siècle, dans son ouvrage : « La dame des marais salants ». Dès les premières lignes, il nous emmène, à la pointe de Piriac, observer la mer et la côte. Ce panorama nous est connu. Les noms de lieux aussi. Ce qui nous parait étrange, pour ne pas dire, étranger, ce sont les personnages de cette histoire. Leur comportement, l’époque qu’ils traversent, leur état d’esprit nous transportent dans un temps révolu, impossible à partager. Nous sommes ailleurs, tout en étant sur place, dans notre propre décor. Pour nous rapprocher de ce romantisme exacerbé, il nous faut une grande imagination, et même, une certaine empathie, une compréhension proche d’une tolérance vis-à-vis de leurs réactions, afin d’admettre la vraisemblance. Les images que le texte suscite dans notre esprit sont sombres, ou, plutôt, c’est un clair-obscur mettant en valeur des attitudes, des silhouettes. Fort bien écrit, ce livre nous surprend. Il mérite d’être lu. C’est une expérience littéraire. Nous voyons différemment notre littoral grâce à lui.

Christiane Marchocki

174 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021

La dame des marais salants Xavier-Boniface Saintine Éditions du Traict 62 pages - 8 €


Faut pas vous fracasser pour moi... La vie est belle

La première qualité d’un livre n’estelle pas de capter toute l’attention de celui qui s’aventure dans les premières pages ? La curiosité, l’horreur, l’amusement, l’étonnement, tout moyen est bon pour garder le lecteur suspendu aux phrases. Que les expériences décrites paraissent totalement étrangères ou lui rappellent des sensations vécues, elles l’entraînent et le précipitent, hélas, vers la fin du récit.

vaut une image inconnue du profane. Il ne s’y limite pas. Il nous fait pénétrer dans les ateliers d’Airbus, à l’occasion de la nouvelle « Une boîte à idées chez Airbus ». Le ton est donné. Puis il nous charme avec « Bambi ». Plus loin, il aborde le mystère du cerveau humain et effleure le fantastique. Il sait aussi faire rire, vraiment rire, au récit de certains canulars qui nous donnent l’envie de les répéter. Il sait aussi nous emmener en voyage respirer l’air de La Réunion, partager la vie des résidents, écouter leurs conversations qui en disent long… Un « Bonus poétique » complète l’ouvrage : poèmes non conformistes, vivants, empreints de l’actualité, en harmonie avec les nouvelles qui le composent. Voilà une œuvre originale que vous aurez plaisir à découvrir. C’est un instant qu’il serait dommage de manquer. Le masque de l’auteur n’occulte pas complètement son identité. Non dénué d’humour, psychologue, il dessine en transparence sa pensée. Dérision, dérision, la société porte à la dérision. Mieux vaut en rire. Le rire est excellent pour la santé. N’est-ce pas recon nu ? E t c’e s t fa i re preuve d’optimisme.

On répugne toujours à interrompre un moment agréable. Un bon livre est un livre qu’on achève à regret. Benoit Bonnaffé dans son ouvrage « Faut pas vous fracasser pour moi… La vie est belle » excelle à ce jeu de l’esprit. Les allusions ne manquent pas, façon de communiquer avec le lecteur qui adhère au texte. Sous une forme sérieuse, on entrevoit un sourire discret. Lucide dans ses critiques, mais jamais méchant. Sa connaissance du monde médical nous

Christiane Marchocki

Faut pas vous fracasser pour moi La vie est belle

Benoît Bonnaffé 108 pages - 10 € En vente en librairie, à Saint-Nazaire et La Baule. Contact : b.bonnaffe @gmail.com - 06 82 39 11 72

mars 2021 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 — 175


A . P. H . R . N

Association Patrimoine et Histoire de la Région Nazairienne Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - https://aphrn-asso.fr - Tél. 06 07 11 21 88

Conseil de Direction de l’APHRN (après Assemblée Générale Extraordinaire du 7 février 2020)

Rejoignez-nous Présidence Association à présidence collégiale Trésorière Annick Montassier Secrétaire général (Responsable d’édition de la revue HISTOIRE & PATRIMOINE)

Tanguy Sénéchal Conseillère (Responsable des sorties culturelles) Nicole Bonnaud Conseillère Christiane Marchocki Conseillère Geneviève Terrien (Responsable de diffusion de la revue HISTOIRE & PATRIMOINE)

Conseiller Paul Correc Conseiller (Responsable des sorties culturelles) Claude Lebreton Conseiller Patrick Pauvert

Revue HISTOIRE & PATRIMOINE Responsable de diffusion : Geneviève Terrien Tél. 06 78 91 77 18

Adhérez à l’APHRN En adhérant à l’APHRN, vous pourrez participer à nos activités (sorties culturelles, et conférences), ainsi qu’à nos assemblées générales et aux réunions de présentation que nous organisons à l’occasion de la parution d’un nouveau numéro de notre revue. De plus, la cotisation d’adhésion (individuelle, ou couple) comprend un abonnement à notre revue HISTOIRE & PATRIMOINE (trois numéros réguliers par an - parution en mars, juillet et novembre) et vous permet de bénéficier d’un tarif préférentiel sur ses numéros hors-série. Il est possible d’adhérer à tout moment de l’année. L’adhésion vaut pour l’année civile d’encaissement de la cotisation. Le renouvellement des cotisations s’effectue au cours du premier trimestre de chaque année. Les tarifs des cotisations, pour l’année 2021, sont les suivants :

ff adhésion individuelle ..... 26 € ff adhésion couple ............ 31 €

Pour adhérer à l’APHRN, vous pouvez, au choix : vous rendre sur notre site internet, à l’adresse https://aphrn-asso.fr, menu « adhésion » nous adresser un courriel à l’adresse : aphrn.asso@gmail.com nous écrire, à : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun 44600 Saint-Nazaire téléphoner au 06 07 11 21 88 Vous pourrez, ensuite, régler votre cotisation par carte bancaire, virement ou chèque.

Remerciements aux photographes et collectionneurs qui nous ont fourni des illustrations. Merci, également, aux membres du Conseil de Direction de l’APHRN qui ont activement contribué à l’élaboration de ce numéro, réalisé de manière entièrement bénévole.

Les articles sont publiés sous l’entière responsabilité et propriété de leurs auteurs. La publication partielle, ou totale, des articles et illustrations parus dans HISTOIRE & PATRIMOINE est interdite.

Illustration : Grappe de Chenin blanc - (Photo Chrisada - CC BY 2.0))

176 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 100 - mars 2021


Vendanges entre amis, à Kervarin (Mesquer), en 1950. (Photos © Henri Fohanno)


Impression Khilim - Réalisation Tanguy Sénéchal

Petite grappe de Magdeleine noire, en train de mûrir, sur une bouture de deux ans.

HISTOIRE & PATRIMOINE n°100 - mars 2021 - 16 €

A.P.H.R.N - Association Patrimoine et Histoire de la Région Nazairienne Agora (boîte n° 4) - 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire Courriel : aphrn.asso@gmail.com - Site internet : https://aphrn-asso.fr ISSN : 2116-8415

ISSN : 2116-8415

(Photo Christophe M. Josso)


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.