HISTOIRE & PATRIMOINE RÉGION
NAZAIRIENNE
PRESQU’ÎLE GUÉRANDAISE
L’histoire locale de la Région Nazairienne et de la Presqu’île Guérandaise
Tempêtes, ouragans et raz de marée à Mesquer
Gavy, côté mer
Lettres d’appelés en Algérie
Costume de travail du marais salant
Souvenirs d’un jeune métallo nazairien
L’épopée des quatre frères Mahé
Migrations irlandaises en Bretagne A.P. H.R.N - n° 93 - novembre 2018 - 10 €
Le Rocher du Lion, près de Saint-Nazaire, au début du XXe siècle. (Collection Patrick Pauvert)
L
Éditorial
’histoire d’une région est composée d’un ensemble d’évènements de différente nature. À eux tous ils lui donnent son caractère, son unicité incluse dans un contexte universel. C’est ainsi que nous présentons toujours divers articles, écrits au gré des auteurs, de leur vécu, de leurs documents, des témoignages reçus, en un mot de leurs découvertes. Ils sont tous personnels, c’est là leur valeur et leur originalité. Ce qui, au premier abord, pourrait paraître hétéroclite est en réalité lié et poursuit un même but : l’histoire de la région nazairienne et de la presqu’île guérandaise. Le contexte géographique participe à la vie des hommes, différente selon les climats, le relief et leur position, en rapport avec les continents et les océans. Ceci transparait dans cet article : « Gavy, côté mer » qui évoque le caractère maritime dominant. Nous avons, pour confirmation, l’influence du climat et de la météorologie sur la vie des habitants. Voir le texte concernant les raz de marée et ses conséquences sur nos côtes. De même, l’implantation du moulin de Lolvoirec sur son bras de Loire… vers l’an mil, recherche délicate et savante. Un sujet particulier, ponctuel : les tenues vestimentaires, adaptées aux travaux dans les marais salants, évoluent, tels les costumes des paludiers. Les souvenirs de jeunesse, et même d’enfance, sont aussi une source documentaire : un apprenti « métallo » nous fait entrer dans le monde du travail, aux chantiers de construction navale. Cet autre jeune enfant, âgé de 8 ans, nous décrit, fort bien, l’ambiance qui régnait ici, en 1944. Son récit réaliste, malgré son regard innocent, nous tient en haleine. Cette guerre, 1939-1945, a été âpre. Il suffit de lire la vie des frères Mahé, et de leur mère Charlotte, famille de héros, pour s’en convaincre. Les guerres sont le sujet de bien des écrits. La guerre d’Algérie, encore proche, subie par nos contemporains, est l’objet, à présent, de nombreux témoignages, et d’évocations personnelles. L’histoire de notre société est toujours passionnante : les migrations irlandaises, au XVIIe et XVIIIe siècle, ne peuvent nous laisser indifférents. Une étude généalogique poussée nous réserverait des surprises. Les règles sociales de l’Ancien Régime nous sont largement rappelées, en lisant le parcours de la famille des Rouaud de Villemartin, nazairienne et guérandaise. Est rappelée aussi l’émergence des communes issues des paroisses. Enfin, même un roman tombé dans l’oubli peut apporter quelque éclairage. Chacun peut trouver un intérêt à notre revue, selon les domaines qu’il connait ou qui l’attirent, et, selon, s’il en existe, ceux qui lui sont étrangers. L’histoire est inépuisable, car, toujours incomplète, mouvante, en fonction des découvertes, grâce aux moyens technologiques constamment en voie de perfectionnement, et aussi en fonction de l’actualité, issue du passé immédiat ou lointain, objet, alors, d’un regard différent. Christiane Marchocki Présidente de l’APHRN
1ère page de couverture : Tempête, à Mesquer, sur la jetée de Merquel. (Photo Gilbert Besnard).
HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 — novembre 2018
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A . P. H . R . N
Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne
Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - http://aphrn.fr - Tél. 06 62 58 17 40 HISTOIRE & PATRIMOINE n° 93 - novembre 2018 Editeur : A.P.H.R.N Directrice de la publication : Christiane Marchocki Maquette/Mise en page : Tanguy Sénéchal Impression : Pixartprinting Dépôt légal : 4ème trimestre 2018 N° ISSN : 2116-8415 Revue consultable aux Archives de Loire-Atlantique sous la cote Per 145
Contribuez à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Vous vous intéressez à l’histoire, et, en particulier, à l’histoire de notre région ? Vous souhaitez apporter votre témoignage sur une époque, aujourd’hui révolue ? Vous possédez des documents, ou objets, anciens (écrits, photos, dessins, peintures, tableaux, sculptures, objets divers), qui pourraient faire l’objet d’une publication ? Vous aimez écrire, raconter, transmettre, ce qui vous intéresse, ou vous tient à coeur, et qui a trait à l’histoire locale ? L’APHRN vous propose de publier vos écrits, ou documents, ou de transcrire vos témoignages, dans la revue HISTOIRE & PATRIMOINE. Téléphonez-nous, au 06 62 58 17 40, ou écrivez-nous, à l’adresse ci-dessous, ou, tout simplement, adressez-nous, directement, votre texte, sous forme numérique. Vos propositions seront examinées avec la plus grande attention et soumises au conseil de direction de l’APHRN, qui vous répondra dans un délai d’un mois, maximum. Adresse électronique : aphrn.asso@gmail.com - Adresse postale : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire
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— HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 novembre 2018
SOMMAIRE HISTOIRE & PATRIMOINE n° 93 — novembre 2018 01
Éditorial
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Gavy, côté mer
13
P. 13
17 26
Christiane Marchocki Henri Couronné
Les frairies de Saint-Nazaire
Patrick Pauvert
Souvenirs d’un jeune métallo nazairien (partie 2/2) Paul Correc
Les Rouaud de Villemartin
Une famille nazairienne et guérandaise Loup
P. 26
34
Un été en Brière, de Paul Guyot - Un roman oublié
37
1955-1958
Daniel Sauvaget
L’Écho de la Brière - Lettres d’appelés en Algérie
Marcel Belliot 48
Le moulin de Lolvoirec, sur son bras de Loire, à Bouée, vers l’an mil Claude Thoméré
P. 34
60
Les quatre frères Mahé et leur mère, Charlotte
68
Costume de travail du marais salant, de 1890 à 1940
78
Tempêtes, ouragan et raz de marée, à Mesquer
88
Bernard Tabary Danick Breny
Jocelyne Le Borgne
Souvenirs de guerre d’un enfant de 8 ans
Septembre 1944 - Le Croisic-Nantes en 7 jours Christian Quintin
P. 48
98
Migrations irlandaises en Bretagne Jean de Saint-Houardon
À LIVRE OUVERT 106 - Les bateaux de la liberté (Michel Germain) - Christiane Marchocki 106 - Ma chère Marie-Thérèse (Georges Hippolyte) - Christiane Marchocki 107 - Jeux de vilains (Patrice Quélard - Éric Dodon) - Christiane Marchocki 106 107 - Saint-Nazaire, les Américains et la guerre totale (Erwan Le Gall) - Christiane Marchocki
P. 88
108 - Chroniques oubliées en Sud Bretagne (Marcel Lucas) - Christiane Marchocki 108 - Les fantaisies de Marcel (Marcel Lucas) - Christiane Marchocki SORTIES CULTURELLES 109 109 - Noirmoutier, au fil de son histoire - Nicole Bonnaud 113 - Kervalet au XXIe siècle - Christiane Marchocki 116 L’ASSOCIATION
HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 — novembre 2018
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Gavy
côté mer Henri Couronné
Extrait de sa brochure « Gavy et les siens » (1990)
Illustrations collection Patrick Pauvert
Notre territoire a le privilège d’être bordé par la mer sur quelque quatre kilomètres ; ce qui nous vaut l’avantage de jouir de plusieurs agréables plages depuis Belle- Fontaine, la Rougeole, près du Rocher du lion, jusqu’à Saint-Marc, en passant par Bonne Anse, Porcé, Trébézy, la Courance.
T
La Côte - Nos ports, nos plages
outes ces plages aujourd’hui, très fréquentées, sont bien abritées des vents du large soufflant de l’ouest. Certaines, telles Bonne-Anse, Porcé, Trébézy, ont quelque peu perdu le charme de leur couverture sableuse par suite de modifications physiques de l’estuaire, lesquelles ne sont pas sans liens avec les importants travaux de déplacement et d’approfondissement du chenal, réalisés au cours des dernières décennies. Les plus vieux des Nazairiens se souviennent, certainement, des années trente à quarante, alors que les moyens actuels de déplacement n’existaient pas. À pied, ou à vélos, on allait, véritable foule, passer la journée du dimanche à Porcé. C’était la belle époque, où l’on chantait avec Tino Rossi : « Tant qu’il y aura des étoiles ». De Bonne-Anse, plusieurs générations de petits Nazairiens ayant fréquenté les colonies journalières (précurseurs des centres aérés) de BonneAnse et de la villa Nelly, dans les décennies d’aprèsguerre, conservent, à n’en pas douter, des souvenirs vivaces de ce secteur côtier, caractérisé par le point de repère qu’est le « petit phare » de Porcé.
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Un peu plus à l’ouest, la belle étendue plate de Trébézy, aujourd’hui, elle aussi, amaigrie de son sable, avait, et conserve toujours, sa clientèle locale et vacancière. À proximité, le minuscule havre de Port-Gavy, que l’on a connu servant de refuge à quelques barques de pêche, fut, dans le passé lointain (selon la mémoire populaire), le lieu d’embarquement de produits du sol de la petite région (céréales, vin), que l’on acheminait à l’aide de charrettes paysannes par le fond de la vallée de Gavy. À signaler une petite fontaine, sourçant de la falaise, qui servait de ravitaillement en eau douce pour les pilotes de la rade. Ayant bénéficié d’aménagements, Port-Gavy est devenu, actuellement, le siège d’une activité de plaisance modeste, mais non négligeable.
La côte, à Port-Gavy, au début du XXe siècle. (Collection Patrick Pauvert)
Le rocher du Lion. (Collection Patrick Pauvert)
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Les frairies
de Saint-Nazaire Patrick Pauvert En août 1539, François Ier, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts (département de l’Aisne), rend obligatoire la tenue des registres, baptêmes, mariages et sépultures dans les paroisses. À partir de cette date, leurs limites sont bien établies.
L
a France est divisée en paroisses. Les registres doivent être rédigés en français et non plus en latin (registres privés, dans les châteaux).
Une paroisse de 15 frairies
Certaines paroisses, comme celle de Saint-Nazaire, sont, elles-mêmes, divisées en frairies. Notre paroisse comportait 15 frairies. Les limites ne sont pas tout à fait les mêmes que notre commune actuelle. Bonne-Source, Sainte-Marguerite et Saint-Sébastien font partie de Saint-Nazaire tandis que Méan, Penhoët et Herbins appartiennent à Montoir. En 1790, la paroisse, devenue commune, aura exactement cette configuration. Revenons aux frairies de Saint-Nazaire. Chacune possédait une chapelle et son pardon, le jour de la fête de son Saint-Patron. Le « conseil de fabrique »
nommait deux députés, par frairie, pour s’occuper de l’entretien des grands chemins. Deux « esgailleurs » étaient également nommés pour la collecte des impôts : le vingtième et la capitation. Le vingtième remplace le dixième, depuis le 19 mai 1749. C’est un impôt direct touchant l’ensemble de la population : tiers-état, nobles et clergé. Le montant correspond à 5 % des revenus (1/20). La capitation est un impôt très impopulaire parce que les plus riches en sont exonérés. Elle servait, entre autres, à financer les guerres. Un petit ouvrage de 61 pages, écrit en 1891, pour la description et l’ouverture de l’église Saint-Nazaire, nous donne les limites géographiques des frairies. Un recensement de 1790, au moment de la création des communes, nous donne le nombre d’habitants par frairie.
L’extrême pointe du Vieux-Saint-Nazaire, tel qu’il était à la fin du XVIIIe siècle. (Collection Patrick Pauvert)
Un dessin de Saint-Nazaire, vu côté campagne, pris, approximativement, de l’emplacement du « Building », de nos jours. (Dessin de M. Mahaut, reproduction de Paul Bellaudeau Collection Patrick Pauvert)
◊ 1re — La Ville — Patron : Saint-Nazaire
Plan ancien de Saint-Nazaire (1835), avec, par rapport au XVIIIe siècle, juste la jetée du Vieux Môle, en plus.On y voit la Ville (Vieux-Saint-Nazaire) et la VieilleVille (Ville Halluard Prieuré…) ainsi que la Grande Fontaine. (Collection Patrick Pauvert)
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(904 habitants). Levant (est), la mer ; nord, La grande Fontaine ; couchant (ouest), le petit Traict ; midi (sud), la mer. C’est le Vieux-SaintNazaire.
◊ 2e — La Vieille Ville — Patron : Saint
Jacques (165 habitants). Levant, la mer ; nord, paroisse de Montoir ; couchant, chemin conduisant du Plessis au Grand-Marais ; midi, la mer. C’est le quartier de l’ancien Prieuré, du dolmen, et de la Ville-Halluard.
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◊ 3e — Avalix — Patron : Saint Salomon (169
habitants). Levant, chemin du Grand-Marais aboutissant au Grand-Chemin ; nord chemin prenant à travers le village du Grand-Pré ; couchant Chemin du Jaguet conduisant à la masse de Trébale ; midi, la mer.
◊ 4 e — Gavid ou Gavy — Patron :
Saint-Maudez (169 habitants). Levant, chemin du Jaguet conduisant à la masse de Trébale ; nord, chemin de la Chesnais ; couchant, chemin des Prinaux ; midi, la mer.
Souvenirs d’un jeune métallo nazairien partie 2/2
Paul Correc Désormais intégré et accepté, le jeune Marc se sentait parfaitement à l’aise au sein de son équipe et, hormis Francis le grincheux, qui faisait bande à part, une bonne ambiance régnait dans l’atelier.
C
ertains anciens ouvriers veillaient toutefois à ne pas se laisser supplanter par leurs jeunes collègues et ne divulguaient pas l’intégralité de leurs connaissances, eux qui souvent dès l’âge de 12 ou 13 ans, étaient entrés comme mousses1 au chantier naval. Marc, lui, respectueux et admiratif de l’expérience de ces anciens, n’hésitait pas à leur demander conseil lorsqu’il exécutait certains travaux.
Ambiance et facéties Ainsi, enregistra-t-il bon nombre de règles, d’astuces, que l’on n’apprend pas à l’école, mais qui l’aidèrent pourtant dans les travaux qui lui étaient confiés. Si l’ambiance dans cet atelier était excellente, détendue et très amicale, c’était en grande partie parce que, mis à part Francis le grincheux, tous avaient une excellente mentalité et ne détestaient aucunement les plaisanteries.
1 – Jeune garçon nouvellement embauché, couplé avec un matelot (ouvrier).
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Page de droite Usinage d’un bâti de turbine sur une aléseuse-fraiseuse. Page précédente Montage d’une hélice, en cale sèche.
Rares étaient les matins où l’un des jeunes ouvriers de l’équipe n’avait pas de graisse dans la poignée de son tiroir d’établi, ou son coffre cloué au sol. Cependant, les jeunes aimaient aussi taquiner leurs aînés. Parfois, le bleu de méthylène2 utilisé pour le portage de certaines pièces usinées sur les marbres, était adroitement déposé sur les manettes des machines, lequel maquillait, curieusement, les ouvriers qui s’en étaient frotté le visage. Si l’ambiance était la plupart du temps bon-enfant, il arrivait cependant que celle-ci soit perturbée par des sujets tels que la politique, la religion, ou tout simplement par des divergences d’opinions lors de simples conversations. Cela pouvait être pénible parfois de voir brusquement des amis s’opposer, allant jusqu’à se fâcher, heureusement quelques heures seulement la plupart du temps, quelques jours tout au plus.
Ci-dessous Vue aérienne des chantiers navals de Saint-Nazaire (années 1950/1960). (Collection particulière)
2 – Colorant bleu foncé, extrait de la houille.
La réputation de Marcel Une fois cependant, Marc assista impuissant et surtout outré, à une dispute entre ses camarades de travail. Celle-ci eut lieu lors du déjeuner, que l’équipe de quart du matin prenait comme chaque jour sur le marbre3, autour duquel chacun avait pris sa place habituelle. Sans complexe, les hommes avaient étalé sur des serviettes propres, les quelques victuailles que les épouses ou les mères leur avaient préparées. Les menus, qui ne variaient guère, se composaient en général de charcuterie, de quelques légumes réchauffés, et de fruits selon les saisons. Ce jour-là, à la grande surprise de ses compagnons tout aussi médusés que lui, Marc vit un des ouvriers sortir de son sac une poche emplie de superbes langoustines, que celui-ci s’empressa de décortiquer sans vergogne, puis de déguster avec un évident plaisir. Bien entendu, face à une telle inconvenance devant ses camarades, alors que peu d’entre eux avaient les moyens d’acheter ce genre 3 – Table en fonte montée sur un pied central, pour le portage de pièces à ajuster.
Une famille nazairienne et guérandaise
les Rouaud de Villemartin Loup Illustrations de Xavier d’Andeville héraldiste-armoriste1
La famille Rouaud de Villemartin, nazairienne, puis guérandaise, est l’exemple type d’une famille de l’Ancien régime désireuse de s’élever socialement en intégrant les rangs de la noblesse. Quelques généralités à propos de la noblesse
D
urant l’Ancien régime, la noblesse est une qualité juridique à laquelle sont attachés des privilèges et droits particuliers dont bénéficient de façon héréditaire certains individus. La société était alors divisée en trois ordres. Le premier était le clergé, que l’on pouvait intégrer en entrant en religion, quelle que soit son origine sociale, même si les impétrants nobles y bénéficiaient des meilleures places d’office ; le second était la noblesse, héréditaire ou personnelle (cas relevant de la possession de charge anoblissante avant date d’aboutissement d’hérédité, d’exercice de charge commensale, décoration de l’Ordre de Saint-Louis pour un militaire) ; le troisième était le groupe majoritaire des manants (nommés aussi roturiers), composé des paysans, ouvriers, artisans, commerçants, soldats non décorés et bourgeois, assujettis aux impôts et aux corvées. Au sein du Troisième ordre, les inégalités étaient celles de l’argent, mais aussi par l’appartenance à des sous-groupes que sont les militaires et les bourgeois, qui bénéficient d’avantages juridiques et de considération sociale. La bourgeoisie était une qualité accordée par les notables de la ville où résidait la personne reconnue « bourgeois ». 1
1 - Site de monsieur Xavier d’Andeville : http://www.heraldiste.org/
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Les bourgeois avaient le droit de participer à la gestion de la ville, et bénéficiaient des privilèges accordés à celle-ci, tels ceux de Guérande, SaintNazaire, ou Nantes. Si les bourgeois payaient l’impôt, ils étaient cependant dispensés des corvées. La bourgeoisie fut, surtout au cours du XVIIIe siècle, l’antichambre de la Noblesse. Nantes rendrait noble ces échevins et maires élus depuis que le Roi François II, en tant que duc de Bretagne, accorda ce privilège par lettres données à Blois, en janvier 1559 (révoqué en 1667, rétabli en 1669), ou par l’achat et l’exercice de certaines charges en sa Chambre des Comptes. Cependant, l’édit de 1699 imposa d’avoir exercé ces charges pendant vingt ans pour acquérir la noblesse héréditaire, ou de mourir durant l’exercice (on disait mourir coiffé en référence à la perruque de magistrat). La noblesse était donc une qualité juridique dont on bénéficiait par la naissance, mais à laquelle on pouvait accéder par lettres d’anoblissement accordées par le souverain, l’exercice de charges acquises par achat, ou l’élection aux fonctions municipales de certaines villes. C’est ici une généralité à laquelle il faut ajouter une particularité du Droit breton. En effet, avant l’abolition des privilèges, la nuit du 4 août 1789, qui fit disparaitre la souveraineté des états associés à la Couronne de France, les règles régissant la noblesse différeraient selon où l’on vivait avant le 4 août 1789 sur le territoire de l’actuelle République française. La particularité de la noblesse Bretonne tenait essentiellement dans le fait que les preuves de noblesses reposaient sur la pratique du partage
Armes Mathieu III Rouaud de Villemartin (Xavier d’Andeville, héraldiste-armoriste)
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Un été en Brière
de Paul Guyot
Un roman oublié Daniel Sauvaget Voici un livre étrange dont il est difficile de retracer la carrière, et dont l’auteur est absent des habituelles références littéraires. Bien qu’il ait bénéficié de son vivant d’une certaine notoriété dans la presse, Paul Guyot n’a droit qu’à deux lignes dans le fichier général de la Bibliothèque nationale.
Q
uant au livre, publié en 1959, on ne sait qu’il a existé que grâce au marché du livre d’occasion, et c’est par hasard qu’on peut en trouver un exemplaire sur un site spécialisé, quoique rarement — anecdote : un jour en version reliée issue d’une bibliothèque qui avait allégé ses rayonnages… Triste destinée pour une œuvre qui a mobilisé autant d’efforts. Pour ce qui nous concerne ici, on relèvera dans l’ouvrage de nombreux repères qui installent le récit dans la géographie régionale, et dans l’espace briéron. Le personnage principal est un peintre qui signe Pierre Moy et qui se nomme en fait Moyon — son intérêt pour la Brière est ancien, datant de son adolescence : « Il avait reçu La Brière de Châteaubriant comme prix de dissertation française l’année de son baccalauréat ». Ce peintre a une résidence secondaire et un atelier à Bréca ; parmi ses relations : des habitants de Fedrun, un patron de bistro, un vannierbraconnier, un guérisseur, des chasseurs, un prêtre ouvrier muté à Saint-Joachim, deux quasiprostituées locales, et deux bourgeois nantais enrichis par le muscadet et ne fréquentant l’endroit que pour chasser le canard ; et aussi des militaires américains de la base de Saint-Nazaire (confrontés aux inscriptions US GO HOME). Quant à son épouse, une star dans le genre de Martine Carol, elle est née à Nantes… Ancrage local incontestable. S’il ne s’agit pas d’un roman à clés, l’auteur consacre des pages à la description du marais et de ses environs, les routes étroites qui desservent les îles briéronnes, les cabanes de chasseurs, Trignac, les militaires américains de la base nazairienne.
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Et pour aider le lecteur non familier des lieux, il fournit une carte de localisation de l’action, ici reproduite. Avec le site de la résidence secondaire, le calembour du nom attribué au bistro de Fedrun (six roses), les habitations des protagonistes, quelques lieux dits bien connus et un extravagant « canon atomique » américain débarqué à SaintNazaire et posté près de la Chaussée Neuve, une menace incongrue sur laquelle il faudra revenir. On trouve peu d’informations sur l’auteur, né en 1906. Depuis son premier roman, Les Bois du Nord (1955), Paul Guyot est édité par un important éditeur parisien des années 1950/1960, CalmannLévy. Un été en Brière, son deuxième opus, est paru en 1959, peu avant la mort de l’auteur survenue à Nantes le 21 mai 1960, des suites d’une opération. On sait qu’il était peintre, comme son héros, mais il est difficile de trouver trace de son œuvre, d’autant qu’il a des homonymes dans la branche. Ce n’était pas un quelconque graphomane, ni un écrivain régionaliste, mais un journaliste attaché à France-Soir, le quotidien le plus lu en France à son époque — on dit qu’il a atteint le million d’exemplaires imprimé. De fait, Paul Guyot était très connu au temps de la splendeur de France-Soir, dont il fut un des rédacteurs en chef avant d’être nommé à la direction rédactionnelle de FranceDimanche, suite à une crise dans la rédaction de ce journal populaire — people, dit-on aujourd’hui — qui appartenait au même groupe de presse. L’écrivain Roger Grenier, qui à l’époque faisait du rewriting pour cet hebdomadaire, le mentionne dans ses souvenirs publiés dans La Revue des Deux Mondes en juillet-août 2014. Malgré la forte visibilité de ses fonctions et responsabilités, il a laissé peu de traces de ses activités aujourd’hui accessibles
Carte de la Brière par l’auteur – traduction, ou presque, de la Carte du Tendre du XVIIIe siècle, dont on remplacerait le Lac d’indifférence, la ville de Nouvelle Amitié, les lieuxdits Médiocrité, Indiscrétion, Générosité… par des toponymes briérons ? HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 — novembre 2018
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L’Écho de la Brière
Lettres d’appelés en Algérie 1955 – 1958
Marcel Belliot Au cours de ma recherche documentaire sur la vie religieuse en Brière durant les années 19502, j’ai retrouvé, dans les archives paroissiales de La Chapelle des Marais, une collection, malheureusement incomplète, d’une petite revue dactylographiée, intitulée L’Écho de la Brière. Chers frères de misère1
S
e présentant comme le « bulletin de liaison » des « appelés » de La Chapelle, mobilisés pendant la guerre d’Algérie, ce petit journal était diffusé auprès de tous les jeunes de la commune effectuant 2
1 - L’Écho de la Brière n° 5, avril 1956, Maurice Mahé : chers frères de misère, je termine ma lettre avec l’espoir de revoir bientôt la Bretagne et les copains. 2 - Histoire et Patrimoine spécial n° 12, octobre 2018, Pratiques religieuses en Brière au milieu du XXe siècle.
leur service militaire. Il donnait des nouvelles du pays et publiait les lettres des soldats, écrites de leurs différents cantonnements. Diffusée à un rythme mensuel ou bimensuel, la revue comptait 6 à 10 pages. Dix-huit numéros de cette revue, allant de décembre 1955 (n° 2) à septembre 1958 (n° 27), ont été conservés3.
Ci-dessus Vue aérienne d’Alger. Carte postale colorisée, années 1950. (Collection Marcel Perraud)
3 - Ils sont désormais conservés aux Archives historiques du Diocèse de Nantes.
HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 — novembre 2018
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Première page de Ils constituent une source précieuse d’informaL’Écho de la Brière, tions sur la manière dont les jeunes appelés de La n° 25, mai-juin 1958. (Archives paroissiales de La Chapelle-des-Marais Archives historiques du Diocèse de Nantes)
Chapelle ont vécu la guerre d’Algérie et ils offrent un témoignage unique sur les liens de solidarité qui reliaient les jeunes appelés et la communauté locale qui, à l’arrière, ne les oubliait pas. Cet article leur est consacré.
Le service soldats, une équipe soudée autour de son aumônier
Un bulletin de liaison des soldats mobilisés avait déjà existé dans l’immédiat après-guerre, à l’initiative du vicaire de la paroisse. L’Écho de la Brière en a été le continuateur. Il a été créé à l’automne 1955 lorsque les évènements d’Algérie sont devenus suffisamment graves pour justifier le maintien sous les drapeaux, au-delà des 18 mois réglementaires, des jeunes hommes effectuant leur service militaire. Comme son prédécesseur en 1946, l’abbé Francis Allain, vicaire de la paroisse de 1951 à 1958, a joué un rôle important dans la mise sur pied du service soldats. Régulièrement sollicité pour des éditoriaux, il était un
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peu le « parrain » de la petite équipe de rédaction… Dans le « mot de l’aumônier » ouvrant le numéro 2 de la revue, il s’en défend : Je n’ai nullement l’intention de vous faire un jus pieux et cela ne signifie nullement que je sois le directeur de ce journal des soldats. Cette prise de distance ne convainquait pas tout le monde, comme en témoigne la réaction d’un lecteur qui, dans le n° 3, remercia monsieur l’aumônier qui est, je crois, le principal rédacteur. Trois « gérants » se sont succédé à la direction de L’Écho de la Brière de 1955 à 1958, Jean Taconnet, Jean Thoby, et Yves Broussard. Le service soldats comptait une demi-douzaine de bénévoles et avait en charge la rédaction, la dactylographie, la mise en page et l’adressage de la revue, mettant régulièrement à jour les adresses des appelés… Souvent issus de la JOC et très impliqués dans les activités culturelles et sportives locales, les jeunes responsables de la revue ont eu parfois du mal à tenir les délais et à assurer le rythme mensuel de la publication. Journalistes improvisés, ils écrivaient sur tous les sujets intéressant la vie locale… Ils devaient aussi recueillir et classer les lettres de leurs camarades mobilisés, en sélectionner les extraits les plus significatifs et les publier dans la revue. Les gérants se plaignaient souvent de la « paresse » des appelés : comment voulez-vous que le journal mérite son nom si vous ne faites pas un effort personnel ? Ce sont toujours les mêmes qui écrivent. Ils leur lançaient des appels pour donner leurs impressions, précisant Nous sommes conscients de la difficulté que vous avez à nous transmettre vos nouvelles, à cause du souci de discrétion que vous avez vis-à-vis de vos parents et de tous ceux qui vous sont chers. Vous ne voulez pas toujours révéler les véritables conditions de votre existence aventureuse. Le budget était serré et les dépenses devaient être contenues, qu’il s’agisse du papier ou des frais d’envoi. En 1957, des responsables de quartiers ont été nommés et des efforts nouveaux engagés pour accroître le nombre de rubriques. Les « éditos » étaient signés par le gérant ou, dans les grandes occasions, par l’aumônier. Notons plus spécialement celui rédigé par l’abbé Allain pour la Toussaint 1957 : Dieu se plaint que les hommes ne l’aiment pas vraiment en dépit de leur dévotion… Or il est partout où sont les hommes… Il est à droite, à gauche et au centre… Il est algérien, marocain, tunisien… Il est riche et il est pauvre… L’abbé concluait en demandant que Dieu inspire à ses chers camarades soldats en ce jour de Toussaint les réflexions s’adaptant le mieux à leur état d’âme personnel. Dans un autre numéro, l’un des gérants évoquait le départ à l’armée et l’impression d’angoisse qui l’accompagne : il faut apprendre à affronter les épreuves et devenir un homme dans le vrai sens du mot, ne pas craindre de prendre ses responsabilités
Le moulin de Lolvoirec
sur son bras de Loire à Bouée, vers l’an mil Claude Thoméré
En l’an Mil Bouée, qui faisait alors partie de Savenay, était peuplée. Des moulins et des pêcheries se tenaient sur la Loire et ses étiers. Les habitants utilisaient les îles du marais comme prairies et les fauchaient à la belle saison.
U
n estuaire comme celui de la Loire est une chose vivante et comme telle se redessine perpétuellement, et encore aujourd’hui alors qu’existent de multiples moyens de contraindre le fleuve et l’Océan. Tout change tout le temps ; pensez donc en mille ans ! Des chartes Vue du Marais poitevines nous permettent cependant de retrouFresnier à Savenay. ver l’apparence du Bouée de Loire de ce temps-là. (Photo KaTeznik CC BY-SA 2.0 FR) Grâce aux renseignements recélés dans des textes
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du cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers, il est possible de reconstituer le dessin du trait de côte en y incluant le seil1 de Rohars. Ainsi, un emplacement possible pour le moulin de Lolvoirec mentionné dans ces chartes est envisageable. En sus des pêcheries et moulins, les protagonistes de l’époque et le contexte plus général sur l’Estuaire peuvent s’entrevoir. 1 - Un seil est un bras de Loire qui s’augmente avec les marées montantes et dont les eaux restent majoritairement saumâtres.
Escomard de Lavau et Savenay Escomard (Escomardus en latin) de Lavau est un des quelques personnages de l’Estuaire dont la trace a été conservée dans les chartes de l’an mil. C’est certainement dû à sa présence lors de donations tardives aux moines. Ceux-ci étaient en ce tempslà les seuls dépositaires de l’art de l’écriture. Les chartes sont d’ailleurs des écrits en langue latine, pleins de formules religieuses et notariales souvent hermétiques. La première charte se situe en 1075 et Escomard finira sa vie [sa présence est signalée dans les effectifs du monastère en 1110] dans les murs de l’abbaye Saint Cyprien de Poitiers. C’est une pratique courante au moyen-âge pour un guerrier de faire pénitence dans un monastère après une vie pas toujours conforme à la parole du Christ, pour demander rémission et rédemption pour son âme. Une charte datée d’environ 25 ans avant cette période, mentionne également Escomard ainsi que sa famille, à propos du bourg de Savenay. Personnage principal des chartes, notre Escomard ou plutôt Escomarch2 de Lavau semble avoir eu un affrontement sérieux3 avec Tugdual de Cordemes [ancien nom de la paroisse de Cordemais], d’autres seigneurs locaux et les moines de Redon à propos de la tutelle du bourg de Savenay. Cet affrontement partiellement armé s’est terminé par un accord général douteux en 1051 qui expliquerait le départ d’Escomard. Les libertés du bourg de Savenay datent d’environ de 1040 à 1051 comme pour les bourgs de Cordemais, Rouans et Frossay. Ces nouvelles franchises permettent l’établissement stable des bourgs autour de leurs églises avec des marchés ou peutêtre même des foires sous la gouvernance d’édiles indépendants des pouvoirs seigneuriaux locaux. Les dates sont toutefois sujettes à caution, car elles 2 - Escomard ou encore Iscummarc, Escouarc’h selon les usages relevés dans les dictionnaires du cartulaire de Redon. 3 - Ce qu’on peut appeler une guerre privée.
donnent une durée d’existence extrêmement longue au personnage d’Escomard4, couvrant une plage rarement atteinte par un individu existant à cette époque. Plusieurs historiens pensent qu’Escomard est un descendant du dernier chef de la principauté scandinave de la basse Loire Incon sans qu’on sache la relation exacte entre eux. Ichmarch5 est donc sur la basse Loire en 930 pour regagner un territoire autrefois possédé par sa famille, le clan Ui Imar6. Ce territoire leur avait été pris après qu’Ottor [un chef de guerre de la famille] soit parti en 913 avec son lieutenant Hroald [peutêtre Harald] pour une expédition risquée vers le pays de Galles, expédition qui finalement avortera. C’est peut-être lors de cette expédition qu’aura lieu par leurs soins l’incendie de l’abbaye de Landévennec. Plus tard, Ragenold membre d’un autre clan [sans doute danois] prendra la direction des Vikings de la Loire. Ottar mourra finalement en 918, en Écosse pendant la bataille de Corbridge. À ce moment, il combattait sous les ordres de Ragnall Ui Imar après être retourné par son port d’attache d’origine, près de Waterford. Quant à cet Ichmarch qui récupère le leadership de feu Ragenold, il mènera des combats d’arrière-garde contre Alain Barbetorte, le futur duc quand celui-ci reconquiert peu à peu la Bretagne. L’arrêt officiel des combats et donc l’installation d’Alain comme duc résultera d’un arbitrage tripartite avec intervention du duc de Normandie Guillaume Ier « longue épée ». Son père Rollon avait été très proche des familles scandinaves établies en basse Loire, le futur duc de Bretagne Alain dut accepter leur installation.
4 - On se trouve peut-être face à deux Escomard, sans doute parents. 5 - On ne sait pas placer Iechmarch sur les généalogies du clan des Ui Imarr. 6 - Ui Imar veut dire littéralement les fils d’Ivaar, un chef viking célèbre.
Incon chef des Scandinaves de la basse Loire Le stock de noms était restreint à l’époque, on gardait les noms surtout pour marquer une lignée importante. Escomard descendrait donc de cet Incon – il s’agit sans doute d’un diminutif -- qui va succéder à Félécan de Cornouaille mort en 931. Certains historiens dont Jean Renaud pensent à un nom breton comme Inconmarch comme source du diminutif Incon. On trouve un nom semblable du côté de l’île de Man auprès des familles régnantes des petits royaumes de la mer d’Irlande. Ce sont des familles à moitié gaëliques, gardant toutefois une identité scandinave. Nous avons par exemple dans les listes généalogiques de l’époque un prénom Echmarcach prononcé Ich-marc qui pourrait s’accorder avec notre Escomard breton. La proximité des langues celtiques dans la construction des noms a pu aider à créer une apparente similitude. A cette époque, nos vikings très métissés parlent ordinairement le gaëlique. Un des Ichmarch les plus connus est un mac Ragnaill [ou Ragnalson] de Waterford [port du sud-est de l’Irlande, gouverné par le clan Ui Imarr]. Le nom irlandais Echmharcach est très proche d’un nom Incomarcus trouvé vers 830 dans le cartulaire de Redon. Les deux noms ont une signification proche de chevalier ou de cavalier.
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Les quatre frères Mahé et leur mère, Charlotte
Bernard Tabary J’aime Guérande. C’est ma ville d’enfance et de coeur. J’ai beaucoup apprécié d’écrire sur Guérande – plusieurs romans, côté Brière ou côté marais salants, au présent ou au passé, parfois un passé très lointain. Ces dernières années, je me suis attaché à faire revivre des Guérandais disparus – très injustement – dans les oubliettes de l’Histoire.
Les quatre frères Mahé, sur le Lutemonek (années 30). (Collection particulière)
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D
’abord Louis Foucher, général de division dans la Grande Armée : rien à voir avec son très sulfureux contemporain Joseph Fouché, ministre de la police, champion du monde toutes catégories des tourne-veste. Puis, même époque, Sol de Grisolles, le dernier Chouan, l’un des meilleurs (sans doute le meilleur) adjoints de Georges Cadoudal. Enfin l’incroyable François Guillemot de Villebiot/Villebois, sauveur du Tsar Pierre le Grand, puis son aide de camp, son conseiller le plus écouté… C’est du lourd, du très lourd !
Il faut que tu écrives...
Et puis, voilà que Josick Lancien, président des Amis de Guérande, me dit un jour : « Bernard, il faut que tu fasses un livre sur les frères Mahé ! » Les frères Mahé ? Inconnus au bataillon ! Jamais entendu parler. Et leur nom, l’un des plus communs parmi les noms propres, ne plaide pas en leur faveur. Des Mahé, il y en a à la pelle, et même à la pelleteuse ! Il se trouve qu’on les a quelque peu exhumés (moralement, s’entend !) en leur attribuant une rue à Guérande : la Rue des Frères Mahé, inaugurée en grande pompe par le député-maire, Christophe Priou, le 8 mai 2013 – dévoilement de plaque, discours puis verre de l’amitié à l’Hôtel de Ville. Les journalistes rendent compte de l’événement, c’est leur job, avec quelques mots sur chacun des quatre – pour ne pas faire de jaloux. J’apprends que les deux plus âgés étaient Compagnons de la Libération, ce qui n’est pas rien, que le troisième a connu un camp de concentration… Une fratrie « active », certes. Mais écrire un livre à leur propos… ? Une fois les articles pondus, les journaux passent à autre chose et je suis bien tenté de les imiter. D’autant plus qu’à l’époque de la guerre (19391945), la famille Mahé (la mère et les quatre frères – le père était mort en 37 des suites de ses blessures de la guerre de 14 !) habitait à Nantes, quartier de la Morhonnière, tout près du Petit-Port. Étranges Guérandais ! Ça a piqué ma curiosité. J’ai voulu comprendre. Alors je me suis mis à creuser, sur Internet. J’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup creusé. Il y a des trésors dans les décharges, mais il faut infiniment de patience, de hargne (de chance aussi) pour les trouver. Et ce que j’ai découvert m’a époustouflé… Dire que j’aurais pu rater ça ! Cette famille a été carrément héroïque. Épique. À donner des frissons...
Hésitations… décision !
Les quatre frères habitaient certes à Nantes à ce Chapelle Notremoment-là, comme ils avaient habité à Guérande Dame la Blanche, à Guérande. et à Paimboeuf, en fonction des déplacements (Photo Bernard Tabary) professionnels du père – quand ses blessures lui permettaient de travailler – ; mais ils étaient Guérandais de coeur. Le lieu de tous les rassemblements familiaux était une maison intra-muros, tout près de la chapelle Notre-Dame la Blanche ; c’était leur maison de vacances ; c’était leur havre, c’était chez eux. Cette maison est d’ailleurs actuellement la propriété du fils d’Yves, le frère n° 2. À l’époque y vivaient en permanence leur oncle et leur tante Séveno, ainsi que leurs deux filles, Cécile et Marguerite, très connues à Guérande sous le vocable : les demoiselles Séveno (elles sont restées célibataires). Banco ! J’ai connu l’une des deux ! Marguerite (on l’appelait très poliment Mademoiselle Séveno) a été mon institutrice à l’école Saint-Jean-Baptiste, dans la petite classe (cours préparatoire, année scolaire 1949-50). J’étais alors un gentil petit garçon timide. HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 — novembre 2018
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Costume de travail du marais salant de 1890 à 1940
Danick Breny Le pays de Guérande apparaît comme une juxtaposition de différents pays. De par son paysage, ses ressources et son histoire, Guérande présente une grande variété de costumes et de modes qui se côtoient.. Introduction
L
’usage s’établit, à la fin XIXe siècle, de revêtir les costumes à la mode dite « mode citadine ». Seule la coiffe demeure une survivance du costume ancien et disparaît progressivement. Dans le cadre de cette fiche, nous allons appréhender les costumes de travail du pays salicole tant traités par la littérature et les artistes. Le travail dans les marais salants est complexe et nous traiterons ici de la récolte, du portage et du stockage, qui couvrent la période de la belle saison et omettrons le travail d’entretien d’hiver. Se situant à l’extrémité sud de la Bretagne, la presqu’île guérandaise s’étend de la Loire à la Vilaine et de la Brière à l’océan Atlantique. Au centre s’étend le plateau guérandais, pays agricole composé d’un coteau où jadis on exploitait la vigne, au pied duquel s’est développée l’exploitation du sel. Le « pays blanc » est composé de deux bassins d’exploitation : celui de Mesquer-Assérac, et celui de Guérande avec Saillé, Clis et Quéniquen ainsi que la commune de La Turballe-Trescalan restée dépendante de Guérande jusqu’en 1865. Le bourg de Batz et ses quatre villages (Roffiat, Trégaté, Kermoisan et Kervalet), ainsi que Le Croisic font aussi partie du bassin Guérandais.
mode dite « citadine ». Le port des caracos-jupes s’accompagne de la disparition des mouchoirs de cou, le tablier, et même de la coiffe dès 1890 dans le marais, en opposition aux mouchoirs de tête qui font leur apparition. Les costumes des porteresses des années 1870-1880 ont quasi totalement disparu.
Julienne Olivier, porteuse de sel, de Quéniquen, en Guérande. (Cliché Émile Furst vers 1870-1875. Collection Danick Breny)
Groupe vestimentaire
Au tournant des XIXe et XXe siècles, la mode vestimentaire, essentiellement féminine, va subir un changement radical. Pour la période traitée ici, on ne peut parler de groupe vestimentaire en particulier. Les hommes ont déjà adopté les vêtements manufacturés comme dans beaucoup de régions françaises depuis le milieu du XIXe siècle. La majorité des femmes porte les vêtements à la
Cette population suivra l’évolution de la mode dans les années 1920 avec l’arrivée des blouses. La particularité se trouve dans la manière dont la Page de gauche population salicole, et pas seulement en presqu’île Couple de palude Guérande, s’est adaptée pour le travail si par- diers. ticulier du ramassage et du portage du sel gris (Collection Danick Breny) HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 — novembre 2018
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TempĂŞtes ouragans
et
raz de marée à Mesquer Jocelyne Le Borgne
De nombreuses tempêtes, parfois suivies de raz-de-marée, ont frappé la presqu’île guérandaise au cours des siècles passés, provoquant des naufrages, modifiant la physionomie des côtes, détruisant les digues élevées par les paludiers pour protéger les marais et causant des avaries aux navires et à leurs cargaisons, dans les ports. Ces catastrophes semaient régulièrement la désolation et la ruine dans les familles de la Presqu’île qui tiraient leur subsistance de la mer ou du marais, comme le rapporte Gildas Buron1, à propos des salines du Traict du Croisic, ruinées par des razde-marée, en 1598 et 1599. 1 - Voir Bretagne des marais salants : 2000 ans d’histoire, publié aux Éditions Skol Vreiz, en 2001. Gildas Buron est conservateur au Musée des marais salants à Batz-sur-Mer (Cap Atlantique).
Souvenirs de guerre d’un enfant de 8 ans
Septembre 1944 Le Croisic-Nantes en 5 jours Christian Quintin
Mes parents, redoutant, à juste raison, un bombardement de la ville de Nantes, se réfugièrent, en juin 1943, au Croisic, où nous possédions une maison de famille.
R
ennes fut libéré le 4 août 1944, Nantes le 12 août, nous pensions que notre tour allait arriver dans la quinzaine suivante. L’Histoire en décida autrement et nous fûmes « Empochés ».
Devant la pénurie des approvisionnements et le risque d’avoir à supporter une offensive meurtrière, mes parents saisirent l’opportunité de quitter la Poche, dès que ce fut possible, début septembre 1944. Seuls, ma mère, âgée de 39 ans, mon frère aîné de 13 ans, moi-même, âgé de 8 ans, et mon jeune frère de 3 ans, pouvions bénéficier de ce premier départ organisé par la Croix-Rouge française. Mon père, bien que démobilisé régulièrement, après avoir participé, en Alsace, à la campagne de France, ne pouvait pas quitter la Poche ; les occupants voulant garder sous leur contrôle les hommes en âge de travailler pour eux, ou de combattre. Il décida donc de partir, avec deux camarades, par une filière, à travers la grande Brière, lieu marécageux où les Allemands n’aimaient pas s’aventurer. En ce qui nous concerne, ma mère, mes deux frères et moi, nous ne pensions pas nous lancer dans l’épopée que nous allions vivre.
1er jour - Le Croisic-Montoir
L’auteur, au Croisic, au cours de l’été 1939. (Collection Christian Quintin)
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Le 25 septembre 1944, vers 10 heures, sous un beau soleil, avec deux autres familles, nous quittions Le Croisic à bord d’une remorque bétaillère, attelée à la Renault Primaquatre verte du directeur du cinéma (il pouvait utiliser son véhicule du fait qu’il passait chaque semaine dans sa salle un film en exclusivité pour la Wehrmacht). Nous avions, pour tous bagages, une valise et un sac. Compte tenu des temps de contrôles et de la vitesse possible
de notre attelage, nous mimes déjà une heure trente pour arriver à La Baule. Là, dans une salle située à proximité de la gare, nous fumes accueillis et enregistrés par le personnel de la Croix-Rouge, qui, ensuite, nous distribua des gâteaux secs type « rations militaires » et du lait. Avec les familles déjà présentes, nous attendîmes l’arrivée d’autres postulants à l’évacuation, en provenance des communes voisines. Nous devions être une centaine, femmes et enfants, lorsque vers 16 heures nous fûmes entassés dans des camions, équipés au gazogène, qui nous conduisirent à Montoir, dans un camp lugubre, entouré de fils barbelés et gardé par des soldats allemands. Nous nous trouvions dans le « Camp Franco », où étaient retenus prisonniers les « rouges espagnols », anciens combattants de l’armée républicaine, réfugiés en France depuis 1938 et que les Allemands employaient à construire le « Mur de l’Atlantique ». Après un nouveau pointage, effectué conjointement par l’autorité allemande du camp, et la Croix rouge, nous fûmes conduits dans un bâtiment-réfectoire crasseux ou nous reçûmes pour nourriture, dans des gamelles infectes, du pain de la Wehrmacht avec des haricots blancs, mal cuits et pleins de charançons. Nous avions faim et tout fut absorbé sans rechigner. J’avais 8 ans, très vite des jeux s’organisèrent entre garçons et filles sans se soucier du contexte de la situation. Nous pouvions voir, dans une autre zone du camp, derrière
les barbelés, les Espagnols qui nous faisaient des signes amicaux et qui appelaient nos mamans qui se gardaient bien d’approcher. Vers 20 heures, nous fumes dirigés vers des baraquements en bois, modèle « camp de concentration », sans électricité, ou, pour la première fois, je vis, avec stupeur et émerveillement, des lits superposés. Bien entendu, je voulais partager la place la plus élevée, avec mon frère aîné, alors que notre mère s’installait sur le lit du bas avec notre petit frère. Avant le couchage, elle avait, tant bien que mal, protégé les têtes des paillasses crasseuses par des vêtements pris dans nos maigres bagages, pour essayer de nous protéger de la gale, des poux, puces et punaises. Nous nous couchâmes, bien
Quai du Port-Ciguet, au Croisic. Bassin du port, avec la Grande Jonchère. (Collection Jean-Pierre Le Pape)
Le blockhaus, situé, sous le Mont Lénigo, au Croisic. (Photo Jean-Pierre Le Pape)
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Migrations irlandaises en Bretagne
aux XVIIe & XVIIIe siècles Jean de Saint-Houardon
La Bretagne, province maritime, a vu très tôt ses ports fréquentés par des commerçants et des marins venus d’ailleurs, d’Espagne et du Portugal, des îles britanniques, de Hollande, des pays du Nord, voire de la Baltique, mais de migrations d’importance, non, sinon celles de ses cousins irlandais, et dans une bien moindre mesure celles des Acadiens, déportés d’Amérique du Nord par les Britanniques en 1753, mais ceux-là étaient des descendants d’émigrants français, notamment bretons qui trouvèrent refuge en Louisiane, aux Antilles et en France.
La Rose blanche d’York, symbole des Jacobites. (Drapeau du prince Charles Edward Stuart, lors de la seconde rébellion jacobite : 1745-1746)
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E
nviron 3 500 s’installèrent dans les ports de l’Ouest, surtout à Morlaix et à Saint-Malo. L’Angleterre commença la conquête de l’Irlande au XIIe siècle et l’acheva e au XVII siècle, après l’avoir soumise peu à peu. Mais c’est sous Henri VIII, roi d’Irlande en 1541, qui scandalise toute l’Europe avec la promulgation des Actes de Suprématie le proclamant chef de la nouvelle Église réformée en Angleterre, que les catholiques de la vieille Irlande amorcèrent un long, lent, mais implacable exode vers le continent, poussés par la répression politique et religieuse de ce dernier, répression soutenue plus tard par Élisabeth et Cromwell avec la confiscation des terres au profit des seigneurs anglais. Cet exode continuera à s’imposer à eux en raison des guerres et des crises économiques qui s’ensuivront. Mais c’est aussi l’attraction que le continent exerçait sur les Irlandais, les uns pour être convaincus d’y trouver asile et une vie meilleure et les autres pour être persuadés d’y trouver une aide dans leur lutte contre la réforme, qui explique cet exode.
En raison de sa proximité, il n’est pas étonnant que la Bretagne soit apparue aux candidats à l’exil comme une des premières terres d’asile accessibles même
si à l’époque les traversées duraient plusieurs jours. Par ailleurs, ses ports voués au commerce étaient des lieux d’échanges entre marins et commerçants de diverses nations, dont l’Irlande, et ils pouvaient y être attendus et aidés lors de leur débarquement. Mais la Bretagne n’a pas eu l’exclusive des arrivées régulières aux débuts de l’exode, loin s’en faut, l’Anjou, la Normandie également, et même la Région parisienne fut concernée par celles-ci puisque la ville de Paris décida, en 1606, face à une vague d’immigration importante, d’affréter un bateau pour renvoyer dans leur pays quelques mille « Hibernois » (Irlandais), une mesure parmi d’autres prises sans doute aussi en d’autres lieux pour les mêmes raisons, mais peu dissuasive, car tout l’Ouest du royaume sera bientôt concerné.
L’histoire de cette émigration est d’ailleurs sans équivalent en Europe et si l’émi-
gration des Irlandais vers l’Amérique, surtout dans les treize colonies anglaises d’avant l’indépendance, nous reste toujours très présente à l’esprit, elle ne fut pas aussi importante que celle qui se dirigea vers le continent, notamment vers la France et l’Espagne très catholique. C’est l’épisode de l’exil des Jacobites soutenus par Louis XIV en 1691 qui aura mis en lumière cet exode, mais celui-ci relève d’un processus beaucoup plus large au centre duquel il s’est trouvé.
Des candidats à l’exode pouvaient être totalement démunis, et donc en état de dépendance totale à leur arrivée dans le pays d’accueil, quand d’autres, membres de l’aristocratie ou du monde du grand commerce, trouvèrent sur le continent l’opportunité de s’établir en raison de leur rang et de leurs moyens.
Portrait d’Henri VIII (1491-1547), roi d’Angleterre et d’Irlande. (Hans Holbein le Jeune - 1497-1543 - Walker Art Gallery - Liverpool)
Aussi, faut-il classer ces populations poussées à l’exil dans leur diversité au regard de leur état et de leurs motivations.
On peut tenter de les classer en trois groupes, en écartant de ces derniers les activistes irlandais qui étaient en premier lieu les grands notables et les chefs catholiques qui cherchèrent très tôt des soutiens auprès des grandes puissances dans leur combat contre la couronne anglaise. Ceux-là entendaient tirer parti de leurs alliances lors des conflits entre ces dernières et l’Angleterre pour servir leurs intérêts politiques. HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 — novembre 2018
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À LIVRE OUVERT
Les bateaux de la liberté - 1917-1918
Ma chère Marie-Thérèse
L’arrivée du premier convoi à Saint-Nazaire
Georges Hippolyte - 1880-1953
L
es bateaux de la liberté, écrit par Michel Germain, livre dont le dépôt légal date de 2018, relate toutes les précisions concernant l’arrivée du premier convoi qui a débarqué à Saint-Nazaire en 1917. Ceci n’a rien d’un roman. Cependant, l’ampleur et les conséquences de l’évènement auraient pu être qualifiées d’utopistes. Ces péripéties méritent d’être rapportées. C’est ce qu’a réalisé Michel Germain. On y découvre les préparatifs qui ont précédé l’arrivée à Saint-Nazaire de ce premier convoi. L’organisation d’une entrée en guerre n’est pas seulement économique et matérielle : infrastructures, constructions navales, recrutement, armement : « Il a fallu tout créer, mobiliser, former, équiper des centaines de milliers d’hommes ». L’opinion aussi a été alertée. On peut consulter les tableaux comprenant les noms des navires, celui de leur capitaine, toutes les précisions techniques, en un mot le passé des hommes et de leurs bateaux, qui ensemble ont « fait la guerre ». Le combat sous-marin est lui aussi évoqué. Les U-boat allemands étaient de rudes et dangereux adversaires. Les convois devaient être protégés des torpillages. Les aviateurs contribuent à la lutte anti-sous-marine en repérant les submersibles. Des extraits de récits personnels nous rapprochent de ceux qui les ont vécus et écrits, tel celui de l’enseigne J. Smith de la base du Croisic pour les hydravions. N’oublions pas les poseurs de mines et le barrage de la mer du Nord, dispositif exceptionnel auquel a participé la Royal Navy. Les bateaux de pêche, et même les yachts furent armés : « … des centaines de marins, de pêcheurs, de yachtmen des USA rejoignirent les rangs de la Naval Coast Defense Reserve, soit près de 40 000 hommes ». Les difficultés de la navigation en convois sont parfaitement expliquées. Se savoir pourchassés par l’ennemi invisible, être continuellement à la merci d’une torpille, oblige à des manœuvres, et une veille, particulières. On imagine la vie et l’état d’esprit qui régnaient à bord, autant pour les équipages que pour les combattants transportés en renfort. En lisant, on participe aux stratégies suivies en cas d’attaques, aux destructions des uns et des autres, aux naufrages… aux noyades… Ce qui pouvait paraître austère devient rapidement passionnant, les images s’imposent. Un aspect peu connu du grand public est le camouflage des navires de guerre. Il ne s’agit pas de rendre le bateau invisible en faisant en sorte qu’on le confonde avec la mer, comme un engin avec la forêt qu’il traverse, mais d’induire en erreur l’attaquant (camouflage disruptif) en produisant un effet d’optique « … afin d’augmenter, pour un sous-marin, la difficulté de décider sur quelle trajectoire attaquer… ». La lecture de cet ouvrage est captivante.
Christiane Marchocki Les bateaux de la liberté - 1917-1918 Michel Germain Éditions Economica - 234 pages - 29 €
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eux qui ont pour ascenda nt le même a ncêtre sont tous différents les uns des autres, physiquement, et moralement. Leurs réactions, devant le même fait, sont bien souvent, incomparables. Ainsi, les descendants de Georges Hippolyte, combattant de la guerre 19141918, ont-ils réagi différemment en découvrant son courrier. Son fils, trouvant ses lettres écrites sur le front, au fond d’une tranchée, sous le feu de l’ennemi, les a déchirées. Son petit-fils, remarquant par hasard, des papiers regroupés dans un carton, prêts à être confiés aux éboueurs de la ville, les a recueillis. Son épouse, Sylvie Hippolyte, et lui-même ont réalisé un véritable puzzle et l’ont édité. « Ma chère Marie-Thérèse » est la publication du courrier échangé entre Georges et sa famille. Son frère, Fernand, lui aussi combattant, sera tué dans les tranchées en première ligne lors de l’offensive de la Somme. On peut lire aussi son journal du front donnant des précisions sur les déplacements des troupes, les munitions, les tirs, les approvisionnements, documents précieux pour les historiens. Il est remarquable de lire, entre autres : « J’ai atteint le chiffre de 50 818 obus soit 5 600 coups par pièce pendant la période considérée, du 9 mai jusqu’au 18 juillet », « 14 juillet, 1790 coups dont 1000 obus à gaz ». Non seulement ces textes précisent l’enfer vécu, devenu un continuel massacre, insoutenable, dispersant des corps mutilés, écrasés, enfouis, non identifiables, aspect morbide sans complaisance, mais aussi la vie, l’angoisse, les actions des civils dont la pensée ne les quitte pas. Le souci des soldats pour leur famille isolée, la hantise de la famille, redoutant, continuellement, la nouvelle funeste. C’est toute une époque, un pan de notre histoire que nous pouvons appréhender grâce à Sylvie Hippolyte. Nous avons beau en avoir entendu parler, lire la réalité, lire sous la plume de celui qui est en train de vivre l’indescriptible, nous rapproche de nos grands-parents, arrières-grands-parents, pour les plus jeunes. Exemple, page 40, le récit d’un comportement inspiré par la guerre. Page 49 la description d’une opération, la technique et ses conséquences. Les hivers furent rudes ces années-là, il n’est question que de pluie, neige, boue gelée. Ce sont aussi les familles dispersées, les difficultés pour correspondre, les aides mutuelles, les civils fuyant la zone occupée, les restrictions et rationnements, les réquisitions. Leurs enfants retrouveront ce vécu pendant la Seconde Guerre mondiale. Lire ce recueil fait surgir une idée précise de ce qu’est la guerre en général. L’une n’est pas plus douce que l’autre. Il suffit de se documenter pour parvenir à cette conclusion.
Christiane Marchocki Ma chère Marie-Thérèse - Georges Hippolyte - 1880-1953 436 pages - 15 € hippolyte.sylvie@gmail.com - https://sylviehippolyte.wordpress.com
Jeux de vilains
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a g uerre, tel le qu’elle est, telle qu’elle fut, est un sujet difficile à aborder auprès de jeunes enfants. Est-il nécessaire qu’ils sachent la réalité afin qu’ils la détestent et s’en éloignent, ou vautil mieux préserver leur sensibilité et ne pas faire naître dans leurs esprits l’image d’atrocités ? Ce livre attachant incarne cette question. Jeux de Vilains, écrit par Patrice Quelard, illustré par Éric Dodon, s’adresse à notre sensibilité dans ce qui nous est cher, et parle à notre imagination dans ce qu’elle peut créer de pire. La présentation est celle des ouvrages pour enfants : papier épais, grands caractères faciles à lire pour les débutants, illustrations nombreuses et attirantes, parfois fascinantes. Mais est-il destiné aux seuls enfants ? Certaines histoires qu’on raconte aux plus jeunes cachent souvent une autre vérité, une idée abstraite qui dépasse de loin le texte, mais à la portée des bambins, dans la forme. Nait une conclusion dont on laisse la formulation aux adultes. C’est ce qu’on peut déduire à la lecture de Jeux de Vilains. L’enfant auquel s’adresse le père est âgé de 5 ans en 1914. Il n’est bien entendu pas question de lui faire partager le drame vécu par ses parents. Les dessins, au début du livre, font bien penser à un jeu pour enfants ; des soldats de plomb en quelque sorte. Ils évoluent rapidement vers l’horreur et le réalisme, ainsi qu’au début, les jeunes soldats partaient « la fleur au fusil », au sens moral et au sens propre, « cela n’a pas duré longtemps » ont dit certains contemporains, ils ont bientôt réalisé ce qu’il en était. C’était inconcevable. Les illustrations nous montrent des visages détruits par les blessures, le cataclysme engendré par l’explosion des obus. Puis, dans les tranchées, apparaissent les expressions de peur indicible chez les hommes. Enfin, la mort généralisée, le silence des champs de bataille, après… Ces lettres bien touchantes, sont celles de Paul, un Nazairien, « chauffeur de clous » dans les ateliers de construction navale, mobilisé parmi tant d’autres. Elles s’adressent à son fils, un très jeune enfant. On est témoin de la douceur du ton, langage d’adulte s’adressant à un bambin, on devine la compréhension du petit qui grandit et commence à soupçonner qu’on l’épargne. C’est un condensé, un résumé de l’horreur qu’on décèle, voilant l’amour paternel qui se fraie un chemin, une sorte de tranchée, franchissant les terres dévastées, pulvérisées par les bombes, contournant les morts et les blessés, sourd aux sifflements des balles, aux grondements, aux détonations, pour parvenir jusqu’à son jeune fils en s’efforçant de ne pas le tourmenter. Ce livre est un souffle apaisant traversant une tempête.
Christiane Marchocki Jeux de Vilains Patrice Quélard - Éric Dodon Éditions Beurre Salé - 78 pages - 13,90 €
Saint-Nazaire, les Américains et la guerre totale (1917-1919)
L
e mot « Guerre » n’a pas la même résonance chez les uns et les autres. Il peut avoir un sens purement livresque pour ceux qui n’ont rien vu ni vécu, (souhaitons qu’ils en restent là) en dehors des films et documentaires, un sens local, pour ceux qui ne peuvent qu’entendre rapporter des faits et en voir les conséquences dans leur cadre familier, un sens personnel, lorsqu’ils ont des souvenirs lointains, imprimés dans leur extrême jeunesse, et, enfin, ceux qui l’ont subie, qui ont participé aux combats, ceux-là, le plus souvent, préfèrent ne rien dire. C’est incommunicable. On ne les croirait pas, ou, pire, on s’en repaîtrait. Ce livre Saint Nazaire, les Américains et la guerre totale (1917-1919) traite de la guerre 14-18 et, plus spécialement, des années 17-19. Tous les acteurs ont disparu. Les archives seules donnent un témoignage. Après des recherches assidues, Erwan Le Gall, de l’Université de Rennes 2, nous fait cadeau de cet ouvrage qui mérite d’être connu. Il intéressera les passionnés d’histoire en général, et aussi ceux qui ignorent ce qu’ont vécu leurs ascendants et qui ont la curiosité de le savoir. C’est un large champ d’investigation : on explore les implications, les ramifications et conséquences, les bouleversements qui affectèrent Saint Nazaire en particulier, sans toutefois soustraire cette ville et sa région de tout un ensemble géo politique et économique. Tous les domaines sont abordés. Cela suppose la recherche d’une documentation précise. Erwan Le Gall nous soumet des tableaux avec chiffres, noms, pourcentages, graphiques et cartes : tout ce qui permet de suivre les évènements sur le plan technique. Il nous transmet aussi des photos qui aident notre imaginaire à reconstituer la vie des habitants et leur ressenti. Des extraits de lettres de soldats nazairiens ou originaires de villages voisins, nous donnent une idée de l’extrême rigueur des conditions de vie et de la discipline militaire. C’est toute une époque qu’il nous fait revivre. On voit notre région envahie, transformée, abritant de nombreux camps entraînant divers impacts sur la population ainsi qu’un développement économique. On y apprend beaucoup. Il nous conduit sur les traces que nous pouvons encore voir de nos jours. Certains aspects de cette époque ne nous viennent pas spontanément à l’esprit : la propulsion est essentielle pour mener une guerre, or, seule la force animale est alors utilisée. On peut lire page 36 : perte de 1 140 000 chevaux et mulets. Nombreux sont ceux achetés aux USA. Le vapeur Columbian en achemine 1 500 à Saint Nazaire. Cette hécatombe est parallèle à celle des hommes. Cet ouvrage est un document qui enrichira l’esprit de ceux qui s’y plongeront, il est précieux pour la ville de Saint Nazaire et pour tout ceux aiment apprendre. On n’en sort pas indifférent.
Christiane Marchocki
Saint-Nazaire, les Américains et la guerre totale (1917-1919) Erwan Le Gall Les Clionautes - Éditions Codex - 268 pages - 19 €
HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 — novembre 2018
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À LIVRE OUVERT
Chroniques oubliées en Sud Bretagne
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eux qui ont le goût de la découverte, ceux qui prennent plaisir à fouiller le passé de notre région, passé enfoui sous l’actualité, ceux-là goûteront pleinement ce livre intitulé « Chroniques oubliées en Sud Bretagne » écrit par Marcel Lucas. Ils découvriront une grande variété de sujets, tous se rattachent à la vie de Saint Nazaire et ses environs. Ils en verront les traces et les liens avec notre présent parfois, et même des similitudes. Cet ouvrage de lecture agréable, agrémenté de photos et de quelques textes anciens retranscrits, courts et fidèles, jusque dans l’orthographe et le style de l’époque, tout en restant parfaitement compréhensibles, cet ouvrage surprendra les lecteurs. Ce sont des évènements majeurs qui sont relatés, des évènements qui ont fait date, qui maintenant ferait encore grand bruit : escroqueries, crimes, naufrages, accidents météorologiques, anecdotes curieuses… forment un tout qui nous concerne et nous captive jusqu’à la fin du livre. Christiane Marchocki
Les fantaisies de Marcel
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et autre ouvrage : « Les fantaisies de Marcel », de Marcel Lucas, nous fait découvrir que l’auteur ne s’est pas contenté, après des recherches, de nous rapporter des faits avérés, il a su donner libre cours à son imagination et à son sens poétique. Ses textes en vers sont d’une grande sensibilité, ils traduisent un amour personnel pour notre région côtière, ses paysages, ses couleurs et parfums. On en retrouve le rythme, la cadence, la mélodie en quelque sorte dans certains passages en prose. On est enchanté en les lisant. Ce style ne l’empêche pas de nous amuser : il nous parle, oubliant d’être sérieux, jouant avec les mots, nous laissant furtivement l’apercevoir. Il pare alors, effectivement, son écrit d’une aimable fantaisie, fidèle en cela au titre choisi. Transparaissent ses émotions intimes, très personnelles, c’est l’aspect sérieux du livre. Ouvrage aux facettes variées, il reflète notre histoire, notre cadre, l’auteur. Dans un tel contexte, nous nous retrouvons nous-mêmes. Nous lisons attentivement, nous laissant entraîner jusqu’à la dernière page, regrettant d’avoir atteint celle-ci. Marcel Lucas, quand pourrons-nous vous lire plus longuement ? Christiane Marchocki
Chroniques oubliées en Sud Bretagne Marcel Lucas Éditions du Traict 70 pages – 10 €
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Les fantaisies de Marcel Marcel Lucas Éditions du Traict 63 pages – 10 €
Noirmoutier, au fil de son histoire Sortie, à la journée, du dimanche 30 septembre 2018
SORTIES CULTURELLES
Nicole Bonnaud
C’est par une douce matinée d’automne que nous quittons la presqu’ile guérandaise, direction le sud-Loire et Noirmoutier.
N
ous nous arrêtons à Beauvoir-sur-Mer où nous ret rouvons not re g u ide, Brigitte Grillard. Après cette prise de contact très sympathique, le car nous conduit à l›entrée du Gois (en patois local le verbe «goiser» signifie patauger et aurait donné son nom à ce fameux passage). Cette chaussée pavée, de plus de 4 km, inlassablement rongée par la mer, qui la recouvre deux fois par jour, a été aménagée depuis la fin du XVIIIe. Elle relie l’ile au continent pendant 4 h seulement à chaque marée basse. Des balises refuges jalonnent cette route à l’intention
des imprudents surpris par la marée montante. Selon le coefficient de marée, elle peut disparaître sous quatre mètres d’eau (il est donc très prudent de lire les panneaux indicatifs). Le Gois est cerné par des courants qui déposent des alluvions, c’est le paradis des pêcheurs à pied. Nous repassons par Beauvoir-surMer (autrefois bordé par l’océan) et traversons le marais Breton-Vendéen. Cette appellation nous vient des temps anciens où la Bretagne venait jusqu’en Vendée. Ce marais d’une superficie de 36 000 ha est le résultat d’un assèchement progressif d’un golfe marin parsemé d’ilots.
Nous franchissons le goulet de Fromentine en empruntant le Pont (long de 600m, large de 12 m et haut de 33m) terminé en 1971 et gratuit depuis 1994. Nous arrivons sur l’île, habitée dès l’époque romaine et dont le pourtour a été régulièrement aménagé par l’homme au fil des siècles. Nous longeons la côte dunaire de l’ouest en passant par La Guérinière (village de marins et de capitaines). C’est le côté de l’ile le plus exposé aux vents, il a fallu renforcer la dune par des épis de bois afin d’éviter que les colères de l’océan ne viennent la grignoter. HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 — novembre 2018
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C’est aussi à La Guérinière que nous apercevons quatre des derniers moulins qui restent « debout «, survivants des 80 moulins d’autrefois. Il n’en reste qu’une vingtaine de nos jours et pas toujours en bon état. Sur cette cote ouest, subsistent encore des blockhaus et des portions du Mur de l’Atlantique témoignages de l’occupation allemande. La Guérinière nous dévoile ses «maisons noirmoutines» traditionnellement blanchies à la chaux, aux petites ouvertures encadrées de volets colorés, basses pour se protéger du vent derrière les dunes, avec un grenier en surélévation desservi par un escalier extérieur. Nous traversons le centre de l’Ile occupé par des marais salants (ils couvrent un quart de la superficie de l’île). En 1973, il restait 23 sauniers, ils sont maintenant plus d’une centaine à faire renaître cette activité ancestrale. Il est un peu plus de onze heures, c’est le moment de faire une petite promenade apéritive au bois de la Chaise.
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Vers 1870, une petite station balnéaire s’est établie sur ce site, profitant d’un climat très doux, des bois de chênes verts et de pins maritimes. De 1870 à 1890, plusieurs investisseurs fonciers lotirent de vastes terrains boisés. Une liaison maritime de Pornic à la Plage des Dames assura rapidement le succès de cette villégiature. Des villas cossues, à l’architecture complexe, ont été construites jusqu’au début du XXe siècle. De nos jours, le programme de construction est très réglementé. Après cette balade très agréable nous regagnons le car et partons vers l’Herbaudière en traversant la zone de culture de la célèbre pomme de terre de Noirmoutier. Mis à part un peu d’élevage, l’agriculture est surtout représentée par la culture de la pomme de terre primeur. On la récolte dès le mois d’avril et elle est expédiée dans toute la France. Elle doit sa réputation, sa précocité et sa saveur à cette terre enrichie de goémon. Une coopérative gère l’ensachage et la commercialisation.
C’est dans la salle panoramique du restaurant « La Cormaroune « à l’Herbaudière que nous déjeunons. La croissance, au siècle dernier, du petit bourg de l’Herbaudière est directement liée à l’essor de la pêche à la sardine et à la construction de conserveries (il y en eut cinq, maintenant fermées). Le port de l’Herbaudière s’est aujourd’hui reconverti dans la pêche côtière aux poissons nobles et aux crustacés. On y compte encore 55 bateaux. L’Herbaudière a su rester un port dynamique, il s’est ouvert à la plaisance et aux activités qui en découlent. De l’extrémité de la jetée, nous apercevons l’ile du Pilier et ses deux phares. C’est en 1172 qu’une petite communauté de moines cisterciens venus de Buzay s’y installe, mais devant la rudesse du climat, ils reviennent sur l’île de Noirmoutier après une trentaine d’années et créent l’Abbaye de Notre Dame la Blanche sous la protection des Sires de La Garnache, seigneurs de Noirmoutier.
Nous regagnons le centre de Noirmoutier-en-l’Île L’île primitivement nommée Her doit son nom actuel à Saint Philibert, vers 674. Il établit ici, avec les moines de l’abbaye de Jumièges, dont il était le fondateur, le monastère d’Her qui devient Hermoutier puis Noirmoutier. Les moines bénédictins entreprennent des travaux de protection de l’ile (digues), d’assèchement (marais salants) de défrichement des terres pour cultiver et nourrir la population.
Ci-dessus La plage et le bois de la Chaise. Ci-contre Vue de la crypte de l’église Saint-Philbert. Page de gauche Le groupe de l’APHRN, devant le passage du Gois. Page précédente Le château de Noirmoutier et son donjon. (Photos Dominique Sénéchal)
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Mais, en 836, chassés par les Normands, les religieux quittent l’île, en emportant les reliques de Saint Philibert, après un long périple ils arrivent à Tournus, en Bourgogne, où l›on vénère toujours le corps du saint. L’église actuelle a été rebâtie au fil des siècles à l’emplacement de l’ancien monastère, dont la crypte est le seul vestige. Le bas-côté gauche fut établi sur ce qui restait de l›ancien cloître. Dans la nef, les vitraux racontent le voyage des Bénédictins jusqu’à Tournus. Les Sires de la Garnache, seigneurs de Noirmoutier depuis le XIe siècle, entreprennent à la fin du XIIe siècle la construction d’un massif donjon carré à tourelles d›angle. Il est protégé par une courtine et entouré d›une vaste enceinte rectangulaire qui renferme la basse-cour et le logis du gouverneur (du XVIIIe siècle). Du XVe au XVIIIe siècle et malgré la
L’église Saint-Philbert, vue du haut du donjon du château. Au fond, les marais salants. (Photo Dominique Sénéchal)
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tutelle de la puissante famille de La Trémoille, Noirmoutier subit les assauts des Anglais, des Bretons, des Espagnols et des Hollandais. En 1720 l’île passe aux Condés et est rachetée par le roi en 1767, l’île bénéficiait alors d’une période de prospérité. Pendant la Révolution, Noirmoutier fut investie par l’armée vendéenne de Charette en 1793 et reprise par les républicains en 1794. Le château servit de prison, et de caserne, au XIXe siècle et fut démilitarisé en 1890. La ville en devint propriétaire en 1905. Les Allemands l’occupent durant la dernière guerre. Il est devenu maintenant un Musée d’histoire locale. Pour les courageux qui accèdent en haut du donjon, ils découvrent un vaste panorama sur la ville et une partie de l’ile. Cela nous permet de nous rendre compte de l’ampleur des travaux entrepris sur la côte est aux XVIIIe et XIXe siècles par des investisseurs d’origine hollandaise, les Jacobsen, ils procédèrent à l’assèchement des Polders de Müllembourg grâce à la construction d’une digue. Malgré cela, les deux tiers de l’ile restent en dessous du niveau de la mer.
Autrefois, chacune des quatre communes de l’ile possédait des puits, mais l’eau y était saumâtre, maintenant l’eau vient du continent. Nous quittons l’île vers 17 h 30, la tête bien remplie des explications très documentées de notre guide. Noirmoutier est une ile très attachante, au passé très riche et au présent très dynamique. Elle doit aussi beaucoup au tourisme, 10 000 habitants à l’année, répartis sur ses quatre communes (multipliés par quinze l’été). Nous n’avons pas pu voir toutes les richesses de l’île, mais cela nous a donné l’envie d’y revenir, à près tout, ce n’est pas si loin de notre presqu’ile guérandaise… Nicole Bonnaud
Kervalet, au XXIe siècle Sortie, à la demi-journée, du vendredi 19 octobre 2018
SORTIES CULTURELLES
Christiane Marchocki
Ce jour-là, sous un soleil estival, règne une belle animation au petit village de Kervalet. Nous sommes plus d’une trentaine de visiteurs, sous la conduite de l’un d’entre nous, Marcel Lucas, qui arpentons les petites rues désertes.
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assent de temps à autre l’une de ces petites voitures qui nous rappellent notre jeunesse : les 2 CV font un rallye... À proximité de Batz-sur-Mer, Kervalet est un petit village de paludiers établi sur un affleurement rocheux, fondations indestructibles par nature, il émerge à quelques mètres au-dessus des marais salants qui le bordent. Nous visitons la chapelle Saint Marc. Hypothèse contestée, elle aurait abrité une léproserie… Près de la porte latérale, un christ du XIIIe siècle, vénérable et sobre, a été fixé sur un socle en 1923. Cette chapelle est consacrée aux quatre
évangélistes : Saint Jean, Saint Luc, Saint Marc, Saint Mathieu. De style gothique flamboyant, elle date du XVe siècle, âge d’or de la Bretagne. Trois statues, situées au-dessus du chœur nous accueillent, Saint Jean n’est pas là, on ne l’a pas retrouvé, nous dit-on. Ces statues ont mené des vies tourmentées : descellées, débarrassées de leurs couleurs, cachées, abritées, repeintes, revenues à leurs places, l’une est colorée, les deux autres blanches comme la pierre.
Une statuette, une Vierge à l’enfant, a été donnée en 1945-1946, en signe de reconnaissance. Située dans un jardin à Saint-Nazaire elle a été témoin des destructions dues aux bombardements, combien intenses, ni elle, ni la maison qu’elle protégeait, n’ont été touchées. Le retable, de style baroque classique, est daté de 1773. Dans la niche on voit N.D. de Recouvrance. Deux reliquaires abritent ce qui reste de Saint Prime, Saint Grat, Saint Verecoud, et Saint Laudat. Reliques venues de Rome, leur exposition fut faite en grande cérémonie, le jour de la Saint Marc, le 25 avril 1758. HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 93 — novembre 2018
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Tout porte au recueillement et à la méditation. Un oculus, œuvre de Pascal Bouchard, représente un couple de paludiers dans les marais salants. Rappel de la vie maritime locale, nous sommes sur la côte atlantique, l’océan n’est jamais loin, la maquette d’un trois-mâts carré, navire de guerre, navigue dans les airs au-dessus de nos têtes, suspendu à un câble. Cet ex-voto, taillé dans un bloc de bois, peint, datant de la première moitié du XIXe siècle, est un témoignage des risques encourus sur les mers. Un tapis, brodé au point d’Aubusson par les jeunes filles des villages de Batz-sur-Mer, en 1888, recouvre les marches invitant à monter à l’autel. Toujours, écoutant religieusement Marcel Lucas, nous quittons ce lieu attachant, non sans avoir remarqué les cupules, creusées dans le granit, marques d’origine humaine étudiées par Emmanuel Mens1.
C’est l’impression ressentie en entrant dans cette chapelle qui marque le plus. Elle est intime, son plafond voûté, peint en bleu, clouté d’argent, a la forme d’une coque de bateau renversée. Les charpentiers
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de marine sont passés par là. La poutre de gloire, toujours présente, supporte un grand crucifix en bois. Deux bannières, restaurées par les carmélites de Nantes, étaient portées en processions aux Fêtes-Dieu.
Les maisons, aux toits à coyaux, toutes soigneusement closes, revivent à notre passage : ici vivait un négociant en sel, il possédait l’unique téléphone indispensable en cas d’urgence, plus loin, on pouvait écouter la première TSF du village, les fenêtres restaient obligeamment ouvertes, là se trouvait un café épicerie, un autre plus communément appelé bistrot, plusieurs pêcheurs à pied étaient voisins, ici, la repasseuse, Mme Cavalin prenait soin des coiffes de dentelles, la vente 1 - Emmanuel Mens, chargé d’enseignement à l’université de Nantes et Rennes, cours de méthodes de l’archéologie, paléolithique, néolithique, art préhistorique, doctorant sur l’art rupestre et mégalithisme.
Jean Rivalant Jean Rivalant (1923-2004) a toujours vécu à Kervalet, principal village de Batz-sur-Mer. Il y a exercé le métier de paludier-paysan, propice lors des travaux communautaires des salines ou pendant les fenaisons ou les piqueries d’oignons, au collectage de récits, d’anecdotes et de chants du monde paludier. Il est reconnu par tous comme un des meilleurs meneurs de chants à danser. En 1974, Jean a été un de nos référents, pour l’élaboration des fiches techniques des danses paludières, enregistrées et filmées par Francine Lancelot dans le cadre du musée des Arts et Traditions Populaires de Paris et Georges Paugam de Saint-Nazaire. Fernand Guériff, le fondateur d’Histoire et Patrimoine et Gildas Buron, conservateur du musée de Batz-sur-Mer, l’ont souvent interrogé dans le cadre de leurs recherches sur les marais salants. Il a laissé de nombreux enregistrements auprès des Associations comme celles des Veuzous de la Presqu’ile Guérandaise, de Dastum 44 et de la fédération Kendal’ch. Enfin il a su transmettre le flambeau à sa famille : Bernadette est l’active Présidente du Cercle Celtique des Paludiers de Batz-Saillé, Marie-Andrée est chanteuse et animatrice de festou noz et la relève est assurée par un autre passionné, son petit-fils Erwan… Françoise et Malou Roussel
des oignons et des pommes de terre représentait un commerce important, le cordonnier à jambe de bois vivait un peu plus loin… C’est tout un autre mode de vie qui se révèle. Ainsi nous apprenons qu’animaux et personnes empruntaient le même couloir pour rentrer à la maison : cheval, vache…
Au-dessus de la lucarne, une poulie suspendue à une potence permettait de monter le foin et autres provisions au grenier. Sur un linteau, la représentation d’un duel intrigue, une tête sculptée est accolée au mur de plusieurs maisons. Un cadran solaire est classé monument historique. Nous écouterions volontiers notre mentor plus longtemps, les questions naissent, mais il nous faut rejoindre nos pénates, emportant bien des images fixées dans nos esprits, et dans nos portables, nos compagnons numériques nous sont fidèles, les siècles ont passé, le marchand d’eau ne vient plus nous approvisionner, les bougies ne servent plus que pour les fêtes, pour « la déco », les satellites transmettent et veillent. Serait-ce maintenant le « bon vieux temps » ? Christiane Marchocki
Marcel Lucas conduit le groupe de l’APHRN, dans les rues du village de Kervalet. (Photo Geneviève Terrien)
Ci-dessus et ci-contre Maison typique de Kervalet et lucarne. Page de gauche Portail de la chapelle, de style gothique, surmonté d’une statuette de vierge à l’enfant, voûte en berceau, peinte, piquetée d’étoiles en relief, et petit vitrail, de Pascal Bouchard. Page précédente Le chevet de la chapelle SaintMarc, ou des Quatre Évangélistes. (Photos Geneviève Terrien)
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A . P. H . R . N
Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne
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Présidente Christiane Marchocki Vice-présidente Geneviève Terrien Trésorière Annick Montassier Secrétaire général (Responsable d’édition de la revue HISTOIRE & PATRIMOINE)
Tanguy Sénéchal Conseillère (Responsable des sorties) Nicole Bonnaud Conseiller Paul Correc
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Les articles sont publiés sous l’entière responsabilité et propriété de leurs auteurs. La publication partielle, ou totale, des articles et illustrations parus dans HISTOIRE & PATRIMOINE est interdite.
Illustration : Le groupe de l’APHRN, dans les rues de Kervalet, lors de la sortie culturelle du 19 octobre 2018
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(Photo Geneviève Terrien)
Femme, en jupon et tablier, rĂŠcoltant le sel menu. (Collection Danick Breny)
Impression Pixartprinting - Réalisation Tanguy Sénéchal
Armes Mathieu III Rouaud de Villemartin
HISTOIRE & PATRIMOINE n° 93 - novembre 2018 - 10 €
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ISSN : 2116-8415
(Xavier d’Andeville, héraldiste-armoriste)