HISTOIRE & PATRIMOINE n° 88 - janvier 2017

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HISTOIRE & PATRIMOINE ASSOCIATION PRÉHISTORIQUE ET HIS TORIQUE DE LA RÉGION NAZAIRIENNE

L’histoire locale de la Région Nazairienne et de la Presqu’île Guérandaise

Les bals populaires à Saint-Nazaire années 50

A.P. H.R.N - n° 88 - janvier 2017 - 10 €

Le "Sou des Écoles" à Saint-Nazaire Le Tour de France en presqu’île La mémoire des "missions" en presqu’île Un maire intérimaire à Saint-Nazaire Le dessèchement des marais de Donges de Caradeuc et la Royauté de Guérande


Manoir de Kervaudu, au Croisic, au lever du soleil Photo Odile Burlot


N

Éditorial

otre revue HISTOIRE & PATRIMOINE, centrée sur la région nazairienne et la presqu’île guérandaise, étend encore son regard dans le temps et dans l’espace. Les articles sont souvent inattendus. C’est un numéro original. Quelle effervescence, après la guerre de 39-45 ! On comprend qu’après avoir vécu la peur, les privations, la destruction et la mort, on désirait revivre, faire à nouveau des projets, évacuer l’angoisse, et, même, quand c’était possible, oublier cette période sombre. C’est ainsi que laïcs et religieux organisaient des rassemblements conviviaux. L’espoir, étant de mise, la joie de vivre, ou d’avoir survécu, régnait. Commençons par les bals populaires. Voici une étude sérieuse de ce qui ne l’est pas, à priori : les orchestres, les différentes danses. Ah, ces slows ! Il fallait bien choisir ses partenaires ; on pouvait lier conversation. La rumba, la valse, le paso doble, et autres rythmes joyeux, permettaient à la jeunesse de dépenser ses forces. C’est un article bien récréatif. Plus sérieusement, qui se souvient des missions ? Elles aussi étaient l’occasion de se rencontrer, et, cette fois, de communier dans la prière, les cantiques, toujours l’espoir. Les péchés absous, on pouvait repartir du bon pied. Il se dégageait une beauté, à la fois spirituelle et esthétique. L’action la plus touchante, toujours dans un même esprit de rapprochement, est ce qu’on nomme le « Sou des écoles ». La délicatesse y est de mise. Une rue nazairienne porte le nom de Jacques Jollinier, fondateur de l’œuvre. Hélas, le tragique n’est pas exclu. Le Nazairien Georges Chaumeil, âgé de 18 ans, sacrifie sa vie pour sauver celle de ses compagnons d’armes, le 28 juin 1944, au maquis de Saffré. Son héroïsme n’a été reconnu que récemment. Il est bon de le rappeler. L’oubli s’incruste si rapidement. La vie, toujours vainqueur, d’autres évènements se succèdent, tel le sport, avec le Tour de France passant ici. Proche de l’invraisemblable, et pourtant réelle, cette royauté de Guérande en 1793. Royauté fugace, récit romanesque, digne de cet épisode à rebondissement, narré avec brio. Encore plus particulier, des hypothèses variées, concernant ce rocher en forme de tombeau, apparemment hasardeuses, sont émises. Conclusions qui en rappellent d’autres, imaginées par Fernand Guériff. Elles contrastent avec cet exposé, parfaitement documenté, complet, scientifique, sur un sujet aussi sérieux : l’assèchement des marais de Donges. Son aspect technique n’est pas oublié, son aspect humain non plus, les contestations soulevées, les difficultés, quand il s’agit de grands travaux, qui concernent l’environnement et l’économie. Le souvenir de nos sorties culturelles, réunions amicales, les épisodes extraits d’un journal de bord qui n’a rien d’un roman, les critiques, au sens noble, de livres récemment parus, nous conduisent vers une Nouvelle, à l’image de Mesquer. Laissons aux lecteurs le soin de découvrir des faits surprenants, car oubliés. Ils nous font voir notre histoire, sa diversité, les hommes qui nous précèdent. Christiane Marchocki Présidente de l’APHRN

1e page de couverture : Bal à la Mutualité, à Saint-Nazaire (années 50) (Archives Louis Sauvaget)


A . P. H . R . N

Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne

Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - http://aphrn.fr - Tél. 06 62 58 17 40 HISTOIRE & PATRIMOINE n° 88 - janvier 2017 Editeur : A.P.H.R.N Directrice de la publication : Christiane Marchocki Maquette/Mise en page : Tanguy Sénéchal Impression : Pixartprinting Dépôt légal : 1er trimestre 2017 N° ISSN : 2116-8415 Revue consultable aux Archives de Loire-Atlantique sous la cote Per 145

Contribuez à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Vous vous intéressez à l’histoire, et, en particulier, à l’histoire de notre région ? Vous souhaitez apporter votre témoignage sur une époque, aujourd’hui révolue ? Vous possédez des documents, ou objets, anciens (écrits, photos, dessins, peintures, tableaux, sculptures, objets divers), qui pourraient faire l’objet d’une publication ? Vous aimez écrire, raconter, transmettre, ce qui vous intéresse, ou vous tient à coeur, et qui a trait à l’histoire locale ? L’APHRN vous propose de publier vos écrits, ou documents, ou de transcrire vos témoignages, dans la revue HISTOIRE & PATRIMOINE. Téléphonez-nous, au 06 62 58 17 40, ou écrivez-nous, à l’adresse ci-dessous, ou, tout simplement, adressez-nous, directement, votre texte, sous forme numérique. Vos propositions seront examinées avec la plus grande attention et soumises au conseil de direction de l’APHRN, qui vous répondra dans un délai d’un mois, maximum. Adresse électronique : aphrn.asso@gmail.com - Adresse postale : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire

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SOMMAIRE HISTOIRE & PATRIMOINE n° 88 — janvier 2017

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Éditorial

Christiane Marchocki

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Les bals populaires à Saint-Nazaire, années 50

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Le " Sou des Écoles ", à Saint-Nazaire

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Un maire intérimaire à Saint-Nazaire Louis Bretonnière (26 mai 1954 - 26 juin 1954)

Daniel Sauvaget Patrick Pauvert

Un épisode oublié de l’histoire politique Locale Alain Édouard et Daniel Sauvaget

P. 76

P. 80

P. 86

25

Georges Chaumeil, un héros nazairien sorti de l'oubli

28

Le Tour de France en presqu'île guérandaise

38

Le dessèchement des marais de Donges

58

La mémoire des "Missions" en presqu'île guérandaise

70

Thomas de Caradeuc et la Royauté de Guérande, 1793

76

Souvenirs de Petit Séminaire - Guérande 1942-1947

80

La Pierre d'Almanzor, ou le Jeu du Vainqueur ?

86

Journal d'un aumônier breton - 1850 (19e partie)

Jean Le Derf Paul Correc

Alain Gallicé et Patrice Curet Marcel Belliot

Bernard Tabary Jean Chauvet

Michel Barbot

Christiane Marchocki L'HISTOIRE ET L'IMAGINAIRE 88 88 - Du sel et du chocolat - Jocelyne Le Borgne

À LIVRE OUVERT 92 92 - Limailles de vie (Marcel Lucas) - Christiane Marchocki 93 - Le ruisseau de Karreg an Tan (René Pan) - Christiane Marchocki

P. 88

SORTIES CULTURELLES 94 94 - Sur les Marches de Bretagne : Fougères - Christiane Marchocki 97 - Le Croisic - Petite Cité de Caractère - Christiane Marchocki 100 L’ASSOCIATION

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Tout indique que les bals ont occupé une place considérable dans les loisirs des Nazairiens, tout au long des années d’après-guerre et de reconstruction de la ville. Un sujet qui mériterait une recherche historique mêlée d’analyses sociologiques qui dépasserait ce que l’on sait déjà sur la France entière : la place importante du bal populaire dans les mémoires, comme dans les films et les romans.

D

ans le contexte de la Libération de la France, le bal, symbole de la liesse générale, de la fête, de la joie retrouvée, aidait à oublier les larmes, les privations, les interdits. Car l’interdiction de septembre 1939 a été renforcée par le régime de Vichy pour des raisons de strict contrôle politique, social et moral : la danse était un facteur de rassemblements populaires potentiellement dangereux et aussi de rapprochement des corps… Seuls les bals privés/familiaux pouvaient être autorisés, sous conditions draconiennes. Le temps n’était pas aux amusements collectifs, mais tandis que certains milieux aisés trouvaient refuge dans la surprise-partie, d’autres parvenaient à organiser des bals clandestins malgré la répression1. Aussi, la paix retrouvée, « on danse partout » (disent les chroniqueurs), on improvise des lieux pour le bal dès que possible. On renoue avec l’euphorie populaire de 19362 et son bal symbole de liberté. 1 - Nombre d’ouvrages d’histoire locale évoquent ces bals clandestins dans différentes régions. Cf. notamment Quillévéré (Alain) — Bals clandestins pendant la Seconde Guerre mondiale (Morlaix, Éditions Skol Vreizh, 2014). 2 - Les photos de bals organisés par les grévistes de 1936 sont parmi les icônes du Front populaire.

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Le retour du bal

C’est ce qui se passe dans la région nazairienne, libérée seulement en mai 1945 comme on sait, et malgré les difficultés de transport et les restrictions en tout genre. Même les partis politiques organisent ces réjouissances. Face à une intense soif de divertissement,

les bals plus ou moins improvisés sont en première ligne dans un ensemble de loisirs fatalement restreint. Ils se tiennent d’abord à l’écart de la ville en ruines, dans les stations balnéaires où vivaient les réfugiés, où prennent place les premières fêtes. Un exemple parmi d’autres :


Bal petit bal Où je t’ai connue Souviens-toi Tu n’étais pour moi Ce soir-là Rien qu’une inconnue (Chanson de Francis Lemarque, 1950))

Les bals populaires à Saint-Nazaire années 50

Daniel Sauvaget

à Saint-Brévin, des Nazairiens réfugiés, chanteurs et comédiens amateurs qui animent les fêtes locales comptent dans leurs rangs un petit orchestre de bal dès 1945. La troupe se nomme Les Vagabonds du Sud (ainsi nommés, car actifs au Sud… de l’estuaire), et son orchestre Le Rapid’Jazz, composé

de quatre Nazairiens évacués en 1943 : un accordéoniste, un violoniste, un trompettiste et un pianiste3 ; contre3 - Trois ouvriers et un enseignant : Loulou Vinçon, accordéoniste, Louis Sauvaget, violoniste, Clément Gourdon, trompettiste, Lili Desfosses, pianiste. Ils étaient connus localement en 1945-46 par leurs activités dans les milieux de réfugiés et de résistants, et à la Croix-Rouge.

basse et batterie étaient pratiquées alternativement par le trompettiste et le violoniste. C’est la base de la combinaison d’instruments des orchestres de danse, avec les saxophones qui deviendront indispensables.

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Le “ Sou des Écoles ” à Saint-Nazaire Patrick Pauvert

L’Œuvre de Bienfaisance du Sou des Écoles de Saint-Nazaire a été fondée le 7 octobre 1892 dans le but de venir en aide aux enfants pauvres fréquentant les écoles communales de la ville de Saint-Nazaire, en leur fournissant, dans la mesure du possible, ce qui peut leur manquer : chaussures, vêtements et aliments.

L

e fondateur de cette Œuvre est un vieux philanthrope, ouvrier forgeron, dont la vie est toute de dévouement : c’est M. Jacques Jollinier. Sans famille, il a adopté six orphelins en bas âge, d’un compagnon décédé et les a tous élevés. La plupart se sont mariés et sont devenus pères ou mères de plusieurs enfants.

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" Tonton Jacques " Jacques Jollinier dit « Tonton Jacques » avait obtenu un prix Monthyon et une récompense de mille francs déjà en 1882. Dans la fondation du Sou des Écoles en 1892, il trouva la meilleure aide en M. Fernand Gasnier, maire et député de Saint-Nazaire.


Trois cents sociétaires

Saint-Nazaire compte six écoles élémentaires : elles n’ont pas encore de dénomination en 1892. Elles se situent rue du Bois-Savary, rue de Cran, deux écoles rue du Croisic, dont une tenue par les

sœurs de la Sagesse, rue du Maine, rue de Méan. En 1906, Jacques Jollinier et Fernand Gasnier sont présidents d’honneur. La société comprend 300 sociétaires, au nombre desquels il faut compter une centaine de membres fondateurs.

Ci-dessus : Classes enfantines et préparatoires du collège des garçons, en 1912, route de Saint-André, actuellement rue Aristide Briand. Ci-contre : Élèves et institutrices posent, au début du XXe siècle, devant l'entrée du groupe scolaire de la rue Cardurant, à SaintNazaire. Page de gauche : Emblème de l'Œuvre du " Sou des Écoles ". Histoire & Patrimoine - n° 88 — janvier 2017

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Un maire intérimaire à Saint-Nazaire

Louis Bretonnière (26 mai 1954 – 26 juin 1954)

Un épisode oublié de l’histoire politique locale Alain Édouard et Daniel Sauvaget

Sur la liste des maires de la ville qui figure sur un mur de l’Hôtel de Ville1, un nom, celui de Louis Bretonnière, suivi des dates de fonction (26 mai 1954 – 26 juin 1954), sur la ligne entre François Blancho et Étienne Caux.

C

as exceptionnel : celui d’une personnalité non élue par le suffrage universel, désignée par les autorités de l’État, situation analogue, mais sans rapport politique et institutionnel à celle qu’avait connue Saint-Nazaire sous l’occupation allemande2. Une interruption, donc, dans la longue mandature de François Blancho, élu pour la première fois en 1925, retiré seulement en décembre 1968, dont le mandat n’avait été brisé que pendant la guerre, lorsqu’il fut révoqué (alors qu’il avait déjà démissionné). En 1954, le contexte est tout autre. Il s’agit de répondre à une crise municipale qui gelait toute décision. Une sorte d’intérim, comme à la libération de la Poche en mai 1945 où, déjà, une 1

1 - Panneau actuellement [2016] en réfection pendant les travaux de l’Hôtel de Ville. 2 - Un maire non élu, Pierre Toscer, a été désigné par le sous-préfet et l’administration de Vichy ; il a siégé du 16 septembre 1941 au 11 mai 1945.

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« délégation spéciale » avait été mise en place par le Préfet en attendant la tenue des premières élections municipales d’après-guerre.

La crise municipale de 1954 Le conseil municipal élu en mai 1953 comprenait 33 membres : 15 socialistes (SFIO), 7 communistes, 7 membres du MRP et 4 membres du RPF (le parti gaulliste, qui sera dissous en 1954). Aucune majorité automatique ne s’est dégagée, mais François Blancho est élu par 18 voix, dont 3 RPF, le MRP s’abstenant3. La crise éclate lorsque le MRP refuse de voter le budget, alors que ses membres avaient fait alliance avec les socialistes lors du mandat précédent (élections d’octobre 1947). 3 - Bien que les socialistes leur réservent un des 3 postes d’adjoints spéciaux, celui de l’Immaculée, conservant ceux de Méan-Penhoët et de Saint-Marc.

Pour les socialistes, il est devenu impossible de composer avec le MRP, pour un ensemble de raisons, dont la question laïque, problème-clé à l’époque. D’autre part, ils jugeaient inacceptable la proposition d’alliance des communistes4. Le projet de budget, élément central de la politique municipale, est donc repoussé le 13 février 1954, puis de nouveau en mars après la démission du maire, par 18 voix contre 15. En conséquence, l’assemblée municipale doit être dissoute — procédure passant par le Conseil des ministres. Chose faite par un décret « portant dissolution du Conseil municipal » le 20 mai 1954. Les électeurs devront de nouveau voter, et en attendant une délégation spéciale est désignée par le préfet pour gérer les affaires de la Ville. Elle doit comprendre 4 - Cf. le livre de l’association Aremors Saint-Nazaire — d’une république à l’autre, 1945-1960, fournit des précisions sur les débats entre SFIO et PCF, pp. 85-90 (Éditions du Petit Véhicule, 2003, préface de Joël Batteux).


7 membres, la commune ayant plus de 35 000 habitants, à charge pour elle de désigner en son sein celui qui remplira les fonctions de maire au cours de la préparation de nouvelles élections, pour gérer les affaires courantes et résoudre les questions urgentes5. Le choix des membres de la Délégation spéciale nazairienne, leur personnalité, l’identification de leurs fonctions hors 5 - Cf. Code général des collectivités locales

de la sphère proprement politique, leur insertion dans la vie locale, révèlent bien les enjeux et les critères dominants : relèvement de la ville après la guerre, action sociale, aide aux couches défavorisées, soutien aux institutions de la République (l’école tout particulièrement), mutualité et coopératives. Et implicitement : représentativité sociologique.

La « Délégation spéciale » Sept personnalités composent la délégation spéciale nazairienne : MM. Maurice Benoist, Guy Briand, Louis Bretonnière, Armand Cadiet, Roger Campredon, Louis Roussel, Fernand Trémoureux. Des notables, peut-on dire, honorablement connus par leurs activités bénévoles dans le domaine social, économique, culturel. Ils sont perçus comme indépendants, tout en pouvant revendiquer une proximité avec la sociologie du lieu et les cadres institutionnels. Leurs CV plaident pour leur attachement à la ville de Saint-Nazaire, leur dévouement, leur disponibilité. L’activité de plusieurs d’entre eux reflète bien la prégnance des conséquences de la guerre. La reconstruction est loin d’être achevée, bien que le nombre d’habitants soit en train de rattraper celui des années 1930, puisque le Recensement achevé peu auparavant dénombre près de 40 000 habitants. Maurice Benoist, commerçant retraité, préside le tribunal de commerce. C’est une personnalité capable d’assurer un lien avec les entreprises, qui en outre a été président du conseil des prudhommes, une instance arbitrale dans le monde du travail. Guy Briand, le plus jeune, est chef de dépôt à l’usine aéronautique (SNCASO). Il préside l’association des sinistrés, qui est depuis 19451946 un interlocuteur important des autorités et des procédures de la reconstruction. Armand Cadiet est chef d’atelier aux chantiers navals ; il préside une grande association représentative des quartiers ouvriers, l’Union Méan-Penhoët dont il a dirigé la section culturelle jusqu’en 1950, car c’est un passionné de théâtre. Il cumule audience socio-éducative et profil d’origine ouvrière. Ci-contre : Louis Bretonnière, à son bureau, à la mairie. Pages suivantes : ◊ Extrait de la presse locale de l’époque. ◊ Liste des maires de Saint-Nazaire, sur un mur de l’Hôtel de Ville, datant des obsèques de F. Blancho (1972) (Archives municipales de Saint-Nazaire). Histoire & Patrimoine - n° 88 — janvier 2017

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Georges Chaumeil

Un héros nazairien sorti de l’oubli Jean Le Derf

Tout a commencé lors d’une exposition présentée à Agora, à Saint-Nazaire, du 8 au 13 juin 2015, par le comité du Souvenir Français de Saint-Nazaire sur le « maquis de Saffré ».

C

ette exposition a remué de bien tristes souvenirs pour certains visiteurs tant cette tragédie reste vive dans les mémoires.

Ce fut le cas de Monsieur Bariou, neveu de Georges Chaumeil, qui nous a apporté des témoignages et des photos de la famille, conservées par sa mère Madame Bariou-Chaumeil, 91 ans,

sœur de ce jeune résistant, qui réside à Saint-Nazaire. Un agrandissement de ces photos a permis de réaliser un panneau supplémentaire pour présenter et mettre en « lumière » ce jeune Nazairien.

Un travail collectif

Après un travail collectif des comités du Souvenir Français de Saint-Nazaire, de la Chapelle/Erdre, de Nort/ Erdre et de Saffré, Georges Chaumeil est reconnu, 72 ans après sa mort à Saffré, « Mort pour la France avec certificat d’appartenance aux Forces Françaises de l’Intérieur ». Monsieur Jean Le Derf, président honoraire du comité cantonal du Souvenir Français de La Chapelle/Erdre et membre du comité de Saint-Nazaire, entreprend des recherches afin de mieux comprendre qui était ce jeune homme, tué face à l’ennemi d’alors et non reconnu comme résistant.

Le parcours de Georges Chaumeil

Le parcours de Georges Chaumeil est simple. Issu d’une famille modeste, apprenti mécanicien aux chantiers de Saint-Nazaire, il doit après les bombardements et la destruction de la ville de Saint-Nazaire, avec sa mère veuve, quitter cette ville. Il se réfugie au nord de Nantes à la Chevallerais. Georges n’avait que 18 ans. Georges a déjà l’âme d’un chef. Il entraine avec lui ses copains du club de foot de la localité. Tous ensemble, ils rejoignent le maquis de Saffré. Georges et ses Histoire & Patrimoine - n° 88 — janvier 2017

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compagnons s’enrôlent le 21 juin 1944 et passent immédiatement à l’instruction des armes. Ce jeune homme non classé « résistant » venu spontanément défendre sa région, son pays, suit une instruction rapide.

28 juin 1944 : l’attaque du maquis de Saffré

Le 28 juin à l’aube, plus de 2 000 Allemands et leurs supplétifs de la milice encerclent le maquis et attaquent. Du côté du maquis, présence de 300 hommes dont seulement 60 sont Ci-dessous : Panneau marquant l'emplacement du chêne qui porte le nom de Georges Chaumeil, au maquis de Saffré. Page de droite : Tombe de Georges Chaumeil, au cimetière de la Briandais, à Saint-Nazaire. Page précédente : Portrait de Georges Chaumeil. (Collections particulières)

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armés. L’affrontement est terrible, la résistance des postes de garde est héroïque et notre Georges, va faire merveille. Avec son fusil-mitrailleur, il s’est posté au pied d’un chêne d’où il tenait en enfilade la route. Chaque fois que l’ennemi essayait de progresser, Georges lâchait une rafale et l’ennemi reculait. Ce précieux temps a permis à de nombreux résistants, protégés par les murs de la ferme des Brées de quitter les lieux et de rejoindre leurs camarades. À bout de munitions, Georges a été tué, l’arme à la main, à proximité du chêne qui porte aujourd’hui son nom.

" Mort pour la France " en qualité de civil Georges est issu d’une famille modeste, et à l’État civil de la Mairie de Saffré, Georges est inscrit « Mort pour la France » en qualité de civil et non comme résistant. Sa famille souffre jusqu’à ce jour de cette injustice,

cette non-reconnaissance. Le comité local du Souvenir Français de La Chapelle/Erdre décide et confie à son président honoraire la mission de réparer cette injustice. Ainsi, un courrier est adressé dans un premier temps à Monsieur le Préfet de Région, Quai Ceineray à Nantes, afin d’obtenir cette reconnaissance de la qualité de résistant et qu’une décoration à titre posthume lui soit décernée. Hélas, c’est mal connaitre les règlements en vigueur. En effet, les articles R 26 et R 141 du code de la Légion d’Honneur prévoient que le Premier Ministre ou le Ministre de la Défense sont autorisés à promouvoir dans l’ordre, dans un délai d’un an, les personnes tuées, ou blessées, dans l’accomplissement de leur devoir. Il en est de même pour la carte du combattant volontaire de la Résistance à titre posthume et la croix qui lui est attribuée.


Le Tour de France en presqu'île guérandaise

Paul Correc

Si, dès 1939, le Tour de France passait déjà dans notre région lors de la 5ème étape Lorient-Nantes, après avoir franchi le premier pont de La Roche- Bernard dont il ne reste aujourd’hui que les ruines de quelques piliers, traversait Guérande, puis Saint-Nazaire par le boulevard Leferme, c’est en 1958 qu’il revint dans la cité portuaire.

E

n effet, afin de fêter comme il se devait la résurrection de la ville, reconstruite après avoir été détruite par les bombardements à environ 75 % durant la guerre, que le conseil municipal de Saint-Nazaire décida d’organiser des festivités qui devaient marquer l’évènement ; lesquelles furent programmées pour l’année 1958. Pour ce faire, le maire Mr Blancho prit contact avec le responsable des festivités de l’Union des commerçants de la ville Mr Léac, et lui demanda de lui proposer quelques idées originales. Grand passionné de cyclisme et président du Vélo Club Nazairien, très introduit dans le milieu professionnel, ce dernier proposa immédiatement de recevoir une étape du Tour de France ; immense évènement sportif, jamais encore organisé en notre région nazairienne. Étonné de ce choix, hésitant tout d’abord tant le projet lui paraissait trop ambitieux, puis finalement convaincu devant ses arguments, M r le Maire donna son accord au jeune Président du V.C.N. (il n’avait que 27 ans) Bien qu’ayant deux années devant lui, mais conscient que les démarches allaient être multiples et surtout difficiles pour réaliser son projet,

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M.Léac décida d’entrer rapidement en contact avec la Société du Tour de France et prit rendez-vous avec ses directeurs de l’époque, MM. J. Goddet et F.Lévitan, qu’il rencontra à Paris. Il fallait évidemment répondre au cahier des charges imposé par la Sté du Tour de France, puis assurer ses responsables de la faisabilité d’une des plus grandes organisations sportives du Monde dans notre ville. Au préalable, compte tenu du coût d’organisation d’un tel évènement, il s’agissait de trouver les investisseurs pour assurer les frais extrêmement importants que celui-ci générait, puis les informer que le retour d’investissement ne pouvait être qu’hypothétique. Bien qu’efficacement secondé par les équipes qu’il avait constituées autour de lui, tant au Vélo Club Nazairien qu’à l’Union des commerçants, Mr Léac savait qu’il était attendu au « tournant » et qu’il lui faudrait tout mettre en œuvre pour que cette 9e étape du Tour de France 1958, qui devait mener les coureurs et l’énorme caravane publicitaire de Quimper à Saint-Nazaire, soit un vrai succès. Il le fut effectivement.

Page de droite : Tour 1939 - Passage à Guérande. (Collection Paul Correc)

1939 — 5e étape Lorient/Nantes (14 juillet) Bien que les tensions diplomatiques entre les puissances européennes préoccupaient l’esprit de la plupart des Français en cette année 1939, les grandes organisations sportives prévues, comme chaque année dans le pays, continuaient de se dérouler presque normalement. Ce fut le cas du Tour de France, la plus grande épreuve cycliste au monde qui, comme chaque année, allait déplacer la France entière sur le bord des routes D’aucuns pourront penser qu’il s’agissait là d’une véritable inconscience des Français, alors qu’au contraire, ces derniers souhaitaient assurément oublier l’espace de l’été, un avenir qu’on leur annonçait de plus en plus incertain. Journaux et diverses revues alimentaient l’angoisse des Français et, comme pour ajouter encore à leur inquiétude, quelques jours avant le départ du Tour, l’écrivain Yves-Marie Evanno publiait un livre : « Du cliquetis des pédales au bruit des bottes ».


1939 - 5ème étape - Lorient/Nantes 1958 - 9ème étape - Quimper / Saint-Nazaire 1962 - 7ème étape - Quimper / Saint-Nazaire 1965 - 6ème étape - Quimper / Pornichet 1972 - 2ème étape - Saint-Brieuc / La Baule 1999 - 5ème étape - Challans / Saint-Nazaire 2000 - 4ème étape - Nantes / Saint-Nazaire (C.L.M par équipes)

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Une réalisation non conforme à la logique hydraulique des projets initiaux et de l’avant-projet

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dessèchement

Le des marais de Donges 1819 - 1825

Alain Gallicé et Patrice Curet

Le dessèchement des marais de Donges est une longue et douloureuse page de l’histoire du pays briéron. Projetée par la Compagnie de Bray dès 1771, l’entreprise est autorisée le 4 janvier 1779 par un arrêt du Conseil du roi mais elle n’est pas, dans un premier temps, menée à son terme, et même peut-être pas entamée en raison de l’hostilité que le projet suscite.

C

ependant, la Compagnie de Bray ne disparaît pas, elle se manifeste à nouveau au début du xixe siècle, et obtient le 2 juillet 1817, une ordonnance qui lui assure la concession du dessèchement des marais de Donges. Dans un contexte difficile — l’hostilité des Briérons se manifeste par des instances judiciaires, des refus de coopérer, des voies de fait, voire des émeutes comme le 31 juillet 18211 —, les travaux sont engagés avec l’appui de l’administration qui dépêche sur place des soldats de ligne en 1821. Menés à leur terme, ces travaux sont reçus par l’administration le 10 juin 1825. Réalisés sur une vaste zone (7 790 hectares dont 5 332 hectares étaient entièrement submergés2), ces travaux

ont fait l’objet de plusieurs présentations3. Aussi notre propos n’est pas de revenir sur leur importance, mais de montrer que la volonté d’aller vite afin d’imposer le dessèchement comme un fait accompli explique qu’ils ont été entamés dans la partie orientale des marais de Donges et non pas, selon le schéma hydraulique qui s’imposait tant dans les projets antérieurs que dans l’avant-projet de janvier 1818, en s’appuyant sur un important réaménagement du Brivet (bas Brivet et étier de Méan4), situé à l’ouest de ces marais et poursuivant une double finalité : dessécher les marais et assurer la navigabilité de la rivière. Cette volonté de réaliser au plus vite le dessèchement selon une logique hydraulique nouvelle conduit

1 – Ce sujet exige une étude particulière. Sur l’émeute du 31 juillet 1821, voir Le Marec, Yannick, « Les émeutes de la Brière dans la première moitié du XIXe siècle », dans Annie Antoine et Julian Mischi, Sociabilité et politique en milieu rural, Rennes Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 51-63. 2 – Arch. dép. Loire-Atlantique, 1766 S 1, 10 juin 1825, procès-verbal de réception des travaux.

3 – La plus complète est celle de Martin, M.-F, Notice sur les marais de Donges desséchés par la Compagnie Debray, Nantes, Impr. G. Schwob et fils, 1893. 4 – Le cours du Brivet est traditionnellement divisé en trois parties : le haut Brivet, de sa source à Pontchâteau ; le bas Brivet, de Pontchâteau à l’écluse de Rozé ; et l’étier de Méan, de Rozé à la Loire. Histoire & Patrimoine - n° 88 — janvier 2017

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La mémoire des "Missions"

en presqu'île guérandaise Marcel Belliot

Tout au long du XIXe siècle et durant la première moitié du XXe, la vie des paroisses françaises a été rythmée par les “Missions“, qui, tous les dix ans, s’efforçaient de raviver la foi des croyants et réveiller la pratique religieuse…

E

n 1957 — j’avais dix ans — j’ai participé à la dernière mission organisée à La Chapelle-des-Marais, une paroisse de Brière, mi-ouvrière, mi-rurale, où l’emprise de la religion catholique sur la vie sociale et les relations familiales était particulièrement forte.

Un souvenir d’enfance

J’en ai conservé quelques souvenirs, notamment celui des “veillées “ organisées dans l’église où, dans la chaleur de braseros spécialement installés pour l’occasion — nous étions en janvier/février et il devait faire très froid —, nous écoutions pieusement les prêches des missionnaires, chantions ensemble et prions en chœur. J’ai accompagné plusieurs fois mes parents à ces cérémonies, faisant à pied et dans la nuit, le kilomètre qui séparait Mayun, notre village, du bourg de La Chapelle où se trouvait l’église. Ce souvenir s’était un peu perdu quand, il y une vingtaine d’années, à la mort de ma mère, j’ai découvert dans ses papiers un curieux document : sous la plume de mon père et de sa belle écriture, un fichier répertoriait, quartier par quartier, les 211 familles

du village de Mayun et en recensait les 643 habitants, établissant la liste des 277 adultes qui “pratiquaient “ et des 193 autres qui “ne pratiquaient pas “. Au vu des noms et de la composition des familles, ce fichier datait de la fin de l’année 1956. J’en ai conclu que mon père, qui était à l’époque l’un des cinq conseillers paroissiaux de La Chapelle-des-Marais, avait été chargé par le curé d’établir la liste des catholiques pratiquants du village… et de repérer les autres. La STASI au village, en quelque sorte ! Ce fichier avait dû servir au travail préalable de la “Mission “, organisée, du 20 janvier au 10 février 1957, à La Chapelle-des-Marais. Récemment retrouvé dans mes cartons, il m’a donné envie d’en savoir davantage sur les objectifs et le déroulement des missions paroissiales ainsi que sur leur disparition. Les ressources documentaires que j’ai rassemblées à cette fin proviennent, pour l’essentiel, des archives diocésaines de Nantes. Elles doivent beaucoup au “Livre des Missions “ qui rassemble les “comptes rendus“, rédigés, de 1938 à 1962, par les missionnaires diocésains des “Pères de l’Immaculée“. J’ai exploité une quinzaine de ces rapports, privilégiant ceux des missions prêchées en Brière

et dans la Presqu’île Guérandaise1. Des entretiens avec quelques-uns des acteurs et des témoins de cette époque ont complété ma documentation.

Les objectifs et le déroulement des “Missions“

On pourrait faire remonter les “Missions“ au Concile de Trente et à la renaissance catholique qui a suivi les guerres de religion sous l’impulsion de personnalités comme François de Sales, Vincent de Paul, le fondateur des Lazaristes, ou Jean Jacques Olier, le créateur du séminaire de Saint Sulpice. On pourrait aussi les faire remonter au XVIIIe siècle et au Père Louis Marie Grignon de Montfort, qui fonda une congrégation de prêtres pour propager la religion catholique dans les paroisses françaises. On les datera cependant plus sûrement du XIXe siècle et des efforts de reconquête entrepris par l’Église pour rechristianiser la France après la tourmente révolutionnaire. Affermir les justes dans le bien et ramener au bercail 1 - J’ai aussi exploité quelques comptes rendus de missions prêchées dans des paroisses plus rurales comme Maumusson, un village proche d’Ancenis ou Beaupréau un gros bourg agricole situé près de Cholet (Maine et Loire).

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Thomas de Caradeuc et la Royauté de Guérande 1793

Bernard Tabary

Dans la revue HISTOIRE & PATRIMOINE n° 86, d’avril 2016, j’ai surtout parlé de Guériff de Lanouan. Normal, puisqu’il était le sujet de l’article. Mais les insurgés qui ont pris Guérande, le 19 mars 1793, provenaient de deux troupes différentes, l’une arrivant de Saint-Nazaire par Le Pouliguen (commune de Batz) et menée par Guériff, l’autre déboulant de La Roche-Bernard par Herbignac et dirigée par Thomas de Caradeuc. L’insurrection avait donc deux chefs.

L

e temps est venu de parler un peu plus du deuxième : Alexis-Michel-François Thomas de Caradeuc. Comme Guériff, il a un long passé derrière lui. Guériff a 52 ans ; Thomas en a 50. Il est issu d’une famille noble (noblesse de robe) de La Roche-Bernard. Il fait des études de droit à Rennes, à la suite de quoi il exerce ses talents d’avocat au Parlement de Bretagne. Puis il s’installe à La Roche-Bernard en tant que notaire et procureur ; il en est même le maire entre 1772 et 1775.

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En 1775, il devient sénéchal (juge) à Auray. De 1782 à 1789, il siège au Tribunal Criminel de Quimper. À cette époque, il se lie d’amitié avec le père du célèbre docteur Laennec (l’inventeur du stéthoscope) ; il s’intéresse aux idées nouvelles.

Page de gauche : Le moulin de Crémeur, dit moulin du Diable, à Guérande. Ci-contre : Vieilles maisons, sur le port de La Roche-Bernard. (Photos Bernard Tabary)

Thomas, jusqu'à 1793 Thomas de Caradeuc est donc clairement un juriste. Absolument pas un excité réactionnaire ou révolutionnaire. Rien ne le prédispose à devenir chef de guerre. Qu’est-ce qui le chamboule au point de virer dans la lutte armée ? La même chose que Guériff — et que beaucoup d’autres : non pas directement l’abolition des privilèges et des droits féodaux (nuit du 4 août 1789), mais l’une de ses conséquences : la suppression des particularismes régionaux — entre autres du Parlement de Bretagne. C’est pourquoi il adhère, comme Guériff, à l’Association Bretonne de La Rouërie en 1791. Il n’est pas encore question de créer une armée ; il est question de défendre par tous les moyens possibles les particularismes bretons. Contre qui ? Pas contre le roi qui est déjà quasiment emprisonné et ne gouverne plus ; mais contre la Législative qui s’est arrogé tous les pouvoirs, qui est entrée en guerre contre l’Autriche (et la Prusse), qui déporte les prêtres réfractaires, qui laisse perpétrer les massacres de septembre 92 ; puis contre la Convention qui proclame la République (et donc l’abolition de la royauté), qui met le roi en jugement et le condamne à mort…

La France est au bord de l’explosion. Pas seulement la France, dans son ensemble. Partout, dans les villes, dans les villages, entre chauds partisans de la révolution et royalistes ou modérés, se multiplient les affrontements de plus en plus violents : les paroles d’abord — qui deviennent vite des anathèmes —, puis les coups de poing ou les soufflets, puis les armes qui s’exhibent et qui finissent inévitablement par servir. Il y a des blessés, des morts. Et la tension monte inexorablement. Il suffirait d’une étincelle pour provoquer un gigantesque incendie.

Janvier 1793 Dans le district de La Roche-Bernard, puisque c’est lui qui nous intéresse ici, la tension est montée très vite, plus vite qu’ailleurs, au point que Thomas de Caradeuc, le juriste — celui qui combat avec les mots — s’est armé, est entré dans la clandestinité et est devenu le meneur de la contre-révolution (avec ses adjoints, les trois frères Bernard). Il est même condamné à mort — officiellement pour incivisme, c’est d’une imprécision remarquable ! — le 22 janvier 1793, soit le lendemain de l’exécution de Louis XVI. Il n’est pas présent à son procès — et pour cause : il se cache — ; il est donc condamné par contumace. La sentence

n’a pas d’effet immédiat. Mais c’est le signe évident que le secteur de La Roche-Bernard est chaud, très chaud, avant même qu’intervienne la fameuse étincelle qui va provoquer l’embrasement, déclenchant la guerre de Vendée et la chouannerie : l’application de la loi du 23 janvier 93 — levée des 300 000 hommes pour faire la guerre aux frontières. Ce même mois de janvier 93, le 30 exactement, meurt La Rouërie, chef de l’Association Bretonne. Non pas exécuté, mais malade — probablement d’une pneumonie. L’Association Bretonne est décapitée ; mais elle avait déjà du plomb dans l’aile, puisque la Convention connaissait son existence et en poursuivait les meneurs. Fin de l’Association. La grande insurrection bretonne en cours de préparation n’aura pas lieu. Du moins pas de façon coordonnée. Par contre, les nombreux membres de l’Association suivent de très près les événements. Ils ont parfaitement compris la montée en puissance de l’exaspération en Bretagne. Ils ont compris aussi que les bureaux de recrutement — pour la levée des 300 000 hommes — seront des lieux parfaits pour récupérer tous les jeunes qui ne veulent pas prendre le risque d’être tirés au sort et envoyés à la guerre sur les frontières.

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Souvenirs de Petit Séminaire Guérande, 1942-1947 Jean Chauvet

La revue Histoire & Patrimoine se distingue par la qualité de sa présentation, la variété des sujets abordés, les chroniques sur la Presqu’île Guérandaise. Il faut rendre hommage à tous les membres de la rédaction. Après la lecture du hors-série n° 6 (octobre 2016), intitulé « Mes années de Petit Séminaire – Guérande, 1962-1966 », j’adresse à l’auteur, Monsieur Gérard Olivaud, mes félicitations personnelles, pour les souvenirs concernant son passage dans notre Petit Séminaire de Guérande.

L

e talent qu’il y déploie nous permet de pénétrer dans ce que les séminaristes y ont vécu, voici déjà plus de 50 ans. Mais la génération précédente, celle des années 1940 à 1950, a connu un séminaire quelque peu différent. À cet égard, un « flashback » ne serait pas inopportun.

Octobre 1942 - Lugubre C’était un après-midi en octobre 1942. Devant l’imposant édifice du séminaire, la première impression est plutôt lugubre. C’est donc là qu’il faut entrer, derrière ces grilles, derrière ces épaisses murailles. Un portail s’ouvre sur un sinistre spectacle : des garçons en train de jouer, de gambader ? Non point. Sur une cour de quelques mètres carrés, les élèves déjà arrivés marchent en rond par rangées de trois ou quatre comme le font les prisonniers. C’est que les deux tiers du bâtiment sont réservés à la Wehrmacht. Le séminaire doit se contenter du reste. L’exiguïté du tiers restant contraint le séminaire

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à loger les classes dans chaque mètre carré encore disponible. La tribune de la chapelle se trouve affectée aux cours de français et de latin pour les nouveaux arrivés. Les conditions matérielles ne sont aucunement favorables à l’épanouissement des élèves. Les récréations n’offrent pas une vraie détente, puisqu’il faut continuer nos déambulations sur la petite cour, derrière les cuisines du séminaire. Les activités scolaires ne connaissaient, en réalité, aucune entrave. Devoirs, leçons, interrogations orales ou écrites, compositions, avaient lieu comme dans les autres écoles de l’Hexagone. Vint la proclamation des résultats pour la première composition de français. Le supérieur, le chanoine Bauget, félicite les bons élèves. Mais il y avait aussi les moins bons ; il fallait un dernier et celui-là, c’était moi. Commentaire encourageant par le supérieur : - « Ce petit bonhomme vient de montrer comment il ne faut pas faire ; la prochaine fois, il fera sûrement beaucoup mieux ». La prochaine composition égala

la première en nullité. Je sombrais dans une profonde dépression. Le mal du pays, le chagrin de la séparation m’avaient trop abasourdi. J’étais pour ainsi dire cloîtré en moi-même, enfermé dans mon silence vis-à-vis de tout mon entourage. Cette léthargie, cause de ma lenteur à rejoindre les rangs, dut énerver le surveillant qui m’infligea une heure de piquet avec trois versets du Novum Testamentum. Ce fut trop ; je pris ma mauvaise plume : « Viens me chercher », écrivais-je à ma mère. Elle ne vint pas ; le supérieur avait fort sagement intercepté ce courrier désespéré.

L’exil Le 9 novembre 1942, alors que le séminaire était en promenade sur la route de Saint-André-des-Eaux, les bombardiers de l’US Air Force attaquèrent violemment Saint-Nazaire. Les détonations ébranlèrent la Presqu’île. Pris de panique, le supérieur accourut en toute hâte intimant au surveillant l’ordre de nous


faire rentrer au séminaire. Quelques jours plus tard, le commandement allemand signifiait au supérieur qu’il fallait évacuer les élèves, vu le danger de prochains bombardements jusqu’à Guérande. Un camion transporta la classe de septième à Legé à 40 km au sud de Nantes ; les classes de sixième et cinquième trouvèrent refuge au collège Saint-Joseph d’Ancenis. De la première année à Legé, nous ne gardons pas un mauvais souvenir. Le chanoine Pihour, supérieur, plus jeune que le chanoine Bauget, dirigeait sa maison sans intervenir trop autoritairement. Et nous, les réfugiés guérandais, nous étions dociles, soumis, respectueux.

Les années 1943 à 1945 1943 à 1945 : deux années scolaires passées à Ancenis. Le collège était dirigé par le chanoine Eriau. Les élèves guérandais n’avaient aucun contact avec le supérieur. On se rappelle toutefois une conférence pendant laquelle il nous raconta sa visite au Maréchal Pétain dans sa résidence de Vichy. La personnalité du Maréchal laissait une impression favorable, disait Eriau. Jean-Baptiste Belliot, directeur au petit séminaire de Guérande, avait émigré avec les classes de sixième et de cinquième ; il assurait donc, pour nous, la fonction de supérieur. Belliot, c’était Bauget bis : rigoureux avec les élèves, pessimiste, soupçonneux quant aux adolescents sur

Au printemps 1947, dans la cour intérieure du Petit Séminaire de Guérande, groupe d'élèves et de professeurs. Assis, au premier rang, de gauche à droite : les abbés Yves Rousselot et Alcide Bernard, le chanoine Crépel (supérieur) et l'abbé Jean-Baptiste Belliot (directeur). (Collection Jean Chauvet)

le seuil de la puberté. Son leitmotiv s’énonçait : « Nunquam duo, semper tres », une manière de nous mettre en garde contre toute manifestation d’intimité entre deux élèves. De plus, avant notre départ en vacances, il voulait prévenir un autre danger : « Les amies de vos sœurs ne sauraient être vos amies à vous » (il insistait sur la lettre ‘e’), les jeunes filles, étant selon lui, une menace pour la vocation des séminaristes. Histoire & Patrimoine - n° 88 — janvier 2017

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La Pierre d’Almanzor

ou le Jeu du Vainqueur ? Michel Barbot

La Pierre d’Almansor, ou Almanzor, reste, aujourd’hui encore, une énigme. Énigme de la nature, certes, mais énigme, assurément, par la nature de son nom.

C

e nom, à consonance orientale, serait apparu vers le milieu du XVIIIe siècle. Il a supplanté le nom médiéval : la Pipe, terme que les pêcheurs, les agriculteurs, ou les vignerons, de Piriac conservèrent durant quelques années encore dans leur quotidien, qui n’était assurément pas celui des érudits, qui lui donnèrent un nouveau nom. Cette Pipe sculptée par le temps n’évoque aucunement celle des fumeurs, mais, plus justement, celle des vignerons et autres tonneliers, également utilisée pour l’eau ou pour le pain. La pipe était un grand tonneau d’une contenance estimée, suivant les régions, entre 400 et 500 litres.

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Nous pouvons, aujourd’hui encore, nous interroger sur les raisons, quelque peu nébuleuses, ayant motivé et imposé le changement de nom : la Pierre, ou le Rocher de la Pipe, en un énigmatique Tombeau d’Almanzor. En 1825, P.-L. Athénas nous informe : « Le nom du tombeau d’Almanzor est romantique, il est en usage parmi les gens qui tiennent un rang dans la société ; mais les paysans et les pêcheurs de la côte, qui ne lisent point de romans, lui ont conservé son ancien nom Celtique : ils le nomment la Pip1 ».

1 – P.-.L. Athénas, Autels druidiques, in : Le Lycée armoricain, Nantes, Mellinet-Malassis, volume 6, p. 382, 1825.

Le témoignage d’Athénas apparait intéressant quant à l’origine du nom. Il évoque son « usage parmi les gens qui tiennent un rang dans la société ». Il ne s’agit pas — les propos d’Athénas nous le confirment — des paysans et des pêcheurs, mais de ces gens qui lisent des romans… et l’Antiquaire l’affirme : « Le nom du Tombeau d’Almanzor est romantique ». Il est certain qu’Athénas n’est pas étranger à cette société qui a pris l’usage de nommer le rocher Almanzor. Nous pouvons nous interroger sur la nature de cette société, évoquée par celui qui se présente comme un membre de la société des Antiquaires. L’antiquaire est le savant qui se livre à l’étude des monuments, des objets


d’art ainsi que des inscriptions et des manuscrits antiques. L’antiquaire est l’archéologue avant l’heure, il côtoie les historiens. Dans la mouvance de cette société évoquée par Athénas, apparait Gustave Grandpré, alias Auguste Lorieux, juriste, poète et homme de lettres croisicais. Gildas Buron (revue Pen Kiriak n° 41 – 1988) nous présente un homme de lettres : « en règle générale, meilleur observateur que ses contemporains, et bien instruit des événements de notre région ». En 1828, le juriste note, au sujet de la dénomination Almanzor et de sa variante Armanzor : « J’ai adopté la dénomination commune ; cependant, elle n’est pas ancienne. On en connait l’auteur, et, il y a cinquante ans, le tombeau d’Almazor s’appelait tout simplement la Pipe. Il suffit, en effet, de voir ce rocher pour se convaincre que jamais il n’a servi de tombeau2. » Gustave Grandpré affirme — et on peut le croire — au sujet de la dénomination Almanzor : « On en connaît l’auteur ». Gildas Buron déplore à juste titre que le nom de l’auteur de cette appellation n’ait pas été révélé : « Il y a tout lieu de regretter qu’Athénas et Lorieux se soient arrêtés en si bon chemin et n’aient pas daigné nommer l’inventeur de cette appellation, ou du moins apporter 2 – G. Grandpré (A. Lorieux), Promenade au Croisic, suivie d’Iseut et Almanzor, ou la Grotte à Madame, poésie, Paris, Corbet, 3 volumes, 1828. Ici, tome III, p. 275, note 24. Références présentées par Gildas Buron.

plus de détails sur ses motivations. Il faut, pour s’en convaincre un peu plus, relire le manuscrit de J.-B. Chevas, archiviste de la ville de Nantes, et de S.-J. Verger, consacré au département. Aussi mince soit-elle, leur contribution n’en est pas moins édifiante : " Nous dirons sur le rocher d’Almanzor ce que nous avons appris sur les lieux. (…) le nom d’Almanzor est le fruit de l’imagination d’un mystificateur du pays qui, fatigué d’entendre les étrangers lui demander : ‘’ qu’y a-t-il de curieux dans votre commune ? ‘’, indiqua ce rocher comme le tombeau d’un chevalier espagnol qui, après beaucoup de vicissitudes était venu faire naufrage contre ce rocher et y avait été enseveli. Tout le monde a répété que c’était le rocher d’Almanzor, on l’a écrit dans divers ouvrages et le nom lui restera3…" » Gildas Buron commente : « Cette version des faits, si elle est de toute évidence, largement empruntée à Athénas et à Lorieux, est émaillée de nombreux éléments inédits qui laissent supposer qu’à Piriac même, en 1841-1842, date de la compilation de Chevas et Verger, on sait à quoi s’en tenir sur le prétendu tombeau d’Almanzor. »

3 – J.-B. Chevas et S.-J. Verger, Notes historiques et statistiques sur les communes du département de la Loire-Inférieure…

Le Jeu du Vainqueur L’énigme Almanzor, pleine de mystère, nous apparait comme un véritable feuilleton, mais un feuilleton dont il existerait moultes versions ! Gildas Buron présente, à juste titre, cette énigme comme une farce. C’est vrai que l’Inconnu connu qui aurait initié la légende d’Almanzor a commis une farce, mais une farce théâtrale de type médiéval. Les farces médiévales, souvent grotesques, apportaient de la légèreté au cœur des Mystères ou drames théâtraux religieux. À la façon des ménestrels farcissant, suivant l’expression consacrée, les Mystères, un homme et, peut-être, plusieurs hommes, ont farci le paysage piriacais d’un Tombeau d’Almanzor. J.-B. Chevas et de S.-J. Verger évoquent dans leur manuscrit, l’imagination d’un mystificateur du pays qui « indiqua ce rocher comme le tombeau d’un chevalier espagnol qui, après beaucoup de vicissitudes était venu faire naufrage contre ce rocher et y avait été enseveli. » La légende du chevalier espagnol apparait-elle dès l’origine de cette mystification ? Il est certain qu’elle eut ses partisans, et ce, plus d’un siècle après que ne fut initiée cette mystification. En 1872, l’historien Louis-Marie-Antoine Nicolazo de Barmon pérennise également, à sa façon, la légende d’Almanzor dans son livre « Romains et Venètes, traditions et légendes » (Nantes Imprimerie Vincent Forest et Émile Grimaud). L’historien sort quelque peu de l’Histoire, en présentant un épisode bien inconnu, puisqu’assurément romantique, mais intéressant pour cette étude : « Jacoub-al-Modsahed-al-Mansour se préparait à la conquête d’Espagne ; il avait armé une flotte considérable avec laquelle il voulait faire une descente vers Malaga. Mais survint une violente tempête du N.E., qui poussa loin dans l’ouest une grande caravelle qui portait

Page de gauche : Le Tombeau d’Almanzor. (Photo Christian Lelièvre - Année 2000)

Ci-contre : Le Tombeau d’Almanzor, face à la terre. (Photo Christian Lelièvre - Année 2000)

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Journal d'un aumônier breton - 1850

(19e partie)

Christiane Marchocki

On s’y croirai, avec un peu d’imagination. Son style a l’empreinte de son époque et, par-dessus tout, l’empreinte de sa formation latine. La rivalité entre la France et l’Angleterre sur l’océan apparait.

C

’est aussi le déclin de la voile, qui vient d’atteindre son apogée, au profit de la vapeur, les roues à aubes voisinent avec les hélices. Époque transitoire qui fut certainement l’occasion de bien des controverses. Ce texte présente un grand intérêt historique. Notre ecclésiastique pense à sa Bretagne. Cette fois, ce sont les poissons qu’il compare à ceux de nos côtes. Tout est bon pour la lui rappeler.

10 novembre 1850 C’était aujourd’hui dimanche, par conséquent triste jour pour moi. J’ai supporté mieux que je ne craignais pouvoir le faire, mon jeûne jusqu’à midi. Mgr avait eu la bonté ce matin de m’offrir de dire la messe à ma place. Je n’ai pas voulu accepter. Je sais qu’il n’est pas lui-même très bien et qu’il en a été plus fatigué que moi. J’ai voulu faire ma visite au vieux

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médecin français, et j’étais descendu dans ce but en compagnie de deux docteurs qui voulaient aussi le voir. Nous nous sommes présentés chez lui. Il n’y était pas. Il était à la campagne. Un des nègres de sa maison s’est offert à nous conduire. Mais, la chaleur était étouffante, nous étions tout en sueur. L’heure était avancée, nous craignions de faire attendre trop longtemps le canot, nous avons manqué de courage et nous sommes venus simplement nous asseoir sur le débarcadère avec mon petit panier de paille de Loanda, destiné à mes amis. Car il n’y a rien dans ce pays qui mérite d’être offert. J’emmène bien une ou deux peaux de tigre, il n’y en a que trois à bord qui ont été immédiatement saisies. Encore manquait-il les griffes et les dents. Grand dîner diplomatique à bord, pendant de celui de Mr Garrido et composé à peu près de même. Tout s’est bien passé, et plus je vais, et plus je vois ces Portugais de Loanda bien élevés, de bon esprit et de tact

malgré tous les noms et les boniments d’aventuriers dont nous essayons de les flétrir. Je ne sais quel est le commerce de ceux qui parmi eux sont négociants, ni s’il est absolument, et de tout point, parfaitement licite. Ce qu’il y a de certain c’est qu’on n’aperçoit pas en eux la souillure du contact et que ce sont des traiteurs fort élégants.

11 novembre 1850 Même température. Il y a ce soir beaucoup d’orage dans le temps. L’atmosphère est chargée d’électricité et de gros nuages noirs à l’horizon pourraient bien cette nuit venir crever sur nos têtes. Si l’air devait en être rafraîchi, on s’y résignerait encore, quelle que soit l’humidité, mais, ici, on en éprouve aucun bienfait. Au lieu de brûler dans une fournaise, on brûle dans la vapeur. Nous avons aujourd’hui parlé sur un sujet sur lequel j’ai déjà depuis


mon embarquement fait bien des réflexions. Je ne puis les consigner ici en passant. J’ai besoin de les mûrir encore et de recueillir de nouveaux faits à l’appui de l’opinion que j’essaie de me former, du reste, rien de nouveau. Nous sommes à Saint Paul à peu près dans la saison analogue à celle où nous souffrions tous à Gorée. Nous en faisions ce soir l’observation. Nous commençons à nous acclimater. Nous n’avons plus les forces dévorantes que nous avions quand nous étions nouveaux sur les côtes d’Afrique et dans la plénitude de notre santé européenne. Aujourd’hui, le sang s’est appauvri, dans toutes les veines, et, si nous sommes plus faibles, nous sommes peut-être moins exposés aux violentes maladies, c’est une compensation qui console : le danger est ici pour les forts. Bonsoir.

12 novembre 1850 Vie de bord pleine de monotonie. Journée chaude, brûlante au soleil, mais rafraîchie sous la tente par la brise du large plus forte que de coutume. Depuis trois jours, je m’amuse toute la soirée à pêcher du haut du « jardin »

les poissons qui abondent autour de la frégate. La pêche ce soir a été meilleure. Nous avons beaucoup de poissons d’une espèce surtout, assez semblable au maquereau, de la même couleur, de la même vivacité. Nous avons pêché toute la soirée au profit des malades, et nous avons préparé pour demain un plat de plus pour déjeuner. Les pauvres malheureux ont bien besoin d’un peu de nourriture. Celle qu’on leur donne est sans doute excellente. On fait du soutient en leur donnant quelque chose qui leur plaise. Ce sont surtout les organes de la digestion qui sont attaqués. J’ai connu un médecin de quelque distinction qui prétendait que le ventre était la cause première de tous les maux. Il faut avoir soin que cette partie n’ait jamais froid. Ici quand on étouffe, quand la sueur vous ruisselle de toutes parts, nous devons par précaution, prendre une ceinture de flanelle, et nous envelopper.

(par Guilherme Paes de Menezes)

à vapeur anglais que nous avions pris de loin pour le bâtiment amiral. On nous annonçait pour demain ou aujourd’hui l’arrivée du commodore que nous attendions déjà depuis quinze jours… Heureusement que la corvette est arrivée avec sa cornette au grand mât. Nous l’avons saluée de 13 coups qu’elle nous a immédiatement rendus. Notre départ est remis à 4 ou 5 jours, dans l’hypothèse la plus favorable. Il nous faut au moins cela pour recevoir et donner un dîner, quand il n’y aurait pas autre chose à faire. Il faut s’armer de patience et bien se dire qu’il en devait être ainsi. Je ne suis pas marin, et par conséquent fort peu en état de juger la valeur et de me fixer au milieu de toutes ces opinions contradictoires que j’entends à chaque instant émettre sur le mérite des deux bâtiments : nous sommes plus grands que l’anglais, mais sa machine est plus forte, il doit par conséquent beaucoup mieux marcher que nous, toutes choses étant égales, tous lui donnent la supériorité pour la propreté et la bonne tenue, tous discutent sur sa mâture qu’ils trouvent trop faible. Nous sommes mouillés près l’un de l’autre et, ce soir, nous avons pu entendre très bien la musique jouant leur air pour faire danser probablement leurs matelots. J’en ai éprouvé quelque plaisir et je les ai écoutés, assis sur l’arrière, après ma petite pêche habituelle, par un clair de lune magnifique. Ce n’est certes rien de bien distingué, mais c’est beaucoup pour la disette où nous sommes.

Ci-contre : Le port de Saint-Paulde-Loanda, en 1883.

Christiane Marchocki

13 novembre 1850 Nous ne partirons pas après-demain comme il avait été d’abord décidé. Nous avons vu ce matin arriver un navire

En haut : Vue panoramique de Saint-Paul de-Loanda, en 1755.

(Collection particulière)

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L’HISTOIRE & L’IMAGINAIRE

Du sel

et du chocolat Jocelyne Le Borgne

Q

uand Joël est arrivé sur la plage de Sorloch été 1954, il a tout de suite remarqué ce groupe d’enfants occupé à construire des châteaux

de sable… C’étaient les petites Parisiennes de la colonie de Merquel auxquelles s’étaient joints quelques garçons de la colonie Saint-Jacques et des enfants de la pointe. Il s’approcha d’eux doucement. Que faites-vous ? leur demanda-t-il Ben ! un concours de château de sable, évidemment ! répondirent-ils en chœur sans quitter leur « œuvre » des yeux… - Qu’est-ce qu’il y a à gagner ? ajouta-t-il - Du chocolat…

Cette vue du marais du « Grand Goffedin » date de 1910. Il est situé à l’arrière du village de Kerdandec. C’est ce marais qu’exploitaient les ancêtres de Joël. (Collection particulière

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Ce jour-là, Joël s’ennuyait un peu, sans ses frères et sœurs partis, en courses avec leur mère à Guérande et sans ses copains de Kerca, occupés à aider leurs parents au tri des coquillages ou aux champs. Il resta, quelques instants, immobile à regarder les petits bâtisseurs, puis soudain il remonta prestement sur un vélo, trop grand pour lui, car c’était celui de son père, marin sur une drague de Loire, absent tout au long de la semaine… Un quart d’heure plus tard, il était de retour sur la plage, équipé d’une pelle et d’un seau qu’il avait « chipés » dans la cabane à outils du « père ». Comme il avait perdu du temps à aller quérir des outils, il se mit promptement à l’ouvrage…


Mais que voulait-il donc construire ? Enfonçant son talon dans le sable mouillé, on le vit délimiter un grand espace et enlever goémon, et cailloux que la mer avait abandonnés en se retirant et qu’il rassembla dans un coin. Ensuite, avec le tranchant de la pelle, il dessina des ronds et des rectangles sur cette aire minutieusement nettoyée : on voyait bien qu’il suivait son « idée »… Les autres enfants ne faisaient pas attention à lui, seules deux monitrices s’approchèrent intriguées par ses dessins et lui dirent : - -

Tu sais, tous les enfants ici, participent à un concours de château de sable ! Oui-oui, je sais, répondit-il en souriant, moi aussi…

Resté seul, il s’éloigna de ses tracés pour aller remplir son seau de sable et de vase. Il l’avait trop rempli, mais qu’importe, il réussit à le transporter péniblement, en le tenant devant lui par l’anse avec ses deux mains et en s’arrêtant tous les quatre ou cinq pas… Arrivé à destination, il renversa le mélange de sable et de vase sur le goémon et les cailloux préalablement rassemblés, il répéta à plusieurs reprises, cette opération, en allant remplir son seau avec du sable mêlé de vase. Quand il estima que le monticule, s’égouttant tranquillement à travers le tamis improvisé, était suffisant, il se mit à genoux et commença à dresser des sortes de petits talus avec le mélange de sable et de vase, en prenant bien soin de suivre les contours des ronds et rectangles qu’il avait dessinés.

Maquette de marais « éphémère », réalisé par Joël Mousset pour les 40 ans de l’association des « Amis des sites », le 6 août 2010. Les matériaux utilisés pour cette réalisation sont les mêmes qu’en 1954 : du sable et de la vase. Les outils sont également son oeuvre. (Photo Colette Mousset)

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À LIVRE OUVERT

Limailles de vie

L

imaille dîtes-vous ? Cette poussière de métal qui s’échappe, tombe, s’éparpille au moindre souffle, laissant apparaître une œuvre finie, polie, les imperfections disparues, les détails inutiles évacués. On peut avoir une autre vision. Limailles : fragments de vie qui se laissent approcher, qui se laissent lire, et qui, agrégés, recomposent en partie une vie. C’est à cette autre limaille que nous convie Marcel Lucas. Mais, on ne peut jamais tout se remémorer. On ne peut jamais, non plus, tout dire. Si, en se faisant connaître, on existe, on se détruit en se livrant, comme si on rejetait son âme. C’est ce qu’on ne fait pas. La pudeur, gardienne attentive, laisse tomber un voile de mystère et de charme. L’auteur se laisse entrevoir, on le devine. Il évoque sa vie par bribes, en épisodes successifs, apparemment dissociés les uns des autres : le décès de son père, le service militaire, différents tableaux selon différentes dates, personnages typiques dans différents cadres, évènements graves et tendres. Le lien qui les unit est le narrateur. C’est une biographie qui ne dit pas son nom. On devine et pressent la personnalité de l’auteur. On apprend à le connaître autant qu’on apprend à connaître son époque, les lieux qui lui sont familiers et qu’il aime. Batz-sur-Mer, en particulier.

Christiane Marchocki

Limailles de vie Marcel Lucas Éditions du Traict 345 rue de Kerro 44420 Mesquer http://www.editionsdutraict.sitew.fr

156 pages - Prix : 12 €

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Le ruisseau de Karreg an Tan

N

ous sommes familiers des films accompagnés de poursuites, de coups de feu, d’arrestations pour finir par une paire de menottes. Pensons-nous souvent à la vie réelle dont s’inspirent les cinéastes ? Les policiers, en lutte continuelle contre les malfaiteurs sont bien présents, confrontés à de nombreux dangers, au risque de perdre la vie. Parfois tout près de nous. Ainsi en a-t-il été pour René Pan, qui nous révèle sa biographie dans son livre « Le ruisseau de Karreg an Tan ». Son parcours est original. La marine nationale pour commencer. Il se plie à une discipline stricte, sans faille, qu’il adopte. Tout en prenant la mesure de notre monde, de son étendue, des hommes et de leurs différents modes de vie, lors d’escales lointaines : dans le sud-est asiatique, dans l’hémisphère austral. Lui qui a quitté Gouézec, son berceau breton, cadre aussi beau qu’ignoré, s’est laissé prendre, entraîner, par le ruisseau de Karreg an Tan, qui, passant devant la maison de sa grandmère, l’a conduit à l’océan, et, par là même, à toutes les explorations possibles. Après le service militaire, nécessité oblige, il faut choisir une profession. Alors qu’il était « facteur à Pigalle » il est reçu au concours d’entrée dans la police et rejoint la brigade anti criminalité : la BAC. Ce livre n’est pas une romance. C’est la vie d’un homme qui croit en son rôle dans la société. Vous verrez des poursuites sans cascadeurs, génératrices d’accidents spectaculaires, des tirs véritables, qui blessent et font mal. C’est une authentique chasse à l’homme, une piste à suivre, un piège à dresser. L’aspect psychologique n’est pas négligé. Action souvent exaltante. L’auteur nous communique sa passion et la satisfaction du devoir accompli. Vous verrez, grâce à René Pan, retraité à Saint-Molf, l’aspect humain d’une profession particulière qui enflamme bien des imaginations, les difficultés qu’elle présente.

Vous revivrez une ancienne actualité commentée alors dans les journaux, vous la vivrez avec l’un de ses acteurs, en direct, de l’autre côté des médias. Il nous fait participer à de nombreuses interventions : violences, drogues, mœurs dissolues, toutes ces délinquances, aspect sombre de notre société. Le ton précis est celui du policier allant droit au but, ne négligeant rien pour le bien commun. Ce livre est un document vivant, une source d’informations, qui, ordinairement, échappent au public, habitué à entendre une seule version de ce qu’on nomme communément : « faits divers ». Les criminels ne sont pas des romantiques.

Christiane Marchocki

Le ruisseau de Karreg an Tan René Pan Éditions du Traict 345 rue de Kerro 44420 Mesquer http://www.editionsdutraict.sitew.fr

334 pages - Prix : 15 €

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SORTIES CULTURELLES

Sur les Marches de Bretagne : Fougères

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Sortie, à la journée, du dimanche 2 octobre 2016

Christiane Marchocki Dans le car qui nous emmène à Fougères (plus de deux heures de route), nous avons tout le loisir de penser au but de notre excursion : retrouver les traces de son passé historique.

I

l suffit de considérer les chiffres se rapportant au château : 13 tours, 3 enceintes, 2 hectares. L’un des plus imposants d’Europe. Situé sur la frontière qui séparait le duché de Bretagne de la France, il en marque la limite avec le Maine et la Normandie. Nous sommes aux marches de Bretagne, sur un site défensif, un point stratégique. On peut constater que ces points changent de qualificatif, ils sont devenus des points

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touristiques. Voici un sujet de réflexion sans fin, propres à ouvrir la porte à un flot de considérations. En arrivant à Fougères on est surpris par la hauteur et la puissance de ses fortifications en granit. Elles dominent la route. En un mot, elles dominent. C’est bel et bien une forteresse qui s’élève encore. Son histoire tourmentée est gravée dans ses pierres. Cette place-forte aux murs épais de 3,50m, édifiée entre le XIe et le XVe


Hilaire, Surienne… Du chemin de ronde on domine tout cet espace autrefois entouré d’eau. L’histoire tourmentée de ce haut lieu est le sujet de bien des livres. Les belligérants qui y sont mêlés portent des noms illustres : Philippe le Bel l’achète en 1307, Bertrand du Guesclin s’en empare en 1373, vendu à nouveau par Jean d’Alençon en 1428, François II de Bretagne, allié à Charles VII, l’assiège, le reconquiert, en 1488 le général français la Trémoille, reprend Fougères. Tout ceci accompagné de massacres, de retournements d’alliances, de modifications architecturales. Au XVIe, l’artillerie, toujours plus performante, enlève aux châteaux forts leur rôle défensif. Cette ville reste un enjeu pendant la Révolution, la Bretagne, en tant que province disparait avec ses privilèges. La porte à nouveau franchie, nous contemplons le moulin à eau. L’une des quatre roues, toujours en activité, après avoir produit de la farine, à raison de 100 kg par jour, produit de l’électricité pour le bâtiment d’accueil. a été enlevée, détruite, reconstruite, reprise, renforcée…Nous franchissons ses portes sans encombre. Attention, les meurtrières ne laissent pas d’angle mort, on pouvait atteindre les assaillants de toutes les directions. Piège : les ennemis qui se trouvaient bloqués dans l’avancée étaient massacrés sous un tir croisé. Apparemment facile à exécuter. Nous parcourons une vaste étendue de pans de murs écroulés, de pierres de taille en désordre, à l’écoute de notre guide qui leur redonne vie et les élève, à nouveau, dans notre imaginaire. Cependant, il y eut de tels remaniements que le mot « hypothèse » revient de temps à autre. Nous arpentons la basse-cour : ici la chapelle, là les lieux d’habitation, le logis seigneurial. Celui-ci ne laisse guère de doutes ; vu ce qu’il en reste, la belle et vaste cheminée, les fenêtres munies de bancs de pierres, eux aussi en granit. Dans cette salle on rendait la justice, on recevait. La vie officielle y a été intense. Nous arrivons au « réduit » dernier refuge, derrière la dernière enceinte. Là, fut édifié vers l’an mil, le premier château en bois. On y trouve deux donjons : les Gobelins et Mélusine ainsi que les fondations d’un troisième…Chaque tour porte un nom : tour Raoul, d’Amboise, de la Haie Saint

La ville haute, paroisse Saint Léonard, était le domaine des tanneries. Les maisons à colombages témoignent d’une richesse passée, au XIIIe en particulier. La ville

Page de gauche : Le château de Fougères, vu des jardins de la Ville Haute. (Photo Alain Silhol)

En haut : Deux tours d'enceinte du château. Ci-contre : Maison ancienne, dans la ville haute. Page suivante : Le groupe de l'APHRN, au pied des remparts du château. (Photos Dominique Sénéchal)

Course cycliste, en nocturne, sur le vélodrome du Plessis, à SaintNazaire, en 1961, avec Georges Groussard. (Collection Paul Correc)

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basse, paroisse Saint Sulpice, abritait les tisserands. Nous nous promenons dans ces rues caractéristiques, pensant à l’animation d’antan, vides à ce jour. Une promenade dans les jardins de la ville, parcours accidenté, nous conduit à un belvédère. La vue s’étend jusqu’à l’horizon. Oui, c’est bien un point stratégique d’où on pouvait voir venir l’ennemi, quel qu’il soit, selon le siècle. Fougères, célébrée ville championne pour la Bretagne, demande une longue étude qu’une simple promenade, ne peut, en un si bref moment, approfondir. Ceci n’est qu’un aperçu, lors d’une agréable sortie amicale de l’APHRN, qui offre toujours des visites riches en épisodes historiques, organisées par deux membres du conseil de direction : Nicole Bonnaud et Claude Lebreton. Nous les remercions.

Christiane Marchocki

Les frères Groussard et le sport cycliste à Fougères Lors de cette très intéressante visite de la grande cité bretonne, intégrée dans ce qu’au Moyen-âge on a appelé « Les Marches de Bretagne », puis de son imposant château et de ses imposantes fortifications, nous avons, grâce à nos excellents guides, fait plus ample connaissance avec les seigneurs et hauts personnages historiques, qui ont séjourné en ces lieux. Au cours de notre retour, en car, bien que cela sortait totalement du sujet, mais peut-être aussi par ce que je reconnais être un indéfectible passionné de cyclisme, j’ai souhaité rappeler que dans cette magnifique cité médiévale, deux « chevaliers » des temps modernes, y avaient été célèbres. En effet, en 1934, puis en 1937, deux frères, Joseph et Georges Groussard, nés à Janson, petit village près de Fougères, très jeunes passionnés par le sport cycliste, sont devenus professionnels au Vélo Club Fougerais et se sont, très vite, distingués sur le plan national et international. Si Joseph, l’aîné, s’est constitué un beau palmarès entre 1955 et 1966, à remporté notamment la grande classique italienne Milan-San Remo, une étape du Tour de France, le Tour du Midi-Libre, les 4 jours de Dunkerque, le Critérium national… son jeune frère Georges, surnommé « le coq de Fougères », peut-être à cause de sa petite taille, s’est, quant à lui, plus particulièrement distingué, au delà d’un beau palmarès, en disputant brillamment sept Tours de France et en prenant le maillot jaune en 1964, qu’il conserva durant neuf jours consécutivement. Les Nazairiens qui, régulièrement, fréquentaient le vélodrome du Plessis, dans les années 60, se souviendront, peut-être, des prestations du petit champion breton.

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Aujourd’hui maire de la petite commune de Princé, à une vingtaine de kms de Fougères, Georges demeure un personnage important dans la grande famille du cyclisme, et honore chaque année de sa présence, une grande épreuve cyclosportive qui bien entendu porte son nom : « La Georges Groussard ».

Paul Correc


SORTIES CULTURELLES

Le Croisic Petite Cité de Caractère Sortie, à la demi-journée, du vendredi 4 novembre 2016

Christiane Marchocki Qui, passant devant le manoir de Kervaudu, au Croisic, ne s’est pas posé la moindre question ? Il intrigue. On le sent lourd du poids des siècles révolus, on envisage l’épaisseur des murs, on doit s’y sentir un peu ailleurs, à l’écart des activités habituelles.

1ère étape

Kervaudu : Quand l'art rejoint l'histoire

L

e mystère reste entier. Les vieilles pierres grises, austères, aux ouvertures parcimonieuses, le font naître. Enfin, il est possible de le visiter… L’APHRN fomente une invasion et projette de l’investir. Une quarantaine d’adhérents, bien décidés à tout voir, tout entendre, en un mot, à l’explorer, se présentent. Odile et Joseph Burlot, propriétaires du domaine, nous accueillent avec la plus grande courtoisie. C’est maintenant une conférence qui nous capte tous, à leur écoute. Selon les toiles du peintre du Puigaudeau, résident, de 1907 à 1930, ce manoir était entouré de pierres sèches. Les marais sa-

lants faisaient partie intégrante du paysage. Il était isolé dans la nature sauvage de la presqu’île. La façade présente des fenêtres à meneaux, des chimères en guise de fausses gargouilles, une tour abrite un escalier en granit local, chose rare, chaque marche est monolithique. Son air spartiate n’a rien de rebutant, au contraire, on éprouve une attirance mêlée d’une sorte d’attachement. Les propriétaires, au fil des temps, en sontils tombés amoureux ? Deux grandes pièces en bas et deux autres en haut accueillent les visiteurs. C’est le schéma classique des manoirs bretons. Kervaudu est présenté comme prototype. Dans le guide Gallimard de Loire Atlantique, on traduit « Kervaudu » par « La maison de l’homme noir ». Connotation bien sombre pour un si bel endroit. Serait-ce la tenue sévère portée par les protestants qui en serait

Route et manoir de Kervaudu. (Ferdinand Loyen du Puigaudeau - Nantes 1864, Le Croisic 1930)

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En haut : Une partie du groupe de l'APHRN, dans l'escalier extérieur du manoir de Kervaudu. Ci-dessous : Les participants écoutent, avec beaucoup d'attention, la conférence de Joseph Burlot, dans le jardin du manoir. (Photos Odile Burlot)

la cause ? Ou la trace d’un personnage sinistre ? On situe sa naissance au moment de l’édification de Notre Dame de Pitié, soit à la fin du XVe siècle. Propriété de notables huguenots au XVIe siècle, le premier propriétaire identifié étant Aubin Leroy, négociant. Après lui apparaissent les Gentilhomme, dont René Gentilhomme de l’Épine, né en 1610, année de l’assassinat d’Henri IV. Devenu page de Gaston d’Orléans et poète apprécié, il prédit, à deux reprises, la naissance de Louis XIV, d’abord au travers d’un dauphin échoué au Croisic, et qu’il fait transporter à Blois, et la seconde prédiction est lancée à propos de la foudre, qui détruit la couronne royale et laisse intacte la couronne ducale. L’interprétation est facile : Gaston d’Orléans ne sera jamais roi. Kervaudu subit la Révolution. Il est vendu comme « Bien national » à Monsieur Le Breton du Pont Neuf. Au XIXe siècle, il n’est plus qu’une grosse ferme qui change de propriétaire périodiquement, mais dans la même famille. Les derniers locataires, la famille Chelet, à la suite d’un différend, abandonnent les lieux. Le manoir est vide et c’est alors qu’entre en scène Ferdinand Loyen du Puigaudeau. Né à Nantes, le 4 avril 1864, il est, après

le divorce de ses parents, pris en charge par son oncle, Henri de Châteaubriant, qui lui donne une éducation artistique. Ferdinand voyage. À 19 ans, il va en Italie, en Tunisie. À Pont-Aven, il connait Charles Laval et Gauguin. En 1890, ses toiles sont remarquées. Il épouse Henriette Van Den Broucke. Après quatre mois passés à Venise, en 1904, un cousin diamantaire exige le remboursement d’un prêt qu’ils lui avaient sollicité. Ils sont ruinés. Le couple s’installe à Kervaudu, en décembre 1907, moyennant un loyer modeste et un tableau. Ferdinand se consacre entièrement à la peinture. Il parcourt la région, choisit ses sujets, fait des esquisses, qu’il transforme en tableau dans son atelier. Il connaît de nombreux échecs (exposition à New York…). Son épouse dessine et grave l’ivoire à merveille, permettant ainsi au couple de survivre, dans des conditions précaires et inconfortables. Odette, la fille du couple, vit à Kervaudu jusqu’à 26 ans et cherche sa voie à Paris. À Douarnenez, en compagnie de son amie Marion Sénone, elle embarque sur un chalutier pour la Mauritanie qu’elles exploreront lors de plusieurs séjours. Ferdinand du Puigaudeau, l’« Ermite de Kervaudu » selon Degas, difficile à classer, laisse une œuvre personnelle de grande valeur artistique. Il sait peindre la lumière, transposer le quotidien dans un autre univers. Le manoir de Kervaudu lui doit d’en avoir révélé et traduit le charme, dans les nombreux tableaux qu’il lui a consacrés.

2ème étape

Le Croisic : À la découverte de la vieille ville et du port Quittons le manoir de Kervaudu, situé à l’écart de l’agglomération, pour nous promener au Croisic, en écoutant Laurent Delpire évoquer quelques traits importants de cette cité particulière. S’il ne nous disait pas que c’est là, place Dinan, où nous avons rendez-vous, l’emplacement d’un château fort du XIVe siècle, aux douves alimentées par la mer, nous n’y croirions

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pas. Les quelques maisons à colombages qui survivent encore témoignent d’une vie et d’un environnement bien éloignés du nôtre. Le Croisic en compte encore 14 avec leur mur pare-feu : rue du pilori, à l’angle de la rue des Salorges la maison baptisée « La Gabelouse » où résidaient les gabelous, rue Saint-Christophe, deux maisons datent de 1480. Elles possèdent, fréquemment, une tour d’escalier, les parties hautes sont en tuffeau, on habite au premier étage. Ce sont souvent des maisons d’armateurs. Cette colline, « Le Mont Esprit », n’a pas été élevée pour les touristes désireux de prendre des photos du paysage, vu d’en haut. Non, c’est un amoncellement, un enchevêtrement de pierres de provenances diverses dont on s’est débarrassé. Elles servaient de lest aux bateaux faisant escale pour embarquer leurs marchandises. Il en est de même du Mont Lénigo à l’autre extrémité du port. La commune est une ville franche, s’administrant elle-même, c’est une petite oligarchie qui a ses représentants aux États de Bretagne. Son église, Notre Dame de Pitié, est située de telle sorte que les marées à leur plus haut niveau ne puissent l’atteindre. De style gothique flamboyant, entièrement en granit, elle date de la fin du XVe siècle. Les travaux se sont prolongés de 1494 à 1530.

En octobre 1906. Elle connut bien des vicissitudes. Saccagée pendant la Révolution, elle servit de magasin d’artillerie, d’écurie… Le Croisic est avant tout un port. Son économie dépend de la mer. Le quai, long de 900 mètres, en pierres de taille, a toujours permis aux bâtiments de commerce, de pêche et désormais de plaisance de venir s’amarrer. Des îlots, ou « jonchères », délimitent des « chambres », tout en les protégeant des vents d’Est. Avant de nous quitter, nous admirons ce canon qui a servi à bord du vaisseau le « Soleil royal », détruit lors de la Bataille des Cardinaux, ce canon a été retrouvé grâce aux homards verts. Le voisinage du métal s’oxydant au fond de la mer avait modifié la couleur des carapaces, naturellement bleues.

Vue du port du Croisic.

(Photo Tanguy Sénéchal)

Maison Guillaume André (XVIe siècle), au Croisic. (Photo Roland Chevillard)

Notre promenade terminée, nous savons que nous avons encore beaucoup à découvrir et à raconter au sujet de cette ville au caractère presque insulaire. Nous projetons d’y revenir, à l’écoute de Laurent Delpire, pour apprendre des faits et connaître des hommes, imprégnés de cette originalité.

Christiane Marchocki

Les sorties culturelles APHRN de printemps 2017 »» »»

Dimanche 2 avril 2017

Sortie à la journée, en autocar - Sur les terres de Gilles de Rais : Tiffauges Vendredi 12 mai 2017 (après-midi) Sortie à la demi-journée - Visite des ADLA (Archives Départementales de Loire-Atlantique), à Nantes Retenez bien ces deux dates dans vos agendas Histoire & Patrimoine - n° 88 — janvier 2017

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A . P. H . R . N

Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne

Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - http://aphrn.fr - Tél. 06 62 58 17 40

Conseil de Direction de l’APHRN (après Assemblée Générale du 29 janvier 2016)

Présidente d’honneur Jacqueline Guériff Présidente Christiane Marchocki Vice-présidente Geneviève Terrien Trésorière Annick Montassier Secrétaire général (Responsable d’édition de la revue HISTOIRE & PATRIMOINE)

Tanguy Sénéchal Conseillère (Responsable des sorties) Nicole Bonnaud Conseiller Paul Correc Conseiller André Dubreuil Conseiller Claude Lebreton Conseiller Patrick Pauvert

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Adhérez à l’APHRN En adhérant à l’APHRN, vous pourrez participer à nos activités (sorties culturelles, et conférences, notamment), ainsi qu’à nos assemblées générales et aux réunions de présentation que nous organisons à l’occasion de la parution d’un nouveau numéro de notre revue. De plus, la cotisation d’adhésion (individuelle, ou couple) comprend un abonnement à notre revue HISTOIRE & PATRIMOINE (trois numéros par an - parution en janvier, avril et juillet) et vous permet de bénéficier d’un tarif préférentiel sur ses numéros hors-série, qui sortent à l’automne. Il est possible d’adhérer à tout moment de l’année. L’adhésion vaut pour l’année civile d’encaissement de la cotisation. Le renouvellement des cotisations s’effectue au cours du premier trimestre de chaque année. Les tarifs des cotisations, pour l’année 2017, sont les suivants :

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Revue HISTOIRE & PATRIMOINE Responsables de diffusion : pour Saint-Nazaire et sa région Geneviève Terrien Tél. 06 78 91 77 18 pour Guérande et sa région Christiane Marchocki Tél. 06 62 58 17 40

Remerciements aux photographes et collectionneurs qui nous ont fourni des illustrations. Merci, également, aux membres du Conseil de Direction de l’APHRN qui ont activement contribué à l’élaboration de ce numéro, réalisé de manière entièrement bénévole.

Les articles sont publiés sous l’entière responsabilité et propriété de leurs auteurs. La publication partielle, ou totale, des articles et illustrations parus dans HISTOIRE & PATRIMOINE est interdite.

Illustration : Le stand de l'APHRN, au Salon du Livre de Mesquer, le 31 juillet 2016..

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Vue sur les remparts du château de Fougères, et sur la ville haute Photo Alain Silhol


Impression Pixartprinting - Réalisation Tanguy Sénéchal (Nantes 1864, Le Croisic 1930)

HISTOIRE & PATRIMOINE n° 88 - janvier 2017 - 10 €

A.P.H.R.N - Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne Agora (boîte n° 4) - 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire Courriel : aphrn.asso@gmail.com - Site internet : http://aphrn.fr ISSN : 2116-8415

ISSN : 2116-8415

Manoir de Kervaudu et Bourg du Croisic, par Ferdinand Loyen du Puigaudeau


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