HISTOIRE & PATRIMOINE RÉGION
NAZAIRIENNE
PRESQU’ÎLE GUÉRANDAISE
L’histoire locale de la Région Nazairienne et de la Presqu’île Guérandaise
Renaître Chronique de l’après-guerre
à Saint-Nazaire 1945-1947
Les maires de Saint-Nazaire (3
e
Saint-Nazaire et le Ruban bleu
partie)
Armoiries municipales en Pays de Guérande
Un missionnaire briéron au pays des Tamouls
L’arrivée des seigneurs de Pont-Château à Quéren
Mesquer 1651, Tréambert-Beaulieu A.P. H.R.N - n° 96 - novembre 2019 - 14 €
Une rue de Saint-Nazaire, dans l’immédiat après-guerre. (Archives municipales de Saint-Nazaire)
APHRN 50 ans d’histoire locale
Éditorial
Il y a 50 ans, Fernand Guériff, entouré d’un petit groupe de passionnés, comme lui, d’histoire locale, fondait l’APHRN. Un demi-siècle plus tard, notre association est toujours là et continue de proposer, avec autant de passion, à ses adhérents, la plupart des activités mises en place, en 1969, par son fondateur : sorties culturelles, conférences et revue HISTOIRE & PATRIMOINE. L’APHRN est, sans doute, actuellement, la plus ancienne et la plus importante association d’histoire locale de la partie est de la presqu’île. Le 26 octobre, à l’Alvéole 12 de la base des sous-marins de Saint-Nazaire, pour marquer cet anniversaire, elle organisera, de 14 h à 19 h, deux conférences et un concert, par l’ensemble vocal Pays Blanc, Pays Noir, créé, en 1979, par Fernand Guériff et Patrick Pauvert. Le présent numéro d’HISTOIRE & PATRIMOINE, qui paraîtra le 26 octobre, comporte, exceptionnellement, plus de pages qu’habituellement. L’histoire d’une ville est étroitement liée à l’action menée par ses maires successifs. Avec l’article, en plusieurs parties, intitulé Les maires de Saint-Nazaire, nous suivons, numéro après numéro, l’évolution et les transformations, de la ville, au fil des années. Cette fois, il s’agit de la période 1884-1909. Les initiés n’ignorent pas que le Ruban bleu est autre chose qu’un centre commercial… C’est une récompense, décernée aux compagnies dont un paquebot s’est avéré être le plus rapide, lors de la traversée de l’Atlantique. L’histoire de ce prestigieux trophée est racontée, en détail, dans le présent numéro. Les armoiries des différentes cités, plus belles les unes que les autres, flattent la curiosité et le plaisir du regard. Elles permettent, aussi, d’aborder l’histoire locale sous un angle original et artistique. À partir des chartes de l’an mil, nous pouvons suivre l’arrivée et l’émergence de la famille de Pont-Château à Queren, paroisse originelle de la ville, ainsi que la naissance de cette région, sur le plan géographique et humain. La renaissance de Saint-Nazaire, après la Seconde Guerre mondiale, ne s’est pas faite sans difficulté. Sans les écrits, on oublierait, facilement, l’ampleur des dégâts humains et matériels. C’est l’époque de la reconstruction. Ce texte, exhaustif et très bien documenté, nous dépeint comment revient la vie, en tout domaine, dans la ville. Dans l’article suivant, nous découvrons l’action d’un missionnaire briéron en Inde, avec, en extraits, des lignes captivantes, écrites par un homme aventureux, entièrement voué à sa foi. À Mesquer, au milieu du XVIIe siècle, nous pouvons suivre, à partir de plusieurs actes notariés, le rattachement impossible Tréambert-Beaulieu. Plus à l’est, sur la côte, l’histoire du quartier de Sainte Marguerite, à Pornichet, nous est contée, à travers ses villas et ses personnages connus. La science n’est pas absente de notre revue. L’article qui traite de la paléogéographie est d’un niveau propre à enrichir nos connaissances. Le ton est pédagogique et à la portée de tous. Enfin, le fondateur de notre association, Fernand Guériff, est mis à l’honneur dans le texte intitulé L’Étoile de Nantes. Il nous transporte dans un monde ésotérique et insoupçonné. Christiane Marchocki 1ère page de couverture : Première réunion municipale, à Saint-Nazaire, après la Libération, dans les ruines de l’Hötel de Ville. (Archives municipales de Saint-Nazaire).
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A . P. H . R . N
Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne
Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - https://aphrn-asso.fr - Tél. 06 07 11 21 88
HISTOIRE & PATRIMOINE n° 96 - novembre 2019 ÉEditeur : A.P.H.R.N Directrice de la publication : Geneviève Terrien Maquette/Coordination : Tanguy Sénéchal Mise en page : Déborah Martin et Tanguy Sénéchal Impression : Khilim Dépôt légal : 4ème trimestre 2019 N° ISSN : 2116-8415 Revue consultable aux Archives de Loire-Atlantique sous la cote Per 145
Contribuez à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Vous vous intéressez à l’histoire, et, en particulier, à l’histoire de notre région ? Vous souhaitez apporter votre témoignage sur une époque, aujourd’hui révolue ? Vous possédez des documents, ou objets, anciens (écrits, photos, dessins, peintures, tableaux, sculptures, objets divers), qui pourraient faire l’objet d’une publication ? Vous aimez écrire, raconter, transmettre, ce qui vous intéresse, ou vous tient à coeur, et qui a trait à l’histoire locale ? L’APHRN vous propose de publier vos écrits, ou documents, ou de transcrire vos témoignages, dans la revue HISTOIRE & PATRIMOINE. Téléphonez-nous, au 06 62 58 17 40, ou écrivez-nous, à l’adresse ci-dessous, ou, tout simplement, adressez-nous, directement, votre texte, sous forme numérique. Vos propositions seront examinées avec la plus grande attention et soumises au conseil de direction de l’APHRN, qui vous répondra dans un délai d’un mois, maximum. Adresse électronique : aphrn.asso@gmail.com - Adresse postale : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire
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novembre 2019
SOMMAIRE HISTOIRE & PATRIMOINE n° 96 — novembre 2019
01
Éditorial
Christiane Marchocki
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Les maires de Saint-Nazaire - Troisième partie 1884 -1909
12
Saint-Nazaire et le Ruban bleu
28
Patrick Pauvert
Benoît Bonnaffé
Armoiries municipales en Pays de Guérande Des Ducs à nos jours Loup
42 P. 112
L’arrivée de la famille de Pont-Château à Quéren dans les chartes de l’an mil Claude Thoméré
57
Renaître - Chronique de l’après-guerre à Saint-Nazaire - 1945-1947 Daniel Sauvaget
Un missionnaire briéron au pays des Tamouls 92
L’apogée et le déclin de la “mystique missionnaire“ durant la seconde moitié du XXe siècle Marcel Belliot
P. 122
106
Mesquer 1651, Tréambert-Beaulieu ou le rattachement impossible… Jocelyne Le Borgne
112
Et si je vous contais Pornichet et, plus particulièrement, Sainte-Marguerite ? Anne Robion-Griveaud
P. 138
122
Paléogéographie et Paléo-environnement de la région nazairienne
Les temps très anciens : Protérozoïque, Paléozoïque - (2e partie) Christian Comte
P. 150
138
L’Étoile de Nantes
150
Journal d’un aumônier breton - 1850 - 26e partie
Michel Barbot
Christiane Marchocki
ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI 152 152 - Pêcheries et rêveries de la presqu’île et de l’estuaire - Christiane Marchocki À LIVRE OUVERT 154 - Rethondes - Le wagon de l’Armistice - 1918-1940 (Guillaume Berteloot - Patrick Deschamps) - Christiane Marchocki 154 155 - Pont-Château - Les travailleurs du Calvaire - 1888-1939 (André Martin) - Christiane Marchocki
156 - Et Tati créa Monsieur Hulot (Jean-Claude Chemin) - Daniel Sauvaget SORTIES CULTURELLES 158 158 - Laval, ville d’Art et d’Histoire - Christiane Marchocki 160 L’ASSOCIATION
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Les maires de Saint-Nazaire Troisième partie 1884 -1909
Patrick Pauvert Nous reprenons l’histoire des maires de Saint-Nazaire. Dans le chapitre précédent, nous avons terminé avec l’élection de Fernand Gasnier, le 14 septembre 1884, à l’âge de 31 ans. Ci-dessus Lors de l’inauguration de la nouvelle entrée du port de Saint-Nazaire, le 23 septembre 1907, la calèche des trois ministres, devant la gare, avec le maire de l’époque. De face, à gauche, Aristide Briand, ministre de l’Instruction Publique, à droite, de face, Baptiste Auguste Lechat, maire de Saint-Nazaire.
Fernand Gasnier, vu par Henri Moret
20 - Gasnier Fernand
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14 octobre 1884 - 17 mai 1896
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ernand Gasnier est né à Cyr-enBourg, dans le Maine-et- Loire, le 5 juillet 1853. À Saint-Nazaire, il tient un commerce de bois, rue de Paris, qui deviendra rue Fernand Gasnier, après sa mort.
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Son secrétaire de mairie, Henri Moret, le décrit ainsi : « D’une vive intelligence, d’un jugement fin et sûr, d’une parfaite urbanité, d’un désintéressement personnel à toute épreuve, d’une irréprochable droiture, d’une grande élévation de pensée, d’une extrême délicatesse, particulièrement dévoué aux humbles, perspicace, résolu, il devint, rapidement, et resta un administrateur remarquable. Servi par d’avantageux dons extérieurs : de haute et irréprochable stature, l’air distingué, l’abord sympathique, fervent des sports, le tempérament enjoué, familier, le geste toujours réconfortant, indulgent, il faisait rayonner autour de lui une gaité communicative de bon aloi et une véritable atmosphère de confiance. »
Une garnison, un Jardin des Plantes et un temple protestant Le 5 mars 1886, M. Fernand Gasnier obtient une garnison pour Saint-Nazaire, avec le 64e régiment d’infanterie. En cette année 1886, notre maire est élu « conseiller général ». Suite à un échange de terrain entre la ville et Prince de Béarn, propriétaire à Saint-Nazaire, il passe un traité avec M. Aubry pour la confection d’un jardin public. Celui-ci, appelé, de nos jours, « Jardin des Plantes », est ouvert à la population, le 26 juin 1887. Un temple protestant ouvre en 1888, rue de Cran (actuellement Jean Jaurès).
Aristide Briand entre au conseil municipal
Ci-dessus Le Jardin des Plantes de Saint-Nazaire, ouvert le 26 juin 1887.
Aux élections du 6 mai 1888, à l’issue desquelles M. Gasnier est réélu, entre, au conseil municipal, Aristide Briand. Son père tient un café-chantant, rue de Saillé, le « Café des sports », après avoir tenu un autre café-chantant à l’angle de la rue Saillé et de la rue Villès Martin, le « Café de France ». Il y aura bien quelques polémiques avec le maire et sa majorité, mais Aristide sent, peu à peu, grandir en lui la curiosité et la passion de la chose publique, dans ce qu’elle a de sèchement utilitaire et administratif. L’amour de la cité faisait passer, chez ce futur théoricien de la révolution, les intérêts locaux avant ceux des partis. Malgré les tentations du maire pour le faire revenir sur sa détermination, Aristide Briand démissionne le 22 février 1889.
Ci-contre Aristide Briand, jeune.
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Saint-Nazaire et le
Ruban bleu Benoît Bonnaffé
Qu’est-ce que le Ruban bleu ? Le Ruban bleu, contrairement à ce que l’on pense à Saint-Nazaire, n’est pas seulement un centre commercial. Les campagnes de communication confiées à des sociétés privées pour le lancement de ce centre n’ont malheureusement pas amélioré ce constat en gommant le souvenir du Ruban bleu, cette merveilleuse épopée des paquebots de luxe. Le bâtiment a commencé sa carrière, orné d’un ruban rouge, puis jaune. Il fallait oser.
Ci-dessous Le Sirius mit 18 jours pour relier Cork à New York en 1838, mais, pour terminer son périple, sans hisser ses voiles, il fit, au sens propre du terme, feu de tout bois, l’équipage devant brûler gréement et meubles sous la menace armée d’un pistolet du capitaine. (Collection French lines)
C
’est dans la revue maritime on ne peut plus british : The North Briton que seraient apparues en 1878 les deux expressions Ruban bleu (blue ribbon, plus rarement orthographié blue riband) et lévrier de l’atlantique (Atlantic greyhound), désignant toutes deux, le paquebot le plus rapide sur l’Atlantique Nord. En réalité, cette course de vitesse informelle suscitait, depuis cinquante ans, des enthousiasmes inouïs, parce qu’inédits. Depuis Chistophe Colomb, la durée de la traversée comptait peu, car elle dépendait du vent et atteignait un mois pour des navires lents.
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La machine à vapeur fit espérer un temps de traversée moins aléatoire et plus court, mais ce deuxième vœu fut pendant quelque temps un vœu pieux. La presse voulut donner un éclairage prestigieux à cette course. Pour cela, on décerna des Rubans bleus rétrospectifs, en particulier pour la compétition palpitante du 22 avril 1838 entre le Sirius et le Great Western. Ces deux paquebots anglais avaient inauguré les traversées à la vapeur. Certes, le Savannah, en 1819 avait utilisé la force de roues à aubes mues par la vapeur, mais en appoint occasionnel. La population de New York s’était passionnée pour l’arrivée à quatre heures d’intervalle des deux premiers paquebots venus d’Europe sans hisser leurs voiles. La presse avait préparé et amplifié l’événement, mais nul ne parla de Ruban bleu pour la bonne raison qu’il n’existait pas ! Quand Ruban bleu il y eut, ce fut toujours sans règlements précis ni jury, de sorte que l’on ne peut dresser aucun palmarès fiable de ce record d’une traversée de l’Atlantique reliant l’Europe (la France, l’Angleterre, ou d’autres pays) et l’Amérique. La route et le lieu de départ ou d’arrivée étaient libres, mais ce fut petit à petit le bateau phare d’Ambrose à l’entrée du port de New York qui compta du côté ouest et, du côté est, la pointe extrême des Cornouailles en Grande-Bretagne. C’était la vitesse qui comptait. Le Ruban bleu était attribué non à une nation, mais une compagnie maritime régulière devant transporter des passagers sur l’Atlantique nord.
Ci-contre Le trophée Hales est une espèce de coupe du monde. Au dessus de Neptune, le monde, surmonté des divinités puissance et vitesse, qui se disputent la victoire. Lorsque les Américains remportèrent le Ruban bleu, après la guerre, avec le US States, la statue avait disparu. On pensa qu’elle avait péri dans l’incendie du Normandie, à NewYork, en 1942, mais elle fut retrouvée par un détective privé, dans l’atelier d’un forgeron. Par la suite, les Américains durent le céder à trois paquebots catamarans, américain, espagnol, puis danois. (Dessin Benoît Bonnaffé)
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Armoiries de Saint-Nazaire, Illustrations de Xavier d’Andeville, héraldiste-armoriste (http://www.heraldiste.org)
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Armoiries municipales en Pays de Guérande Des Ducs à nos jours Loup1 Fait exceptionnel sur le territoire français, à l’exception de Trignac, toutes les communes de la Presqu’île ont des armoiries. Certaines sont très anciennes, d’autres n’ont que quelques décennies, leur histoire est souvent méconnue des habitants, et plusieurs de ces compositions comportent des fautes héraldiques. Panorama, histoire, rappel des règles, et critique de nos emblèmes communaux.
A
vant la Révolution française, les villes, paroisses et juridictions, avaient le droit de choisir leurs armoiries seules. Souvent, cellesci étaient celles de leur seigneur principal, au nom de qui la justice était rendue. Dans certains cas, ces armoiries étaient une concession du souverain, ou se trouvaient augmentées d’éléments concédés par lui : mouchetures d’hermine, fleurs de lys, salamandre, croissants, etc. Dans le cadre de la politique visant à abolir tous les signes de la féodalité, l’Assemblée Constituante interdit l’usage des armoiries par le décret du 23 juin 1790. À la suite des décrets des 27 septembre et 6 octobre 1791, et de ceux des 1er août et 14 septembre 1793, il s’en suivit une destruction des armoiries à travers tout le territoire. Les villes de Guérande, du Croisic, et de Saint-Nazaire, s’y plièrent. Dans cette dernière, outre la destruction du sceau du Conseil de fabrique et des empreintes appendues aux chartes, on poussa le zèle jusqu’à couper les angons des grilles du château de Marsaint sous prétexte qu’ils avaient une forme proche des lys. Les deux autres villes furent moins catégoriques dans ce massacre, sauvant des éléments que la Loi pouvait considérer comme patrimoniaux, sauvegardant leur mémoire, alors que Saint-Nazaire perdit totalement la connaissance de ses armoiries, et dut attendre le Second Empire pour en posséder à nouveau. 1
L’usage des armoiries municipales fut rétabli, pour certaines villes de l’Empire, par décret du 17 mai 1809. En Loire-Inférieure, cela ne concerna que Nantes, dont on modifia à peine les armes anciennes et auxquelles on ajouta le chef des bonnes villes, et Paimbœuf, créée sous-préfecture, qui obtint une concession constituée par le Conseil du Sceau, comportant le franc quartier senestre des villes de troisième classe. Les écus municipaux, concédés par l’Empereur, étaient accompagnés, outre des éléments particuliers, d’une couronne murale, et de deux festons noués de feuillages de chênes et d’olivier, formant lambrequins, dont les émaux variaient en fonction du rang de la ville2. 2 - Le sujet est trop vaste pour être ici plus expliqué.
Armoiries de Nantes, durant le Premier Empire. (Revue de Bretagne et de
1 - Loup est l’auteur du blog Chroniques de Saint-Nazaire, consacré à l’histoire nazairienne : saint-nazaire.hautetfort. com.
Vendée, numéro de janvier 1870).
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L’arrivée de la famille de Pont-Château à Quéren dans les chartes de l’an mil Claude Thoméré Pontchâteau est une très ancienne paroisse du pays nantais, qui existait déjà aux temps de la fin de l’Empire romain. Les restes d’une villa gallo-romaine, par exemple, ont été trouvés à Brignan, sur la route de Besné. Le filon de galène de Crossac était déjà exploité sous l’Empire romain. 42
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V
ers l’an mil, Pontchâteau est mentionnée par de nombreux textes. Pour l’essentiel, ce sont des chartes de l’abbaye de Marmoutier (le fameux majus monasterium, le grand monastère de Tours), quelques autres chartes de l’abbaye Saint Cyprien de Poitiers ainsi que des titres d’abbayes angevines et bretonnes (abbaye Saint-Sauveur de Redon). En plus de ces chartes, divers autres textes conservés explicitent et détaillent les contacts entre les abbayes, l’évêché de Nantes et les autorités locales, car Pontchâteau est une des grandes seigneuries du comté de Nantes. Les documents nous fournissent également le détail des hommes à l’origine des dons et leurs motivations. Par le moyen de ses chartes, au-delà de Pontchâteau, on peut entrevoir les habitants du bas-Brivet et de ses îles dans la Brière, de la trouée du Sillon de Bretagne avec le marais du haut-Brivet et des modes de vie de leurs habitants vers l’an mil. Le destin de la famille de Pontchâteau peut s’observer sur son domaine, ses terres, les paroisses qui en dépendent, ainsi que celui des familles voisines de Donges et de la Roche Bernard. Un peu après l’an mil Pontchâteau avait déjà gagné son nom actuel en édifiant un pont sur la rivière du Brivet 1, puis plus tard en
bâtissant le château dont on ne connait plus rien aujourd’hui. La paroisse originelle de Pontchâteau s’appelait Queren et était située en contrebas du bourg actuel sur la rivière. Le nom Quéren est certainement issu d’une déformation de Les Gereint, la cour de Gereint devenu aujourd’hui par déformation les crins. Gereint était un général romain, originaire de l’île de Bretagne chargé de la surveillance des côtes le long de la Manche et de la Mer du Nord. Mort en Espagne en 411 après avoir opté le mauvais candidat au poste impérial, Gereint a dû avoir une résidence de fonction sur le sillon de Bretagne. La femme de ce général romain était chrétienne et ses nombreux enfants le seront aussi2. Plus tard, ils s’enracineront localement laissant leurs noms dans le territoire de la presqu’île sur l’Estuaire ; le plus connu étant un saint Cado ancien patron de Sainte-Reine de Bretagne. Le pont de Quéren construit aux alentours du XIe siècle sur le Brivet sera un des premiers ponts de charpente construits en Bretagne avec celui de Méan, une île de Loire aujourd’hui incluse dans le périmètre de l’agglomération de Saint-Nazaire.
1 - Le Brivet peut être considéré au moins à cette époque comme un fleuve.
2 - Dont un grand nombre d’ecclésiastiques.
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Ci-dessus Coteau des Crins (ancien Queren), au bord du Brivet.
58 Une population sans territoire 58 Un souffle d’air frais, malgré tout 59 État des lieux 60 Le déblaiement 63 Le déminage 64 Les prisonniers allemands 66 Liquider les années noires 67 De Blancho à Toscer, et de Toscer à Blancho, 1941-1945 68 Le port 69 Le relèvement industriel 72 Précarité de la vie quotidienne 73 Nouvelle administration locale 74 Saint-Nazaire - Côte d’Amour 76 Débats politiques : le cas Blancho 77 Fêtes et célébrations 78 Le retour des loisirs et du sport 80 L’enfance, les écoles 82 Prélude à la reconstruction : le grand projet urbain 84 L’ère du provisoire 86 Pour le retour de Saint-Nazaire à la vie : 1947, année décisive 58
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Renaître
Chronique de l’après-guerre à Saint-Nazaire - 1945-1947 Daniel Sauvaget
Page de gauche, et page précédente Première réunion municipale, à Saint-Nazaire, après la Libération, dans les ruines de l’Hötel de Ville. (Archives municipales de Saint-Nazaire)
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Saint-Nazaire a connu, subi, une histoire singulière. Libérée enfin de la guerre, mais pas des effets de la guerre, la ville martyrisée, bombardée, a-t-elle un avenir ? Et quel avenir ? Le tableau est sombre en ce printemps 1945 : tous les habitants dispersés, l’habitat détruit, l’économie au point mort, le cadre de vie anéanti. Comment se déroula le retour à la vie dans l’immédiat après-guerre ?
Une population sans territoire
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i les grandes dates de la renaissance de Saint-Nazaire sont connues, et parfois héroïsées telle la longue marche de la reconstruction, il faut dépasser le rythme des chantiers, des poses de première pierre et des inaugurations sans sous-estimer leur portée symbolique. Ne faut-il pas aujourd’hui tenter de reconstituer l’ambiance de l’époque, les dures réalités de terrain, jusque dans les faits oubliés et les situations jugées mineures par la grande Histoire ? Saint-Nazaire
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ne veut pas mourir, déclare le maire devant les représentants du Gouvernement le 28 août 1945. Les années 1945-1946-1947 sont celles de la reconstitution de la société locale et des grands débats sur le devenir de la ville, de la relance par le provisoire, de la reconstitution d’une collectivité. La presse locale, relais immédiat des préoccupations des habitants, reflète l’esprit du temps, car elle se fait l’écho d’initiatives de toute sorte, civiques, sociales, économiques, culturelles (et même sportives) qui ont contribué à tisser le lien social. Ainsi peut-on dresser la chronique des vicissitudes de l’histoire réelle à l’époque du nouveau
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départ de toute une cité - sous condition de confrontation avec d’autres sources.
Un souffle d’air frais, malgré tout
Depuis l’été 1944, la France revit, bien que les armées allemandes détiennent quelques places fortes jusqu’au printemps 1945, dont la forteresse de Saint-Nazaire1 dont la libération n’interviendra qu’après 1 - Voir plus particulièrement les ouvrages de Daniel Sicard, dont La Poche de Saint-Nazaire. Editions Siloë, 2005 – ouvrage synthétisant avec finesse les témoignages recueillis depuis les années 1980 et les archives disponibles.
la capitulation allemande, le 11 mai. C’est la « dernière ville européenne libérée de l’occupant nazi »2, une distinction dont on se serait bien passé qui est aussi un fait négligé par bien des historiens ; car l’histoire des poches est peu connue en dehors des régions restées prisonnières. Comme l’a noté Daniel Sicard, la tendance générale a été de considérer que cet épisode n’était qu’un détail des opérations militaires, un délai supplémentaire d’occupation militaire. Les habitants, les empochés, ou plutôt les oubliés, les délaissés selon un mot d’historien qui sonne juste, étaient 20 % de la population départementale (et il faut ajouter quelques Morbihannais). Privés d’information sur le déroulement de la guerre, sauf par des voies clandestines, absorbés par les problèmes de sécurité et de survie, que savaient-ils de la vie qui avait repris dans les zones libérées ? de la vie politique du pays, de l’avance militaire, du sort des prisonniers ? La nouvelle presse française ne parvenait évidemment pas jusqu’ici. Les journaux locaux ne paraissaient plus dans la Poche, les échanges avec Nantes étaient limités. Certes, les nouveaux quotidiens édités à Nantes et à Rennes, bien que minces et souffrant de restrictions de papier ne négligent pas le sort des réfugiés et des empochés, toutefois les rares fugitifs ayant réussi à passer en zone libre ne manquaient pas d’être surpris par ce qu’ils prenaient pour l’insouciance des zones libérées. Les quotidiens nantais permettent d’illustrer le retour paradoxal à la vie dans le département en ce printemps 1945 : La Résistance de l’Ouest (éditée depuis le 17 août 1944), Le Populaire de l’Ouest (24 mars 1945)3, L’Avenir de l’Ouest, 2 - L a r e dd it ion of fic iel le des P o ches de Dunkerque et de Lorient a lieu le 10 mai. Si la capitulation a pris place à Cordemais le 8, l’acte officiel de la reddition se déroule le 11 à Bouvron (au grand dam des habitants de Cordemais), village frontière largement détruit dont l’hippodrome a reçu le cérémonial. Le 11 mai est commémoré à Saint-Nazaire dans des contextes divers - se souvenir du lancement du paquebot France en 1960. Un autre acte de reddition a lieu, le 15 mai, à La Sicaudais, au sud de l’estuaire, alors que les Forces françaises étaient déjà dans Pornic – selon Dominique Bloyet : Saint-Nazaire – La Poche (Éditions CMD, 1998, page 113). 3 - Le Populaire de l’Ouest deviendra en 1956 L’ Éclair, et la Résistance de l’Ouest en décembre 1960 Presse-Océan.
(15 mars 1945, quotidien de droite4 qui disparaîtra en 1949), auxquels se joint Ouest-France, publié à Rennes depuis le 7 août 1944, à Nantes depuis le 15 août. Ces quotidiens qui ont pris la succession des titres publiés sous l’Occupation publient de nombreux articles consacrés aux spectacles, aux concerts, aux fêtes, autant qu’aux commémorations, aux actions de solidarité au profit des victimes de la guerre et au retour des prisonniers de guerre (comme à Couëron dès avril, grande fête au stade des Ardillets). Tout cela relève d’un univers qui semble encore lointain aux sinistrés et réfugiés nazairiens. La région revit, les compétitions sportives ont pris leur essor, même les courses hippiques, sans oublier le sport cycliste, très populaire, où s’illustre notamment le champion nazairien Éloi Tassin. Un monde auquel ne participent pas les empochés, dont le nombre est élevé : 122 465 personnes dans cet hiver 19455, parmi lesquelles de nombreux sans-emploi. Inutile de faire un gros effort d’imagination pour évoquer les préoccupations des nouveaux libérés. Priorités : revenir dans les décombres de la ville, retrouver la famille, les amis, se déplacer aussi librement que possible, danser, faire la fête – malgré les restrictions qui subsistent.
État des lieux
Il existe de nombreux documents et témoignages sur l’état de la ville en 1945. Un film conservé à l’Institut national audiovisuel la décrit en mai6 ; tourné immédiatement après la reddition par les troupes américaines 4 - L’Avenir de l’Ouest a été fondé par un dirigeant régional de la résistance, le Colonel Félix, de son vrai nom Jacques Chombart de Lauwe, qui a participé à la libération de Nantes. Député conservateur à la Constituante en 1945, élu à la Chambre en 1946, battu en 1951, il sera maire d’Herbignac jusqu’en 1963. 5 - Chiffre retenu par les historiens Janine et Yves Pilven Le Sevellec dans leur livre Les Délaissés de la Libération (Ouest Éditions et Université Inter-Âges de Nantes, 1995). C’est le nombre de cartes d’alimentation en date du 31 janvier 1945. 6 - Référence : AFE 86003095. Un autre document utilise une partie de ces plans, ajoutant une séquence montrant une longue colonne de prisonniers allemands traversant les ruines : référence INA AFE 98000030, séquences des Actualités cinématographiques diffusées à partir du 18 mai dans les salles de cinéma du pays.
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Page de gauche La Libération, à la Mairie de Batz : le Commandant Louis, entouré par les résisants, dont J. Édouard, M. Longépée et le Dr Monville. (Archives Alain Édouard)
(les seules figures humaines visibles sont des GI’s), il montre l’entassement des ruines, les rues défoncées, les fortifications allemandes, verrues urbaines parfois peintes en trompel’œil, les chevaux de frise sur la plage, les dents de dragon encerclant la base des sous-marins. Les rues de la ville sont envahies par les débris et la végétation. Un reportage paru le lundi 14 mai dans Ouest-France sous le titre Saint-Nazaire et La Baule ont fêté leur libération montre bien que la joie de la Libération est tempérée par la tristesse des constats : « De Bouvron à Savenay, partout on accueille à grands cris les soldats américains et français ». Mais tristesse à Saint-Nazaire devant « ses rues désertes où l’herbe pousse drue en bordure des trottoirs, ses maisons sans toit, béantes, vidées, ses chantiers navals où pointent les canons de la DCA ! Est-ce bien là cette avenue de Penhoët, si animée jadis, à la sortie des chantiers ? […]. Continuons notre randonnée… Toutes les rues se ressemblent, on les reconnaît à peine […]. À Pornichet, de nouveau l’air de grande fête en tricolore. Les acclamations recommencent, la joie de la Libération éclate. » Ambiance contrastée. C’est après la levée de l’état de siège, le 19, et la remise des pouvoirs aux autorités civiles que les habitants sont autorisés à pénétrer dans la ville. Les photos prises en ces tristes journées montrent des silhouettes fantomatiques errant dans les décombres. La réinstallation reste un rêve, car aux ruines s’ajoutent les risques d’affaissement des murs encore debout, les difficultés de circulation même pour les cyclistes, l’absence de tout service, les réseaux détruits – les mines allemandes, les bombes non explosées. Des quartiers entiers n’existent plus… Quelle est l’importance des destructions ? Selon l’estimation habituelle, la ville est rasée à 85 %, mais la proportion varie selon la nature des bâtiments : sur 12 300 logements,
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Un missionnaire briéron au pays des Tamouls L’apogée et le déclin de la “mystique missionnaire“ durant la seconde moitié du XXe siècle Marcel Belliot
Ci-dessus Accueil populaire d’Auguste Mahé à Allikondapattu, 1972. (Photo Marcel Belliot)
Page de droite Première page d’une des lettres circulaires d’Auguste Mahé, de 1952. (Collection Marcel Belliot)
« Le 1er novembre 1948, après avoir, la veille, bouclé ma 26e année, je partais en mission, le cœur bien gros, mais heureux pour dix ans et demi. C’était l’époque héroïque : voyage de plus de trois semaines à fond de cale après une attente interminable au port, coup de pompe à Djibouti où sous plus de 40 ° à l’ombre, sans ventilateur ni climatisation, je me suis demandé si cela valait bien la peine de m’enfoncer plus à l’est, arrêt du navire à un ou deux kilomètres au large de Pondichéry pour descendre avec nos malles dans de vieilles barcasses cousues à la corde, ballet avec les vagues pour l’accostage au pied de la vieille passerelle de fer. Par contre, je me rappellerai toujours mon premier regard d’amour sur la féérie dorée et verte du rivage, point zéro de ce pays où j’allais faire ma vie ».
C
’est ainsi que, 36 ans plus tard, en 1986, mon oncle Auguste Mahé décrivait son voyage vers Pondichéry, “comptoir français des Indes“ et son arrivée au pays des Tamouls où les Missions Étrangères de Paris (MEP) l’avaient envoyé pour répandre la parole de Dieu.
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Des prêtres et des missionnaires, la Brière et la presqu’île guérandaise en ont produit des dizaines tout au long du XIXe siècle et du premier XXe siècle. Notre petite région était alors profondément catholique et bien des familles vivaient comme une grâce et un honneur que l’un de leurs rejetons devienne “soldat de Dieu“.
Attachement viscéral à la foi chrétienne, soif d’évangélisation et attrait pour les contrées lointaines faisaient alors bon ménage. De nombreux jeunes gens de notre pays ont tout abandonné et sont partis prêcher la bonne nouvelle auprès de peuples à convertir. L’esprit missionnaire - la “mystique missionnaire“ écrivait mon oncle dans une de ses lettres - était alors à son zénith. Il a subi de nombreux assauts durant la seconde moitié du XXe siècle, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur et il a aujourd’hui presque disparu dans une société de plus en plus déchristianisée et sécularisée. Décrire ce moment de bascule idéologique et religieuse au travers des écrits de ceux qui l’ont vécu aux premières loges, à savoir les missionnaires eux-mêmes, est l’objectif de cet article.
Un demi-siècle de correspondance
J’ai disposé pour cela d’une source exceptionnelle : les lettres circulaires que mon oncle a adressées de 1950 à 1997 à sa famille, à ses proches et à ses bienfaiteurs (près de 500 correspondants à la fin de sa vie) pour leur raconter sa vie de missionnaire, partager ses difficultés et les associer à ses projets. Durant près d’un demi-siècle, Auguste Mahé a écrit plus de 70 lettres circulaires qui donnent une information de première main sur ses pratiques missionnaires et la “réception“ de son message tant auprès des Indiens qu’il venait évangéliser qu’auprès de ses compatriotes à qui il rendait compte de son action. Ce recueil de lettres rassemble en outre de nombreuses informations sur la vie politique et sociale de l’Inde et ses transformations économiques ; il fourmille d’anecdotes parfois savoureuses sur les mœurs et les coutumes des populations locales ; il décrit sans concession ses difficultés de pasteur et ses combats d’évangélisateur ; il raconte par le menu les grands évènements de la vie religieuse et sociale de ses ouailles : mariages, enterrements, fêtes locales… J’espère pouvoir publier prochainement cette correspondance, mais je veux ici en proposer une première lecture en la centrant
sur les transformations de l’esprit missionnaire durant la seconde moitié du dernier siècle. Mon oncle est sans doute, à cet égard, un cas d’école.
Un enfant de Brière attiré par les missions
Auguste Mahé est né en 1922 dans une famille très chrétienne de La Chapelle-des-Marais, en Brière. Sur les dix enfants restés vivants de la famille Mahé, deux garçons sont devenus prêtres et missionnaires et une fille est devenue religieuse. Auguste a grandi dans un milieu familial de paysans-ouvriers où la religion catholique était au centre de la vie familiale et sociale. Se sentant appelé par Dieu, il rentra à 10 ans au petit séminaire de Guérande, institution à l’époque florissante1, qui accueillait les enfants se destinant à la prêtrise. 1 - Le petit séminaire de Guérande comptait près de 200 pensionnaires, en 1932, lorsque Auguste y entra. Il a fermé ses portes, en 1966, après une chute brutale du recrutement.
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Mesquer 1651, Tréambert-Beaulieu
ou le rattachement impossible… Jocelyne Le Borgne
Le 10 juin 16471, Messire René de Sesmaisons (1621 - ✞ entre 1672 et 1674), Conseiller du Roy, Seigneur de Tréambert, Trevally, Kerhuel, Villauchapt, Villeneuve, Kerdours épouse en l’église Saint-Vincent de Nantes demoiselle Françoise Juchault des Blottereaux (1630-1725), fille de Christophe Juchault des Blottereaux, « conseiller du Roy en sa cour et Chambre des comptes de Bretagne » et d’Anne Goullet. 1
1 - GG 400 - Registre des Mariages et décès Archives municipales de Nantes
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R
ené de Sesmaisons, né à Mesquer est le fils de François de Sesmaisons 1 et de Renée de Kermeno de Lauvergnac. Le jeune couple dont la résidence principale se trouve à Nantes, paroisse Saint-Vincent, se retrouve très souvent à Mesquer : c’est à Notre-Dame-la-Blanche que sont baptisés au moins deux de leurs enfants.
Toujours plus… À quelque temps de là, noble et discret, Marc Spadine (1618- ?), prêtre de son état, met en vente le fief de Beaulieu situé en face du manoir de Tréambert, de l’autre côté de l’étier du Conguy. Depuis le décès de sa mère Françoise de Roussillon en 1641, Marc Spadine fait suivre son nom du titre de « Seigneur de Beaulieu ». 1 - Archives municipales de Nantes - GG. 400 « Procession à St-Similien pour l’enterrement de Mre François de Sesmaisons, Sgr de Treambert, etc., décédé en son logis, vis à vis de Toute Joye, en ceste parse »
Les familles de S e s m a i s o n s e t Spadine se connaissent bien, puisqu’ils se retrouvent régulièrement lors de baptêmes, mariages… Aussi faut-il parler de « hasard » lorsque Christophe Juchault des Blottereaux (1591-1661), père de Françoise Juchault-Sesmaisons, décide d’acquérir Beaulieu ? Ou faut-il y voir une « suggestion » de son gendre qui aurait ainsi la possibilité d’agrandir plus tard, le domaine de Tréambert vers l’ouest ? Si tel était le cas, René de Sesmaisons suivrait ainsi l’exemple de ses ancêtres qui, à la fin du XVIe siècle, avaient acquis (par héritage ou achat ?) les terres de Villeneuve (alias Rostu) et acheté en avril 1629, le domaine de Kerhuel appartenant à Claude Le Masle, escuyer sieur de Treslan2. Ces différentes acquisitions leur avaient permis d’accéder au titre de « Châtellenye »,3 d’augmenter leurs revenus en prélevant des droits sur les héritages, les récoltes (sel, vigne…) de leurs nouveaux sujets et d’étendre leurs prérogatives en matière de justice. Les documents de la transaction relatée ci-après sont disponibles aux Archives départementales de Loire-Atlantique.
D’acte en acte… Le neuf (iesm) e jour de novembre 1650
Page de gauche Situé à 50 mètres des falaises, le moulin de Beaulieu a plus de quatre siècles d’existence. (Photo Jocelyne Le Borgne)
Ci-dessus L’ancien bâtiment du manoir de Tréambert (à droite sur la photo), datant du début du XVe siècle siècle, a été intégré, vers 1700, à la nouvelle construction. Ce bâtiment est décrit, sommairement, dans différents actes. Il pourrait ressembler à ce que fut, autrefois, le premier manoir de Beaulieu, son contemporain. (Collection particulière. Année 1920)
2 - cf.Acte de contestation d’achat fait à Guérande, par Claude Le Masle, le 29 janvier 1631.
Ci-contre La saline de la Robline joignait, d’un côté, « la préé de la Robelinne et etang de ladicte maison de Beaulieu », et, de l’autre, l’étier du Conguy. La rue de Bel air, tracée en 1868, a entamé cette saline.
3 - ADLA B 82
(Photo Jocelyne Le Borgne)
Ce premier acte établi à Nantes devant maîtres Lesbaupin et Beton notaires royaux, rapporte que Christophe Juchault (l’acquéreur) a « nomé et institué son procureur conseil special
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Et si je vous contais Pornichet et, plus particulièrement, Sainte-Marguerite ? Anne Robion-Griveaud
Pourquoi ai-je souhaité écrire sur cette station balnéaire aux mille charmes ? Ci-dessus La plage et la Pointe de la Lande, à Pornichet, avec la villa Fall’Amzer, en 1892.
S
ainte-Marguerite me tient particulièrement à cœur, car, depuis ma naissance, je viens passer des vacances à la Pointe de la Lande, appelée, plus précisément, sur les cartes marines, Pointe du Jonay, pointe qui sépare la plage des Jaunais de la plage de Sainte-Marguerite.
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La pointe de la Lande et les villas Fall’Amzer et Gwall’Amzer C’est en effet en 1890 qu’Alexis Boudrot, mon arrière-grand-père, descendant d’Acadiens, avocat de profession, acheta plusieurs parcelles de terrain à Pornichet, à la pointe de la Lande,
Ci-contre La famille de l’auteur, l’été 1908, à la villa Fall’Amzer. Ci-dessous Vue de Fall’Amzer, en 1930. En 1940, les soldats occupent la pointe de la Lande, alors que la famille est toujours présente.
parcelles bordées de rochers et se terminant par une pêcherie (escalier taillé dans le granit). À cette époque, il faillit acheter l’île Dumet (avec des chevaux semi-sauvages), alors en vente également au même moment. Il choisit les rochers de Pornichet, car, peut-être, le paysage lui rappelait-il les bords de la Rance, d’où il était natif, il voulait, sans doute aussi, se rapprocher de sa fille ainée, qui avait acheté Ker Yette, en 1889. En 1892, Alexis Boudrot fit construire une villa de vacances Fall’Amzer (à l’époque, on appelait les villas, des chalets, même si ceuxci n’étaient pas construits en bois). Fall’Amzer a pour signification, en breton, « mauvais temps », « tempête ». En effet, sur la pointe, à plus de vingt mètres au-dessus de la mer, le vent souffle très fort, surtout les jours de tempête et, à l’époque, aucune végétation n’arrêtait réellement le vent ; seuls des ajoncs, puis des genêts d’Espagne y poussaient. La famille vint en vacances tous les ans, même au début de la guerre 1939-1940, mais, en 1942, les Allemands décidèrent de faire exploser la villa (avec tout le mobilier qu’elle contenait), compte tenu du lieu stratégique qu’elle représentait. Les Allemands s’y installèrent et construisirent, sur la pointe, plusieurs blockhaus, dont quelques-uns furent démolis partiellement à la fin de la guerre. Près de vingt années s’écoulèrent avant de pouvoir reconstruire Fall’Amzer et Gwall’Amzer, deux villas jumelées, construites en 1961/1962. La famille eut, en effet, beaucoup de difficultés pour obtenir le permis de construire et connut
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Paléogéographie et Paléo-environnement
de la région nazairienne Les temps très anciens : Protérozoïque, Paléozoïque (2e partie)
Christian Comte Après avoir présenté, brièvement, dans un précédent volet, quelques points sur la géologie de notre région [1, voir, en fin d’article, les références bibliographiques], dans ce second volet et les suivants, je vais passer plus de temps sur les temps anciens.
Ci-dessus Les Gneiss Métatectiques de la Pointe de Chémoulin, à Saint-Nazaire (44). (Photo Christian Comte)
P
our commencer, je vais décrire quelques phénomènes terrestres récur rents. Ensuite, j’aborderai la paléogéographie, le climat, et le paléo-environnement, pour la très ancienne Préhistoire de la Terre. Je commencerai vers 2500 millions d’années, pour m’arrêter vers 252Ma1, la suite fera l’objet d’un troisième volet.
1 -Millions d’années avant le présent.
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Quelques définitions Je vous invite à relire le précédent volet [1], pour retrouver quelques termes techniques, qui seront rappelés succinctement dans ce chapitre. Ces termes seront mentionnés en italiques dans le reste de cevolet.
La paléogéographie
La configuration passée des continents est déduite d’une longue enquête sur l’étude de la formation de chaque couche géologique [2] et de leur datation. L’analyse des isotopes Uranium/ Plomb/Thorium, dans les cristaux de zircon abondant dans les granites et ortho-gneiss, permet une datation jusqu’à 4000Ma. On associe à cette étude la géodynamique actuelle de la croûte/manteau en détail et de la Terre dans sa globalité. Mais on étudie, aussi, la faune et la flore fossilisées qui donnent, d’une part, des éléments de datation, d’autre part permettent de déterminer la distance géographique entre deux segments étudiés, en analysant si les espèces ont des affinités ou sont endémiques (existe seulement sur une seule île ou continent). Dernier paramètre : le paléomagnétisme des roches. En se solidifiant elles figent certains minéraux, qui ont la faculté de s’orienter avec le champ magnétique terrestre, ce qui permet de retrouver leur position géographique et leur orientation.
Les éons, ères et périodes géologiques
On regroupe, généralement, les très grandes subdivisions de l’histoire de la Terre en quatre éons [3] : Hadéen (4600-4000Ma) - Archéen (2500-4000Ma) - Protérozoïque (2500541Ma) - Phanérozoïque (541Ma-Actuel). Les trois premiers sont, souvent, regroupés en un superéon appelé Précambrien. Ils sont, eux-mêmes, subdivisés en ères et périodes géologiques. Les termes de «primaire», «secondaire» et «tertiaire» ont été abandonnés. Donc le Phanérozoïque se décompose, maintenant, en ères du Paléozoïque (541252Ma) - Mésozoïque (252-66Ma) - Cénozoïque (66Ma-Actuel).
La tectonique
La surface de la Terre est constituée de plaques disjointes, dont la disposition change régulièrement. Cette dynamique globale est appelée, Tectonique, mais aussi Dérive des Continents, théorie formulée par le physicien-météorologue Alfred Wegener, au début du XXe siècle. Surrection/Déformation À force de dériver, les plaques viennent à se heurter. Si elles sont constituées de lithosphère2 continentale, elles se déforment [1], pour créer des montagnes, parfois vertigineuses, comme l’Himalaya. Quand la déformation couvre de grands territoires, on parle d’orogénèse.
Ces déformations modifient complètement la géographie régionale : des vallées ou golfes, envahis par la mer, fonds marins soulevés, enfoncement de la côte et formation d’îles, cours d’eau déviés, apparition de chutes d’eau, lacs ou marais, etc. Rift/Subsidence/Marge passive Quand les plaques continentales se fracturent, un rift [1] se propage, il s’ouvre alors en un vaste océan (vitesse : 8-17 cm/an). En son centre s’est formée une ride, ou dorsale médio-océanique, où le magma refroidi repousse ses bords. De toutes nouvelles côtes marines se dessinent, comme elles ne sont plus soumises à des phénomènes tectoniques, mais seulement sédimentaires, on les appelle marges passives. Parfois, le rift avorte, ce sont alors des cours d’eau déviés qui viennent s’y déverser. Les sédiments s’y accumulent et alourdissent la plaque continentale qui s’infléchit : c’est la subsidence (enfoncement : 10 à 40 m/Ma [4]). Tectono-eustatisme3 Le poids de l’eau de mer participe à la subsidence de la lithosphère océanique. Lorsque la lithosphère est très vieille, le manteau sous-jacent a refroidi, durci, alors la densité de la plaque atteint ou dépasse celle du manteau. La plaque s’enfonce [5], augmentant le volume de l’océan, qui engloutit alors les îles volcaniques que la plaque supporte. Quand la lithosphère est plus jeune, voire en formation, comme sur la ride médio-atlantique [1], c’est l’inverse, la lithosphère est soulevée de plusieurs milliers de mètres [5], réduisant le volume moyen des bassins océaniques. Ces variations sont, certes, très lentes, mais représentent les plus grandes amplitudes marines (jusqu’à 500 m). Subduction/Marge active Quand deux plaques océaniques entrent en collision, la plus ancienne, qui est plus dense, plonge sous la plus jeune et s’enfonce profondément dans le manteau. Cette zone est appelée subduction ou marge active. Quand la subduction se produit très loin des continents, presque aucun sédiment ne vient combler la fosse qui se crée au droit des deux plaques, celle située près des îles Mariannes détient le record de profondeur : 10 971 m. Que deviennent les plaques dans le manteau ? Elles finissent par stagner, vers 670 km de profondeur (manteau supérieur), ou se résorbent, vers 1700 km, en contaminant des panaches mantéliques4. 3 -Variation du niveau moyen des océans dit « absolu ».
2 -Structure superficielle de la Terre constituée de la croûte et d’une partie du manteau supérieur [1]
4 -Remontée jusqu’à la croûte de la Terre de matériel très chaud provenant de l’interface manteau inférieur/noyau (1700 km).
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L’Étoile de Nantes Michel Barbot
Ci-contre Carte de l’Étoile de Nantes: (Patrick Berlier, 3 mars 2019)
Page de droite Page de couverture de la monographie APHRN, L’Alésia de Guérande, (Fernand Guériff, 1992)
Un après-midi de l’année 1992, je franchis, ainsi que je l’avais fait, bien des fois, les portes de la Médiathèque Jacques-Demy de Nantes. Je monte directement dans la salle consacrée au régionalisme. Je savais pouvoir y découvrir des livres très anciens, voire épuisés, pour les plus récents. Je découvre la monographie de Fernand Guériff « L’Alésia de Guérande » éditée, en cette année 1992, par l’APHRN.
L 138
’auteur ne m’était pas inconnu, j’avais déjà lu, notamment, l’ouvrage « Brière de brumes et de rêves », découvert dans l’emblématique libraire nantaise Bellanger, sise à l’époque
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dans l’historique Passage Pommeraye. La lecture de ce livre fut pour moi une véritable découverte. Je me sentais, j’ose l’écrire, très proche de ce que je pouvais y découvrir.
« L’Alésia de Guérande » « L’Alésia de Guérande », c’est autre chose, le côté merveilleux, prenant, du livre, fait place ici à une étude relevant plus précisément de la thèse. Fernand Guériff développe la théorie suivant laquelle dans l’Antiquité, à proximité de Guérande, se serait trouvée une Alésia. Au hasard de mes lectures, j’avais eu connaissance de la querelle, déjà ancienne, entretenue par les historiens, concernant le véritable emplacement de l’Alésia, assiégée par l’armée romaine de Jules César en 52 avant J.-C. Les Gaulois furent vaincus et leur chef Vercingétorix emprisonné... En 1936 paraît le livre de l’érudit Xavier Guichard, « Eleusis – Alésia » qui a fait couler beaucoup d’encre. L’auteur, tout au long de ses 560 pages, s’évertue à démontrer l’existence de nombreuses Alésia et sites associés, sillonne l’Europe gauloise, voir pré-gauloise. Fernand Guériff résuma ainsi le travail réalisé par cet érudit sur les sites alésiatiques : « Il a démontré qu’ils s’alignent sur des lignes droites de direction, sortes de méridiens, de tracés géodésiques, qui s’entrecroisent sur le globe. » Le fondateur de l’APHRN, reprenant les développements avancés par Xavier Guichard, va affirmer, en presqu’île de Guérande, à l’extrémité même de ce que d’aucuns nomment aujourd’hui une ligne d’or alésiatique, la présence, dans l’Antiquité, d’une Alésia, non recensée, en 1936, par l’archéologue amateur, dans sa Bible alésiatique. Vingt-huit lignes de direction « s’étoilent autour d’un point qui revêt de ce fait une importance capitale. C’est le Mont Poupet1, dans l’Alésia d’Alaise 1 - « … le Mont Poupet (la poupe), montagne sainte auréolée de légendes fantastiques. » Pour notre auteur guérandais, ce nom serait dû aux ‘’initiateurs’’ qui donnèrent leurs noms aux constellations du ciel et au zodiaque… »
(Jura), qui s’auréole de lignes qui se prolongent en Hollande-Norvège, en Allemagne-Pologne, en Italie-Grèce, en Espagne. Pourquoi ? », s’interroge Fernand Guériff. Cette géographie spéciale, qu’il nomme géographie « alisienne », serait liée « aux forces telluriques et hydrotelluriques, en général bienfaisantes ou malfaisantes ». C’est ainsi que notre historien du Pays de Guérande, après avoir développé la thèse d’une Alésia de Guérande, termine son étude en évoquant une énigmatique Étoile de Nantes, dont l’histoire, durant la Seconde Guerre mondiale, apparaît bien mystérieuse. Je découvre, très intrigué, en cette année 1992, le titre de cet ultime chapitre de la monographie. Depuis l’adolescence, l’histoire de Nantes, ma cité, me fascine et là, en lisant Fernand Guériff, je découvre quelque chose dont je n’avais aucune connaissance, quelque chose que les lecteurs de la revue de l’APHRN ne devaient guère connaître non plus. Voici comment le fondateur de notre association ouvre cet énigmatique chapitre : « Pendant la Seconde Guerre mondiale, le groupe allemand secret Thulé, délégua un de ses membres, le SS Dietrich Von Brennan, étudier les courants magnétiques et telluriques (le guivre) dans l’hexagone. Au cours de ses recherches, il finit par établir sur Nantes, lieu d’ésotérisme important, une étoile, disons plutôt un Sceau de Salomon qui, selon lui, joue un rôle essentiel dans le magnétisme français et même européen. » La Société Thulé, ou Ordre de Thulé, fondée à Munich en 1918, sera dissoute en 1945. Très proche du parti nazi elle s’appuyait sur les mythes nordiques de la civilisation. Hitler fréquenta cette association, mais s’en serait écarté, lorsqu’il accéda à la tête de l’Allemagne. Les anciens Grecs, ainsi que les Celtes, évoquaient l’Ultima Thulé, sise au nord du monde… Une île assimilée, dès l’époque médiévale, à l’Islande. Une certaine catégorie de chercheurs affirma que Thulé aurait été, dans les temps anciens, la capitale d’un continent nordique disparu : l’Hyperborée… Cette société secrète de Thulé fut évoquée dans quelques livres, sortis dans les années 60/70. Des romans, ainsi que des films, l’ont fait connaître auprès du grand public, relatant le type d’opérations archéologiques qu’elle mena. Nous pouvons citer le film « Hellboy » grand succès de l’année 2004, tiré d’une célèbre BD, Marvel. Fernand Guériff présenta dans sa monographie, sa propre carte de localisation sur le sol français de l’Étoile de Nantes. Voici ce qu’il écrit sur cette localisation : « L’axe principal passe par Stonehenge (Angleterre) – Cherbourg – Nantes – et arrive à Arès (Bassin d’Arcachon). Une des branches relie Brest à Chartres. Nantes trône au centre, et la Loire traverse l’étoile
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Journal d’un aumônier breton - 1850 - 26 partie e
Christiane Marchocki Ce 15 décembre 1850, le Père Fouchard nous trace les portraits des personnes qu’il rencontre. Il est sans concessions. Son observation est pointue, réaliste, nous pourrions reconnaitre l’homme dont il nous parle.
E
mporté par son sujet il écrit rapidement, presque sans ponctuation, les lettres déformées, dépassées par la vitesse de sa pensée. C’est un véritable reportage. On le voit s’adapter, non sans effort, à l’humour anglais, bien éloigné de sa tournure d’esprit. C’est lui qui se révèle en dépeignant ses interlocuteurs. Le charme des croisières se révèle aussi lors des escales.
15 décembre 1850 (suite) Ci-dessus La côte à Village Beach, près de Freetown (Sierra Leone). (Photo Annabel Symington – CC BY 2.0)
Page de droite Une rue de Freetown (Sierra Leone), au début du XXe siècle. (Collection particulière)
Suzan’Bay, près de Freetown (Sierra Leone). (Collection particulière)
Nous sommes descendus ensuite pour prendre une voiture et nous rendre à la maison de campagne de notre consul. Je vous ai parlé de cet homme, qui a, je crois, d’authentiques qualités, mais dans lequel il y a au moins, un autre personnage ; le spirituel et tranchant tyran, l’étudiant de Paris, donnant deux articles sur la religion, la politique et l’histoire, le Gascon, grand seigneur, parlant de sa propriété de sorte que personne ne sache au juste qui il est, d’où il vient, et enfin l’Espagnol plein de jactance, se drapant fièrement dans son manteau percé. Il mène si grand train qu’il ne se soutient pas, ainsi, il a une maison de ville, mais elle n’est pas à lui, et il a été forcé de nous recevoir dans une galerie, n’ayant pas à sa disposition la clef
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de son appartement. Il a 7 ou 8 chevaux par voiture, il fait venir le fourrage d’Angleterre, mais ses chevaux sont d’une maigreur extrême, malades, et fatigués. Après cela, le climat qui tue les hommes peut bien mettre leurs chevaux hors de service. Il y avait 2 voitures, l’une plus humble dans laquelle je suis monté, conduisant moi-même mon petit cheval, ou, plutôt, conduit par lui : il savait le chemin, et moi je l’ignorais. L’autre, plus belle, sorte de calèche, garnie de satin blanc, avec un cheval magnifique, mais, qui, après quelques pas, a pensé qu’il faisait trop chaud, pour trainer deux personnes, et s’est arrêté court sans que rien ne pût le déterminer à faire un pas de plus, si bien que Monseigneur et Mr Guillemand ont été obligés de faire la route à pied. Cette petite maison où nous avons été reçus m’a semblé devoir être fort agréable. Elle est située, je pense, à deux ou trois cents mètres en dessous du niveau de la mer et on jouit de sa galerie, de la plus belle vue qu’on puisse imaginer, le regard se promenant de là sur toute la ville, au loin, sur la mer, sur les bâtiments de la rade et sur toute la petite baie bien formée par la rivière. Il nous a reçus d’une manière fort aimable. Il nous a chanté une prière dont je ne vois quel opéra, en s’accompagnant sur un harmonium
qu’il a dans son salon, un air fort bien, avec beaucoup de goût. Il a une belle voix, souple, pleine et étendue. Nous n’avons pu reposer chez lui malgré quelques insistances, nous devions dîner ensemble à bord. À quatre heures et demie nous sommes remontés en voiture, pour nous en revenir au plus vite, pour nous asseoir à cette table, où nous avons moins dîné que discuté, car c’est un tel convive qu’il est impossible, quelque résolution qu’on ait prise, de ne pas le traiter sérieusement de garder longtemps le silence et de ne pas se protéger, au moins des énormités qu’on lui entend dire, tout excité, avec un aplomb doctoral.
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Nous sommes allés aujourd’hui faire visite à Sierra Leone, à quelques catholiques anglais et américains qui ont paru nous voir avec bien du plaisir, nous n’en avons pas eu moins nous-mêmes. Nous sommes habitués à voir et à entendre tant de choses qui blessent nos convictions, qui nous font tant souffrir dans la partie la plus intime de nous-mêmes, qu’une sympathie que nous rencontrons par hasard, dans un pays étranger, nous devient infiniment chère. Ils ont demandé avec insistance à Monseigneur et aux deux prêtres, s’offrant à couvrir par inscription tous les frais du premier établissement, et ensuite, de l’entretien des missionnaires. L’avocat de la reine et un Irlandais catholique qui a passé quelques années en France au collège de Juilly : il aplanira toutes les difficultés légales et empêchera toutes les criailleries protestantes qu’elles puissent jamais n’être que des criailleries. J’ai vraiment quelque confiance en l’avenir de cette mission, car, quoique les catholiques soient peu nombreux, ils m’ont semblé influents, désireux de pouvoir exercer leur culte et disposés à en étendre l’influence autour d’eux. De plus, l’anarchie dans le protestantisme, est telle, qu’une église ayant quelque dignité ne peut manquer d’attirer.
Nous étions invités ce soir à Madrid-Cottage. Nous y avons dîné chez le consul, Mr Guillemard, dans la compagnie de cinq Anglais parmi les principaux employés de la colonie. Tous fort aimables. Le dîner était tout à l’anglaise, ce qui ne nous a pas empêchés de pouvoir tous parfaitement sortir de table. C’est un préjugé parmi nous de croire que la médiocrité est l’accompagnement nécessaire de tout diner anglais. Cela peut quelquefois arriver parmi eux, mais il est au moins certain que c’est faux pour le grand nombre. Nous avons discuté, le consul et moi, cette fois j’ai eu le bonheur de ne pas le prendre au sérieux, et tout s’est très bien passé. J’avais à côté de moi un officier anglais qui a fait une partie de ses études en France, et dont les plaisanteries m’ont maintenu dans le calme, en me forçant à rire là où hier je me serais fâché. Il m’a dit qu’après avoir soutenu contre moi des opinions nullement catholiques, il serait disposé à rompre une lance à tout venant en parlant de la religion catholique. Je le crois sans peine. Il y avait un harmonium dans son salon, il l’a fait transporter dans la galerie où nous étions réunis pour le café, et nous a chanté en s’accompagnant, et le tout de mémoire, une foule de morceaux de différentes pièces, jusqu’au Kyrie de Dumon, qu’il nous a joué très exactement. Je lui vois une organisation musicale très remarquable. Il ne joue pas bien, mais sa voix est belle, et dans le calme de la soirée avec un ciel aussi beau et brillant que celui que nous avions hier, à 10 heures du soir, cette musique et cette voix arrivant aux oreilles devaient être quelque chose de magique, de vraiment romantique. Nous en sommes revenus vers onze heures, j’ai fait la route à pied pour jouir d’une soirée dans le genre de celle d’un prince.
Christiane Marchocki.
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ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI
Pêcheries et rêveries de la presqu’île et de l’estuaire
À
Saint-Nazaire, il est un lieu privilégié, où les artistes se plaisent à exposer leurs œuvres. Il est situé, 40 avenue Albert de Mun, bar à vins, nommé Dom Zébulon. Un petit salon, avec fauteuils et table basse, accueille les visiteurs, amateurs d’œnologie et d’un autre plaisir, la peinture. Ainsi, le goût et la vue, agréablement sollicités, incitent aux conversations et commentaires. Actuellement, Francine Van Dyck, sous son nom d’artiste F.Cancale, nous surprend. Ses toiles, d’inspiration variée, meublent joliment ce lieu de détente. Le fantastique lui convient, elle s’évade. La toile intitulée « Parabole du marcheur », exposée à Metz, a été réalisée en hommage à son fils, parti d’Allemagne, équipé de son seul sac à dos. Après avoir gagné la frontière algérienne, il a, ensuite, parcouru l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cette autre toile, intitulée « La parabole de la naissance », en hommage à sa fille, ainsi que celle, toute en longueur et en relief, « Le corridor de la vie », démontrent, si besoin était, la richesse de son imaginaire.
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Un paysage assez saisissant nous intrigue, un bateau aux voiles aussi blafardes que la lune qui l’accompagne, un village lointain, mystérieux, en arrière-plan, laisse le regard errer. Le style onirique domine. Il existe une autre période, figurative, aux couleurs éclatantes, vives, presque violentes, elles trahissent sa vision, sa puissance créative. Autodidacte, il s’agit, toujours, d’une peinture intuitive. Les images qu’elle nous donne de la réalité expriment l’immatériel. Exemple : les pêcheries locales. On constate, là, régulièrement, des lignes horizontales figurant la mer. Elles évoquent l’infini, qu’elles semblent tenter de matérialiser. F.Cancale a plusieurs cordes à son arc. Elle peut soumettre à notre appréciation différents dessins très achevés. Avec virtuosité, elle se rapproche de l’exotisme, se plait à différents portraits. On ne s’ennuie pas en lui rendant visite. C’est un moment fort plaisant qui vous attend.
Christiane Marchocki
Exposition
7 septembre - 15 novembre 2019
Dom Zébulon 40 avenue Albert de Mun 44600 Saint-Nazaire
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À LIVRE OUVERT
Rethondes
Le wagon de l’Armistice 1918-1940
L
orsqu’on évoque la guerre de 14-18, la foule des morts vient toujours à l’esprit, ainsi que cet armistice, que nous continuons de célébrer. Cette Grande Guerre reste impressionnante. Elle fit des milliers de victimes. L’hécatombe se renouvela pendant la Seconde Guerre mondiale. Nouveaux pourparlers, nouvelles signatures, même wagon, dont nous suivons l’histoire, nouvel armistice. Quelle famille n’en a-t-elle pas été affectée ? Une génération fut abattue, détruite, durant la Première Guerre mondiale. Qui n’a aucun ancêtre mort au Champ d’honneur ? Cet armistice, signé, en 1918, dans un wagon de chemin de fer, garé sur une voie, peu fréquentée, de la clairière de Rethondes, est le thème de cet ouvrage, de Guillaume Berteloot (dessin) et Patrick Deschamps (scénariste). Ils nous montrent comment cet endroit est devenu emblématique, en harmonie avec tous ces hommes, éloignés de leurs foyers, montés au front, devenus « chair à canons ». On imagine bien l’atmosphère de cette entrevue et confrontation entre chefs ennemis, fidèles à leur mission, arrivés par deux trains en ce point de rendez-vous, tenant la paix et la guerre. Ils combattent encore, leurs déterminations rivales s’affrontent, leurs ressentis les guident. Personna lités exceptionnelles, aux caractères profondément marqués, face à face sobre, hautain, lourd de conséquen ces. On suit les complications et tergiversations qu’entraîne un armistice. Cet ouvrage sous-entend une recherche historique précise. Ce n’est pas une BD récréative pour enfants, bien que la forme leur soit familière. Elle comblera leur curiosité. Ils découvriront une réalité vécue, rela tivement proche dans le temps. Ils apprendront, verront écrits les noms qu’ils ont, peut-être, entendus. C’est un chapitre de leur histoire qui vient à eux.
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La beauté du dessin, les couleurs, qui sont dans la gamme de celles des uniformes et du sol, la vérité des traits, qui laissent reconnaitre les personnages, la justesse du texte, le ton des échanges, leur style, tout concourt à faire de ce livre une réussite. Il possède l’attrait de ce qu’on n’imagine pas forcément. Il décrit la complexité, la fragilité, l’incertitude d’un accord, difficilement réalisé, et donne toute sa valeur à la paix.
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« En vain, l’oubli, nuit sombre où va tout ce qui tombe Passe sur leur sépulcre, où nous nous inclinons… » Ainsi écrivait Victor Hugo. L’oubli est si insidieux, envahissant, persé vérant, la vie, si fragile, que les écrits, sous leurs diverses formes, ont une grande valeur, car ce sont les moyens qui nous permettent d’entretenir une sorte de survie de notre histoire.
Christiane Marchocki
Rethondes
Le wagon de l’Armistice 1918-1940 Guillaume Berteloot Patrick Deschamps 15,90 €
Éditions du Triomphe
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Pont-Château
Les travailleurs du Calvaire 1888-1939
N
ous parlons de solidarité, en occasions diverses. Fut-ce nécessaire, lors de l’érection du calvaire de Pont-Château ? Si peu… Ce fut la Foi, avec un grand F, qui entraina les foules. Pour qui se soucie de l’histoire régionale, sous tous ses aspects, c’est le cas de l’APHRN, la construction du calvaire de Pont-Château est un évènement marquant. Elle est décrite, avec précision, dans ce livre, écrit par André Martin. Il existe, en France et ailleurs, bien des monuments sur ce thème, mais celui-ci a été érigé par la population locale, sans but lucratif. Rare… Uniquement motivé par la foi et l’enthousiasme. Ceci n’empêche pas les complications administratives et les rivalités. Ce livre est une fidèle reconstitution, par écrit, de son édification : les différents épisodes, les chiffres. Un tableau comparatif recense l’accroissement de la population jusqu’en 1846, les longs trajets, à pied ou en
voiture à cheval, pour accéder au chantier, les souscriptions versées par les paroisses des alentours, car elles sont nécessaires, même pour célébrer l’idéal et l’esprit. Le nom du fondateur de cette grande œuvre, Louis-Marie Grignion de Montfort, est mis à l’honneur. Les photos d’époque sont étonnantes et révélatrices : les « pèlerins » revêtaient leurs beaux habits « du dimanche » pour accomplir cette tâche, ainsi qu’il était d’usage pour assister aux offices. On dit que la foi peut soulever une montagne, ici, elle l’a élevée. Il a fallu transporter des blocs de granit, une quantité de terre impressionnante, pour refaire le Golgotha. Tout ceci à l’aide de récipients, de cordages, de palans, à la force des bras et avec celles de la volonté et de la persévérance.
C’est notre « pyramide », pour l’ampleur du travail. L’objectif est sans commune mesure avec celui de l’antiquité, le respect de l’humain étant, alors, ignoré. Cependant, la référence à un monde spirituel, au-delà du monde réel, en était aussi le maître mot. Qui ne s’est pas posé de questions en parcourant les allées, bordées de grands arbres ? Qui a sculpté ces statues et ces groupes ? Quand ? Qui a planté ces trois croix si évocatrices ? Ces grottes sont-elles des reconstitutions ? Vous trouverez toutes les réponses en lisant cet ouvrage, Les travailleurs du Calvaire, parfaitement documenté, né d’une recherche approfondie, minutieuse, menée par André Martin. Désormais, c’est avec, non seulement, curiosité, mais, aussi, avec étonnement et respect, que nous nous rendrons au Calvaire, exacte reconstitution d’une réalité plus lointaine.
Christiane Marchocki
Pont-Château
Les travailleurs du calvaire - 1888-1939 André Martin 188 pages - 23 €
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À LIVRE OUVERT
Et Tati créa Monsieur Hulot
V
oici la somme que l’on attendait sur Monsieur Hulot et le fameux film tourné pour l’essentiel à Saint-Marc en 1951. La bibliographie était déjà bien fournie sur le sujet, plus précisément sur M. Hulot et sur son créateur Jacques Tati : ouvrages d’analyse cinématographique, documents pédagogiques, biographies du cinéaste… Mais sur le rapport, essentiel, de l’œuvre à son lieu de tournage, sur le travail méticuleux de l’équipe de Tati, sur les relations avec le site et avec les habitants, il aura fallu attendre cette patiente enquête de Jean-Claude Chemin, plus ambitieuse et plus complète que le travail pionnier de Stéphane Pajot Les Vacances de Monsieur Tati (2003). Tout en apportant du neuf sur le tournage du film, l’auteur dresse un tableau de ce qu’était Saint-Marc en 1951, village balnéaire au destin touristique avorté contrairement à Pornichet qui a bénéficié du chemin de fer – mais qui s’est révélé site idéal pour le film. Car, on le sait, Tati a tranché en faveur de Saint-Marc après que ses collaborateurs aient exploré des dizaines de petites stations de vacances. C’est vrai, le site n’a pas été choisi pour sa splendeur, mais pour sa représentativité, pour son « anonymat » comme on a pu dire (avec excès). Jean-Claude Chemin préfère, à juste titre, le terme d’archétype. Un dossier contenant un choix significatif de cartes postales (reproduites dans l’ouvrage) figure dans les archives de la société de production – mais surtout, se rendant lui-même sur place, le cinéaste a découvert que le site constituait pratiquement « un studio en plein air ». Archétype, géographie du lieu, fondements de la future légende de la plage, de ce qui deviendra attraction touristique, et surtout : patrimoine.
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Le dossier ne peut pas être plus complet. Jean-Claude Chemin exploite des archives inédites et mêle habilement l’ordonnancement des témoig nages existants dont de nouveaux entretiens qu’il a menés ces dernières années (des enfants de 1951, quelques rares adultes aussi ayant participé à l’entreprise de Tati, la script-girl de l’équipe) et des informations réunies par les proches des assistants du cinéaste décédés, le co-auteur, le truquiste-accessoiriste. Il a exploité le trésor dormant des archives de la société de production de Tati, photos de tournage, notes de gestion, projets de décors, propositions de gags, croquis des trucages… Documents inédits, et aussi matière fournissant de superbes illustrations à l’ouvrage, plans du film et documents sur Saint-Marc, sur l’Hôtel de la Plage. Et toutes les données sur les modifications du décor : la construction d’une façade de villa, d’une fausse entrée de l’hôtel, d’un phare au bout de la jetée. Il dresse le portrait des principaux collaborateurs de Jacques Tati, la plupart associés à plusieurs de ses grands films et qui, tous, participaient au tournage à Saint-Marc. Il n’oublie d’ailleurs pas d’évoquer les plus modestes contributeurs ni quelques comparses tels ce mulet têtu qui s’oppose vigoureusement à M. Hulot ou la voiture pétaradante choisie pour son héros, une Salmson de 1923 dont on a perdu la trace en 1962, malheureusement pour l’éventuel projet d’un Musée Hulot dont on rêve à Saint-Marc (y compris notre auteur ?). Jean-Claude Chemin, cinéphile avisé et connaisseur de l’histoire du cinéma, parvient à faire une rigoureuse chronique des étapes de tournage, notamment des fameuses séquences burlesques tout en restituant les problèmes pratiques, les solutions, les aides reçues (souvent bénévoles), le contexte.
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Le livre fourmille de notations sur les séquences tournées, mais non retenues au montage, et sur les modifications que Tati le perfectionniste a apportées au film en 1962 et en 1978, notamment la séquence parodiant le film Les Dents de la mer, tournée au cours d’un nouveau séjour à Saint-Marc. C’est la société Les Films de Mon Oncle dont la mission est de gérer les droits de l’œuvre de Tati, de la valoriser et de la diffuser, qui lui a donné accès aux archives inédites. Elle a été fondée par Jerôme Deschamps et Macha Makeïeff, bien connus par leurs activités théâtrales et télévisuelles (notamment Les Deschiens, forme modernisée de la tradition burlesque) et par la fille du cinéaste, Sophie Tatischeff (1946-2001), professionnelle du montage cinématographique : on la voit dans le livre, travaillant avec son père, peut-être sur Mon oncle. Réalisatrice d’un film méconnu, Le Comptoir, tourné dans les Côtes d’Armor (1998), elle avait déjà participé au sauvetage de l’héritage paternel démembré en 1974 par l’échec économique de son grand projet, Playtime. Peu avant son décès elle a contribué à l’opération qui a conduit à l’érection de la statue de la Plage de M. Hulot, comme le rappelle J.-C. Chemin. Par son équilibre entre l’information sur la genèse et la réalisation du film et ce qu’il a représenté, et représente toujours pour Saint-Marc, ce livre est une contribution majeure à l’histoire du lieu et à l’histoire du film, dorénavant intimement mêlées, dans la sphère patrimoniale.
Daniel Sauvaget
Et Tati créa Monsieur Hulot Jean-Claude Chemin 192 pages - 25 € Éditions Locus-Solus, 2019
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Laval, ville d’art et d’histoire Sortie, à la journée, du dimanche 29 septembre 2019
Christiane Marchocki Plus de quarante braves se risquent, ce 29 septembre 2019, sur une route battue par des rafales de vent et de pluie, avant même, que « l’aurore aux doigts de rose » ait embelli le ciel. Ils se rendent à Laval, pour une visite minutieuse et culturelle.
L
Dans les rues du vieux Laval, le groupe de l’APHRN écoute, attentivement, les explications du guide. (Photo Dominique Sénéchal)
eur arrivée est accueillie par le miroir d’eau qu’est la Mayenne, par les murailles d’un château imposant, au maintien dominateur. Leur curiosité et la parole du guide les entraînent vers un bateau-lavoir, amarré solidement au quai. Baptisé le « Saint Julien », de bateau, il n’a que la possibilité de flotter. Sur 25 m de long, il présente deux niveaux, celui de l’eau, et celui auquel on accède par une petite échelle ; la buanderie. C’est le domaine des lavandières. L’appellation est jolie, un tantinet musicale, mais la dure réalité, pénible, sans attrait, ne séduit personne parmi les dames en visite aujourd’hui. C’est une organisation particulière, insoupçonnée qui se révèle alors : la possibilité de laver son linge à l’eau froide, directement dans la Mayenne, en choisissant toutefois son poste en amont le plus possible, afin de ne pas recevoir, apportées par le courant, les eaux salies et usées par la lessive voisine. Comme partout, occuper la meilleure place est source de rivalités et de favoritismes. Six à huit femmes font partie du personnel de l’établissement. Elles sont payées et embauchées par le propriétaire des lieux, responsable de l’entretien du bâtiment, il y demeure. C’est lui qui reçoit les commandes. Les laveuses professionnelles peuvent venir y travailler, moyennant finances, selon qu’elles usent uniquement de l’eau froide empruntée à la Mayenne ou, aussi, de la buanderie dotée de larges bassines chauffées par un foyer. Il existe une essoreuse actionnée manuellement à la manivelle. On peut à titre individuel, profiter de ces dispositions, en acquittant un droit d’entrée qui donne accès au « cube de savon ». Le guide entraîne ses auditeurs le long du quai et leur présente l’histoire de cette localité. Laval se situe aux marches de Bretagne. Position stratégique convoitée. Aux environs de 1020, Guy de Laval y implante
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une forteresse en bois. Ainsi domine-t-il le passage. C’est l’occasion d’imposer un péage. Reconnu baron, il devient le vassal du comte du Maine. Au cours du temps, une forteresse en pierre, impressionnante, remplace l’ancienne, plus fragile. Guy 1er de Laval a un fils Guy II, ainsi de père en fils jusqu’à Guy VI. Ce dernier a une fille. On la marie. Veuve deux ans après, sans descendance, son fils étant mort. On la remarie avec Mathieu II de Montmorency. « L’affaire est dans le sac ». En effet, les contrats et accords signés, on rangeait les précieux écrits dans un sac en cuir, suspendu au plafond, hors d’atteinte des rongeurs. Le groupe écoute son mentor avec attention, au point de prendre des notes… Pour traverser la Mayenne, ils empruntent le vieux pont gallo-romain, qui, lui, a traversé les siècles.
Ils longent la grande rue, pentue, bordée de maisons anciennes. On parle colombages, encorbellements, murs à pignon. Ambiance médiévale. Ainsi se déroule l’histoire locale, tout au long de leur parcours. Ici dans ce bâtiment, près de la porte cochère, est né Henri Rousseau, dit « Le Douanier Rousseau » peintre naïf. La ville refuse ses toiles. Elles traversent l’Atlantique et sont désormais exposées aux USA. Le rempart sud a été réaménagé après la guerre de 100 ans. Ambroise Paré, né ici vers 1510, digne du nom de chirurgien, ligature les artères et évite la cautérisation au fer rouge. L’anesthésie est inconnue. Ceci n’empêche pas ce praticien de s’entraîner et d’expérimenter ses tentatives, sur des prisonniers. Mouvement d’horreur. Rue des orfèvres, la maison du grand veneur fait étalage de la richesse du maître. Des sculptures remarquables ornent sa façade, le tuffeau, pierre tendre, s’y prête. Plus loin, sur cette place ; les deux sœurs de Jean Chouan ont été guillotinées. Les exécutions étaient
publiques, elles attiraient la foule des badauds. Cette guillotine servit encore jusqu’en 1904. Un curé de mauvaise réputation, soupçonné de meurtre, monta à l’échafaud. Dix ans plus tard, le véritable assassin se dénonça au confessionnal. La vie n’apporte pas que des drames. Le restaurant aménage un entracte aux historiens consciencieux.
Le groupe de l’APHRN devant l’entrée du château de Laval. (Photo Dominique Sénéchal)
Dans une salle du château, une vidéo en 3D raconte l’évolution du bâtiment du XIe siècle jusqu’à la Révolution, il sert alors de prison. Actuellement, il abrite le musée où s’attardent les visiteurs. Particulièrement attachant, on y rencontre l’art naïf en tous genres, des primitifs modernes, une collection privée, léguée par Jules Lefranc, peintre lui-même. Il est vrai que toute expression artistique révèle son auteur, c’est ce qui apparait très clairement dans les œuvres de l’univers de Marjan, largement représenté ici. Toutes ces différentes toiles offrent un moment très agréable, répondant à bien des esprits curieux. Vient le moment de visiter la tour maîtresse, un escalier étroit en colimaçon aux 60 marches hautes, destinées, intentionnelle La magnifique charpente de la tour ment, à décourager les envahisseurs, mène, du château de Laval. au sommet et à la découverte de la merveil- (Photo Dominique Sénéchal) leuse charpente du toit. Récompense après un effort qu’un regard sur la beauté. Pendant la route du retour se répand une rumeur ; c’est à Nicole, l’organisatrice de cette excursion culturelle, que revient le mérite de cette journée agréable et passionnante.
Christiane Marchocki
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A . P. H . R . N
Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne
Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - https://aphrn-asso.fr - Tél. 06 07 11 21 88
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Présidente Geneviève Terrien
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Trésorière Annick Montassier Secrétaire général (Responsable d’édition de la revue HISTOIRE & PATRIMOINE)
Tanguy Sénéchal Conseillère (Responsable des sorties culturelles) Nicole Bonnaud Conseillère Christiane Marchocki
En adhérant à l’APHRN, vous pourrez participer à nos activités (sorties culturelles, et conférences), ainsi qu’à nos assemblées générales et aux réunions de présentation que nous organisons à l’occasion de la parution d’un nouveau numéro de notre revue. De plus, la cotisation d’adhésion (individuelle, ou couple) comprend un abonnement à notre revue HISTOIRE & PATRIMOINE (trois numéros réguliers par an - parution en mars, juillet et novembre) et vous permet de bénéficier d’un tarif préférentiel sur ses numéros hors-série. Il est possible d’adhérer à tout moment de l’année. L’adhésion vaut pour l’année civile d’encaissement de la cotisation. Le renouvellement des cotisations s’effectue au cours du premier trimestre de chaque année. Les tarifs des cotisations, pour l’année 2019, sont les suivants :
Conseiller Paul Correc
ff adhésion individuelle ..... 26 € ff adhésion couple ............ 31 €
Conseiller André Dubreuil Conseiller (Responsable des sorties culturelles) Claude Lebreton Conseiller Patrick Pauvert
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Revue HISTOIRE & PATRIMOINE Responsable de diffusion :
Geneviève Terrien Tél. 06 78 91 77 18
Remerciements aux photographes et collectionneurs qui nous ont fourni des illustrations. Merci, également, aux membres du Conseil de Direction de l’APHRN qui ont activement contribué à l’élaboration de ce numéro, réalisé de manière entièrement bénévole.
Les articles sont publiés sous l’entière responsabilité et propriété de leurs auteurs. La publication partielle, ou totale, des articles et illustrations parus dans HISTOIRE & PATRIMOINE est interdite.
Illustration : Peinture de F.Cancale (Exposition : Pêcheries et rêveries de la presqu’île et de l’estuaire - Saint-Nazaire).
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— HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 96 -
novembre 2019
Pendant la grève des riveurs, à Saint-Nazaire (mars-avril 1907). Un groupe de gréviste, avant la distribution de la soupe. (Collection Patrick Pauvert)
Impression Khilim - Réalisation Déborah Martin et Tanguy Sénéchal
HISTOIRE & PATRIMOINE n° 96 - novembre 2019 - 14 €
A.P.H.R.N - Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne Agora (boîte n° 4) - 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire Courriel : aphrn.asso@gmail.com - Site internet : https://aphrn-asso.fr ISSN : 2116-8415
ISSN : 2116-8415
Armoiries de Saint-Nazaire, Illustrations de Xavier d’Andeville, héraldiste-armoriste (http://www.heraldiste.org)