HISTOIRE & PATRIMOINE n° 84 - juillet 2015

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HISTOIRE & PATRIMOINE ASSOCIATION PRÉHISTORIQUE ET HIS TORIQUE DE LA RÉGION NAZAIRIENNE

L’histoire locale de la Région Nazairienne et de la Presqu’île Guérandaise

Mesquer Quimiac Une station balnéaire « discrète » (3e partie - 1960-1980)

Petite histoire des cinémas nazairiens

Une adolescence L’estuaire dans les baraques de la Loire aux du Pertuischaud temps anciens

La Presqu’île à Jules

Les piqueries d’oignons dans la presqu’île

A.P. H.R.N - n° 84 - juillet 2015 - 10 €


Une maison ancienne, dans le vieux Rennes (Photo Geneviève Terrien)


F

idèles à nos projets, ce numéro 84 d’HISTOIRE & PATRIMOINE est le troisième que nous publions cette année. Année probatoire pour cette nouvelle périodicité, qui se veut positive.

Éditorial

Ces trois parutions annuelles, promises début 2015, devaient rester d’une importance raisonnable : un peu moins de 100 pages, environ, pour chaque numéro, et moins onéreuses à l’achat (10 €, contre 15 €, précédemment). Dans cette nouvelle livraison, que vous avez en mains, vous pouvez constater que les articles sont toujours nombreux, et fournis, et que la pagination dépasse, assez largement, le seuil théorique fixé. Ceci est dû, notamment, aux auteurs, anciens ou nouveaux, à leur documentation étendue, à l’iconographie choisie scrupuleusement. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Un numéro spécial verra-t-il le jour à la rentrée littéraire ? Suspense… Le contenu de ce nouveau numéro est composé d’articles, décidément, très différents les uns des autres, de l’imaginaire distrayant à la réalité plus cruelle. Du terroir à l’océan, les récits que l’on y trouve sont toujours liés aux hommes qui y vivent, mais vous verrez que l’Histoire montre, aussi, par bien des aspects, l’humour et la fantaisie. Les loisirs - sujet plus léger, et ceci n’est qu’une apparence - sont abordés : des souvenirs, un peu nostalgiques, qui apparaissent à l’évocation des salles de cinéma disparues de Saint-Nazaire, à ceux, plus colorés, des beaux étés passés dans la petite station balnéaire discrète de Mesquer-Quimiac. Nous vous souhaitons une agréable lecture estivale. Christiane Marchocki Présidente de l’APHRN

Ci-dessus : Photo Geneviève Terrien Première de couverture : Vue aérienne de la Bôle de Merquel, à Mesquer

(Photo Jacques Leray - 2013)


A . P. H . R . N

Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne

Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - http://aphrn.fr.nf - Tél. 06 62 58 17 40 HISTOIRE & PATRIMOINE n° 84 - juillet 2015 Editeur : A.P.H.R.N Directrice de la publication : Christiane Marchocki Maquette/Mise en page : Tanguy Sénéchal Impression : Pixartprinting Dépôt légal : 3ème trimestre 2015 N° ISSN : 2116-8415 Revue consultable aux Archives de Loire-Atlantique sous la cote Per 145

Contribuez à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Vous vous intéressez à l’histoire, et, en particulier, à l’histoire de notre région ? Vous souhaitez apporter votre témoignage sur une époque, aujourd’hui révolue ? Vous possédez des documents, ou objets, anciens (écrits, photos, dessins, peintures, tableaux, sculptures, objets divers), qui pourraient faire l’objet d’une publication ? Vous aimez écrire, raconter, transmettre, ce qui vous intéresse, ou vous tient à coeur, et qui a trait à l’histoire locale ? L’APHRN vous propose de publier vos écrits, ou documents, ou de transcrire vos témoignages, dans la revue HISTOIRE & PATRIMOINE. Téléphonez-nous, au 06 62 58 17 40, ou écrivez-nous, à l’adresse ci-dessous, ou, tout simplement, adressez-nous, directement, votre texte, sous forme numérique. Vos propositions seront examinées avec la plus grande attention et soumises au conseil de direction de l’APHRN, qui vous répondra dans un délai d’un mois, maximum. Adresse électronique : aphrn.asso@gmail.com - Adresse postale : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire

Abonnez-vous à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Un abonnement à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE, c’est l’histoire de la région nazairienne/guérandaise, tous les trois mois, dans votre boîte aux lettres, pendant les trois premiers trimestres de l’année, en janvier, avril et juillet (votre abonnement vous permet, de plus, de bénéficier d’un tarif préférentiel sur les numéros hors-série, qui paraissent à l’automne). C’est l’histoire locale, dans toute sa diversité, écrite, à la fois, par des historiens professionnels, connus et reconnus, et par des amateurs éclairés, dans la tradition des publications de notre association, depuis sa création, par Fernand Guériff, il y a 45 ans. C’est, aussi, un support en constante évolution, d’un graphisme soigné, richement illustré, composé de près de cent pages à chaque livraison. Nous vous proposons cet abonnement avec une réduction de 10 % par rapport au prix public, frais de port compris (trois numéros par an, parution en janvier, avril et juillet).

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— Histoire & Patrimoine n° 83 avril 2015


SOMMAIRE HISTOIRE & PATRIMOINE n° 84 — juillet 2015 P. 4 01

Éditorial

Christiane Marchocki 04

Petite histoire des cinémas nazairiens depuis la guerre de 1939-1945 Daniel Sauvaget

20 P. 47

Mémoires d’une enfant de la guerre (Partie 1.3) Michelle Speich

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L’estuaire de la Loire aux temps anciens Une histoire d’eaux Claude Thoméré

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La résurrection des « Morts pour la France » de la Chapelle des Marais Marcel Belliot

P. 57

57

Guérande, 1962-1966 Souvenirs d’un petit séminariste (4e partie) Gérard Olivaud

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La Presqu’île à Jules Bernard Tabary

74 P. 88

Les Piqueries d’oignons dans la presqu’île guérandaise Françoise et Malou Roussel

80

Mesquer-Quimiac (1960-1980) Une station balnéaire « discrète » Jocelyne Le Borgne

88

La triangulation de la Ran Blanche,

ou l’acte de naissance du Pays de Guérande Michel Barbot 96 P. 96

Paul Griveaud, maire de Chantenay, au Banquet Républicain du 22 septembre 1900 Anne Robion Griveaud

100

Les Rohan, de l’an Mil à nos jours

Jean de Saint-Houardon 104

Journal d’un aumônier breton - 1850 Christiane Marchocki

(15e partie)

106 L’HISTOIRE et L’IMAGINAIRE 106 - Le passage du petit pavé - Adeline Roussel P. 100

109 ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI 109 - La Turballe fête ses 150 ans 110 - René-Yves Creston, L’instant du geste et Le mouvement du temps apaisé 112 À LIVRE OUVERT 112 - Existence amont 113 SORTIES CULTURELLES 113 - Rennes, métropole d’Art et d’Histoire - Christiane Marchocki 115 - Le Musée des marais salants - Christiane Marchocki

P. 104

116 L’ASSOCIATION Histoire & Patrimoine n° 83 — avril 2015

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Mémoire des salles obscures

Petite histoire des cinémas nazairiens depuis la guerre 1939-1945

Daniel Sauvaget Mai 1945, la guerre est terminée, la Poche est libérée, Saint-Nazaire est en ruines – aucun cinéma n’est en état de fonctionner, bien sûr1. Combien de cinémas comptait la ville avant les bombardements ? Quatre peut-être dont un mystérieux Eden-Cinéma, et un cinquième à Trignac ; et trois seulement en 1942, selon une source parfaitement officielle (+ une à Trignac)… Sans compter, apparemment, une ou deux salles de patronages catholiques qui n’avaient peut-être pas un statut administratif et économique équivalent.

S

i la ville renaît avec énergie, la reconstruction va prendre du temps, notamment pour ce qui concerne les équipements de loisirs et les équipements culturels, qui bénéficieront toutefois des meilleures conditions de modernisation en repartant de zéro... Mais il faut d’abord déblayer, relancer la production, loger les sinistrés, scolariser les enfants, rétablir les commerces essentiels et les services publics. Toutes ces urgences n’empêchent pas une soif de loisirs de s’exprimer, d’autant plus forte que les habitants sortent d’une longue période de tensions et de privations. Les activités sportives repartent, modestement, avec une course cycliste 1

1 - On estime que 500 salles de cinéma ont été détruites du fait de la guerre sur l’ensemble de la France métropolitaine. La reconstitution du parc de salles bénéficiera d’aides publiques à partir de 1948 en complément des dommages de guerre

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— Histoire & Patrimoine n° 84 juillet 2015


à travers les ruines, et si les premières fêtes populaires rassemblant les Nazairiens sont organisées dans les localités où résident les réfugiés depuis 1943 (en particulier sur la Côte) on peut aller au bal à Saint-Nazaire dès l’hiver 1946-1947, dans des locaux provisoires édifiés en même temps que les premières baraques et bungalows qui permettent le retour des habitants — et le printemps 1947 voit fleurir les fêtes de plein air. Dès lors, les premiers théâtres cinématographiques (c’est le terme officiel) entrent en fonction dans un contexte de précarité. Le centre-ville étant mobilisé par le remembrement urbain et le nouveau plan d’urbanisme, c’est dans les quartiers extérieurs qu’ils sont ouverts, à Penhoët et à Méan où – malgré certaines incertitudes liées aux décisions en cours – on a autorisé

le retour des habitants dans les maisons réparables, ainsi que dans les quartiers ouest, en sortie de ville (la Ville aux Fèves) et d’abord sur le Plateau de Plaisance. C’est toutefois à Pornichet en 1946 que le cinéma avait redémarré pour les Nazairiens, grâce aux initiatives de Gaëtan Lagrange, un ancien exploitant replié sur la côte où se trouvaient également de nombreux établissements nazairiens, enseignement secondaire et services municipaux notamment. De 1946 à nos jours, l’histoire des cinémas de Saint-Nazaire est d’abord celle d’une renaissance qui va bénéficier de ce qu’il est convenu de nommer l’âge d’or de l’exploitation cinématographique (les années 1950 et le début des années 1960). Cet âge d’or sera suivi, comme partout en France, d’une période de concentration de l’équipement commercial avec élimination

L’ancien Théâtre-cinéma Athénée. Carte postale. (Archives municipales de Saint-Nazaire)

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La traversée du XX siècle e

et de ses guerres

dans une famille française (Partie 1) et une famille allemande (Partie 2)

Ci-dessus :

Famille Speich, en Brière, en 1950 (Collection Michelle Speich)

Ci-contre :

Famille Classen, en 1942, à Schatensen (Collection H. G. Classen)

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Mémoires d’une enfant de la guerre (Partie 1)

Michelle Speich

(Partie 1.3) - 1949-1958 (suite)

Saint-Nazaire : Une adolescence dans les baraques du Pertuischaud

La ville avait été détruite à plus de quatre-vingts pour cent par les bombardements. En 1949, le commissariat de Saint-Nazaire y fut rapatrié et mon père dut donc y travailler. De ce fait, une baraque en voie de construction de la cité du Pertuischaud nous fut attribuée par le MRL (Ministère de la Reconstruction et du Logement). Histoire & Patrimoine n° 84 — juillet 2015

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L’estuaire de la Loire aux temps anciens, une histoire d’eaux

Le pays des seils, coulées et petits moulins à marée Claude Thoméré Le pays dont il s’agit ci-dessus [autour de l’embouchure de la Loire] est celui décrit en creux dans la thèse de géographie de l’abbé Vince, sur la presqu’île guérandaise. L’abbé entendait presqu’île guérandaise dans un sens large, comme l’ingénieur des ponts et chaussées Ogée entendait la Brière au XVIIe siècle, à la fin de l’ancien régime. Présentation

L

’estuaire détache une grande presqu’île à laquelle on vient ajouter les territoires contigus et adjacents, ceux compris entre les estuaires de la Loire et de la Vilaine. Cette définition de l’estuaire ne va concerner toutefois que la rive droite1 de l’estuaire ligérien. Au nord, on tourne à l’Isac, premier affluent (rive gauche de la Vilaine) et on revient ainsi englober dans notre définition la plus grande partie du plateau nantais et la partie haute du sillon de Bretagne à l’ouest. L’ensemble des reliefs autour du sillon – en dépit de faibles hauteurs, un peu plus de 80 mètres, au maximum – sert de château d’eau dans toutes les directions de la rose des vents. Les fils d’eau descendants rejoignent le Brivet, la Vilaine, l’Isac, l’Erdre et la Loire. Il n’y a que peu de cours d’eau qui rejoignent directement l’océan comme le Brandu hormis les deux fleuves principaux, mais notre pays estuarien reste un pays profondément sous influence maritime. La toponymie locale nous offre d’ailleurs des mots-notions évidents pour prendre en compte la réalité géographique particulière de ce pays estuarien. On trouve cependant une difficulté supplémentaire dans

1 - Plutôt la rive droite et quelques presqu’îles de la rive gauche, par exemple Buzay, Rouans, les îles dont Vue, Paimbœuf et Corsept avec Sainte-Opportune

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la ligne-frontière linguistique invisible qui le découpe. La ligne Loth, puis la ligne Le Moing2 définissent les endroits où on a parlé breton. Cela aurait pu définir une cassure, des obstacles de taille à empêcher toute intégration. Pourtant, en ce qui concerne le vocabulaire de notre environnement fluvial et maritime, il existe un stock de mots de même nature – d’origine latine, repris en breton et en roman – qui sont utilisés dans le parlé naturel et quotidien des gens de notre petite région dit français de l’ouest. Ces mots3 sont attestés dans les premières chartes latines de Bretagne 4. Ces chartes vers l’an mil, mentionnent la présence d’un ensemble construit de moulins, de pêcheries, d’écluses, de chaussées, de canaux… On ne peut pourtant pleinement comprendre le paysage de l’Estuaire qu’avec deux clefs très spécifiques.

2 - Lignes théoriques délimitant les frontières d’usage du breton et du roman, la ligne Le Moing est basée sur la base des données toponymiques de l’IGN. 3 - Ce vocabulaire mériterait d’être présenté en dehors des recueils toponymiques dans les dictionnaires de breton pour en reconnaitre au moins l’usage. 4 - Dans les chartes des abbayes de Redon, de Buzay, de Blanche Couronne, de ND de Montonnac, de Quimperlé, mais aussi dans celles des abbayes de Marmoutier, Saint Cyprien de Poitiers, Saint Aubin d’Angers et les chartes des ducs.


Estuaire de la Loire, pendant la période des hautes eaux de la transgression flandrienne (avant la fin du XIIIe siècle), d’après un plan croquis de R. Briant. (Adaptation : Claude Thoméré)

Les mots-notions de seil et de coulée Les deux premiers mots-notions, particuliers à notre découpage territorial et trouvés dans la toponymie locale, sont les mots de seil et de coulée. Ils décrivent, à mon sens, la structure géographique existante avant la fin de la période de hautes eaux qu’on peut situer grossièrement au XIIIe siècle. La fin de cette époque n’a pour autant jamais signifié un état stable définitif ou le retour à un lit mineur définitif de la Loire. Les masses de matériaux d’érosion charriés par le fleuve et l’océan ne sont pas raccrochées au socle d’une façon quelconque et sont même susceptibles de mouvements. La période de fortes eaux elle-même n’a été qu’une tendance d’une certaine durée et les eaux et le littoral fluvial n’ont pas cessé pour autant depuis de bouger. Cette période [fin des hautes eaux] a coïncidé avec une arrivée massive de religieux angevins, tourangeaux surtout, mais aussi poitevins – créant des prieurés en nombre pour gérer les terres et les îles données par les ducs et duchesses pour le salut de leur âme5 – dont la présence a déstructuré la toponymie de façon durable. Pour dresser un tableau reconstructif qui pourrait être bien utile à l’avenir, je propose de partir de ces deux notions de seil et de coulées. Il est vrai que notre paysage 5 - Ils étaient eux-mêmes angevins ou poitevins, dans une moindre mesure tourangeaux, et favorisaient une implantation tellement importante que l’évêque de Nantes s’en ouvrit au duc et demanda des mesures correctives.

estuarien est un paysage aquatique et hydraulique qui n’est surmonté que par deux reliefs, par le sillon de Bretagne et aussi, mais dans une moindre mesure par le sillon de Guérande et par le plateau nantais. Cette géologie a été entaillée par les eaux de façon déterminante et le seul mot francique à être utilisé est le mot marais (margât, marigot…), mais son apparition est tardive sur notre territoire. Les eaux, en effet, étaient encore libres jusqu’au XIIIe siècle et là où on trouve des marais aujourd’hui, on ne voyait autrefois que des îles.

Croquis à main levée, en esquisse d’un moulin à marée sur une ria de l’estuaire, avec, en toile de fond, le sillon de Bretagne. (Claude Thoméré)

Le seil est un très ancien toponyme sorti du bas-latin saliacum [proposé par Bourde de la Rougerie dans son livre de chartes ducales], utilisé pour construire Chessail, le nom d’un lieu-dit à Sainte-Luce près de Nantes. Ce mot saliacum – du latin tardif – pourrait avoir le sens d’eau saumâtre, chargée en sel. De ce mot on passe au roman seil avec un seil au Bougenais,

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LA GRANDE GUERRE

La résurrection des “Morts pour la France“

de La Chapelle des Marais Marcel Belliot Cet article est né d’un étonnement et d’une volonté de réparation. Je suis originaire de Mayun, village de la Chapelle des Marais et je vis depuis quarante ans en région parisienne. J’ai gardé l’habitude, aux fêtes de Toussaint, de me rendre au cimetière de ma commune natale et de visiter les tombes de ma famille.

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Guérande, 1962-1966

Souvenirs d'un petit séminariste (4e partie) Gérard Olivaud

« Fabriquer des souvenirs, ça sert à rien, mais ça tient chaud ! » Aldebert


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LA PRESQU’ÎLE À JULES

Bernard Tabary

As-tu conscience, honorable lecteur, que le Jules dont il va être question ici n’est pas n’importe quel Jules – un Jules banal, ordinaire, médiocre, trivial, vulgaire, commun, rebattu (j’en passe, et des meilleurs !), quasi anonyme, ectoplasmique ?... Mais « LE » Jules, le seul, le vrai, le grand, l’énorme… : Jules César soi-même. Tu vas te trouver (quelle chance, quel honneur !) dans l’intimité inouïe de sa correspondance très privée avec… l’immense, l’ineffable, la bellissime ; tu as deviné : la divine Cléopâtre.

C

ette extraordinaire correspondance est composée de dix (10) longues lettres de Jules César, écrites juste un an avant sa mort – même les plus grands s’en vont ! –, alors qu’il revenait vers Rome après la bataille décisive de Munda (quelque part dans ce qui deviendra l’Andalousie), bataille qui marque la fin de la guerre civile ; César est enfin devenu le Premier à Rome. Elle est aussi composée de deux (2) lettres-réponses de l’ineffable Cléopâtre. Fantastique, n’est-il pas ? Évidemment, tous les deux y disent et redisent leur Amour, dans un langage expurgé de toute langue de bois. Spontané, lyrique, fougueux, enthousiaste, sublime. Rien à voir avec… par exemple, au hasard, La guerre des Gaules, qui est une œuvre éminemment politique – une œuvre de propagande, donc. Ici, Jules est lui-même, sans fard, sans-façons, naturel comme ce n’est pas possible. Il parle même de ses rêves – ou plutôt de son…

...rêve étrange et pénétrant D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime, Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend...

Non, non, non ! Ce n’est pas seulement un rêve. Cette Femme-là, il l’a trouvée. Trou-vée. C’est sûr, il l’aime ; elle l’aime. Pour toujours. Ce rêve-là est déjà réalisé.

Oh ! Joie ! joie ! joie ! Pleurs de joie !

Il a un autre rêve – tout aussi étrange et pénétrant… D’une « presqu’île » où il aimerait (oh ! qu’il l’aimerait !) finir sa vie dans un cœur à cœur interminable

avec son adorée. Et cette « presqu’île » ressemble étrangement à la nôtre – entre Loire et Vilaine. Notre presqu’île guérandaise. Tu imagines ? Jules, « LE » Jules, chez nous ! Parce que Jules César est venu chez nous (oui !) et qu’il en a gardé un sacré souvenir – ou mieux : un souvenir sacré. Pour t’en donner une petite idée, je te livre ici ses lettres N° 5 et N° 6… Et, si le cœur t’en dit… toutes les autres !

LETTRE N° 5 Ma petite Cléo ! Je ne t’ai pas écrit hier soir. Trop fatigué. Les voyages forment la jeunesse – mais déforment la vieillesse ! Ces longues chevauchées ne sont plus de mon âge. Le passage des Pyrénées a été difficile. Non pas à cause de l’altitude (modeste), mais en raison de la mauvaise qualité des chemins. De plus, nous nous sommes perdus plusieurs fois. Je n’ai même pas eu un moment, un simple moment, pour penser à toi, c’est dire ! Nous avons monté le camp très tard, bien après la tombée de la nuit. Nous avons même pris la décision (c’est moi qui l’ai prise : je suis

Page de gauche : Buste en marbre, dit « de Jules César » Musée d’Arles (Photo fr.zill - CC BY-SA 2.0)

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Les piqueries d’oignons dans la Presqu’île Guérandaise 2

Françoise et Malou Roussel

Lors de la parution de notre article sur les paludiers vignerons de Guérande, dans le n° 81 d’Histoire et Patrimoine de juillet 2014, un sympathique adhérent nous a demandé si nous avions l’intention d’aborder « les piqueries d’oignons » tant il restait impressionné dans ses souvenirs d’enfant par les files de petites charrettes bleues ou vertes des paludiers, chargées de leurs bulbes, se dirigeant chaque année, début septembre vers Saint-Nazaire, pour la fameuse « foire aux oignons ».

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ais avant de les vendre, il faut les faire pousser et c’est une technique par étapes. Semer, arracher, repiquer, sarcler, arracher encore, faire sécher, équeuter n’ont pas de secrets pour nous puisque nous avons pratiqué toutes ces étapes avec nos familles. Mais nous avons voulu rafraîchir nos connaissances et nous nous sommes donc mises en quête d’informations, de témoignages d’anciens et d’illustrations afin de vous restituer ci-après une Photo n° 2 activité moribonde qui pourtant était un temps fort La montée des travaux collectifs dans la région de Guérande et en graines, en 2014 un moyen économique non négligeable en temps de (Photo M. Roussel) mauvaise récolte de sel.

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Historique : Cette plante originaire d’Asie centrale et de Palestine est citée dans la Bible et les Égyptiens la donnaient en offrande aux dieux. C’est un des premiers légumes cultivés par l’homme depuis 5000 ans, d’ailleurs il n’existe plus dans la nature à l’état sauvage. De la famille des alliacées, le bulbe Allium Cepa ne se divise pas comme son cousin l’échalote. Il est donc uni, unio chez les romains qui contribuèrent dit-on à son développement dans la culture occidentale. Au XIIe siècle, le terme « ognon » entre dans la langue française et sa présence se développe dans les potagers. Fernand Guériff nous informe qu’une pièce


Comme l’écrivait l’abbé Tuard, notre curé-poète dans Photo n° 1 « Miserchénou » (Histoire et patrimoine N° 73 de Marchands d’oignons près novembre 2009) : J’n’avons donc qu’nos pauv’z’ognons Qu’avec du blé, j’échangeons Y s’trompont ceux-là qui crayont Qu’Saillé fait d’bonn z’affaires

de Pont-Croix en 1794

(Gravure de Jacques Combry)

La culture des oignons :

1 d’archive de 1157 montre que les religieux du prieuré de Saint-Nazaire recevaient en don « chaque an de grands et bons ognons ». Gildas Buron nous signale qu’en 1475 la terre de Kerdour à Batz était déjà reconnue « comme terre à oignons ». La forme définitive de « oignon » n’apparaît en France que deux siècles plus tard. Christophe Colomb l’introduit en Amérique en 1493. Aujourd’hui, l’oignon est cultivé un peu partout dans le monde, mais il est surtout présent dans les zones tempérées. L’air salin lui est bénéfique et par conséquent, il s’est bien adapté à notre Presqu’ile Guérandaise. Aux XVe et XVIe siècles les oignons des paludiers étaient réputés. Nos sauniers (photo n° 1) se chargeaient de leur diffusion en Bretagne et en Anjou. Ils en emportaient toujours avec eux au moment de la troque du sel, assurant en contrepartie le ravitaillement du pays en céréales indispensables.

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Tout commence, l’année N-1, par une mise en terre, au printemps, des plus beaux bulbes de l’année, pour une montée en graines (photo n° 2), choisis chez nous, dans la variété « Jaune paille des vertus », qualifiée de productive et rustique et surtout de bonne conservation. En août, les têtes sont coupées, séchées, ventilées et sassées (photo n° 3). Les petites graines noires sont réservées au sec jusqu’à la fin de l’hiver. En février-mars suivant, après avoir labouré un sol sans fumure, car l’oignon n’aime pas l’azote, le paludier-paysan

Photo n° 3 Graines et sas, été 2014 (Photo M. Roussel)

Photo n° 4 Semis Jean-Paul Nicol, 2015 (Photo M. Roussel)

4 Histoire & Patrimoine n° 84 — juillet 2015

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Mesquer-Quimiac 1960-1980 Une station balnéaire « discrète » Jocelyne Le Borgne Fin mai 1967, l’abbé Mercier1, accueillant le nouvel évêque de Nantes, avançait le chiffre de « près de 10 000 estivants présents pendant les trois mois d’été… » et il ajoutait « L’avenir de notre pays est au tourisme : l’industrie du bâtiment, le commerce saisonnier, requièrent une maind’œuvre chaque année plus abondante… »

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i le chiffre avancé de 10 000 estivants pour cet été 1967 peut paraitre un peu « gonflé », on ne peut oublier que le développement touristique à Mesquer bénéficia du contexte économique national très favorable des années 60-70. Trois ans plus tard, évoquant l’histoire de la seigneurie de Beaulieu et les terres qui en dépendaient, il écrivait dans le bulletin paroissial n°18-19 « Du parc du Geai à Praderoi, en passant par le Lann-gui, le Clos Normand, le Clos Ligo, Kerdandec, le Grand Goffedin, Cabonnais, le Mené, l’ïle du Moulin, Treyo, le Forster, le Parc Castel, le Fin, le Cadu, le Dremanon se sillonnent maintenant d’avenues bordées d’élégants chalets ou bien se découpent en lotissements pleins d’espoir… le pré de Lanséria est devenu " le bois de Quimiac " et la " bôle de Merquel " longtemps objet de controverses, trouvera un jour le destin qu’elle mérite ! ». Pour mieux appréhender l’évolution de Mesquer-Quimiac, parcourons ensemble ces deux décennies qui virent exploser le nombre de résidences secondaires. 1

Accueillir au mieux de nouveaux vacanciers… Le souci de la municipalité restait le même que dans les années passées, il fallait trouver des financements pour développer ou moderniser toutes les infrastructures nécessaires à l’accueil pendant près de trois mois, de plusieurs milliers d’estivants dans une commune qui ne comptait alors que 1031 habitants2 répartis en 543 résidences principales. Routes, réseaux électriques, adduction d’eau, tout ou presque était à construire… En 1961, la chapelle Saint-Louis reçut « un clocher de 2,50 mètres de côté par 18 mètres de haut », ce clocher et sa cloche « nommée Louise pesant 300 kilos et sonnant 1 - Le Messager de Mesquer n° 23 année 1967 2 - Recensement avril 1962

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le do…» furent bénis en présence du prince Xavier de Bourbon Parme3, cet évènement bénéficia de nombreux relais « dans la presse et même à la radio ». Attentif à ses abonnés résidants « secondaires », l’abbé Mercier grand reporter de la vie quotidienne locale ne manquait pas de faire chaque année, juste avant la saison, le bilan de l’avancée des travaux privés et publics destinés à favoriser le tourisme. Ainsi, en 1965, il signalait la « création du domaine des paludiers à Kercabélec… », les ouvertures de nouveaux commerces « Madame Trimaud, commerçante-ambulante en marée ouvre une poissonnerie à Roz Arvor…», les changements d’adresse ou de propriétaires « Madame Jeanne Renaud a cédé son fonds de commerce de boucherie de Quimiac et du bourg à Monsieur Vallée de Nantes ».

Cloche/miniature. Une petite « Louise », reproduction miniaturisée de la cloche de la chapelle Saint Louis, à Quimiac. Haute de 3,5 cm., elle était ornée d’un ruban bleu roi et fut vendue au profit des oeuvres de la paroisse. La Chapelle SaintLouis et son clocher tout neuf… (Collections particulières)

3 - Descendant des Seigneurs de Campsillon de Mesquer selon l’abbé Mercier in Messager de Mesquer n° 24, juin 1961

Sorloch, été 1971. Pas encore de villas sur la dune, mais déjà beaucoup d’affluence sur la plage. (Collection particulière)

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La triangulation de la Ran Blanche ou

l’acte de naissance du Pays de Guérande ?

Le nom et l’origine de Guérande, la cité de saint Aubin, le « Druide Blanc », conservent aujourd’hui encore une part de mystère. Vers 570, le comte vannetais Waroc’h II en fait la capitale du Wen-Ran ou Pays Blanc.

Michel Barbot

D

ans son article « Guérande et le Zodiaque » (Cahiers des Amis de Guérande, n° 23), Fernand

Guériff affirme : « Au risque de suffoquer le lecteur », et ce « avec témérité » que Guérande n’est pas un nom de ville, mais un nom de pays.

De Guérande à Batz-sur-Mer « Gwen-Ran = le pays (ou le lot, la part) blanc, ou en friche – dénomination qui désigne tout un pan de pays, et non un point particulier qui sert de capitale. » Cette notion de pays apparait remise en cause par certains érudits de la Presqu’île. Gildas Buron, le conservateur du Musée des Marais Salants, de Batzsur-Mer, spécialiste de la toponymie bretonne, rappelle que la Parcelle Consacrée (autre signification de Uuen ou Wen Ran) est mentionnée « en 854 ‘’ ecclesia quae dicitur Wenran1 ‘’. Il s’agissait donc d’une église, d’une assemblée chrétienne (sens initial de ecclesia) ou d’une paroisse, mais non d’un pays, d’un bourg ou d’une région. » Il est certain que, présentée ainsi, l’analyse de Gildas Buron sanctionne d’emblée, et non sans légitimité, la vision de Fernand Guériff d’un Wen-Ran, Pays de Guérande. La cité fut fondée, voir relevée, par les Bretons du conte Waro’ch II vers 570 ou 580. Quelque 280 années séparent la fondation de cette ecclesia Wenran de la première mention écrite. 1 - Ce que l’on peut traduire par : « une église que l’on appelle/dénomme Guérande. »

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L’existence au IXe siècle et assurément plus avant dans le temps, d’une église nommée Uuen Ran (la Part Pure – Sacrée) peut-elle infirmer l’existence d’une Uuen Ran, Pays Blanc ? Pouvons-nous raisonnablement penser, à l’instar du Grand-duché du Luxembourg et de sa capitale, Luxembourg, pour ne citer que cet exemple, qu’il n’y eut pas, en ces premiers siècles du Christianisme, dans la Presqu’île de Guérande, un pays et sa capitale portant le même nom ? L’un des deux points de ce pays aurait été, suivant Fernand Guériff, Bas Wen Ran qu’il traduit : « l’île de Batz du pays blanc ». Ce dernier nom devient très important quant à l’hypothèse avancée par l’historien guérandais. Jean-Anne Chalet dans son livre « Les Belles Heures du Comté Nantais » (Éditions Édijac) indique : « Orieux et Vincent écrivent, de leur côté, qu’au IXe siècle ‘’ le bourg de Batz était le chef-lieu paroissial de l’île entière qui s’appelait alors Bath-Werran et possédait de nombreuses salines.‘’ » Dans « infobretagne.com » figure l’article « Étymologie et Histoire de Batz-sur-Mer » dans lequel nous lisons : « Au Xe siècle (entre 944 et 952), après les invasions scandinaves, la totalité de l’île de Batz (insula quae


nominatur Bath Uuenran) est donnée par le duc Alain Barbe-Torte (Alain II) à l’abbé Jean, supérieur de l’abbaye de Landévennec. Pasqueten, frère d’Alain le Grand, fait des donations aux moines de l’abbaye de Redon. Vers 945, les moines édifient un prieuré sous le patronage de saint Guénolé, fondateur et premier abbé de Landévennec. Les moines apportent le culte de leur fondateur, saint Guénolé, qui remplace les saints patrons d’origine saint Cyr et sainte Julitte. » Certains auteurs traduisent Bath Uuenran par Batz de Guérande. Il est effectivement démontré qu’au Haut-Moyen-Âge, Guérande, paroisse primitive, était une super commune englobant différentes bourgades (Batz, Saint-Lyphard et vraisemblablement Saint-Molf et Mesquer) appelées par la suite à devenir ellesmêmes des communes. Aucune de ces bourgades n’eut son nom accolé à Uuenran. L’aspect unique de cette dénomination baztienne donnerait, semble-til, du crédit à l’hypothèse Pays Blanc formulée par Fernand Guériff. Ce Pays Blanc fut présenté comme contrepartie complémentaire du Pays Noir ou Grand Marais de la Brière. Fernand Guériff délimite la Uuenran, bien qu’elle en débordera ostensiblement, par trois points. Le point nord sur la commune de Piriac-sur-Mer sera Pen-Ar-Ran (la Tête, le Sommet devant la Part). Le point sud-est prendra le nom de Wen-Ran (la « Part Blanche »), actuelle Guérande. Et le point sud-ouest sera Bas-Wen-Ran que nous pouvons traduire sans rentrer dans le détail, ainsi que le faisait Fernand Guériff par l’île de Batz du pays blanc.

Pen-Ar-Ran : la pointe nord ou sommet Pen-ar-Ran (la Pointe devant la Part), tels Guérande et Batz, devient sujet à caution quant à son rôle dans la matérialisation d’un Pays Blanc. Cette Ran n’aurait, dans l’étude de Gildas Buron, que peu de rapport, voire aucun, avec les deux autres Rannou. Nous devons bien sûr rejeter la forme abusive de Penhareng, traduite par Édouard Richer « cap des harangues ». Il justifiait, ainsi que le feront ses continuateurs, cette traduction en expliquant que les druides venaient en ce lieu déclamer des exhortations (des harangues) au peuple. Henri Quilgars dans « le dictionnaire topographique de la Loire-Inférieure » répertorie en 1572 la forme Penarant et en 1627 la forme Penharan. Fernand Guériff et Gaston Le Floc’h dans le livre « Terroirs du pays de Guérande » (Éditions Label LN) évoquent en ces termes, ce triangle de granit qui avance dans l’Océan : « Cette terrasse avancée, c’est Pen-ar-Ran, la ‘’ pointe devant le pays ‘’ . C’est là que débarqua au Ve ou VIe siècle, une bande bretonne avec son chef Waroc’h (ou Guérec’h, ou Guiriac), lequel y aurait installé sa ‘’ cour ‘’. L’endroit aurait pris le nom de Pen-Kiriac, et devint par la suite Penhériac (IXe siècle), Phihiriac puis Piriac. »

Le premier nom connu du cap est Penferan. Gildas Buron retrouve ce nom dans un inventaire des rentes à percevoir en Piriac, et dans la retranscription de ce document en 1415. En 1479 apparait la forme Penffuaren. Nous retrouvons sur le Net2 la chronique que Gildas Buron consacra à ce toponyme dans les Cahiers du Pays de Guérande. Dans une première hypothèse, le conservateur du Musée des Marais Salants avance : « La graphie la plus ancienne Penferan qui pourrait se décomposer en pen peran ou pen paran, soit un diminutif en an, Penaran se traduirait par le bout de la petite parcelle. La seconde hypothèse qu’il considère la plus probable : « … se fonde sur la graphie penffuaren qui semble indiquer en onomastique, une formation pen + guaren, sens de garenne en vannetais, terrain clos puis ensuite conservé pour la chasse. Ce village de Penffuaren était à proximité de l’ancien camp retranché du Castelli. Le Castelli ( Castellic en 1572) est évocateur des éperons barrés utilisés au cours du second âge du fer. Ensuite, dans le paysage médiéval, la succession de douves, et de levées de terre du Castelli, ont offert toutes les caractéristiques d’un enclos ou d’un terrain aménagé. Penaran, situé sur l’accès du site fortifié, fut donc ressenti comme ‘’ le chef ‘’ ou l’extrémité d’une garenne originale. Il n’est pas interdit de penser que Penaran soit partie intégrante du système défensif du Castelli ou de son territoire immédiat. » Sur le site internet « Forum Bretagne Bzh5 », la toponymie guérandaise fit l’objet d’un quiz. Nous y découvrons les informations suivantes : « Pen ar ran est en effet un Penn ar waremm, bout de la garenne. Noté Penferan en 1395 et Penffuaren en 1479. (ff doit représenter un assourdissement de W). C’est la rebretonnisation abusive de Penhareng qui a donné le monstre actuel. » Ici encore, il faut le constater l’analyse apparait sans appel. Nous sommes loin du Pen ar ran : le monstre actuel. Nous trouvons Penferan en 1395. Cette première forme connue, ainsi que le Penffuaren de 1479 viendraient de Penn ar waremm, soit le « bout de la garenne ». Si l’on consulte le « Dictionnaire étymologique du breton » (Éditions du Chasse-Marée) d’Albert Deshayes, on apprend que le mot Waremm ou Gwaremm apparait dans la langue bretonne sous la forme Gouarem en 1633. Cette première mention écrite connue de ce nom peut avoir été intégrée à la langue bretonne quelques années, voir quelques petites dizaines d’années auparavant, mais peut-elle apparaitre déjà, même de façon mutée à la fin du XIVe siècle ? Les syllabes « fe » et « ffua » causeraient effectivement problème, tout au moins pour une période couvrant les XIVe et XVe. 2 http://desnomsdeshommes.canalblog.com/ archives/2011/12/16/22978489.html Histoire & Patrimoine n° 84 — juillet 2015

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Paul Griveaud maire de Chantenay au

banquet républicain du 22 septembre 1900

Anne Robion Griveaud

Aujourd’hui, où nous devons tant affirmer nos valeurs républicaines, rappelons une journée historique : le banquet du 22 septembre 1900.

C

’est l’histoire d’un banquet que je vais vous conter. Cela se passe à Paris sous la IIIe république, en pleine exposition universelle, le 22 septembre 1900. Le président de la République, Émile Loubet, et son président du conseil, Pierre Waldeck-Rousseau, ont convié, dans le jardin des Tuileries, l’ensemble des maires de France. Ainsi 22 965 convives répondirent à l’invitation. La date du 22 septembre 1900 fut choisie, comme étant le jour anniversaire de la proclamation de la République en 1792, soit 108 ans auparavant. Dans le jardin des Tuileries furent dressées deux immenses tentes. 7 km de tables furent installées, 125 000 assiettes. 6 bicyclettes furent prévues pour transmettre rapidement les ordres de services. Une automobile de Dion Bouton permettait au général de brigade de circuler entre les tables. 3 000 personnes furent employées pour la cuisine et le service. Pour les vins, 39 000 bouteilles, dont 1 500 de fine champagne furent utilisées, et le personnel ne fut pas en reste puisqu’il eut droit à 3 000 litres de gros rouge. Hors d’œuvre, Darne de saumon, Filet de bœuf, Pains de canetons de Rouen, Poulardes de Bresse rôties, Ballotines de faisans Saint-Hubert, Salade Potel, Glaces Succès.—Condés, Dessert... Le tout servi en moins d’une heure et demie... Parmi les milliers d’invités, de nombreux maires de la Loire-Inférieure assistaient à ce banquet, dont Paul Griveaud. Permettez-moi de vous présenter le Maire qu’il fut et aussi l’homme qu’il a été.

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Né en 1847, Paul Griveaud a commencé à travailler, très tôt, comme apprenti orfèvre, mais il suit en parallèle des études d’ingénieur architecte. Il travaillera en Belgique, en Roumanie, construira des ponts métalliques pour le chemin de fer. En 1885, il mène le combat pour l’école publique. Membre du Parti Radical Socialiste, en 1900 il sera élu maire de Chantenay, en 1901 il préside la section nantaise de la ligue des droits de l’Homme... En 1904, il sera réélu maire de Chantenay, jusqu’à l’annexion par la mairie de Nantes. Nous lui devons les noms des boulevards Nantais : Liberté, Égalité, Fraternité, mais aussi celui de la Solidarité où il y a le cimetière... « Parce qu’ici tout le monde est solidaire ! » dira-t-il lors de son inauguration. En 1902, il défend Dreyfus, et nomme, lors du décès d’Émile Zola, la première place Émile Zola de France, autrefois place de la Chesnaie (parce qu’il y avait des chênes…). Les omnibus et tramways venant de Nantes continueront d’indiquer direction place de la Chesnaie... Le 22 septembre 1900, après un voyage de 11 heures de locomotive (Nantes/Paris), il est aux côtés de nombreux républicains, maires de la Loire-Inférieure, préfets… constituants cette IIIe République, pour assister et vivre une journée mémorable et inoubliable ! Dès le lendemain, il écrira, de Paris, une longue lettre à ses enfants restés à Nantes, leur décrivant la journée extraordinaire qu’il venait de vivre.


Paris, le 23 septembre 1900, 11 h, le matin Mes chers enfants, Hier matin, je me suis levé de bonne heure et à dix heures en grande tenue j’étais déjà sur la place de la Concorde pour voir le coup d’œil. J’avais passé par la rue d’Alger où j’avais vu la maison où à 12 ans je venais travailler comme apprenti orfèvre. L’atelier n’existe plus, mais je me suis revu les matins d’hivers dégringolant de Batignolles à l’heure du matin, les doigts gelés accrochés à la petite marmite en fer blanc où était ma soupe pour toute la journée. Je me suis rappelé que souvent, à l’heure du déjeuner quand je voulais entrer dans le jardin des Tuileries pour déjeuner comme si j’avais fait un bon repas, je m’en suis vu refuser l’entrée par le factionnaire parce que je n’avais pas de cravate. À la fin une polisseuse nous prêtait un ruban noir à un autre apprenti et à moi. L’un se le mettait au cou, entrait puis le passait à travers la grille à l’autre qui entrait à son tour. Ce temps est loin et je ne pensais

pas alors qu’un jour je pourrai entrer dans ce jardin des Tuileries l’écharpe à la ceinture et sans plus voir ce château1 où habitait alors celui que je considérai déjà comme un appreneur, à cause de la cravate. Sur la place, j’ai rencontré Goulley, qui a été à Nantes comme secrétaire général du temps de Latusse. Nous nous sommes reconnus avec beaucoup d’émotion et presque embrassés nous étions très heureux tous deux et nous sommes promenés bras dessus bras dessous jusqu’à 11 heures. Grande affluence de maires sur la place et beaucoup de curieux, mais tous très sympathiques. On criait « vive les Maires », « Vive Mr le Maire », pendant que chacun de nous ceignait l’écharpe. Il y en avait de 18 centimètres de large, en ruban de soie bien raide ; on faisait un nœud sur le côté et les bouts descendaient 1 - Dans ce courrier, Paul Griveaud parle du château des Tuileries qu’il voyait autrefois, dans sa jeunesse. Ce château, construit à partir de 1564, sous l’impulsion de Catherine de Médicis, fut détruit par un incendie pendant la Commune, en mai 1871.

Au banquet des maires, entrée des invités. « Le Petit Journal », supplément illustré, n° 516, du dimanche 7 octobre 1900. (Collection particulière)

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Les Rohan de l’An Mil à nos jours

Jean de Saint-Houardon

Vicomtes, puis ducs de Rohan, ducs de Montbazon et de Rohan-Rohan, princes de Guéméné et de Rochefort, les Rohan qui par leur ancienneté et leur puissance ont donné nombre de branches dont la plupart furent célèbres, Rohan-Soubise, Rohan-Gié, Rohan-Chabot, Rohan-Gué de l’Isle, Rohan-Poulduc, Rohan-Montauban, ne sont plus représentés aujourd’hui qu’au sein de deux d’entre elles, les Rohan-Chabot en France, dont le chef de nom et d’armes est Josselin, duc de Rohan, et les Rohan-Guéméné qui se sont installés en Autriche à la Restauration, et qui y demeurent toujours.

Entrée du château de la Groulais, à Blain, propriété de la famille de Rohan, de 1407 à 1802. (Photo KaTeznik CC BY-SA 2.0 fr)

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C

ette branche qui subsiste dans son rameau de Rochefort et de Montauban, aujourd’hui étrangère, est issue de Charles, fils puîné de Jean 1er et de Jeanne de Navarre, décédé en 1438. Son chef de nom et d’armes est le duc de Rohan-Rohan. Ces deux dernières branches se distinguent par leur histoire adossée à celle de la Bretagne d’abord, et de la France ensuite, et pour appartenir aux familles européennes les plus anciennes, puisqu’elles remontent leur tradition à 1008...

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Avec trois archevêques, trois cardinaux, sept évêques, trois grands aumôniers de France, trois membres de l’Académie française, deux maréchaux de France, des échansons de France, des grands veneurs de France, des gouverneurs de provinces, un grand-maître de l’Ordre de Malte, huit chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit, sept lieutenants généraux des armées du roi de 1677 à 1815, un vice-amiral en 1784, vingt et une admissions aux Honneurs de la Cour de 1729 à 1781, sans oublier à ses débuts les honneurs du duché et ses chevaliers de l’Hermine, on mesure la puissance passée de cette


maison, mais si l’on recherche l’origine de sa bonne fortune, c’est de toute évidence à Alain VI de Rohan qu’elle la doit pour avoir constitué un patrimoine territorial d’importance qui déterminera son ascension sociale devenue dès lors quasi irréversible, quand son petit-fils sera déjà à même d’épouser une princesse de Navarre. L’importance des possessions des Rohan en Bretagne sera telle qu’au sein de la Coutume de Bretagne, coexistera avec des usements (terme qui vise des usages locaux codifiés) attachés expressément aux territoires, les usements respectifs de Cornouaille, de Poher (centre Bretagne), de Broerec (évêché de Vannes) et de Trégor, « l’usement de Rohan » que l’on doit aux Rohan-Guéméné qui l’imposèrent dans leurs possessions. Celui-ci a pour premier particularisme de consacrer le juveigneur, c’est-à-dire le dernier enfant mâle d’une fratrie, qui disposera alors de la totalité des biens immobiliers lors des successions, cet usage excluant en cas de déshérence les collatéraux au profit du seigneur. Les Rohan, issus des vicomtes de Porhoët, « descendraient » du mythique Conan Mériadec selon la tradition rapportée par Dom Morice (Yacinthe Morice, 1693-1750), bénédictin et historien de la Bretagne, qui sera controversé plus tard par ses pairs pour ses conclusions sur les origines du Duché. Cet historiographe tout dévoué à leur maison s’attacha à l’exploitation de leurs archives, essentiellement

extraites du chartrier entreposé au château de Blain (aujourd’hui partagé entre les Archives départementales du Morbihan, la Bibliothèque Nationale et la Bibliothèque municipale de Nantes), en se montrant soucieux d’accréditer la thèse que les anciens rois de Bretagne ont été souverains et que les Rohan en descendent en ligne directe, ces derniers s’employant à utiliser leur généalogie à la Cour dès le XVIIe siècle pour obtenir le titre de prince et prendre ainsi rang parmi les princes étrangers, et de se placer en conséquence devant l’ensemble des ducs et pairs.

Jeton (1780) de F. Emmanuel de Rohan-Poulduc, Grand Maître de l’ordre de Malte.

Les Rohan lient leur tradition à la construction du château de Josselin, quand, au début du XIe siècle, Guéthenoc, vicomte de Château-tro en Porhoët, « ficha un pieu en terre » pour établir sa nouvelle demeure sur un promontoire dominant l’Oust, distant de quelques lieux de Château-tro, son précédent établissement. Celui-ci eut un fils, Josselin, né vers 1048 et décédé en 1074, qui donnera son nom au château actuel et à la ville. Ce dernier, père d’un évêque de Vannes et d’Eudon, vicomte de Porhoët et de Rennes (1066-1092), marié à Emme de Léon, se distinguera en 1066 à la bataille d’Hastings et se verra largement possessionné dans le Bedfordshire par Guillaume le Conquérant. Plus tard, au XII e siècle, l’un de ses descendants fondera en Angleterre la branche dite « de la Zouche »... Mais les Rohan ne remontent leur filiation prouvée qu’à Alain 1er, décédé en 1128, père d’Alain II, décédé en 1170, père d’Alain III, décédé en 1195 et époux de Constance de Penthièvre de Bretagne, dont il eut Alain IV, décédé en 1205, marié à Mabile de Fougères, dont Geoffroi 1er, Conan, Olivier 1er, décédé en 1228 et Alain V de Rohan, décédé en 1232, époux d’Aliénor de Porhoët. Compte-tenu de leurs positions et du prestige de leur nom, les Rohan furent dispensés de faire leurs preuves de noblesse lors de la grande réformation de Noblesse (et la dernière) initiée sous le ministère de Colbert. Seuls les seigneurs du Gué de l’Isle et du Poulduc, issus des rameaux les plus modestes les présentèrent. Celles-ci couvraient seize générations. Aussi, furent-ils alors maintenus dans leur noblesse d’ancienne extraction, dite chevaleresque, par arrêt de la chambre de Réformation du Parlement de Bretagne, daté du 20 janvier 1669. C’est de cette deuxième branche ici citée que sera issu Emmanuel de Rohan-Poulduc, seigneur de Poulduc, reçu chevalier de Saint-Jean de Jérusalem en 1751, commandeur de La Feuillée dès l’année qui suivra, son nom l’y aura aidé, Grand-Maître de l’Ordre de Malte le 28 avril 1775 (décédé en 1797).

Portrait d’Emmanuel de Rohan-Poulduc, Grand Maître de l’ordre de Malte. Auteur inconnu Musée de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie (Paris) (Photo PHGCOM CC BY-SA 3.0)

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Journal d'un aumônier breton - 1850 (15e partie)

Christiane Marchocki

Notre ami a bien du mérite d’écrire chaque jour, quels que soient l’état de la mer et la force du vent, les évènements et sa fatigue. Ce 23 octobre 1850, au large de la côte occidentale de l’Afrique, loin de sa terre natale bretonne, il nous donne les nouvelles, celles qu’on peut avoir au milieu de l’océan, avec pour point de repère, la position calculée au sextant reportée sur la carte encore peu fiable, position mise à jour en fonction de la vitesse, de la dérive etc…et pour mode de communication les missives arrivées bien longtemps après leur rédaction, sans oublier les signaux transmis par les pavillons selon le code maritime.

S

ouvent il parle du temps qu’il fait. Préoccupation toujours présente lorsqu’on en dépend pour naviguer, la force du vent alternant avec celle de la vapeur. Le zèle dont font preuve les navires-chasseurs de négriers, lors de la traite interlope et interdite, était largement récompensé par la prise du bâtiment incriminé. Ce jour-là, il n’est pas facile de le déchiffrer, son écriture est bousculée par les vagues, les lettres déformées. Vivement la prochaine escale.

23 octobre 1850 Changement subit de température vers midi, espèce de tonnerre, pluie abondante accompagnée d’une forte brise, mais, sans orage. L’air, un moment, a été, est

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souvent frais, et m’a forcé à me couvrir. J’ai été sage de ne pas aller courir à terre où les chasseurs doivent être détrempés, et où j’aurais été sans abri. La mauvaise saison nous suit pendant toute notre course le long de la côte. Nous allons dans le même sens qu’elle et nous voyageons pour ainsi dire de compagnie. C’est une société incommode qui nous fait passer en un temps très court, de l’humidité la plus pénétrante, aux atteintes de laquelle rien n’échappe, à une chaleur de 30 degrés. Il est tout aussi difficile de se soustraire quand ces deux agréments se lient pour se prêter main-forte pour nous tourmenter.

24 octobre 1850 Nous avons levé l’ancre ce matin. Et nous voilà dans la large embouchure du Congo, grand fleuve dont le cours


L’HISTOIRE & L’IMAGINAIRE

Le passage

du petit pavé Adeline Roussel

E

mma serrait les dents pour ne pas pleurer. C’était la faute à ces maudits sabots ! Une fois de plus, la fillette aurait mieux fait d’écouter les recommandations de sa mère. Mais une fois encore, elle n’en avait fait qu’à sa tête. Et s’était élancée dans les rues de Guérande en courant avec aux pieds des sabots de bois, elle qui ne portait que des baskets. Un pavé qui dépassait un peu plus que les autres l’avait stoppée net dans son élan. Et Emma s’était retrouvée à terre, le genou en sang, luttant contre les larmes qui lui montaient aux yeux. La petite fille entreprit de respirer calmement. Elle se remit debout et inspecta le sol à la recherche du pavé coupable. Comment se faisait-il qu’elle ait pu trébucher alors que Guérande avait récemment repavé ses rues ? Emma repéra tout de suite le pavé à incriminer : il

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dépassait vraiment par rapport aux autres. Mais elle se rendit surtout compte avec étonnement à quel point le revêtement était mauvais : on se serait cru au Moyen Âge… Le désir de reconstitution historique allait un peu loin… D’accord, c’était la fête médiévale annuelle de la cité guérandaise. D’accord, on croisait partout des habitants costumés et toutes les places de la ville étaient occupées de troubadours et de bottes de paille. Mais de là à « dépaver » une rue, c’était un peu fort… Emma se retournait pour en faire la remarque à ses parents qui la suivaient de loin quand tout son corps se figea. C’est seulement à cet instant qu’elle le remarqua. Le silence. La fillette n’entendait plus une seule note de musique, ni même le murmure lointain de la foule. Mais surtout, la rue qu’elle venait de remonter en courant n’était plus la même.


savait tout d’elle, de sa vie et… de sa mort. C’était renversant… Après quelques minutes de réflexion, la duchesse reprit la parole : « Ce qui nous arrive est formidable… Comment as-tu fait pour traverser les siècles ? - Rien de particulier. J’ai juste trébuché sur un pavé, rue Bizienne. Et quand je me suis relevée, j’étais ici. Ou plutôt, maintenant. - Tu es sans doute la personne la plus importante qu’il me sera donné de rencontrer dans ma vie. Mais je ne pense pas qu’il soit bon pour moi que tu me livres mon avenir. Savoir que les gens de ton époque se souviennent assez de moi pour organiser une fête en mon honneur, ici, à Guérande, où je suis juste de passage pour échapper à l’épidémie de peste qui sévit à Nantes, me suffit et me rassure. Cela me donne confiance pour la première fois depuis que mon pauvre père est mort. Je vais suivre mon instinct pour faire face aux responsabilités qui sont désormais les miennes. Si dans cinq cents ans, on parle encore de moi, c’est que mes décisions ne seront pas si mauvaises… Tout du moins, je l’espère… - À Guérande, on se souvient très bien de vous. Il y a aussi une grande rue qui porte votre nom, de même qu’une résidence… » Emma se rendit compte qu’elle était passée au vouvoiement. La discussion continua, Anne et Emma étant chacune ravie d’en apprendre un peu plus sur l’époque de l’autre. Anne fit promettre à Emma de garder le secret de son origine et appela Isabeau, sa sœur, qui n’était autre que la petite fille qui l’accompagnait tout

à l’heure. Les trois fillettes se mirent alors à jouer aux cartes. Il fallut cependant prendre le temps d’expliquer à Emma les règles d’une partie d’aluette. Difficile de deviner, à entendre les rires de ces trois enfants, que deux héritières du duché de Bretagne jouaient avec une de leurs descendantes… Malgré les rires, Emma restait soucieuse. Était-elle condamnée à vivre à cette époque, sans espoir de retour ? Le dépaysement ne lui plaisait que s’il était passager. Anne devina les pensées de sa nouvelle amie et l’invita à lui montrer l’endroit où elle était tombée. C’est accompagnées d’une escorte qu’Anne et Emma quittèrent le monastère des Jacobins où logeait la duchesse pour se rendre intra-muros. Anne s’arrêta au milieu de la rue et demanda à Emma de refaire le même parcours. Un peu surprise, la fillette s’exécuta. Elle partit en courant, et, toujours peu habituée à ses sabots de bois, trébucha sur le même pavé. Elle se releva rapidement pour prendre Anne à témoin. Mais c’est sa mère qu’elle aperçut venir vers elle, lui demandant si elle s’était fait mal. La rue était de nouveau telle qu’elle l’avait toujours connue. Le temps s’était radouci. La clameur de la fête se faisait entendre. Emma se demandait si elle avait rêvé sa rencontre avec la jeune duchesse. Mais quand elle mit la main dans la poche de son tablier, elle en ressortit une carte à jouer… Emma était perchée sur les épaules de son père afin de ne rien perdre du défilé qui allait débuter. On reconstituait l’entrée d’Anne de Bretagne avec sa suite dans Guérande. Elle devait traverser la foule, de la porte Vannetaise à la porte Bizienne. Emma avait insisté pour que l’on se place près de son « petit pavé ». Les cris de joie se rapprochaient. La duchesse et son escorte n’allaient pas tarder. Enfin, Emma aperçut à cheval une frêle silhouette vêtue de rouge et de bleu, les couleurs de Guérande. Au moment où elle arriva à sa hauteur, Emma en resta bouche bée. « Mais… c’est Anne… » La duchesse l’aperçut et lui fit un clin d’œil complice. La duchesse avait elle aussi emprunté avec succès le « passage du petit pavé ».

Adeline Roussel Le texte ci-dessus a obtenu le premier prix du concours de nouvelles 2014, organisé par l’Association des Ecrivains Bretons. Le thème en était : « Anne de Bretagne au coeur du nouveau millénaire ». Page précédente : photo Christian Parreira (CC BY-ND 2.0) Ci-contre : collection particulière.

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ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI

La Turballe fête ses 150 Ans

Les 26, 27 et 28 juin 2015, La Turballe fêtera ses 150 Ans ; c’est en effet par Décret du 17 mai 1865, signé de l’Impératrice Eugénie de Montijo et le ministre Eugène Rouher, que la Commune de La Turballe a été administrativement créée et est devenue pleinement autonome.

C

ette création est la conséquence directe du formidable essor de l’industrie de la pêche et de la conservation des denrées alimentaires, notamment du poisson par le procédé des boites de conserve.

L’évènement sera fêté durant 3 jours selon le programme suivant (animations principales) : »»

Vendredi 26 juin : Arrivée des vieux gréements dans le Port – Soirée des équipages avec animations musicales par deux groupes « Les Mâls de Mer » et « Taillevent »

»»

Samedi 27 juin : Remise officielle du Décret – Repas en commun – Animations musicales – Spectacle pyromusical et Bal

»»

Dimanche 28 juin : Parade des Cercles celtiques

L’Impératrice Eugénie de Montijo. D’après Franz Xaver Winterhalter (1805–1873) Hillwood Museum, Washington

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Les expositions temporaires 2015 du Musée des marais salants :

René-Yves Creston, l’instant du geste et Le mouvement du temps apaisé 21 juin 2015 - 3 janvier 2016

ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI

Après une première exposition temporaire 2014 consacrée au peintre néo-impressionniste Michel Colle (1872-1949), le Musée des marais salants rénové présente en 2015 une nouvelle exposition temporaire ou plus exactement deux expositions temporaires.

L

’une des expositions, intitulée René-Yves Creston, l’instant du geste, est une réalisation du Musée des marais salants soutenue par la famille de RYC. La seconde, Le mouvement du temps apaisé, a été conçue par Padraig Creston comme une respiration visuelle du parcours permanent. Cette double exposition qui réunit le père et le fils offre deux regards d’artistes inspirés par le marais salant et ses lumières, dans une même thématique partagée du « mouvement » en art.

René-Yves Creston, l’instant du geste René-Yves Creston (1898-1964) est né à Saint-Nazaire. Avec sa première épouse, Suzanne Candré (1899-1979), la Loudéacienne Jeanne Malivel (1895-1926), le Nantais Georges Robin (1904-1928), René-Yves Creston compte au nombre des membres fondateurs du mouvement artistique breton Ar Seiz Breur, « Les Sept frères », créé en 1923. Artiste aux multiples talents, fervent militant culturel breton, il s’est fait connaître comme dessinateur, graveur, sculpteur, peintre, décorateur, ensemblier, céramiste et illustrateur. Il a été aussi journaliste, critique d’art, nouvelliste, conférencier et photographe amateur. À la fin des années 1930, après plusieurs participations à des expéditions maritimes dans les mers

Marais salants de la Presqu’île de Guérande,

René-Yves Creston, 1926, huile sur panneau, 495 x 645 mm, collection particulière

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froides, notamment sur le Pourquoi Pas ? en 1933 avec Jean-Baptiste Charcot, il se tourne vers l’ethnologie et devient un pionnier de l’ethnologie maritime. En 1953, il soutient une thèse remarquable sur Les costumes des populations bretonnes. Passionné de muséographie et de la matière bretonne, René-Yves Creston embrasse finalement le métier de conservateur au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Brieuc. Inscrit dès 1916 à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris dans l’atelier de Fernand Cormon (1845-1924), René-Yves Creston mettait à profit ses vacances estudiantines pour travailler sur le motif. Jusqu’au début des années 1930, il investit comme terrain privilégié d’observations l’espace entre Loire et Vilaine, incluant la Brière et Saint-Nazaire. Sur ce territoire qu’il connaissait finement, René-Yves est allé à la rencontre des marins du Pouliguen, du Croisic et de La Turballe, des paludiers de Batz et de Guérande, mais aussi des paysans-potiers d’Herbignac. En témoignent ses carnets de jeunesse (1918 et 1919) récemment redécouverts et les nombreuses études au crayon Conté et à la gouache des années suivantes. Dans des études, l’artiste a capté avec brio la gestuelle des travailleurs de la mer et de la terre, des cultivateurs d’oignons dans les champs de Batz et de Saillé, des paludiers et des porteresses sur les salines. Il a aussi croqué les costumes de fêtes des paludières ou des paludiers à cheval aux courses de Guérande. Explorant les composantes de la vie rurale locale, l’artiste s’est confronté à un univers de paysages et de formes extraordinairement colorés. Il y a développé une aptitude rare à capter d’un trait précis, aussi vigoureux que minimaliste, la gestuelle des hommes et des femmes dans leurs activités quotidiennes. La vigueur de son trait donne l’illusion du mouvement et une force extraordinaire à des croquis qui seront par la suite déclinés en productions hautement décoratives et symboliques. C’est aussi sur ce territoire, à Landieul en Herbignac, que René-Yves s’est initié au tournage de la terre auprès d’Hyppolite Hervoche. En 1927, il mettra le savoir-faire des potiers de Brière à l’honneur à l’exposition d’arts décoratifs et industriels modernes de Saint-Nazaire. Le Musée des marais salants conserve près de deux cents études sur papier à la source d’œuvres qui ont fait date et contribué à renouveler les arts décoratifs bretons dans le domaine de la peinture, mais aussi de la céramique et de la décoration intérieure. L’artiste crée à partir des croquis de terrain des céramiques pour la faïencerie Henriot de Quimper, et une Paludière de Guérande


et de Saillé seront ainsi exposées à Paris à l’Exposition internationale des Arts Décoratifs de 1925. La présentation de ces études inédites aux traits précis et énergiques, jetés sur le papier dans l’instant saisi, permet aux visiteurs de suivre le processus de création d’un artiste engagé et de comprendre la production d’œuvres pensées dans un « mouvement artistique » avant-gardiste. Dans les allers-retours qui s’établissent entre études et œuvres produites, le territoire entre Loire et Vilaine apparaît comme un lieu de mémoire constitutif de la trajectoire de l’artiste où temps et espace sont indissociables du mouvement. Première source d’inspiration de René-Yves Creston et jalon clef de sa trajectoire créative, le Pays de Guérande et la région nazairienne comptent au rang des premiers lieux où l’artiste trouve à exposer ses travaux. Dès 1922, des œuvres figurent aux salons organisés par le Groupe Artistique de Saint-Nazaire animé par Georges Éveillard qui enseigne le dessin et la peinture à l’École municipale des Beaux-Arts de Saint-Nazaire. En 1927, des toiles et céramiques sont présentées à l’Exposition des Arts appliqués Modernes à Saint-Nazaire en regard de la salle à manger éditée par Gaston Sébilleau (1894-1957) et de La paludière à la gède du sculpteur Georges Robin. De 1927 à 1929, René-Yves Creston participe aux Salons artistiques de la Côte-d’Amour à La Baule-les-Pins orchestrés par le maître Éveillard. Entre 1937 et 1938, René-Yves Creston prend part aux expositions du Groupe des Artistes Indépendants de Saint-Nazaire fondé par ses camarades, l’architecte André Batillat (1901-1965) et le peintre Émile Guillaume (1900-1975). Dans les salons nazairiens ou baulois, René-Yves Creston expose à côté de Jacques Volot, d’Émile Gauffriaud, Georges Lhermitte, de son grand ami Eugène-Jean Chapleau (1882-1969), de Michel Colle, de Ferdinand Loyen du Puigaudeau, de Marcel Jacquier ou d’Alexis de Broca. L’itinéraire proposé par le Musée des marais salants offre aux visiteurs de découvrir quelques œuvres de ces artistes en regard de la production de René-Yves Creston. Elles leur permettront d’apprécier la grande modernité de la démarche de l’artiste nazairien et le message humaniste de son art. Un catalogue co-édité par le Musée des marais salants et les éditions Locus Solus vient compléter l’exposition René-Yves Creston, l’instant du geste. Il a été préparé par Gildas Buron, Saphyr Creston et Michaële Simonnin. Petite-fille de l’artiste, Saphyr Creston écrit une thèse sur l’œuvre de René-Yves Creston. Ajoutons que tout au long de la période estivale, visites, activités à destination des familles, espace pour les enfants, animeront l’exposition temporaire René-Yves Creston, l’instant du geste1. 1 - Programme téléchargeable sur le site internet du musée (à partir de fin juin).

Les plus jeunes ne seront pas oubliés, et inspiration et inventivité devront être au rendez-vous pour gagner le jeu-concours de l’été ! Par ailleurs, on se souvient que les 9 et 10 avril 2015, le Centre de Recherches Bretonnes et Celtiques – Université de Bretagne Occidentale (Brest), co-organisait en partenariat avec la ville de Batz-sur-Mer et le Musée des marais Salants deux journées d’études consacrées à René-Yves Creston afin d’évoquer les multiples facettes de l’enfant de Saint-Nazaire, navigateur, chercheur, ethnologue, muséographe, archéologue, artiste, homme engagé, journaliste et militant. Le colloque a été inauguré par des allocutions de Monsieur Yves Lainé, Vice-président de CAP Atlantique délégué aux Grands Équipements de Monsieur Jean-Claude Masson, adjoint au maire de la commune de Batz et de Padraig Creston. Il s’est clos sur une intervention de Philippe Jarnoux, Directeur du CRBC, qui s’est félicité du haut niveau des interventions et d’un partenariat qui permet à l’Université et au Musée de renouer avec leurs missions de recherches et de diffusions des connaissances auprès du public. Un parterre renouvelé d’une soixantaine de personnes a assisté à la quinzaine de communications. L’auditoire a manifesté son intérêt par ses échanges avec les intervenants, tant pendant le temps dédié aux débats sur les différentes contributions que lors des temps de pauses. Les actes des journées sont en préparation, et la parution en est prévue pour 2016.

Le mouvement du temps apaisé À l’occasion de la rétrospective consacrée à son père, Padraig Creston, diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris, présente une quinzaine d’œuvres créées spécialement pour les espaces du Musée et intégrées au sein du parcours permanent consacré au sel de Guérande et aux gens du marais. L’artiste y revisite les terres du marais salant, la lumière des salines, les cristallisations. Ces toiles non figuratives sont données à contempler comme autant de respirations, pour mieux s’immerger dans l’atmosphère des lieux investis. Elles sont comme un accompagnement des ressentis de l’artiste qui écrit : « Ici, la Lumière, même si elle tombe du ciel, monte essentiellement, doucement, apaisée, du sol. Traverser le Marais ne laisse jamais intact. J’en ressens un magnifique sentiment de vie loin de la bêtise des hommes. Quel luxe d’avoir l’œil ouvert et la peau qui écoute le murmure du sel qui se pose ». Commissariat des expositions : Michaële Simonnin, Conservateur en charge des collections et des expositions, assistée de Jonathan Tapin.

Musée Intercommunal des Marais Salants Place Adèle-Pichon 44740 Batz-sur-Mer Tél. : 02 40 23 82 79 www.museedesmaraissalants.fr

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Existence amont

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À LIVRE OUVERT

i vous n’avez pas eu l’occasion de voir Saint-Nazaire éclairée par le prisme de la poésie, et si vous aimez cette ville particulière, ce livre est pour vous. En vous appropriant le rythme des phrases, le sens des mots qui s’adaptent à cette vision, vous redécouvrirez ce que vous étiez certains de connaitre. On remarque des expressions d’ordinaire appliquées à la chose maritime et mouvante, qui, ici, conviennent à l’espace urbain né de la mer : la ville est « encalminée », « l’oblique d’un mât ripe sur l’horizon ». C’est une autre écriture, un ressenti plus qu’une description. Son expression « amour contrarié » convient parfaitement. Il apparait qu’il aimerait aimer, comme on aime les traces d’une ville ancienne avec son caractère, ses mystères. L’aspect factice, utilitaire, bétonné, le blesse, mais, pour en parler comme l’auteur le fait, il est certain qu’il l’aime. Un peu malgré lui. Long poème, prose rythmée aux consonances musicales. Julien Gracq ne lui est pas étranger. Portrait sans indulgence, peinture précise et sublimée, Saint-Nazaire se révèle unique, attachante. Si nous sommes encore un peu frustrés, elle évolue et renait. Sa première vision est celle de l’enfance. Le titre « Amont » se justifie, mais pas seulement pour cette raison. Ville martyre, elle avait une autre physionomie, de plus en plus lointaine et oubliée. Les générations disparaissent emportant leurs images. C’est une ville amputée, or, « Toute ville doit être une aïeule ». Ne cherchez pas des évènements précis, des dates, des noms, des chiffres. Ne lisez pas trop rapidement ce chant d’amour qui ne dit pas son nom, vous regretteriez d’en voir si vite la fin. C’est un livre peu épais, qu’on goûte, en le faisant durer. Raffinement, sera ici le mot de la fin.

Christiane Marchocki

Cet ouvrage est en vente à :

La Gède aux livres Librairie - Café Élisabeth Lesimple

22, Rue Jean XXIII 44740 Batz-sur-Mer

lagedeauxlivres@gmail.com https://fr-fr.facebook.com/lagedeauxlivres

Tél : 09 64 25 30 11

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Existence amont Alain Roger Editions : Joca Seria www.jocaseria.fr 72 pages - Prix : 13 €


Rennes,

Métropole d’Art et d’Histoire Sortie, à la journée, du vendredi 27 mars 2015

Christiane Marchocki

SORTIES CULTURELLES

Comme il est agréable, après un trajet en autocar, de se promener, dans l’air frais du matin, en parcourant le centre historique de Rennes.

L

es noms des rues sont eux-mêmes très évocateurs : rue saint Sauveur, rue du Chapitre, rue saint Yves, rue des Dames, où résidaient les dames d’honneur de la duchesse Anne de Bretagne. C’est le quartier qui a échappé au grand incendie de 1720 : 9 hectares dévastés, 900 maisons détruites et 8000 personnes évacuées. Nous sommes ici dans la partie la plus ancienne de la ville, pour notre curiosité et notre grand plaisir. Les maisons à pans de bois ont chacune leur histoire que notre guide conférencière, infatigable, nous fait revivre. La maison dite « de du Guesclin », du plus beau style médiéval ne peut qu’attirer l’attention, de même celles du XVIIe siècle. C’est devant la porte Mordelaise que les ducs de Bretagne prêtaient serment avant d’entrer dans la ville. Nous traversons la place des Lices, où se disputaient les tournois et se déroulaient les exécutions, spectacles publics. Pendant la Révolution, et, longtemps après, il fut possible de voir la guillotine à l’ouvrage. Cette place, bordée par les hôtels particuliers des parlementaires, datant du XVIIe siècle, est magnifique et royale. Après un entracte gustatif et convivial - les adhérents de l’APHRN aiment se rencontrer à l’occasion de nos visites culturelles - nous pénétrons dans ce haut lieu qu’est le Parlement de Bretagne. Il s’agit d’un palais partiellement détruit par un incendie la nuit du 4 au 5 février 1994, lors d’une manifestation des marins

pêcheurs qui tourne à l’émeute. Des fusées de détresse sont lancées. Elles se logent sous les ardoises. Le feu couve, les charpentes flambent. Chacun en arrivant ici ne peut que se remémorer ce sinistre, traumatisant pour beaucoup. Des sapeurs pompiers de tout le département interviennent. L’incendie maîtrisé, la ville, l’armée, des entreprises du bâtiment, participent au sauvetage possible de ce qui reste du patrimoine : tableaux, dossiers de la Correctionnelle, tapisseries… Cependant, des pertes sont irréparables. Après un long travail de restauration, dans différents ateliers d’art, le Parlement ouvre ses portes en 1999. C’est une surprise, pour qui ne le connait que de réputation, de découvrir ce palais, édifié entre 1618 et 1655 par Salomon de Brosse, architecte du palais du Luxembourg où siège actuellement le Sénat. En 1554, suite à un édit de Henri II, un parlement de l’Ancien Régime siégea ici jusqu’en 1790, date de la Révolution. Il fut alors dissout. Si la Justice a besoin de solennité et d’apparat, le Parlement de Bretagne est là pour en témoigner. La Grand’Chambre, impressionnante de beauté, justifie à elle seule, une visite avec son plafond en bois doré, à caissons dû aux peintres Ch. Errard et N. Coypel. Des tapisseries des Gobelins illustrent l’histoire de la Bretagne. Des allégories : la Justice arrachant son masque à la Fraude, nous rappelle une certaine continuité

Ci-dessus : La porte Mordelaise.

(Photo Geneviève Terrien)

Ci-dessous :

Dans le Parlement de Bretagne, vue de la célèbre Grand’Chambre. (Photo Geneviève Terrien)

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Le groupe chez l’homme. La Félicité publique présente une corne de l’APHRN d’abondance et un caducée, l’enfant à ses pieds tient

(sous la pluie...),

à la sortie un sablier vide, cette vertu n’a pas de fin. Différentes du Parlement lectures ont été proposées pour certaines représentade Bretagne. tions ; un personnage casqué ne serait pas la Sagesse,

(Photo Geneviève Terrien)

mais la Raison d’État, et ce n’est pas l’Innocence, mais la Loyauté qui serait vêtue de blanc. Voilà un sujet de dissertation et d’analyse : comment les différencier ? Toutes ces toiles sont bien rassurantes : l’Équité et ses différentes couronnes « honore et récompense plus qu’elle ne punit », plus loin, la Force chasse l’Impiété, la Fourberie, la Discorde et l’Ignorance. Nous suivons notre guide dans la salle d’audience n° 126 de la cour d’appel, ancienne buvette. La chambre des enquêtes et son plafond à caissons, œuvre du menuisier Dumesnil, et du sculpteur Gillet, rappelle l’étude et les dossiers chargés de tant de drames. La chambre

de la Tournelle, ou chambre des Assises, surprend par le contraste entre son mobilier moderne, neuf, sobre, en bois clair et ses lambris de bois doré ornés de pilastres corinthiens. Nombreuses sont les salles. Un texte si court ne peut en refléter la grandeur, ainsi en est-il de la salle des pas perdus. Découvrir Rennes et son Parlement de Bretagne, telle une capitale, est une expérience enrichissante, étonnante de beauté, chargée d’histoire. C’est l’Art au service de la Justice.

Christiane Marchocki

Les sorties culturelles APHRN d’automne 2015 »» Dimanche 27 septembre 2015

Sortie à la journée, en autocar, visite de Saint Florent-le-Vieil et du château de Serrant

»» Vendredi 23 octobre 2015 (après-midi)

Sortie à la demi-journée, visite de Pornic

Retenez bien ces deux dates sur vos agendas.

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Musée des marais salants

Batz-sur-Mer

Sortie à la demi-journée, du vendredi 22 mai 2015

Christiane Marchocki

SORTIES CULTURELLES

Un groupe de plus de vingt personnes attendent patiemment, ou, impatiemment, devant la porte du Musée des marais salants de Batz-sur-Mer. Il fait un beau soleil, l’ambiance est détendue, les conversations amicales s’établissent.

N

ous entrons. Les membres de l’APHRN sont invités à cette visite. Invités est le mot exact : l’association, bien gérée, gâte ses adhérents dès que cela lui est possible. Ce musée, fort ancien, implanté à Batz-sur-Mer, est devenu un musée moderne, entièrement rénové (voir « Histoire et Patrimoine » n° 80, page 136) toutes les normes obligatoires sont respectées. Les éléments, conservés avec soin, sont tous protégés des agressions du temps. La lumière, qui n’est pas celle du jour, épargne les objets fragiles devenus précieux par leur rareté. Tous sont présentés avec art, le visiteur les découvre. Souvent, ils leur semblent insolites. L’usage en a disparu. On s’interroge : « Regardez, à quoi cela pouvait-il servir ? ». Gildas Buron est là, il répond à toutes nos questions, non seulement il satisfait notre curiosité, il approfondit le sujet, élargissant notre champ de connaissance, nous sommes surpris parfois, c’est un panorama général qu’il déploie. Nous franchissons aussi bien les siècles que les frontières. Sa conférence est d’un haut niveau. Il est chez lui, responsable du Service Musées et Patrimoine de CAP Atlantique. Nous le suivons docilement. Ce musée n’est pas consacré uniquement à la récolte élaborée dans les œillets voisins, son ambition est plus grande : il restitue un contexte plus universel. Ce qui pourrait être considéré comme simple ingrédient, le sel est un élément vital pour l’homme. Longtemps unique moyen de conservation des aliments, il a permis aux navigateurs de découvrir d’autres continents avec toutes les conséquences qui en ont

découlé. Symbole de richesse, objet de troc, précieux pour tous, sous toutes les latitudes, dans les déserts en particulier, et à tous les âges. En suivant le sel, on aborde la géographie, différentes civilisations, techniques, modes de vie et croyances. Ce Musée des marais salants, dont Michaële Simonnin est le conservateur, s’enrichit régulièrement. La recherche n’est jamais terminée, une correspondance est établie avec l’étranger : salles des ventes, dons et legs, qui apportent toujours une valeur documentaire précise et une valeur sentimentale qui n’est pas à négliger, car authentique, l’objet en est plus présent. Dernière acquisition, avec l’aide de la FRAM et de la Région Pays de la Loire : cette toile de Victor Lucien Richard, datant de 1904, traduit bien la lumière, si pure, des marais, autant que leurs dessins, leurs couleurs, fidèle au ressenti de ceux qui les contemplent.

Ci-dessus : Charrette de saunier.

(Photo Geneviève Terrien)

Ci-dessous :

Col d’amphore, trouvé dans le marais salant proche du village de Mouzac. (Photo © Denis Pillet, Inventaire général)

C’est toujours un plaisir d’être accueilli dans ce musée. Dès l’entrée, c’est toute une équipe au service du public qui vous reçoit, avec gentillesse et compétence, voilà une idée de sortie pour nos proches et amis venus nous rejoindre.

Christiane Marchocki

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A . P. H . R . N

Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne

Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - http://aphrn.fr.nf - Tél. 06 62 58 17 40

Conseil de Direction de l’APHRN (après Assemblée Générale du 1er février 2013)

Présidente d’honneur Jacqueline Guériff

Rejoignez-nous

Présidente Christiane Marchocki

Adhérez à l’APHRN

Vice-présidente Geneviève Terrien Trésorière Annick Montassier Secrétaire général (qui cumule les fonctions de contrôleur aux comptes)

En adhérant à l’APHRN, vous pourrez participer à nos activités (sorties culturelles, notamment), ainsi qu’à nos assemblées générales et aux réunions de présentation que nous organisons à l’occasion de la parution d’un nouveau numéro de notre revue. De plus, la cotisation d’adhésion (individuelle, ou couple) comprend un abonnement à notre revue HISTOIRE & PATRIMOINE (trois numéros par an - parution en janvier, avril et juillet) et vous permet de bénéficier d’un tarif préférentiel sur ses numéros hors-série. Il est possible d’adhérer à tout moment de l’année. L’adhésion vaut pour l’année civile d’encaissement de la cotisation. Le renouvellement des cotisations s’effectue au cours du premier trimestre de chaque année.

Tanguy Sénéchal Secrétaire adjointe Jocelyne Le Borgne

Les tarifs des cotisations, pour l’année 2015, sont les suivants :

Conseillère (Responsable des sorties) Nicole Bonnaud

ff adhésion individuelle ..... 26 € ff adhésion couple ............ 31 €

Pour adhérer à l’APHRN, vous pouvez, au choix : télécharger le bulletin d’adhésion sur notre site internet, à l’adresse http://aphrn.fr.nf rubrique « adhésion » nous adresser un courriel à l’adresse : aphrn.asso@gmail.com nous écrire, à : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun 44600 Saint-Nazaire téléphoner au 06 62 58 17 40

Conseiller Jean-Pierre Coquard Conseiller André Dubreuil Conseiller Josick Lancien

Vous pourrez, ensuite, régler votre cotisation par chèque, virement ou carte bancaire.

Revue HISTOIRE & PATRIMOINE Responsables de diffusion : pour Saint-Nazaire et sa région Geneviève Terrien Tél. 06 78 91 77 18 pour Guérande et sa région Christiane Marchocki Tél. 06 62 58 17 40

Remerciements aux photographes et collectionneurs qui nous ont fourni des illustrations. Merci, également, aux membres du Conseil de Direction de l’APHRN qui ont activement contribué à l’élaboration de ce numéro, réalisé de manière entièrement bénévole.

Les articles sont publiés sous l’entière responsabilité et propriété de leurs auteurs. La publication partielle, ou totale, des articles et illustrations parus dans HISTOIRE & PATRIMOINE est interdite.

Illustration : Le groupe de l’APHRN, lors de la visite guidée du Musée des marais salants, à Batz-sur-Mer, le 22 mai 2015 .

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Charrette de saunier, dessin sur papier au crayon Conté noir, René-Yves Creston, vers 1920-1925, coll. Musée des marais salants


Impression Pixartprinting - Réalisation Tanguy Sénéchal

Réalisée en 1949, par Albert Pasquier, médecin et peintre amateur, cette huile sur toile représente ce petit coin de plage de Cabonnais et le port du Toul Ru, à Mesquer, qui lui étaient si familiers.

HISTOIRE & PATRIMOINE n° 84 - juillet 2015 - 10 €

A.P.H.R.N - Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne Agora (boîte n° 4) - 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire Courriel : aphrn.asso@gmail.com - Site internet : http://aphrn.fr.nf ISSN : 2116-8415

ISSN : 2116-8415

(Collection particulière)


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