HISTOIRE & PATRIMOINE ASSOCIATION PRÉHISTORIQUE ET HIS TORIQUE DE LA RÉGION NAZAIRIENNE
L’histoire locale de la Région Nazairienne et de la Presqu’île Guérandaise
Le pont de Saint-Nazaire a 40 ans
Les Quakers à Saint-Nazaire 1946-1953
Siméon Nicolas pilote de Loire au XVIe siècle
Promenade archéologique en Brière
La voile la croix et le bistouri
Le désastre de Quiberon
A.P. H.R.N - n° 85 - janvier 2016 - 10 €
La foule, sur le pont de Saint-Nazaire, fĂŞte ses 40 ans, le dimanche 27 septembre 2015. (Photo P.Y. Moissard)
L Éditorial
a Loire est le personnage principal de la ville, avec son estuaire, ouverture sur le monde. La naissance du pont qui la franchit, en décrivant cette courbe si élégante, est un évènement que tous les Nazairiens et autres usagers ont suivi. Nous en imprimons, fidèlement, le récit, accompagné de photos prises sur le vif. HISTOIRE & PATRIMOINE étend ses investigations dans le temps et dans l’espace. Dans le temps, en rappelant la présence des Quakers et leur rôle humanitaire à Saint-Nazaire, pendant la période troublée de l’après Seconde Guerre mondiale. Dans le temps, aussi, avec cette lettre de rémission du XVIe siècle. C’est l’occasion d’apprendre au profane ce que peut être la navigation fluviale, ici, en remontant et descendant la Loire. Les risques et périls sont, bel et bien, présents. En matière de justice aussi. C’est l’occasion de découvrir un aspect judiciaire de cette époque. Beaucoup plus éloignée de nous encore, cette balade archéologique en Brière nous fait ressentir à quel point les monuments mégalithiques étaient nombreux. On les a longtemps négligés, ou, pire, bousculés, déplacés ou détruits. L’APHRN s’ouvre au monde de différentes manières, tant il est vrai que tout évènement local se place dans un contexte historique plus large et international sur le plan humain. « Dans les tourments de la guerre et de l’après-guerre », cet article dépeint les difficultés vécues par les habitants, de l’autre côté de la frontière, côté « ennemi ». Difficultés de même nature de part et d’autre. La vie rectiligne et mouvementée de ce Mesquérais, missionnaire, médecin et marin, peut nous étonner en nous évoquant un monde bien différent du nôtre. Dans le temps et dans l’espace, de l’Acadie à nos côtes bretonnes, certains de nos compatriotes possèdent un arbre généalogique vagabond. Cette expédition catastrophique que fut celle de Quiberon nous montre un pan de la Révolution en Bretagne. Le journal de bord de cet aumônier breton, retranscrit jour après jour, décrit bien la vie de cette époque aventureuse. Un écho personnel de la guerre de 14-18 en éveillera peut-être d’autres chez nos lecteurs. Lecteurs de plus en plus nombreux, adhérents et abonnés confondus. Enfin, nous n’oublions pas les personnalités qui ont marqué de leur présence la région nazairienne, deux d’entre eux sont disparus récemment. Ainsi gardons-nous un lien. Le conseil de direction de l’APHRN vous souhaite une très belle année 2016.
Christiane Marchocki Présidente de l’APHRN
1e page de couverture : Le pont de Saint-Nazaire, harmonieusement balancé. (Photo Roland Chevillard)
Histoire & Patrimoine n° 85 — janvier 2016
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A . P. H . R . N
Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne
Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - http://aphrn.fr - Tél. 06 62 58 17 40 HISTOIRE & PATRIMOINE n° 85 - janvier 2016 Editeur : A.P.H.R.N Directrice de la publication : Christiane Marchocki Maquette/Mise en page : Tanguy Sénéchal Impression : Pixartprinting Dépôt légal : 1er trimestre 2016 N° ISSN : 2116-8415 Revue consultable aux Archives de Loire-Atlantique sous la cote Per 145
Contribuez à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Vous vous intéressez à l’histoire, et, en particulier, à l’histoire de notre région ? Vous souhaitez apporter votre témoignage sur une époque, aujourd’hui révolue ? Vous possédez des documents, ou objets, anciens (écrits, photos, dessins, peintures, tableaux, sculptures, objets divers), qui pourraient faire l’objet d’une publication ? Vous aimez écrire, raconter, transmettre, ce qui vous intéresse, ou vous tient à coeur, et qui a trait à l’histoire locale ? L’APHRN vous propose de publier vos écrits, ou documents, ou de transcrire vos témoignages, dans la revue HISTOIRE & PATRIMOINE. Téléphonez-nous, au 06 62 58 17 40, ou écrivez-nous, à l’adresse ci-dessous, ou, tout simplement, adressez-nous, directement, votre texte, sous forme numérique. Vos propositions seront examinées avec la plus grande attention et soumises au conseil de direction de l’APHRN, qui vous répondra dans un délai d’un mois, maximum. Adresse électronique : aphrn.asso@gmail.com - Adresse postale : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire
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— Histoire & Patrimoine n° 85 janvier 2016
SOMMAIRE HISTOIRE & PATRIMOINE n° 85 — janvier 2016
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P. 38
Éditorial
Christiane Marchocki
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Le pont de Saint-Nazaire a 40 ans
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Les Quakers à Saint-Nazaire - 1946-1953
Josick Lancien
Daniel Sauvaget et Joël Anneix
Siméon Nicolas « Pilotte de la ripvière de Loyre »
24 Alain Gallicé et Jean-Pierre Coquard 32
Promenade archéologique en Brière Dans les pas de Jean l’Helgouac’h Grégory Aupiais
Dans les tourments de la guerre et de l’après-guerre
38 Hans-Georg Classen P. 55
55
Guerre de 14-18 - Échos assourdis et répétés
61
Guérande, 1962-1966 - Souvenirs d’un petit séminariste e
Christiane Marchocki Gérard Olivaud
(5 partie)
La voile, la croix et le bistouri 76 P. 61
P. 86
Une personnalité mesquéraise - Jean-Marie Coquard marin, missionnaire et médecin Michèle Richeux-Coquard et Catherine Roux-Coquard
86
L’Acadie, une histoire parfois oubliée
93
Journal d’un aumônier breton - 1850 (16e partie),
96
L’expédition de Quiberon ou l’orchestration d’un désastre
Anne Robion-Griveaud Christiane Marchocki
Jean de Saint-Houardon
SE PASSE AUJOURD’HUI 110 ÇA 110 - Jean Robion, peintre de l’Estran - 1943-2015 - Christiane Marchocki À LIVRE OUVERT 112 112 - Pierre Norange, une vie au service d’un idéal - Gérard Morel ZOOM ARRIÉRE 114 Danièle Delorme (Levallois-Perret, 1926 - Paris, 2015) - Daniel Sauvaget
P. 93
SORTIES CULTURELLES 116 116 - Flânerie en Anjou - Christiane Marchocki 118 - Pornic médiévale et maritime - Christiane Marchocki 120 L’ASSOCIATION
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Le pont de Saint-Nazaire a 40 ans Josick Lancien
Les articles « À propos de l’embouchure de la Loire », parus, depuis 2013, dans cette revue, ont montré l’importance stratégique des sites de Saint-Nazaire et de Mindin.
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n effet, une présence humaine, précoce et continue est attestée sur les deux rives de l’embouchure, depuis plus de 20 000 ans, impliquant des contacts, des déplacements, des échanges commerciaux. En outre, l’estuaire a toujours été aussi une porte de passage pour la navigation dès l’antiquité. Compte tenu de tous ces éléments, l’édification d’un pont était inéluctable, ce qui fut réalisé en 1975. La célébration des 40 ans est l’occasion de faire un point sur la construction de ce pont et sur son fonctionnement actuel.
Le 4 novembre 1971, la première pierre est posée par Jacques Chaban-Delmas, premier ministre de l’époque. Le pont sera mis en service le 18 octobre 1975 après plus de 3 ans de chantier. Il ne sera pas inauguré : le jour de la mise en circulation, 2 000 personnes manifestent pour s’opposer au péage.
Un bel ouvrage d’art de tous les records Ci-dessus : Un pétrolier passe, à vide, sous le pont de Saint-Nazaire, en voie d’achèvement. Ci-contre : Pose de la première pierre du pont, par Jacques Chaban-Delmas, premier ministre, le 4 novembre 1971.
Malgré la mise en service du bac « La Duchesse Anne » en 1970, le conseil général prend la décision, cette même année, de construire un ouvrage de franchissement de la Loire entre Saint-Nazaire et Saint-Brévin. Il faudra quand même attendre 5 ans pour voir cette décision du département prendre forme.
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Les Quakers à
Saint-Nazaire
1946-1953
Daniel Sauvaget et Joël Anneix
La présence et l’action des Quakers dans la région nazairienne, entre 1946 et 1953, est un épisode peu connu et presque oublié de l’histoire de la ville.
L
es Quakers sont discrets, on ne connaît que vaguement leurs principes, tolérance, entr’aide et refus de tout prosélytisme. Pacifistes, non-violents, ils ont été en période de guerre ambulanciers et objecteurs de conscience (cf. encadré). Des membres américains de la Société des Amis – c’est le nom du mouvement – étaient déjà présents en France au cours des années 1930, et ceux qui étaient restés en temps de guerre ont été interdits fin 1942. Au lendemain du conflit mondial, leurs organisations décidèrent de venir en aide aux régions de l’Europe martyrisées par la guerre. Leur rôle sera reconnu lorsque leurs structures d’intervention humanitaire l’American Friends Service Committee et le British Friends Service Council, recevront le prix Nobel de la Paix en 1947. Parmi les régions choisies en Europe de l’Ouest, figure Saint-Nazaire. Leur action a profondément marqué la mémoire des anciens des quartiers populaires où ils se sont installés, des anciens qui sont aussi témoins des premières années du relèvement de la ville. Il était pour nous indispensable de consacrer aux Quakers un chapitre de Saint-Nazaire au temps des baraques. Si le livre, paru en 2009, a ravivé le souvenir de leur intervention, il a aussi été le moyen d’une redécouverte. Notre information reposait sur les témoignages d’anciens habitants d’Herbins et de Savine ainsi que sur nos propres souvenirs et ceux de
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Les premières missions dans la région
nos proches – témoignages confortés et complétés par la consultation de la presse de l’époque. Par chance, des photos ont été conservées par ceux qui, dans leur jeunesse, ont bénéficié des services que la belle énergie des Quakers a su mettre en place. Les souvenirs les plus vivaces se rapportent aux avantages offerts par les foyers édifiés dans deux cités provisoires dans le contexte de la pénurie d’aprèsguerre : produits et services matériels, transport, équipements de loisirs, moyens d’animation sociale et culturelle. Moins connus que l’action menée de 1948 à 1953 au Foyer des Amis d’Herbins rapportée dans le livre, les services rendus par la première équipe, qui s’était installée au Pouliguen dès le printemps 1946 méritent d’être relatés et remis en perspective. Ces deux actions menées au lendemain de la guerre étaient évidemment complémentaires. De même, il nous faut évoquer le rôle oublié des Quakers dans la naissance du Foyer de Savine (sur la commune de Trignac).
Si Saint-Nazaire n’est pas la seule ville détruite par les bombardements, c’est incontestablement une des villes françaises qui en ont le plus souffert ; les bombes américaines ont été pour beaucoup dans les destructions. C’est bien la raison pour laquelle les Quakers ont choisi ce secteur, de même que celui de Caen et de quelques villes d’Europe centrale. Une première équipe a donc été dépêchée au printemps 1946 (dès le mois de mars, probablement), s’installant dans une villa du Pouliguen que leur procure l’association française L’Entr’aide. L’objectif est de participer aux services de première nécessité, et tout particulièrement à l’organisation de transports. Pour cela, la mission bénéficie de véhicules obtenus de l’armée US, qui vont aider de nombreuses familles de réfugiés qui, peu à peu, reviennent en ville. Peu après, fin 1946, une autre équipe s’installe dans les quartiers ouvriers nazairiens pour développer une animation sociale et des activités de loisirs. Au lendemain de la guerre, la France entière souffrait, on le sait, d’un cruel manque de moyens de transport, et le parc routier en état ne représentait plus en 1945 que 37 % de ce qu’il était en 1939. Dans une région dont les infrastructures avaient été durement frappées et qui n’avait été libérée qu’en mai 1945,
Page de gauche : L’enseigne du Foyer d’Herbins. Ci-dessus : Carte de vœux 1952 (Les photos qui illustrent cet article ont été rassemblées par Joël Anneix. Elles proviennent des archives des personnes citées à la fin de l’article, dans l’encadré « Sources »)
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Siméon Nicolas « pilotte de la ripvière de Loyre » (1533) Alain Gallicé et Jean-Pierre Coquard
Saint-Nazaire est connu pour ses pilotes1. Leur existence est bien attestée à la fin du xvie siècle2, mais elle est antérieure comme en témoigne un fait divers tragique, un meurtre, survenu le 10 octobre 1533, et connu par une lettre de rémission du 19 novembre de la même année3.
L
es lettres de rémission sont des actes par lesquels le roi accorde son pardon à un coupable d’un délit ou d’un crime, arrêtant ainsi le cours normal de la justice, qu’elle soit royale, seigneuriale, ecclésiastique ou urbaine 4. Ces lettres, délivrées et enregistrées à cette date, pour la Bretagne, par la chancellerie royale, sont rédigées à la suite d’une supplique dans laquelle l’accusé, désigné comme « suppliant » ou « exposant », requiert la grâce royale soit directement soit par l’intermédiaire de son entourage (ses « parents » ou ses « amys consangains »), ce qui exige des solidarités et la mobilisation de fonds pour couvrir les frais de la procédure. Cette supplique est en fait un véritable plaidoyer en faveur de la défense, rédigé 123
1 - Couronné, Henri, Nos cousins les pilotes dans la société nazairienne du xviie siècle au xxe siècle, SaintNazaire, 1994 ; Bugeaud, Vincent, « La guerre des ancres : entre rivaux de Loire et du large, les pilotes lamaneurs de Saint-Nazaire face à concurrence sous la Restauration », Les Cahiers du pays de Guérande, n° 47, 2008, p. 74-80. 2 - Tanguy, Jean, Le commerce nantais à la fin du xvie et au début du xviie siècle, dactyl., thèse, 2 vol., Université de Rennes 2, 1967. 3 - Arch. dép. Loire-Atlantique, B 35, f° 265-266, 19 novembre 1533. 4 - Gauvard, Claude, « De Grâce especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, notamment p. 61-76.
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selon des formes judiciaires que reprend ensuite la chancellerie royale. En tant que document, les défauts des lettres de rémission sont donc nombreux. L’acte n’exprime en rien la parole des protagonistes que l’on fait, certes, parfois s’exprimer en un style convenu, enflé d’une certaine rhétorique. L’exactitude du déroulement des faits est biaisée, car le récit est orienté. Il est destiné à faire porter sur la victime l’essentiel de la responsabilité de l’affaire ; sa culpabilisation s’appuie tout à la fois sur le portrait qui est donné de sa personne et sur les actions qui ont été les siennes lors de l’événement. Il est présenté comme étant à l’origine de la querelle et comme ayant contribué ensuite par ses initiatives successives à son issue tragique. Au contraire, tout est mis en œuvre pour faire de l’accusé ou du coupable une victime. En effet, ni
sa personnalité, ni ses antécédents (sa « renommée »), ni son comportement (dicté par l’honneur), ni son utilité sociale ne sont en accord avec l’acte commis. En outre, selon le récit donné, l’accusé ou le coupable s’est trouvé entraîné, bien malgré lui, dans une querelle et poussé à un acte pour lequel il peut faire valoir des circonstances atténuantes, voire la légitime défense. Cette double démarche – exposé à charge contre la victime, destiné à la culpabiliser, et en contre-point exposé à décharge contre l’accusé ou le coupable destiné à le « victimiser » –, et les portraits, stéréotypés, des personnes concourent à un même but : justifier la grâce royale. Cependant, en dépit de leurs défauts, les lettres de rémission comportent bien des attraits. Outre leur caractère de récits animés que leur logique narrative rend plausibles – d’autant plus que l’enquête que le délit ou le crime a suscitée implique que les faits et leurs circonstances ne s’éloignent par trop des faits réels –, elles sont des fenêtres sur la vie quotidienne, bien souvent les seules dont nous disposons, et, en cela, elles sont une mine de renseignements5. 5 - Sur cet aspect et l’exploitation qui peut en être faite, Vaultier, Roger, Le folklore pendant la guerre de Cent Ans d’après les lettres de rémission du Trésor des chartes, Paris, Librairie Guénégaud, 1965, p. ii-vii.
Ci-contre : Chaland de Loire, ou gabare, transportant du vin, de l’embouchure de la Loire jusqu’aux Ponts-de-Cé. (Gravure - Auteur inconnu XVIIIe siècle - Ancre de Loire - JPS68)
Page de gauche : Saint-Nazaire, embouchure de la Loire. (Eugène Bourgeois - 1855-
1909 - Carte postale - Collection particulière)
Toutefois, cette vie quotidienne n’est là que pour donner une « illusion romanesque » à la supplique présentée, en plantant un décor, en plaçant des intervenants qui jouent des sortes de « jeu de rôle ». Il y a le bon et le méchant, chacun paré de toutes les qualités pour l’un et de tous les défauts pour l’autre. Il y a encore le roi qui, par sa grâce, rétablit le lien social (la faute étant pardonnée, toute vengeance est exclue), soutient les bons et punit les méchants sujets. En fait, plus que l’inscription d’un vécu qui n’est pas évoqué en tant que tel, les lettres de rémission transmettent des représentations des valeurs sociales de l’époque. La lettre de rémission du 19 novembre 1533 fait rencontrer un pilote de Loire, évoque une remontée de l’estuaire avec un arrêt à Cordemais, relate un incident qui débouche sur un meurtre et justifie le pardon royal.
Siméon Nicolas, pilote de la « ripvière de Loire » Siméon Nicolas est natif de Saint-Nazaire. Âgé de 21 ans, il est « barbier et pilotte ». Cette double activité peut s’expliquer par le fait que le mouvement maritime sur l’estuaire et la concurrence entre pilotes n’assurent pas de revenus suffisants. La présence de pilotes est également connue au Croisic6 sans l’on puisse connaître si les uns et les autres exercent leurs activités dans des zones spécifiques. Surtout, Siméon Nicolas est donné comme « scavant et expert en son mestier de pillote tellement que esdites parties de Sainct-Nazaire, il est tenu et estimé le milleur pillote de la ripviere de Loyre [expression qui désigne l’embouchure] », aussi est-il recherché par les marchands d’Espagne, Angleterre, Flandre et « autres pays estranges », « allant et venant » entre Saint-Nazaire et Nantes. Ces na6 - Selon Le grant routtier et pillotage et enseignement pour encrer tant es ports, havres, que aultres lieux de la mer, fait par Pierre Garcie, dit Ferrande …, Biblio. mun. Niort, Rés. P 165 E, [1520] dont la rédaction remonte à la fin du xve siècle (sans doute 1483) ; reproduction dans Waters D. W., The rutters of the sea. The sailing directions of Pierre Garcie. A study of the first English and French printed sailing directions, with facsimile reproductions, 1967. New Haven and London, Yale University Press. Nouvelle édition, Maisonneuve, Bernard de, Le routier de la Mer, v. 1490-1502-1520 : Pierre Garcie dit Ferrande, Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Association CRHIP, 2015
tionalités marchandes correspondent à ce que l’on sait du commerce maritime nantais à une période où Nantes s’intègre résolument dans l’espace atlantique européen7. Cependant, il n’est pas fait mention aux navires français ou bretons qui fréquentent l’estuaire, bien qu’ils en forment le plus grand nombre. Sans doute que, pour la plupart de ces navires, du fait de leurs faibles tonnages et qu’ils soient conduits par des maîtres de navires aguerris, l’utilisation d’un pilote est de peu d’utilité. Mais pour les autres, le recours à un pilote s’impose, car « il y a des endroictz perilleux tellement que souvencteffoiz par deffault de bon pillote, les gens et navire vont a perdition ». Ce caractère dangereux est souligné dans Le Grant routtier de Pierre Garcie qui annonce ainsi son exposé concernant la remontée de l’estuaire : « S’ensuyt la vraye routte pour aller en la ryviere tres dangereuse de Loyre iusques à la noble et puissante ville de Nantes » ; le mot danger et ses dérivés sont ensuite cités à dix reprises dans son développement.
7 - L’ouvrage essentiel sur le commerce maritime nantais et plus largement breton reste Touchard, Henri, Le commerce maritime breton à la fin du Moyen Âge, Paris, les Belles lettres, 1967 ; voir également Gallicé, Alain, Moal, Laurence, « Nantes à la fin du Moyen Âge : essai de réinterprétation », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. xcii, 2014, p. 33-52.
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Promenade archéologique en Brière Dans les pas
de Jean L’Helgouac’h Grégory Aupiais
Au début des années 80, dans la cinquième livraison de la revue Enquêtes et documents éditée par le Centre de Recherches sur l’Histoire du Monde Atlantique (CRHMA) de l’université de Nantes, Jean L’Helgouac’h publiait un court article à la fois synthétique et programmatique sur le peuplement du marais de Grande Brière du ive au iiie av. J.-C1.
S
cientifique de formation, c’est d’abord en qualité d’étudiant en licence de sciences naturelles à la faculté des sciences de Rennes qu’il assiste au cours libre de préhistoire dispensé par Pierre-Roland Giot à l’Institut de géologie et durant lequel il rencontre Yves Coppens. Par la suite, son itinéraire archéologique fut parallèle à la chronologie des grands chantiers de fouilles de l’ouest de la France, comme celui du dolmen de Conguel à Quiberon, des allées couvertes de Prajou-Menhir à Trébeurden et à Quessoy, de la sépulture à entrée latérale de Crec’h-Quillié à Saint-Quay-Perros et des dolmens de Colpo et du Goërem à Gavres, sans oublier celui de Dissignac à Saint-Nazaire. En 1969, il est nommé Directeur des Antiquités des Pays de la Loire et supervise à ce titre différentes campagnes de prospection en Brière, notamment sur le site de la Butte aux 1
1 - Jean L’Helgouach, « L’occupation du territoire autour de la dépression de Brière aux iv e et iii e millénaires », Enquêtes et documents, vol. 5, 1980, pp. 11-27.
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Pierres, une station très anciennement connue qui a même marqué de son empreinte onomastique la toponymie locale2. Un parcours scientifique et académique émaillé de publications majeures et, en 1980, c’est donc l’article d’un chercheur confirmé en passe même de devenir une référence dans le domaine du mégalithisme et de l’art pariétal qui invite à se pencher sur un patrimoine méconnu, resté dans l’ombre de celui du Morbihan tout proche. Dans Le patrimoine des communes de Loire-Atlantique publié en 1999, une notice comportant pas moins de quatre pages a été consacrée à Saint-Lyphard. C’est loin d’être anecdotique, surtout compte tenu de la modestie de cette commune sur le plan démographique3. Toutefois, le patrimoine archéologique 2 - Jacques Briard, « Jean L’Helgouach (1933-2000) », Bulletin de la Société préhistorique française, n° 2, tome 97, 2000, pp.332-333. 3 - Jean-Luc Flohic, Le Patrimoine des communes de la Loire-Atlantique, 2 tomes, Charenton-Le-Pont, Flohic éditions, 1999, pp. 469-473.
a été évoqué d’une manière plus que sommaire ; car ne furent mises en exergue à cette occasion que l’allée couverte de Kerbourg et la Croix-Menhir de Keralio. Au-delà de quelques sites « phares », dont ces deux exemples font assurément partie, de tels vestiges monumentaux bénéficient plutôt d’une large diffusion dans tout le marais de Grande Brière. Cette cartographie demeure toutefois incomplète et ne permet pas d’évoquer une sorte de maillage territorial dans une zone dont la configuration géographique apparait pour le moins singulière. Un désintérêt marqué qui s’apparente à une forme de désaveu, car la richesse du patrimoine archéologique de la presqu’île guérandaise est connue depuis très longtemps, son invention s’étant même inscrite dans un mouvement scientifique et historiographique national. En effet, en France, l’intérêt suscité par le phénomène mégalithique n’est pas neuf. Il remonte au Second Empire et fut à l’origine de la création du Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germainen-Laye. Napoléon iii, qui en fut l’un des
Figure 1 : Dolmen du Crugo (Photo Grégory Aupiais)
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La traversée du XX siècle e
et de ses guerres
dans une famille française (Partie 1) et une famille allemande (Partie 2)
Ci-dessus :
Famille Speich, en Brière, en 1950 (Collection Michelle Speich)
Ci-contre :
Famille Classen, en 1942, à Schatensen (Collection H. G. Classen)
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Dans les tourments de la guerre et de l’après-guerre Mémoires d’un enfant né à Schatensen-Wriedel (Basse-Saxe) en 1936
(Partie 2) Hans-Georg Classen Traduction de l’allemand par Michelle Speich
À la même époque, que se passait-il dans une famille de la classe moyenne, Outre-Rhin ?
C’était la mi-juillet 2011 et je me promenais avec Paul Jacob Classen, mon petit-fils, de la villa Lisa à la plage de Prerow, distante de 1,5 kilomètre (Prerow station balnéaire de la Baltique entre Rostock et Stralsund). Nous avions chanté, appris les chiffres romains et parlé des dieux Zeus, Neptune et autres dieux.
P
aul me demanda si je pouvais lui raconter quelque chose sur son arrière-grand-père et son arrière-grand-mère. Une situation simple, mais un exercice difficile pour y répondre. Paul, tu as deux grands-pères (Steffen et Hans-Georg) ainsi que deux grands-mères (Sonja et Brigitt). Ils avaient aussi chacun des parents : tes arrière-grands-parents. Si l’on parle de leurs parents, cela double encore. Et tout doit selon la Bible avoir commencé avec Adam et Ève. On suit ses ancêtres au moyen de souvenirs, de correspondances et de vieux registres paroissiaux (là, les naissances, les mariages et les décès sont consignés). Ainsi dresse-t-on un arbre généalogique,
mais cela suppose que ces informations soient encore disponibles, les grands-parents encore vivants ou les registres paroissiaux ni brûlés ni volés. Je trouvais formidable que Paul (8 ans) maintenant puisse se renseigner et poser ces questions aux membres vivants de la famille. Auparavant, mon frère Otto, de Winsen, le plus âgé de nous, et son fils Bernhard avaient commencé l’arbre généalogique avec l’ordinateur. Aidé de mon beau-frère Matthias Winkler de Heidenheim et de ma sœur Ingeborg de Lunebourg, nous avons actualisé les données. Merci à Otto qui a apporté des corrections et permis de réaliser ce rapport.
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Échos assourdis et répercutés Christiane Marchocki Nous avons tous consulté différents documents concernant la guerre de 14-18 : livres, films, vieux journaux. Certains d’entre nous se sont rendus sur les anciens champs de bataille en pensant à leurs grands-pères, arrières grands-pères, venus là avant eux et qui n’en sont jamais repartis.
LA GRANDE GUERRE
Guerre de 14-18
L
e temps fait son œuvre. Les combattants ont tous disparu. Rares sont leurs enfants qui vivent actuellement. Seuls leurs petits-enfants, déjà d’un âge « respectable » peuvent, non pas témoigner, mais répéter ce qu’ils ont entendu. Il a été donné à peu d’entre eux de connaître leurs ancêtres. La guerre les a ensevelis. Dans notre prime jeunesse nous écoutions nos aînés d’une oreille volontiers distraite, mais, notre cerveau tout neuf, imprime, à notre insu, les paroles et les images de façon éparse et indélébile. Ce n’est que plus tard, à l’heure des souvenirs et des bilans que nous reviennent en mémoire ce que nous pensions avoir oublié lorsque nous étions accaparés par les évènements de notre propre vie. En particulier, ceux d’entre nous troublés par la guerre de 1939-1945. La nôtre. Ne parlons pas de cette génération qui a subi les deux conflits mondiaux du XXe siècle.
Ci-contre :
Soldat blessé, et secouru, lors d’un combat, en Champagne. (Collection Dominique Bac http://bac.d.free.fr/ guerre_14_18)
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Cette affiche incite les français à souscrire au 2e emprunt de la défense nationale.
(Dessin de l’illustrateur et caricaturiste Abel Faivre - 1867-1945 Éditions Devambez - 1916)
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Dans les années 1950, pour l’anniversaire du 11 novembre, les anciens combattants de 14-18 défilaient, drapeaux et musique en tête. Devant le monument aux morts, on faisait l’appel, les noms se succédaient, suivis de « Mort au champ d’honneur ». Litanie conclue par cette sonnerie au clairon, si évocatrice, nommée à juste titre « Sonnerie aux morts », les échos se répercutaient au-dessus de la foule silencieuse. Ce jour-là, bien qu’adolescente j’étais dans cette foule. Je suivais mon père, notabilité parmi d’autres, j’apprenais par imprégnation, une instruction civique et quelques rudiments de droit. Ce 11 novembre 1948, je me souviens bien de mon voisin de table lors du vin d’honneur. Un vieillard à grosse moustache blanche, comme celle de Georges Clémenceau, ses yeux bleus petits étaient enfoncés, son visage plissé, ridé respirait la bonté. Je l’écoutais aussi poliment que distraitement. Lorsqu’il se tut. Poussant un profond soupir : « Ah mademoiselle… la guerre…la guerre…vous ne pouvez pas imaginer. » Alertée, enfin, je lui prêtai attention. Il me fixa, yeux dans les yeux, et, sans mots superflus : « …nous étions
Guérande, 1962-1966
Souvenirs d'un petit séminariste (5e partie) Gérard Olivaud
« Fabriquer des souvenirs, ça sert à rien, mais ça tient chaud ! » Aldebert
Chapitre 10 : les sorties à la maison
P
arler des sorties pour l’année 62-63 s’avère assez simple puisque nous ne sortions presque pas. Aux petites vacances seulement, chaque demi-trimestre. Quatre jours à la Toussaint ! Quatre jours seulement et il fallait repartir. À peine le temps d’oublier Guérande et il allait falloir se réadapter ! Je me souviens que ce premier retour au bahut, le lendemain du jour des Morts, avait été difficile ! Je savais que mon père devait me ramener à Guérande avant 19 heures et m’étais attardé plus longtemps qu’à l’accoutumée, chez ma Grand-Mère Lalie qui, fière d’avoir un second petit-fils futur prêtre, ne comprenait pas ce manque d’empressement à repartir. Mon père avait beau lui expliquer que quand même je n’avais que onze ans, que les prochaines vacances, c’était Noël, dans sept semaines, elle semblait étonnée. Un peu ailleurs aussi, le visage parcheminé, les cheveux d’un blanc que je trouvais presque bleu, serrés en chignon contre ses tempes à la peau fine et blanche comme la porcelaine, fragile comme elle. Perdue tellement minuscule, dans ses grands vêtements noirs. Je n’ai jamais imaginé pendant une trentaine d’années une grand-mère autrement qu’en deuil. Dans son habit de veuve pour l’éternité ! Elle était en Champagne peut-être d’où son Emmanuel était revenu, en 17, mais… n’était plus un homme. Elle devait trouver que les jeunes de maintenant avaient bien tort de se plaindre. Qu’ils n’étaient pas malheureux par rapport à ce que leurs anciens avaient vécu !
Vue de l’arrière du Petit Séminaire, et de la chapelle, état actuel. (Photo Martine Olivaud)
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Noël et Pâques quinze jours ! Quatre jours de nouveau en février ! Rien à la Pentecôte, le trimestre se déroulait sans interruption jusqu’aux Grandes Vacances. Où nous allions retrouver, les copains, la famille, les champs et les blockhaus parsemés un peu partout autour du bourg. Les après-midi à jouer dans les prés à deux pas de la maison, ou un peu plus loin, traversant les fossés cachés par les roseaux en direction de la Loire vers les Grandes Rivières ! À l’exception des deux premiers dimanches après la rentrée de septembre, mais ensuite, si les notes le permettaient, et à condition de ne pas en abuser, pas chaque dimanche quand même, il fallait penser à nos camarades, trop éloignés de chez eux ou dont les parents ne possédaient pas de véhicules, les visites des parents ou de la famille étaient autorisées. Elles avaient lieu dans le parloir, comme si nous étions aux Baumettes. Une petite sœur puis, ensuite, une dame, minuscule, aux cheveux blancs bien permanentés, dont j’ai oublié le nom, venait nous chercher. La pièce, située à droite de la grille d’entrée, toute en largeur et assez bien éclairée, n’était égayée que par un pot de fleurs sur une table couverte de revues à orientation, disons religieuse, qui ne servaient à rien dans la mesure où on ne venait pas là pour lire. Plus tard, quand un esprit plus libertaire (bon, le mot est un peu fort !) souffla sur la Séminaire, elle servit de salle de répétitions pour l’orchestre que les quelques amateurs de Salut les Copains1 de ma classe avaient eu le droit de former. 1 - Célèbre émission d’Europe 1, qui passait les succès des chanteurs yé-yé. C’était aussi un magazine qui dans un premier temps circulait sous le manteau au Petit Sem, comme les écrits d’Aragon ou de Vercors, quelque vingt ans auparavant.
La voile, la croix et le bistouri Une personnalité mesquéraise
Jean-Marie Coquard
marin, missionnaire et médecin Michèle Richeux-Coquard et Catherine Roux-Coquard
Lorsque nous nous sommes mariées à Mesquer en 1973, nous, les deux sœurs Coquard, le Père Mercier1 a mentionné la vie exceptionnelle d’un ancêtre, Jean-Marie Coquard : « Vous élargirez votre horizon bien au-delà de votre appartement nazairien, à la façon de votre arrière-grand-oncle, le célèbre Père Coquard, marin, médecin et missionnaire et dont les Nigérians évoquent encore la mémoire chaque fois qu’ils prennent le " train Coquard " pour aller de Lagos à Abeokuta, dont il était " le Roi " ». 1
1 - Curé de Mesquer de 1950 à 1977.
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Registres paroissiaux et d’état civil – Mesquer -1859 – N-3E97/10-vue 9
N
ous avons décidé de remonter l’histoire pour découvrir qui était ce personnage hors du commun, cousin germain de notre grand-père François Coquard, né le 20 juin 1864. Son aventure est extraordinaire, un livre de plus de cinq cents pages2 raconte sa vie de missionnaire et avant tout de médecin au Nigéria. Nous voulons dans ces pages lui rendre hommage.
La vocation maritime Jean-Marie Coquard, fils d’une lignée de paludiers Le 27 novembre 1859, François-Marie Coquard, paludier, se présente fièrement à la mairie de Mesquer. Il porte dans ses bras son fils né la veille au village de Rostu. Il est accompagné de son père Olivier Coquard, 60 ans paludier au village de Fontainebras et de son beau-père Louis Lecorre 58 ans, paludier à Bréhérin. Le maire, Jean Josseau, l’inscrit sur le registre des naissances, on lui donne le prénom de Jean-Marie c’est la 57e naissance de l’année. François-Marie Coquard a connu deux veuvages, il s’est marié une première fois en 1849 avec Marie-Françoise Tattevin, paludière qui lui a donné deux enfants, Jeanne-Marie, née en 1850 et un petit François qui n’a vécu que deux mois, 2 - Edmund M. Hogan « Cross and Scapel Jean-Marie Coquard among the Egba Of Yorubaland »
la mère et l’enfant décèdent en 1853. Resté seul avec la petite Jeanne-Marie il s’est remarié en 1855 avec Françoise Lequimener qui décèdera deux mois après lui avoir donné une petite Marie Françoise qui ne vivra qu’un an. Lorsqu’il épouse Marie-Louise Lecorre, le 16 novembre 1858, Jeanne-Marie a alors huit ans. Les hommes sont heureux, enfin un héritier ! Sa mère Marie-Louise Lecorre, paludière, âgée de trente ans se porte bien, elle donnera naissance, quinze mois plus tard, à une petite fille, Désirée, qui deviendra religieuse. On retrouve la famille dans le recensement de 1866, le père François-Marie Coquard a quarante-quatre ans, la mère trente-six, Jeanne-Marie a seize ans, elle est tailleuse d’habits, Jean-Marie sept ans et Désirée cinq ans, ils habitent toujours à Rostu. Au recensement de 1876 la famille s’est déplacée à Fontainebras, seule Désirée quinze ans est toujours au foyer, Jeanne-Marie a épousé un capitaine, René-Joseph Bertet, et Jean-Marie est devenu mousse.
Jean-Marie Coquard, mousse et novice « Quand je déclarai à la maison : “Je veux être marin !” ma mère protesta fort et pleura, en injuriant “la gueuse” qui m’avait séduit. Mon père ne m’en voulut pas trop, à cause de l’espoir qu’il nourrissait de me voir un jour devenir capitaine au long cours. Quant à ma mère ; elle allait
perdre son gars, son petit gars, son petit chétif, son petit malingre, qui, tôt ou tard, se noierait, car c’est dans l’habitude des marins de se noyer ! » (Extrait de « Ces pages de ma vie » rédigé par Jean- Marie Coquard en 1929).
Petit malingre certes il l’est ! Lors de son premier embarquement, en septembre 1873, à presque 14 ans, Jean-Marie ne mesure qu’un mètre quarante, ses cheveux sont châtains, ses yeux bleus et son visage ovale. Pour son premier voyage, il est mousse sur l’Albert un « lougre », bateau équipé de trois mâts et long d’une vingtaine de mètres, utilisé pour le cabotage commercial. Le capitaine n’est autre que son futur beau-frère, René-Joseph Bertet. Partis de Nantes, le 3 décembre 1873, pour livrer de la farine à Cardiff en Angleterre et rapporter du charbon, ils font escale à l’entrée de la Vilaine (probablement Tréhiguier) pour aller à pied à Mesquer ! En effet, le capitaine doit épouser le 15 décembre à Mesquer, Jeanne-Marie Coquard et c’est en famille qu’ils reprennent la livraison vers Cardiff : Jeanne-Marie fait aussi partie de l’aventure, voyage de noces oblige… Cette première expérience pour Jean-Marie est familiale, les autres membres de l’équipage étant tous Mesquérais3… Puis il devient novice sur le brick-goélette Pellerin où il effectue un voyage de cinq mois jusqu’à Calais. Le brick est taillé aussi bien pour la course 3 - P. Rialland, F. Allain, F. Martin, A. Mauget.
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L’Acadie Une histoire parfois oubliée Anne Robion Griveaud
Peut-être avez-vous des ancêtres acadiens ? Vous le savez par tradition orale, ou par vos recherches généalogiques, peut-être aussi l’ignorez-vous, car il faut remonter assez loin dans le passé.
E
n effet, dans notre région de la presqu’île, à Guérande, Mesquer, Saint-Nazaire, mais aussi et surtout à Belle-Ile-en-Mer où plusieurs centaines d’Acadiens se sont installés en 1765, certains vont y faire souche et d’autres n’y feront qu’un long séjour avant de retraverser l’Atlantique.
Ainsi parfois en compulsant les arbres généalogiques de sa famille et en remontant les siècles, on découvre par hasard une origine acadienne. Rappelons quelques éléments de l’histoire du Canada : c’est Jacques Cartier qui découvrit en 1534 ce pays qu’il nomma « La Nouvelle-France » où se développa l’Acadie qui comprenait les
régions du Canada appelées aujourd’hui Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Ile du Prince Edouard (à l’époque Ile Saint-Jean), Ile du Cap Breton (à l’époque Ile royale). L’Acadie fut fondée par Pierre Dugua de Mons avec l’aide de Samuel de Champlain qui fut également fondateur du Québec en 1608 sur les rives du Saint-Laurent.
Carte de l’Acadie, en 1754. (Klaus Mueller (Mikmaq)
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- CC BY-SA 3.0)
Samuel de Champlain, accueilli par les Amérindiens, sur le futur site de la ville de Québec, en 1608.
Les capitales (Québec et Port-Royal), ces deux colonies étaient situées à quatre cents lieues l’une de l’autre et séparées par de vastes espaces couverts de forêts : elles furent le siège de gouverneurs français, investis par le roi de France. Ces territoires étaient alors peuplés de nations indiennes, notamment les Micmacs et les Abénakis. Il est à noter qu’il y eut d’excellents rapports entre les Français et les populations indigènes.
Mon ancêtre, Michel Boudrot L’histoire que je vais vous conter se déroule sur plusieurs siècles et commence en 1601 avec la naissance de mon ancêtre Michel Boudrot. Michel Boudrot fut nommé lieutenant général de la juridiction de Port-Royal en 1685. Mais bien avant, en 1632, il effectua un premier voyage de France en Acadie. Le 20 juin 1632, deux voiliers, le SaintJean et l’Espérance en Dieu partent de La Rochelle. Ils se dirigent vers le port d’Auray en Bretagne où un troisième
vaisseau se joindra à eux. En plus des marins formant des équipages, plusieurs personnalités se trouvent à bord de ces voiliers dont notamment : Isaac de Razilly, son cousin le lieutenant Charles de Menou, sieur d’Aulnay, Samuel de Champlain, Nicolas Denys, marchand de La Rochelle et agent de la Compagnie de la Nouvelle-France, des soldats et leurs officiers, six capucins, une douzaine de familles. Parmi ces colons figure Michel Boudrot, alors célibataire. Le 23 juillet 1632, les navires lèvent l’ancre et mettent le cap sur l’Acadie. En route, un quatrième navire parti de La Rochelle les rejoint. Après sept semaines de navigation, le 8 septembre 1632, tous parviennent à l’embouchure de la rivière La Hève (aujourd’hui La Have) sur la côte sud de la péninsule Acadienne, à 125 kilomètres à l’est du fort Saint-Louis. On lui donna le nom Sainte-Marie-de-Grâce. Les travaux commencèrent immédiatement. On construisit un fort, une maison pour Razilly, un magasin, une chapelle, un monastère, des habitations pour les
(George Agnew Reid - 1860-1947 - Bibliothèque et Archives Canada)
familles, une maison pour célibataires et des abris pour bestiaux. En 1636 après le décès de Isaac de Razilly, son lieutenant Charles de Menou, sieur d’Aulnay, lui succéda comme gouverneur d’une partie de l’Acadie. Il décida de transporter la colonie de Port-Royal, car les terres cultivables étaient rares et pauvres sur cette pointe. L’installation se fait non pas sur l’emplacement de l’ancien fort de Port-Royal, mais à dix kilomètres plus à l’est (site actuel d’Annapolis Royal). Dès l’été 1636, débuta la construction du fort puis celles des habitations et des embarcations. Au printemps 1637, des hommes de métier retournèrent en France et notamment plusieurs célibataires. Michel Boudrot revient en France à cette époque. Il épouse en 1641 Michelle Aucoin âgée de vingt-cinq ans, originaire de Cougnes (diocèse de La Rochelle). Le couple embarque sur un trois-mâts au port de La Rochelle et arrivera en 1642 en Acadie. Ils s’installeront définitivement et fonderont une grande famille de onze enfants,
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Journal d'un aumônier breton - 1850 (16e partie)
Christiane Marchocki
Nos navigateurs explorateurs sont toujours à Saint Paul. C’est l’époque de la traite interlope. Les conditions de vie à bord des navires négriers frauduleux sont encore pires, si cela est possible, lit-on parfois. Ils sont pourchassés.
L
a traite est interdite, mais l’esclavage continue dans bien des contrées. Son journal nous donne une image fidèle de cette époque et des mentalités. C’est un texte personnel.
27 octobre 1850 Je vais encore descendre à terre cette après-midi, pour y accompagner Monseigneur et faire une visite au gouverneur général. Nous l’avons trouvé chez lui au gouvernement où nous avons été introduits par un jeune aide de camp poli et distingué. Nous avons parcouru une
suite d’appartements spacieux bien aérés, il y reste quelque chose de l’ancienne splendeur portugaise, lorsque cette petite nation qui compte aujourd’hui à peine dans l’Europe, sans liberté, sans grandeur, satellite de l’Angleterre se partageant le monde avec l’Espagne par une ligne que le doigt d’un pape avait tracée sur leur globe. L’ameublement est simple, mais de bon goût. Le gouverneur qui a rang de général est en tenue militaire, il porte une moustache longue et grisonnante. C’est encore un homme de bonne éducation, parlant le français avec peine, mais assez clairement. Il est venu en France plusieurs fois et en a conservé de bons
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souvenirs. Notre conversation, vague d’abord, s’est ensuite dirigée vers le sujet qui nous intéressait : le point sur le clergé et l’état religieux du pays. Les renseignements qu’il nous a donnés et que par convenance il n’a pas voulu préciser sont loin d’être satisfaisants. Embarrassé pour, en somme, caractériser le tout, les hommes et les choses, il a dit que c’était une grande misère. Nous en savions déjà assez pour le trouver très modéré. Nous l’avons quitté militairement, avec la poignée de main, et nous nous sommes acheminés vers le débarcadère où notre canot nous attendait. Rentrant, en passant, chez le juge général de toute la province, nous lui avons laissé son carton et nous en sommes revenus à bord pour dîner. Peut-être demain, fête de saint Simon et de saint Jude, descendrons-nous à terre pour y dire la messe, au risque de trouver la même comédie que nous avons trouvée à l’île au Prince.
28 octobre 1850 Je reviens de terre où je suis allé pour ma triste cérémonie. Nous avons perdu le pauvre sergent d’armes que j’avais administré l’autre jour et nous l’enterrions cette après-midi dans le cimetière de Saint Paul. Nous avions demandé à l’inhumer sur la pointe de l’île la plus avancée dans la mer où nous avons déjà une tombe, mais le gouverneur ayant refusé ce privilège à un anglais cette année même, n’a pas voulu nous l’accorder. Il a seulement mis à notre disposition un piquet d’hommes armés pour rendre les honneurs militaires et son aide de camp pour nous diriger. Nos matelots ne devaient eux-mêmes n’avoir aucune arme. Le cortège quoique peu nombreux de moitié, comme bien vous pensez, a piqué la curiosité de la ville que
Ci contre : Marché de Caponta (Angola). (Collection Particulière)
Page précédente : La côte, au nord de Luanda, ou Loanda (Angola). (Photo Ibnluanda - CC BY 2.0)
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nous avons traversée, accompagnés d’une multitude de gamins, en guenilles, courant, trottant, jasant à ne pas s’entendre. Le cimetière est assez éloigné. Il est fermé et tenu d’une manière convenable. Quoiqu’il soit nouvellement ouvert, déjà leurs rangs s’y pressent. Saint Paul est une île dit-on de 15 000 âmes. Elle est sur la côte d’Afrique, cependant ce point est loin d’être le plus malsain Le brick l’Agile est rentré ce soir en rade avec sa prise, qui, définitivement, je crois, sera envoyée en France. Le commandant semblait d’abord hésiter. Nos tribunaux font tant de difficultés sur ce point, et nous avons déjà eu précédemment de fâcheuses difficultés deux ou trois mois avec de grosses indemnités, que je comprends bien qu’on hésite, quelques preuves qu’on ait. Le commandant de l’Agile a lui-même a reculé tant qu’il a pu. Il avait relâché un bâtiment une première fois, quoiqu’il se fut donné pour brésilien, lorsqu’il était évident qu’il était français sans papiers en règle. Il parait que ces messieurs ont célébré leur délivrance par de copieuses libations et qu’ayant perdu tout espoir de retour, ils se sont approchés de terre, puis d’une manœuvre scandaleuse, se sont laissés aller à la côte ayant a bord une grande chaloupe pleine de noirs. Mr de Rivière n’a pas pu ne pas les prendre.
29 octobre 1850 Je reviens d’une fête à laquelle nous avions été tous invités officiellement. Tout l’état-major, libre ce jour, pour assister à un « Te Deum » chanté solennellement dans l’église, sur la place du gouvernement. Le cortège s’est réuni à l’hôtel du gouvernement où toutes les troupes étaient en armes, musique en tête. Le gouverneur dans un habit brodé, chargé de décorations
L’expédition de Quiberon ou
l’orchestration d’un désastre Jean de Saint-Houardon
La fin de l’Ancien Régime fut la fin d’un temps, celui des ordres, celui de leurs privilèges. Elle porte aussi en elle la fin des particularismes provinciaux. De cette fin, la noblesse bretonne, fortement attachée aux droits historiques de l’ancien duché, aux privilèges de sa province, « unie » et « non réunie » à la France, en souffrit peut-être plus qu’une autre.
E
t si certains de ses ressortissants, souvent des cadets démunis, furent acquis à l’idée d’un changement de régime, nombreux par contre s’en indignèrent et consentirent au sacrifice pour tenter de rendre à la Bretagne ses anciennes prérogatives et, évidemment, restaurer la monarchie. Adolphe Thiers, avocat, puis journaliste, connu surtout pour avoir été un homme politique et un homme d’État, puisque Président du Conseil en 1836, puis en 1840, il sera aussi Président de la République en 1871, fut aussi un historien dont l’œuvre considérable fait toujours autorité avec, entre autres ouvrages de référence, une Histoire de la Révolution française et l’Histoire du Consulat et de l’Empire. Aussi doiton lui donner crédit quand il reconnaîtra que « la Bretagne était le seul pays qui n’avait rien à gagner à la Révolution ». C’est cette noblesse de Bretagne, émigrée à Londres ou sur les îles de Jersey et Guernesey, fière de son passé, qui rêvant de revanches héroïques, d’un retour de la monarchie et de la réintégration de la Bretagne dans ses droits initiaux, se verra défaite dans cette pièce dramatique qu’on lui aura fait jouer, plus pitoyable que rocambolesque, « une mauvaise farce tant le ridicule l’aura emporté dans cette affaire », oseront dire certains. Son titre ? « L’expédition de Quiberon ».
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L’histoire souvent remaniée, régulièrement réappropriée par l’humeur politique du moment, au profit des légendes et des mythes, y trouvera néanmoins son compte de héros propres à inspirer encore quelque fierté pour qui s’identifierait aux laissés pour compte de cette aventure, et à faire oublier et son incongruité et sa désolation. Et l’un des personnages emblématiques qui se seront démarqués par leur courage dans cette funeste affaire fut, sans conteste, le chevalier de Tinténiac. Il y laissa la vie et sa mort souleva une intense émotion, a posteriori tout au moins, qui sera, puis restera fixée dans des ballades populaires. Mais, c’est moins « du général de Tinténiac », dont l’épopée dans les armées chouannes fut de courte durée, dont il sera question ici, que des circonstances du désastre de Quiberon qui le mit dramatiquement en scène. S’il est cité pour amorcer la présentation de ce débarquement historique des émigrés en Bretagne, en 1795, expédition contre-révolutionnaire d’envergure, c’est que pour nombre d’historiens du XIXe siècle ce personnage romanesque incarnait bien l’esprit de la noblesse bretonne, ancienne, passionnée et valeureuse. Notons ici que la maison de Tinténiac donna deux champions - deux frères, Jean et Alain - au « combat des Trente » qui eut lieu le 26 mars 1351, événement singulier, mais surtout
Combat de Quiberon, en 1795
emblématique du courage et du caractère des chevaliers bretons. De ce combat, le chroniqueur Froissart a laissé un récit détaillé qui restera présent dans la mémoire bretonne, récit que ne manqua pas de se réapproprier Hersart de la Villemarqué dans son Barzaz Breiz, véritable bréviaire du patriotisme breton publié en 1838, sous le titre de « Ballade des Trente ». Étant entendu que l’expédition à laquelle aspirait cette noblesse bretonne, c’est-à-dire héroïque et décisive, ne sera hélas qu’une grande et dramatique mésaventure : c’est de la somme des raisons qui la conduisirent à l’échec, dont il sera question ici...
Mais avant de cerner les tenants et les aboutissants de cette expédition, il convient d’en appréhender tout d’abord le contexte. Un décret du 11 août 1789 abolit les privilèges, et le 23 novembre 1789 la Constituante déclara la suspension indéfinie de tous les Parlements du royaume. C’était la fin de la « Constitution bretonne », c’est à dire de l’état des droits et privilèges découlant du contrat fixé par le pacte
(Jean Sorieul - 1825-1871 - Musée d’art et d’histoire de Cholet)
d’Union de 1532, qui définissait les modalités de l’union du duché au Royaume et qui s’était maintenue depuis lors. Cette constitution commença à être déniée lorsque le gouvernement royal décida que les États de la province ne seraient plus convoqués, alors que ceux-ci s’étaient réunis sans discontinuer depuis toujours, en moyenne tous les deux ans. Ainsi, les États de Bretagne se réunirent pour la dernière fois, le 29 décembre 1788. Ces États de Bretagne étaient en fait une assemblée, qui initialement, c’est-à-dire sous les ducs, traitait des affaires du duché dans leur ensemble, pour les questions budgétaires ou relevant de la justice. Les États se scindèrent ensuite en deux entités, le parlement, d’une part, et les États de Bretagne dépourvus désormais du « judiciaire », d’autre part. Ces deux organes provinciaux demeurèrent en fonction après le traité d’alliance jusqu’à la fin de la monarchie. Bien évidemment, leurs rôles se modifièrent sensiblement et les États de Bretagne devinrent l’élément essentiel de l’autonomie consentie à la Province. Si les représentants des trois ordres qui, de fait, relevaient des classes privilégiées (les nobles, les membres du clergé et les bourgeois des villes), ceux-ci prétendaient représenter, à la veille de la Révolution, la « Nation Bretonne » dans son ensemble.
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ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI
Jean Robion, peintre de l’Estran 1943-2015
Disparition d’un artiste
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ui a connu Jean Robion a eu la chance d’avoir rencontré un homme d’exception. Jean Robion était à la fois peintre et architecte. Ces deux modes d’expression demandent un sens inné de l’harmonie. Une harmonie créatrice du Beau. Lignes, volumes, couleurs doivent se conjuguer, former un tout et toucher la sensibilité de celui qui le reçoit. Jean Robion avait bénéficié d’une solide formation au lycée Clémenceau à Nantes, puis à l’École Supérieure des Beaux-Arts de cette ville dans la section architecture et enfin, à Paris, dans l’atelier de Noël Le Maresquier. Il est diplômé architecte DPLG en 1970. Il exerce à Nantes dans le cabinet « Liberge et Quillici ». En 1972, il épouse Anne-Marie Griveaud assistante sociale au tribunal de Saint-Nazaire, puis conseillère du travail à Airbus. Anne-Marie est descendante d’Acadiens, arrière-petite-fille de l’ancien maire de Chantenay, Paul Griveaud.
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Elle écrit dans notre revue (voir les numéros 81, 82, 84 et 85). Ils auront deux fils, Xavier et Stéphane, nés respectivement en 1974 et 1978. À Saint-Nazaire, Jean Robion ouvre son propre cabinet, il crée la Maison de la Mutualité, le foyer des handicapés, le lycée Notre Dame de l’Espérance, la salle des sports Guy Aubry
Jean Robion laissa sa marque dans notre paysage. Mais, à partir de 2004, il se consacra uniquement à la peinture, ses premières amours. En effet dès l’âge de 13 ans il avait exposé lors du « Salon des Arts de Pontarlier ». Il suivait déjà des cours de dessin. De 1956 à 1959 on peut lire à son sujet des articles élogieux dans la presse. En 2003, il est élu Président du groupe « Les Peintres de l’Estran » jusqu’à son décès, ce 2 décembre 2015. Ce groupe a été fondé par le peintre Pierre Josse, illustrateur de nombreux livres, sur la Brière en particulier, auteur de poèmes, architecte d’intérieur, il a fait ses études aux Beaux-Arts à Nantes.
de Pornichet, ainsi que la reconstruction de l’usine Sonabat-Chantal à Montoir, bien des lotissements à Saint-Nazaire, Pornichet, Mesquer, Savenay… Enfin, il construit et restaure de nombreuses villas, telle « Stella Maris » où fut tourné le film « La Baule les Pins ». Invité par le Lion’s club de Nantes, il en a peint le Tribunal en hommage à Jean Nouvel.
Les toiles de Jean Robion, originales, personnelles, de facture actuelle et tendant vers l’abstrait, sont appréciées des connaisseurs. Le littoral est sa source d’inspiration : les ports et les voiliers, les bigoudènes et les plages, les bouchots et leurs lignes verticales, les sportifs et leurs efforts. Dans ses toiles, le mouvement est réel. Les chevaux galopent, les bateaux font jaillir les embruns. Sa palette colorée exprime une vie intense. L’orange, le bleu et toutes leurs nuances, traduisent une certaine gaîté et un bel enthousiasme pour tout ce qui fait le charme de la vie et celui de notre région. La sobriété des sujets règne cependant. L’essentiel est là, l’imagination provoquée prolonge la scène. Jean Robion a marqué nos esprits, son départ laisse en nous un grand regret.
Christiane Marchocki Histoire & Patrimoine n° 85 — janvier 2016
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À LIVRE OUVERT
Pierre Norange
Une vie au service d’un idéal
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’Université inter-âges de Saint-Nazaire a fait paraître en septembre son dernier ouvrage Pierre Norange, une vie au service d’un idéal écrit par les membres de l’atelier-recherche en Histoire locale. Ce groupe a déjà signé plusieurs ouvrages sur le patrimoine de Saint-Nazaire : La petite Californie bretonne (1998), L’abécédaire des rues de Saint-Nazaire (2002), L’abécédaire des écoles jusqu’à 1942 (2007) et, plus récemment (2012), Saint-Nazaire, douze promenades pour découvrir son patrimoine. L’atelier-recherche a toujours eu pour ambition de mettre en lumière des aspects méconnus du patrimoine de Saint-Nazaire ; cette fois-ci, il s’agit de la vie d’un de ces personnages qui ont marqué la cité à leur époque et qui font partie, au même titre que le bâti, de ce patrimoine. Or, bien souvent, le public connaît peu de choses sur leur vie ou leurs réalisations. C’était déjà la démarche des auteurs de l’Abécédaire des rues qui proposait d’abondantes notices sur ces personnages. Aujourd’hui, l’ouvrage est entièrement consacré à un seul homme. Pierre Norange n’a pas été choisi au hasard : il répond parfaitement aux critères retenus par le groupe : chacun sait que son nom a été donné à un collège du quartier de La Trébale, mais qui est-il exactement ? Les premiers éléments recueillis par le groupe laissent entrevoir un personnage haut en couleurs, présent dans toutes les manifestations de la vie nazairienne de l’entre-deux-guerres. Secrétaire à la Chambre de commerce, fondateur de l’Université populaire, président de l’amicale de la Presse, créateur des patronages laïques puis des colonies de vacances, grand amateur d’art, cet homme à la longue barbe blanche est apprécié de tous, petits et grands. Mais ce que les chercheurs de l’UIA ont découvert, c’est aussi, avant Saint-Nazaire, un riche passé de militant puis de responsable politique, de journaliste engagé, d’auteur de nouvelles et de pièces de théâtre. Pierre Norange, de son vrai nom Georges Pierre, n’est pas nazairien d’origine ; il est né en 1871 dans l’Yonne, en milieu rural, son père est fermier. Son frère aîné, qui avait lu Proudhon et Marx, lui enseigne les principes du socialisme. Il arrive à Paris en 1888 et adhère aussitôt au Parti Ouvrier de Jules Guesde auquel il restera toujours fidèle. Ardent militant anti-boulangiste, il fait ses débuts de journaliste en écrivant de virulents articles dans des journaux engagés qui le publient
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parfois en première page. Avant l’âge de 30 ans, il prend des responsabilités dans son parti et va connaître, alors, toutes les transformations des nombreux mouvements socialistes, jusqu’à leur unification en 1905. Secrétaire de Jules Guesde, ami de Marcel Sembat, il est de tous les congrès du Parti Ouvrier Français puis participe à ceux de la SFIO jusqu’à son arrivée à Saint-Nazaire ; il y côtoie les grands leaders de l’époque que sont Jaurès, Briand, Viviani, Millerand, et tant d’autres. En 1907, il sera même délégué au Congrès de l’Internationale socialiste à Stuttgart. En 1901, Pierre Norange est envoyé par son parti dans le Pas-de-Calais pour organiser et développer le POF dans ce secteur. Il est secrétaire de la mairie d’Avion, ville qui vient d’élire un maire guesdiste, mais il doit quitter la région à la suite d’une malheureuse affaire qui lui vaudra de connaître la prison. On le retrouve en 1903 dans l’Aube où il est secrétaire de la mairie des Riceys. De retour à Paris en 1904, il donne de nombreuses causeries dans les Universités populaires sur la littérature, l’art, les questions sociales, les sujets historiques ; il est à plusieurs reprises candidat aux élections municipales et législatives à Paris et dans la Creuse. C’est le moment où il écrit des pièces sociales comme « Ventre creux » ou « Canaille et Cie ». C’est aussi la Belle Époque : il habite Montmartre et y rencontre de nombreux artistes.
En 1913, après un séjour de quatre mois en Algérie, qu’il raconte de fort belle façon dans ses « Vieux souvenirs » publiés en 1947-48 dans Le Travailleur de l’Ouest, le parti lui propose alors d’aller, soit en Isère, soit en Loire-Inférieure. Il choisit notre département où il va s’occuper de la rédaction nazairienne du journal Le Populaire de Nantes. Il s’intègre rapidement dans notre cité dont il dit, dès 1914, apprécier « le climat et l’aménité de ses habitants ». La guerre va l’éloigner pour un temps. Âgé de 43 ans à la déclaration de guerre, il est de la dernière classe mobilisable ; il part en 1915 et revient en 1917 où il rentre à la Chambre de commerce comme secrétaire.
alors un patriarche qui, jusqu’à son décès en 1958, rend quotidiennement visite à ses confrères de la rédaction de l’Éclair, titre qui a succédé au Populaire et dans lequel il écrit régulièrement des articles le révélant comme un véritable critique d’art.
À Saint-Nazaire, pas de grandes responsabilités politiques, plus de candidatures aux élections, mais un engagement de tous les instants au service de la population. D’abord au Groupe artistique, créé en 1911, dont il est dès 1919 le secrétaire, organisant cours de dessins, expositions de peinture, école de musique et concerts et conférences sur l’art. Puis, il fonde en 1921 l’Université populaire de Saint-Nazaire qu’il va présider jusqu’en 1940. De nombreuses manifestations culturelles sont proposées : soirées éducatives ou récréatives, conférences et tribunes libres avec des sujets très en avance comme l’objection de conscience, la peine de mort ou le vote des femmes. C’est dans ce cadre qu’il va créer les patronages laïques pour les garçons en 1923, puis pour les filles en 1925 : beaucoup de veuves de guerre doivent travailler et il faut s’occuper des enfants en leur proposant de saines activités. Viennent en 1930 les colonies de vacances, sans oublier chaque année, l’arbre de Noël où Pierre Norange, l’homme à la barbe blanche, distribue cadeaux et friandises aux enfants. Comment s’étonner, alors, que tous l’appellent « Père Noël » ? Et puis il y a la Chambre de commerce où, collaborateur de Louis Joubert, il participe à toutes les manifestations de la vie nazairienne. La Seconde Guerre mondiale marque un coup d’arrêt à toutes ces activités ; Norange quitte Saint-Nazaire pour ne revenir qu’en 1952. Il est
Voilà, brièvement résumée, la vie de Pierre Norange que les chercheurs de l’UIA ont mise au jour. L’ouvrage est illustré de photographies et de correspondances mises à la disposition du groupe par sa filleule qui habite toujours Saint-Nazaire ainsi que par un témoignage émouvant d’une personne qui a connu les patronages laïques et les colonies de vacances. Il reste cependant des zones d’ombre comme l’origine de son pseudonyme qui restera son secret ou le lieu de sa sépulture qu’il avait souhaitée anonyme. Mais, ces travaux de recherche ont fait apparaître, dans le long parcours de ce personnage exceptionnel, une ténacité et une ardeur à servir, dans tous ses engagements, un idéal construit très tôt auquel il est resté fidèle jusqu’à la mort.
Gérard Morel Responsable de l’atelier recherche en Histoire locale Vice-président de l’UIA
Pierre Norange Une vie au service d’un idéal
Edition : Université Inter-âges de Saint-Nazaire Maison des Associations Agora 1901 2 bis av. Albert de Mun 44600 Saint-Nazaire
www.uiasaintnazaire.info 160 pages - Prix : 9 €
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ZOOM ARRIÈRE
Danièle Delorme (Levallois-Perret, 1926 – Paris, 2015)
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’actrice et productrice Danièle Delorme est décédée le 17 octobre dernier. Elle a bien sûr bénéficié des hommages de la presse de référence et de la presse dite people – cette dernière étant sensible moins à l’œuvre véritable qu’aux liens de famille qu’elle avait avec d’autres acteurs célèbres de sa génération et des figures plus jeunes dont elle a soutenu les efforts à la télévision et au cinéma. Hommages officiels, aussi, car si elle a fait une belle carrière d’actrice, elle a aussi joué un rôle dans les institutions culturelles françaises dans les années 1980 et 1990, notamment auprès du Centre national de la cinématographie. Danièle Delorme connaissait bien la région nantaise et nazairienne pour y avoir tourné (ou produit) plusieurs films et aussi pour y avoir séjourné. Elle et son deuxième mari, Yves Robert, ont laissé des souvenirs dans la région de l’Etang de Grandlieu, dont ils ont été des familiers pendant quelques années. Les films qu’elle a interprétés dans la région ne sont pas nombreux, certes, mais il faut rappeler l’existence d’au moins un d’entre
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eux : La Côte d’amour - beau film méconnu tourné à Nantes et à La Baule en avril et mai 1982. Âgée alors de 56 ans, elle y avait le rôle principal aux côtés d’un acteur allemand peu connu en France, Mario Adorf. C’est le récit, mis en scène et interprété avec beaucoup
aux côtés de jeunes réalisateurs et de projets nouveaux. Son rôle dans Les Eaux dormantes fut son dernier au cinéma si l’on excepte une apparition dans un film de Jean-Denis Robert (beau-fils de l’actrice). On ne l’a vue ensuite qu’à la télévision, principalement dans la série Madame le proviseur (1994-1999).
de sensibilité, de la rencontre fortuite de deux personnes d’âge mûr qui ne croyaient plus à l’amour. Leur liaison est alors en butte aux préjugés dûs à leur âge et à des règles de bienséance sociale et familiale. L’auteure du film est Charlotte Dubreuil, une scénariste et réalisatrice qui n’a pas eu la carrière qu’elle méritait. Le film était produit par Tony Moliere et sa société, avec la participation de la chaîne Antenne 2. Moliere était alors distributeur de films à Paris mais il s’était déjà implanté dans la région en devenant exploitant de salles de cinéma à Saint-Nazaire1.
Séparée de son premier mari Daniel Gélin, elle a épousé en 1956 l’acteur devenu réalisateur Yves Robert (Saumur, 1920 – Paris, 2002). Débutant au cinéma dès 1942 et au théâtre en 1946, elle a eu une immense carrière d’actrice. Elle est aussi devenue productrice de films. Elle n’était en rien un prête-nom, dirigeant en véritable stratège la société La Guéville qu’elle avait fondée avec Yves Robert pour le projet de La Guerre des boutons. La Guéville : du nom d’une petite rivière de la région de Rambouillet, a produit une cinquantaine de films en une cinquantaine d’années (1961-2005).
En 1991, Moliere retrouvait Danièle Delorme en tant que producteur du film Les Eaux dormantes, de Jacques Trefouël, tourné principalement à Saint-Lyphard et à Saint-Nazaire, avec quelques séquences bauloises et guérandaises. Elle était, avec Gélin, Galabru, Perrin, un des atouts d’une œuvre qui pourtant n’a rencontré qu’une faible audience – ce qui importait peu à l’actrice, qui s’est souvent engagée, en tant que productrice comme en tant qu’actrice
On note parmi ses productions plusieurs films d’auteur (Jacques Doillon, Alain Cavalier) aux côtés des grands succès d’Yves Robert. On signalera aussi la production en partenariat de Camarades, de Marin Karmitz, en partie tourné à Saint-Nazaire en 1969.
1 - Cf. Petite histoire des cinémas nazairiens dans Histoire et Patrimoine n° 84, juillet 2015, pp. 4-19. Le couple Moliere gérait l’ancien Trianon, devenu un complexe de 5 salles sous le nom de Korrigans.
De son vrai nom Gabrielle Girard, elle était la fille du peintre et affichiste André Girard à la mémoire de qui elle créera à Paris vers 1970 une galerie d’art portant son nom.
Daniel Sauvaget
Illustrations : Couverture de magazine - Gigi, de Jacqueline Audry, 1950. (coll. Lucien Logette)
Couverture de magazine – La Jeune folle, d’Yves Allegret, 1952 (coll. Lucien Logette)
Affiche de film – film de Julien Duvivier, 1956 (archives privées) Danièle Delorme en compagnie d’Yves Robert (D.R.) Danièle Delorme vers 2008 (D.R.)
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SORTIES CULTURELLES
Flânerie en Anjou Sortie, à la journée, du dimanche 27 septembre 2015
Christiane Marchocki Grand beau temps clair. Juste un peu frais comme il se doit à cette époque de l’année. Les participants en nombre stable et raisonnable, ce n’est pas du tourisme de masse, toujours heureux de se retrouver, entament leurs conversations en se plaçant par affinités, fidèles en cela à notre esprit convivial et associatif.
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otre guide M. Jacques Briant, vice-président de l’office de tourisme de Saint-Florent-leVieil nous rejoint. Nous avons rendez-vous devant la ferme abbatiale des coteaux, ferme des moines. Les chemins sont pris sur leurs anciens terrains. De là-haut on peut voir la Loire, notre fleuve majestueux en un immense panorama, apparaissent les bouées de navigation, vertes et rouges. En se promenant au bord de l’eau, on respire le parfum de la Loire. Son amplitude peut varier de 2 m en 6 jours. On a relevé moins deux mètres en été et plus six mètres en hiver. Les riverains sont habitués aux inondations. Des « épis » avaient été construits pour accélérer le courant, entraîner le sable vers des sablières. Ceci est désormais interdit. On nous fait remarquer « l’Île Batailleuse » repaire des Vikings au premier siècle, le château Briot datant de 1864. Il abrita bien des enfants pendant la guerre de 1939-1945. Saint Florent, soldat romain converti au 4e siècle fonda un oratoire, il fait œuvre d’évangélisation, 7 moines bénédictins viennent se fixer, une abbaye sera construite. Saint Florent est marqué par les guerres de Vendée. Le tirage au sort provoque la révolte des jeunes. Ils vont Vue de l’église chercher le marquis de Bonchamp, le choisissent pour abbatiale de Saintchef. C’est l’embrasement, « La Virée de la Galerne ». Florent-le-Vieil. Ils sont vaincus. Bonchamp blessé à mort à la bataille (Photo Dominique Sénéchal) de Cholet demande la grâce de 4 000 prisonniers républicains renfermés dans l’abbaye de Saint-Florent. Il montre une grande noblesse, très peu sur le point de mourir eux-mêmes auraient cette pensée. Un descendant de ces prisonniers, le sculpteur David d’Angers lui fit ce tombeau en marbre noir, soutenant sa statue en marbre blanc que nous pouvons voir dans l’abbaye. Dans le blason figure l’étoile de David : un ancêtre de Bonchamp a participé aux croisades. La Duchesse d’Angoulême, fille aînée de Louis XVI fit élever une colonne en hommage aux Vendéens. Elle a été inaugurée, en 1828, en présence de la Duchesse de Berry. Cette colonne mesure 17 mètres de haut sans compter son piédestal, la couronne qui la surmonte a 1,80 m de diamètre et pèse 750 kg. Ce monument est atteint par les intempéries.
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La visite de la crypte s’impose, on peut y voir la maquette de l’abbaye, une statue du XIe siècle « la vierge du bien mourir », le reliquaire de Saint-Florent. Dans l’une des chapelles la statue en bois du Sacré Cœur, plus récente frappe par ce visage emprunt, à la fois de douleur et de compassion. Revenons aux plaisirs terrestres en nous rendant dans un restaurant situé au bord de la Loire, instant apprécié. Le château de Serrant à Saint-Georges-sur-Loire nous attend. Il est l’un des mieux meublés, situé le plus à l’ouest, une beauté. À l’origine il était une forteresse médiévale. Les douves et la base des tours en sont les vestiges. La tour Napoléon, la plus ancienne, date du XVIe siècle. Ce château a toujours été vendu meublé. Actuellement, le prince et la princesse de Mérodes
y demeurent. La salle à manger souvent utilisée est tendue de tapisseries des Flandres aux sujets mythologiques : les Métamorphoses, œuvre d’Ovide. Ce château allie le confort moderne aux meubles rares, aux objets historiques. On peut y admirer les plafonds à la Française, des biscuits de Sèvre, un bureau Boule à incrustations, des fauteuils Louis XIII. Chaque chambre, au nombre de trente, possède un bureau, un coin salon devant la cheminée. Le grand salon de 140 mètres carrés, orné de tapisseries de Bruxelles représente des combats d’animaux. Un cabinet en ébène antérieur à 1650, meuble d’apparat, est travaillé de manière éblouissante, extérieurement et intérieurement. Il comprend 33 tiroirs, d’origine hollandaise. Signé Pierre Gole, il a été conçu à Paris. On ne peut s’empêcher d’être admiratif en pensant à l’imagination et aussi à l’esprit de géométrie nécessaires, géométrie dans l’espace qui demande une pensée et même un don particulier. On a toutes les bonnes raisons du monde d’apprécier certains meubles chinois, n’oublions pas les Occidentaux. Le talent n’a pas de frontières. Ce château a traversé toutes les guerres sans subir de dégradations. Une chance. Le musée de la Marine de Paris y avait entreposé en 1939 des objets irremplaçables : la collection d’instruments scientifiques et de navigation, des modèles de machines et apparaux, une dizaine de tableaux de la série des ports de France de
Joseph Vernet… « 158 caisses auxquelles s’ajoutent, dans un dernier envoi fait le 3 novembre, 77 caisses de tableaux1 ». Le château de Chambord a participé à ce sauvetage, d’autres aussi, à l’origine, n’avaient-ils pas un rôle de protection ? La bibliothèque compte 12 000 volumes et compte parmi les monuments historiques depuis l’an 2000. Mais nous ne sommes pas là pour une énumération, il existe des nomenclatures pour cela, l’APHRN vous entraîne dans des visites riches en découvertes. Nous avons même rendu visite aux cuisines, lieu privilégié pour imaginer la vie menée à ces époques révolues dans ce groupement humain vaste et structuré. Les vieux serviteurs étaient pris en charge et les générations se succédaient. Sont exposées 200 pièces en cuivre, elles étaient toutes en double. Le fourneau comprenait 8 fours, le service d’eau fut branché en 1920, il n’en fut pas ainsi partout, enfin le sous-sol était consacré aux réserves. Pour nous détendre, nous nous arrêtons dans la jolie chapelle où chacun peut à loisir s’adonner à ses pensées.
Christiane Marchocki 1 - Voir la revue Neptunia n° 280 page 37. Histoire & Patrimoine n° 85 — janvier 2016
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Le groupe de l’APHRN, devant le château de Serrant (Photo Dominique Sénéchal)
SORTIES CULTURELLES
Pornic médiévale et maritime
Sortie, à la demi-journée, du vendredi 23 octobre 2015
Christiane Marchocki
La tour médiévale du château de Pornic. (Photo Geneviève Terrien)
C’est toujours un plaisir de nous retrouver et de partir en voiture, nous invitant les uns les autres à prendre place. L’ambiance amicale réunit ainsi les adhérents.
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ous nous dirigeons vers Pornic, notre guide nous attend. La rivière, qui désormais se visite en kayak, servait à transporter les matériaux de construction vers l’intérieur du pays de Retz. À la fin du XIXe siècle, en 1875, la ligne de chemin de fer met fin à ce mode de déplacement. La balnéothérapie se développe. Il fallait 8 h pour venir de Nantes à Pornic en empruntant la diligence. À cette époque disparaissent les moulins à marée. Le port s’implante. Au début du XVIe siècle, les morutiers font sa prospérité. Puis le sable l’envahit progressivement, tandis que le commerce maritime apporte une certaine richesse. C’est l’époque du cabotage : sel, blé, vin. Enfin, le port ensablé est abandonné. En 1778, le dernier seigneur de Retz achète le duché qui devient une simple baronnie.
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En 1912, il existait une minoterie sur la rive sud. Elle est bien visible. Elle est toujours active, 24 heures sur 24. Elle alimente la fabrication des biscuits BN, des brioches… En 1983, le dernier cargo y a fait son chargement. C’est un port de plaisance qui a été construit à la pointe de Noveillard. Il comprend 919 places. On doit lutter constamment pour lui conserver une profondeur suffisante. Actuellement, une dizaine de bateaux de pêche le fréquentent encore, contre 35 en 1990. En longeant les quais on passe devant le casino, qui servit de « Kommandantur » pendant a guerre de 1939-1945. On projette une transformation et un changement d’emplacement.
Nous gagnons le château. On ne peut visiter l’intérieur que pendant les journées du patrimoine. Il est assez impressionnant lorsqu’on arrive dans ce qui était les douves. Il fut entouré d’eau, place-forte défensive, il protégeait l’entrée du port. Au Xe siècle, en 940, Alain Barbetorte, Duc de Bretagne, est à l’origine de sa construction. En bois, comme bien des châteaux forts naissants. La pierre vint en faire une forteresse au XIIe siècle. Au XVe il appartint au célèbre Gilles de Rais, celui-ci en fut dépossédé pendant son procès. La légende en fit le château de Barbe Bleue. En 1886, l’architecte François Bougouin, à la demande des propriétaires, dessine les fenêtres en plein cintre que nous pouvons voir maintenant. En 1986, l’édifice est inscrit au titre des monuments historiques. Nous terminons notre visite par une promenade dans la ville haute où demeuraient les pêcheurs, toutes les rues descendent vers le port.
Une ruelle du vieux Pornic. (Photo Geneviève Terrien)
Nous, nous descendons vers nos voitures, échangeant nos impressions, demandant quel sera le but de notre prochain déplacement.
Christiane Marchocki
Les sorties culturelles APHRN de printemps 2016 »» Dimanche 24 avril 2016
Sortie à la journée, en autocar, en Morbihan (Auray, Carnac, Quiberon).
»» Vendredi 27 mai 2016 (après-midi)
Sortie à la demi-journée, À la découverte de Mesquer-Quimiac, sous la conduite de Jocelyne Le Borgne. Retenez bien ces deux dates sur vos agendas.
Rectification
La photo de première page de couverture du n° 82 (janvier 2015) de notre revue, n’a pas été attribuée à son auteur, par mégarde. Elle est d’Édouard Hue, à qui nous présentons toutes nos excuses pour cette regrettable omission. Le bon crédit photo est : Photo Édouard Hue (CC-BY-SA-3.0).
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A . P. H . R . N
Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne
Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - http://aphrn.fr.nf - Tél. 06 62 58 17 40
Conseil de Direction de l’APHRN (après Assemblée Générale du 1er février 2013)
Présidente d’honneur Jacqueline Guériff Présidente Christiane Marchocki Vice-présidente Geneviève Terrien Trésorière Annick Montassier Secrétaire général (Responsable d’édition de la revue HISTOIRE & PATRIMOINE)
Tanguy Sénéchal Secrétaire adjointe Jocelyne Le Borgne Conseillère (Responsable des sorties) Nicole Bonnaud Conseiller Jean-Pierre Coquard Conseiller André Dubreuil Conseiller Josick Lancien
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Les articles sont publiés sous l’entière responsabilité et propriété de leurs auteurs. La publication partielle, ou totale, des articles et illustrations parus dans HISTOIRE & PATRIMOINE est interdite.
Illustration : Le groupe de l’APHRN, devant la colonne de la Duchesse d’Angoulême, à Saint-Florent-le-Vieil, lors de la sortie culturelle du 22 septembre 2015 .
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Panorama de Loire, à Saint-Florent-le-Vieil Photo Dominique Sénéchal
Impression Pixartprinting - Réalisation Tanguy Sénéchal
Pêcherie et pont de Saint-Nazaire
HISTOIRE & PATRIMOINE n° 85 - janvier 2016 - 10 €
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ISSN : 2116-8415
1er prix du 35e salon de la Ville de Saint-Brévin-les-Pins, en 2005 Jean Robion (1943-2015)