Projet de Fin d’Études Diplôme d’État de Paysagiste 2018
Entre ville et Calanques :
l'usine LegrE-Mante
Comment faire cohabiter un patrimoine industriel remarquable avec un ensemble naturel qui l’est tout autant ?
Arnaud GABRIEL
Projet de Fin d’Étude - Diplôme d’État de Paysagiste 2018
Atelier Nature en ville
Encadré par Sara Kamalvand et Alice Brauns
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Résumé Ce Projet de Fin d’Etudes parle d’une usine à l’abandon aux limites Sud de la ville de Marseille. Là précisément où commence le Parc National des Calanques. C’est l’histoire d’une très vieille usine qui présente dans son enclos des caractéristiques remarquables sur l’identité de Marseille. C’est aussi un site extrêmement pollué dont la situation exceptionnelle entre mer et colline, aiguise l’appétit immobilier des différents propriétaires, tout autant que l’inquiétude des habitants. Ce projet parle de faire avec l’existant, avec le laissé-là, car c’est ainsi que ce patrimoine nous a été laissé. L’idée principale est de donner accès, de rendre visible l’ensemble des composantes de ce site. De faire avec la pollution qui est là et qui doit être traitée elle aussi. Ce projet parle donc de pollution, de polluants, essaye d’aborder quelques notions nouvelles dans le traitement des polluants, ici principalement du plomb et de l’Arsenic. Dans cet ouvrage deux aménagements sont décrits plus précisément l’un sur un crassier en bord de mer, l’autre autour d’un condenseur dans la colline. Le projet cherche à réunir ensemble mer, colline, polluants, habitants, visiteurs et Parc National. Enfin il aborde les notions d’interventions directes sur le site de projet, de ne pas se contenter de projeter des aménagements mais d’agir sur celui-ci immédiatement.
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Abstract This End of Studies Project is about a factory abandoned at the southern limit of the city of Marseille. This is precisely where the Calanques National Park begins. This is the story of a very old factory that has within its limits remarkable characteristics of the identity of Marseille. It is also an extremely polluted site whose exceptional situation between sea and hill, rise the real property appetite of the various owners, as much as the anxiety of the inhabitants. This project talks about doing with the existing, with the left-there, because that’s how this heritage was left to us. The main idea is to give access, to make visible all the components of this site. To do with the pollution that is there and that must be treated too. This project is talking about pollution, pollutants, tries to address some new concepts in the treatment of pollutants, here mainly Lead and Arsenic. In this book two developments are described more precisely one on a sinkhole by the sea, the other around a condenser in the hill. The project seeks to bring together sea, hill, pollutants, inhabitants, visitors and National Park. Finally, it addresses the notions of direct interventions on the project site, not to be content with planning developments but to act on it immediately.
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Introduction I) PFE: un projet, une fin, des études a) Inspirations b) Une problématique II) L’usine Legré-Mante a) Une limite ville-nature ... b) ... Avec la pollution comme point de basculement... c) ... Et qui demeure au cœur de l’actualité. III) Quelles stratégies pour réinvestir le site ? a) Donner accès ... b) ... En pensant la temporalité 8
IV) Projeter un aménagement a) En bord de mer, le crassier b) Vers la colline, le condenseur c) Et l’eau. V) Intervenir au delà d’un aménagement a) Une posture agissante b) L’art comme révélateur Conclusion Bibliographie 9
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Introduction Vous avez entre vos mains la publication de ce Projet de Fin d’Étude réalisée dans le cadre de la soutenance du Diplôme d’État de Paysagiste. Dans la première partie de celle-ci, j’ai souhaité revenir plus en détail sur les significations personnelles, sur les questionnements apparus durant la réalisation de ce projet et plus généralement sur cette soutenance qui marque un passage important. J’ai voulu écrire cette publication comme un récit. Pas seulement le récit du projet mais également le récit de la genèse et de la progression de ce travail dont l’aboutissement est la production d’une esquisse d’aménagement. D’essayer de raconter et de réunir sur un fil narratif les multiples étapes, démarches, avancées et questionnements qui ont pu apparaître durant ces quelques mois qui forment presque une année. Il s’agit à la suite de cette petite introspection de présenter les problématiques qui ont guidé mes premières idées et qui ont abouti au choix du site de travail que je vais traiter. Dans la deuxième partie, je présenterai le site dans son environnement proche ; replacer les enjeux qui se posent sur celui-ci. Répertorier ses qualités et pourquoi ce site revêt une importance particulière et mérite d’être traité. Comment ici la pollution a une importance cruciale. Cette pollution très présente est aussi un point de conflit important et cristallise fortement le quartier dans lequel s’implante l’usine. C’est pourquoi ce site reste aujourd’hui au cœur de l’actualité. Dans la troisième partie, au vu de ces éléments je définirai un ensemble de lignes directrices qui définiront la stratégie que je suivrai dans la réalisation de l’esquisse du projet sur l’ensemble du site. De plus la définition de cette stratégie m’amènera à réfléchir et à proposer une temporalité dans la réalisation de cet aménagement. Puis, la partie principale de cette publication sera consacrée à la présentation de plusieurs zooms et détails de l’esquisse pour spatialiser au mieux l’aménagement proposé. 11
I) PFE: un Projet, une Fin, des Études
a) Inspirations Pourquoi avoir choisi ce site ? Tentaculaires sont les strates qui m’habitent et m’inspirent. Long passage vers un devenir incertain, pourquoi s’arrêter ici sur une vieille usine ? Le Projet de Fin d’Études représente l’opportunité de travailler sur un site ou un territoire que l’on a soit même choisi. C’est également l’opportunité de tester sur ces lieux des outils et d’y appliquer une certaine pensée paysagiste. Dans l’ensemble de ces choix, la place de l’expérimentation propre est essentielle en cette fin de formation, c’est ainsi l’occasion de faire un bilan, de s’interroger sur les savoirs et les enseignements reçus. C’est aussi un moment où l’on va être confronté à un site sur un temps à la fois long par rapport à la durée de la formation et à la fois court au regard de l’évolution de ce site. C’est un temps progressif de formalisation de la démarche de ce qui in-fine doit aboutir à un projet. Une opportunité d’arpenter ce site plusieurs fois, de le connaître, que cette immersion se fasse plus profonde, de rencontrer des acteurs, pour aboutir à une vision dense de cet espace. Au cours de ces trois années à l’école Nationale Supérieure de Paysage, d’abord sur le site de Marseille puis à Versailles, on m’a enseigné ce qu’était la notion de projet de paysage. L’occasion m’est donc donnée ici, de réaliser dans ce PFE, un projet. L’interrogation est vive de me questionner sur la signification que prend cet acronyme et quels sens peuvent avoir ces trois lettres prises séparément dans la réalisation d’un travail diplômant. 14
- Quand il est question d’un Projet La signification et donc ma signification du projet, a été un fil conducteur durant ces années de formation ; un point parfois d’achoppement et d’incompréhension. J’ai appris que l’ENSP était une école de projet seulement après avoir commencé cette école. Or ce mot « projet » a pour moi, depuis plusieurs années, une connotation politique forte. Il renvoi notamment à la notion de « management par le projet » qui a fortement cours dans de nombreuses entreprises privées actuellement et dont je faisais partie avant de commencer ces études. Cette notion ayant un sens fort dans l’évolution de notre société post-industrielle et de notre rapport aux autres. On peut notamment citer les travaux des sociologues David Courpasson et Daniele Linhart. Cette réticence initiale à m’approprier le terme même de projet m’a fait m’interroger constamment sur la forme qu’il pouvait prendre dans le contexte du paysage. Ainsi il m’est apparu que le « projet de paysage » devient en réalité un quadriptyque déroulant : «analyse, enjeux, stratégie, projet », où dans celui-ci « projet » revient plutôt en réalité à aménager, projeter un aménagement et où la finalité du projet de paysage devient intervenir pour aménager un lieu, un site, un territoire, un espace en en modifiant certaines composantes spatiales. Là la modification de cet espace prenant la forme, dans une grande majorité des cas, d’un plan masse. Et dans le cadre de l’école, les seules matérialisations concrètes de ceux-ci furent d’être soit imprimés soit retro-projetés sur un mur blanc. Sans renier cette méthodologie et son aboutissement, il m’a semblé opportun de ne pas limiter le projet de paysage à cette fin. Que la forme de la modification des composantes qui font le paysage pouvait être multiple. Comme le paysage ne se limite pas à une dimension spatiale. Les deux éléments que j’ai retenus et que j’ai envie de développer dans ma pratique sont d’une part un travail d’écriture et d’autre part une intervention in-situ direct à travers l’art. Faire que les mots et l’écriture puissent être un moyen d’action. Ecriture qui 15
est d’abord un moyen d’expression, de retranscription de ressentis mais qui peut être une façon de transmettre et de révéler des éléments d’un site, une mise bout à bout de mots pour relier ensemble des choses éloignées dans l’espace. Agir ainsi sur les hommes qui composent le lieu et font partie intégrante du paysage. Avec ces mots c’est aussi susciter des émotions, transposer, transporter d’un lieu à un autre, faire rêver, effrayer aussi sans pour autant que dans l’espace des modifications soient vues. Et pourtant inséminer une modification plus subtile, car nos lectures forgent notre culture et notre regard sur le monde. Ecriture car c’est à travers la poésie que j’ai en premier approché ce site. La seconde forme de modification des composantes du paysage que j’aime utiliser et que je souhaite aussi développer, est plus direct. Il s’agit d’agir directement in situ via des modifications, des interventions qui s’approchent du land art. Il s’agit d’avoir une action soi-même sur le site, d’agir. De toucher de ses mains propres et les salir de la matière présente. Elle traduit quelque part un manque du projet-plan qui voit sa réalisation soit lointaine soit passée par d’autres mains. Ici l’idée est de s’emparer du site même pour un court instant, même pour quelque chose d’éphémère, de prendre position afin d’exercer et d’appliquer un choix immédiat sur la modification du site. Là cette intervention cherche à s’interroger, à faire voir, à révéler un aspect ou une facette du site. Cela peut être également une façon poétique, politique voir violente de suggérer, d’imaginer ou même de déranger le regard. Que même un simple point amène la personne qui le voit à s’interroger sur cette présence. L’art qui permet de voir plus loin et d’introduire cette personne dans plusieurs facettes constitutives du paysage. Je reviendrai dans la dernière partie de cette ouvrage sur cette pratique qui fait, pour moi, projet à part entière. Le site est aussi le réceptacle d’une pratique artistique in situ, certes trop souvent marginalisée, le graffiti.
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Intervention artistique réalisée en forêt autour d'un lieu de mémoire de la Première guerre mondiale
- Quand il est question d’une Fin Il est ici question d’un projet de fin. Un projet pour clôturer un cycle de trois ans. Un projet qui grâce au temps imparti, aux choix nombreux laissés ou saisis, doit permettre un certain aboutissement ou accomplissement. C’est donc trouver, dans la masse de travail à fournir, comment ces heures passées à la table, sur site, sur un plan ou un logiciel, peuvent être profitables et appréciables. Car il me paraît essentiel que la fin doive être heureuse pour que le début de ce nouveau parcours professionnel qui débute ensuite le soit également. Et c’est également, je pense, quand son travail est fait avec satisfaction qu’il devient de qualité pour soit comme pour le propos qu’il cherche à transmettre. Il s’agit donc dans les étapes et les développements de ce travail d’utiliser parfois, souvent ou ponctuellement des outils qui ne cherche pas l’efficacité, la pertinence ou la justesse mais juste la satisfaction. Et l’écriture de ces pages en est justement une. - Quand il est question d’Études C’est aussi le temps d’un bilan et d’un retour sur ces études qui s’achèvent. Une période qui fut celle d’une transformation importante pour moi ; un temps qui fut fait de changements, d’une orientation et d’une direction nouvelles sur ce chemin de vie. Les premières pages d’un tel travail n’ont peut-être pas vocation à accueillir un bilan si long et si personnel. La disparition du « P » de personnel par rapport aux anciens TPFE n’aidant pas complètement la personnalisation de la démarche suivie tout au long de ce diplôme. Cependant il est tout à fait question de soi et de ce que l’on investit dans ce travail et donc de ce que j’ai investi dans ces études. Et il est question dans ce travail qui est mien et qui a vocation à laisser une trace dans cette école et d’y inclure un morceau sur le parcours que j’y ai suivi. C’est donc ici l’aboutissement d’un reconversion complète. Il y a à peine plus de trois ans je ne connaissais rien au/en/sur le paysage. J’étais depuis 9 ans officier de la marine marchande, un marin dont très souvent le seul paysage devant 17
mes yeux était une ligne bleue infinie et circulaire. Ce n’est donc ici pas vraiment mon premier diplôme, ni même une fin et encore moins celles d’études qui jamais ne cessent et toujours se poursuivent. Quant au projet, il vient dans ces pages... - Au cœur des interrogations: un retour Pour des raisons administratives, j’ai choisi de remplir le document précisant mes intentions pour ce PFE en une semaine. Le temps fut donc très court et la réflexion plutôt limitée pour décider d’un thème, d’une problématique ou d’un site que j’allais devoir traiter et travailler pendant près de sept mois et sur lequel j’allais présenter mon diplôme. C’est avant tout le « où ? » qui émergea comme principale question. Où avais-je envie de passer ces quelques mois ? Où avais-je envie d’investir mon temps ? Sur quel espace avais-je envie de me projeter et de projeter ? Un endroit qui me plaise, sur lequel j’aurai envie d’aller. Un endroit relativement accessible pour pouvoir y retourner assez facilement ; où aller sur site ne serai pas une pression supplémentaire. Et c’est vers un retour que je m’orientais, sur le site de cette usine récemment abandonnée au sud de Marseille. Un endroit familier car tout proche du quartier où j’avais fait mes premières études supérieures. Et c’est aussi curieusement à cet endroit que commença ma nouvelle vie de paysagiste. En effet le premier atelier de 1ere année allait se dérouler là où je résidais, dans un des endroits qui m’était le plus familier. Cet atelier consistait à élaborer un parcours de promenade, principalement à pieds, et de restituer un carnet de promenade accompagnant le visiteur empruntant celui-ci. Mon travail fut d’élaborer un carnet poétique où la promenade était ponctuée de haltes. A chacune d’entre elle était rattachée un poème que j’avais composé. Ces poèmes étaient de formes divers, en vers ou en prose ou même simple haïku. Suivant les différentes expressions j’essayais de transmettre au promeneur là une émotion, ici 18
Usine Legre-Mante
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« es primevères et les paysages ont un défaut grave : ils sont gratuits. L’amour de la nature ne fournit de travail à nulle usine. »
L
Aldous Huxley
26 Pages de la halte concernant l’usine Legré-Mante dans le carnet de promenade
un ressenti, souvent de parsemer ces textes d’informations et de détails sur le site de son arrêt pour éveiller ses sens ou sa curiosité. L’un de ces arrêts et donc de poème, concernait le site que j’ai choisi pour effectuer ce PFE. C’est donc un retour sur mes premiers pas de paysagiste, ou tout du moins d’élève-paysagiste. Une façon de boucler ce cycle et ces études. Comme ceci est un projet de fin d’étude, le projet toujours de réussir celles-ci, je choisis de finir là où j’ai commencé.
A
cide Serpent de pierre Au feu éteint. Squelette chimique Marque le chemin. Labyrinthe de brique Bientôt oublié. Belles obsolètes fabriques De destins brisées. Quelle est cette terre ? De plomb et d’arsenic.
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b) Ré-investir La friche industrielle est un objet urbain au cœur de la reconquête de la ville sur ses espaces libres et ouverts. Elle est donc sous des convoitises multiples quant à sa valorisation entre espace public de nature ou de loisirs et opportunité foncière pour des programmes immobiliers en passant par des reconversions tertiaires. Qui dit friches industrielles dit aussi bien souvent pollution, déconstruction, transformation, etc... Soit un site qui n’est pas à première vue le plus beau, qui peut être porteur de rejet et qui de ce fait est souvent mis de côté. Les enjeux y sont importants et figent, ralentissent ou complexifient sa transformation. Un lieu d’abandon qui est souvent réutilisé et récupéré à l’insu des autorités et quelquefois à l’écart de la légalité. Un lieu frontière de différents mondes qui marque le territoire de sa présence dans l’espace et dans les consciences. En effet avant d’être friches, ces lieux ont été pendant des temps plus ou moins long des sites en activité, des usines, des fabriques, d’où rentraient et sortaient matin et soir des hommes et des femmes parfois même des enfants ainsi que toutes sortes de produits et marchandises. Dans ces lieux porteurs d’histoires et d’Histoire, s’inscrivent toujours la force et le mouvement de ces générations qui l’ont fait vivre. Un des enjeux qui se pose sur ces anciens sites industriels sont qu’ils sont souvent regardés avec beaucoup d’attrait par les promoteurs immobiliers, friands de tels espaces facilement valorisables (vendables). En effet ceux-ci sont souvent de grandes dimensions, placés au cœur des villes ou dans des sites où les espaces à urbaniser sont depuis longtemps manquants. Or dans ces projets immobiliers , on le voit, c’est avant tout l’espace au sol qui est recherché largement aux dépens de facteurs plus sensibles ou patrimoniaux. Sur ces sites se confrontent également les regards de l’ensemble des utilisateurs 20
Graffitis photographiés sur les murs des bâtiments de l’usine
et riverains de ceux-ci ou de leurs abords. Car si il est indéniable que les anciens sites et friches industrielles marquent fortement le paysage de leurs présences, il est aussi indéniable que les regards qui sont portés sur ceux-ci sont complexes, multiples et changeants. En effet en fonction de l’histoire et de la sensibilité de chacun, on peut n’y voir que des ruines d’industries hors d’âge et qui n’ont, notamment par rapport à cette insalubrité, plus de raisons d’exister . On peut tout autant y voir le vestige de ces mêmes industries et de la Révolution industrielle qui a marqué pour les sociétés occidentales un tournant majeur dans leurs évolutions. On peut également y voir l’expression du sublime créé par l’Homme, qui dans un temps où moins de normes existaient, à vue la création d’ouvrages aux dimensions fabuleuses dans des cadres aujourd’hui intouchables. Enfin la question de la pollution, qui fera l’objet d’une partie à part entière dans cette publication, concentre bien souvent, surtout de la part des riverains, toutes les attentions et agit comme un prisme déformant. Dans ces lieux, la part de l’imaginaire lié à l’abandon y est également très forte. Pour diverses raisons, cet abandon amène avec lui un sentiment de rejet et de peurs. Une forme de logique qui veut qu’une fois que toute autorité, aussi bien privée que publique, a quitté ces lieux, il n’existe plus et n’ont plus qu’une vocation d’oubli et devient une zone en marge du territoire habité. Cette zone en marge devient du reste régulièrement lieu d’hébergement d’activités voir d’occupants eux-mêmes en marge de la société «visible». On peut citer le graffiti et la transformation en habitat «squat». Ces occupants renforçant «l’effet de marge». Il s’agira ici de réfléchir à quels autres projets peuvent émerger à l’opposé d’une urbanisation résidentielle formaté qui vient combler les vides, les mémoires, bien souvent la biodiversité et déplacer la pollution et les gravats vers d’autres tiers-lieux. Que faire de sites à l’abandon dont les autorités et la puissance publique se détournent volontiers ? Comment surtout concilier la pollution avec une éventuelle ouverture au public ? 21
Voici que se dessine près de nous les vestiges d’un site qu’on croirait issu de la Grèce antique, péristyle émergeant de la pinède. Et même si le souffle d’Héphaïstos en alimenta les entrailles, de temple il n’est pas question. Quelles ruines est-ce donc, posées là majestueusement face à l’immensité de la mer, dans ce vallon de verdure et si loin des miasmes de la cité ? Dans ce cadre enchanteur, voici les restes d’une fonderie qui, caverne d’alchimistes, transforma la galène en argent. Hélas les alchimistes avaient depuis longtemps été changés en chimistes lorsque vint le milieu du 19e siècle et la construction de cette usine. Comment en deux lettres se métamorphosa la magie en grillage, calcination, fusion réductrice, raffinage...Processus qui, plus humains, eurent plus de conséquences également. Dans un tournant industriel de l’histoire où tous les sacrifices furent acceptés sur l’autel du progrès, reste devant nous les scories de ce temps. Aujourd’hui enfouies sous une nature à jamais résiliente et dans un parc fait National, elles n’en demeurent pas moins des brûlures chimiques réelles. Dispersées par le vent et emportées par le ruissellement furent les cendres de cette industrie. Et elles furent ainsi recueillies par la terre, l’eau, la végétation et les animaux, rendant moules, oursins et romarin immangeables car chargés de plomb et d’arsenic. C’est un texte contre l’oubli et pour la mémoire. Un texte pour que ces sites grandioses restent, nettoyés de l’extrême pollution, des marqueurs de notre Histoire et de notre territoire. C’est un message pour le savoir et pour le futur. « Pour prévoir l’avenir, il faut connaître le passé, car les événements de ce monde ont en tout temps des liens aux temps qui les ont précédés. Créés par les hommes animés des mêmes passions, ces événements doivent nécessairement avoir les mêmes résultats. » Nicolas Machiavel
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La végétation qui recouvre progressivement des résidus de calcinations sur le site
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II) L’usine Legré-Mante
A l’intérieur de la cheminée rampante, classée monument historique
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Vue du crassier en bord de mer, de la plage qui se trouve en dessous et derrière le quartier de la Madrague-de-Montredon
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A l’intérieure du périmètre de l’usine, au milieu des anciens 28 ateliers de production
Depuis l’intérieur de l’usine, vue sur la cheminée de brique, classée monument historique, ainsi que les reste de la bastide Chevalier Roze sur la droite de la photo
Vue de l’usine à travers les grilles d’entrées
A l’intérieur des bâtiments, les restes des outils de production
Le bassin d’eau brut situÊ au Nord du site
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La bastide Rostan d’Ancenuze
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Une vanne sur le canal de Marseille
Vue de nuit d’un bassin situÊ sur le canal
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Condenseur des fumées polluées situé à mi-distance sur la cheminée rampante
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a) Une limite ville-nature ...
Le site que j’ai choisi pour réaliser mon Projet de Fin d’Étude est l’ancienne usine Legré-Mante, situé au Sud de Marseille, et en partie traversé par le Parc National des Calanques. Il est situé au sud du port de plaisance de la Pointe-Rouge et entre les quartiers de la Madrague-de-Montredon et de Montredon. Il s’étire sur les contreforts du massif collinaire de Marseilleveyre qui culmine à 433m d’altitude.
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Marseille
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Usine Legré-Mante Massif P ar c
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Fond cartographique IGN
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Port de La Pointe-Rouge
Mont Rose
Iles du Frioul
Panorama du site de l’usine LegrÊ-Mante et de la rade sud de Marseille vue depuis le Mont Rose
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Notre-Dame de la Garde
Parc Pastré Quartier villageois de La Madrague-de-Montredon
Bastide d’Ancenuze Fin XIXe
Bastide Chevalier Roze Début XVIIe
Sommet de Marseilleveyre Alt: 433m
Périmètre de l’usine Legré-Mante (17 ha)
Parc National des Calanques
Fin de la cheminée rampante Alt: 200m
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L’endroit est aujourd’hui une friche industrielle, un lieu palimpseste qui a connu de nombreuses couches d’industrialisations entre sa construction en 1784 et sa fermeture en 2009. Elle a été la dernière usine à avoir été en activité dans cette partie de la ville et faisait partie d’un ensemble d’usines très polluantes implantés à la fin du XIXe siècle lorsque de telles industries étaient reléguées à la périphérie des villes. C’est un site très vaste (17 hectares) qui part de la fin de l’urbanisation de la ville de Marseille, dans le quartier de la Madrague-de-Montredon, pour monter progressivement dans la colline, la garrigue et la pinède. Il comprend également une petite partie située en bord de mer entre deux quartiers d’habitations et qui est séparée du reste du site par la route littorale qui rejoint le village des Goudes et celui de Callelongue situées à l’extrême Sud de la ville et déjà à l’intérieur du Parc. Ce site présente un patrimoine bâti extrêmement fourni qui concentre de nombreux aspects particulièrement représentatifs de l’histoire et du développement de la ville de Marseille. Il est ainsi traversé par le canal de Marseille, l’usine constituant le dernier point de livraison d’eau brute avant de finir dans la mer. Sur le trajet de ce canal dans l’enceinte on peut remarquer la présence de plusieurs ouvrages hydrauliques, notamment des vannes et plusieurs bassins de tailles diverses. Pour rappel, le canal de Marseille alimente encore en eau potable une grande partie de la ville, il apporte les eaux de la Durance jusqu’à la cité phocéenne depuis son inauguration en 1849. On retrouve également un des exemples les mieux conservés de cheminée rampante, élément remarquable et très marquant du paysage, qui s’élève à flanc de colline sur près de 500 mètres. Là aussi c’est un ouvrage typique du patrimoine industriel marseillais puisque c’est au Nord de la ville (Sèptèmes-les-Vallons) que ce principe d’évacuation des fumées fut inventé en 1825 par l’industriel Blaise Rougier. On trouve présentes dans l’enceinte deux bastides qui sont des vestiges d’une 36
Carte des différentes implantations industrielles entre la Madrague et les Goudes (Source: ANTEA)
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Fond cartographique IGN
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Terminus ligne 19
Le verrou remarquable et incontournable de la mise en relation ville-nature
Port de la PointeRouge
Usine Legré-Mante
GR51
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façon d’habiter le terroir marseillais par la noblesse et de la bourgeoisie du XVIe jusqu’au milieu du 20e siècle. La première est celle dite du Chevalier-Roze datant du XVIIe siècle, noble marseillais qui s’est distingué lors de l’épidémie de peste en 1720. La deuxième fut construite par la famille Rostan d’Ancenuze à la fin du XIXe siècle. Ces deux bastides sont elles aussi laissées à l’abandon, la partie la plus ancienne de celle du Chevalier Roze, qui se trouve au cœur de l’usine, étant aujourd’hui pratiquement à l’état de ruine. Enfin, dans le vallon qui remonte le long de la cheminée rampante, on trouve la présence d’une pinède centenaire. Celle-ci a bénéficié de la protection de l’enceinte de l’usine pour croître et s’établir mais qui par manque d’entretien pose aujourd’hui question quant à sa protection et son renouvellement (la durée de vie moyenne du pin d’Alep est de 150 ans). Ce site occupe une position stratégique à la fois comme limite du Parc National des Calanques mais également comme transition ville-nature. Une des entrées de celui-ci est à quelques mètres de l’usine avec à cet endroit un espace aménagé dans les années 90. Il s’agit du parc départemental Adrienne Delavigne qui s’adosse sur d’anciens murs antichars construits par l’occupant allemand durant la Seconde guerre mondiale. On pourrait facilement imaginer une interaction plus forte entre usine, parc et Parc, et imaginer la place que peut prendre un bâti industriel dans une structure telle qu’un Parc National. Ce site clos l’urbanisation continue de la ville de Marseille au Nord et amorce au Sud l’immensité d’un massif naturel classé. La topologie est également intéressante car le site commence au bord de la mer pour s’élever jusqu’à une altitude d’environ 200m au bout de la cheminée. On l’a vu, il présente un ensemble d’éléments architecturaux et naturels remarquables dans lequel on peut inclure les bâtiments de l’usine dont certains sont originaires du milieu du XIXe siècle. 38
Photo aérienne de 1926 où on voit à l’intérieure de l’enceinte de l’usine la pinède déjà présente (Source: IGN)
vers Marseille centre-ville (10 Km)
Limite du Parc National des Calanques La Madrague-deMontredon
Satde Henri Michelier Gymnase Padovani Ecole maternelle Madrague-de-Montredon
Usine Legré-Mante
Terrain militaire du Mont Rose
Complexe sportif Saména
Bunkers allemands (WWII)
Friche de l’Escalette
Canal de Marseille
Murs antichars (WWII)
Cheminée rampante de l’Escalette Cheminée rampante Legré-Mante
39 vers les Goudes (1,5 Km)
Début des restes de la cheminée rampante
Crassier Dalle de l’usine
Canal de Marseille Bassin principal
Pinède classée
A 0 10 20m
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Coupe du périmètre de l’usine le long de la cheminée rampante
Condenseur des fumĂŠes
Fin de la cheminĂŠe rampante Alt: 200m
B
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Il peut être intéressant d’étendre l’étude du site à son quartier d’implantation (la Madrague-de-Montredon) voire à l’autre vestige industriel proche (usine de l’Escalette). Le propriétaire de celui-ci porte aussi des projets d’aménagement/transformation mais dans des optiques différentes du site de Legré-Mante avec cependant les mêmes problèmes de pollution. Il s’agit aussi d’interroger la place des anciens sites industriels dans le paysage et dans l’imaginaire, en prenant également en compte les luttes sociales qui y ont souvent pris place. On trouve encore sur les murs de l’usine les inscriptions des employés à l’encontre du propriétaire, inscrites suite à la brutale fin de la production et la perte de travail sèche pour 48 personnes en 2009. Ce quartier de la Madrague-deMontredon fait d’ailleurs face à des problèmes de circulation de plus en plus important depuis la création du Parc National des Calanques. En effet il n’y a qu’une route unique pour desservir celui-ci, celle-ci prise entre le noyau villageois et l’enceinte de l’usine se transforme en goulet d’étranglement et le trafic devenant complètement saturé le weekend et en fin de journée durant la belle saison. De plus les transports en commun de la ville de Marseille font également face à cet étranglement, le quartier est le terminus de la principale ligne de desserte (ligne 19) des quartiers sud de la ville. Or même le trafic des bus est impacté et réduit par ce goulet car ceux-ci ne peuvent se croiser dans le village. Enfin la desserte du Parc National et des villages des Goudes et de Callelongue est elle assurée par des minibus mais de façon sporadique (6 bus par jours), ce qui ne permet pas un report sur ce mode de transport de la part des visiteurs et habitants. Il y a dans cet endroit une profusion de formes, d’enjeux et d’implications. C’est une pièce à la croisée de plusieurs chemins, de plusieurs identités de la ville, de l’urbanité en général et de Marseille en particulier. Un site encore figé dans un tournant historique à la fois proche et lointain, où demain reste encore à inventer et où hier semble encore à porté. 42
La circulation en fin de journée entre le noyau villageois à gauche et l’enceinte de l’usine à droite
b) ... Avec la pollution comme point de basculement... Mon travail sur la pollution des anciens sites industriels et la lecture des études y faisant référence, à nécessité en premier lieu de maîtriser le vocabulaire technique lié à ces études et au traitement de la pollution. Voici les mots qui me sont apparus les plus importants. ETMM : Éléments Traces Métalliques et Métalloïdes Solution de sol : phase liquide qui entoure les particules du sol et les surfaces racinaires. Continuum à partir duquel les plantes absorbent leurs nutriments. Solution équilibrée chimiquement qui provoque en cas de déséquilibre des phénomènes de précipitation ou de dissolutions de minéraux. Voir SCHEMA Bio-disponibilité : La biodisponibilité est l’aptitude d’un élément à être transféré d’un compartiment quelconque du sol vers un organisme vivant (bactérie, végétal, mésofaune...)(Juste, 1988) la biodisponibilité est un des outils permettant d’évaluer à la fois le danger et le risque d’une contamination. La phytodisponibilité peut être définie comme la quantité d’un métal donné susceptible d’être transférée dans la plante durant son développement. La quantité phytodisponible d’un élément dans un sol correspond aux ions capables de passer en solution et d’être absorbés par la plante. Lixiviation : processus par lequel les contaminants organiques, inorganiques ou des radionucléides sont libérés de la phase solide dans la phase aqueuse, sous l’influence de dissolution minérale, de désorption, de procédé de complexation, qui sont affectés par le pH, le potentiel redox, les matières organiques dissoutes et les activités (micro) 43
Crassier - En usage jusqu’en 2009 - Particules fines à ultra-fines: forte volatilisation - Sous l’influence des vents dominants (Mistral) et des embruns: érosion, transport, contamination de l’eau - Couvert végétal faible ou absent: faible phyto-stabilisation - Jusqu’à 13 m d’épaisseur - Polluants référencés par BASOL: Arsenic (As), Plomb (Pb), Chrome (Cr), Zinc (Zn) et pyrites.
Usine: - En usage jusqu’en 2009 - Pollution en surface: rémanent des moyens de productions - Pollution sous dalle : acide déversé - Contamination de la nappe saumâtre, attaque de la roche calcaire (présence de trous de 10 à 15m) - Polluants : Acide chlorhydrique (HCl), acide sulfurique (H2SO4), acide tartrique.
Cheminée rampante et condensateur - En usage jusqu’en 1883 - Particules fines: volatilisation - Sous l’influence des vents dominants (Mistral) - Pollution fixée en grande partie par le couvert végétal (Phytostabilisation) - Grand risque de volatilisation en cas d’incendie - Polluants référencés par BASOL: Arsenic (As), Plomb (Pb), Chrome (Cr) et Zinc (Zn)
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Carte d’impact de la pollution et de ses caractéristiques selon trois zones clés (Fond cartographique: IGN/Crige-Paca/Région PACA/Département des Bouches-du-Rhône)
biologiques (Sloot, 2012) Phyto-remédiation : désigne en fait une collection variée de technologies à partir de l’utilisation de plantes, soit d’origine naturelle ou des plantes génétiquement modifiées pour l’assainissement des environnements contaminés (Flathman et Lanza, 1998). La phyto-remédiation est une technique émergente pour assainir les sols contaminés à base de plantes, qui offre les avantages de se réaliser in situ, en étant écologique, à faible coût et en offrant la possibilité de bio-récupérer des métaux. Phyto-stabilisation : technique d’assainissement à partir de plante qui stabilise les déchets et limite les voies d’exposition par l’érosion éolienne et hydrique. L’objectif de la phytostabilisation n’est pas d’éliminer les contaminants métalliques d’un site, mais plutôt de les stabiliser et de réduire les risques pour la santé humaine et l’environnement. Phyto-extraction : absorption accrue de métaux, principalement par les plantes hyperaccumulatrices, processus qui doit être poursuivi pendant plusieurs saisons pour obtenir un effet. Phyto-volatilisation : se réfère à l’absorption et à la transpiration de contaminants, principalement de composés organiques, par les plantes. D’origine naturelle ou génétiquement modifiées, les plantes aptes à la phyto-volatilisation, sont capables d’absorber les formes élémentaires des métaux présents dans le sol, de les convertir biologiquement en espèces gazeuses au sein de la plante, et de les relâcher dans l’atmosphère. Plantes accumulatrices/hyper-accumulatrices :on peut définir une plante comme hyper-accumulatrice : dans laquelle les concentrations en Pb dans les parties hors sol sont de 10 à 500 fois supérieures à celles des plantes issues de sites non contaminés. Stabilisation : procédé qui permet de réduire le potentiel dangereux et la lixiviabilité d’un matériau (déchet, sol...) en convertissant ses contaminants dans des formes moins solubles, mobiles ou toxiques. Injection d’un adjuvant, adapté pour les métaux lourd. 45
La pollution sur le site est très présente. Cependant les études de pollutions entreprises par le propriétaire ne sont pas mises à la disposition du public malgré les demandes de plusieurs associations locales (un an de démarches pour obtenir l’étude sanitaire effectuée sur le groupe scolaire adjacent à l’usine). Le nouveau gestionnaire du site a entrepris de nouvelles études en février 2018. La pollution présente sur site, sa quantité, sa répartition, la liste précise des différents polluants restent pour l’instant assez sommaires et limitées aux données présentes sur la base de données BASOL. A savoir Cuivre (Cu), Zinc (Zn), Arsenic (As) et Plomb (Pb). Les quantités ne sont pas précisées pour chacun de ces polluants. La proximité de l’usine Legré-Mante avec celle de l’Escalette (le haut des 2 cheminées sont distantes de 500m) permet de se faire une idée plus précise de la pollution sur le site de la première. Il y a en effet de nombreuses études sur le site de l’Escalette, notamment par une campagne d’étude, le projet MARSECO conduit par l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale. Dans le cadre de cette recherche une grille de prélèvement et d’analyse de sol a été conduite sur l’ensemble du massif des Calanques (250 points de mesures). Cependant le périmètre d’étude s’arrête aux limites du site de Legré-Mante, et avec seulement 2 points de mesures à la bordure Sud du site pourront me donner des indications plus précises de la pollution. A la lecture des résultats de la thèse de Eti Testiati « Contamination de sols par des éléments traces métalliques en zone méditerranéenne côtière : études de leur mobilité et du transfert à la phytocénose» (2012), il apparait que la pollution sur le site de l’Escalette est principalement concentrée autour de la cheminée rampante et autour des crassiers se trouvant dans les vallons proches de l’usine. La pollution autour de la cheminée provenant autant des anciennes émissions de fumées que de la dégradation progressive et actuelle du bâti de la cheminée, des enduits et plaques de dépôts qui se désagrègent. 46
On peut raisonnablement penser que la pollution est située de la même façon autour des éléments similaires du site de Legré-Mante, à savoir autour de la cheminée et des éléments se désagrégeant de celle-ci, autour de la chambre de refroidissement ainsi qu’autour des crassiers. La pollution autour de la cheminée et de ses éléments (condenseur) est une pollution diffuse de particules fines, aujourd’hui principalement déposée au sol et recouverte par la végétation. Cependant en cas d’incendie les risques
La pollution autour de la cheminée rampante
La pollution reste très présente dans le conduit de la cheminée et sur les parois du condensateur.
On voit ici des agrégats. Les maçonneries de la cheminée sont également contaminées.
Plus utilisé depuis 135 ans, la pinède de pin d’Alep est présente autour du site avec une forte présence de cistes blancs et de cistes de Montpellier.
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La pollution autour du crassier de bord de mer
Dans celui-ci on peut voir différentes strates de pollution.
La végétation reste assez basse et ne recouvre pas la totalité du site.
En bord de mer, on peut voir le crassier qui affleure sur une hauteur d’environ 13m.et sur l’intégralité de la largeur de la parcelle, soit presque 90m. Celui-ci est directement soumis aux embruns et ravine directement dans la mer.
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On retrouve également dans le crassier des remblais de constructions divers, probablement issus de la déconstruction de certaines parties anciennes de l’usine.
sont très importants de volatilisation. L’usine Legré-Mante présente à ses abords deux zones de crassiers distinctes. La plus ancienne borde la route des Goudes en haut du vallon de Saména et est probablement originaire de l’usine de soude qui occupait ce vallon de 1800 à 1890. Elle est aujourd’hui occupée par le parc départemental. On y retrouve une végétation abondante quoique assez différenciée de la végétation de garrigue du fait des plantations qui y ont été faites. Ce crassier est aujourd’hui en dehors de la limite grillagée du site de Legré-Mante proprement dit. La seconde zone se situe en bord de mer le long de l’Avenue de Montredon. Ce site est directement déversant sur la mer, la végétation y est assez maigre du fait de conditions pédologiques et climatiques les plus rudes (orientation Nord-Ouest face au mistral et aux embruns), c’est également le site avec la pollution la plus importante (jusqu’à 13m de profondeur / BASOL) et celle qui se diffuse dans la mer le plus fortement. Le terrain de ce crassier appartient toujours à l’usine et est celui qui a servi pour les dernières activités de l’usine (acide tartrique, acide sulfurique et acide citrique puis acide tartrique, sel de Seignette et crème de tartre). La pollution ici est constituée de particules fines à ultra fines. Enfin il existe également une pollution importante sous la dalle de l’usine. En effet d’importantes quantités d’acide sulfurique ont été déversées et ont creusé des cavités importantes qui rejoignent la nappe d’eau saumâtre qui est infiltrée dans les failles du massif calcaire à dominante karstique. La profondeur des trous est estimée à 10 à 15m. Il existe en outre dans plusieurs bâtiments des restes de l’appareil productif de l’usine. Ces machines sont de tailles plus ou moins conséquentes et dans des états relativement dégradés. La majorité des cuves qui contenaient des produits chimiques est en revanche vide. Les durées de fonctionnement des deux sites étant globalement très différentes, 1875-2009 pour Legré-Mante et 1851-1915 pour Escalette,les deux restant à l’origine 49
La pollution dans et autour des bâtiments de l’usine
Dans le laboratoire d’analyse, situé dans la bastide Chevalier Roze, des sacs de produits chimiques sont éventrés.
Certaines cuves à l’intérieur des bâtiments contiennent encore des agrégats solidifiés.
Un grand nombre d’installations industrielles sont encore en places à l’intérieur de l’usine. Avec, au sol, sur les murs et les parois des résidus de productions. Beaucoup de traces au sol de produits chimiques ou pétroliers qui ont été répandus.
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des fonderies de traitement du plomb. La lecture de ces études doit être pondérée et permet surtout de se familiariser avec le vocabulaire et les notions de pollutions du sol, notamment la complexité des notions de contamination du sol, bio-disponibilité, fraction mobilisable, transferts aux plantes, solution de sol, lixiviation, Éléments Traces Métalliques et Métalloides, comme vue plus haut dans le lexique. Il apparaît en effet que pour une même quantité de pollution présente dans le sol, celle-ci sera plus ou moins impactant sur la biocénose en fonction de la composition chimique du sol, en particulier le Ph, et plus globalement des conditions pédologiques. En absence d’études d’impacts précises il est difficile d’évaluer la disponibilité et les transferts possibles de ces polluants vers le milieu vivant et plus particulièrement les hommes sur le site de Legré-Mante.
- Quel impact sur les végétaux ?
Ayant peu d’informations précises sur l’état actuel de la pollution et sur la dangerosité réelle de celle-ci, ces informations étant en outre assez ardues à comprendre et à interpréter, je me suis demandé quels impacts et quelles conséquences elle pouvait avoir sur les végétaux présents sur le site. J’ai donc effectué un relevé végétal des plantes présentes sur deux endroits distincts à l’intérieur du périmètre de l’usine. J’en ai également effectué un dans le parc Adrienne Delavigne, qui se trouve à proximité immédiate de ce périmètre et donc qui a forcément été également contaminé. Ce parc présente également l’intérêt d’avoir été planté avec des espèces non indigènes du Parc National des Calanques. Ainsi cela peut fournir une bonne indication des espèces végétales qui sont tolérantes aux conditions méditerranéennes de bord de mer (halophile et xérophile) ainsi qu’aux polluants présents dans le sol ou qui peuvent être planté avec un travail de sol restreint sur ceux-ci. Il fournit ainsi une palette des végétaux qui pourraient être réemployés dans le projet. Ces trois relevés ont été réalisés pendant 51
un arpentage du site et avec un appareil photo pour ensuite reconnaître ces végétaux. Il n’est donc probablement pas complet et ne suit pas une méthode scientifique. Il donne cependant des indications larges et permet de repérer les espèces les plus représentatives de chaque endroit. Ces trois relevés montrent qu’il existe sur tous ces sites une diversité végétale certaine bien que différente aussi bien en espèces qu’en nombre. Du fait qu’il a été aménagé et que des végétaux y ont été planté, le parc A. Delavigne représente la diversité d’espèces la plus importante. On y retrouve un grand nombre de végétaux caractéristiques de la pinède méditerranéenne ainsi que d’autres espèces non spécifiques mais qui se sont adaptées à ce milieu. L’ensemble forme une végétation protéiforme qui manque cependant d’homogénéité. Sur le crassier qui, on l’a vu, est sans doute l’endroit le plus pollué du périmètre, et qui n’est constitué que de remblais et de déchets de production de l’usine, il y a néanmoins un certain nombre de végétaux qui y poussent. Cependant on retrouve surtout des plantes annuelles et les quelques arbustes qui y poussent n’y sont pas en grand nombre. De plus le couvert végétal n’est pas complet et de nombreux endroit laissent voir des scories et des traces de polluant ou de remblais, comme vue plus haut. La présence de terre végétale est minimale et limité à certaines parties du site. Du fait de ce couvert limité, il y a une érosion marquée du fait à la fois des eaux de ruissellement et des vagues en bord de mer. La végétation qui pousse ici est en revanche halophyte voir halophile pour les espèces qui se trouvent en bord ou sur le tombant du crassier tel que Crithmum maritimum, Senecio leucanthemifolius ou Tamarix gallica. Concernant le condenseur, la zone sur laquelle j’ai effectué ce relevé végétal est celle à l’intérieur même du condenseur dans sa partie effondrée, et donc celle où les poussières polluantes issues des fumées sont les plus importantes. Dans ce relevé 52
Parc DĂŠpartmental - EntrĂŠe actuelle du Parc National des Calanques Celtis australis Ulmaceae
Fraxinus angustifolia Oleacea
Cupressus sempervirens Cupressaceae
Geranium rotundifolium Geraniaceae
Cenecio maritima Asteraceae
Eleagnus angustifolia Eleagnaceae
Plantago lanceolata Plantaginaceae
Teucrium chamaedrys Lamiaceae
Filago pygmaea Asteraceae
Erica multiflora Ericaceae
Anagallis foemina Primulaceae
Plantago coronopus Plantaginaceae
Arbutus unedo Ericaceae
Hordeum murinum Poacea
Nerium oleander Apocynaceae
Arundo donax Poaceae
Sedum sediform Crassulaceae
Pistacia lentiscus Pistaceae
Agave americana Agavaceae
Pinus alepensis Pinaceae
Iris lutescens Iridaceae
Geranium robertianum Geraniaceae
Euphorbia helioscopia Euphorbiaceae
Smilax aspera Liliaceae
Rosmarinus officinalis Lamiaceae
Brachypodium ramosum Poaceae
Asparagus acutifolia Liliaceae
Psoralea bituminosa Fabaceae
Foeniculum vulgareae Apiaceae
Centrenthus ruber Valerianaceae
Urospermum dalechampii Asteraceae
Atriplex halimus Chenopodiaceae
Cistus monspeliensis Cistaceae
Asphodelus albus Lilliaceae
Cistus albidus Cistaceae
Helianthemum nummularium
Laurus nobilis Lauraceae
Iris Iridaceae
Morus kageyama Moraceae
Calendula arvensis Asteraceae
Papaver rhoeas Papaveraceae
Convolvus arvensis Convolvulaceae
Salvia verbenaca Lamiaceae
Helichrisum stoechas Asteraceae
Ailanthus altissima Simaroubaceae
Aegilops geniculata Poacea
Cercis siliquastrum Fabaceae
Cistaceae
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Usine LegrĂŠ-Mante - Crassier du bord de mer
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Lobularia maritima Brassicaceae
Glaucium flavum Papaveraceae
Hordeum murinum Poaceae
Caronilla emerus Fabaceae
Avena barbata Poaceae
Calendula arvensis Asteraceae
Psoralea bituminosa Fabaceae
Trifolium pratense Fabaceae
Malva sylvestris Malvaceae
Diplotaxis tenuifolia Brassicaceae
Lagurus ovatus Poaceae
Tanacetum parthenium Asteraceae
Alcea rosea Malvaceae
Centranthus ruber Valerianaceae
Papaver rhoeas Papaveracea
Pitosporum tobira Pitosporaceae
Silybrum marianum Asteracea
Hedera helix Araliaceae
Anisantha madritensis Poaceae
Crithmum maritimum Apiaceae
Rosa canina Rosaceae
Paretaria judaica Urticaceae
Allium polianthum
Pistacia lentiscus Anacardiaceae
Senecio leucanthemifolius Asteraceae
Tamarix gallica Tamaricaceae
on remarque que la diversité végétale est la moins importante des trois. Cependant on constate qu’on retrouve un ensemble végétal constitué de plante typiquement méditerranéenne et qu’on retrouve partout dans le Parc national. De plus on constate la présence de nombreux arbustes et de nombreux Pinus alepensis à des tailles diverses, certains déjà âgés. Les cistes des deux variétés couvrent une grande surface et sont en fort développement. On peut supposer qu’ils devraient couvrir l’intégralité du site dans quelques années sans perturbation externe. On peut également signaler que quelques végétaux poussent également à l’intérieur du condenseur là où la luminosité est suffisante, de même que sur le toit de celui-ci. A l’observation de ces relevés, on constate qu’il existe une dynamique végétale à l’œuvre sur ces sites. Le crassier de bord de mer est le plus problématique du fait d’une érosion importante qui vient renforcer le fait qu’il n’existe quasiment pas de litière végétale sur le sol. Sur et autour du condenseur, sur la zone de dépose des fumées, il est difficile de constater une différence de végétation par rapport au reste du massif. Au contraire l’ancienneté de l’enclos que forme l’usine depuis le milieu du XIXe siècle a formé une pinède dense et remarquable qu’il est temps de protéger et d’entretenir pour assurer son renouvellement.
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Usine LegrĂŠ-Mante - Condenseur de la cheminĂŠe rampante
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Rosmarinus officinalis Lamiaceae
Sedum sediform Brassicaceae
Cynosurus effusus Poaceae
Smilax aspera Liliaceae
Plantago lanceolata Plantagninaceae
Laurus nobilis Lauraceae
Cistus monspeliensis Cistaceae
Pistacia lentiscus Pistaceae
Brachypodium ramosum Poaceae
Aspargus acutifolia Liliaceae
Coronilla emerus Fabaceae
Rubus fruticosus Rubiaceae
Cupressus sempervirens Cupressaceae
Pinus alepensis Pinaceae
Helianthemum syriacum
Centrenthus ruber Valerianaceae
Cistus albidus Cistaceae
Globularia alypum Plantaginaceae
Cistaceae
c) ... et qui demeure au cœur de l’actualité.
Ce site est resté dans l’actualité depuis 2009 et la fin brutale de la production et la liquidation judiciaire de la société exploitante du site alors même que cette usine est la première unité mondiale de production d’acide tartrique. Société qui n’était qu’une succursale d’un plus grand groupe qui lui existe toujours et qui est resté propriétaire des lieux jusqu’en 2017. Cette fermeture brutale et sans plan de reconversion ou indemnités pour les 49 salariés a conduit ceux-ci à une occupation de l’usine très médiatique qui a duré 140 jours et dont un documentaire a été tiré: «Disparaissez les ouvriers» (Christine Thépénier/Jean-François Priester). On retrouve encore sur les murs à l’entrée de l’usine des inscriptions dénonçant les manœuvres douteuses de ce propriétaire et la luttes des ouvriers. Affiche du film et graffiti à l’intérieur de l’usine
- La dépollution envisagée en 2011
En 2011 le propriétaire de l’usine, qui est toujours l’ancien exploitant, remet un plan de gestion avec les permis de construire. Dans celui-ci la dépollution s’effectuera en grande partie selon la méthode de filtration (criblage) sur site et de transfert en décharge de produits non dangereux après filtration. Les 30 premiers centimètres de terres sont ciblés. Le bilan des volumes concernés par cette dépollution sont les suivant : 90 000 m3 (incluant la déconstruction des bâtiments) à filtrer dont 30 000 m3 seraient réutilisables. Le transfert en décharge du solde positif de 60 000 m3, implique des rotations de 3 à 4 camions par heure pendant une durée de 10 mois, ce qui impliquerait un trafic total de 6 000 camions. De plus les travaux de ces mouvements de terre ne seraient arrêtés que pour un vent dépassant les 70 Km/h, or il y a à Marseille (station de Marignane) en 57
moyenne plus de 93 jours par an de vent violent (rafales supérieures à 57 km/h). On voit bien qu’une telle entreprise de dépollution par excavation et criblage de la terre, sur site et hors site, serait génératrice de beaucoup de nuisance et d’une volatilisation de la pollution aujourd’hui présente sur site et en grande partie recouverte soit de végétation soit de la dalle béton sur laquelle se situe les bâtiments. De plus cette solution ne fait en réalité que déplacer la pollution de ce site à un autre. La méthode consiste en une destruction complète des bâtiments présent dans la partie basse du site (sous le canal de Marseille), y compris une des deux bastides et la cheminée en brique. Le montant de cette opération était évalué à 9M€. Face à ce projet, des associations de quartier et d’usagers se sont mobilisés, certaines se sont créées pour l’occasion comme l’Association Santé Littorale Sud. Le combat médiatique et juridique a été gagnant et les permis de construire accordés par la mairie de Marseille ont tous été annulés par les tribunaux. Les tribunaux ayant retenus des critères d’urbanisme, notamment le fait que le projet dépassait une surface au sol supérieure au 11 000 m2 actuel de l’usine et surtout que le réseau d’assainissement était non conforme pour accueillir autant de nouveaux habitants.
- Le projet aujourd’hui
La propriété du site a été transféré en Juillet 2017 au groupe privé Ginkgo, spécialisé en réhabilitation de sites pollués, qui bénéficie notamment de l’argent européen à travers le fond Jüncker. L’entreprise est basée en Suisse. L’objectif annoncé est toujours de réaliser un ensemble résidentiel. Extrait de leur site internet « L’équipe Ginkgo est spécialisée dans la revalorisation durable de sites significativement pollués en Europe. Ginkgo répond aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux de 58
Plan-masse du premier projet immobilier envisagé sur le site. en 2011 (Source Océanis Immobilier)
Affiche du journal local La Marseillaise en date du 2 février 2017 (Source La Marseillaise)
Extrait d’une présentation faite par l’architecte de l’équipe Ginkgo, avec leur référencement des bâtiments intéressants architecturalement (Source Agence Kern Architecture/Ginkgo)
la reconversion des friches industrielles en milieu urbain. » L’entreprise a débuté les études de pollution, notamment l’Interprétation de l’État des Milieux (IEM), ces études ont été réalisées en collaboration/validées par le Bureau de Recherches Géologique et Minière (BRGM). Cette étude est le préalable à d’autres études qui seront prescrites par le préfet des Bouches-du-Rhône : études d’impact du projet, études d’urbanismes, études environnementales, étude sur l’eau, impact sur Natura 2000. Les premiers éléments issus des réunions avec les habitants et les associations de quartier fait apparaître que le projet serait très différent du précédent, avec une programmation mixte entre habitations, ensembles résidentielles et bâtiments de services publiques (poste, pompiers, Maison du Parc). De plus le crassier ne serait pas construit et certains éléments architecturaux, notamment des façades en briques des bâtiments de l’usine, seraient préservés et intégrés aux nouvelles constructions. Les réunions doivent se poursuivre tout au long du projet du nouveau propriétaire, les études de faisabilité et d’impact étant encore, le calendrier de ce projet devrait s’étaler sur encore plusieurs mois pour celles-ci puis plusieurs années pour la dépollution.
Affiche pour une manifestation publique organisée par les associations locales le 4 Février 2017 (Source Comité Santé Littorale Sud)
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III) Quelle stratégie pour réinvestir le site ?
1 - Stopper l’expansion urbaine qui rogne le massif des Calanques
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2 - Créer une connexion piétonne et directe entre le massif, le littoral et la frange urbaine
3 - Trouver une continuité littorale vers le village de la Madrague-de-Montredon
a) Donner accès ...
L’objectif du projet est de donner accès à ce site à des visiteurs, quels qu’ils soient, touristes, marseillais ou habitants proches et lointains. On l’a vu ce site possède en son sein un héritage précieux de la ville de Marseille, notamment son passé industriel, naguère relégué aux franges de la ville, aujourd’hui proche d’un de ses pôles d’attrait, le Parc National des Calanques. A travers l’accès à ce site, c’est aussi questionner sa place à la limite de l’urbanisation et d’une nature omniprésente. D’autant plus que cette nature n’est plus neutre du fait justement de son classement au sein d’un Parc National. Nature qu’on peut donc estimer comme particulièrement remarquable et à la fois à protéger et à mettre en valeur. La stratégie que je voudrais déployer peut ainsi se subdiviser en six points. 1) Tout d’abord, à travers cette friche industrielle et sa requalification en un espace ouvert et public, c’est mettre un terme, sur la frange Sud de Marseille, à l’urbanisation qui grignote le massif et qui veut développer dans chaque dent creuse des projets fonciers et ainsi fragmenter le territoire, réduire l’accès au massif et privatiser un peu plus le cadre grandiose que constitue la rade Sud de Marseille. 2) Le projet est également de permettre une connexion directe et piétonne entre le littoral et le Parc National. Créer une jonction entre deux éléments fondateurs du paysage marseillais : la mer et la colline. C’est également relier l’ensemble de l’usine Legré-Mante à son environnement urbain proche. Créer des continuités douces entre des ensembles villageois et résidentiels qui sont proches mais aujourd’hui séparés par l’avenue de la Madrague-de-Montredon et l’enceinte de l’usine. 3) De même la présence du crassier en bord de mer peut servir l’aménagement littoral et être un point d’appui pour constituer une promenade côtière continue et 63
4 - Réorganiser la circulation automobile et le transport collectif
5 - Agrandir et re-dynamiser l’espace public de ce noyau villageois
6 - Valoriser le patrimoine historique et naturel ainsi que la ressource en eau
Depuis Marseille centre
Terminus des lignes 19 et 20
Vers les Goudes / Calanques
Bastides
Canal de Marseille
Pinède centenaire
Condenseur
Cheminée rampante
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ainsi joindre plusieurs quartiers ensembles. C’est redonner accès à la mer via des aménagements qualitatifs et vecteurs touristiques mais aussi favoriser les déplacements piétons loin de la circulation automobile. 4) Circulation qui peut être réorganisée en s’appuyant sur les surfaces disponibles au sein de l’usine. Ainsi un véritable terminal pour les bus pourrait être aménagé pour augmenter l’efficience et l’attractivité des transports en commun. Couplé à la création de parkings cela devrait servir l’objectif de réduire la circulation automobile plus au Sud à l’intérieur du périmètre du Parc. On devrait ainsi diminuer les nuisances dans celui-ci mais aussi dans la traversée du village de la Madrague. Il est à noter que le Parc National étudie actuellement la fermeture partielle de la circulation automobile à partir du quartier de la Madrague. 5) Ainsi pacifié de sa circulation automobile, l’aménagement de l’usine pourrait servir d’opportunité pour agrandir et re-dynamiser l’espace public de ce noyau villageois. C’est une opportunité de créer un espace piéton continu depuis le port et le front de mer jusqu’aux bâtiments requalifiés de l’usine. 6) Enfin c’est valoriser le patrimoine historique et naturel inclus dans l’enceinte. Mettre en valeur la remarquable richesse et concentration d’éléments patrimoniaux de l’histoire marseillaise. Son passé industriel en faisant intégralement partie même si il a généré une pollution importante. Cette valorisation passe aussi par l’utilisation d’une richesse amenée par l’un de ses éléments: l’eau du canal de Marseille qui aujourd’hui n’est plus utilisée et est rejetée directement en mer. En outre et de façon primordiale, l’ensemble des composantes du projet doit prendre en compte la pollution présente sur l’ensemble du site. Prendre en compte la pollution, c’est d’abord assumer le fait qu’elle soit présente et ne pas la cacher. Ce qui veut dire ne pas vouloir l’éloigner et la déplacer dans un ailleurs moins visible et plus commode. C’est donc élaborer un projet avec le moins de transport de matières ex-situ et trouver 65
des solutions in-situ. C’est aussi dans le cas des bâtiments de l’usine en conserver et en réutiliser le plus possible pour là aussi ne pas créer de gravats pollués à stocker ailleurs. Il s’agit donc de s’appuyer sur un ensemble de techniques disponibles pour répondre au mieux aux différentes contraintes et pollutions qui s’appliquent aux différents endroits du site. La phyto-remédiation étant privilégiée dans toutes ses variations. Le but est ici à minima d’accompagner la phyto-stabilisation qui est en cours sur place, notamment sur la partie haute autour du condensateur où se trouve une pinède conséquente. La phytoextraction, pour tenter de la développer en milieu méditerranéen, dans les parties les plus favorables ; notamment avec l’appui de l’eau du canal qui pourrait permettre d’implanter de nouvelles stratégies végétales. Enfin peut-être implanter la phyto-épuration en réutilisant et en équipant les bassins et les cuves disséminés sur site, y compris pourquoi pas dans l’usine et ainsi créer un paysage hybride. Où la dépollution prend place au cœur même des installations qui l’ont créée. J’ai choisi de concevoir le projet en prenant comme principe de faire avec le présent, d’accepter l’état laissé, et ainsi de minimiser toutes déconstructions et tous mouvements hors du site. C’est donc conserver et réutiliser le maximum de bâtiments de l’usine. Concernant la pollution, c’est ne rien enlever, ne rien excaver pour au contraire accepter la présence des polluants et trouver comment investir le site pour la contenir, la fixer et la neutraliser in-situ. C’est s’appuyer sur des stratégies végétales ambitieuses pour encourager et consolider les végétaux en place, premiers remparts contre l’envol de la pollution et pour sa fixation dans les systèmes racinaires. C’est ainsi protéger au mieux les personnes environnantes contre un risque sérieux de pollution par l’air en cas de lourds travaux. Venir stabiliser le crassier se déversant en bord de mer en aménageant des restanques plantées. Au pied de ces restanques, une plage-ponton vient recouvrir un 66
enrochement qui protège le pied des restanques des vagues. Cette plage est connectée, via des passerelles littorales, au port de la Madrague-de-Montredon à l’ouest et au quartier du Mauvais Pas à l’Est. Le haut du crassier est relié par un cheminement de bois qui mène également à un belvédère sur la mer. La végétation, aujourd’hui constituée de plantes annuelles, est renforcée avec la plantation d’arbres et arbustes à la fois résistants aux embruns, à la sécheresse et au vent. L’implantation des restanques ainsi que des cheminements permettent en outre l’injection dans le sol de doses contrôlées de phosphate pour stabiliser le plomb présent dans le sol, d’oxyde de manganèse pour l’arsenic et enfin de chaux pour contrôler le Ph du sol et maintenir celui-ci à son état actuel (basique). De plus les restanques vont permettre l’apport de terre végétale le long de la falaise et sur le crassier et favoriser l’enracinement des plantes et donc la phytostabilisation. Les cheminements permettent une mise à distance des piétons pour les protéger d’une pollution résiduelle éventuellement présente au sol et surtout protéger le développement de la végétation. L’avenue de la Madrague-de-Montredon voit sa circulation être réduite et de larges plateaux traversants l’entrecouper au niveau du haut du crassier ainsi que devant les deux rues perpendiculaires qui relient le quartier de Montredon à l’usine. L’enceinte de l’usine partiellement déconstruite, cela permet de créer un très grand espace public ouvert sur les bâtiments de l’usine et les habitations. Sur cette esplanade vient s’implanter un ensemble de pins d’Alep, idoines pour créer une ombre bienfaitrice ainsi que pour grandir sur la dalle et s’immiscer dans les fractures de celle-ci. La partie Nord des bâtiments permet une réorientation du flux routier. Un terminal des bus est aménagé sous une pergola sur l’arrière de la dalle. Les hangars deviennent un espace de stationnement pour les visiteurs de l’usine et du Parc National des Calanques. A l’opposé, dans une partie des bâtiments Sud, une part est dédiée au 67
Plage-ponton Belvédère
Stationnement visiteurs Terminal des bus
Maison du Parc Espace restaurations / services
Stationnement habitants
Siège du Parc National des Calanques
Espace muséal / Salles d’expositions / Laboratoires de recherche / Pépinière d’entreprises
Passerelles de découverte
Plan d’esquisse du projet (Fond cartographique: IGN)
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stationnement des habitants du quartier ainsi que des futures personnes venant travailler sur ce site à l’usage renouvelé. Au centre de l’usine, face à l’esplanade publique, serait implantée une Maison du Parc, espace d’accueil, d’orientation, de présentation et de sensibilisation des visiteurs. Enfin, pour le reste des bâtiments, il serait opportun de venir installer dans ceuxci une nouvelle activité économique, possiblement en lien avec l’environnement naturel. On peut notamment imaginer établir ici le siège et l’ensemble des services administratifs et techniques du Parc National des Calanques (ils se trouvent aujourd’hui proche du centre-ville). On peut aussi envisager d’installer un espace muséal sur l’histoire de l’usine en réutilisant les machines de productions encore présentes dans certains bâtiments, là aussi pour garder et réutiliser l’ensemble des traces laissées par le dernier exploitant. On peut également songer à l’installation de laboratoires de recherches sur l’écologie du massif ou des fonds marins ou même l’installation d’une pépinière d’entreprise là aussi à vocation écologique ou travaillant sur les espaces en friches par exemple. L’idée étant de retrouver une présence quotidienne de travailleurs comme il en a été pendant 134 ans. C’est permettre une plus grande mixité d’activités et un nouveau dynamisme du quartier qui ne soit pas uniquement basé sur l’essor touristique, fortement saisonnier. C’est aussi remettre en question le dogme trop souvent employé de ségrégation des espaces voir des villes entre zones d’activités économiques et zones exclusivement résidentielles.
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Crassier
Usine Pinède / Cheminée / Condenseur
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b) ... En pensant la temporalité Sur un plan temporel, je propose que le projet se subdivise en plusieurs phases. Ces phases seraient déterminées en fonction des contingences matérielles mais aussi de l’urgence d’agir face aux pollutions présentes. Ainsi sur le crassier du bord de mer, la pollution est affleurante en de nombreux endroits avec un couvert végétal relativement bas et composé de beaucoup de plantes annuelles. Les différentes couches de déchets et de scories sont même visibles en bord de mer sur une hauteur de près de quinze mètres. C’est sur ce site qu’il faudrait agir en premier pour fixer et limiter la diffusion continue des métaux lourds dans l’eau de mer. L’aménagement de la partie du site déjà incluse dans le périmètre du Parc National, dont la limite est le canal de Marseille, peut aussi être envisagé dans les premiers temps. Dans cette partie la végétation est abondante, bien développée (pinède centenaire) et stabilise fortement la pollution notamment de sa volatilisation par le vent. Il s’agirait plutôt de garantir la continuité de sa croissance en la protégeant des incendies. C’est aussi, et comme pour le crassier, donner accès à ce site tout en s’assurant que le public ne menace pas la phyto-remédiation et ne soit pas en contact direct avec les polluants. Enfin le site principal de l’usine qui est celui qui nécessite le plus d’investissement et de travaux pourrait être aménagé sur un temps plus long.
71
IV) Projeter un amĂŠnagement
B
A
Coupes du modelĂŠ du terrain
D
74
C
a) En bord de mer, le crassier
C A
D B
Plan de situation des coupes
L’aménagement du crassier répond à une problématique urgente: stopper l’érosion de celui-ci par la mer. On peut rappeler que celui-ci est constitué sur une hauteur de plus de 15m des résidus de productions de l’usine, les scories, ainsi que de divers remblais qui proviennent probablement de la déconstruction des bâtiments de l’usine au cours de son évolution dans le temps. Ce sont donc là aussi des matériaux qui ne sont pas directement des polluants mais qui sont à considérer comme très pollués également. Nous avons vu plus haut en photo et on le voit sur la coupe AB présentée ici, aujourd’hui le crassier est constitué d’un espace plat sur une longueur d’environ 40m qui aboutit sur un à pic de 15m au dessus de l’eau. Cette falaise laisse apparaître toutes les strates de pollution et est faiblement végétalisée et donc très vulnérable à l’érosion. Cet à pic est seulement coupé au niveau de la coupe CD par une dépression qui aboutit à la mer. Nous avons également vu dans le relevé végétal de cet espace que la végétation était surtout constituée de plantes annuelles. Nous pouvons fortement supposer que cette végétation encore maigre, basse et fragile est dû aux conditions météorologiques difficiles mais aussi dû à l’absence d’un substrat végétal suffisant. L’idée de l’aménagement est donc de proposer une solution qui puisse répondre aux problématiques soulevées précédemment en manipulant au minimum le volume considérable de polluants présents, tout en gardant en tête l’idée directrice de l’ensemble de ce projet: redonner accès. Il s’agit ici de s’inspirer des techniques de cultures en restanques qui vont avoir les avantages et l’intérêt direct ici, de venir stabiliser la pente, de retenir le substrat lors des pluies et de permettre une végétalisation de ceux-ci qui va encore renforcer les deux 75
effets précédents. En outre et pour faire face à l’importance de la pollution présente ainsi que sa situation particulièrement vulnérable en bord de mer, je propose de profiter des travaux de mises en place de ces restanques de procéder également à une stabilisation chimique du sol. La stabilisation chimique consiste à injecter ou répandre en surface des produits chimiques qui vont venir réduire le potentiel dangereux et la lixiviabilité d’un matériau (déchet, sol...) en convertissant ses contaminants dans des formes moins solubles, mobiles ou toxiques. Ce procédé étant particulièrement adapté aux métaux lourds qui sont ici le plomb et l’arsenic. Trois adjuvants peuvent être employés. Pour traiter et limiter la solubilité du plomb, l’ajout dans celui-ci de phosphate est recommandé (Deschamps, Benzaazoua, 2006). Le risque de l’ajout du phosphate dans le sol est qu’il peut conduire à une eutrophisation et une acidification du sol si il est injecté en trop grande quantité. L’ajout de phosphate dans ce sol très pauvre ne devrait cependant conduire qu’à l’augmentation de ces qualités nutritive pour les plantes. Enfin l’acidification du sol peut être facilement contrôlé dans le massif de Calanques (très basique) en ajoutant de la chaux ou des pierres calcaires lors de la construction des restanques. L’arsenic lui peut voir sa solubilité réduite par l’ajout d’oxydes de fer et d’oxydes de manganèse. L’idée est surtout de stabiliser et de rendre inerte le plus rapidement possible ces polluants, avant que le développement de la végétation poursuive à plus long terme cette immobilisation dans le sol de ces métaux. Sur ces restanques, il s’agit de venir implanter de nouveaux végétaux et prioritairement des arbres et arbustes qui sont manquants ici et qui sont évidemment ceux avec le système racinaire le plus développé. Il est aussi évident qu’on cherche ici à venir implanter des végétaux méditerranéens et même dans la plus large mesure indigènes au massif des Calanques ou déjà implantés dans celui-ci. L’ajout d’un substrat végétal possible grâce aux restanques devra également s’inscrire dans ce choix. Les 76
Plan du projet (Fond cartographique: IGN)
77
B’
Coupes de projet
A’
D’
78
C’
choix envisagés sont Tamarix gallica, Pistacia lentscus, Coronilla emerus, Coronilla juncea, Juniperus phoenicea, Rosmarinus officinalis, Pinus pinea et Pinus alepensis. Toutes étant des espèces que l’on retrouve dans le massif des Calanques, et dont certaines telles Juniperus phoenicea, Rosmarinus officinalis et Coronilla juncea ont été étudiées comme étant accumulatrices du plomb dans leurs racines et dans une moindre mesure dans leurs parties aériennes du plomb. Cela peut être aussi un endroit propice pour introduire dans des terraces non accessibles aux hommes, une plante endémique de bord de mer et très fragile de Marseille, l’Astragalus massiliensis. L’implantation de ces végétaux et le travail du sol induit par les restanques mais également par ma proposition de stabilisation chimique préalable peut être propice au développement d’un terrain d’étude de la phyto-remédiation en milieu méditerranéen sur une plus large échelle et étendre des partenariat qui sont déjà en cours notamment entre le Lycée agricole des Calanques et l’Institut méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale (IMBE) sur la friche voisine de l’Escalette. La deuxième partie du projet consiste à donner accès à ce crassier. C’est donner à voir un panorama exceptionnel sur la rade Sud de Marseille. C’est donner accès à la mer. C’est un point de maillage pour connecter l’ensemble du littoral, au bord de celui-ci. Et enfin c’est permettre une liaison piétonne transversale depuis la mer jusqu’au massif collinaire tout proche en arrière. L’aménagement consiste donc en un ensemble pontons en bois qui relient l’ensemble du site et ses abords. L’idée des pontons est d’écarter les utilisateurs du sol fragile et pollué afin d’éviter tout contact avec les polluants mais surtout de permettre aux végétaux de se développer au mieux en restreignant tout piétinement. Au bord de mer un grand ponton-plage fait face à la mer et permet d’accueillir les baigneurs en sécurité sous les restanques. Depuis cette plage de bois partent des passerelles qui relient, au Nord-Est le quartier sous la Rose et plus loin la Pointe-Rouge et 79
Vue vers la mer et les ĂŽles du Frioul depuis le haut du crassier
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vers le Sud-Ouest le port de la Madrague-de-Montredon. Posé sur le haut du crassier, un belvédère est installé pour contempler la rade Sud de Marseille et les îles du Frioul. Enfin l’ensemble de ces pontons aboutissent à un plateau traversant qui connecte le crassier avec l’espace public central aménagé sur la dalle de l’usine. Dans le cadre de la temporalité du projet invoqué plus haut, la réalisation de ces restanques pour sécuriser le crassier semble primordiale. Le reste de l’aménagement pouvant être réalisé progressivement et relativement indépendamment pour qu’ensuite chacun de ses morceaux soient connectés les uns avec les autres ; par exemple d’abord le belvédère puis le ponton-plage ou inversement ; le ponton-plage seul puis la réalisation des passerelles de connections littorales. De même plus globalement, l’ensemble de cet aménagement peut fonctionner indépendamment du reste de la requalification de l’usine. Enfin pour rentrer dans l’actualité et des esquisses actuelles du nouveau propriétaire, celui-ci ne prévoit plus de construire sur le crassier et dans la première esquisse le haut reste assez indéterminé et le bas du crassier reçoit un débarcadère pour bateau. Esquisse de projet des nouveaux propriétaires avec entouré le crassier. (Source Agence Kern Architecture/ Ginkgo)
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Au dessus du ponton-plage avec la vue vers le port de la Madrague-deMontredon
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Plan du projet autour du condenseur (Fond cartographique IGN)
A B
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b) Vers la colline, le condenseur
A
Coupe de terrain
Le condenseur est là où les fumées toxiques venaient condenser (d’où son nom) et déposer les polluants qu’elles contenaient sur les parois de cet ouvrage qui forme un grand labyrinthe ouvert aux vents. Cet édifice est encore dans un bon état de conservation même si une partie est manquante car détruite il y a longtemps. Il est a noter que c’est un des seuls ouvrages de ce type et de cette importance à être encore visible et surtout ce fut le seul (couplé à la cheminée rampante) qui fut autorisé par les autorités municipales au milieu du XIXe siècle à fonctionner. D’où l’importance de le préserver mais aussi de le mettre en valeur car c’est en partageant le plus possible les morceaux de notre patrimoine qu’il est le plus facile de les préserver. Le condenseur est situé sur un petit replat du terrain comme on peut le voir sur la coupe AB ci-contre. L’aménagement autour du condenseur, lui, ne répond pas à une urgence en terme de la pollution. Cet ouvrage ainsi que la cheminée rampante qui le traverse ne sont plus en usage depuis 1888. La pollution, constituée de particules fines, est depuis B longtemps répandue dans le sol autour de ces ouvrages. On l’a vu également plus haut, le couvert végétal est ici assez développé et présente une structure proche, voir même plus développée du fait de l’âge de nombreux pin d’Alep, que de celle que l’on peut retrouver dans le massif des Calanques. Il reste néanmoins incomplet à certains endroits et surtout toujours vulnérable aux incendies. La pollution se trouve toujours également dans les murs, les briques et les constituants de ces ouvrages et sont eux toujours susceptibles de se désagréger et de se diffuser dans l’environnement, notamment à cause du vent. L’idée, dans la temporalité d’intervenir ici, est que cet ouvrage se trouve déjà aujourd’hui dans le périmètre du Parc National des Calanques. Il se trouve toujours également dans le périmètre clos et grillagé de l’usine. Il est donc tout à fait susceptible 85
Vue du site depuis le massif avec l’aménagement projeté
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B’ A’
Coupe de projet
de recevoir du public nonobstant le traitement adéquate des usagers vis-à-vis de la pollution. Là aussi, l’accessibilité réalisée via l’aménagement doit donc répondre aux problèmes posés par la pollution. Je propose que les visiteurs puissent accéder au plus près du condenseur et en faire le tour à travers un cheminement surélevé. Face à la mer, il s’agit d’élargir le cheminement pour créer un belvédère-terrasse qui, par la vue, connecte Méditerranée et le massif des Calanques. Ainsi le condenseur devient lui aussi un point d’attrait, tout en gardant une certaine mise à distance grâce à la limitation du cheminement sur le platelage. Les cheminements se divisent en deux branches qui font le tour du site et permettent à un endroit d’entrer à l’intérieur de l’enceinte du condenseur, à un autre de passer au-dessus de la cheminée rampante pour mieux l’observer. Cet ouvrage reprend en partie des cheminements déjà présents et vient se poser sur l’existant pour éviter tout abattage d’arbres et le moins de dommages au site. Enfin l’idée de faire commencer cette déambulation surélevée assez loin du condenseur, permet en cas de vent de la fermer aisément tout en maintenant les visiteurs à une distance de sécurité. A nouveau ces cheminements servent à écarter les visiteurs du sol et donc des polluants mais aussi les éloigner de la végétation pour empêcher son piétinement et garantir son développement. Là aussi le projet s’accompagne d’une plantation d’arbre et d’arbuste dans les endroits où le sol est encore à nu pour accélérer la couverture végétale complète du site. Les espèces plantées seront également locales telles que Thymus vulgaris, Aphyllanthes monspeliensis, Salvia officinalis, Rosmarinus officinalis, Helichrysum stoechas, Pinus Alepensis, Quercus ilex... Enfin qu'en est-il du risque principal et le plus spectaculaire qui repose sur cet environnement, à savoir le feu ? C’est dans la partie suivante et à travers un autre élément que j’y répondrai: l'eau
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L‘usine et le crassier vus depuis le massif avec les plantations de l’espace public central
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c) Et l’eau L’eau est une ressource essentielle dans les pays méditerranéens et dans une ville comme Marseille. Suite à plusieurs épidémie et à une insalubrité chronique au début du XIXe siècle, la ville de Marseille se lance dans un projet pharaonique qui aboutira en 1849 à l’inauguration du canal de Marseille. Celui-ci apporte sur 80 Km et à travers de nombreux ouvrages d’art l’eau de la Durance à la ville. Cette arrivée va transformer la vie de la cité phocéenne et encore aujourd’hui 60% de sa consommation d’eau provient de ce canal. Le reste venant du canal de Provence inauguré à la fin des années 1960 et qui amène les eaux du Verdon. L’usine Legré-Mante était jusqu’à sa fermeture, le dernier point de livraison d’eau brut de ce canal, après celle-ci l’excédant est rejeté en mer dans le port de la Madrague. C’est donc une ressource précieuse qui a permis le développement industriel de cette usine. Le site présente encore de remarquables ouvrages hydrauliques et l’eau n’est aujourd’hui presque plus utilisée et finit donc intégralement en mer. Il y a notamment dans l’enceinte de l’usine 3 bassins d’eau, tous les trois alimentés par l’eau du canal, qui ont servi de bassin tampon pour approvisionner l’usine. Il reste également sur site un ensemble de cuves industrielles de grandes dimensions qui si elles étaient préalablement nettoyées pourraient également servir de réservoir d’eau. Mon propos sur ce projet est, pour réduire les effets de la pollution, de favoriser le développement d’un couvert végétal important qui assure une phyto-stabilisation maximale ainsi que dans une moindre mesure et dans un temps plus long une phytoextraction des polluants. C’est pourquoi la présence de l’eau peut être une aubaine pour développer cette végétation dans des conditions optimales, garantir la reprise et la croissance des végétaux plantés et même pouvoir expérimenter et tester plus facilement 89
Les anciennes cuves de produits chimiques
Le bassin Nord
Le bassin dit «d’agrément» devant la bastide Rostan d’Ancenuze
Le canal de Marseille traversant la pinède Le bassin de dérivation du canal
Implantation des principaux éléments de l'infrastructure hydraulique dans l'enceinte de l'usine
90 Le bassin principal
l’implantation de végétaux plus propices à la phyto-extraction. Le projet pourrait donc être, à partir de ces bassins, de créer un réseau de distribution et d’irrigation partout dans le périmètre de l’usine. Sur un autre plan, le bassin Nord sert déjà de réserve d’eau pour les sapeurs pompiers en cas d’incendie. On pourrait se servir encore plus de ceux-ci et de l’abondante ressource en eau. D’autant plus qu’on a vu qu’un incendie dans les abords de l’usine pourrait être dévastateur d’un patrimoine arboré remarquable mais surtout volatiliser une importante quantité de polluant et à travers les fumées contaminer les populations environnantes. Il apparaît opportun de créer un réseau de cannes d’aspersions pour protéger la pinède et autour du condenseur et de la cheminée rampante. Un tel système protégerait autant la nature que l’homme. De plus le conduit de la cheminée pourrait servir de dorsale pour transporter l’eau dans la colline. Ce serait un beau retournement de l’Histoire où l’ouvrage qui transporta les pollutions et le feu, transporterais l’eau et la protection de la nature.
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V) Intervenir au delà d’un aménagement
a) Une posture agissante
Je ne vois pas le projet de paysage se limiter au dessin et à la réalisation d'un aménagement. En tout cas, je ne me vois être paysagiste sans avoir une pratique d'intervention directe dans le paysage, dans le territoire ou dans le site. Comme dit plus haut, c'est avoir une posture agissante, agir pour prendre en main le site et de sa main en modifier une composante, aussi minime soit-elle. C'est avoir une action directe. Car je pense que dessiner en atelier une modification importante d'un site, parfois un bouleversement important de son aspect et de son fonctionnement, peut vite éloigner de la matière qui anime le site et qui s'y trouve chaque jour. Cette matière est la matière qui compose le paysage : les végétaux, les murs, la terre, l'eau qui y coule, la faune bruyante ou invisible, le ciel au dessus, les hommes et leurs regards. Venir pour intervenir c'est prendre dans sa main un bout plus ou moins grand de cette matière et le déposer un peu autrement. C'est donc toucher concrètement l'espace et faire des choix qui seront immédiatement visibles. C'est prendre position. Et être paysagiste pour moi ne peut se faire qu'en prenant position et en agissant pour défendre, proclamer, affirmer ou montrer cette position. C'est aussi bien-sur la partager pour que cette modification fasse réfléchir, s'interroger ou même choquer les témoins, spectateurs ou habitants. Cette intervention n'est d'ailleurs pas forcément artistique. Intervenir sur les Hommes, c'est un travail sociologique complexe et multiple qui voit comme aboutissement une modification de leurs façons de voir, d'habiter, de vivre, d'envisager leur territoire. Une modification profonde et longue du paysage peut être ainsi permise et avoir une influence sur le restes des strates de celui-ci. Cette approche est aujourd'hui essentielle et désespérément nécessaire tant l'Homme a mis sa main sur l'ensemble de 94
la surface terrestre. Agir sur l'Homme n'apporte pas forcément des modifications tout de suite perceptibles par les sens mais sont pour autant réelles et peuvent constituer un vrai projet de paysage.
b) L’art comme révélateur
Photos de l'intervention réalisée dans un des bâtiments de l'usine
"Entrer, chercher, s’interroger ; Voir parfois, D'un fil trouver le nœud. D'un trait faire sien cet espace insoupçonné. Relier, tisser, accrocher ; Agir toujours. Pour réveiller ce qui en nous et autour de nous forme un tout."
Voilà les quelques mots par lesquels j'ai introduit la première intervention que j'ai réalisé sur le site de l'usine Legré-Mante. Elle est constituée de deux motifs le premier est un pochoir représentant un symbole et réalisé avec une bombe de peinture rouge, le second est un trait continu de peinture rose. Le pochoir est placé à différents endroits dans l'usine à partir d'une brèche dans l'enceinte. Celui-ci agit tel un repère qui guide de place en place, de pochoir en pochoir, à travers les bâtiments désaffectés. Cela aboutit à un dernier placé à côté d'un soupirail qui permet de s'introduire dans le bâtiment principal de l'usine. Une fois glissé à l'intérieur, c'est la ligne rose qui prend la suite. Celle-ci serpente de façon continue du sol au plafond, sur les murs et les rambardes, sur les marches ou les cuves. Elle conduit alors l’intrus à travers les dédales des étages et des anciens lieux de production. Elle s'élève peu à peu pour atteindre le plus haut point de 95
ce bâtiment. Arrivé à ce point on retrouve à nouveau les pochoirs du départ et surtout une vue sur la mer et le quartier de la Madrague-de-Montredon. L'idée poursuivie par cette intervention est de créer à travers ce fil, un lien entre l'usine et son environnement proche. Susciter l'interrogation autour de ce trait qui serpente et zigzague parmi la poussière et les résidus chimiques. Montrer que, malgré tout, cette usine et tout ce qu'elle contient appartiennent au paysage de la rade Sud de Marseille. J'ai également produit à partir de cette intervention une vidéo d'environ deux minutes. Celle-ci raconte un récit légèrement différent. L'ensemble se déroule à l'intérieur du bâtiment et montre la recherche du pochoir-symbole dans celui-ci. Une fois le symbole trouvé, l'image suit le trait jusqu'au belvédère d'où l'on découvre la mer. Là il s'agit plutôt de susciter l'étonnement, après cette errance au cœur de ces lieux à l'abandon et recouvert de graffitis, de découvrir un panorama sur la Méditerranée. Et également de montrer que ces deux ambiances sont reliées et situées côte à côte. La vidéo est visible en suivant le lien: https://youtu.be/kWfe_Now9HI J'ai prévu de réaliser une deuxième intervention dans l'enceinte de l'usine. Elle consisterais à simuler une reprise d'activité dans l'usine et dans la cheminée rampante. Cette simulation serait opérée au moyen de fumigènes de différentes couleurs qui seraient déclenchés dans la dernière partie verticale de la cheminée rampante. Ces fumigènes créeraient alors un panache de fumées multicolores. Cette intervention serait donc éphémère et durerait le temps des fumigènes mais serait visible de toute la rade de Sud de Marseille étant donné le point d'élévation (200m) du bout de la cheminée. L'idée étant d'attirer les regards vers l'usine et à nouveau simuler la surprise et le questionnement sur cette fumée soudaine et mystérieuse. C'est également faire souvenir que cette cheminée a jadis fonctionné et émis un cocktail de polluant sur la colline et les habitations alentours. C'est montrer, plus loin que les quartiers riverains, qu'il existe des 96
Photomontage du panache de fumées multicolores s'élevant de la cheminée
projets sur ce site (une forme de reprise d'activité). C'est attirer le regard en premier lieu sur la cheminée rampante, et par extension sur l'ensemble du site et sur ses éléments remarquables qui sont plus ou moins menacés par les projets immobiliers futurs.
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Conclusion
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Il manque dans la réalisation de ce projet, le détail de l'aménagement sur le cœur de l'usine et des principaux bâtiments. Le choix a été fait par le temps imparti à ce Projet de Fin d’Études et j'ai donc suivi la temporalité que je propose dans celui-ci pour réaliser les détails sur le crassier puis sur le condenseur. Ce projet propose un aménagement et une réhabilitation de l'usine ambitieuse qui se traduit par des ouvrages de grandes qualités et de grandes dimensions. Ceci afin d'offrir au public une ampleur dans l'attention accordée au site afin qu'il puisse mesurer à quel point l'environnement dans lequel il habite, et donc ici le massif des Calanques tout entier, est remarquable et doit être protégé, sauvegardé et mis en valeur. Il implique l'investissement de la puissance publique dans ce patrimoine bâti et naturel. Car c'est, je crois, quand l'action de la puissance publique est manifeste et qu'elle guide par l'exemple qu'à sa suite, la société peut prendre en main le destin de son espace et de ses paysages. C'est aller à rebours du dogme qui prévaut de plus en plus où le destin de l'espace où nous vivons est laissé à des intérêts privés qui n'ont par définition pas à servir les intérêts publics et donc l’intérêt de tous. Cette perte de maitrise de l'espace en tant que bien commun ne me semble absolument pas souhaitable. Et au-delà, quand un lieu, un bâtiment, une rue, une maison, un parc, une plage, un trottoir mais aussi l'entreprise qui entretient ou qui s'occupe de chacun de ces espaces appartient à une organisation publique cela signifie qu'elle appartient à chacun de nous et qu'il est de notre responsabilité de garantir son bon fonctionnement. Ce projet parle de faire avec l'existant, avec le laissé-là, car c'est ainsi que ce patrimoine nous a été laissé et qu'il ne s'agit pas de choisir aujourd'hui ce que l'on veut garder de ce que l'on veut voir disparaître. La mémoire ne peut être sélective si on veut qu'elle soit efficace et réelle. Le beau n'est pas une notion intangible et encore moins unanime et surtout ne vaut que pour un temps. C'est pourquoi l'idée est de tout garder, car tout porte la trace des hommes et des femmes qui nous ont précédés et nous, nous devons construire sur ce qu'ils nous ont laissé. Accepter sans jugement de valeurs et imaginer avec et ensemble le futur que nous voulons. Nécessairement ce projet traduit un engagement politique dans la façon dont je souhaite être paysagiste. Car modifier l'espace est un acte qui ne peut être entrepris sans avoir conscience de ses conséquences et ne peut être effectué sans la détermination que ces conséquences sont des pierres posées pour un futur meilleur. 99
Bibliographie
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Articles scientifiques - Thomas Deschamps, Mostafa Benzaazoua, Bruno Bussière, Tikou Belem et Mamert Mbonimpa, « Mécanismes de rétention des métaux lourds en phase solide : cas de la stabilisation des sols contaminés et des déchets industriels », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Volume 7 Numéro 2 | septembre 2006, mis en ligne le 08 septembre 2006, consulté le 29 mai 2018 .URL :http://journals.openedition.org/vertigo/2171) - Pascal Roudier, « Techniques de réhabilitation des sites et sols pollués – Fiches de synthèse », Techniques de l’ingénieur, Saint-Denis, février 2005, 43p. - Heckenroth A., Rabier J., Monsara P., Le Mire-Pecheux L., Prudent P., Sastre Conde M. I. & Laffont-Schwob I. « Mise en place d’une approche intégrée pour la restauration écologique des milieux pollués du Parc national des Calanques », Naturae 2017 n°9, Paris, Juin 2017, 17p. - Jean-Luc Boudenne, Bruno Coulomb, Pascale PRUDENT, « Technologies avancées de remédiation in situ des sols pollués par les métaux lourds », Anses - Bulletin de veille scientifique n°13 , Maison-Alfort, mars 2011, 5p. Études - Jean-Luc Lasalle, « Présence de plomb et d’arsenic sur le littoral sud de Marseille : une étude de santé » Institut de Veille Sanitaire, Saint-Maurice, Juillet 2007, 44p. - Conseil général des Bouches-du-Rhône. Evaluation simplifiée des risques. Site de Saména (Marseille). Rapport ANTEA n°24999/B de novembre 2001. Ouvrages - Carole Barthélémy, Arlette Hérat, « Le beau et le dangereux, le protégé et le pollué, Dissonances paysagères aux abords du massif des Calanques », Carnet du paysage, n°29, Actes Sud/ ENSP Versailles, Avril 2016, 242p. - Xavier Daumalin, Isabelle Laffont-Schowb, « Les Calanques industrielles de Marseille et leurs pollutions Une histoire au présent. » Ref2C Editions, Aix-en-Provence, septembre 2016, 330p. - « Biodiversité & reconversion des friches urbaines polluées » ADEME, Angers, février 2014, 10p. Thèse - Eti Testiati, « Contamination de sols par des éléments traces métalliques en zone méditerranéenne côtière : études de leur mobilité et du transferts à la phytocénose », Aix-Marseille Université, Novembre 2012, 293p.
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Remerciements: A Vinc, à mes parents, à mes grands-parents et à toute ma famille, A NG car, malgré tout, tu seras toujours là avec moi, A cette année à Versailles, qui ne rattrape pas les gouffres des précédentes, mais qui fut belle et remplie, A vous tous et toutes qui y étiez, A toi qui lis jusqu’à la page 102, Aux 2 exemplaires, A jamais Rage et Paillettes.
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