Quand le paysagiste devient sylvain Paysagiste et forêt : une convergence encore à naître ?
Quand le paysagiste devient sylvain Paysagiste et forêt : une convergence encore à naître ?
Mémoire de fin d’étude Diplôme d’État de Paysagiste 2018
Arnaud GABRIEL École Nationale Supérieure de Paysage Encadrant Yves Petit-Berghem
Désirant chercher par là et alentour la divine forêt épaisse et vive qui tempérait aux yeux le jour naissant, sans plus attendre, je laissai la rive, en prenant la campagne très lentement, dont le sol embaumait de tous côtés. Un léger souffle sans changement, glissait à travers mon visage, sans me frapper plus qu’un vent très doux ; les feuilles, tremblant, dociles, se pliaient toutes de ce côté où le saint mont jette sa première ombre ; mais elles restaient cependant assez droites pour que les oiseaux sur leurs cimes pussent continuer à pratiquer leur art ; ils accueillaient en chantant dans les feuilles, d’une joie pleine, les premières heures, qui tenaient le bourdon à leurs rimes ; ainsi passe un son de branche en branche au rivage de Chiassi, par la pinède, quand Éole délivre le sirocco. Dante Alighieri, La Divine Comédie, Le Purgatoire Chant XXVIII
Introduction
I) Hommes et forêt, une évolution constante
a) Aujourd’hui en France : une brève histoire de la forêt b) La relation à la forêt, miroir des évolutions sociétales c) Quels enjeux aujourd’hui : à la croisée sociale, productiviste et environnementale
II) La forêt face aux paysagistes : quel retour d’expérience
a) Quelle place pour la forêt dans les projets de paysagistes b) Quels apports et connaissances dans l’enseignement c) Et les forestiers face aux paysages ?
III) Devenir paysagiste-sylvain
a) Un être paysagiste à devenir demain b) Une nouvelle rencontre avec la forêt
IV) Intervenir
Conclusion
Bibliographie
a) Quelles interventions possibles dans une forêt public : la forêt domaniale de Liffré b) Quelles manière de faire dans un lointain forestier : mosaïque forestière dans la campagne lorraine
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Introduction
La forêt est un élément primordial du territoire français et de son habité depuis toujours. Elle recouvre aujourd’hui près de 30% de la surface de ce pays. Plusieurs études montrent qu’elle est un espace de plus en plus fréquenté par les français et donc un espace à enjeux fort pour ceux-ci. Une espace qui pour les français représente la nature, une nature « accessible et esthétique » (Derex, 2013). Cependant on sait qu’il n’existe plus en France et en Europe de forêts primaires, c’est à dire qui ne sont pas façonnées, d’une façon lointaine ou plus récente, par la main de l’homme. Etre en forêt c’est être placé devant une échelle de temps qui dépasse celle humaine. La relation de l’homme avec la forêt est également un rapport à différents temps. Le temps biologique des arbres, le temps des hommes qui est histoire de notre rapport à la nature et donc à la forêt. Forêt lieu incessant de confrontation entre culture et nature. Face à ce constat, je me suis interrogé sur la place que pouvais avoir le paysagiste et notamment la place pour le projet de paysage dans celle-ci. Cette interrogation a été d’autant plus forte que la place de la forêt dans l’enseignement à l’École Nationale Supérieure de Paysage Versailles-Marseille semble relativement modeste. Ce constat vécu, mais fait intuitivement, je me suis aussi retrouvé face à la mutation annoncée du métier de paysagiste. Une mutation annoncée par beaucoup d’enseignants et d’intervenants au sein de l’école mais sans que ceux-ci soit à même d’indiquer dans quelle direction et vers quel but, ce changement va intervenir. Cette double interrogation portée vers le futur à la fois du rapport de notre société à sa forêt et de l’avenir du paysagiste, jointe à l’apparente faiblesse de ce métier face à la forêt, ont abouti à la problématique de ce mémoire : Paysagiste et forêt, une convergence encore à naître ? La première partie de ce mémoire sera consacrée à la contextualisation de la forêt française. Dans un premier temps je me baserai sur différents écrits d’historiens pour résumer et éclairer l’histoire de celle-ci, son évolution comme forme et comme emprise sur le territoire français. Ensuite je m ‘attacherai à souligner le rapport de co-évolution entre la société française et la forêt. La forêt a toujours été une source pour les hommes qui l’ont habitée ou côtoyée mais ils en ont tiré des ressources différentes au cours
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du temps. Pour enfin terminer sur notre période et sur les enjeux actuellement en cours dans celle-ci. Cela préfigure peut-être de pressions plus grandes sur cet espace dans le futur. Les différents écrits que j’ai pu lire sur le sujet soulignent nettement les multiples aspects et fonctions que prend la forêt aujourd’hui. Ceux-ci peuvent être répartis en trois grandes catégories : les fonctions sociales que viennent y chercher les Hommes en essor constant, les fonctions de productions, aujourd’hui essentiellement de bois mais hier également alimentaire, et enfin la fonction environnementale, immuable mais dont la société n’a repris conscience que récemment (80 % de la faune et la flore mondiale se situent en forêt). Les conflits sont inhérents à la cohabitation de ces fonctions entre le développement de la première, la fragilité de la troisième couplée à une demande toujours croissante des produits issus des forêts. Chacun de ces thèmes est bien souvent porté dans la recherche par « ses » spécialistes : les sociologues pour l’analyse des usages et des usagers, les ingénieurs forestiers pour la technique et l’exploitation et les écologues/botanistes pour la partie environnementale. Le paysagiste est-il à même d’être la personne idoine pour agréger ces différents savoirs et faire cohabiter l’Homme dans la forêt du XXIe siècle ? Dans la deuxième partie de ce mémoire, je me suis interrogé sur le rapport qui existe entre paysagistes et forêt actuellement. Pour se faire j’ai consulté un certain nombre de projets existants intervenant soit directement en forêt soit ayant la forêt pour cadre. Puis je me suis penché sur la formation reçu à l’École Nationale Supérieure de Paysage Versailles-Marseille pour comprendre la place de celle-ci dans l’enseignement, qu’il soit théorique ou inclus dans la démarche de projet, cœur de l’enseignement. Enfin pour élargir ma réflexion, j’ai imaginé une nouvelle façon de devenir paysagiste et ai proposé quelques pistes possibles pour l’avenir de ce métier qui est, selon beaucoup, en voie de mutation. Et, finalement, dans la dernière partie, je tenterai d’assembler l’ensemble de ces réflexions et critiques d’une pratique de la forêt aujourd’hui et du métier de paysagiste pour faire apparaître la figure du paysagiste-forestier, que je nomme ici, paysagiste-sylvain. Après avoir essayé de théoriser sa forme, je me confronterai à deux
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terrains d’études pour voir quelles pratiques peuvent être mise en œuvre. Le premier est une forêt domaniale à proximité de l’agglomération rennaise, le second est un ensemble de forêts privées et publiques de petites dimensions situées dans la campagne lorraine. J’ai choisi ces deux terrains car ce sont deux terrains aux caractéristiques très différentes, l’un public est en devenir péri-urbain l’autre dans un milieu très rural et dans une continuité de pratiques très anciennes, confronté à l’incertitude des très petites forêts privées quant à leur avenir et dans un territoire où les notions paysagères sont encore lointaines.
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Forêt : grande étendue de terrain couverte d’arbres ; ensemble des grands arbres qui occupent,
qui couvrent cette étendue. Administrativement il faut la présence d’un couvert arboré sur plus de 70% de la surface.
Paysagiste : architecte ou technicien qui conçoit ou organise la maitrise d’œuvre des jardins et des espaces verts et l’aménagement des paysages (ruraux, urbains, industriels, naturel, etc, ..)
Paysage : Étendue spatiale, naturelle ou transformée par l’homme, qui présente une certaine identité visuelle ou fonctionnelle ; vue d’ensemble que l’on a d’un point donné. Dictionnaire français Larousse 2018
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I) Face à la forêt, un rapport en constante évolution
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I) Hommes et forêt, une évolution constante
Cette histoire étudiée sera entamée depuis l’Antiquité jusqu’au milieu du XXe siècle. Pour dans un premier temps poser des chiffres sur l’évolution de la surface du territoire français couvert par la forêt. Cette recherche de chiffre étant motivée pour poser clairement une réponse à une idée ancrée dans l’inconscient que la surface boisée se réduit partout et donc y compris en France, impression appuyée par le recul des bois dans les zones péri-urbaines. ( « Déforestation : comment l’homme détruit la planète » Lefigaro.fr du 19/07/2017 ; « Idée reçue n°4 - La forêt française est surexploitée ! Faux ! »). De plus cette recherche initiale avait pour objectif également de dégager les étapes clés qui ont influencé la forêt française dans son évolution. Rassembler et condenser un maximum de connaissance sur sa constitution, son évolution, pour mieux appréhender l’évolution de ces usages, de ces représentations ainsi que celle de son exploitation. Pour aussi comprendre, que comme tout territoire, la forêt, contrairement à l’intuition première, est aussi un palimpseste. Connaitre ce chemin emprunté par la forêt pour mieux analyser aujourd’hui les forces qui y prennent place. Car la forêt est un marqueur du temps et de l’histoire longue, témoignant de la place de l’homme.
a) Aujourd’hui en France : un bref état de la forêt On estime que la forêt tend vers une couverture de prés des trois quarts du territoire français au moment de la conquête des Gaules en -52 av J.C., représentant environ 30 millions d’hectares (Gaudin, 1996). Cette surface diminuera lentement et continuellement jusqu’au Xe siècle sous l’influence de l’installation de villae romaines sur le territoire puis de monastères. Ce n’est qu’entre le XIe et le XIVe siècles qu’un grand déboisement, pour accroître la surface des terres agricoles prendra place (Bourgenot, 1977). Ainsi on ne compte plus qu’environ 13 millions d’hectares de forêt à la fin du XIVe siècle, cette surface restera constante jusqu’au XVIIe. En 1669 paraissent les ordonnances de Colbert qui sont un tournant majeur dans l’évolution de la gestion des forêts sur le territoire français. Cette nouvelle gestion n’empêche pas les déboisements de se poursuivre durant
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le XVIIIe siècle et pendant la Révolution pour atteindre une surface de 8 millions d’hectares (Bourgenot, 1977). Durant la seconde moitié du XIXe siècle d’important reboisement (Sologne, Landes,...) vont faire augmenter cette surface d’environ 4 millions d’hectares. Ainsi en 1914, suite au premier inventaire forestier national, la surface atteint 10 millions d’hectares. Suite aux ravages des deux guerres mondiales, la création du Fond Forestier National va contribuer à reboiser 2 millions d’hectares. La surface forestière française sera dés lors en constante augmentation pour atteindre en 1975 14 millions d’hectares. Elle a continuer de croître depuis pour atteindre en 2017 16,8 millions d’hectares et recouvrir 31% du territoire (IGN 2017). C’est un accroissement annuel moyen de 60 000 hectares soit 0,7%. On voit que la forêt en France grandit depuis presque 2 siècles maintenant et qu’elle atteint désormais la taille qu’elle avait au début du Moyen Âge.
Évolution de la surface forestière et de la population en France (Escurat, 1995)
Il est intéressant ici de redéfinir ce qu’est la forêt dans le calcul de cette surface. Ainsi la forêt est un territoire occupant une superficie d’au moins 50 ares avec des arbres pouvant atteindre une hauteur supérieure à 5 mètres à maturité in situ, un couvert boisé de plus de 10 % et une largeur moyenne d’au moins 20 mètres. Elle n’inclut pas les terrains boisés dont l’utilisation prédominante du sol est agricole ou urbaine (IGN
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2017). On peut déjà faire remarquer la précision de cette définition et les différences qu’elle comporte avec celle du Larousse cité en préambule. Quand on regarde la répartition de la propriété des forêts française, on remarque qu’environ les trois-quarts de la forêt française métropolitaine (12,6 millions d’hectares) sont privés. Ainsi la forêt publique ne représente qu’un quart des forêts métropolitaines. Cette forêt publique se divise elle-même entre forêts domaniales (1,5milliond’hectares) et les autres forêts publiques (2,7 millions d’hectares), essentiellement des forêts communales ou plus rarement départementales. On peut signaler que la région Grand-Est est la seule région en France métropolitaine où la forêt publique est majoritaire (56 %). En métropole la forêt est majoritairement une forêt de feuillus (67%). Cependant c’est une forêt relativement mono-spécifique où seul 16% des forêts sont constitués de plus de deux essences dominantes et où seul 12% de celles-ci présentent une mixité en feuillus et résineux (IGN 2017).
Répartition du volume de bois vivant par essence en France (IGN, 2017)
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b) La relation à la forêt, miroir des évolutions sociétales Comprendre les fluctuations de la forêt et les rapprocher des changements dans la société française. Comment ces changements se sont traduits dans la perception et la gestion de la forêt. Pour voir l’évolution de l’usage qui était fait de la forêt et de ses productions et comment en fonction de leurs besoins les hommes ont aménagé la forêt. Mais aussi comment cette forêt était perçue. En effet la perception, les usages ou les ressources que les hommes ont pu récolter en forêt, ont fortement évolué au cours du temps. Cependant le rapport des Hommes avec la forêt a toujours été important et vivant pour l’ensemble des sociétés qui ont traversé l’histoire, de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, avènement de l’Anthropocène. Ainsi durant l’époque gauloise, la forêt est le refuge de dieux et d’esprits divers. Le panthéon gaulois comporte d’ailleurs plusieurs divinités liées aux forêts et dont notre territoire porte encore la trace tel Vosegus, dieu chasseur, d’où provient le nom du massif des Vosges, ou encore Arduina, déesse du sanglier, résidente de la forêt des Ardennes. On peut également citer Silvanus, Esus ou Nemausos et surtout Yggdrasil, le frêne cosmique de la tradition germanique qui soutenait la terre et le ciel. Cependant les forêts sont tout de même un maillon essentiel de l’approvisionnement en nourritures et matériaux. Les produits alimentaires issus du « sauvage » que représentait alors la forêt étant même valorisés car issus d’un domaine sacré (Chalvet, 2011).
Statuette en bronze d’une déesse celte chevauchant un sanglier (Source: https://incipesapereaude.wordpress.com/2016/01/27/goetterwelt-arduinna)
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Suite à la conquête des Gaules par les Romains et par la latinisation de la société qui en suivit, le rapport aux forêts évolue. En effet à l’opposé de la valorisation des produits bruts, les Romains privilégient ceux issus de l’ager, c’est à dire en provenance de l’agriculture et de l’élevage car issu de la civilisation et de la maitrise de la nature. L’image de la forêt est alors celle d’un endroit sans ordre, lieu de la barbarie et l’homme doit s’élever pour la dominer. Ce rapport entre «nature» et «culture» ; ager et silva, est fondamental car il perdure encore aujourd’hui. Ainsi la forêt est toujours la garante d’une forme idéalisée de la nature. Suite à l’effondrement de l’empire romain et à l’arrivée sur le territoire gallo-romain de populations germaniques du nord de l’Europe, le rapport à la forêt change à nouveau. En effet l’arrivée et le brassage de ces populations encore très attachées aux anciens rites païens provoquent une résurgence de l’attractivité de la forêt. Concomitant à une légère baisse des températures et à une hausse des pluies sur le continent européen, les forêts prospèrent à nouveaux. Ainsi au cours du haut Moyen-âge, les populations développent-elles une relation complexe avec la forêt où celle-ci était le parfait complément des zones défrichées et cultivées particulièrement lors des mauvaises années de récoltes, la forêt demeurent toujours le « grenier » de survie des paysans. Cependant cette nouvelle vénération païenne des bois entra en conflit avec l’influence grandissante de la religion chrétienne, particulièrement implantée dans les élites seigneuriales. Les forêts deviennent ainsi pour les religieux et le pouvoir, le repère des barbares, des brigands et plus largement de celle du Malin (Chalvet 2011). Ainsi le développement de la religion chrétienne amène à la création de nombreux monastères qui entament de profonds défrichements. A nouveau abattre les forêts c’était proclamer le triomphe de la civilisation et de Dieu sur la Nature. Il s’agit aussi d’asseoir le pouvoir royal ou impérial sur l’ensemble du territoire. Le but est d’abord politique avant d’être un attrait pour l’économie forestière et l’exploitation du bois (Derex, 2013). On constate ainsi que les maisons mères des grands ordres religieux français se sont établis dans des massifs forestiers importants. On peut citer les Chartreux dans le massif de la Chartreuse (du bas latin Cartusia) ou les Cisterciens dans la forêt de Citeaux.
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Le monastère de la Grande-Chartreuse, siège de l’ordre au cœur des forêts du massif de la Chartreuse ( Source: http://chartreuse-tourisme.com/les-10-randonnees-incontournables-de-chartreuse)
Ainsi on assiste à une baisse continue de la surface forestière en France, couplée également à l’augmentation, elle aussi continue, de la population, et ce jusqu’au XIVe siècle. C’est au cours de cette période que se façonne quasi définitivement les grands massifs forestiers que l’on trouve encore aujourd’hui (Gaudin, 1996). En parallèle, la mainmise des seigneurs et des ecclésiastiques sur la forêt se fait de plus en plus grande et éloigne de plus en plus les paysans de ses ressources. Cet essor démographique, la réduction des surfaces boisées et la privatisation de plus en plus d’entre-elles, conduit à une raréfaction de la ressource en bois autrefois abondante et gratuite. C’est ainsi qu’à partir du Xe siècle, le bois devient un produit commercial et une économie et des métiers se développent pour l’exploiter. En 1318 la maîtrise des eaux et forêts est fondée, c’est le début de la gestion des forêts pour exploiter et préserver au mieux cette ressource. C’est également le début de la spécialisation des bois entre bois de chauffe et bois d’œuvre. On constate également que le rapport que porte la religion chrétienne aux bois et aux forêts va évoluer, d’un antre du diable à un désert sacré propice au ressourcement et à l’érémitisme (Chalvet 2011). Si les ermites ont été réellement habités de nombreux endroits, il existe également de nombreux lieux où c’est l’imagination des hommes qui a fait des récits et des mythes (Derex, 2013). A partir du XVe siècle, le développement des besoins pour la
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ressource ligneuse continue de croître avec le début de l’ère pré-capitaliste et l’apparition de forges, verreries et chantiers navals très consommateurs de bois. Cette situation continue de faire diminuer la surface boisée en France et créer une situation de pénurie et de conflits d’usages entre seigneurs propriétaires des forêts et paysans qui en étaient privés mais dont les besoins notamment en chauffage étaient toujours primordiaux. Ainsi en 1669, l’ordonnance de Colbert entendait mieux réglementer la coupe de bois et les soumettre à l’autorité royale. On voie que peu à peu, au grès de l’avènement de la monarchie absolutiste en France, l’accès aux forêts se réduit de plus en plus pour la majorité des habitants du pays. La noblesse s’accaparant à la fois une ressource économique essentielle, le bois demeure l’unique source d’énergie pour se chauffer, mais également la puissance symbolique toujours associée aux forêts. Symbole de cette main-mise, le mur de 32km qui entoure la forêt royale de Chambord, cette enceinte demeurant à ce jour le plus grand parc forestier clos d’Europe.
Plan général des 5433 ha du domaine de Chambord (Source: https://www.chambord.org/fr/histoire/le-milieu-naturel/au-fil-de-lhistoire)
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Au début du XIXe une prise de conscience nouvelle émerge grâce à Jean-Baptiste Rougier de la Bergerie qui publie son ouvrage «Les forêts de France» en 1817, dépeignant le désastre de la déforestation. On peut également citer Jean-Antoine Rauch qui lui publie «La Régénération de la nature végétale» en 1818. Ce début de prise de position écologique couplée à la naissance d’un sentiment romantique vis-à-vis des forêts et à des catastrophes naturelles imputées à la déforestation construisent en France un nouveau rapport à la forêt et au début d’une nouvelle augmentation des surfaces de celleci. Surviennent ensuite deux réformes majeures. En 1827 l’adoption du Code forestier et en 1824 la création de l’école des forestiers de Nancy (qui existe toujours aujourd’hui sous l’appellation AgroParisTech Nancy - École nationale du génie rural, des eaux et des forêts). La création de cette école apportera avec elle la « méthode allemande » de gestion des forêts qui consistera à convertir les forêts en futaie régulière avec des affectations régulières de 20 ans. Modèle qui constitue toujours la principale méthode de gestion des forêts aujourd’hui. Cela va profondément modifier la façon de travailler la forêt domaniale et marque encore aujourd’hui très fortement l’aspect des forêts domaniales françaises et des grandes forêts privées qui ont été gérées avec cette méthode depuis. (Bourgenot, 1977).
Première page du nouveau Code forestier de 1827 (Source: gallica.bnf.fr / Bibliothèque Nationale de France)
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Cependant le bouleversement majeur du XIXe siècle qui bouleverse la société occidentale et donc française est la révolution industrielle. Ce changement modifie profondément l’agriculture (mécanisation, engrais,...) qui jointe à la découverte de nouvelles ressources énergétiques (charbon, électricité), vont résulter en une pression de moins en moins forte sur la ressource en bois et donc sur les forêts. L’avènement, à travers la révolution industrielle, de la société capitaliste va profondément modifier le rapport de la population à son territoire. C’est le début de l’exode rural qui va pousser une part importante de la population française vers les villes et l’écarter de la campagne, de son mode de vie, de la forêt et donc faire s’éloigner celle-ci comme espace productif de ressources. L’avènement de cette société fait également émerger une nouvelle catégorie de citoyen, qui dispose de ressources financières, de temps libres, et d’éducation. On voit ainsi émerger les prémices de la société de loisirs et l’utilisation nouvelle de la forêt comme espace récréatif. Ce changement de regard va le plus fortement s’incarner, concernant la forêt, à Fontainebleau sous l’influence particulière des peintres de Barbizon. Ceux-ci vont en effet «transformer» la vision de la forêt, non plus en «espace rural» mais en «un monument artistique aéré où sont exposés les œuvres naturelles» (Derex, 2013). C’est également le début de la protection de la nature en France et dans le monde avec le classement d’une série artistique en forêt de Fontainebleau en 1853.
Lithogravure du Fort de l’Empereur en forêt de Fontainebleau édité par Claude-François Dénécourt (Source: gallica.bnf.fr / Bibliothèque Nationale de France
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Cette baisse de la pression sur la ressource en bois et la prise de conscience de son importance va se traduire par une augmentation de sa surface et par des opérations de reboisements voire de boisements nouveaux comme c’est le cas pour la création de la forêt des Landes en 1857 sur impulsion de Napoléon III. C’est également au cours du milieu du XIXe siècle, qu’est instaurée la politique de restauration de terrains de montagne (RTM), officialisée nationalement par loi en 1860, dont l’objectif est « le reboisement de la plus grande surface possible de montagne ».
Ouvriers travaillant sur un chantier de plantation RTM (Source: http://t-as-vu-ma-plume.over-blog.com/article-le-mythe-d-une-foret-rentable-l-onf-dera-81164480.html )
Au cours du XXe siècle, le reboisement se poursuit, de manière volontaire suite à des incitations de l’État, par exemple le Fond Forestier National qui contribue à boiser 2 millions d’hectares de forêt le plus souvent en résineux, gérée de façon intensive . Les résineux furent choisis pour leur forte productivité et pour répondre aux besoins de l’industrie papetière. On assiste également à l’enfrichement d’anciens terrains agricoles dans la continuité d’une agriculture toujours plus mécanisée et avec un rendement de plus en plus important qui se concentre sur les terres les plus arables. Ainsi le reboisement est le plus fort en montagne où la déprise et l’exode rural sont très marqués. On assiste également à la création en 1960 de l’Office National des Forêts qui a pour charge la gestion des forêts domaniales (10,2%) et d’une grande majorité des forêts publiques (16,1%) (communales, départementales,...)(Gaudin, 1996). Ainsi sous l’égide de l’Office National des Forêts se développe en France la volonté de maximiser la production de bois, et plus particulièrement de bois d’œuvre, en rationalisant, mécanisant et industrialisant celle-ci
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à l’image de l’agriculture sous influence de la Politique Agricole Commune (Chalvet 2011). C’est le développement de la populiculture et la création de «champs d’arbres» souvent en résineux. Cependant avec le développement du transport international et l’importation de bois étranger moins cher, la rentabilité des forêts françaises est encore faible. Cette faible rentabilité associée à un morcellement et un éloignement des propriétaires conduisent la forêt française a être peu exploitée. Ainsi tout en étant le 3e pays le plus boisée d’Europe, la France possède toujours une balance commerciale largement déficitaire. De plus les objectifs d’une sylviculture productiviste, faite de plantations rectilignes, de coupes rases, d’enrésinements, d’engins volumineux pour extraire le bois, de tentative de rationaliser l’ensemble de la filière bois, se heurtent rapidement à la réalité des contraintes écologiques et surtout à l’apparition dans la société d’une pensée écologique qui se dresse contre cette « dénaturation » de la forêt (Chalvet 2011). La sous-exploitation des forêts conduit en outre celle-ci a être plus vulnérables aux aléas climatiques lors de tempêtes ou plus régulièrement lors des épisodes de sécheresse qui peuvent provoquer des incendies difficilement maîtrisables si la forêt n’est pas entretenue. Ce cycle de progression du couvert forestier associé à son non entretien ou sa non valorisation par des pratique de sylviculture ou d’agro-pastoralisme est particulièrement vicieux en Provence où on retrouve une faible productivité du bois, un climat de plus en plus sec, la fin de l’élevage et des reliefs accidentés (Chalvet 2011) .
Monoculture de conifères dans le Limousin (Soruce: Karine Aulnette, Georgi Lazarevski)
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c) Quels enjeux aujourd’hui : à la croisée sociale, productiviste et environnementale La diffusion dans la société de la pensée écologique n’épargne pas la forêt. L’apparition de l’expression de « poumon vert de la Terre » s’enracine profondément dans les esprits, affermi par les découvertes scientifiques qui prêtent aux forêts les rôles de régulateur bio-climatique, des sols, des eaux et des vents. On assiste alors à un changement de paradigme, la civilisation ne doit plus maîtriser la Nature mais la protéger. Cependant la construction culturelle oppose toujours l’Homme à la Nature et la culture voit toujours dans les forêts un refuge sauvage, de nature brut insoumise et « originelle », vierge des Hommes et de leur civilisation alors même qu’il n’existe plus en France, et presque plus non plus en Europe, de forêts « primaires ». Ainsi écrit Pierre Donnadieu dans La Société paysagiste , « la forêt était un refuge pour la société, et tend à le redevenir, car elle symbolise des valeurs que les citoyens ne retrouvent plus dans les métropoles : la pureté de l’air, la liberté d’agir ou la sécurité. » (Donnadieu, 2002). Cette pensée caricaturale induit alors dans la population, et notamment chez les urbains éloignés des campagnes et donc des forêts, le sentiment d’un péril sur la forêt et sur les arbres « Depuis que la ville existe, la société paysagiste qui en est issue préfère en effet les formes idéalisées de la nature comme (…) les forêts pittoresques aux réalités de la cité. » (Donnadieu, 2002). Ce retour en grâce de la forêt comme idéal de Nature est surtout la conséquence direct d’une fréquentation en hausse de celle-ci depuis la fin du XIXe siècle avec l’apparition des sociétés d’excursionnistes, du Club Alpin Français qui vont façonner un idéal d’extérieur pour les urbains les plus favorisés. C’est le début de l’organisation des loisirs. Cet essor de la forêt comme enclave de loisirs et à cette époque essentiellement de la promenade de contemplation, bénéficie du développement des chemins de fers et la promotion de voyages d’agréments par les compagnies ferroviaires (PLM étant la plus célèbre) (Derex, 2013). A partir de 1936 puis surtout après la Seconde guerre mondiale la modernisation de la société va diffuser largement cet idéal de Nature et de beaux paysages chez de plus en plus de français. La forêt devient un décor et n’est plus vu comme une
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source de matières premières par les classes aisées et urbaines qui la fréquentent. Cette demande sociale nouvelle et qui grandit continuellement pose de nouveaux enjeux sur la forêt et interroge sur son avenir. Entre 1968 et 1999, la fréquentation des forêts franciliennes par les habitants de la région serait passée de 57 millions à 92millions de visites par an (comparaison enquête OTAM/SARES de 1968 avec l’enquête CREDOC/AEV de 1999). Ainsi comme l’écrit Pierre Donnadieu dans La Société paysagiste, « les représentations sociales de la forêt ont éclaté car la société qui en parle a changé (Donnadieu, 2002).
Affiche de promotion des voyages à Fontainebleau par la compagnie PLM (Source RMN /Gérard Blot)
Ainsi se trouve-t-on probablement à un tournant de l’histoire de la forêt où, après avoir été nourricière, productrice ou siège de puissance (seigneuriale ou plus ésotérique), elle est en train de devenir un cadre d’agrément sous l’avènement de la société de loisirs et de consommation. Au cours de l’année 2004, 71 % des Français se sont rendus au moins une fois en forêt (Dobré, 2005).
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Il est a noté que le développement de cette demande sociale de loisirs en forêt ce concentre dans les forêts péri-urbaines dans un premier temps. Issue des bouleversements industriels et sociaux qui en ont résulté durant le XIXe siècle, la forêt a vu sa fonction se restreindre fortement à celle d’une industrie du bois. Ainsi la contrainte principale de l’Office Nationale des Forêts et sa mission première, car elle est sa source principale de financement, est la production de bois. On peut illustrer une certaine perte d’intérêt pour les autres ressources de la forêt que celle du bois en regardant l’évolution du nombre de chasseurs en France. Même si la chasse est aussi un loisir, c’est un loisir qui prélève une ressource à la forêt, on pourrait cité de la même façon la cueillette des champignons qui relèvent aujourd’hui d’une pratique de loisir tout en ayant une vrai dimension «d’utilisation» de la capacité nourricière d’une forêt.
Rapport du Sénat sur le nombre de permis de chasses en France (Source: Rapport n° 335 (1999-2000) de Mme Anne HEINIS / Sénat – Session ordinaire 1999 – 2000)
Cependant la forêt est aujourd’hui le siège de bien d’autres usages. Le regard de tous ces usagers ainsi que des pouvoirs publics sur cet espace qui incarne le «sauvage» et la «nature» est à prendre en compte et à analyser. Cette poursuite du mythe «romantique» de la forêt comme bastion de «nature intouchée» entre de plein fouet avec la réalité du cycle de vie d’une forêt. Cette réalité du cycle de vie est ce dont le forestier fait un outil de production de ressources naturelles. Quelle est aujourd’hui la perception du public de loisir face à une sylviculture en continuelle adaptation face aux changements sociétaux et au marché du bois qui en découle, je me suis demandé quel pouvait être le regard des usagers de loisirs sur ces travaux en forêt. La forêt de Montmorency au Quebec est la propriété d’une université (Université Laval) et est dédiée à la recherche, que ce soit des recherches
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techniques sur la sylviculture ou d’autres à vocations plus sociales ou socio-économiques. On retrouve ainsi une documentation assez riche d’études de toutes disciplines sur la forêt et sur notamment la relation entre usagers et sylviculteurs. Ces différentes études sur une même forêt par différents chercheurs permettent d’avoir une bonne idée des pratiques et des représentations sur un lieu précis. Il n’existe pas une telle forêt en France, servant de terrain d’étude institutionnalisée pour étudier l’ensemble des aspects et des pratiques qui traversent une forêt. C’est pourquoi je me suis intéressé à différentes études sur celle-ci. On débute par un entretien avec le directeur des opérations de la Forêt Montmorency, Mr Hugues Sansregret. Dans celui-ci c’est l’aspect touristique qui est prioritairement évoqué. L’entretien se concentre quasiment entièrement sur la valorisation de la Forêt Montmorency, et sur les derniers moyens mis en œuvre pour le faire. Ces derniers sont essentiellement touristiques et cherchent à attirer de plus en plus de monde dans cette forêt dans un double but, économique (source de revenu) et pédagogique (source de notoriété). Le but est ici de faire connaître la forêt dans tous ses aspects, dans toutes les ressources qu’elle peut offrir, quelque soit la saison et de valoriser toutes les phases d’exploitation de la forêt auprès du public. Cette valorisation passe par le concept de « tourisme expérientiel ». « Ainsi s’exprime une vision d’exploitation territoriale où chaque mètre cube du territoire est utilisé » (Bourdeau, 2017) ici ce territoire étant bien-sur la forêt. Où l’on voit que la pression qui s’exerce sur la forêt est de plus en plus grande et où cette forêt universitaire du Quebec est aussi un lieu, non-plus seulement sur l’étude de la biologie et de l’exploitation de la forêt, mais également un endroit où sont réfléchies et élaborées des politiques d’accueil dédiées
La forêt de Montmorency au Nord de la ville de Quebec, Canada (Source: Université Laval)
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au tourisme en forêt et à en définir les spécificités. Dans la deuxième étude lue (Dupré, 2006), l’auteur s’interroge sur les perceptions et les représentations de la forêt chez ses usagers, qu’ils soient travailleurs ou touristes, notamment la relation entre perceptions/représentations et aménagement. Il utilise l’emploi d’un questionnaire auto-administré auprès des usagers, pour obtenir des données qualitatives les moins influencées par le sondeur. L’enquête cherche à appréhender la forêt sur trois niveaux, rapportés à trois temporalités, distinction en géographie du tourisme et du loisir, à savoir : « l’espace imaginé, l’espace concret et l’espace idéal. » (Dupré, 2006). L’auteur conclut que :« Les représentations géographiques apparaissent comme un moyen efficace pour cerner les enjeux de chacun ; elles s’avèrent donc une méthode à développer pour l’aménagement des espaces naturels qui se touristifient.» (Dupré, 2006. p. 57). Les résultats précis de ces enquêtes qui concernent à nouveau la forêt Montmorency au Quebec sont de moindre importance devant la méthodologie employée. « Ce sont nos ressources naturelles, les paysages qui seuls permettent de nous identifier à échelle mondiale : les équipements ne font pas la destination, ils peuvent seulement y ajouter une valeur mais pas la fonder ». (Demers, 1992) Dans la troisième étude (Leblond, 2006), toujours réalisée sur la forêt de Montmorency, l’auteur s’interroge pour savoir si exploitation forestière et fréquentation du public sont conciliables dans un milieu naturel tel que la forêt. L’auteur défend le point de vue que l’exploitation forestière n’est pas une fin en soi, c’est une façon d’utiliser les ressources naturelles pour créer de l’emploi et de la richesse. Il s’interroge pour savoir si elle ne pourrait pas plutôt servir d’outil pour mettre en œuvre la vision que notre société se donne de son territoire ? C’est à dire ici une vision orienté par les loisirs et donc la forêt comme un milieu naturel écrin d’usages touristiques. Il rappelle cependant que, malgré la mauvaise presse, la foresterie demeure un puissant outil d’aménagement faunique, récréatif et touristique qui permet de protéger les forêts de catastrophes naturelles comme le feu et les épidémies d’insectes tout en facilitant l’accès à la ressource. Ensuite dans celle-ci (Deuffic, 1996) l’auteur interroge différents acteurs de l’État sur leurs perceptions des impacts sur le paysage de différentes actions forestières. Ces entretiens sont répartis sur plusieurs parties du territoire français et
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dans un ensemble de services territoriaux, à la fois au niveau opérationnel ou au niveau de responsables d’aménagements. Des responsables d’associations de protection de la nature sont également interrogés. L’idée étant de déterminer quel regard portent ces acteurs sur leur territoire, sur ses évolutions et sur les actions misent en œuvres. Réalisé en 1995 cette étude pointe la diversité des attitudes et des perceptions du paysage forestier, on y décèle un attrait naissant pour ces questions et des réponses très fragmentaires qui sont plus le fait de la sensibilité de certains acteurs pour le paysage que d’une véritable politique centralisée. Il serait très intéressant de connaître quel a été l’évolution de la prise en compte paysagère par ces mêmes agents territoriaux depuis cette étude. Enfin dans le dernier article scientifique (Dehez 2012), l’auteur s’interroge sur les ressorts économiques de l’ouverture au public des forêts. Il commence par rappeler, en étudiant l’évolution du loisir en forêt depuis le XIXe, que différentes études sociologiques pointent l’aspect élitiste de l’accès à la forêt. Issu comme écrit plus haut des premières sociétés de loisirs d’origines bourgeoises et urbaines. L’auteur souligne également que la prise en compte par l’Etat et l’obligation faite aux forestiers d’intégrer l’accueil du public dans leur mission est progressif et relativement récent. La première circulaire date de 1964 et c’est la Loi d’orientation forestière de 2001 qui entérine l’accès généralisé aux espaces forestiers. Les forestiers ont longtemps essayer de contrôler la fréquentation des forêts en orientant les activités de loisirs vers une partie restreinte et dédiée de la forêt. L’arrivée de la dimension environnementale porté par le public accentue les enjeux et intègre désormais des contraintes réglementaires qui viennent réguler l’ensemble des activités en forêt. L’ouverture des forêts au public est ici vue essentiellement sous les prismes économiques (beaucoup) et sociologiques (un peu). La problématique financière de l’ouverture des forêts, qu’elles soient publics ou privées , étant essentielles. Ainsi même les risques incendies induits par l’augmentation de la fréquentation sont analysés via l’assurance. Dans sa conclusion l’auteur revient également sur la difficile séparation entre « forêt » et « nature » ; l’ouvrage ne cherchant que peu à qualifier et différencier ces deux notions. Il semble en résulter que se promener en forêt n’est qu’une variation de se promener en « nature » et qu’ainsi la dimension anthropique de la forêt est très vite négligée. Il est nullement rappelé qu’aucune forêt française est « naturelle » ou « vierge » dans le sens où elle ne porte pas de traces d’aménagements humains. De plus cette dimension anthropique se
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joue également au niveau des représentations, des perceptions et de l’histoire de l’Homme vis-à-vis de la forêt. Ainsi seule la dernière phrase de la conclusion fait replacer ces études dans un territoire et toutes ses dimensions liées. (« les rapports que la forêt crée avec les territoires qui la portent et les hommes qui y vivent » p. 145) La liste des auteurs et leurs métiers étant assez explicites sur l’orientation de la présente recherche : trois chercheurs en économie, deux en sociologie et un en statistiques. Cette vision marchande et sociale étant assez symptomatique et néanmoins représentative de la société actuelle et de l’orientation d’une certaine vision qui ne voit dans la forêt qu’un décor pour réaliser des activités de loisirs. En effet la forêt est un espace vivant qui grandit, vit puis un jour meurt. Si cette évolution est constante elle n’en demeure pas moins lente et sur une échelle de temps différente de l’échelle humaine. Elle ne peut être envisagée comme un décor figé, comme un musée présentant une nature idéalisée offerte à la vue de spectateurs. Envisager la forêt comme une «nature sous cloche» serait, en plus d’ignorer son cycle de vie, également de nier les usages ancestraux que la forêt continue d’avoir pour de nombreux habitants même si ceux-ci tendent à se réduire. Le développement d’une vision «agrandie» de la forêt où l’exploitation est respectueuse des principes durables garantissant un équilibre
Cycle de vie d’une forêt en exploitation en futaie régulière (Source: Office National des Forêts)
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entre les besoins économique et les impératifs écologiques. Ces impératifs sont d’autant plus nécessaires car la forêt fait également face aux transformations de ces écosystèmes par le réchauffement climatique. La forêt fait également face à l’augmentation continue de la «société de loisirs» et donc à la fois de l’augmentation de la pression du public sur le milieux mais aussi de l’augmentation des interactions entres usagers de loisirs et surtout avec le forestier et l’exploitation des bois. La forêt devient un espace de pluri-activités qui est tout à la fois un espace de production, un espace protégé et un espace de loisirs et de tourisme. Ainsi les pratiques de production héritées de la fin du XIXe siècle et continuées durant le XXe siècle dans les forêts les moins fréquentées par le public, commencent à devenir problématique à mesure que la fréquentation du public s’accroît. Ainsi les coupes claires sur des parcelles géométriques définies par un cadastre font des «marques» dans le paysage que le public accepte de moins en moins du fait de son coté beaucoup trop anthropique et l’impression d’un vide de nature. Ainsi la pratique de la sylviculture en futaie régulière en régénération naturelle et donc avec des coupes claires régulières dans la forêt, a été abandonnée dans toutes les forêts domaniale d’Île-de-France pour préserver au maximum l’idée d’une forêt naturelle et peu touchée par l’homme pour le public et la pratique des loisirs. Cependant ce changement de pratique induit un surcoût important d’exploitation pour le gestionnaire de ces forêts ainsi qu’un changement de mentalité et une formation à de nouvelles pratiques par les agents chargés de l’exploitation et de la réalisation des plans de gestions. Ce surcoût amène la production de bois à ne plus être rentable, et à interroger sur la possibilité de voir cohabiter ces deux usages pour la forêt. De même que la cohabitation entre usagers de loisirs et protection apparaît comme rapidement problématique avec l’augmentation du premier. En effet on constate, avec cette demande croissante de la part du public d’espaces « naturels » que plus le milieux est protégé plus celui-ci devient attractif. Cette attractivité faisant ainsi croître la pression sur la forêt mais également sur les territoires adjacents à celle-ci. Ainsi la surcharge de fréquentation provoque des dégradations sur l’environnement. Piétinement, érosion, augmentation du nombre d’ordures, risques incendies accrus mettent en danger la régénération des peuplements. La diffusion plus grande des randonneurs sur l’ensemble de la forêt fait poser également une pression sur la faune des massifs forestiers, surtout que la période d’affluence en forêt, le printemps, et également la période de naissance. Enfin cette
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augmentation de la fréquentation devient problématique pour les usagers eux-même qui se retrouvent confrontés à de plus en plus d’usagers et à de plus en plus d’usages différents pas toujours compatibles. Et surtout la présence de visiteurs de plus en plus nombreux va à l’encontre de la recherche initiale d’une nature « sauvage » et préservée. Ainsi l’ONF cherche a faire des partenariats avec les communes limitrophes des forêts pour gérer au mieux les demandes du public et ainsi constituer des « Schémas d’accueil du public en forêt» dans ses forêts les plus fréquentées. Ces schémas permettent de réaliser un diagnostic de l’espace forestier et de ses composantes locales, il formule une stratégie et des scenarii d’accueil à l’échelle du territoire considéré. Il s’agit notamment d’évaluer les attentes et le recueil des pratiques auprès des représentants des collectivités et des usagers. Dans un second temps un état des lieux du patrimoine et des équipements est effectué. Cette démarche est essentielle pour trouver des financements et réaliser des projets d’aménagements cohérents avec les attentes et surtout en accord avec l’écosystème forestier. Ces schémas posent rapidement la question de la ségrégation des espaces pour mieux en réguler les usages. Ainsi une partie de la forêt serait une forêt de loisirs, une autre de production et enfin une dernière serait intégralement protégée ? Cette vision pourrait en outre se transposer à l’échelle de massif entier : où proche des grandes villes et métropole le loisir serait privilégié, ailleurs la sylviculture ou la protection. Cette vision pose également la question du libre accès ou non à certaines parties de la forêt et donc du territoire national dans le cas des forêts domaniales.
Schéma type d’accueil en forêt domaniale avec une répartition spatiale assumée (Source: Office National des Forêts)
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La forêt est au cœur d’enjeux multiples qui questionnent des problématiques cruciales de notre société et de notre temps. Elle se situe en effet au cœur d’un triptyque, largement admis, d’usages récréatifs, productifs et environnementaux. On peut interpréter les usages récréatifs comme étant plus largement la place de l’homme face à la fréquentation de son territoire mais également notre rapport à nous même. Les enjeux de production questionne notre utilisation des ressources de notre territoire et plus largement de celles de la Terre ainsi que notre rapport à l’Espace et au Temps. Les enjeux environnementaux interroge notre position face à la diversité végétale et animale et plus largement à notre rapport aux autres.
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II) La forêt face aux paysagistes : quel retour d’expérience
II) La forêt face aux paysagistes : quel retour d’expérience
S’interroger sur le devenir possible du paysagiste en forêt et encore plus lorsqu’il s’agit de se demander si l’avènement d’un paysagiste-sylvain est possible et souhaitable à la fois pour le paysagiste et pour la forêt, c’est forcément revenir sur les pratiques des paysagistes hier et aujourd’hui face à la forêt. Se pencher sur des projets réalisés, sur les gestes et les interventions que des professionnels ont eu. C’est aussi revenir, à ce moment charnière qu’est la rédaction d’un mémoire de fin d’étude, sur les apports reçus lors de cette formation ; quelles sont les connaissances sur la forêt pour débuter le métier de paysagiste ; quelle place occupe la forêt dans la formation.
a) Quelle place pour la forêt dans les projets de paysagistes Il est très difficile de trouver des projets de paysagiste en forêt, on retrouve des interventions de ceux-ci, le plus célèbre étant Alain Freytet notamment dans la forêt de Fontainebleau où il a restauré et renouvelé le sentier Dénécourt. Il y a comme un vide de pratique des paysagistes en forêt, peut-être le sujet est-il trop technique et donc laissé à des ingénieurs spécialisés et qui possèdent un bagage technique certain. Il s’agit aussi probablement d’une absence de commandes publics concernant la forêt, ce qui amènent les agences de paysages a ne pas y intervenir et donc à éloigner les paysagistes ayant « réussis » et donc avec une présence médiatique et donc a entretenir cette absence de projet de paysage et de paysagistes représentatifs en forêt. Dans l’introduction du livre « Aménagement des grands paysages en France », écris par Jean Cabanel, c’est une « multitude d’hommes, de femmes d’enfants » qui ont aménagé la France dans tous ces recoins mais ce sont « les forestiers qui ont peuplé d’arbres les montagnes ». On voit immédiatement de façon très surprenante l’apanage d’une profession sur la plantation d’arbre. Dans le même ouvrage, une partie concerne les Cévennes et l’intervention qu’y ont eu Christine et Michel Péna. Hors dans cette partie on ne retrouve aucune occurrence du mot forêt alors que le Parc national des Cévennes est couvert à plus de 70% par la forêt. On pourrait croire que les paysagistes considèrent la
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forêt comme un vide qui n’est pas à aménager. Voici quelques interventions paysagères en forêt. La première est celle de l’agence ALEP dans la forêt de pin de Roussillon, parmi les ocres. Ici l’aménagement paysager consiste en promenade de découverte des anciennes carrières d’ocres de Roussillon. Sentiers qui partent d’une maison de découverte également mise en scène par l’agence ALEP. Ici la forêt n’est pas même l’objet principale de la visite puisque c’est son interaction avec le sol rouge qui est recherchée. Une intervention similaire à d’ailleurs été conduite par le paysagiste Rémi Duthoit dans le Colorado provençal à Rustrel, non loin de Roussillon et là aussi dans d’anciennes carrières d’ocres.
La forêt écrin d’une ballade de contrastes (Source: Agence ALEP)
Ou ici, au mémorial de Verdun dont le projet affiche comme ambition de reconnecter le mémorial à la forêt. C’est ici la clairière au milieu de laquelle est implantée le mémorial qui sera réaménagé et replanté pour faire lien. Ce projet est en concertation avec l’Onf et au sein d’une forêt remarquable gérée par elle. Là aussi cet aménagement paysager ne prétend pas faire autre chose que mettre en valeur et en relation forêt et bâtiment. La forêt étant aussi ici un mémorial et un lieu qui conserve la mémoire. Ce projet est réalisé par l’agence Let’s Grow, implantée à Bordeaux.
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Un mémorial au milieu d’une forêt mémoire (Source: Pierre Dabilly)
Enfin je me suis intéressé à une autre intervention d’Alain Freytet en forêt de Fontainebleau, au carrefour de l’Obélisque. Le projet consiste à remettre en valeur le patrimoine historique présent autour du carrefour. Il s’agit également de retravailler la perspective sur l’obélisque au centre du carrefour en éloignant la lisière forestière et en semant de la pelouse au pied de celui-ci.
La forêt patrimoine (Source: Alain Freyet)
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Enfin, pour compléter ce tour d’horizon de l’investissement de la forêt par les paysagistes-concepteurs, je me suis intéressé aux Victoires du Paysages. Cette cérémonie organisée tous les deux ans ce veux «une véritable distinction pour la filière paysage» avec pour objectif «promouvoir le paysage dans les projets d’aménagement privés et publics pour le replacer, ainsi que le végétal, au cœur de nos espaces de vie.» On a vu comment la forêt est bien un espace central de vie et d’usages pour les sociétés humaines depuis toujours. Il me semble donc intéressant de voir à quel point l’investissement des professionnels du paysage est valorisé et récompensé quand il a lieu en forêt. J’ai choisi arbitrairement de consulter l’édition 2016 des Victoires du Paysages et voir la place de la forêt dans les projets récompensés. Il est vrai que ces prix récompenses un certain type d’aménagement et une certaine vision du métier de paysagiste. En effet sur les 34 sites ou aménagements récompensés par le grand jury de l’édition 2016, on retrouve une écrasante majorité de sites en milieu urbain. Il existe d’ailleurs une catégorie spécifique, «espace à dominante naturelle», qui pourrait concerner l’aménagement de forêts ou d’infrastructures situées proche de celles-ci. Dans cette catégorie, 3 aménagements sont récompensés, et un seul se trouve en bordure de forêt et sur le plan d’aménagement et de projet celle-ci apparait en estompé et ne semble donc pas faire partie intégrante de l’aménagement mis en avant. Quand aux deux autres, il s’agit d’espaces de nature de petite dimension situés en milieu urbain. Le paysagiste semble, à la lecture de cette ouvrage, ne pas être impliqué dans la valorisation ou l’aménagement d’espaces forestiers de quelques soient la taille de ceux-ci.
Plan masse d’aménagement du site d’Arjuzanx (40) (Source: Atelier ALEP)
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b) Quels apports et connaissances dans l’enseignement Tout d’abord pour analyser le contenu de l’enseignement de la forêt à l’École de paysage et surtout dans l’enseignement des diplômes DPLG et aujourd’hui DEP, je me suis intéressé à sa place dans les contenus officiels ou référencés sur les sites internet des écoles qui dispensent ces diplômes. L’École Nationale Supérieure de Paysage Versailles-Marseille ainsi que les autres écoles visant à acquérir le titre de paysagiste-concepteur, sont des écoles qui se disent et se veulent de projet. C’est à dire que la pédagogie de projet a pour visée de transmettre une méthode de projet qui peut être défini comme « un processus imbriquant différentes démarches, souvent mobilisées simultanément par le praticien et visant à construire / transformer / gérer l’espace dans différentes situations et à différentes échelles. » (Référentiel DEP de ENSA-P Lille). Aujourd’hui l’enseignement de projet représente officiellement 40% du temps de l’enseignement et plus de la moitié des crédits d’enseignements (91 ects sur 180 pour les trois année de DEP). L’objectif étant de faire « comprendre comment les formes du territoire sont produites, comment il est possible de les transformer, de les infléchir ou de les révéler, comment créer de nouveaux paysages et renouveler l’identité d’un site, tels sont les objectifs fixés à la formation de paysagiste. » (Site de l’ENSP volet pédagogie). Il est vrai que d’un premier abord, la forêt présente peu de qualités plastiques, d’emprise de transformation même si la création de nouveaux paysages à travers la création d’une forêt ex-nihilo existe, c’est un phénomène qui prend beaucoup plus de temps que la création d’un espace public en ville. On constate dans les domaines d’actions du paysagiste, donné dans le référentiel du DEP par l’ENSA-P de Lille, que la forêt est seulement incluse dans « l’espace rural, agricole et forestier » soit une sous-catégorie parmi les neuf grands domaines d’interventions listés. Aujourd’hui , à Versailles, l’enseignement de la forêt est regroupé dans le module « Structures forestières et trames écologiques » intégré au premier
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semestre de DEP 3 il représente selon le programme officielle de formation 39 heures d’enseignements sur les 390 que comporte le semestre et compte pour 3 Ects sur les 30 du semestre, soit 5% du volume horaire et des crédits, rapporté à l’année. Celui-ci prend le nom de « séminaire forêt » dans l’emploi du temps. Cet enseignement prend place dans une petite forêt communale d’Orsay. Le « séminaire forêt » est repartie sur 7 jours entre Octobre et Novembre et est consacré à la visite de différents sites forestiers en Île-de-France avec les gestionnaires de ces sites pour comprendre leurs modes de gestion et les motivations sous-jacentes à ces gestions et le but recherché par le gestionnaire à travers cette gestion dans l’apparence de la forêt. L’idée étant de rencontrer l’ensemble des acteurs de la forêt, depuis le pépiniériste jusqu’au gestionnaire ONF pour les forêts publiques et CRPF pour les forêts privées. Le contenu plus théorique vise à connaitre les différents modes de traitement d’une forêt et sur le terrain à pouvoir les repérer et à comprendre comment ils impactent le paysage.
Planches des cours techniques de conduite d’une forêt
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Le rendu de ce séminaire forêt s’est déroulé dans la forêt communale de La Bouvêche à Orsay dans le Val-de-Marne. C’est une petite forêt qui se trouve en bordure de la N118, d’une surface d’environ 2,1 ha et qui est limitée au Nord et au Sud par deux Ehpad. L’objectif était de réfléchir à un plan de gestion pour l’ensemble de cette forêt, proposé par les étudiants à la mairie d’Orsay qui doit s’en inspirer , voir le mettre en œuvre. La forêt a pour cela été divisée en 9 secteurs sur lesquelles différents groupes ont travaillé pour proposer une vision d’avenir et suggérer quelles arbres devaient être coupés et lesquels devaient être gardés. Dans un premier temps, un inventaire du patrimoine arborée de la parcelle a été réalisé avec un état sanitaire des arbres en place ainsi qu’une détermination de la station.
La forêt de la Bouvêche à Orsay (Source: IGN 2017)
Fond cartographique Geoportail/IGN
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Ce rendu prend la forme d’un cortège de documents avec plans d’état des lieux, coupes et croquis d’ambiance. Un plan de gestion est ensuite fourni avec l’identification soit des arbres à conserver soit ceux à abattre. Enfin des croquis et coupes avec l’évolution de la parcelle suivant le plan de gestion établi.
Extrait des documents rendu dans le cadre du séminaire forêt
En analyse de ce séminaire consacré à la forêt, on peut se questionner non pas sur le but rechercher, à savoir, réfléchir à un plan de gestion forestier mais plutôt sur la pertinence de le faire sur une surface aussi réduite. En effet chaque groupe d’élèves avait à réaliser celui-ci sur un fragment d’une forêt de dimension déjà très modeste (2,1 ha). Ce qui, divisé par les 9 groupes représente une surface de 2300 m2. Sachant qu’en France, un plan simple de gestion est obligatoire pour les forêts de plus de 25 ha et facultatif pour celle d’au moins 10 ha. On est dans le cadre de cet exercice très loin de ces surfaces. La diversité des acteurs rencontrés durant ce séminaire est très intéressante et permet de brosser un tableau très large des acteurs du milieu forestier. Cependant le peu de temps accordé à la réalisation d’un plan de gestion, son application théorique sur une surface minimale réduit la portée de la «prise en main» d’une forêt par les étudiants-paysagistes. Cela peut même au contraire donner l’impression que le paysagiste est légitime pour s’impliquer sur de petites surfaces qu’il s’agit d’aménager voir d’agrémenter à la manière d’un jardin plutôt que de s’emparer de la complexité de gestions à longues échéances sur de grandes surfaces.
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Quelle forêt à la sortie de l’école ? Analyse de quelques mémoires et Travail Personnel de Fin d’Étude et Atelier Publique Régional se rapportant à la forêt réalisé à l’ENSP. En effectuant une recherche par mot-clés, seul cinq mémoires présentent le mot forêt dans leur titre dont l’un traite en réalité d’un jardin et un deuxième présente cette occurrence dans son titre car il traite de la commune de Meudon-la-Forêt. En ce qui concerne les TPFE, le centre de documentation recense quinze travaux d’étudiants. Pour rappel il y a entre 30 et 50 élèves par promotion et donc autant de mémoires et TPFE qui sont produits chaque année, soient quelques pour cent. Enfin pour les APR, il n’y a que 2 travaux avec le mot dans le titre. On peut immédiatement constater que la forêt n’est pas un thème facilement abordé par les étudiants lorsqu’ils ont à choisir des sujets pour des travaux de recherches ou d’expérimentation personnelle du projet. Bien sur un grand nombre de mémoires, d’APR et de TPFE traitent également de la forêt dans leurs propos et dans leurs réflexions mais il est forcément significatif de retrouver si peu d’occurrences au mot «forêt» dans le titre de ces travaux. De plus il était impossible, dans le cadre de ce travail fait sur un temps court, de consulter et de lire beaucoup plus de travaux d’anciens élèves. Je me suis donc concentré sur la lecture de ceux-ci. Qu’en est-il du contenu de ces travaux ? TPFE 2004 – Aurélie Wermuth – « Grandir avec la forêt » Même si le mot forêt est présent dans le titre lorsque l’on consulte le sommaire du TPFE celuici ne se retrouve que dans le titre du 24e chapitre de ce travail. Ici le travail est concentré sur l’agrandissement de la ville nouvelle de Sénart et si la présence de la forêt toute proche est constamment évoquée et que le travail sur la nouvelle urbanisation prend en compte la présence de cette forêt, l’image de la forêt est celle d’un écrin de loisir et d’une vie parfaite dont l’imaginaire est relativement caricaturale et proche de celui de Disney. La forêt est beaucoup plus une plantation d’arbres qui font décors. Effectivement la ville grandit et la surface boisée grandit également mais on s’interroge si la forêt grandit elle aussi.
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Planche d’illustration de l’ambiance forestière TPFE 2004 – Aurélie Wermuth – « Grandir avec la forêt »
Plan du projet, en noir la forêt TPFE 2004 – Aurélie Wermuth – « Grandir avec la forêt »
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TPFE 2009 – Tania Aubourg - « Tapiola, Cité-forêt » Ce travail est réalisé sur la ville de Tapiola en Finlande, qui est une ville nouvelle des années 50 réalisée sur le modèle des cités-jardins anglaises où la forêt remplace le jardin. De ce fait, le constat est fait d’une forêt vécue au quotidien par les habitants. La forêt est ici vu comme un prolongement de l’espace privé, en faisant un lieu ouvert où il n’y a pas de lisières. Le modèle d’urbanisation et le dessin des plans ayant été réalisés pour que la ville s’insère dans la forêt et non l’inverse. La forêt est ici l’élément stable du paysage autour duquel l’homme s’est inscrit. Cependant du fait de l’expansion urbaine la forêt a tout de même tendance à se fragmenter pour devenir un ensemble de boisements. La forêt se transforme en trame qui relie, axe, fait passage, elle devient un élément urbain à part entière. Néanmoins son évolution et sa gestion dans le temps sont peu documentés. Une fois de plus la forêt est vue comme un élément stable, presque fixe dont la temporalité est ignorée. La comparaison du regard porté sur la forêt en France et Finlande est intéressante entre espace de loisir en devenir pour l’une et espace de vie ancestral pour la seconde.
Planche d’immersion dans le territoire TPFE 2009 – Tania Aubourg - « Tapiola, Cité-forêt »
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Extrait du projet, la forêt pour relier différentes parties de la ville TPFE 2009 – Tania Aubourg - « Tapiola, Cité-forêt »
TPFE 2014 – Ambre Bodard – Appréhender la forêt par ses franges Travail sur la relation entre l’urbain et la forêt. Dans celui-ci la forêt est très vite limitée à une zone de loisirs. Même l’histoire de la forêt est assez vite réduite et est illustrée par des cases de la bande dessinée « Astérix ». C’est une vision assez réductrice et qui présente d’ailleurs une image scientifiquement fausse de la forêt à l’époque gallo-romaine. La gestion de la forêt est également rapidement évoquée alors que c’est un élément important, qui façonne énormément l’aspect d’une forêt. L’étudiante s’interroge d’ailleurs sur quelle est la différence
Planche de projet TPFE 2014 – Ambre Bodard – Appréhender la forêt par ses franges
Quand le paysagiste devient sylvain - Paysagiste et forêt : une convergence encore à naître ?
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entre « un parc et une forêt ? ». Et si la forêt est vu comme un rempart à l’urbanisation et donc un dernier endroit de nature, le projet choisi est de transformer la forêt de Saint Eutrope en parc à vocation sportive. Il émerge d’ailleurs dans l’analyse sensible d’être en forêt, qu’il est rassurant d’être en forêt, selon l’auteure, lorsque on voit la main de l’homme à travers des routes , fossés et autres ouvrages. Elle avoue même qu’il est encore plus rassurant d’être dans des espaces ouverts avec un horizon. On voit ici que le projet dans cette forêt ressemble à une mise en ordre de la forêt pour devenir un parc avec de belles pelouses, des terrains de sports, un sous-bois clair et dégagé. La forêt ne devient donc plus un espace vécu, ni à vivre, mais comme un espace de mise en défend de la ville pour permettre en son sein d’avoir des espaces ouverts « au calme ».
Planche de projet TPFE 2014 – Ambre Bodard – Appréhender la forêt par ses franges
TPFE 2015 – Gwenaëlle Charrier – Nourrir la ville de la Forêt Ce travail traite du rapport entre un grand massif forestier, le massif des Trois forêt avec la métropole parisienne. L’immersion en forêt proposée convoque immédiatement la sensibilité romantique mais en abordant, en reconnaissant et en acceptant l’aspect grandement anthropique de cette espace. Le triptyque d’enjeux/de valeurs de la forêt, à savoir, sociale, productive et environnementale reste au cœur des préoccupations et du travail. L’étude s’intéresse particulièrement aux lisières et aux contacts avec les villes limitrophes. Comment
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faire se rejoindre la forêt avec l’urbain sans nier aucunes des trois valeurs de la forêt, c’est le projet d’une rencontre forêt-ville. Celui-ci s’attache à rendre visible les mécanismes du vivant et de mettre en scène la réalité du fonctionnement d’une forêt et non plus de dissimuler les opérations qui y prennent place. L’idée développée étant de trouver un vocabulaire commun « aux pratiques de la forêt et aux pratiques urbaines » (Charrier, 2015). Ce travail s’intéresse ici à toutes les composantes de la forêt et donc véritablement de sa place dans le paysage. L’aspect esthétique est pris en compte, sa place face à la ville, ses usages mais aussi sa gestion dans le temps et son évolution et le projet est à l’échelle du territoire.
Planche d’évolution du couvert forestier dans le projet TPFE 2015 – Gwenaëlle Charrier – Nourrir la ville de la Forêt
Plan des trois forêts constitutives du massif TPFE 2015 – Gwenaëlle Charrier – Nourrir la ville de la Forêt
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APR 2014-2015 - Vers un nouveau rapport à la forêt dans le Var. - Commanditaire : Conseil Général du Var - Etudiants : Brice Dacheux-Auzière, Marylise Fillon, Antoine Magnon, Marie Petit Jouval Diop, Fanny Vesco - Encadrant : François Vadepied Cet APR a pour but de déterminer la place de la forêt à l’échelle du département varois et comment mieux la prendre en compte et l’utiliser et l’intégrer à la vie du département. L’importance est donnée au fait qu’il n’y a pas une mais des forêts et que la forêt et sa composante spatiale sur le territoire résulte en un paysage forestier. Ce paysage forestier résultant d’une dynamique avec l’homme. L’APR insiste ainsi sur le fait qu’il faut redéfinir sur le terrain et dans les esprits une culture de la forêt et du bois pour redonner une véritable place à la forêt dans le Var. Les étudiants réintroduisent la notion de saltus comme frange tampon du territoire qui fait lien avec la forêt. Frange a réinvestir par les actions de l’homme notamment au regard des incendies qui sont une menace réelle et ont un cout financier important. Enfin la conclusion est éloquente sur le rapport à construire et sur les opportunités à saisir à la fois pour les paysagistes et forestiers: «Au terme de ce travail sur la forêt varoise, il nous semble évident que la forêt méditerranéenne constitue pour le paysagiste un vaste champ d’étude, de projection, d’expérimentation assez peu exploré jusqu’à présent et porteur d’enjeux majeurs. (...) Mais surtout, on constate un hiatus entre les enjeux qui se concentrent dans cette lisière et le peu d’investissement dont elle fait l’objet de la part des urbanistes et paysagistes d’un côté, des forestiers de l’autre.» Opportunité, de composer ensemble un nouveau rapport au territoire forestier et particulièrement au saltus qui constitue la zone de rencontre entre ville et forêt. Celle-ci rappelle en outre que les paysagistes sont peu investis en forêt mais que face aux enjeux qui pèsent sur celle-ci «son avenir requiert de façon évidente une certaine capacité à inventer d’autres formes d’action, d’autres façons de projeter, d’autres processus de transformation», capacités intimement lié au métier de paysagiste-concepteur.
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Planches de l’APR
L’enseignement de la forêt reste relativement modeste au sein de l’ENSP. L’enseignement du projet à l’approche des problématiques urbaines reste très majoritaire. Si ces problématiques concernent effectivement une majorité de la population française, elles ne le sont pas lorsque on s’intéresse à la surface qu’elles occupent sur notre territoire. On peut s’interroger sur cette prégnance dans le projet quand une majorité des enseignants de projet sont des paysagistes d’agences soumises aux appels d’offres de projets urbains.
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c) Et les forestiers face aux paysages ? A l’exception du classement en « série artistique » d’une portion de la forêt de Fontainebleau au milieu de XIXe siècle, la prise en compte du paysage par les forestiers reste extrêmement limitée. La quasi totalité des grandes forêts ont ainsi des aménagements qui restent dans le cadre instauré par l’École de Nancy, la futaie régulière qui présente des grandes coupes régulière dans les forêts et donc le paysage. La prise en compte du paysage et des attentes du public par les forestiers est lente et progressive. Ce n’est que bien après les deux guerres mondiales que va émerger un « paysagisme d’aménagement ». Ces principes se basent sur les notions de forêt perçue, de forêt vécue, de lignes de forces, de vues internes et externes, d’esprit des lieux et d’échelle du paysage (Deuffic, 2005). Les opérations issues de ces principes visent surtout à intégrer les opérations de sylvicultures dans le paysage. A fondre celles-ci pour mettre en scène la forêt, surtout dans les espaces touristiques. Ce sont des solutions qui visent à adapter les techniques sylvicoles sans pour autant les changer. Même si souvent ces adaptations ne sont que des concessions à la marge qui parfois sont caricaturales et aboutissent à dissimuler au mieux les opérations en cours et notamment les coupes à blanc, les plus incomprises par le grand public. D’autant plus que ces opérations se consacrent le plus souvent à ménager l’aspect purement visuel et esthétique de la forêt et donc du paysage sans toujours prendre en compte la dimension écologique et affective que développe le public avec la forêt. (Deuffic, 2005)
Extrait des principes pour délimiter les coupes et en limiter l’impact visuel dans le paysage
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III)Devenir Paysagiste-Sylvain
III) Devenir paysagiste-sylvain
a) Un être paysagiste en devenir « Après tout, nous paysagistes, sommes juste là pour dévoiler un potentiel, impulser une dynamique du lieu, offrir notre regard » L’École Nationale Supérieure de Paysage est une école de projet fondée sur une pédagogie de la pratique et de l’expérimentation qui cependant demeure de plus en plus « en les murs » où l’expérimentation se déroule loin du vivant devant des écrans et dans des salles. La place pour la manipulation se réduisant d’autant et la place pour essayer « l’erreur » plus maigre. Et si il se développe une pensée universitaire, où la recherche et la théorisation gagnent et grandissent pour structurer une figure paysagiste dans la société, le parti inverse d’un retour à la terre et d’une extension de cette même figure vers un paysagiste qui fabrique de ses mains reste mince. L’évolution historique du métier allant dans ce sens et conjointement à la société. On constate ainsi une évolution rapide depuis 1976 de jardinierpaysagiste à paysagiste-aménageur aujourd’hui paysagiste-concepteur. Le paysagiste au croisement du fameux triptyque de Jean Luc Brisson : « le jardinier, l’artiste et l’ingénieur ». Cependant avec le développement très fort des enjeux posés par l’écologie et l’évolution de l’environnement, les interrogations sur l’avenir du paysagiste est réelle. Ainsi cet autre mémoire de recherche étudiant se demande si l’avenir ne pousse pas « vers des paysagisteécologues ? » (Gabillard, 2014). Ainsi est-il défini par une approche tactile et pratique au service de projets de paysages qui se veulent complets car ils abordent les dimensions fondamentales des enjeux politiques actuels (sociaux, économiques, écologiques) ». La question est également posée de la continuité collective de l’après-projet, quelle gestion de l’espace considéré, par quels moyens de transmission de cet espace par les paysagistes aux habitants du lieu ? Où émerge aussi une autre figure du paysagiste maître d’œuvre à mi chemin entre le gestionnaire et le concepteur où le projet va plus loin que la simple modification de l’espace offert, et où le projet voit ses limites temporelles s’élargir et par là même, la place du paysagiste s’agrandir.
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b) Une nouvelle rencontre avec la forêt. Après être sorti du jardin pour s’emparer de la ville, « le paysage est désormais considéré (…) comme un recours par l’urbanisme. » (Besse, 2009). Si cette conquête a été supporté par l’extension de la recherche en paysage, sa production littéraire et sa visibilité grandissante dans les médias et la législation (Loi Paysage en France en 1993 et Convention Européenne du paysage en 2000), la forêt reste un territoire peu investi par les paysagistes. C’est d’autant plus nécessaire dans le contexte actuel où les trois valeurs fondamentales de la forêt, sociale, productive et écologique, sont de plus en plus opposées et deviennent des enjeux. Investir la forêt avec une vision « paysagère » c’est y appliquer les fondements théorique du paysage. Notamment la notion de médiance proposée par Augustin Berque où le paysage est une entité médiante : il est totalement naturel et totalement culturel. Hors quoi de mieux que les forêts pour illustrer cette notion, surtout les forêts occidentales qui sont typiquement une production naturelle mise en culture par l’homme. Cette mise en culture est particulièrement intéressante dans la polysémie portée par le mot « culture ». Le projet de paysage est la pensée du possible contenue dans le réel et projeté dans le futur. C’est à partir de l’ensemble des strates contenues dans un site, et ici une forêt, et on a vu que contrairement aux apparences la forêt contient un grand nombre de strates humaines et naturelles, que le paysagiste cherche à faire vivre un possible à construire. Surtout en ce temps où la forêt est aux prises avec une réappropriation manifeste et de plus en plus grande de la part d’une population qui y projette un idéal de nature perdu dans la ville. On peut d’ailleurs s’interroger si ce n’est , non pas l’idéal qui est perdu mais plutôt la population habitant la ville. Et c’est dans cette perdition qu’est projeté un idéal de nature, idéal qui intrinsèquement n’existe pas, sur une forêt qui ne l’est pas non plus. C’est dans cette confrontation de nature et de culture que le paysagiste fonde sa pratique, le paysage étant lui-même issu de cette rencontre. C’est précisément là où le paysagiste-sylvain, comme en ville, invente à travers le projet un territoire existant en révélant « ce qui, (est) déjà là, dégage et dévoile par là un nouveau plan de la réalité. » (Besse, 2009). Les projections des visiteurs, au delà de satisfaire des usages actuels, reflet de la société des loisirs, sont peut être
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aussi un appel à des aspirations plus profondes. L’arrivée toujours plus grande de visiteurs en forêt peut s’inscrire dans une demande, encore minoritairement exprimée, d’un retour à plus long terme vers un espace, lieu de vie, qui sache mêler productif, social et écologie. Donner grâce au paysage, l’ouverture d’un monde et l’espace d’innovations sociales pour un nouveau vivre ensemble avec le vivant. Le paysagiste a pour lui la diversité de son enseignement et de sa culture qui lui fait approcher le territoire de manière diverse. Cette approche multidisciplinaire de la forêt est d’autant plus d’actualité avec le développement des « Chartes forestières de territoire ». Ce sont des outils instaurés par loi d’orientation sur la forêt de 2001 qui propose des outils aux élus locaux afin de créer un projet de développement forestier local. Ces projets, sous forme de charte entre les différents acteurs, visent de façon participative à aboutir à un diagnostic commun puis à des objectifs de gestion et enfin à un programme d’action pour l’ensemble des acteurs en rapport avec la forêt et le territoire (Dereix in Gavaland, Balent, 2008). Ces chartes visent à mettre en relation, à l’échelle d’un bassin de vie, l’ensemble des pratiques et des activités qui touchent la forêt : la mobilisation des bois, la transformation et la valorisation locale des bois, le développement de filières locales bois-énergie et bois construction, la gestion des usages multiples de la forêt (loisir de plein air, accueil, randonnée, chasse, …), la protection de l’environnement intégrée à la gestion forestière (Dereix in Gavaland, Balent, 2008). On retrouve là l’ensemble des éléments constitutifs d’un paysage et des facteurs agissant sur lui, le modifiant et qui le vivent. Le paysagiste peut être ici l’agrégateur de savoirs et de dialogue et celui qui permet d’agir directement sur la qualité paysagère des territoires. Le paysagiste doit ici s’emparer de l’ensemble des thématiques rencontrées sur le terrain, qui entourent et traversent la forêt. La forêt devient ici le cœur du projet et l’endroit de synergie et de convergence du territoire. Car si la forêt est aujourd’hui le siège, on l’a vu, de trois enjeux principaux que sont la production de bois, l’accueil du public et la préservation de l’environnement, c’est aussi le lieu d’une rencontre de ces trois éléments qui sont aux cœurs des problématiques de notre société toute entière, pour aujourd’hui comme pour demain. Il existe en effet peu d’espace où peuvent passer à un même endroit le producteur d’espace (ici le forestier), l’utilisateur (l’usager de loisir) ainsi que la biocénose. En effet il est bien rare par exemple que le champ qui est l’espace de production soit aussi traversé par le reste des habitants de l’espace, on ne
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fait le plus souvent que simplement le longer et donc le côtoyer. De même, la biocénose qui habitent dans les champs mis en culture est assez réduite. Même si avec le développement des cultures biologiques et avec le retour de pratiques agro-sylvo-pastorales, cet état est probablement amené à changer et les frontières entre nature et culture à nouveau un peu plus se dissiper. C’est cet espace fertile à l’agrégation et à la cohabitation sur l’écoumène dont doit s’emparer le paysagiste pour apporter sa réponse et se positionner. Il ne s’agirait plus « d’adapter le paysage à un projet sylvicole mais d’adapter les pratiques sylvicoles à un projet de paysage. » (Deuffic, 2005). De même le projet de paysage ne peut plus être porté seulement par un professionnel mais doit être au moins partagé sinon élaboré en concertation avec l’ensemble des usagers et habitants de l’espace forestier. Ce processus de concertation et d’approches multiples ne peut être porté par le forestier que difficilement.
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Il ne faut pas oublier que si on a souvent donné pour habitat aux génies, aux nymphes ou aux fées, la forêt, « l’esprit qui souffle ici et inspire (…) n’est autre que celui de l’art, qui par notre regard, artialise le pays en paysage. » (Roger, 1997). Hors l’espace forestier a été depuis longtemps marqué par l’art. C’est un mouvement artistique, l’école de Barbizon, qui va investir la forêt de Fontainebleau en premier pour en transformer l’approche et y inventer le tourisme en forêt. Cela va profondément modifié le rapport de la société à la forêt. Le rapport de loisirs, même si il s’est diversifié, est issu directement de ce mouvement et porte toujours sur la forêt ce regard romantique de nature idéalisée et parfaite. Le paysagiste, lui aussi issu d’un parcours artistique, possède là des compétences pour interagir avec ces représentations, les comprendre, les analyser mais surtout les interroger, les questionner et par son travail les ré-interpréter.
Etre paysagiste-sylvain c’est peut-être aussi s’immiscer dans le temps des arbres et de la forêt. Le temps de l’arbre est un temps qui dépasse celui de l’Homme. Un temps plus grand, plus lent, un temps long de la forêt qui conserve en lui les traces des autres hommes. Être Paysagiste-Sylvain c’est ici prendre conscience de ce temps qui nous est livré par les arbres. C’est d’abord l’accepter et le respecter. Puis c’est en prendre soin
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pour le transmettre. Et face à ce temps le paysagiste ne peut être un simple faiseur de projet. Il ne peut se contenter de venir quelques jours sur un site, en ressentir l’esprit puis depuis son écran, dessiner un projet qui naîtra de sa plume, s’implantera puis lui passera à d’autres lieux, d’autres esquisses, d’autres projets. La forêt se vit car elle pousse et meurt chaque jour, elle n’a pas d’état fini. On le verra dans la quatrième partie mais un aménagement forestier est réalisé pour 25 ans puis se réalise pendant 25 ans. Ce qui signifie que chaque année voir en réalité plusieurs fois par an, il y a des décisions à prendre des arbres à couper, d’autres à planter. Faire du paysage en forêt c’est accompagner ses changements, ce mouvement. La forêt est la grande échelle d’un jardin sans enclos, là où intimement nature et culture peuvent se mélanger. Il y a une potentialité du temps en forêt. La forêt est en elle même immortelle, elle repoussera toujours sous une forme ou une autre, on le voit en Méditerranée où le feu d’une suberaie de chênes verts fera renaître la pinède de pin d’Alep, on l’a vu en 1988 lorsqu’un incendie, qui ravagea près de 36% du parc nationale de Yellowstone, fit apparaître une diversité végétale impensable. La mort et la chute d’un arbre peu être vu comme une explosion de vie que la lumière de sa chute va amener au sol, le pourrissement de son tronc apporter saprophages, refuges puis plus tard fertilité. Paysagiste-sylvain c’est ,peut-être, une façon d’engager dans un milieu précis, un changement profond dans notre manière d’habiter la Terre. Un retour à un habité qui prend en compte l’ensemble des strates vivantes et sociales qui composent le territoire. C’est en partant de ce qui est déjà là, à partir d’Histoire et de fictions, à partir des hommes qui y vivent et meurent, à partir de l’esprit des lieux. C’est trouver la trame, le fil qui relie chaque élément d’une forêt pour structurer les formes et les forces dans une relation à des mondes en devenir. Affirmer des possibles pour transformer nos modes d’existences, d’habitation, de gouvernement,... Etre paysagiste-sylvain c’est avoir une pensée potentielle sur la forêt et le vivant. C’est partager afin de mettre en commun ce qui nous sépare sur un territoire qui nous uni. C’est relier ce qui nous éloigne. C’est prendre le temps de tisser, de faire, de laisser faire, de laisser naître, ensemble... Dans cet art du temps, le paysagiste-sylvain peut aussi ne pas intervenir et simplement être un accompagnateur du travail de la nature. De cette contemplation, faire naître des mots pour décrire, des images pour illustrer, des dessins pour imaginer, des sculptures pour animer, ...
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IV) Intervenir
IV) Intervenir
a) Quelles interventions possibles dans une forêt public : la forêt domaniale de Liffré La forêt domaniale de Liffré est située à 24 Km au Nord-Est de Rennes et est d’une superficie de 1024 ha. Elle se trouve au cœur de l’ensemble forestier des Marches de Bretagne. FD de Fougères Fougères
Aubigné
Bois de la Ferté et de Chinsève
FD de St-Aubin-du-Cormier
Forêt publique (Domanial ou non)
Bois d’Uzel et de l’Ecot Sec
Liffré
Forêt privée
FD de Liffré
FD de Rennes
Source: Fond cartographique Geoportail/IGN
Bois des Pruniers Forêt de Chevré Forêt Départementale de la Corbière
Rennes
Vitré
Elle est située à proximité d’un bassin de population d’environ 640 000 habitants et dans lequel la forêt domaniale de Rennes a depuis longtemps été investie par les loisirs et bénéficie en ce sens de plus d’attention pour l’accueil du public. On y dénombre plus de sentiers (pédestre, cyclable ou équestre), treize plus un GR contre trois plus une variante de GR pour la forêt de Liffré.
Guide touristique de 1937
Source: ONF
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Cette forêt possède une longue histoire de gestion sylvicole avec affectation permanente. Elle possède en outre un potentiel de production de bois important pour la Bretagne avec environ 10% du volume de bois vendu en qualité merrain et une production moyenne de 5,2 m3/Ha/an.
Carte de Cassini - 1789 Source: ONF
Plan d’aménagement forestier du début du 20e siècle avec les affectations permanentes.
Cette forêt est actuellement gérée en futaie régulière. L’aménagement forestier en cours, qui s’étend de 2014 à 2033 fait apparaître une zone de coupe très importante et contiguë qui pourrait donner l’apparence, aussi bien extérieure qu’intérieure, d’une forêt coupée en deux.
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Forêt domaniale de LIFFRE
Aménagement
Service aménagement littoral Carte réalisée en février 2014
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projet : K:\Doss\X832501\0_amgt\x832504\liffre\Liffre_AMENAGEMENT.mxd
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A régénérer en 1er période (2014-2018) A régénérer en 2ème période (2019-2023) A régénérer en 3ème période (2024-2028)
Source: ONF
A régénérer en 4ème période (2029-2033)
Edr 25®, ©IGN, Paris, 2006 - Reproduction interdite Marché IGN - MAP n°0400061
0
425
850
1 275
1 700 Mètres
1:18 000
Plan d’aménagement de la forêt de Liffré par l’ONF Bretagne
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Un risque de fragmentation de la forêt
A84
D812
Surface continue ouverte en régénération en 2023: 143 ha Plus grande longueur: 2,2 km Plus grande largeur: 930 m
D100
Fracture de coupe Fracture d’infrastructure Parcelles en régénération à l’horizon 2023
La particularité de cette forêt est assez frappante. La forêt recouvre l’un des coteaux du vallon de l’Illet alors que les points de vue sur celle-ci se trouvent sur la D26 qui longe le coteau opposé. Les points d’accès eux se trouvent au Sud de la forêt sur les points hauts. Ce qui fait qu’on accède à la forêt sans la voir et on la voit sans pouvoir y accéder immédiatement. J’ai considéré ici les points de vue que l’on peut avoir depuis les 3 routes qui traversent la forêt comme des points de vues externes, considérant que lorsque on se trouve sur la route on ne fait justement que la traverser sans s’y arrêter et que depuis les vitres d’une voiture on ne peut avoir qu’un point de vue externe et distancé sur le paysage et ici la forêt. En ce qui concerne les points de vues internes, je me suis focalisé sur le GR qui traverse cette forêt et qui concentre la plupart des usagers de loisirs de cette forêt. Ce GR traversant aujourd’hui les parcelles en cours de régénération, il donne à voir la diversité des aspects que prend actuellement la forêt. Carrefour de Villeneuve
Limite de la Forêt Domaniale RF de la Martois Le Domaine
l’Illet
La Hubertais / D26 la Frontinais
A A’
A’ A
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Entrée de Gosné La Hubertais A84
La Grimaudais Le Dezerseul D812 GR39 / Parcelle 106
Parking de La Martois
Maison forestière de la chapelle St-Pierre
D100
GR39 / Carrefour de Villeneuve
Cartes des principaux points de vues externes, internes et les voies d’accès dans la forêt.
Carrefour des 7 chemins
La Biquerie
GR39 / Parcelle 93 GR39 / Carrefour de Pied de Haie
Source: Fond cartographique Geoportail/IGN
Vue sur la forêt depuis le Nord et le village de Gosné
Vue sur la forêt et les parcelles en cours de régénération depuis le hameau de Le Dezerseul. Les opérations qui ont lieu sur la crête sont particulièrement visibles.
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Maison forestière de St Pierre
Carrefour de Villeneuve
Carrefour des 7 chemins
Les enjeux qui se posent sur cette forêt sont de trouver comment limiter l’impact des coupes à venir alors que beaucoup des coupes prévues dans l’aménagement ont débuté. Celles-ci sont à des stades différents de la régénération et suivent à la lettre le parcellaire de la forêt. On se retrouve donc avec des différences marqués et des formes géométriques dans l’espace. La surface en régénération et son regroupement impose une adaptation pour minimiser sa perception. Cependant la forêt de Liffré étant en Bretagne un maillon essentiel de la production de bois en Bretagne, il s’agira d’essayer de maintenir les objectifs de régénération et de production sylvicole.
Aquarelle vue depuis le hameau de La Hubertais à la fin des régénérations prévues
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Il s’agit ainsi de maintenir la continuité visuelle d’un massif forestier unique, en gardant des masses boisées facilement perceptibles, tout en apportant une attention particulière à la crête située au Sud de la forêt et sur laquelle les opérations sylvicoles sont les plus visibles. Il s’agit de même pour les personnes qui fréquentent la forêt de faire en sorte que l’impression d’être dans une forêt demeure constante en s’appuyant pour cela sur une diversification des opérations sylvicoles et de maintenir au sein des parcelles en régénérations des bouquets d’arbres, de végétations et des arbres morts pour diversifier les perceptions. La solution peut passer par une modification des prévisions de l’aménagement sur les parcelles dont la régénération reste encore à commencer. La gestion ne pouvant être modifiée sur les parcelles en cours de régénérations, les semenciers encore sur pieds étant souvent déjà vendus ou les maintenir serait préjudiciable pour leur état sanitaire, la descente de sève étant parfois commencée. Un redécoupage et une modification du temps des coupes étant proposée sur la plage de l’aménagement initial. Celui-ci est effectué pour s’appuyer sur les courbes de niveaux et garantir une meilleure intégration paysagère, notamment d’un point de vue externe.
Plan des nouvelles coupes avec la temporalité des réalisations jusqu’en 2033 2014 - 2018 2019 - 2023 2024 - 2028 2029 - 2033 Régénération suivante
Source: Fond cartographique Geoportail/IGN
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La régénération en bande parallèle aux courbes de niveaux permet de limiter l’impact visuel extérieur. En outre l’idée est de laisser une masse boisée linéaire sur la crête, la différenciation des régénérations dans le temps permettra de réduire l’impact d’une crête nue lors de l’aménagement suivant quand celle-ci entrera dans une phase de régénération et donc de coupe. Le redécoupage a pour but, dans la partie basse de la forêt au Nord, de garder le plus longtemps possible une bande de forêt constituée, assez large en lisière, pour maintenir à la fois en vision externe et interne l’impression d’une forêt close.
L’angle de la parcelle 103 est à intégrer dans la dernière phase de la régénération afin de casser l’aspect géométrique de la parcelle qui serait très visible à cet endroit en vision interne et externe. L’ampleur de cette inclusion se fera en fonction des arbres disponibles au moment du martelage.
La largeur de la bande à maintenir est à déterminer afin de maintenir des conditions écologiques à la croissance des peuplements de chênes. Ici la largeur minimale dessinée est de 90m. L’objectif paysager optimum est de garder une bande boisée le plus au Sud dans la parcelle 103 afin de fermer au maximum les vues internes, notamment depuis les parcelles situées à l’Est mais également depuis les crêtes au Sud.
Source: Fond cartographique Geoportail/IGN
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Pré-vision de l’évolution dans le temps des coupes de régénérations vue depuis le Sud de Gosné. Aujourd’hui
2019
2028
2033
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Orienter la fréquentation de la forêt Parcelles de Gros Bois actuelles / en devenir
Motte castrale
Parcelles de sénescence Parcelles en régénération
MF St Pierre
Parking Point d’intérêt Nouveau tracé possible Tracé du GR actuel Ancienne voie romaine
Carrefour des 7 chemins
Source: Fond cartographique Geoportail/IGN
Cette forêt est encore peu fréquentée, comparée à celle de Rennes. Surtout on se rend compte lors d’interview avec les usagers et les habitants du village de Liffré, que cette forêt a un déficit d’image et qu’elle est fréquentée surtout par des habitants du proche voisinage. On peut s’attendre vu le dynamisme démographique du bassin rennais que de plus en plus de personnes fréquentent cette forêt ou reportent leurs usages depuis la forêt de Rennes vers celle de Liffré. Pour pérenniser sa fréquentation et anticiper la hausse possible de celle-ci, on peut envisager; comme deuxième grande action, d’orienter les usagers vers les futaies âgées et constituées qui se situeront après les coupes dans la partie Est de la forêt. Cette partie de la forêt présente aussi d’autres points d’intérêts comme le carrefour des 7 chemins ou l’ancienne voie romaine. L’idée est de s’appuyer sur le tracé d’une variante du GR qui passe par la forêt et ainsi modifier son tracé en fonction des coupes pour que celui-ci traverse non pas seulement les parcelles de gros bois mais que celui-ci soit un support mouvant dans l’approche de la forêt. C’est aussi aménager les points remarquables et les différents accès à la forêt. Ici c’est le parking du carrefour de la Brézille située à l’Est qui pourrait être agrandi, sécurisé et mieux aménagé pour favoriser la fréquentation de cette partie de la forêt. C’est de même, aménager le carrefour des 7 chemins
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qui est une pièce centrale et remarquable mais qui est aujourd’hui peu mise en valeur. L’idée plus générale est que la fréquentation de la forêt, ainsi que les aménagements et équipements qui lui sont liés soient mobiles au cours du temps et en fonction des parcelles en régénération. La forêt n’est pas un objet fixe de nature au cours du temps, c’est un lieu aménagé par l’homme qui évolue sur de longues séquences. Sa fréquentation pourrait suivre ces évolutions pour mieux répondre aux attentes du public mais aussi pour sa mise en sécurité loin des zones de coupes, sa mise à l’écart des endroits aux plantations sensibles ou pour l’éloigner de zones de faunes et de flores à protéger. C’est ainsi pour le gestionnaire avoir un rapport dynamique avec les usages et les usagers.
Aménagement du parking du Carrefour de la Brézille, situé désormais au cœur de la partie de la forêt la plus attractive.
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Équiper les points d’intérêts en devenir de mobilier et de signalétique, ici le carrefour des 7 chemins
Enfin un troisième axe de réflexion est d’améliorer la communication auprès du public et des collectivités locales. L’idée est de pouvoir réfléchir à des documents montrant le travail et la réflexion du gestionnaire (ici l’ONF) dans sa prise en compte du paysage en forêt de Liffré mais aussi de montrer au public les différentes étapes de la vie d’une forêt en exploitation. Puis de décliner ce travail de présentation et de pédagogie auprès du grand public avec là aussi un travail de plaquette explicative et éventuellement un travail de panneaux positionnés en forêt. L’ONF étant de plus en plus confronté à l’incompréhension de certains usagés de la forêt face aux coupes d’arbres néanmoins nécessaires à la gestion de celle-ci dans le cadre d’une gestion en futaie régulière. Ce mode de gestion est bien sûr de plus en plus remis en question par le grand public du fait d’un stade où une partie de la forêt est uniquement à un étage de semis. Cependant à l’opposé c’est ce mode de gestion qui permet d’obtenir des forêts «cathédrales» qui sont elles particulièrement appréciées et fréquentées. On voit donc qu’il est nécessaire d’expliquer à l’ensemble des usagers de la forêt comment celle-ci est gérée et quels sont les résultats positifs et négatifs de cette gestion. Ici le but n’était pas de remettre en question le mode de gestion car le mode régulier est encore très implanté dans les esprits des forestiers car en vigueur depuis 1824 et l’introduction de la méthode «allemande». L’idée était de réussir comment mieux l’adapter au terrain pour que l’apparence de la forêt soit moins anthropique.
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C’est aussi d’insuffler un changement de pratiques et de visions sur la forêts aux forestiers, car la futaie régulière sur affectations permanentes comme c’est le cas ici et lorsqu’elles sont issues de forêts où cette pratique est réalisée depuis longtemps sont aussi longue à changer car cette pratique amène de large portion de forêt à être coupé simultanément sous peine de risquer de perdre une partie des vieux bois et donc des bois avec le plus de valeur. Cependant il est nécessaire de questionner cette façon de faire, en effet les modes de gestions de la forêt se sont efforcés de s’adapter aux besoins économiques et sociaux de la société. Les contextes étant multiples en forêt avec de multiples méthodes pour y répondre. L’étude de ces différentes méthodes de gestion forestière est essentielle pour comprendre les différentes façons d’intervenir sur une forêt et à travers ces méthodes comprendre leurs impacts sur le paysage ou les paysages qu’ils soient visuels, ressentis, vécus ou imaginés. Nous sommes actuellement dans une phase d’ajustement aux besoins économiques et sociaux, ces derniers évoluant de plus en plus, bien plus que la forêt et ces cycles longs. Ce sont des ajustement face notamment : à la dégradation des prix du bois qui induit une amélioration de la qualité et une diminution des coûts ; à la migration de la population rurale vers les villes qui induit une perte de la perception traditionnelle des forêts ; face aux catastrophes météorologiques et biotiques et aux changement actuellement en cours y compris en France et enfin face aux objectifs de protection de la nature et de la biodiversité qui sont eux aussi relativement nouveau (Bruciamacchie, de Turckheim, 2005). Une des méthodes de gestion est la futaie jardinée. C’est la recherche d’un peuplement « idéal » par parcelle : on cherche une stabilité et une optimalité des arbres présents dans la forêt, cette méthode permet une adaptation aux besoins du propriétaire et à celui du marché de bois. La futaie jardinée est employée dans les futaies résineuses de montagne et moyenne montagne, notamment les Vosges, le Jura et le Vercors. C’est un cas particulier de la futaie irrégulière qui est réservée aux essences supportant l’ombre dans leur jeunesse : sapin, épicéa et hêtre. Elle veut se rapprocher de ce qu’on trouve dans la forêt vierge (forêt climacique) : stabilité écologique remarquable ; grande variabilité d’age des peuplements ; toutes les formes de structures forestières coexistent ; volume de biomasse très élevé ; dommages biotiques très rares. La grande différence étant que les arbres sont récoltés avant leur dépérissement et leur chute.
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Le progrès des connaissances scientifiques sur les arbres et sur le milieu forestier ont fait grandement évoluer le regard et la manière qu’ont les sylviculteurs d’agir. Se développe aujourd’hui une sylviculture sur des bases écologiques : être adaptée à la station ; tenir compte avec précision des exigences et des réactions ordinaires des essences forestière (autoécologie) ; tenir compte des découvertes scientifiques notamment dans la socialisation des espèces (synécologie) ; tenir compte de la dynamique forestière. Cette sylviculture se donnant pour objectifs de réunir dans cette méthode la protection de la nature, la production de bois et les fonctions protectrices de la forêt. D’inspiration éco-systémique, elle se veut comme une futaie irrégulière, continue et proche de la nature. Cette méthode permettant en outre une gestion de la qualité qui offre une plage de progression beaucoup plus importante que la gestion de la production en volume comme très souvent employé en futaie régulière. Et ainsi permettre une production de gros bois de bonne qualité à forte valeur ajoutée car c’est une nécessité pour valoriser économiquement la forêt occidentale (Bruciamacchie, de Turckheim, 2005). Dans cette gestion la philosophie est de donner et laisser suffisamment de places aux différents arbres pour qu’ils expriment toutes leur fonctions : des arbre producteurs (accumulation de bois de valeur) ; des arbre protecteurs qui ne produisent pas directement de hautes valeurs mais protègent soit les grands producteurs soit les semis ou jeunes tiges ; les semenciers qui permettent la régénération de la forêt ; les stabilisateurs qui protègent contre les tempêtes ; les arbres esthétiques et enfin les arbres hôtes qui accueillent la faune y compris les arbres morts. Les principales contraintes d’une exploitation en futaie irrégulière sont la nécessité d’un cloisonnement efficace pour pouvoir accéder rapidement et sans dommage pour le sol et la flore à l’ensemble de la forêt, un martelage par pied d’arbre très précis et déterminant et surtout un personnel très bien formé avec un savoir sur l’ensemble des éléments constitutif du milieu forestier. Le changement d’une méthode à une autre demande un investissement humain et un temps non négligeable mais qui devient de plus en plus nécessaire à mesure que le public se réapproprie les forêts pour son loisir. Cette réappropriation et les contraintes qu’elles font peser sur le gestionnaire ou le propriétaire d’une forêt sont des matériaux de réflexions féconds où le paysagiste à toute sa place pour interagir avec les différents acteurs dès lors qu’il possède une culture forestière suffisante pour maîtriser et appréhender finement les dynamiques humaines et naturelles qui sont à
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l’œuvre. Il faut donc aussi posséder un attrait pour la sociologie et les nécessaires interactions grandissantes avec des forestiers qui sont bien trop souvent isolés et pressés par leur Histoire et les nécessités financières des ventes de bois pour s’emparer de la cohabitation des usages pleinement.
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b) Quelles manière de faire dans un lointain forestier : mosaïque forestière dans la campagne lorraine Ce terrain d’intervention est bien différent du précédent. J’ai choisi de m’interroger sur ce territoire car c’est ici que vivent mes grands-parents depuis 30 ans, ma grand-mère y est né. Ici les liens ancestraux, pour ma famille comme pour beaucoup des habitants, sont profonds et encore pour la majorité connectée à un élément primordial: la terre. C’est aussi ce lien qu’il m’importe de travailler. Quel lien a la forêt avec ces habitants ? Quel est mon lien, et qu’est que ça veut dire être paysagiste sur un territoire chargé de racines profondes pour moi et pour beaucoup. Trouver les ressorts peut être plus sociologiques d’intervention, faire du paysage différemment, avec les mots, avec le dialogue, avec la parole ou avec des gestes plus simples et aussi plus forts. Comment venir ici et travailler le regard de ceux qui sont nés et mourront ici, comme leurs pères et les pères de leurs pères. Où beaucoup de choses apparaissent immuables et où pourtant l’Histoire est forte.
La commune de Leintrey vue depuis le Sud-Est
Ce territoire c’est la commune de Leintrey, dans le département de Meurthe-et-Moselle, région Grand-Est. C’est une commune rurale qui n’a plus que 136 habitants en 2015, désormais en dessous de son plus bas historique au sortir de la Seconde guerre mondiale en 1946. La population est en baisse continue, à l’exception d’un rebond dans les années 60, depuis le milieu du XIXe siècle (650 habitants en 1851). C’est une commune nichée au creux d’un vallon, entourée de collines où s’étirent champs et forêts. Aujourd’hui la commune couvre une superficie de 1 544 ha, la forêt couvre elle 665 ha, le village et ses arrières cours jardinées 20 ha, les étangs artificiels 8 ha, le reste étant des
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champs. La commune possède deux forêts communales, gérées par l’ONF mais avec un droit d’affouage encore très vivant : le Rémabois (67 ha) et le bois de Sauxure (67 ha). Il existe deux forêts domaniales, le Haut de Bouzimont (26 ha) et le bois qui entoure les Entonnoirs (24 ha). Enfin les Entonnoirs sont un site historique de la Première Guerre mondiale, propriété du Ministère des anciens combattants. Le reste de la surface forestière est divisée en de très nombreuses parcelles privées pour des dimensions relativement petites de quelques
Le territoire communal de Leintrey (Source : IGN / FEDER / Préfecture de la région Grand-Est)
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hectares. Une exception notable, un seul propriétaire pour une parcelle continue de près de 130 ha dans les Amienbois. Le village de Leintrey a connu une histoire mouvementée. Situé à 4 km de ce qui fut de 1871 à 1918 et de 1939 à 1944 la frontière entre la France et l’Allemagne (aujourd’hui séparation entre les départements de la Moselle et de la Meurtheet-Moselle). Cette proximité l’a fortement touchée durant les 3 conflits successifs entre la France et l’Allemagne. Particulièrement au cours de la Première guerre mondiale, la ligne de front passait à l’endroit du village avec les tranchées allemandes situées depuis le NordEst du village, sur les hauts de Bouzimont jusqu’à la lisière Sud du village et les françaises situées en face sur la crête qui passe par le bois des Entonnoirs. C’est aujourd’hui pourquoi ce sont deux forêts domaniales car au sortir de la guerre, alors que le village a été entièrement détruit, ces deux sites sont classés dans la « zone rouge », là où les dommages de guerre sont trop importants pour que les anciennes terres agricoles puissent être rendues à leurs anciens propriétaires et deviennent donc propriété de l’État. Ces bois possèdent une valeur mémorielle forte et on retrouve partout dans ceux-ci ainsi que dans la majorité des forêts de la commune des traces de ce conflit. Ainsi sous l’apparente douceur de ces collines, se cachent des cicatrices importantes. Les forêts étant également particulièrement efficaces pour conserver les formes passées, on retrouve dans beaucoup d’entre elles, les tranchées encore parfaitement dessinées, les bunkers et les entrées de tunnels.
Les traces actuelles des tranchées en forêt
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Carte postale de 1918 de Leintrey à la fin des combats (Source Thierry MEURANT / www.blamont.info)
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Les Entonnoirs sont le lieux où cette mémoire est la plus visible et la plus connue. Ce sont 4 gigantesques trous résultant de l’explosion de mines, placées sous les tranchées françaises, et qui explosèrent en juillet 1916, faisant disparaître une compagnie de l’armée française, soit 73 hommes. Aujourd’hui le site est aménagé pour le préserver et le souvenir de cet événement.
L’un des entonnoirs d’un diamètre de 50m et profond de 40m
Mais les traces sont aussi beaucoup moins visibles au premiers abords, ainsi beaucoup des vieux arbres sont encore truffés d’éclats d’obus faisant d’autant baisser leurs valeurs économiques. Cependant malgré les tourments importants de l’Histoire du début du XXe siècle, le paysage de ce village a très peu changé au cours des derniers siècles. Si on compare un extrait de la feuille 142 des levées de Cassini éditée en 1760, la carte d’état major de 1866, une photo aérienne de 1972 et une photo aérienne aujourd’hui, on
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s’aperçoit que la géomorphologie du territoire a peu changé au cours du temps, que les grands massifs forestiers sont toujours en place même si ils se sont légèrement étendus, de même que les axes de communications (les routes ainsi que la voie ferrée) et l’emprise du village.
Extrait de la feuille 142 de Cassini (1760)
Photo aérienne (1972)
Extrait de la carte d’État major (1866)
Photo aérienne + carte topographique (2015/2017)
Crédits cartographiques © IGN
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Néanmoins lorsque l’on rentre dans le détail, comme tous les territoires ruraux en France, il a subit des changements très importants du fait de l’évolution de l’agriculture. Au XXe siècle, la commune a réalisé deux remembrements en 1933 et 1967 qui voient la taille des parcelles, y compris les parcelles forestières, se regrouper et grandir. Exception notable, les parcelles classées dans la « zone rouge » au sortir de la Première guerre mondiale et qui ne sont pas incluses dans le domaine de l’État, ne subiront aucun remembrement et l’on retrouve encore aujourd’hui dans ces secteurs des parcelles de quelques dizaines d’ares, là aussi cela concerne des parcelles de forêts.
Extrait du cadastre de 1933 avec les parcelles situées sur la zone rouge et non remembrées
Il existe encore à Leintrey une pratique ancestrale issue du droit féodal, l’affouage. C’est le droit pour les habitants de la commune, ici pour chaque foyer qui paye la taxe d’ordure ménagère et qui se chauffe au bois, de prélever du bois de chauffage dans les bois communaux, sous la gestion de l’Onf qui détermine chaque année les parcelles dans lesquelles seront prélevées le bois. Ce bois est vendu par la commune au tarif de 8 euros le stère (1m3), soit un prix symbolique par rapport au prix du marché (50 à 75 euros). La période de prélèvement (coupe du bois en forêt) pour l’année 2018 s’achève le 15 Avril et 25 habitants y ont participé. Cette pratique est à nouveau en augmentation, après une baisse dans les années 70 et le fuel peu cher, grâce au développement du chauffage central, de nouvelles chaudières à bois beaucoup plus efficientes et du coût de l’énergie augmentant.
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Les tas de bois issus de l’affouage dans le Rémabois
A la suite d’entretiens effectués auprès de certains habitants dont le maire de la commune, Mr Bernard Batho, ainsi qu’avec mes grands-parents sur leurs rapports au territoire communal et plus particulièrement à la forêt, il en ressort un rapport multiple et dense. Ainsi la forêt recouvre, on l’a vue, une superficie de plus de 600 ha soit environ 40% de celle-ci. C’est déjà légèrement plus que la moyenne nationale (31%) et bien plus rapporté au nombre d’habitants 4,4 ha/hab, en s’intéressant aux forêts communales on remarque la symétrie symbolique des chiffres 135 habitants pour 135 ha de forêts en commun. La pratique de la forêt est encore très profondément inscrite dans la vie des habitants. L’affouage étant bien représentatif de ce rapport vivant et ancien à la forêt. Il est en effet remarquable qu’elle réunisse encore 25 habitants cette année (et jusqu’à 40), soit 18% des habitants mais plus du quart si on enlève les moins de 15 ans (17) et les plus de 75 ans (14). Donc près d’une personne sur quatre est encore « forestière » dans le sens où elle possède encore le savoir, la volonté et les ressources pour se fournir en bois de chauffage dans les bois de sa commune et donc entretien toujours avec elle un rapport « productif » direct. Et ici la pratique et les connaissances ont été acquises au sein de la famille, « J’ai appris en faisant avec mon père » (Christian Morelli) ; « J’ai pas appris à l’école, j’ai appris comme ça. » (Pierre Winterstein). Rapport également incarné par le maire et la municipalité qui continue de racheter des parcelles de forêt pour enrichir le « patrimoine de la commune » et dont le maire a ouvertement regretté de ne s’être pas porté acquéreur de la forêt des Amienbois lors de sa dernière session il y a 10 ans et qui aurait presque doublé ce patrimoine. C’est aussi un
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rapport plus direct des propriétaires, nombre encore d’habitants restent propriétaires d’une parcelle de forêt, certes plus ou moins grande et plus ou moins entretenue. Souvent, comme c’est le cas pour mes grands-parents, c’est la seule propriété de « terre » qu’il reste de leurs ancêtres paysans. En effet les terres agricoles ont toujours trouvé rapidement acquéreurs par les agriculteurs restant en activité, toujours dans la nécessité d’étendre leurs exploitations à l’aune de la PAC et des pratiques extensives. La pratique de la forêt se fait également à travers la chasse, loisir toujours très présent dans le village à travers une Association communale de chasse agréée qui organise des chasses deux dimanches sur trois durant la saison d’octobre à mars et qui réunit 23 chasseurs partenaires, 20 de Leintrey et 3 extérieurs plus les invités que chacun peut ramener. Ces chasses demeurent un moment de socialisation masculine très forte car c’est là que se retrouve retraités, agriculteurs et actifs travaillant à l’extérieur du village ou même les quelques invités ou parents en visite lors des vacances ou des week-end. L’importance de la couverture forestière amenant un gibier nombreux et constant d’année en année, notamment le sanglier qui est ici «une bête mythique, qui excite les gens» (Patrice Poirson). La chasse est aussi l’occasion de parcourir l’ensemble du territoire forestier de la commune. En effet chaque journée de chasse va parcourir selon les semaines les différentes forêt de la commune qu’elles soient publics ou privées. A l’exception de la forêt privée de l’Amienbois dont le propriétaire a constitué une réserve de chasse privée et y organise ses propres chasses deux à trois fois par an.
Des chevreuils sur la crête des Hauts de Bouzimont
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La forêt est aussi abondamment fréquentée pour la cueillette des champignons. Activité qui relève là aussi de pratiques anciennes et qui nécessite une très bonne connaissance du milieu forestier, pour les variétés de champignons à cueillir mais aussi spatialement pour se repérer dans la forêt car il n’y a ici quasiment aucun chemin et simplement des voies de dessertes non balisées. D’ailleurs il ressort de ces entretiens, quand il s’agit d’aller se balader en forêt , à pied, à vélo ou à cheval, ce ne sont pas les forêts de Leintrey qui sont privilégiées car « Ici quand tu vas au bois il te faut le tracteur » (PW). Cette pratique de la forêt est basé sur un rapport passionné à la forêt. Voici, à la question pourquoi passer tant de temps en forêt, la réponse de Pierre Winterstein : « On y va par amour de la forêt, on est des forestiers. Je suis attiré par la nature, c’est venu comme ça, c’est une passion parce que tu gagnes rien là dedans, il faut aimer ça, aimer gérer, tout ce que tu ramasses c’est des tiques ! Quand tu coupes les arbres et de voir les beaux sujets d’avenir qu’il reste, c’est une satisfaction. Après à la scierie aussi je suis heureux, tu touches le bois , la matière, … C’est beau une forêt bien entretenue l’été. Mon fils David est tombé dedans étant tout petit. Maintenant quand il coupe un arbre, il en plante deux, il aime la forêt. C’est vital pour lui, si il pouvait il se transformerait en arbre. C’est une passion. C’est un sylviculteur, il jardine la forêt. » A travers le début d’analyse de ce territoire et de ses habitants, la tentative de percer leur rapport à la forêt, on voit émerger une relation ancienne et importante. C’est une relation quotidienne, et là aussi un peu symbolique que cinq des six routes qui mènent au village traverse une forêt, comme entendu «il y a de la forêt au Nord, au Sud, à l’Est, à l’Ouest ...)(PW). La place de la forêt a également une place éminemment historique, si l’Histoire a durement frappé ce village, les traces les plus importantes et surtout celles qui demeurent et demeureront encore longtemps se trouvent en forêt et dans presque toutes les forêts qui s’y trouvent. C’est aussi le paradoxe de la forêt ici, elle conserve les traces durablement mais par la même action les cachent parmi les arbres qui poussent. Il y a probablement un travail de mémoire plus durable à accomplir pour re-signifier la présence de ces marques partout, pour ne pas oublier que si on retrouve des buttes et des fossés en pleine forêt ce n’est pas par l’action des forces de la nature. Car si aujourd’hui les générations qui sont nées dans les années 20 et jusque aux années 50 et qui ont vu en
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grandissant les plaies se refermer et la forêt pousser sur ses marques, sont encore en vie (la doyenne du village à 91 ans) et savent où et comment l’Histoire a laissé son empreinte. En sera-t-il de même demain ? Ici beaucoup de choses, à commencer par le paysage, semblent relativement immobile et presque perpétuel et ce malgré le passage de plusieurs guerres, qui ont toujours fortement impacté le village, le laissant souvent en ruine. Pourtant les formes demeurent, la résilience vécue permet de reconstruire et de vivre toujours dans cet écrin, d’y maintenir vivant ,par exemple, un usage, l’affouage, pourtant issu du Moyen-âge. Le travail du paysagiste peut être de singulariser les formes de l’espace, d’affirmer une catégorisation de l’espace selon les codes esthétiques que sont le beau, le sublime et le pittoresque. Car aujourd’hui dans ce paysage que les habitants vivent au quotidien et qui a très peu évolué au cours de leur vie, se trouve une forme de banalisation et parfois presque d’absence de regard qualifiant. Ces formes étaient là, sont là et seront là. Aider à déployer leurs valeurs, et affirmer aux habitant : «Vous habitez dans un territoire qui est beau, qui possède des éléments pittoresques et d’autres sublimes». Inscrire des singularités qui font changer le regard ou tout du moins le renouveler, le ré-enchanter. Pour que les habitants se questionnent aussi sur les éléments de leur quotidien, notamment la question d’une certaine patrimonialisation des éléments de l’Histoire. Car si le savoir existe encore aujourd’hui, il est indéniable que la génération qui le détient et en a vécu une partie se réduit de plus en plus. Or la forêt étant là où elle se trouve, investir la forêt d’une nouvelle pratique. Identifier et documenter plus finement ces éléments d’Histoire et sur site leurs redonner une visibilité nouvelle par différents moyens qu’ils soient informatifs ou artistiques. C’est la voie artistique que j’ai choisi d’expérimenter dans la parcelle de forêt que possède mes grands-parents à Leintrey. D’abord par l’écriture d’un ressenti ; caractériser à travers les mots ma place dans ce paysage et pourquoi j’étais là, dans cette forêt, à expérimenter et créer ma propre démarche. Voici ce que j’ai écris.
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Aout 2017, Leintrey
«Je vais en forêt depuis tout petit. Je suis allé dans
beaucoup de forêts à travers le monde, de grandes et des petites, des connues et d’autres justes quelques arbres au bord de routes dans de lointains pays. Depuis 30 ans je retourne dès que je peux dans la même. Ce sont juste quelques hectares qui montent sur le flanc d’une colline au bout d’un chemin de terre et d’ornières dans les replis lointains de ce pays. On ne peut y accéder par hasard. Ce bois est un bout du monde. Un bout d’Histoire aussi, curieusement relégué dans les ondulations de ces vallons où vivent quelques villages coincés entre champs, pâturages et forêts. Ces forêts sont des tertres où les obus et les bombes ont ensevelis les hommes durant deux guerres. Les forêts ici sont remplies de trous, de fossés et les arbres les plus vieux d’éclats de métal. L’arbre en poussant et ses racines s’accroissant maintient le sol autour de lui et préserve les formes du passé.
Ce bois est celui de mon grand-père qui le tenait lui-
même de son beau-père, mon arrière grand-père donc. Celui-ci et une autre parcelle plus petite le long d’une route de campagne, sont les derniers morceaux du rapport de ma famille à son terroir, dans ce lien à la terre comme matière vivante qui nous nourrit et par la même nous façonne par bien des formes. Ce bois m’a éduqué et je continue de grandir lorsque je m’y rends. Il demeure mon lien avec cette région qui par ailleurs ne présente que peu d’attraits à mes yeux. C’est l’histoire d’un lien avec le temps, avec les événements du passé qu’ont vu passer à leurs pieds ces arbres. Une continuité avec le sang qui coule dans mes veines et le sang de mon sang qui a coulé sur cette terre, qui a touché ces troncs, respiré cet air. Je contemple ici des morceaux d’un monde ailleurs enfui et disparu sous les couches du temps. Ces morceaux sont vivants, ils croissent toujours un peu plus vers la lumière.
Je suis retourné dans cette forêt, là, six mois après
mes derniers pas et six mois après un élan créateur dans celle-ci. Là dans ce bois, pour être dehors, prendre l’air, pour le faire chez moi. Cette forêt est aussi un grand jardin, un terrain de jeux et d’expérimentations. En hiver, la forêt est
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toute autre. Elle s’ouvre et se dépouille pour s’accorder à la basse lumière de cette saison et aux fronts gris qui tapissent le ciel. Dans cette nudité désolante se dressent les troncs gris des arbres posés sur des lits de feuilles. La forêt s’est transformée en un clair boisement de tiges verticales parfois interrompu par les masses sombres et presque saugrenues de résineux. Il y a quelque chose de spécial dans ce milieu ouvert, quelque chose d’immobile et de préservé. On y est toujours petit. Pour certain je n’existais pas quand ils sont nés et je n’existerai plus quand ils mourront. Je ne fais qu’y passer pour récolter les promesses que la nature a accordé à mes aïeux. Le bois est plein de promesses inabouties, plein d’un calme que je m’efforce en vain de trouver, plein rempli d’une générosité et d’un refuge au fond duquel je veux m’abriter. C’est un toit sous lequel je suis observé par les racines du temps qui croissent sans arrêts.»
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La seconde intervention s’est déroulée autour d’un des éléments d’Histoire qui se trouve dans cette partie de la forêt, l’entrée d’un souterrain construit par l’armée allemande durant la Première guerre mondiale. Aujourd’hui c’est simplement un trou au pentes raides d’un diamètre de 6 à 8 mètres et d’une profondeur de 4 au fond duquel s’amasse les feuilles et les branches qui le bouche progressivement. L’entrée ne se voit presque plus et on pourrait la confondre avec un terrier d’animaux, peutêtre d’ailleurs certains y ont-ils élu domicile. Cependant derrière se cache un tunnel haut d’1 mètre 50 et dont la longueur et l’arrivée sont inconnues et qu’il est aujourd’hui trop dangereux d’explorer. Lorsque je suis arriver devant ce trou l’été dernier, j’y ai trouvé deux pneus de tracteurs d’un diamètre d’1 mètre 40, déposés là comme dans une décharge. Il fallait les sortir, les réutiliser et les relier à la forêt alentour. C’est pourquoi l’écrin de la forêt autour de ce trou ainsi que d’un second tout proche qui lui résulte d’une explosion ou d’un obus, devait permettre de mettre en scène ces pneus, de détourner leurs usages passés de pneu et futur de déchet. C’est aussi à travers l’art, singulariser ce lieu, lui ajouter de la valeur, par la présence de ces objets, totalement incongrus dans une forêt au fond de la campagne lorraine, de donner à voir autre chose, d’étendre l’utilisation de la forêt comme productrice de bois, de former un lien entre le passé et le présent. Ce présent, caractérisé par ces pneus transformés, est un marqueur puissant de ce petit bout d’espace, qui le rend unique et intéressant, et par ce procédé donne aussi à voir le passé qui se trouve mêlé à lui. Parce qu’être paysagiste c’est peut être aussi lier ensemble les temps passé, présent et futur, pour les assembler et leurs donner une valeur.
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Voilà le résultat de quelques jours passés en forêt chez mes grands-parents. J’ai réutilisé 2 pneus usagés de tracteurs trouvés dans un trou constituant l’entrée d’un ancien souterrain. Celui-ci était l’entrée d’une infirmerie allemande située juste en arrière de la ligne de front durant la 1ère Guerre Mondiale. J’ai utilisé 600m de cordelettes en sisal et coton pour constituer une toile d’araignée géante dont le 1er pneu est devenu le centre. Le 2ième est devenu un soleil pour marquer l’entrée de cette partie de la forêt et la renaissance jour après jour de celle-ci. L’inspiration vient ici de la réunion de 2 gestes temporellement opposées mais liées par la même main destructrice de certains. La banale pollution de ce lieu par des personnes peu consciencieuses, déposée dans un vestige, certes à l’apparence anodine, mais témoignage du passé très douloureux de ce territoire et de notre Histoire. Le cartel accompagnant ces réalisations
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Conclusion
L’idée de ce mémoire est d’imaginer un futur paysagiste possible. L’un des possibles, réfléchir à sa potentialité. Un futur paysagiste dont le champ d’action est la forêt. Au delà de ce terrain prioritaire et engageant pour lui, c’est de tirer du milieu forestier une éthique de travail. Notamment un rapport au temps du projet différent, qui est un temps plus long où le paysagiste n’est plus seulement dans l’intervention ponctuelle mais impliqué dans la gestion et même au delà dans la vie des sites sur lesquels il agit. Ce travail d’imaginer le futur d’un métier est particulièrement ardu, surtout dans le temps court imparti à ce mémoire de recherche. C’est également difficile de se projeter en n’étant pas encore sorti de l’école, après moins de trois ans dans le milieu du paysage, et comme on l’a vu dans une école où la forêt n’est pas un milieu spécialement pris en compte. Cette relative pauvreté en expériences propres est à la fois un frein à la rédaction de ce mémoire mais aussi porteur d’une soif d’expérimenter encore des manières de faire en forêt et de faire la forêt, à continuer d’investir ce milieu et faire progresser à la fois la figure théorique du paysagistesylvain, pour éventuellement continuer d’en laisser une trace écrite, mais aussi les outils bien réels dont il dispose. Ce mémoire est aussi l’opportunité de réfléchir à quel paysagiste je veux être. Tenter d’agréger les expériences traversées au cours de cette formation. Le résultat n’est pas complet car il faudrait pour définir ce qu’est le paysagiste-concepteur, interroger plus largement et plus finement l’origine et le développement de cette profession. Questionner pourquoi aujourd’hui le paysagiste est devenu un faiseur de ville. Où la frontière entre urbanistes, paysagistes et même architectes se fait de plus en plus ténue. On assiste également dans un spectre différent à une hybridation du paysagiste avec l’écologue, l’agronome et comme je l’espère avec le forestier qui émerge pour répondre, en dehors ou au cœur des villes, sur les enjeux qui pèsent sur les sociétés humaines au sein de l’anthropocène. Ce mémoire a également été difficile à rédiger et reste encore inachevé car je n’ai pas su trouver (ou identifier) un ouvrage central sur lequel bâtir ma pensée et mon propos. Peut-être cette absence est-elle aussi révélatrice de la pertinence du
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sujet de mettre en relation le paysagiste et la forêt. Et pour terminer ce travail d’écriture qu’est le mémoire, une autre forme d’écrit, pour raconter la forêt différemment :
Drap d’or vert posé sur mon corps, je me languis
d’être à nouveau en ton sein, protégé par les bras innombrables de tes enfants. Partout je recherche ton refuge fait de percées claires du jour et de traits sombres. Là, je me repose las des songes glacées qui font vibrer la nuit des miens. Immensément lancées vers le ciel sont mes pensées qui dansent souples parmi les ombres. Dans cet ailleurs mouvant, plissant et ondulant de toutes parts, crissent mes pas et fuient mes tourments. Plus j’avance profondément, plus les repères s’effacent, plus la solitude vient, plus le silence en moi s’impose, tout autant qu’en dehors il se révèle d’un mystère plein. Ces bois sont un lien étrange qui tissent et abolissent le temps, des portes vers un même au-delà, ici. Immobiles, tous commencent et tous finissent, ici, dans ce grand prés, où fourmis nous fauchons la foi de la flore à s’élever. Jamais, tous ces assauts ne finiront ton règne, maîtresse des années égrainées. Tu te nourriras du feu, tu boiras du sable, perceras les pentes de neige et de pierre. Partout tu passeras et t’élèveras, flèches immortelles qui dressent sur cette Terre et dans nos âmes, un royaume vénérable. Voilà ce chant qui s’étire et se perd, écrit si loin de toi et pourtant si proche d’autres qui toujours remplissent cette Terre. Qui toujours furent, creuset de contes au creux de l’Histoire.
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Tu es multiple, tu es une, d’une seule voix je t’appelle.
Au cœur de l’été, éblouissante de lumière, je te rêve.
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Crédits photographies et illustrations L’ensemble des photos, croquis, dessins et illustrations dont la source n’est pas référencée sont de l’auteur.
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Mémoire de fin d’étude Diplôme d’État de Paysagiste 2018
Arnaud GABRIEL École Nationale Supérieure de Paysage