Fragments
Île de La Réunion - Novembre 2018
Fragments
Introduction
A l’issu d’un mois passé sur les routes et les chemins de La Réunion, émerge l’idée de retranscrire ce voyage, d’inscrire ces quelques instants dans un ouvrage personnel. L’ensemble des textes de la première partie a été composé sur place. Ils sont de simples fragments des multiples pensées qui viennent infiniment quand pas à pas je progresse. Ceux écrits à mon retour sont dans l’épilogue. Quelques morceaux écrits souvent spontanément qui font face à des photographies prises durant ce même voyage. Elles sont une autre forme d’écriture ; non pas ici une illustration du texte mais parties du récit proposé.
Limpides sont les courants qui virent loin des yeux. Proche de nos cœurs et loin de nos esprits brumeux. Ils dansent dans un long rêve qui parfois s’étire mollement. Je ne sais comment les saisir, eux si froids et dérangeants. Ils m’attirent et me repoussent parfois si loin et pourtant si fort, images dansantes, musiques vives, chants libres, herbes qui filent entre les doigts. La grève est là, pleine de sable et de galets. Les vagues s’y jettent fermes et exacerbées. Il y a peu les bruits et les rires de cette vie pleine me parvenaient encore doucement aux oreilles. Danse, danse infinie limite. Reviens à moi. Murmure moi encore ces mots secrets. Ceux qui tout bas sont prononcés au creux moelleux du duvet. Ceux écrits dans les chairs, les armes et sur les murs de la cité. Ceux criés aux vents, dans le tumulte, la rage et l’espoir. Mots fous. Hurlés. Passe les nuages et inonde le soleil. Souffle la bise et gronde la pluie. Le temps seul est un ennemie qui me veut du bien. Un inconnu face à cette mélopée. Imbattable Dieu filant les secondes à mon poignet. Il me laisse toujours là face à ces pensées déchirantes. Point d’ironie ni de vies sans ces vers rongeurs. Songeurs comme souvent. Voleurs de rimes. Frimeur.
Invisible dans la brume irradiante, j’avance main dans la main avec mes rêves immaculés. Il n’y a plus d’arrivée, plus de départ. Je quitte un bas et vais vers un haut. Encore et encore. La montagne se gravit à l’infini. Prisonnier des marches et d’une mécanique inlassable qui soulève et appuie, pose, élève, souffle, goutte. Pause. Il n’y a plus de fatigue non plus, juste la douleur et l’implacable nécessité d’avancer. C’est la vie qui est là. Les pas passés ne sont plus, ceux à venir encore cachés. Un monde aveugle et blanc.
Dans cette nuée de marches, seul avec ma fatigue, mes douleurs et mon corps meurtri, je pense. Parfois je pense. Souvent se sont les pensées qui existent pour elles-mêmes. Elles font irruption parmi mes songes. Brusquement, continuellement, par moment. Je ne sais plus qui fait quoi. Qui vient avant, après. Qui pense et qui subit. Quel sens a tout ce babillage silencieux, tout ce nuage de mots et d’images. C’est tout un roman qui s’énonce durant ce laps de temps. Des fables et des mirages. Comme la vie est belle dans la douleur d’un escalier.
Une lueur rougeoie à l’Ouest. Un ballet furieux a enflammé le ciel. Les traces de la Fournaise s’étendent en moi bien au delà du spectre visible.
Dans les affres, dans les tourments, dans le noir qui jaillit toujours si vite de ce roc fragmenté et pourpre. Face aux vagues qui surgissent pleines d’une vigueur intacte et grise. Devant les ombres, les sombres silhouettes rampantes, l’armée bruissante des doutes et des peurs, je frémis. Tremble et m’agite pauvrement.
Les pas grandioses nous amènent là où nos yeux voient. Sur le bord des choses où se précipitent et s’éclairent les vérités brûlantes du jour. Sur ces lèvres ouvertes où se fixent nos désirs. Je suis dans cet endroit où les regards portent plus loin et observent plus de proses. Il y a comme un infini du regard, une merveilleuse vision d’un écrin vert qui semble à la fois enclore nos vies et les amener vers une dimension éthérée. C’est une splendeur brutale. L’expression d’une force. Là se trouve une beauté seulement esquissée brièvement pour nous. De celles que l’on veut saisir pour toujours mais qui demeurent maîtresse du temps.
Sur la route, les mots s’écoulent. Libres. Ils forment, lorsque je vois leurs courbes s’inscrire, un fragment délivré de cette prison grise qui gît là haut. Promptement la parole s’étiole. Silencieusement. Elle est faible révélatrice de cette matrice enchaînée qui toujours s’agite.
Si minuscule devant ce cône de pierre issu des entrailles de la Terre. Si écrasé une fois au bord du cratère face à la puissance de l’élément Feu partout ici présent. Si mystiques sont les chemins que l’on parcourt quand le regard porte, quand les pieds progressent et que le temps s’infléchit.
Attendre attendre ça m’a sourit, Le pouce à l’air, tendu en série. Une voiture encore qui passe. Roule, roule vers toute cette rage. Moi j’ai mis mon totem rouge sur le dos Et j’ai volé de plage en plage, Avec plaisir, ma plume, la pluie et parfois un drôle d’oiseau. Et il a fait chaud sur cette route où se sont posés bien des mirages. Criés bien haut ou qui nagent au fond d’une Dodo. Allons marmailles ! Allons canailles ! Solide soleil qui du sol au ciel fait danser tous les rougails. Ça mérite bien de griffonner quelques pages, La tête dans le sable, les pieds dans les nuages. Mafate Marla ça j’ai marché, Les mangues les massalés ça j’ai mangé Et maloya là mi na pas dansé. Merci à vous pour ce partage, On a bien niqué tous ces barrages.
Pleins de rayons Pleins d’aiguilles Une douleur qui me vient et une tristesse qui demeure Infinis sont les mots Êcrits pour toi. Tout comme la trace que tu laisses en moi.
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Epilogue
Ecrire est un chemin brûlant où toujours la nudité des mots surgit. Un chemin refuge pour libérer autrement des ressentis parfois cachés derrière les masques civils. Un endroit où s’ouvre les pages du livre intime, rarement feuilleté. Exprimer sans fard quand, même les doigts de pieds dans le sable, demeure une vague songeuse où se reflète l’âme. Rarement le volcan de pensées se tarit et surement pas confronté à son alter ego tellurique, habit des tropiques aux flots d’azur féeriques. A jamais douleurs poétiques qui brillent de peu sous les pleurs atmosphériques des feux lointains. Musique sans sons, au fond de laquelle je me sens incertain. Mutique parfois devant la foule profonde, ici voici en quelques plans, les heurts qui sont miens. Multiples heures où se jouent, physique, la critique d’un sens indistinct. Sans proses ni vers, sans couleurs ni lumières, sans peurs, j’ose, en peu de mots, poser les choses qui sont mon intérieur.
J’ai voulu livrer et présenter ces textes de façon assez brut et, à très peu de mots, inchangés des soirs où ils ont été écris. L’écriture ayant été elle-même très intuitive et spontanée, intime. Ces pages sont l’endroit où peuvent se rencontrer deux instantanés: celui de la photographie du paysage dehors et celui de l’écriture d’un monde intérieur. C’est pourquoi le choix est délibéré de mettre côte à côte ces deux média sans que le texte soit inspiré par la photographie qui lui fait face. Celles-ci ne sont d’ailleurs délibérément pas présentées selon un ordre chronologique, ni datées ou faisant référence à un lieu. C’est toujours l’idée d’assembler des fragments bruts dont la corrélation n’est pas évidente, n’est pas guidée. Bien sûr ces morceaux choisis sont néanmoins les éléments d’un tout: ce mois passé à La Réunion. Mais fragments tout de même tant il est impossible de retranscrire tout ce qui peut se passer durant ce laps de temps. Est-ce d’ailleurs souhaitable ? Il reste donc plein de place à la suggestion et à l’imagination, que peut-être mon voyage devienne aussi votre voyage, que les images appellent d’autres images, les mots d’autres mots. L’importance aussi de présenter ces bouts de vie intime vécue. De diffuser, chose difficile surtout pour les écrits, pour apporter un contre-point aux images facilement paradisiaques, surtout lorsque l’on parcours une île qui se vend elle-même comme intense et donc avec des explosions visuelles continues. Je fais ce livre pour donner une matière plus sensible, pour ne pas oublier l’importance du ressentis lorsque l’on voyage dans ces endroits si beaux. Qu’être dans ces lieux souvent enchanteurs et magiques n’enlève ni ne supprime nos états d’âmes et nos pensées vagabondes. Alors que, bien souvent, le voyage et les vacances se veulent lieu d’un ailleurs forcément positif et idyllique. Le voyage est toujours autant en soi qu’à l’extérieur.
Remerciements:
A Fabien, Amélie, Jules, Alice et Charlotte. A Charline et sa famille. A toutes les personnes qui m’ont pris en stop.
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