Supplément culturel des Petites Affiches des Alpes Maritimes
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BALLET NICE MÉDITERRANÉE
Coppélia DÉCEMBRE 2011 SAMEDI 24 \15h MARDI 27 \ 20h MERCREDI 28 \ 15h JEUDI 29 \ 20h VENDREDI 30 \ 20h SAMEDI 31 \ 18h
chorégraphie ÉRIC VU-AN direction musicale ENRIQUE CARRÉON ROBLEDO ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE NICE
SAISON LYRIQUE
L’enlèvement au sérail MOZART
LICENCE D’ENTREPRENEUR DE SPECTACLES 1-1015185 / 2-1015183 / 3-1015184
JANVIER 2012 MARDI 17 \20h - JEUDI 19 \ 20h - DIMANCHE 22 \ 15h MARDI 24 \ 20h soirée 5 € réservée aux étudiants direction musicale PHILIPPE AUGUIN - mise en scène RON DANIELS décors RICCARDO HERNANDEZ - costumes DEIDRE CLANCY lumières MIMI SHERRIN ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE NICE CHŒUR DE L’OPÉRA DE NICE
RENSEIGNEMENTS
04 92 17 40 79 www.opera-nice.org
édito AH AH AH… j’en ris pour ne pas pleurer.
ours
Art Côte d’Azur Supplément culturel des Petites Affiches des Alpes Maritimes Numéro 3584 du 15 décembre 2011. Bimestriel ISSN 1962- 3569 Place du Palais 17 rue Alexandre Mari 06300 NICE Ont collaboré à ce supplément culturel : Rédacteurs Alain Amiel Rodolphe Cosimi Olivier Marro Harry Kampianne Aurélie Mignone Céline Merrichelli Directeur de la publication & Direction Artistique François- Xavier Ciais Conception graphique Maïa Beyrouti Graphiste Maïa Beyrouti Caroline Germain Photographes Jean Charles dusanter Bertrand Ornano Isabelle Chanal Sylvain Renault Photo de Couverture Musée Cocteau à Menton ©Isabelle Chanal pour Art Côte d’Azur Rédactrice en chef Elsa Comiot Tél : 04 93 80 72 72 Fax : 04 93 80 73 00 contact@artcotedazur.fr www.artcotedazur.fr Responsable Publicité Anne Agulles Tél : 04 93 80 72 72 anne@petitesaffiches.fr Abonnement Téléchargez le bulletin d'abonnement sur : www.artcotedazur.fr ou par tél : 04 93 80 72 72 Art Côte d’Azur est imprimé par les Ets Ciais Imprimeurs/Créateurs « ImprimeurVert », sur un papier 100% recyclé.
À l’heure où j’écris ces quelques lignes le monde de l’école de Nice venait d’être orphelin de Bruno Mendonça, et il y a quelques jours nous perdions la créatrice niçoise de Parfum Mona Di Orio. Loin des triples A, ou des folies spéculatives sur nos devenirs économiques, cela nous ramène à l’essentiel, l’Homme et sa destinée, ce qu’il laisse, ce qu’il crée, son passage, sa trace, son témoignage. L’art est donc aussi un formidable vecteur de transmission. Traversant le temps, arborant le futur, évoquant le passé, toujours dans le présent, il est donc intemporel, et se nourrit de cette créativité propre à l’espèce humaine. Alors laissez-nous vous conter dans notre 18ème numéro quelquesunes des brillantes traces de notre espèce. Trace chromatique, en passant par Yann Kersalé qui joue de la lumière avec brio ; par Arnaud Rabier l’artiste grapheur « Nowart » évocation murale et explosion de couleur « fleurie » à l’école de la rue ; par Sarah Moon poète visuelle de la photographie mêlant admirablement le réel à l’imaginaire ; par Michel Gaudet peintre amoureux des hommes de l’art qui nous offre une belle leçon d’humilité ; par Marcos Marin, jouant du surréalisme, et des matières sur fond d’effets optiques. Trace laissée par le chorégraphe Hervé Khoubi, expression qui ne pourra
être qu’authentique et passionnée ; Celles écrites laissées par Cécile Mainardi et Claire Legendre, qui dressent un portrait tranchant sur nos vies terriennes ; celles laissées par la donation de l’horloger mécène Wunderman sur Cocteau, demeurent désormais dans un magnifique écrin bâti pour l’occasion à Menton ; celle laissée par la peinture de Denis Castellas, portraitiste, et adepte du détail ne pourra vous laisser indifférent. Trace musicale d’Arnaud Maguet, qui ressort du passé nos idoles pop, prônant un savant mélange de design et de « meeting point » d’artistes pluridisciplinaires. Celle qui transmet pour « La Passerelle » à Vallauris lieu de mixité sociale et d’apprentissage artistique. Celle de la découverte pour L’Entrepôt à Monaco. Celle de l’architecture pour le Forum de l’urbanisme, véritable « promoteur » du musée urbain qu’est la ville de Nice. Vous l’avez donc compris, AH AH AH, pour ne pas passer triplement à côté de l’essentiel, adoptons un plan B, il ne faudra pas nous laisser dépasser, les D sont désormais jetés, avant que l’Artiste ne soit abandonné en pâture au marché, nous avons encore quelques émerveillements à vivre, profitons donc de ces moments de fin d’année où les étoiles brillent, pour relever la tête et nous laisser guider par nos âmes retrouvées plutôt que par notre porte monnaie. F.-X. Ciais
Bonjour Père Noël Je ne sais pas si tu te souviens de moi, ça fait trente ans que je ne t’ai pas écrit ! Ici à la Centrale tout va bien ! Je t’envoie ma liste que tu liras, ou pas : • Une R8 « Gordini » servie de nuit avec des pommes vapeur • Un manteau de fou rire Jean Amadou « rest in peace » avec des pompes chromées pour me recoiffer • Des cotons tiges à trois vitesses, pour aller au fond de l’oreille parce que je suis un peu bouché ! • Un maillot en contreplaqué pour faire la planche • Une balafre et un pied de biche pour entrer dans la forêt • Des gants souples et parfumés pour faire le poirier • Une cartouche de cigarettes sans filtre que l ’on puisse fumer des deux côtés • Un puits de « Pétrole âne » contre la chute des chevaux • Une poupée gonflable qui sait conduire les yeux fermés • Une éolienne à pile atomique • Un ville en bois flotté • Une romance sans fil • 32 dents en or pour rire jaune à Bruxelles • Une rallonge Wifi de douze mètres, à peu près ! • Un pull en laine de verre pour m’isoler • Un poney de bain turc • Un jacuzzi sans yakuza • Une paire de menottes en pâte à modeler • Un Monopoly sans la case prison • La clef de toutes ces putains de cellules et neurones hautement surveillés ! Arnaud Duterque
La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées dans les articles, cellesci n’engagent que leur auteur. Tous droits de reproduction et de traductions réservés pour tous supports et tous pays. © Bertrand Ornano
EN VILLE 6
Hors les Murs Yann KERSALE à la Fondation Electra à Paris
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HORS LES MURS
NOWART, artiste Street Art
Compagnie Hervé Khoubi : Chorégraphie
al © I Chan
POrtrait d’alain philip et forum de l’Urbanisme
16 MONACO 20 VALLAURIS 22 MENTON
Musée Cocteau
La galerie L’Entrepôt
al © I Chan
Les galeries qui bougent
oubi © H Kh
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La vie des arts 24 Sarah Moon, au théâtre de la photographie Photographie
et de l’image toarts © Arts
28 Cécile Mainardi Spécial Littérature Femmes
Claire Legendre
34 Reyboz 38 Arnaud Maguet 40 Michel Gaudet 42 Denis Castellas 44 Marcos Marin Sculpture - dessin
ult © S Rena
Musique
Peinture
portrait
n © S Moo
portrait
oubi
© B Ornano
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HORS LES MURS
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Yann Kersalé
la matière lumière Entretien dans son atelier à la "lumière du jour" sur son exposition Sept fois plus à l’Ouest. Une mise en abîme "irradiant" les murs et les couloirs de l’Espace Fondation EDF à Paris. Sept fois plus à l’Ouest…Pourquoi sept et pourquoi plus ?
association avec un architecte, un paysagiste ou
Il y a quelques années, j’ai fait une expérience à la Pointe de la
d’autres. J’ai toujours voulu exposer mes installa-
Torche (presqu’île de Bretagne), un site rocheux d’où l’on peut
tions en dehors du cadre des galeries, des musées
observer un cycle de lune complet. C’était un projet totalement as-
ou des collections. J’ai senti que c’était la direction
socié à la mer. Une sorte d’électrocardiogramme axé aussi sur les
à prendre dès le début de ma carrière. J’avais très
influences que peut avoir la lune sur les marées. Je voulais mettre
envie d’être en relation avec un public qui ne paye
en lumière les Mortes Eaux, les Vives Eaux jusqu’aux grandes
pas forcément un ticket pour aller voir de l’art. Je
marées. J’avais un lieu unique de par sa position géographique
voulais qu’il le rencontre au détour de son chemin
très particulière et j’avais mon histoire. Cette histoire s’est trans-
quotidien. En travaillant sur l’urbain et les architec-
formée beaucoup plus tard en sept histoires et sept lieux. Mais
tures contemporaines, il y a une sorte de sculpture
sept correspond aussi à la notion de semaine, sauf que la semaine chez les celtes est comptée en huit nuits. Du coup, lorsque l’on m’a proposé de monter une exposition à Paris, j’ai pensé que la huitième nuit pouvait être la synthèse des sept autres. Une nuit totalement artificielle. Il n’y a pas d’installation conçue pour un jour précis. Et pour expliquer le "plus" à l’Ouest, c’est une façon de jouer sur le rapport à l’inversion. Le logo imprimé sur l’affiche de l’exposition représente une signalisation de balise
qui peut se créer avec la lumière profitant bien entendu de la lu-
en direction de l’ouest sur la mer. Pour en revenir aux Celtes, la
mière du soleil en train de se coucher ou de se lever. Il y a là une
Bretagne était leur "Penn ar bed", le début du monde en breton.
espèce d’apparition/disparition qui me plaît bien et que j’associe
Ce qui me plaisait, c’était de montrer une histoire qui démarrait de
à la photo quand on voit l’image prendre forme dans le labo. Il y a
l’extrême ouest en partant de l’eau puis de faire le chemin inverse
aussi la fragilité de l’œuvre qui n’est pas là de manière autoritaire
en passant par un phare, puis une bande de terre en frontière avec
ou permanente. Ce sont des installations éphémères nées d’une
la mer qui s’appelle le Sillon Noir jusqu’à croiser un site abandon-
recherche d’angles, d’écrans, d’innombrables manières de jouer
né en reconstruction pour remonter progressivement vers l’urbain
avec la lumière. L’exposition à la Fondation est une démultiplica-
et finir à Rennes.
tion des sept autres installations projetées sous formes d’images sur des écrans atypiques.
Ce rapport à l’inversion dont vous parlez, n’est-il pas aussi une façon de prendre à contre-pied ce que vous faites habi-
Lorsque vous préparez un projet, avez-vous déjà des images
tuellement, à savoir partir d’une architecture déjà conçue
précises avant de commencer à travailler ?
et lui apporter une structure de lumière ?
J’ai toujours des images en tête et j’avais des carnets pleins de
Je n’ai pas vraiment de sens de la visite dans tout ce que j’entre-
croquis qui m’ont servi de conducteurs permanents. Pendant les
prends. Ce que je cherche, c’est de faire parfois de la recherche,
prises de vues, je travaillais avec deux cadreurs photo et deux
et cette exposition en fait partie. C’est le résultat d’un projet qui
cadreurs vidéo.
ne peut pas marcher sous la forme d’une commande ou d’une
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HORS LES MURS
Vous fonctionnez comme une équipe de tournage ? Oui. Il y avait aussi cinq monteurs, un régisseur général, un régisseur lumière et une directrice de production. Par exemple pour Les Prairies de la Mer, un site où je venais souvent faire de la plongée, j’ai inversé la lumière par rapport à la lumière solaire. Elle partait du fond pour remonter le long de ces algues mesurant six à sept mètres de haut. A partir des résultats de cette installation, j’ai réalisé une mise en abîme de ce site sous-marin à la tombée de la nuit pour qu’elle vienne s’inscrire dans l’exposition. Idem pour les autres installations. La nuit étant pour moi la matière noire sur laquelle je grave ma matière lumière. Elle me permet de remodeler des formes comme un sculpteur avec la glaise. A partir de là, nous avons collecté un stock incroyable d’images pour en faire, espérons-le, prochainement un film. Nous partions d’une série de plans larges au crépuscule pour les resserrer et arriver au plus près de la matière au fur et à mesure que la nuit tombait. Mais à la différence d’une équipe de tournage, je ne suis pas tributaire de la lumière. Je l’accompagne. Vos propos sur la matière lumière et sa mise en abîme à travers la nuit me font penser aux réflexions de Soulages sur la lumière et le noir… Vous avez raison. Lorsque j’étais étudiant aux BeauxArts, j’étais particulièrement attiré par la gravure, c’est un medium où on est en quête de lumière. On creuse la matière noire pour en révéler les éclats et les subtilités. Et puis il y a eu la photographie, et particulièrement la diapositive avec laquelle je peux capter la matière pour ensuite la projeter sur des formes ou des écrans. C’est ce qui m’a conduit progressivement à réaliser des installations en dehors des circuits traditionnels. Ne seriez-vous pas amateur de films noirs ou de films expressionnistes allemands comme ceux de Fritz Lang où la lumière et les ombres portées étaient un véritable travail d’artiste ? De gauche à droite et de haut en bas : Yann Kersalé © photo Harry Kampianne Verticale allongée © Yann Kersalé - AIK © photos Laurent Lecat
Radôme de la cité des Télécoms © Yann Kersalé - AIK, Radôme de la cité des Télécoms, Pleumeur Bodou, Côtes d’Armor Profondeur des lames © Yann Kersalé - AIK © photos - Laurent Lecas
Alignement de mégalithes © Yann Kersalé - AIK, Alignement de megalithes, Carnac, Morbihan
(rires)… J’adore ce cinéma-là. C’était l’époque des grands chefs opérateurs. Mais j’associe aussi ma démarche à celle du peintre impressionniste en quête de lumière posant sa toile blanche sur son chevalet en extérieur et travaillant sur le motif. Sauf que moi j’ai une toile noire et j’amène ma lumière. Pour en revenir à votre exposition, vous parlez de mise en abîme synthétisant les sept installations que vous avez montées en Bretagne cet été. Qu’entendez-vous par mise en abîme ? C’est une mise en profondeur, une mise à l’infini si
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REPERAGES… YANN KERSALÉ
Né en 1955 à Paris, il passe une grande partie de son enfance à Douarnenez. Diplômé en 1978 de l’Ecole des Beaux-Arts de Quimper. Depuis 1983, il travaille ses « expéditions lumière » dans son atelier à Vincennes. Il collabore souvent avec l’architecte Jean Nouvel et le paysagiste Gilles Clément. On lui doit entre autres l’illumination des jardins du musée du Quai Branly à Paris (architecte Jean Nouvel) inauguré en 2006. De juillet à septembre 2011, il monte sept installations en Bretagne et en fait un remix à la Fondation EDF à Paris jusqu’au 4 mars 2012.
Dorsales des Vents © Yann Kersalé - AIK © photos - Laurent Lecat
Yann Kersalé, Un sculpteur lumière à la Fondation EDF Peintre, sculpteur, cinéaste, photographe, quel artiste n’a pas été subjugué par la "Lumière", matière capricieuse et source
Le Chaos de feu © Yann Kersalé - AIK © photos - Laurent Lecat
de vie ? Yann Kersalé, lui, en a fait sa palette. Trente ans à sculpter vous préférez. Je me souviens d’une vieille publicité sur la
la matière-lumière, comme il aime si souvent à le répéter, à
Vache qui rit où l’on découvrait dans sa boucle d’oreille une
lui donner un nouveau relief, une nouvelle grille de lecture.
autre boîte de Vache qui rit et ainsi de suite jusqu’à l’infini.
Aujourd’hui, c’est à Paris, à la Fondation EDF, qu’il nous fait
C’est en quelque sorte une mise en abîme de la vache qui rit.
profiter d’une mise en « abîme » de sept lieux captés en Bre-
Il suffit d’aller fouiller dans l’âge d’or de la peinture hollan-
tagne entre juillet et septembre 2011. Un parcours que tout
daise au 17ème siècle et vous en trouvez partout des mises en
estivant a pu commencer en pleine mer avec les prairies sous-
abîme. Pour l’exposition, j’ai souhaité leur donner à chacune
marines d’Océanopolis pour finir dans la mystérieuse maison-
d’entre elles un titre en dehors de celui de l’installation faite en
chrysalide à la Zac de la Courrouze à Rennes. Entre temps, il
Bretagne. En réalité la mise en abîme, c’est un jeu de miroirs. C’est une autre histoire qui se raconte à partir d’une première histoire. Un remix en quelque sorte.
Chaos du Diable à Huelgoat, les échos lumineux de mégalithes à Carnac, le Sillon noir à Pleubon scintillant comme des lucioles
Auriez-vous eu une autre approche si vous aviez été confronté à une lumière du sud comme l’arrière pays niçois ? Pas vraiment. A partir du moment où j’interviens du crépuscule à l’aube, je travaille la lumière en fonction du site. Bien sûr, je retrouve d’autres formes, d’autres paysages, d’autres rapports climatiques qui n’ont certes rien à voir avec la Bretagne. C’est une autre histoire. Mais la démarche est la même. En réalité mon travail c’est l’antithèse de la carte postale. Il ne s’agit pas d’embellissement mais de travailler la lumière comme une matière. Si vous regardez les peintres qui avaient un rapport très particulier avec la lumière, vous constatez que la majorité d’entre eux ont été peindre soit en Normandie/Bretagne, je pense à Turner ou Monet à Belle-Île, ou soit en Provence ou parfois les deux.
a croisé un chapelet d’énormes pierres rondes couleur feu au
HK
à la tombée de la nuit, l’Appel du large au Phare de l’Ile Vierge à Plougerneau ou encore cette lune télévisuelle au Radôme de la cité des Télécoms à Pleumeur. Sept mises en abîmes de lieux insolites dont les images et les films conçus par Yann Kersalé lui-même se transforment, au sein de l’Espace de la Fondation EDF, en installations visuelles et sonores. Le tout lové dans des « black boxes » d’où surgit un étrange ballet d’ombres et de lumières.
RICHARD
MAS
Exposition permanente à l’atelier 41, avenue de la Colline - 06270 Villeneuve Loubet Sur rendez-vous : 06 72 65 33 46 www.artcotedazur.fr/richard-mas,4837.html
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Du graffiti
à l'art in Space
Né en 68 dans le 93, Arnaud Rabier Nowart a traversé toute la jeune histoire du Street Art. De son père ébéniste, de ses oncles tapissiers (son premier métier) et de sa grand-mère peintre, Arnaud a reçu le goût des couleurs et des formes. A 14 ans, il suit avec passion l’émission de télévision « Hip Hop » (avec Sydney) qui a enthousiasmé et embarqué toute une génération. Né du funk (surtout James Brown) croisé avec le dub et les sound systems jamaïcains, le Hip Hop s’impose dès les années 70 dans les cités du Bronx. Les danseurs, se plaignant que les morceaux soul et surtout funk sur lesquels ils dansaient étaient trop courts pour développer leur art, ont demandé aux musiciens de prolonger leur beat. Le Hip Hop naît et se propage dans les fêtes de quartiers organisées dans les rues des ghettos. Afrika Bambaataa, musicien, DJ, philosophe et poète est le créateur de la Zulu Nation. Suite au décès violent de son meilleur ami à la suite d'une fusillade lors d'une rixe entre gangs, il crée une organisation pour fédérer les gangs et canaliser la violence des jeunes des quartiers. Afin de la faire évoluer vers des valeurs non violentes et de saine compétition, il organise des concours de MC, de DJ, de danse et de Graffiti. Dès sa création, le Hip Hop s’affirme comme un mouvement transdisciplinaire avec une charte des valeurs, la Zulu Letter. « Peace Love Unity Havin Fun, une chanson d’Afrika Bambaataa, représentait nos valeurs, on avait l’impression de les incarner. »
Comme beaucoup, il commence par danser avant de se mettre à taguer. Il commence timidement dans la rue à Stalingrad, un terrain vague où le Hip Hop a débuté et au Louvre, les premiers terrains de graffeurs. « Ma première signature était : Now Os (maintenant ose), c’est comme si je me le disais inconsciemment. J’ai ensuite changé plein de fois de tags (Beast, Nono One, No Art, etc.) ». Fréquentant les lieux officiels du graff où les DJs faisaient leurs premiers concerts, Arnaud apprend tout seul les techniques. « Il n’y avait pas d’écoles pour toutes ces disciplines. Tout le monde pouvait s’y mettre et inventer son propre style. Un art sans école et sans argent. Une école de la rue. »
J’étais seul face à la ville Adolescent au pied des murs J’ai flirté avec l’asphalte et la brique Zébré leur peau de caresses éphémères Goûté aux joies aérosols Dans les usines et dans la rue, Bombé non-stop Jusqu’à l’ivresse de les voir crier. Ses premières peintures, des visages en free style avec beaucoup de couleurs, de formes incorporées qui renvoient à Picasso et Arcimboldo (son premier choc artistique) découvert dans Pif le Chien. « On me disait que ce que je peignais était trop bizarre, que ça sortait du graffiti, mais je ne m’en faisais pas. » En 1991, il participe au film de Beneix IP5, L'île aux Pachydermes avec Yves Montand (mort à la fin du tournage) en tant que « coach
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Comme un signe, l'Art de vivre incarné, elle me dit : Je suis un souffle végétal de vie, né pour œuvrer et faire naître l'amour dans l'œil des jardiniers. Je suis l'enfant cloné de la brique et du béton engendré pour être plus que neuf pétales et un cœur de carton plus qu'une fleur de papier sur les goudrons urbains et la poussière de mondes oubliés.
Portrait de Van Gogh
tagger ». Il avait pour tâche d’enseigner à l’acteur Olivier Martinez les différentes techniques du graff. Il sera aussi engagé pour peindre des graffitis pour la déco du film. Vite repéré par le milieu, il travaille ensuite pour des boîtes de pub (graffs, tags pour des pubs), réalise des décors, des peintures murales. Autre rencontre décisive, « M. Vincent ». Découvrant par hasard que Van Gogh a travaillé dans les mêmes coins que lui (quais de Seine à Asnières, usines de Clichy et de Saint Ouen), il se passionne pour l’artiste et réalise des hommages sur les murs et sur toile en y insérant des portraits de Van Gogh dans ses tags. En 2002, il participe à une création théâtrale mise en scène par la compagnie « Le rouge et le vert », qui retrace la période arlésienne de Van Gogh. Il réalise des performances à l’Espace Van Gogh, l’ancien hôpital d’Arles où il a été hospitalisé. Les expositions s’enchaînent, les installations, les performances. Arnaud est au cœur de l’activité effervescente de ce nouvel art urbain qui acquiert une large audience. En 2003, il trouve un bout de bois mort sur lequel une marguerite avait poussé. Cette découverte le fascine : « C’était comme un signe. J’ai dessiné cette fleur, je l’ai filmée, peinte, puis je l’ai collée dans la rue, comme pour l’insérer dans le milieu urbain. Elle est devenue mon symbole, comme pour Vincent le tournesol. »
En 2005, deux compagnies de théâtre ayant obtenu le financement d’un projet à Soweto, lui proposent de réaliser le tournage complet avec les enfants. Un riche projet comprenant une formation théâtrale, de la danse, la gestion d’une structure socio culturelle, etc. Arnaud travaille avec les enfants du quartier, trace des fleurs sur les murs des maisons : « ils mettaient ensuite les couleurs qu’ils voulaient. A la fin, j’intervenais pour faire les volumes qui gonflaient les feuilles. Les jeunes rappeurs improvisaient sur mes fleurs. C’était incroyable pour moi de voir des dizaines d’enfants avec des fleurs dessinés sur leurs pantalons, leurs tee-shirts. Ils s’étaient approprié mon travail. » L’art avec et pour les gens Depuis cette expérience, il mène "Fleurs du monde" un projet artistique qui l’amène à travailler avec différentes populations et structures socio-culturelles dans divers lieux (prisons, centres pour handicapés, rues de quartiers difficiles) de Paris à Soweto, à Santiago du Chili, au Sénégal, etc. Son dernier travail : « l’Art in space » En installant des éléments plastiques (fragments de peinture, sculptures, objets) sur différents plans d’un même espace, il obtient des effets d'optique et de perspective (anamorphoses) étonnants où l'œuvre complète ne peut être saisie que d'un seul point de vue. Un dispositif fascinant où nous sommes promenés à l’intérieur d’une peinture. AA
De gauche à droite : Mur peint à Ouakam, Sénégal Mur peint à Soweto, 2004 Mur peint à Soweto, 2004 Mur peint, Saint Sulpice, 2011 Toutes photos © Arnaud Rabier Nowart
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Hervé Khoubi Danser libre sur les traces
Portrait Hervé Khoubi
Né à Cannes et d’origine algérienne, le danseur chorégraphe Hervé Khoubi pose à travers ces nombreuses créations contemporaines la question de la trace. Authentique et passionné, l’artiste invite son public à suivre des chemins de danse que l’on emprunte comme les routes de la vie…
© Hervé Khoubi
Quelle route vous a conduit à la danse ? Je n’ai pas eu un parcours de danseur ou de chorégraphe comme on aurait pu l’imaginer. Né à Cannes, j’ai habité toute ma jeunesse à quelques centaines de mètres de l’école Rosella Hightower. Et je n’ai pas été foutu de commencer la danse avant l’âge de 16 ans. Mais je n’ai pas commencé tout de suite dans ce fameux Centre International. En fait, j’ai débuté dans une MJC et ça été très formateur. J’ai eu un peu de mal à en parler pendant des années, pourtant mes premiers professeurs m’ont très vite conseillé, orienté vers l’école cannoise. Non pas parce que je vivais à côté mais bien plus parce que c’était ce qui semblait me correspondre dans ma recherche de pratique de la danse. Cette passion s’est révélée être un moyen privilégié d’aborder des thèmes et des réflexions. J’ai entamé une recherche sur la notion de trace. J’ai commencé à travailler sur ce qui, à première vue, n’a rien à voir, le rapport qui s’instaurait entre les pratiques traditionnelles de la danse et les résonances que l’on peut déceler aujourd’hui dans la danse contemporaine. Comparer le danseur traditionnel avec le danseur actuel. Je voulais savoir d’où je venais et quelle était cette photo que mon père avait ressortie du vaisselier et qui n’était pas dans l’album de famille. Photographie où je vois mon arrière grandpère en tenue traditionnelle. Cela a été un choc.
L’enfant © Hervé Khoubi
Devenir chorégraphe était-il une voie qui vous permettait d’extérioriser ces questionnements ? On s’invente finalement. Il n’y a pas de diplôme pour cela. On manque de sagesse au début et les jeunes chorégraphes qui ont du talent ont l’impression d’être des demi-dieux. On a des convictions, envie de faire des choses. J’ai l’impression d’avoir envie d’abord de construire. Je suis un bâtisseur et là où cela me semble intéressant, c’est d’avoir choisi un art éphémère, un art qui ne laisse pas de trace.
Parmi les nombreuses créations, quel est votre meilleur souvenir ? Les projets sont tous différents. Il y en a deux en particulier. L’un qui concerne une chorégraphie que j’avais réalisée avec les élèves des Studios Actuels de la Danse qui participaient à l’époque aux rencontres de la Fédération Française de Danse, une sorte de concours. J’avais à peu près tout gagné parce que j’étais étudiant à la fac et que c’était le seul moyen d’être sur une scène, de jouer, d’être évalué et surtout de pouvoir faire un projet de création. J’avais remporté une médaille d’or en solo puis en duo. Nous avions présenté un quatuor alors qu’il était improbable. Je me souviens de
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De gauche à droite et de haut en bas : El Din porté must Portrait Hervé Khoubi Soulié Guierle © Hervé Khoubi
retrouver un quartier ou la maison familiale mais bien plus pour être en phase avec ce que j’ai voulu devenir, chorégraphe. On a organisé une audition au Centre Culturel Français d’Alger et on a eu beaucoup de danseurs de très bon niveau globalement, alors que c’est une pratique assez contrastée dans le milieu dans lequel la danse évolue là-bas. Cela fait deux ans que je travaille maintenant avec cette équipe. C’est dur à porter mais si passionnant.
avons eu un premier prix, et nous en avons été vraiment émus, marqués. Rien n’avait détourné mes danseurs de ce pour quoi ils étaient venus sur scène, la sincérité et le plaisir de danser, c’est ce qui m’a plu.
ces quatre filles qui composaient le quatuor arrivant sur scène. Il y avait eu du travail, mais tout n’était pas complètement prêt. Malgré cela, nous avions réussi à relever le défi. Elles étaient arrivées avec une maturité sur scène incroyable, c’était merveilleux. C’est un bon souvenir car il s’agissait d’un travail peaufiné et cela avait été vraiment la première fois que j’avais éprouvé ce sentiment d’avoir transmis quelque chose à ces danseuses. Elles s’étaient approprié la chorégraphie et je crois que j’ai gardé ça en moi jusqu’à aujourd’hui.
Y a-t-il eu un élément déclencheur dans votre carrière ? Non, très honnêtement, je n’ai pas connu le coup de lance-pierre comme beaucoup d’artistes. Je crois que la priorité a toujours été celle d’être constant dans des projets atypiques où il y a beaucoup de danseurs. Ce qui fait qu’institutionnellement, j’ai eu du mal à être suivi. Je n’ai pas l’impression d’avoir eu un coup d’accélérateur. Les gens qui m’ont aidé l’ont fait de façon assez constante, et je n’ai pas reçu d’un revers de la main, une enveloppe de coproduction pour un projet… Aujourd’hui encore, je peux compter heureusement sur des soutiens fidèles, des scènes également qui me font confiance, des scènes hautement labellisées, comme le Théâtre de Nice ou encore et prochainement le Ballet Preljocaj. Je rentre toujours par la petite porte. C’est quelque chose que je dois attirer mais qui est finalement assez confortable.
Un autre très bon souvenir, -étrangement toujours une histoire de concours-, fut celui d’une rencontre au Festival International de Danse à Alger. J’avais fait des pieds et des mains pour me placer hors concours car je n’aime pas vraiment cela au fond. Nous
Vos projets à venir… Il y a un projet d’importance Franco-algérien en cours, qui met en scène des danseurs de rues extraordinairement poreux à une écriture chorégraphique contemporaine. Je ne voulais pas aller en Algérie juste pour
De quoi s’agit-il plus précisément? « El Din » est un projet étape qui pose les premiers jalons d’une rencontre avec douze nouveaux compagnons d’Art algériens et burkinabé pour plusieurs années et dont l’aboutissement est prévu en 2013 avec la création « Ce que le jour doit à la nuit ». Ce titre est une belle définition poétique de ce qu’est une trame, un dessin, une dentelle. C’est le titre d’un roman de Yasmina Khadra qui raconte étrangement l’histoire d’un enfant qui est né en dehors de sa propre culture. Cela se passe à Oran, d’où mes parents sont originaires. Je cherche à donner vie à mes rêves d’enfant né en France et qui n’a découvert que sur le tard ses véritables origines et celles de ses deux parents, algériens de souche. C’est un peu ce que l’on doit de mémoire. Le rêve du chorégraphe Hervé Khoubi… Laisser une trace dans le vivant… Mais attention, il ne s’agit pas d’avoir son nom dans un dictionnaire de la danse, cela m’importe peu voire pas du tout. Mais pouvoir contribuer de fil en aiguille à donner quelque chose aux artistes qui ont travaillé avec moi. Je m’entends très bien avec la majorité des danseurs avec qui j’ai travaillé, je les revois souvent pour la plupart d’entre eux. Mon plus cadeau émane des danseurs qui me disent un jour avoir commencé la danse avec ou grâce à moi. C’est une immense satisfaction. Celle d’avoir pu donner ce même goût que j’ai éprouvé lorsque j’ai voulu danser et quand j’ai vu les chorégraphies de Preljocaj. J’ai trouvé cela tout simplement beau et tout a commencé là… RC
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Forum de l'a r
Alain Philip et l’architecture, une histoire commune…
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ne famille originaire de Nice, depuis cinq
« mythe », elle reste humble et tend à dépasser ses
générations, s’il est né en Côte d’Ivoire,
promesses…
Alain Philip a passé ses vacances, enfant,
sur la Côte d’Azur. Il y fera quelques classes au Lycée du Parc Impérial et s’y installera définitivement dans les années 80. Nice la Belle, une ville qui le touche encore aujourd’hui, lui qui s’émerveille chaque matin en empruntant sa célèbre Promenade des Anglais avant de rejoindre ses quartiers à la Mairie. Passionné, architecte, ambitieux, engagé, Alain Philip, œuvre aujourd’hui au service de la ville, adjoint au Maire de Nice, délégué aux Transports, aux Travaux, à l’Urbanisme et à l’Aménagement du territoire. Rencontre…
De haut en bas : Alain Philip Bureau de Alain Philip © photos Isabelle Chanal
Parlons justement de ces promesses, quels sont les grands projets de la ville de Nice ? Les projets se placent dans une vision un peu globale de ce territoire, qu’est-ce qu’il doit être ? Il a souvent été à la pointe en matière d’urbanisme, d’architecture, le Conseil d’Ornement a été mis en place, en 1820-1830, quelque chose d’extrêmement innovant qui jettera les bases des plans d’extension de la ville. Nos actions se situent autour d’une mise à niveau des infrastructures (tramway, grand stade à vocation sportive mais aussi culturelle à l’image du Stade de
Vous êtes adjoint au Maire de Nice, délégué
France…) ou encore l’équipement dit « de proximité »,
aux Transports, aux Travaux, à l’Urbanisme
toujours en s’inscrivant dans une notion de dévelop-
et à l’Aménagement du territoire… L’archi-
pement durable avec la Coulée Verte ou l’Eco-Vallée,
tecture c’est plus que votre métier, c’est une
la rénovation d’écoles, de la galerie des Ponchettes,
véritable passion…
l’hôpital Pasteur qui sera le plus gros centre hospita-
En tous cas, c’est un rôle qui me satisfait pleinement !
lier d’Europe, utiliser au mieux nos ressources natu-
Cela fait 25 ans que je travaille et enseigne sur les
relles… Entre autres…
villes, on me demande de m’occuper de ma ville, Nice, qui en plus est la cinquième ville de France, cette communauté urbaine qui demain va devenir une métropole... Un défi à la fois stimulant et passionnant. J’en suis venu au métier d’architecte, attiré par ces deux principaux aspects : l’architecture en elle-même, qui permet de toucher à la fois à la création de l’espace mais aussi à sa mise en œuvre. C’est le double aspect d’une réflexion créatrice… Ce que l’on crée, les gens y vivent ! Et puis j’aime cette liberté, le côté libéral de la profession, nous sommes les décideurs de ce que l’on peut et doit faire…
Développer la ville pour les générations de demain, des générations plus responsables… On retrouve d’ailleurs cette notion de responsabilité avec le Forum de l’Urbanisme de Nice. Quelle est sa vocation ? Une vraie vocation d’information, de sensibilisation et de relais sur les débats en termes d’aménagement, d’urbanisme et d’architecture. C’est un espace ouvert à tous : associations, populations, professionnels… Un lieu de concertation sur les projets engagés par la ville de Nice qui s’adresse à une large palette d’interlocuteurs à commencer par les enfants. Un outil
Nice, un territoire à enjeux, un « terrain de
indispensable, on ne peut pas mettre des projets en
jeux », terre de défis…
œuvre sans les expliquer à ceux qui les feront vivre et
Et j’aime cette ville ! C’est une « vraie » ville, dense,
les vivront. Cela permet à Nice d’être dans le réseau
riche de par ses possibilités, avec une géographie
des réflexions au niveau international !
idéale et surtout… populaire ! Malgré l’image du
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arc h i te cture
Nice « un musée urbain » 500 m2 d’un ancien bâtiment des années 30 du
en Italie, les expériences s’y croisent au fil des ex-
Vieux Nice pour abriter le Forum d'Urbanisme et
pos mais aussi des conférences. En ce moment, la
d'Architecture de la ville de Nice. Depuis 2004, la
ligne Est-Ouest du tramway est mise à l’épreuve
structure s’est agrandie avec la « Maison des Projets
dans une enquête publique « Chacun peut venir
». L’objectif ? Adopter une démarche d'information,
s’exprimer dans le grand livre des concertations
de concertation, de formation concernant les projets
mis à disposition des visiteurs à l’entrée »… La ligne
de la ville, d'urbanisme et d'architecture en général.
2 cèdera sa place à la fin du mois de janvier pour
Mieux appréhender la ville de Nice. Tel est le pari
deux mois aux Jeunes Créateurs, une exposition
du Forum de l’Urbanisme en offrant culture, ouver-
nationale, avec des projets venus et retenus dans la
ture mais aussi les clés et les outils, notamment aux
France entière… Les Niçois seront présents et donc
plus jeunes. « Il faut qu’ils sachent regarder leur ville
pas en reste, car la ville est un « véritable vivier à
Le Forum d'urbanisme et d'architecture
pour mieux la respecter », explique Marie-Christine
talents » sourit Marie-Christine Tampon-Lajarriette.
© photos Isabelle Chanal
Tampon-Lajarriette, directrice du Forum : « C’est
Dans l’Antiquité déjà, le « forum » était l’endroit où
une chance de vivre dans une ville comme Nice, au
les citoyens romains se réunissaient afin de marchan-
patrimoine étonnant, des bâtiments de pratiquement
der, traiter d’affaires, discuter politique… Le Forum
toutes les époques, rien que de s’y promener, c’est
de l’Urbanisme de Nice est un vivier, avec toutes
un vrai musée urbain ! » Depuis 12 ans, le Forum
ces valeurs fondamentales que sont le partage,
prend de la valeur avec le temps et les grands pro-
l’échange, les discussions, la culture, l’histoire… De
jets qui sont aussi importants dans l’instant que pour
par sa situation géographique également, en plein
l’avenir. Le Forum organise des rencontres entre les
cœur du Vieux Nice. Un écrin de culture qui sait
architectes et les enfants dans les écoles, pour expli-
mêler la modernité et les futurs aménagements, à
quer comment est constituée la ville, comment elle
l’architecture et au passé de la cité azuréenne.
se construit encore de jour en jour, en perpétuelle évolution. Restructurations, rénovations et aménagements sont évoqués lors de ces entrevues, « c’est important de leur montrer que leur cadre de vie s’améliore pour leur avenir ! » Vox Populi Le Forum part à la rencontre des habitants, jusque sur la Promenade des Anglais, puisque l’exposition « Nice Torino, Une histoire commune » a étendu ses photos sur le bord de mer. « Nous ne sommes pas un musée statique, le Forum est un endroit tourné vers la ville et dans la ville ! ». Les expositions durent généralement deux mois, les murs sont toujours occupés, se réinventent, en lien avec la Cité de l’Architecture à Paris, des centres en Espagne,
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Ci-contre au dessus : Musée Cocteau à Menton © Isabelle Chanal
Ci-contre au dessous : Musée du Bastion à Menton © Isabelle Chanal
Cocteau en son jardin
Portrait Jean Cocteau © Keystone France
Trois ans après la pose de la première pierre, le musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman, projet d’envergure porté par la ville de Menton, a ouvert ses portes le 6 novembre dernier. Un horloger tombe sous le charme de l’œuvre intemporelle d’un poète et de cette rencontre naît une pieuvre géante en méditerranée. Cela ressemble à un de ces contes surnaturels si chers à Cocteau mais c’est ainsi que vit le jour le plus important musée jamais dédié à son œuvre. Un lieu unique bâti sous l’impulsion du collectionneur suisse Séverin Wunderman et d’une ville du sud intimement liée au parcours de Cocteau. L’artiste passa ses dernières années (1955-1963) dans le « Menton de la France ». Un séjour qui le marqua, tant ce rivage, résurgence d’une Ithaque fantasmée, inspira sa période méditerranéenne. Les calades du Bastion, le mythe d’Orphée à
Comment s’articulent les différents espaces du Musée ? Célia Bernasconi : Sur les 2600 m2 du bâtiment nous disposons de 1000 m2 de surface d’exposition, le reste étant réparti entre les réserves, les bureaux, un atelier pédagogique, un cabinet graphique, une librairie boutique et une cafétéria. Sans oublier le parvis du Musée qui accueille une mosaïque créée par Cocteau pour le Musée du Bastion. Cette mosaïque de galets, reproduite à grande échelle sur le thème du Lézard, occupe environ 350 m2. Cet animal cher à Cocteau n’incarne pas tant la paresse méditerranéenne, comme il aimait à dire facétieusement, mais symbolise toutes les mues de ce créateur qui accoucha d’une œuvre qu’il qualifiait lui même de « difficile à ramasser ».
la salle des mariages en témoigne. Aujourd’hui, c’est dans un écrin à la mesure de cette œuvre au « réalisme irréel » confié à l’architecte Rudy Ricciotti (Grand Prix National d'Architecture 2006, auteur du Musée des Civilisations d’Europe et de Méditerranée à Marseille et du Palais des Festivals de Venise) que l’esprit du père des « Enfants terribles » va revivre face à la Mare nostrum. Mais qui est vraiment Cocteau ? « L'idée est de proposer cette énigme en guise de fil conducteur » explique Célia Bernasconi, Conservatrice du Musée Jean Cocteau collection Wunderman depuis 2005. Alors, entrons dans le secret…
Justement, par quel bout avez-vous pris cette œuvre tentaculaire pour la faire entrer au Musée ? Les collections Cocteau sont présentées dans la grande salle du rez-de-chaussée, lumineuse, largement ouverte sur la mer et Menton et au niveau moins 1, soit au total 700 m2. Nous avons imaginé un plateau évolutif, à la mesure de ce fond protéiforme. Cocteau qui détestait les musées où les œuvres sont assujetties à l’espace souhaitait qu’il y ait une circulation d’air, une vraie respiration. Afin de respecter cette fluidité, nous fonctionnons avec des cimaises autoportantes et mobiles qui nous permettent de varier l’accrochage d’une année sur l’autre. Que se passe-t-il au niveau moins 1 ? C’est un niveau enterré qui offre de meil-
Célia Bernasconi, conservatrice du Musée Cocteau © Isabelle Chanal
leures conditions pour montrer les œuvres colorées des années 50 et le cinéma de Cocteau qui apparaît avec « le sang d’un poète » conçu d’ailleurs comme un dessin animé. L’espace fonctionne lui aussi sur le principe de cimaises mobiles même si
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nous y projetons parfois sur grand écran les longs métrages de Cocteau. Cette partie accueille également un cabinet d’art graphique où tous les dessins non exposés sont visibles dans des vitrines et meubles à tiroirs, un espace de documentation et l’atelier pédagogique ouvert aux scolaires. Le parcours suit-il un fil chronologique ? Oui mais cette trame est brouillée pour respecter l’esprit de l’artiste poète qui mettait au cœur de sa démarche, l’imaginaire. Le visiteur est guidé par les grandes figures mythologiques de Cocteau, depuis les années 1910, Sarah Bernhardt, son premier monstre sacré, Nijinski et sa découverte des Ballets russes, mais ce fil de vie entre en résonance avec la manière dont le créateur a évolué. Des photos et projections de films s’invitent dans cette scénographie qui se conçoit plus comme un labyrinthe interactif, un entrelacement, que comme une trajectoire unilatérale. Pourquoi ce choix ? Nous n’avons pas voulu mettre complètement à plat la légende de Cocteau mais faire dialoguer sa mythologie avec son parcours. Cela nous permet de faire découvrir de façon pertinente et plaisante l’évolution de sa ligne graphique, qui, des dessins caricaturaux des années 1910, passe au trait plus cristallin des années 20, puis
à la plume avec une encre plus épaisse dans les années 30. A partir des années 40 les formats et les pinceaux s’élargissent jusqu’aux décorations monumentales à la peinture à l’huile puis enfin à l’irruption de la couleur dans les années méditerranéennes. Il y a une vraie cohérence à développer ça de manière chronologique mais sans imposer une dimension trop muséographique pour laisser opérer la poésie de Cocteau. L’idée maîtresse était de proposer une promenade dans son œuvre comme lui-même s’y promenait dans le Testament d’Orphée par exemple, en se confrontant à ses alter ego. Quelle est la fréquence des expositions ? La collection Cocteau donne lieu chaque année à une nouvelle exposition pour des raisons de conservation des œuvres sur papier que l’on ne peut exposer plus d’un an à la lumière. Sur une collection qui comprend 1800 pièces dont 990 œuvres de Jean Cocteau, 250 environ seront ainsi présentées annuellement. Le fond est scindé en 4 parties. On expose chaque année un quart de celui-ci qui part ensuite trois ans en réserve. Ainsi pendant 4 ans les visiteurs vont voir de nouvelles œuvres. L’idée, entre temps, est de pouvoir proposer des expositions avec d’autres musées ou collections comme celle de la Maison
En Ville
de Cocteau à Milly-La-Forêt qui possède un dépôt de 200 œuvres. Le Musée s’ouvre-t-il ponctuellement à la création actuelle ? Les visiteurs ont accès à un espace d’expositions temporaires de 275 m2, en rez-dechaussée. Ce programme interroge la pratique du dessin qui occupe 90% de notre collection et entre en résonance avec le goût de Cocteau pour l’expérimentation, la nouveauté, le travail manuel qui assimile l’ensemble de son œuvre à une pratique d’atelier constamment renouvelée. Dans cet espace, nous invitons des artistes contemporains qui interrogent ce medium au-delà du papier (peinture, sculpture, vidéo, installation). Le cycle débute avec Jean Sabrier (novembre 2011 – avril 2012), un artiste bordelais dont l’œuvre correspond à la définition que faisait Cocteau du dessin : « décalquer l’invisible ». Suivront les artistes Bernard Moninot et Frédérique Nalbandian. Cocteau fut probablement le premier artiste multimédia ? En effet, c’est l’artiste qui a touché à tous les supports existant à l’époque. Il est d’ailleurs connu du grand public pour le cinéma qui est la synthèse de tous les arts. Dans ces films, il invitait ses œuvres, créait ses décors. Cette faculté à mêler les pratiques, à jeter des passerelles entre elles,
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Lucien Clergue, Jean Cocteau et Edouard Dermit avec le masque de mort, 1959-2011 Tirage argentique noir et blanc 50 x 60 cm N° inv 2011.2.49 musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman © Lucien Clergue
Jean Cocteau Madame Favini 1953 Huile sur toile 150 x 150 cm
N°inv. 2005.1.1067 musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman ©ADAGP, Paris, 2011 Avec l’aimable autorisation de M. Pierre Bergé, président du Comité Jean Cocteau. © Serge Caussé, photographe
Maquette Vitrail – 1982-86 Collection FRAC-Aquitaine © Jean Sabrier
en ont fait l’un des pères de l’art contemporain. Les expositions temporaires prolongent cette singularité artistique. Ce côté « touche à tout » l’a mis en son temps en marge de l’Art moderne Effectivement car sa grande notoriété se fit surtout à travers l’académicien, le poète mondain et le cinéaste. Des grands collectionneurs privés comme Wunderman ou Pierre Bergé, propriétaire de la maison de Milly-la-Forêt, puis en 2003 une grande exposition au Centre Pompidou, ont réhabilité son œuvre dessinée. Cette rétrospective fut pilotée par Dominique Païni qui a rejoint notre comité scientifique et participa à la réflexion sur le nouveau Musée. Un lieu porteur de nouvelles ambitions ? Grâce à la donation Séverin Wunderman et à la collection historique du musée du Bastion, la ville de Menton possède désormais 1190 œuvres de Jean Cocteau. C’est la première et la plus importante ressource publique mondiale de l’artiste. Ce nouveau Musée devrait renforcer notre lisibilité à l’international. L’objectif étant de rejoindre la fréquentation des grands musées monographiques azuréens comme ceux dédiés à Chagall, Matisse ou Picasso.
Sous le charme de Menton, lieu emblématique de la vie et de l’œuvre de Jean Cocteau, Séverin Wunderman rencontre Sévérin Wunderman © Ville de Menton Jean-Claude Guibal, son Député-Maire et fait donation de sa collection le 27 juin 2005 à la ville qui s’engage pour sa part à construire un musée public. La première pierre est posée le 29 décembre 2008, en l’absence du généreux donateur, disparu quelques mois auparavant. Jean-Claude Guibal, Maire de Menton depuis 1989 nous parle de cette reconquête du patrimoine culturel de la Ville.
Pouvez-nous rappeler comment est né le projet du Musée Jean Cocteau ? JC Guibal : Le musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman est un musée municipal, attributaire du label « Musée de France » depuis 2003. La dimension exceptionnelle de la donation et l’immense relation de confiance née entre Séverin Wunderman et la ville de Menton sont à
De gauche à droite : Jean-Claude Guibal, Renaud Donnedieu de Vabre, Séverin Wunderman © Ville de Menton
l’origine de ce projet. Il est le fruit d’une aventure humaine entre les représentants de la Ville et Séverin Wunderman que j’ai eu la chance de connaître à la fin des années 90. Mais c’est avec Jean Cocteau que l’aventure commence dans les années 50. Tout le monde le sait aujourd’hui, l’artiste entretiendra jusqu’à la fin de sa vie une relation très particulière avec notre ville dont il deviendra citoyen d’honneur. La salle des mariages de l’Hôtel de ville, le musée du Bastion, autant de souvenirs laissés par Jean Cocteau à Menton. L’histoire de la ville et de l’artiste se rejoignent, se complètent et c’est une nouvelle aventure que nous avons débutée le 6 novembre dernier. Qu’attendez-vous de ce nouvel outil ? Plus que tout, nous souhaitons que la générosité de Séverin Wunderman soit une
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Jean Cocteau Portrait de Picasso Circa 1917 Plume et encre brune sur calque 19 x 16.5 cm
N°inv. 2005.1.512 musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman ©ADAGP, Paris, 2011 Avec l’aimable autorisation de M. Pierre Bergé, président du Comité Jean Cocteau. © Serge Caussé, photographe
Jean Cocteau Tête d’Orphée 1926 Plume et encre brune, lavis d’encre brune et noire, pastels secs sur papier vergé 35 x 25.9 cm
N°inv. 2005.1.176 musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman ©ADAGP, Paris, 2011 Avec l’aimable autorisation de M. Pierre Bergé, président du Comité Jean Cocteau. © Serge Caussé, photographe
chance pour Menton et ses habitants. La création de ce musée va permettre de développer le rayonnement de la ville, sa notoriété, son tourisme et, bien évidemment, l’ensemble de sa vie économique : hôtellerie, restauration, commerces… nous avons tout à gagner à nous doter d’une institution culturelle majeure. Lorsque l’on voit les grandes villes françaises et internationales s’engager, année après année, dans des politiques culturelles d’envergure pour porter leur image et leur développement, on voit bien l’impact du choix de la Culture dans l’attractivité d’un territoire. Beaucoup de villes se posent la question du positionnement : quelle est notre singularité ? Comment nous démarquer ? Menton a la chance de ne pas devoir « imaginer » un projet culturel ; c’est la culture et les hommes de culture qui sont venus à elle. Jean Cocteau nous a laissé un formidable héritage et Séverin Wunderman nous a fait confiance. C’était une chance à saisir et nous l’avons fait. Quels sont les atouts pour que le Musée Jean Cocteau s’inscrive durablement dans le paysage culturel ? Tout d’abord, cette exceptionnelle collection offre une immersion unique dans l’œuvre et la vie de Jean Cocteau, poète,
artiste graphique, metteur en scène, cinéaste, représentatif de la culture et du patrimoine artistique français. Par ailleurs, pour accueillir cette collection, le Grand Prix d’architecture Rudy Ricciotti a proposé un projet audacieux, profondément méditerranéen, un bâtiment qui fait sens avec l’âme de Menton et celle de Jean Cocteau. Enfin, le musée offre un véritable lieu de vie aux visiteurs qui bénéficient d’un café ouvert envisagé comme un espace de détente, de réflexion et de rencontres ; d’un espace de documentation ouvert au public ainsi qu’un cabinet d’art graphique, où les visiteurs peuvent venir admirer, sur rendez-vous, les œuvres qui ne sont pas exposées. Une librairie boutique propose également une centaine de références, des dvd, des catalogues et des produits dérivés. Les grands Musées municipaux sont plus souvent visités par les touristes que par la population locale. Avez-vous envisagé des actions afin de réajuster cette jauge de fréquentation ? Notre objectif est d’attirer 100 000 visiteurs par an ; c’est un très gros défi mais nous mettons toute notre énergie pour l’atteindre. Pour le lancement, nous avons choisi d’être très visibles sur le territoire. Notre objectif
Lucien Clergue, L’homme cheval dans la carrière des Baux de Provence, 1959-2011 Tirage argentique noir et blanc 50 x 60 cm N° inv 2011.2.43 musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman © Lucien Clergue
est que le public en région sache que le musée a ouvert ses portes le 6 novembre 2011 pour lui donner envie de venir. Par ailleurs, un important programme d’accessibilité a été mis en place, nous voulons que chacun puisse s’approprier le musée et y trouver une émotion particulière. La médiation est au cœur de notre réflexion, il s’agit ainsi de mobiliser tous les publics de la région, et notamment les scolaires. Quel est votre politique tarifaire ? Tous les premiers dimanches du mois, le musée est ouvert et gratuit pour tous. Nous avons également une politique tarifaire basée sur la solidarité et l’accessibilité pour les publics qui en ont le plus besoin : les chômeurs, les moins de 18 ans (gratuité), les étudiants, les enseignants, les personnes de plus de 65 ans et les familles nombreuses. Le tarif de la visite des collections du musée s’élève à 6 € (nouveau musée et Bastion). Le tarif le plus élevé, 8 €, donne accès à la fois au musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman, au musée Jean Cocteau au Bastion et à l’exposition temporaire. Le tarif le moins élevé est de 2,50 euros. OM
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Audacieux ntrepôt !
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Une galerie qui prend le pari sur l’avenir, tend la main aux jeunes créateurs, organise un « Open des Artistes » pour une fois encore donner un coup de pouce à la production artistique… A la galerie L’Entrepôt, l’Art ne connaît pas de limite, pas de frontière, toutes les formes d’expression artistique sont les bienvenues. Le galeriste Daniel Boeri évoque sa passion, ses projets, ses choix, les expositions et nous présente artistes et coups de cœur.
L'
entrée est discrète, derrière cet immeuble de la rue de Millo à Monaco. Un immeuble qui abrite au fond de son rez-de-chaussée une porte bien étrange. Un portail coloré pour annoncer ce qui se cache derrière, une galerie lumineuse, L’Entrepôt. Colorée, moderne et ambitieuse ! Les jeunes talents y confrontent leurs toiles sous l’œil avisé et toujours pétillant du maître des lieux Daniel Boeri, galeriste. Rencontre… Qui êtes-vous Daniel Boeri ? Un parcours étrange… Je suis d’abord consultant en développement des entreprises, et au moment des fêtes de Noël je devais trouver le cadeau original pour mes clients. C’est comme ça que l’aventure a démarré, j’ai voulu des pièces uniques proposées par de jeunes artistes, cela permet de diffuser l’art et de les aider à se faire connaître. Je procède par essai, par erreur, ce n’est jamais simple.
De gauche à droite et de haut en bas : Détail de Proper Stranger, Benjamin SPaRK Daniel Boeri Galerie L'Entrepôt à Monaco Flying Babes, Benjamin SPaRK © photos Isabelle Chanal
Un travail minutieux, de longue haleine… Oui parce qu’une fois nous sommes à Florence, une fois à Bruxelles … Un métier à plein temps ! J’ai donc décidé de créer ce lieu : L’Entrepôt. Un endroit qui reste marqué par cette touche originale : travailler avec de jeunes talents, pas encore ou peu connus, « L’Entrepôt : La double audace ». Un lieu culturel où, à l’intérieur des expositions, j’essaie d’accoler autre chose, c’est ainsi que cette année nous avons fait « 24h Erik Satie », le pianiste jouait pendant 24 heures un
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morceau de Nicolas Horvath, pendant qu’Andrea Clanetti peignait. Trois tableaux qui ont ensuite été vendus aux enchères pour des œuvres caritatives. L’Entrepôt est un lieu éclectique qui mêle toutes les formes d’Art, aussi bien toiles qu’installations. Le Street Art côtoie le Pop Art, l’acrylique trône parmi les graffitis, pochoirs et autres collages… Un véritable melting pot d’œuvres, de genres mais aussi d’artistes notamment avec ces expositions intitulées « Mélange ». Quel en est le concept en quelques mots ? En général on fait des expositions personnelles et de temps en temps les toiles laissées par les artistes retrouvent leur place au mur pour une expo collective. Certains ont déjà participé à des expositions dans ces lieux. Pour « Mélange 2 », 16 artistes sont regroupés, une trentaine d’œuvres dont 19 encore jamais exposées. Andrea Clanetti Santarossa, Benjamin SPaRK, Mr One Teas, Zase, Giuda Uchiyama, pour ne citer qu’eux… DSK trône au milieu d’animaux étranges, aux côtés de personnages de comics ou de Greta Garbo… C’est aussi ça le « Mélange » avec pour lien commun, la modernité. Ce qui vous plaît le plus dans ce métier ? Les rencontres, les voyages, la sélection… C’est quand même compliqué car je ne viens pas de l’Art, je n’ai pas cette prétention ! J’applique les mêmes principes qu’au sein de mon entreprise, on se construit petit à petit, on laisse mûrir les choses, on ne se précipite pas. Caroline Bergonzi (qui s’occupe également de la communication) m’aide, j’ai aussi un conseiller artistique, on discute tous les trois, pour échanger nos idées… Vos choix se portent sur l’art contemporain, l’art concret ? Je pars effectivement vers ces domaines-là, j’essaie d’aller vers tous les genres. La ligne se définit petit à petit. Ce qu’a priori nous ne faisons pas, c’est du figuratif… Jusqu’à ce que
Galerie L'Entrepôt à Monaco © Isabelle Chanal
quelqu’un me dise que finalement ce n’est pas vrai ! Si demain on me propose de la poésie, je dirai pourquoi pas ! Il faut rester ouvert ! Nous venons aussi au street-art. Je travaillais en Italie en tant que consultant et on me propose de donner une œuvre pour une opération caritative à Florence. Benjamin SPaRK m’a tout de suite donné son accord pour la Beneficenza et c’est là-bas que j’ai rencontré des artistes de Street Art, avec des compositions en direct sur écran géant face au Dôme. Benjamin SPaRK qui a d’ailleurs customisé la porte d’entrée… On dinait ensemble un soir à Bruxelles, il m’a proposé de venir voir son nouveau travail et c’est devenu notre « œuvre d’accueil », notre porte d’entrée à L’Entrepôt. C’est un artiste que nous apprécions beaucoup et que nous suivons depuis un moment, il y a une confiance mutuelle qui nous lie. C’est avec lui que j’ai commencé en quelque sorte, il est l’initiateur de tout ! Il est en pleine croissance et je suis réellement fier et content pour lui. Il y a aussi Andrea Clanetti qui est un « peintre permanent » de la galerie. Quand j’ai eu besoin de monter une exposition il a répondu présent, il a aussi fait des performances en direct dans la cour pendant les « 24h Erik Satie ». Il travaille avec des clins d’œil, une joie certaine que l’on trouve dans les bandes dessinées, le cinéma italien, des choses de jeunesse… Et le troisième incontournable, le vainqueur de l’Open des Artistes 2011, Damien-Paul Gal,
qui fera je pense une très grande surprise ! Il mêle aussi des performances à son travail, un travail complet, mixte, grâce auquel il a gagné un prix récemment. On ne peut parler de la galerie L’Entrepôt sans évoquer l’Open des Artistes dont c’est la deuxième édition cette année… Le principe est simple : un thème imposé « Heureux qui comme Ulysse… » l’an passé, cette année, « La cité demain ». A partir de là, les jeunes artistes s’inscrivent et devront remettre leurs œuvres jusqu’à mi janvier. Tout le monde pourra venir voter pour sa toile préférée sur le site de la galerie (www. lentrepot-monaco.com). Le public (amateurs, passionnés, novices, curieux) joue 50% du rôle dans ce concours, il sélectionne les 30 œuvres qui seront exposées lors de la collective « La cité demain ». Un jury de professionnels statue ensuite pour déterminer le grand gagnant, qui illustrera la prochaine édition des annuaires de la ville de Monaco (grâce au partenariat avec Monaco Telecom), mais sera de nouveau exposé chez nous en décembre de l’année prochaine (comme c’est le cas pour Damien-Paul Gal en ce moment). Nous offrons également un prix Coup de Cœur et un prix Photo, nouveauté cette année. L’Art est une passion et un challenge ? Que j’aimerais réussir en dépit des obstacles et des difficultés ! AM
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il se passe quelque chose à Vallauris des artistes motivés, des nouvelles galeries… de l’apprentissage artistique à la mixité sociale
la passerelle
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n an de fonctionnement déjà pour cette structure originale implantée en plein cœur de Vallauris. Véritable passeur culturel, lieu de rencontre et d'échanges, la Passerelle est accessible à tous. Composée de deux es-
paces : un atelier où enfants et adultes viennent s’initier à différentes techniques auprès d’un plasticien et un espace « découverte » où sont organisées des expositions, des soirées théâtrales, musicales, des rencontres, etc. A l’atelier, on peut venir travailler trente minutes ou tout un après-midi, apprendre à peindre, réaliser un objet ou bricoler son truc (ouvert à tous publics, de 5 à 97 ans). Des cours de tournage, modelage, émaillage sont dispensés par des artistes locaux. Intervention Norbert Desène © Passerelle
Grâce à ce lieu, des « passerelles » (petits ponts ou couloirs reliant deux espaces, deux réseaux, etc.) se sont établies entre différents milieux : « En passant par les enfants, ça va très vite, les familles s'impliquent, une mixité sociale s’instaure. L’écoute est là pour tous projets individuels émergeant de désirs ou de besoins de s’exprimer ». Le passage de l’atelier à l’Espace Découverte se fait naturellement. Le travail des créateurs d’au-
Béton sur chaussures © Andreatta
jourd’hui, leur démarche, leur regard sur le monde sont présentés à travers des expositions ouvertes à un large public pour le familiariser aux diverses formes d’art et, pourquoi pas, faire naître de nouvelles vocations. En relation avec les événements culturels comme la Biennale de Céramique et d’Art Contemporain, les enfants ont pu travailler d’après des œuvres exposées. Avec un noyau d'artistes associé à ses projets, la Passerelle a fait bouger les lignes et crée du lien social. Certains de ses événements ont été repris par la jeune direction du Bar « Savoie » (soirées slam et concerts s’y déroulent dorénavant), des collaborations naissent (avec le Festival de la Photographie le Sept Off, avec la Ville de Cannes, etc.), de nouveaux projets se réinventent.
Autre acteur culturel de Vallauris, l’Atelier 49 en fonction depuis plus de vingt ans. Il organise plusieurs expositions par an et mène actuellement un projet ambitieux : la projection en permanence de films d’artistes dans la vitrine du magasin d’Arias, l’ami de Picasso. Une autre association « Art Vallauris » accueille des artistes céramistes en résidence. Atelier © Passerelle
v a ll a u r i s
E n V ille
Artistes présentés à la Passerelle Eric Andreatta est un artiste singulier dont les œuvres sont à la fois étonnantes et d’une grande évidence. Le regard est déplacé juste ce qu’il faut pour perturber nos points de vue habituels. Il racle la réalité ”comme un filtre que les poussières étouffent. Il faut nettoyer le filtre pour mieux respirer”. Le produit du raclement, le déchet, c’est l’œuvre, comme une page de carnet arrachée. Au concept (image prototype de l’objet), il préfère le percept (association des différents stimuli nés des sens dans un ensemble cohérent). Les concepts enferment, excluent. Comme les mots, ils sont limités alors que le percept laisse ouvert le champ de la conscience. Son art est une tentative de dépassement de cette contrainte, à la recherche d’un intelligible aux bornes du sensible et du visible. « Le métier du philosophe, c’est de faire des concepts, le métier de l’artiste c'est de faire des percepts. » (Deleuze) La plupart des œuvres d’Andreatta sont des pièces uniques, nées d’un regard original sur une parcelle de réalité : la bouée en plâtre (sur laquelle sont plantés des éclats de verre), la guitare (aux cordes hérissées de barbelés), le nécessaire à fakir, la lampe projetant sa propre source, etc. D’autres font série, nécessitant une douzaine d’approches pour épuiser le sujet (comme son travail sur les diapositives ou le blanc d’Espagne).
Dans ses installations, images et objets sont confrontés. Ainsi son impressionnante installation à la Chapelle de la Miséricorde (« Les Verres d’eau », été 2010), où des centaines de verres de toutes tailles et formes, remplis d’eau à ras bord et posés sur plusieurs tables faisaient face à un grand retable flou et tremblant. Un ensemble imposant, intimidant, quasi magique. Pour Andreatta, il s’agit de remonter aux sources des perceptions pour créer de nouveau, donner à voir, à sentir, à penser. « Il n’y a pas de vérité à dire, juste changer la perception qu’on a du monde ». Norbert Desène, peintre abstrait et géométrique exposé en mars, a beaucoup intéressé les enfants par son travail sur la couleur et les formes simples. Comment étonner l’œil en créant un juste équilibre ou des déséquilibres maîtrisés ? Comment résoudre l’équation fondamentale de la couleur et de la forme ? Les sculptures en bois brut de Paolo Bosi présentent un aspect âpre, dérangeant (comme ses pieux de bois plantés dans des billots du même bois). En utilisant des matériaux inattendus, il nous conduit à ce point où lisible et illisible se côtoient. Comme ces « oiseaux » grossièrement représentés par des matériaux rugueux, ou ces
De haut en bas : Au premier plan, sculpture de Paolo Bosi Exposition Norbert Desène © Passerelle Guitare (detail) © Andreatta
anges qu’on reconnaît à leurs grandes ailesécailles, semblables à celles d’un poisson préhistorique. AA
La galerie Egée
C
omme la Passerelle, a été ouverte en été 2010. Sur fond d’objets anciens et de décoration, Emmanuelle Esmiol veut faire redécouvrir la céramique, les techniques, les artistes, mais aussi de la photo et de la peinture.
Créatrice d’une ligne de décoration pour verres, lampes, la ligne Egée, des expositions remarquables ont suivi (Catherine Ferrari, Thierry Pelletier, Martine Polisset, etc.). Au printemps, Marc Alberghina, un artiste « anthropologue », qui travaille sur la représentation d’os recouverts d’émaux aux couleurs vives, de vieux émaux vallauréens avec lesquels il réalise des constructions improbables comme son usine ou un squelette présenté sur un plat d’or : « Offrande » ou les restes d’un festin anthropophage, comme si celui-ci avait coloré les reliefs de son repas. Marc Alberghina
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Sarah Moon “Les coulisses du Paradis”
Sarah Moon au Théâtre de la Photographie et de l'Image © jch dusanter
Elle créa la femme Cacharel, puis développa une fascinante poétique visuelle où s’interpellent le visible et l’invisible, l’éphémère et l'intemporel. C’est tout l’univers onirique de Sarah Moon que dévoile jusqu’au 12 février l’exposition « 1, 2, 3, 4, 5 » au Théâtre de la Photographie et de l’Image de Nice.
A
près avoir étudié « l’anglais et les bonnes manières » dans un collège britannique, Sarah Moon entame à l’âge de 18 ans une carrière de mannequin à Paris. Lorsqu’elle réalise en 1966 des photos d’une amie pour un défilé Cacharel, elle ne se doute pas qu’elle deviendra quatre ans plus tard, le pygmalion de la marque et sa photographe inspirée. Ses images sont diffusées dans de nombreux magazines (Harper’s Bazaar, Vogue, Marie-Claire..) et exposées dans le monde entier. 1985 marque un tournant lorsque Sarah décide de ne plus photographier que pour ellemême. Sa carrière internationale auréolée de nombreuses distinctions (Lion d’Or en 1986 et 1987, Grand Prix National de la Photographie de Paris 1995) s’oriente vers le cinéma. Elle réalisera plusieurs films dont un long métrage « Mississipi One » en 1990. Aller à la rencontre de Sarah Moon, dont la gracile silhouette semble reliée comme une antenne à une autre dimension, c’est partir pour une autre planète où le temps serait la langue la plus parlée et la monnaie d’échange, un secret chuchoté. Sarah Moon - Kassia pysiak © Théâtre de la Photographie et de l'Image
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Est-ce votre première exposition sur la Côte d’Azur ? Oui. J’avais déjà exposé à Arles et fait des photos à Monaco mais c’est la première fois que je viens à Nice. J’en ai profité pour découvrir la ville et réaliser une série de photos à la Villa Caméline. L’exposition du Théâtre de la Photographie et de l’Image est-elle la même que celle de Londres, Paris et New York ? Ce projet est né en 2008 à Londres avec l’ouvrage « 1,2,3,4,5 ». L’exposition qui suit les séquences du livre circule maintenant sous deux formes dont celle montrée à Nice qui relate mes travaux depuis 1990.
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C’est aussi la première qui vous ait donné envie de travailler au Polaroid. J’ai commencé en noir et blanc. La quasi totalité des photos présentes sont prises au Polaroid. Ce procédé, qui induit des accidents chimiques selon la lumière, la température, est un plus pour mon travail basé sur les imprévus.
On y découvre un univers fait de rigueur et d’extravagance, d’une certaine violence et d’une grande tendresse… N’y a-t-il pas d’incompatibilité dans les sentiments que vous évoquez ? Au final, j’espère que ce n’est pas trop sucré car j’ai voulu, dès 1985, explorer un autre univers que celui de Cacharel qui était axé sur la séduction. Que vous ont apporté ces années Cacharel ? L’expérience a duré 20 ans. J’ai commencé mes propres travaux à la mort de mon assistant. Je lui dois beaucoup. Il m’a appris la technique, un passage obligé à l’époque. Pour Cacharel j’ai dû créer une représentation appliquée à une image de marque. Cet exercice de commande fut néanmoins réalisé avec une grande liberté, dans un climat familial aux côtés de mon mari qui avait une agence de pub. Nous n’avions pas de story-board. On livrait les campagnes finies. A l’époque, on entrait dans l’âge d’or de la création publicitaire qui fut un véritable champ d’expérience pour beaucoup de photographes de talent. Aujourd’hui, cela serait impossible. Quand j’ai arrêté avec Cacharel, le diktat du marketing imposait jusqu’à la couleur des yeux des mannequins en fonction d’études de marché. Pensez-vous avoir apporté un regard féminin sur cet univers ? La première photo que j’ai faite fut celle de Sacha, une photographe de mode des années 60. Mais il est vrai que peu de femmes étaient derrière l’objectif notamment en France. En Amérique, quelques-unes opéraient comme Lillian Bassman, sur qui j’ai fait un film plus tard. Mon apprentissage de la mode et de la lumière m’a beaucoup aidé à créer une complicité avec mes modèles et une autre image de ce monde qui m’intéressait. Maintenant encore, j’aime les tissus, les matières, les formes. Le déguisement permet d’entrer dans une autre dimension. La prédominance du noir et blanc, les variations sur le flou et le net, tout cela vient-il du dessin que vous avez appris dans une école d’art ? Je n’ai jamais cherché la netteté à tout prix. Le flou, vient du fait que je travaille dans des lumières très faibles. C’est aussi une intention : faire sentir le mouvement, le vent quand je suis en extérieur. Le dessin ? Inconsciemment peut-être, dans la composition, l’équilibre des formes graphiques, l’épure des décors. A ce propos vous avez dit « Je voudrais faire une photo où il ne se passe rien." Plus ça va, plus j’enlève, je taille dans l’anecdote pour qu’il ne reste que le sentiment. J’aime aussi convoquer le hasard. Quand je suis dehors, il y a toujours un élément ajouté qui ne vient pas de moi, quelque chose qui me donne envie d’essayer. On ne voit ici qu’une sélection, un florilège, mais je photographie beaucoup. Ma première photo « Les hortensias sous la neige », s’est imposée à moi. A ce moment-là, ce que je voyais sous ma fenêtre avait un sens. Depuis j’envisage la photo comme un langage des signes.
Sarah Moon au Théâtre de la Photographie et de l'Image © jch dusanter
En quoi l’exercice de la couleur est-il différent ? C’est du studio avec une vraie réflexion sur des tirages au charbon réalisés aux USA. Alors que dans la mode je composais avec la couleur, pour mes travaux j’ai pu la dominer et développer une approche picturale, que j’évoque d’ailleurs avec une amie peintre dans « 1, 2, 3, 4 ,5 » Toutes vos photos semblent habitées. Leur mystère perdure longtemps après la première lecture. Est-ce un objectif savamment recherché ? Quand une photo est réussie, on doit penser à un avant ou un après même si cela a été pris en 1/30ème de seconde. C’est du domaine de l’association d’idées, ce n’est pas rationnel, cela m’échappe. Pour moi, il y a beaucoup de photos où il ne se passe presque rien. Mais ce presque rien c’est déjà beaucoup comme dans un Haïku. De fait, je ne fais pas de mise en scène, je ne cherche pas à faire poétique. Ma seule préparation consiste plutôt à créer les conditions pour saisir ce moment de grâce, s’il vient à se manifester.
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La notion de paradis perdu transparaît dans vos œuvres, êtes-vous nostalgique ? La photo, c’est la camera obscura. On n’est que l’ombre du passé. On dit souvent que je suis nostalgique voire mélancolique. C’est en tous cas l’aura qui se dégage de « Mississippi one » y compris dans les décors. Probablement parce qu’une partie du film a été tournée au port d’Anvers dans une zone industrielle qui a été détruite peu après. L’esthétique de la photographie est très marquée dans vos films On m’a souvent fait ce reproche, comme si la beauté formelle devait forcément cacher le vide, « belle et bête » ne dit-on pas? (Rires). Pour moi, qui viens de la photo, ce langage existe, et les films que j’aime de Bergman à Fellini ont été magnifiés par de grands directeurs de la photo. Le cinéma expressionniste allemand vous a-t-il aussi influencé ? Ce sont les premiers films que j’ai vus, notamment ceux de Fritz Lang. A 16 ans j’étais un pilier de cinémathèque. Les images de ce cinéma m’ont donné envie de faire ce métier avant même la peinture, ou la photographie.
Sarah Moon - Turkish delight © Théâtre de la Photographie et de l'Image
De votre enfance avez-vous gardé d’autres images ? Très peu, mais je me souviens de ces cartes postales affreusement kitsch de vierges ou de cupidons dorés que l’on voit encore en Espagne et aussi des illustrations d’Arthur Rackham pour un livre de contes.
promesse de gloire. L’envers du décor m’intéresse y compris dans la mode. Mais le backstage est encore plus fascinant dans le cirque où le spectacle et les coulisses existent en même temps avec une grande humilité. La frontière est fragile, désenchantée, la musique de Nino Rota évoque tout ça merveilleusement !
Le conte, on le retrouve justement dans vos films et certaines photos... J’avais fait un livre de photos « Le Chaperon rouge » en 1985, puis quand j’ai réalisé le film Circus, j’ai eu envie de revisiter « La petite fille aux allumettes » d’Andersen. Je ne suis pas intéressée par l’univers des fées, mais plutôt par la symbolique universelle des contes qui ne s’adressent d’ailleurs pas qu’aux enfants. De plus, c’est un merveilleux outil de narration, la dramaturgie y arrive très vite, on n’a pas besoin de d’installer les personnages. Ils sont précipités dans une situation qui les dévoile.
Le thème du masque dans votre œuvre est parfois troublant comme dans la photo « Un léger handicap » C’est le mannequin de son de Salvador Dali, que j’ai trouvé aux puces ! Il paraît étrangement vivant. C’est ce que j’ai voulu. J’ai d’ailleurs fait une série où je mêlais le vrai et le faux, les statues, une femme avec une jambe de bois, ces mannequins factices qu’on utilisait aux beauxarts au début du siècle. C’est incroyable la présence de ces figures qui flottent comme des fantômes entre le vivant et l’artificiel. Le polaroid qui donne une distance irréelle, brouille encore plus les pistes.
Le cirque semble également vous fasciner J’aime les gens du cirque que j’ai commencé à photographier en Russie. C’est un travail âpre, passionné, défaire et refaire chaque jour sans
« Mississippi one » est votre seul long-métrage de fiction. Comment est-il né ? Avec Alexandra Capuano, un ange est passé ! Du moment où j’ai trouvé cette fillette pour le rôle, j’ai été obligée de faire le film. L’homme, David Lowe, était un anglais, docteur en physique nucléaire devenu mannequin. J’avais fais de la pub avec lui. Il fait aujourd’hui des émissions à la TV. On ne voit pas vraiment son visage, je cherchais l’ombre d’un homme sur un enfant. Ce tournage a été pour moi une aventure extraordinaire. Un film d’amis avec un budget modique. On a tout mis sur l’écran et je me suis battu pour qu’il existe. Dans « 4 Contes » on aperçoit Jacques Monory dans un petit rôle Son côté dandy m’a toujours fasciné. C’est aussi un ami avec lequel je partage l’amour de l’image. Vos projets ? On me sollicite aujourd’hui pour la mode masculine. J’ai fait des photos et un film pour « Dior Hommes ». C’est différent, j’aime bien. Quant au cinéma, j’ai un projet d’histoire courte. Je suis à la recherche de l’acteur pour le rôle principal. OM
Sarah Moon - Le lendemain matin © Théâtre de la Photographie et de l'Image
5 - 8 April Art Monaco is the international art fair that brings together art collectors, Galleries and art lovers from all over the world to the French Riviera. We facilitate interaction, networking and generate sales opportunities and new partnerships. Continuing our research for quality exhibits, and following our commitment in becoming the business/artistic meeting point for excellence on the French Riviera, we are increasing Art Monaco this year to include and welcome the leading galleries in the Fine Art, Antiques and Design sectors.
Because life is also an ART...!
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De Nice à la Villa Médicis Elles sont niçoises (d’origine ou d’adoption), et furent pensionnaires de la Villa Médicis à un an d’intervalle. Elles pratiquent l’écriture avec une exigence, une radicalité qui fait que leur bibliographie offre un regard aussi oblique que tranchant sur nos vies terriennes. Mais de « Viande » à « L’eau super liquide », qu’est-ce qui alimente vraiment l’œuvre de Claire Legendre et de Cécile Mainardi ?
Claire Legendre : Anatomie de « L’écorchée vive » A force de vouloir montrer la vérité, quand on doit jouer un meurtre, qu’est-ce qu’on fait ? Née à Nice, Claire Legendre n’a que 6 ans lorsqu’elle monte, avec Fernando Arrabal sur les planches du théâtre de l’Alphabet que son père créa et dirigea à Nice. C’est pourtant vers la littérature que Claire s’engage en publiant à 18 ans son premier roman « Making of ». Un ouvrage suivi de plusieurs autres chez Grasset : de Viande en 1999, à L’Ecorchée vive
Making of au TNN mars 2009 © Fraicher Matthey
en 2009, via « La méthode Stanislavski » (2006). La romancière qui a enseigné la sémiologie théâtrale, l’écriture dramatique à l’Université de Nice et soutint une thèse sur le théâtre du XXe siècle s’ouvrit largement aux arts de la scène. Et notamment en adaptant son roman « Making Of » avec Linda Blanchet (Cie Hanna R) pour le TNN en 2009. Elle s’est
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Claire Legendre © J.Bonetto
investie également dans l’univers de la photo avec Jérôme Bonetto, son compagnon et photographe. En 1999-2000, Claire Legendre sera pensionnaire de la Villa Médicis. Après Rome, elle part pour Prague puis s’installe à Montréal où elle poursuit une œuvre qui passe à l’équarrisseur les rapports homme/femmes au cœur d’une société aussi douée pour la surconsommation que pour l’incommunication.
Pourquoi avoir choisi l’écriture ? Avez-vous hésité entre d’autres medium ? Ai-je vraiment eu le choix ? J’ai grandi dans un théâtre, mes parents écrivaient, lisaient. Les gens qu’ils admiraient le plus étaient des écrivains. On m’a toujours laissé entendre que c’était ce qu’on pouvait faire de mieux. Et puis, le langage était quelque chose d’accessible, de simple. Il ne demande ni adresse, ni force physique, ni technologie, ni fric. J’ai pourtant étudié le cinéma au lycée. A 18 ans, je voulais faire la FEMIS. J’ai eu des projets de scénarii, réalisé quelques courts, mais le «milieu» et l’industrie m’ont découragée. Je collabore parfois encore aux scénarii de mon amie réalisatrice Caroline Deruas. J’aurais adoré faire de la musique, je chante pour m’amuser, j’écris à l’occasion des paroles pour des amis musiciens. Même si j’ai quelques regrets de ne pas savoir jouer d’un instrument, danser, dessiner, je n’ai jamais «hésité», je n’ai ni don, ni la patience pour apprendre tout cela.
Quels sont les rapports que vous entretenez avec ces autres disciplines artistiques ? Depuis toujours la musique m’inspire de manière intuitive. J’ai toujours été entourée de musiciens, mon beau-père y compris. La musique m’accompagne quand j’écris. Elle peut donner le la, le climat d’un livre. Le cinéma est l’autre grand pourvoyeur, j’écris avec des images dans la tête. « Making-of », en porte les traces : Son univers new-yorkais s’est nourri d’une mythologie, celle d’Abel Ferrara, époque 90’s. La photo et la peinture ont beaucoup
compté dans mon roman « L’écorchée vive » (2009), où le regard a un rôle essentiel. L’héroïne est physiquement monstrueuse et son apparence est un défi lancé aux autres. J’ai travaillé sur les toiles de Soutine, de Schiele, sur les clichés de Witkin. La photo je m’en suis approchée de plus près dans un livre de photos-textes, cosigné avec Jérôme Bonetto : Photobiographies (2007). Le fait d’avoir vécu pendant 10 ans avec un photographe m’a fait regarder les choses qui m’entourent différemment. Ca a été un enrichissement pour l’écriture, évidemment.
Pensez-vous que la solitude de l’écrivain soit plus grande que celle de tout autre créateur ? Beaucoup de compositeurs et de plasticiens sont aussi très seuls dans leur travail. J’ai vu à la Villa Médicis à quel point nous étions tous calfeutrés dans notre atelier. Ce qui isole l’écrivain davantage encore, c’est peut-être le mode de réception de l’œuvre, qui n’induit pas la rencontre. J’envie beaucoup les musiciens, les concerts où l’on peut sentir la salle, vérifier qu’on donne du plaisir aux gens, éprouver le partage. Lorsque j’assiste à une représentation théâtrale d’un de mes textes, je peux sentir tout ça, c’est à la fois effrayant et très excitant. Ce sont des moments forts, que j’ai vécus avec beaucoup d’intensité.
Lis-moi ce que tu écris, je te dirai quel est ton sexe. Y a-t-il une littérature de femme ? Sartre disait que «le rapport de l’auteur au lecteur est analogue à celui du mâle à la femelle». Si vous me lisez, symboliquement je pénètre votre esprit. La littérature féminine est, à ce titre, parfaitement transgressive et contre-nature. C’est un acte politique en soi, qui la rend sulfureuse. Je rêve parfois d’être un homme pour ne pas avoir à assumer cet aspect-là, hypersexué, de mon écriture. A l’époque de Viande (1999) je me suis retrouvée en première ligne pour défendre la littérature féminine, alors qu’à 20 ans, je n’avais pas le sentiment de faire quelque chose de scandaleux. J’avais lu Bataille, Arrabal. J’aimais les
J’ai grandi dans un théâtre, mes parents écrivaient, lisaient. Les gens qu’ils admiraient le plus étaient des écrivains. On m’a toujours laissé entendre que c’était ce qu’on pouvait faire de mieux.
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Je me relis à haute voix pour voir si ça sonne juste. Mais qu’y a-t-il dans ce juste ? Quoi d’autre que ma voix, ma vérité ?
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images fortes. Je me les suis appropriées avec beaucoup de liberté, et la levée de boucliers qui a accueilli ce livre m’a fait comprendre que j’avais touché au tabou. Pas parce que je parlais de sexe, mais parce qu’en tant que femme, je m’étais permise de sortir du format, de n’être ni la maman, ni la putain, mais de parler le langage des hommes, le plus cru, qui ne pose aucun problème dans la bouche de Bukowski, mais qui dans la mienne, faisait sursauter.
Que faudrait-il faire, selon vous, pour redonner aux plus jeunes l’envie de lire ? Ecrire des livres qui parlent d’eux, de leur réalité, de leur mythologie. Leur montrer des écrivains excitants. Des figures auxquelles ils puissent s’identifier. Le désir de faire (de lire, mais aussi d’écrire) passe toujours par l’identification, je crois. L’image est un puissant vecteur de désir, d’imagination.
la société qu’il décrit. L’autofiction est un genre enfanté par notre époque. Si on parle d’atomisation du monde, du quart d’heure de gloire d’Andy Warhol, chacun peut désormais espérer être lu, pour peu qu’il sache raconter son histoire. C’est vertigineux. A un autre niveau, il y a quelque chose de pornographique dans l’autofiction, je veux dire au sens strict : ce qu’on donne à lire, on le donne pour vrai. On dit : je l’ai vécu. Et ce pacte passé avec le lecteur dépasse en puissance tout ce que vous pouvez faire dans le champ de la représentation : c’est le corps de l’écrivain qui est en jeu.
Quelle définition donneriez-vous du style et quelle place occupe-t-il dans votre travail ? C’est quelque chose qu’on ne doit pas pouvoir définir soi-même, au risque de commencer à se regarder faire. Je me relis à haute voix pour voir si ça sonne juste. Mais qu’y a-t-il dans ce juste ? Quoi d’autre que ma voix, ma vérité ? J’ai failli abandonner mes études de lettres parce que j’avais peur qu’elles m’obligent à une trop grande conscience de ce que je faisais. Quand j’ai commencé la recherche, j’ai choisi de m’orienter vers le théâtre, pour éviter ces interactions. Heureusement, j’ai commencé à écrire avant de faire mes études. Elles m’ont beaucoup appris, mais il n’y a rien de pire que l’auto-exégèse.
Quand vous écrivez, vous arrive-t-il de penser à un lecteur en particulier ? Oui, presque toujours. Pas toujours le même. Parfois, plusieurs cohabitent et ça se complique. Souvent mon père. Mon compagnon. Mon éditeur, évidemment. En ce moment j’écris sur Prague, et je me demande souvent ce que penseront les lecteurs tchèques. Ca m’oblige à me poser de nouvelles questions, à sortir de mon point de vue de française expatriée.
Claire Legendre © J.Bonetto
Voyez-vous aujourd’hui un courant littéraire qui puisse avoir le pouvoir de cristalliser l’époque La Côte d’Azur est-elle la région idéale pour comme le firent le romantisme ou plus tard le exercer votre activité ? Mon père a tenu 26 ans. Il a réussi à faire vivre son nouveau roman ? théâtre à Nice, presque sans subventions, en faisant L’autofiction, le roman noir sont symptomatiques de nos sociétés modernes, et ont suscité le meilleur, parfois le pire. Le roman noir a permis d’aborder une réalité sociale qu’on voyait moins dans les Prix Goncourt. Sa dimension sociologique lui confère une pérennité absolue parce qu’il se régénère avec
des spectacles magnifiques sur Michaux, Arrabal, Jankélévitch, Kadaré, Bergman... les gens venaient surtout voir les Molière et les Feydeau. Il m’a appris à ne rien demander à personne. Hormis le climat, très peu de choses sont faites pour la création à Nice. Les artistes qui y survivent ont beaucoup de
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mérite. Je suis partie, comme beaucoup de mes amis. D’abord à Prague pendant trois ans, puis à Montréal depuis quelques mois, où on m’a offert un poste de professeur de création littéraire, ce qui n’existe pas dans les universités françaises. Je reviens souvent en vacances à Nice, voir mes parents, mais pour revenir y vivre, il faudrait que je puisse y trouver ma place.
Si ce n’est pas déjà fait, aimeriez-vous que l’une de vos œuvres fasse l’objet d’une adaptation cinématographique ou théâtrale ? Oui, cela a été fait plusieurs fois au théâtre. Par mon père au Théâtre de l’Alphabet, qui a monté trois textes écrits spécialement pour lui. Au TNN, Linda Blanchet a adapté « Making-of ». En Autriche, Veronika Krenn, « Viande ». Ce sont de très belles expériences. Quelque chose de très fort, une rencontre avec le public. La complicité avec l’équipe aussi, c’est très chouette, on se sent plus fort. Presque une récompense, un soulagement. Au cinéma, je serais curieuse de voir le résultat, évidemment. La seule condition, c’est de rencontrer les bonnes personnes, des gens qui aient un projet artistique. Cécile Mainardi
Qu’y a-t-il de récurrent dans votre œuvre ? La recherche d’une vérité, pas comme un Graal, mais comme quelque chose à sortir de soi. Il y a les livres qui parlent du corps, de l’identité sexuelle, du couple, de ce qu’il y a à l’intérieur. L’Ecorchée vive, Viande, sont deux romans à 10 ans d’intervalle, que je me suis un peu fait mal à écrire, et dont je suis fière parce qu’ils portent des images fortes. Et puis il y a les livres avec lesquels j’ai voyagé, je me suis amusée : « Making-of » un polar, « La Méthode Stanislavski », à mi-chemin entre l’autofiction et le roman noir. Un livre qui se passe à Rome, à la Villa Médicis, dans le milieu du théâtre. C’est à la fois un roman sur la création, sur la communauté d’artistes de la Villa, et l’énigme policière est là, pour poser une vraie question sur l’art de la représentation : à force de vouloir montrer la vérité quand on doit jouer un meurtre, qu’est-ce qu’on fait ?
Quel est le prochain sujet qui vous habite ? L’exil, forcément.
© jch dusanter
Cécile Mainardi L’effeuillage d’une « grande actriste » Après de brèves années d’enseignement à Nice et un livre chez Jean-Michel Rabaté, François Dominique lui ouvre les portes de la Villa Médicis en 1999. Cécile Mainardi passera six ans à Rome professant la linguistique française. De retour en France, elle retrouve le sud, où au contact de l’art contemporain, son rapport à l’écriture se modèle. Les mots devenus objectifs changent de focale verbale, pour mettre le présent en abîme. Flirtant avec la poésie Dada et les lettristes, Cécile adapte le medium de l’écriture au processus créatif de l’artiste plasticien. En cela, ses ouvrages, qui procèdent du laboratoire, forment une collection : de la « Blondeur » à « L’eau super liquide », où la poétesse serait à la fois l’artiste, la galeriste et, pour paraphraser son 7e livre, « Je suis une grande actriste », le commissaire « d’exprosition ». Commissaire d’exposition, Cécile le fut en 2010 pour le « Salon de l’Auto » quand, sur l’invitation de la galerie « Espace à vendre », elle organisa la scénographie du « Dernier des Moïques » à l’Hôtel Windsor avec entre autres artistes Tilo Lagalla, Ben et Noël Dolla.
Depuis trois livres je me dévoile via des ouvrages soustitrés : « Textes pour montrer mes seins aux lecteurs »
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La solitude la plus forte c’est d’être privé du public. Un jour, j’étais à Paris. J’apprends que mes livres sont en vitrine de La Hune. Quand j’arrive, ils n’y étaient plus. On les a vendus, me dit le libraire. Mais à qui ? Vous souvenezvous au moins d’un visage ?
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Pourquoi avoir choisi l’écriture ? Avez-vous hésité entre d’autres medium ?
Pensez-vous que la solitude de l’écrivain soit plus grande que celle de tout autre créateur ?
Au départ il y a un tempérament créatif qui cherche son medium. Enfant, j’étais une sorte de Guy Degrenne. Je passais mes heures de cours à dessiner. Jusqu’à 18 ans j’étais un peu touche à tout, photo, dessin. Puis, grâce au critique d’art Jacques Lepage que j’ai rencontré alors que je faisais Hypokhâgne, j’ai fréquenté la Villa Arson et la génération de Philippe Ramette. Tous m’exhortaient à faire de l’art plastique. Le medium qui m’a paru le plus évident fut l’écriture que je pratiquais déjà. Alors, j’ai ouvert un cahier de « propositions artistiques » où je décrivais des œuvres au lieu de les réaliser. Si j’avais besoin pour une pièce de 40 chevaux blancs, je n’avais qu’à écrire : 40 chevaux blancs. Et ils étaient là. Si je les voulais bleus, pas besoin d’aller chercher un peintre. Chaque fois que j’essayais de passer à la réalisation mon désir s’émoussait. « A quoi bon réaliser des pièces quand on a tant de plaisir à les imaginer » disait Duchamp. Qu’y a-t-il de plus réactif que l’écriture après l’imagination. On peut écrire n’importe où, à n’importe quel moment, créer par fulgurance. Cette efficacité nominale vertigineuse m’a conquise. La deuxième raison c’est que la labilité du mot, la plasticité de la phrase est d’une telle subtilité que la pensée, même la plus sensuelle, peut s’y fondre mieux que dans n’importe quel matériau.
Elle est en tous cas omniprésente. On travaille sans équipe contrairement au cinéma, au théâtre ou souvent en musique. On est seul socialement. La solitude la plus forte c’est d’être privé du public. Un jour, j’étais à Paris. J’apprends que mes livres sont en vitrine de la librairie « La Hune », boulevard Saint-Germain. Quand j’arrive, ils n’y étaient plus. « On les a vendus », me dit le libraire. « Mais à qui ? Vous souvenez-vous au moins d’un visage ? Je réponds ». Le type était mort de rire. Dans la pratique, on est aussi dans une solitude face à soimême, mais quand le travail fonctionne, ce sentiment s’efface. On a l’impression d’être connecté comme sur Internet à des millions de personnes.
Quels sont les rapports que vous entretenez avec les autres disciplines artistiques ? Les autres formes d’art m’ont toujours plus inspirée que la lecture de poésies. L’art contemporain a souvent été un déclencheur. Il m’est arrivé de transposer en écriture les émotions contenues par une œuvre. J’ai eu parfois recours aux ekphrasis, la représentation verbale d’un objet artistique. L’une des premières provient d’Homère décrivant un bouclier. Pour ma part j’ai fait des ekphrasis cinématographiques, récemment autour du baiser de Camilla dans Mulholland Drive de Lynch. Le cinéma c’est l’art du XXe siècle. Difficile d’écrire sans penser à un travelling, à un gros plan ! Mais c’est une imagerie assimilée à un tel degré que cela fonctionne tout seul.
Lis-moi ce que tu écris, je te dirais quel est ton sexe. Y a-t-il une littérature de femme ? Je ne revendique pas un chromosome X ou Y quand j’écris de la poésie. Qui se cache derrière « L’eau super liquide », un homme ou une femme ? C’est une sorte de savant fou qui délire. L’acte n’en est pas pour autant unisexe ou hermaphrodite. Je suis un garçon manqué - on me l’a dit souvent - au point qu’il m’arrive parfois d’être dans un rapport masculin avec les femmes. Rien à voir avec une pulsion sexuelle, cela tient de la mécanique de la poésie amoureuse qui est mon registre. Dans « La blondeur » On voit bien que c’est une femme qui s’adresse à un homme mais ce désir-là renvoie à un autre qui serait plutôt du côté du désir homosexuel d’un homme à un autre homme.
Que faudrait-il faire, pour redonner aux plus jeunes, l’envie de lire ? En 2000, nous n’avions plus d’échanges épistolaires. S’il y a eu un bug c’est que la pratique de l’écriture est repartie via internet, les textos. Quant au meilleur moyen de donner envie de lire aux enfants, c’est probablement de leur interdire. L’interdit a toujours suscité, surtout auprès des plus jeunes, le désir de transgression.
l i tt é r a tu r e
L a vie des arts
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Céclie Mainardi et Ben à l’Espace à débattre
© Olivier Marro
Voyez-vous aujourd’hui un courant littéraire qui puisse avoir le pouvoir de cristalliser l’époque comme le romantisme, ou bien plus tard le nouveau roman ? J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui se passe aux USA. C’est parti avec des écrivains comme Bret Easton Ellis, et se poursuit avec Raymond Carver, des auteurs qui écrivent en mixant les formes, les genres. Un courant ? Seule une forme de baroquisme pourrait capter quelque chose de cette époque insensée.
Quelle place accordez-vous au style dans votre travail ? En tant que poète, le style, c’est tout. Le fond importe peu, je peux parler d’une veste verte ou d’un hanneton. Il n’y a que la forme qui m’intéresse, je suis allée jusqu’à compter le nombre de mots exacts, une poésie en 174 mots. Pour le roman c’est différent, je suis dans un total oubli du style mais malgré tout mon écriture imprime un style, un rythme, qui procède de l’inconscient.
Quand vous écrivez, vous arrive-t-il de penser à un lecteur en particulier ? Dans « je suis une grande actriste » je le convoque à tel point qu’il est question qu’il prenne ma voix. Je l’enjoins d’ailleurs à lire à haute voix. C’est un livre où le lecteur est partie constitutive du projet. Dans « la Forêt de Porphyre », je le préviens que ce sont des « textes-faits-pour-n’être-lus-qu’une-seule-fois ». C’est bien sûr improbable mais je convoque imaginairement la pratique de mon lecteur. Dans mon appareillage poétique, il est souvent là ! Cela fait trois livres que je me dévoile via des ouvrages sous-titrés : « Textes pour montrer mes seins aux lecteurs ». Le luxe absolu serait d’écrire pour dix lecteurs qui connaissent mon œuvre par cœur : je n’aurais même pas besoin de publier, je n’aurais qu’à paraître et faire tomber mon mouchoir (rires).
La Côte d’Azur est-elle la région idéale pour exercer votre activité ? Oui, absolument je ne peux pas écrire ailleurs. A la Villa Médicis, je n’ai pas pu écrire. A Paris, on est pris dans le maelstrom, à Rome dans la tarentelle, à Berlin dans les fêtes. Nice n’est pas une ville dispersive. On y est retranché dans une sorte d’oisiveté propice à la réflexion. Ce n’est pas pour rien que beaucoup d’artistes travaillent ici. On peut s’y perdre, c’est la ville imaginaire, traversée par le vide. Il y a des tunnels, des doubles-fonds, on vire à « Rauba capeù » et c’est une autre journée dans la journée. Je voudrais faire un jour un livre sur Nice.
Si ce n’est pas déjà fait, aimeriez-vous que l’une de vos œuvres fasse l’objet d’une adaptation cinématographique ou théâtrale ? Pour la poésie, les mots se suffisent à eux même. Cependant, « Je suis une grande actriste » écrit en 2007 a été mis en voix en avril dernier pour le théâtre par un jeune metteur en scène Laurence de la Fuente et sa compagnie, « Pension de Famille » au festival « L’Escale du Livre » à Bordeaux.
Qu’y a-t-il de récurrent dans votre œuvre ? Je pars dans des flux d’objets de sidération, de fascination, de l’eau super liquide à la Blondeur, c’est la récurrence de la récurrence. Restituer l’unité de dimension du présent, une unité de l’émotion, c’est ce que je m’efforce de faire dans chaque œuvre par des moyens différents.
Quel est le prochain sujet qui vous habite ? Quitte à basculer dans la narration, je travaille sur un roman comique. Seul ce registre, qui va du burlesque à l’absurde, peut me transcender. C’est une dimension de ma vie personnelle qui n’a jamais cessé de nourrir mon œuvre. OM
A la Villa Médicis, je n’ai pas pu écrire. A Paris, on est pris dans le maelstrom, à Rome dans la tarentelle, à Berlin dans les fêtes. Nice n’est pas une ville dispersive.
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la vie des arts
b e r n a r d r e ybo z
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Bernard Reyboz
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e m r o f
Portrait Bernard Reyboz © artstoarts
Créateurs d’univers, découvreur de formes, architecte de l’organique, le peintre sculpteur Bernard Reyboz convoque la nature et le conceptuel, le réel et l’imaginaire, l’observation scientifique et la contemplation poétique pour donner au monde une forme.
ss
e é
B
à Nice l’exposition/Expédition « Bornéo 1904 ». Bien sûr, la caisse du
Après des études aux Beaux-Arts de Besan-
Baron, une fois ouverte, libère des spécimens que n’aurait renié ni Love-
çon puis aux Arts déco de Nice, il entame
craft ni Burroughs : « insectes énormes, pourvus d’antennes, de trompes
une carrière dans l'illustration œuvrant pour la publicité
et d’étranges pattes, dont les carapaces bariolées rappellent le pelage
et l'édition. C'est en 1978 qu'il décide de se consacrer ex-
des fauves… ». Reyboz, l’entomologiste poète, accouchera bientôt par
clusivement à son travail artistique. Comme beaucoup d’ar-
phases successives de mutations, d’une œuvre dont l’apparente simpli-
tistes, Reyboz choisit la Côte d’Azur pour sa lumière, et son
cité séduit autant qu’elle interroge. Son parcours est à lui seul une expé-
bleu « incruste » qui agit favorablement sur son inspiration. Mais
dition qui conduit, pas à pas vers un continent oublié qui fonctionne avec
L’ O
ernard Reyboz est né à Lyon en 1951.
ce sont les galets de la Baie des Anges qui auront un impact déter-
ses propres codes, en autarcie si intelligente qu’il est bien difficile d’y
minant sur le premier chapitre d’une œuvre pluridimensionnelle qui
voir les ficelles ou les références. Partis de formes simples, les "objets"
l’amènera à exposer à travers le monde et en particulier au Japon et
de Bernard Reyboz puisent leur puissance évocatrice dans l’origine des
en France. D’emblée, ces objets-sculptures fascinent : ils se repro-
forces telluriques de la matière. Comme Prométhée qui déroba le feu du
duisent comme des cellules mères, chaque série, chaque phase portant
ciel pour enchanter sa propre créature, Bernard Reyboz puise leur éner-
en elle les germes de la précédente. L’œuvre de Bernard Reyboz est une
gie dans la nature, dans son instinct grégaire, dans ses premières formes
famille sidérante, une tribu pleine de fantaisie, de poésie, issue d’unions
de vie larvaire. L’intemporalité qui s’en dégage fait partie du voyage
jamais contre-nature, mais au contraire réunie par un cordon ombilical
que propose l’artiste. Une enquête sur une réalité ? Un voyage astral qui
fait de matière et de lumière. Dès lors l’aventure de la forme commence
passe par « l’extraction d’un centre de gravité dans l’espace temps »,
comme une épopée entre la terre et l’espace, entre l’œil et le réel !
une aventure intérieure ? Quelle est la meilleure distance pour observer l’œuvre/monde, semble nous dire à chaque fois Reyboz.
Observation/ Exploration Le regard serait-il la clé de voûte de l’œuvre de Bernard Reyboz ? On peut le supposer, lui qui commença par travailler autour de la technique du trompe-l’œil. Comment en douter face à ces étranges formes qui évoluent de façon organique dans l’espace, qui nous invitent, au-delà du plaisir de la contemplation, à voir à notre tour le monde autrement. L’observation du vivant préside au travail de cet explorateur qui use d’une méthode préparatoire quasi scientifique. Compilant, archivant, comme dans un muséum, ses souvenirs d’enfant, ses découvertes, ses campagnes de fouille du réel. Car Reyboz fut un aventurier avant de devenir un plasticien. « Dans le petit port de Teng-Tchéou au nord de la Chine, le baron Shnaauzer, négociant en épices, attend une livraison en provenance de Colombie. Ce jour-là une grande animation règne sur les quais. Les dockers libèrent les entrepôts des colis qui n’ont pas été retirés. Le tout est étalé sur les quais. L’attention du baron est attirée par une caisse bien particulière autant par sa confection que par l’odeur qu’elle dégage. Après y avoir jeté un œil, il en fait l’acquisition et la fait porter à l’hôtel ». Voilà comment s’annonçait en 1994
Extraits du recueil de dessins "Tempéraments d'Écrivains" de Reyboz, octobre 2011 © Reyboz - Tous Droits Réservés
Reyboz est aussi un fin dessinateur. Son recueil de dessins humoristiques « Tempéraments d’Ecrivains » montre un autre aspect de son œuvre : l’humour. Dans cet ouvrage, il se moque allègrement de l’angoisse de l’écrivain, notamment face à la page blanche… Délectable !
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Du galet aux Monolithes Après une étude circonstanciée des éléments na-
la vie des arts
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Monolithe, 2005. Sculpture-objet Acrylique sur résine © artstoarts
turels, l’artiste propose une re-création du vivant, donnant à chacun de ses avatars son propre continuum. Le galet sera sa première conquête. A l'occasion d'un voyage à Nice en 1972
Atelier Bernard Reyboz © artstoarts
l'artiste aura un choc pour cet élément qui deviendra la pierre philosophale de ses premières investigations. " Mon attrait pour les galets fut si fort qu'ils m'ont amené à m'y intéresser de très près. Cela s'est traduit par une série de tableaux et dessins exécutés dans la meilleure technique du trompe-l’œil dont disposaient mes mains à cette époque." Ainsi en 1983 à la Galerie Chave à Vence, l’artiste livre sa première exposition personnelle autour du thème « Les Galets » présentée en collections trompe l’œil. Recensés, calibrés, alignés, ces galets sont ensuite répertoriés avec la maîtrise du "minéraliste obsédé par la classification". D’abord traités en noir et blanc, à l’aérographe, en peinture-objets, sculpture-objets, le minéral goûtera ensuite au spectre de la couleur et se révèlera en 3 dimensions dans une seconde phase d’évolution. Curieux Monolithes épousant des formes oblongues, nouvelle génération lissée, polie, comme enfantée d’un monde subaquatique. Puis les galets se changent "en volumes supports graphiques, parcourus de symboles, tatoués de calligraphies, traversés de signes "organiques". Des pièces qui développent l'expression, le langage de l'imaginaire, évoquant les premiers signes d’une civilisation inconnue ou engloutie. « Enfin plus tard, explique l’artiste, ces volumes se sont vidés de leurs signes pour devenir "objet minéral mort", objet "brûlé", "noirci" par le fond de la terre puis rejeté sur elle pour constituer les nouveaux paysages. » La plus étrange collection entomologique Les Champs de percussion et les Textures naîtront eux aussi d'une étude de la nature. Et notamment leurs trames sensuelles et complexes : "En 1987, j'ai passé plusieurs semaines à photographier des haies végétales taillées ou sauvages. J'aimais ces façades épaisses dans lesquelles on pouvait plonger ses mains ou enfoncer son corps. Ma première tâche fut de mettre au point une technique qui me permettait de produire cette matière virtuelle. Le papier et le métal en feuilles se prêtèrent à cette réalisation (...)". L’effet de matière inspire alors à son auteur une vibration graphique faite du jeu savant des pleins et des vides. Le peuple des Tripodes, créatures malignes de tailles variables, débarque sur le rivage Reybozien par accident. « A l'époque je travaillais sur les monolithes et les champs de percussion. Dans un moment de distraction, j'ai modelé avec de la terre un petit
Galets (Détail de table basse), 2005. Vue de dessus, Sculpture-objet. Acrylique, bois, verre, coulures sur terre cuite © artstoarts
sujet à trois pattes surmonté d'un long cou qui portait une spirale. J'ai déposé ce sujet dans un coin de mon atelier et je suis retourné à mes occupations optiques et minérales. Quelques mois plus tard, dans un moment de plus grande distraction, j'ai repris la terre et modelé des centaines de sujets de 5 à 10 cm de haut, tous avec trois pattes, avec un symbole abstrait
Troupeau,2003. Acrylique, bois, terre cuite © artstoarts
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« Ensemble de personnages, de créatures ou de formes, les œuvres de Reyboz se superposent et se bousculent dans une succession d’aventures. Elles prennent corps. On participe aux péripéties » François GOALEC
*Extraits d’interviews du catalogue raisonné de B. REYBOZ (Edition artstoarts)
P artie droite du triptyque Galets, 2004. Peinture-objet. Acrylique sur bois, coulures sur résine © artstoarts
en guise de corps ou de tête. Je les ai installés sur des plaques de bois, disposés bien en ligne les uns à côté des autres comme une collection ; c'étaient les premiers recensements ». Façonnés avec de la terre, se regroupant en ban, en colonies, ces petits personnages noir et blanc,
Monolithes Madrépores, 2001. Installation acrylique sur résine © artstoarts
s’animent au cœur de scénettes poétiques non dénuées d'humour. L’artiste les invitera même dans une série d’histoire où ils évoluent dans soixante boîtes comme dans un petit théâtre. Les Cratères, sortes d'entonnoirs recouverts de sable noir, ovales ou sphériques sont une résurgence de la période des galets qui préface la naissance des Chrysalides, tout comme la série « Magma » où l’artiste met à jour une nouvelle carapace. « L'enchevêtrement de traits peints sur une surface avec des lignes en fils de fer les prolongeant dans l'espace me donnait l'impression de brasser une lave. Je "concoctais" la matière première des futures chrysalides. » Quand les chrysalides apparaissent, il semble qu’un cycle de l’évolution de l’artiste soit atteint. Etranges créatures faites de matières grillagées, nids de coraux, fourrés ultra marin, l’imaginaire se laisse piéger par ces formes douces où l’effet de matière joue à plein la symphonie du vivant. « Les Mouvants », plus récents, présentés en 2008 à la Galerie Ferrero, de même que la sortie de l’impressionnant catalogue raisonné de l’artiste (Editions Artstoarts), feront de ces objets sculptures des créatures animées subtilement par un mécanisme interne. « Je fus vite embarrassé de cet aspect mécanique qui pouvait m'enfermer dans un système d'usinage et d'assemblage - j'ai donc détruit toute cette production. Seules deux pièces y ont échappé... des collectionneurs ayant été plus rapides », explique Bernard Reyboz, un artiste dont le monde venu du fond des âges, n’a pas fini de nous enchanter comme une fontaine de jouvence où coulerait l’énergie la plus vitale. OM Atelier de Bernard Reyboz © artstoarts
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En Ville
MONACO
SURF NOW, APOCALYPSE LATER Un voyage hypnotique à travers la BOF de Francis Ford Coppola. Un des vinyles de la collection « les Disques en Rotin Réunis »
Affiche du film «I Am A Genius (And There’s Nothing I Can Do About It)» réalisé avec Hifiklub à propos de R. Stevie Moore à Nashville (design Hart Print Shop, Nashville, TN)
La pochette de «Collection Amplifiée» LP 33t + livret / 10 chansons de geste modernes produit avec le Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart (design A. Maguet)
© B Ornano
Arnaud Maguet Garage land Un enfant démonte son jouet pour voir ce qu’il a dans le ventre, un ado sa bécane pour voir s’il est capable de la remonter, Arnaud Maguet, lui déconstruit la subculture des années 50/70 pour voir comment ça marche. Et ça marche ! « Quand la légende est plus belle que l’histoire il faut imprimer la légende », est-il dit dans l’Homme qui tua Liberty Valence. Oui mais comment ça traverse le temps, les modes, une légende ? Voici plus de trente ans qu’Elvis s’est écroulé dans ses W-C, terrassé par une crise cardiaque, et pourtant, 17 % des américains le croient toujours vivant ! Et que dire de Jim Morrison, Lennon ou Hendrix, qui continuent à hanter nos platines, nos ipod, notre imaginaire six pieds sous terre. Le poltergeist amplifié, c’est l’affaire d’Arnaud Maguet !
La société du backstage Ce toulonnais né en 1975 n’est pas plus exorciste que vous et moi, mais passe son temps de plasticien à démonter la mécanique des idoles pop, à fouiller dans le capot des low cultures des Trente Glorieuses « C’est un temps où le champ des possibles était plus large. Ce qui compte dans mon travail c’est l’idée de l’icône, pas son identité ! » Elvis, une relique en or pour ce profanateur, une béquille en titane pour l’artiste qui fit d’un vrai courrier du King au Président Nixon, un faux réécrit de sa main, découpé au laminoir, recollé au scotch, encadré et vendu en galerie. La Villa Arson lui confie en 2001 le soin d’enseigner l’édition audiovisuelle mais l’artiste ne renonce pas à échafauder des installations exhumant la subculture de papa prenant volontiers à contre-pied la groupie béatitude ! Lors de son exposition personnelle en 2008 à la Villa Arson, il fit miroiter à leurs fans des « meeting point » lumineux comme dans les congrès pour rencontrer, ici, John, là Paul, plus loin Georges ou Ringo. Résultat, le Centre d’art pulvérisa son record d’entrées sans que l’on y croise, bien sûr le moindre fab four. Supercherie ? L’artiste est récidiviste, il fit un jour embaucher par le même Centre d’art un marabout pour libérer les esprits lors d’un concert hommage à Sun Ra donné par des amis musiciens ! Les Disques en Rotins Réunis Les vinyles, c’est l’autre passion d’Arnaud qui créa en 2000 son propre label « Les Disques en rotin réunis ». Une vingtaine de galettes ont vu le jour balayant un large spectre sonore autour de plasticiens et de rockers ! En gestation : « Azurasia ». Une musique de film, composée au Maroc avec Vincent Epplay, et des gnawas lors d’une résidence avec l’artiste Nicolas Moulin qui y tournait un film d’anticipation. Fraichement pressé, vient d’éclore, dans la « collection amplifiée », une sorte de catalogue sonore revisitant
Arnaud Maguet, Hifiklub et R. Stevie Moore Capture vidéo « I Am A Genius (And There’s Nothing I Can Do About It) » 2012.
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In My Room 2011, Bois, caméras de surveillance, vidéoprojection et performances, 400 x 500 x 500 cm (structure) Courtesy galerie Sultana, Paris (photo : Olivier Amsellem)
pour ses 25 ans le fond du Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart « Comme c’est la région qui a vu naître les troubadours, j’ai proposé des chansons de gestes modernes louant les œuvres d’art au lieu de l’épopée des seigneurs ». Une Play List en dix titres et dix invités dont Kid Congo power (ex Cramps) & Electronicat, NON !, Jad fair (Half japanese) & Hifiklub. Un bel objet avec vinyle et livret lancé à Beaubourg lors de l’exposition personnelle de son géniteur. Pompidou rock Car c’est le Forum du Centre Pompidou qu’Arnaud Maguet a investi pendant la FIAC. « 33 révolutions par minutes » présentait en novembre ses œuvres récentes (2008 /2011) ainsi que des concerts autour d’installations dont « In my room ». Une haute cabine en bois de coffrage sans plafond où Jean-Luc Verna, joua avec son groupe « I Apologize ». « Il y a trois points de vues pour assister aux concerts. Du premier niveau, on surplombe la scène sans voir complètement les musiciens. Entre les planches disjointes ou via des caméras de surveillance en basse résolution, ce n’est guère mieux. C’est ce qui arrive souvent dans les concerts, où seule est vraiment lisible l’énergie ! », explique celui qui n’est pas toujours côté jardin. Car, féru de Krautrock, du Velvet et des avatars du psychédélisme, Arnaud a mis lui aussi la main dans l’engrenage. On l’a vu au synthé ou agitant des maracas aux côtés de Jean-Luc Verna (Beauty and the Beat), avec les Dum Dum Boys et consorts (Alpha 60, Groovers, etc), mais aussi dans des programmes plus expérimentaux avec V. Epplay. Depuis plus d’un an il se produit avec le trio varois Hifiklub (HFK) mené par Régis Laugier (bassiste/ chanteur, et administrateur de la Villa Noailles) comme le 27 novembre dernier au DOJO à Nice, avec le renfort d’un étrange barbu venu du Tennessee : Robert Stevie Moore. En direct de Nashville Cet américain de 60 ans n’est rien d’autre que le pionnier de l’autoproduction et du home studio. Une figure excentrique du Lo-fi (low-fidelity) qui n’a pas laissé insensible Arnaud Maguet « Nous l’avions croisé au Midi Festival de Hyères. Avec les membres de
Arnaud Maguet & Olivier Millagou La Scène, 2010 bois brûlé 4m x 11m x 6m
Le Printemps de Septembre 2010 (Toulouse)
La société du spectacle (Backstage) 2008. Bois, tubes fluos, papier aluminium, impression sur plexiglas, film autocollant et câble 160 cm x 95 cm x 15 cm Collection privée / private collection Vue de l’exposition / exhibition Mais qu’est-il arrivé à cette musique ? Villa Arson, Nice Photo Jean Brasille
Hifiklub, nous sommes allés cet été, caméra en main à sa rencontre à Nashville ». Robert est le fils de Bob Moore, légendaire bassiste de studio qui accompagna le gotha du rock, d’Elvis à Dylan. Ce multi instrumentiste fan de la pop débridée des Beatles à Zappa, créa son label dans les sixties produisant plus de 400 albums chez lui. Il commença à les distribuer en cassettes via la poste. Aujourd’hui il continue avec Itunes » Le film « I am a Genius and there’s nothing I can do about it » est un portrait d’artiste en live « Nous avons passé trois semaines à le suivre avec ses amis. Nous avons joué avec lui en concert et enregistré un disque ». Ce journal réalisé avec le soutien d’Arte créative fut diffusé sur le web de la chaîne en épisodes quotidiens de 5 minutes. Aujourd’hui, Arnaud monte le tout en un DVD de 50 minutes qui sera édité via son label et distribué en partenariat avec « Agnès B » sur la forme d’un coffret incluant le 45 T réalisé avec R. Stevie Moore. Après ce road-movie musical, l’aventure continue pour Arnaud. Début 2012, avant de partir à Los Angeles pour enregistrer avec HFK un nouvel LP, il présentera au Confort Moderne à Poitiers une installation signée avec Olivier Millagou « Une scène de concert de 11 x 6 x 4 m complètement brûlée, suite à un incident technique, une rixe ? On ne sait pas si le spectacle a eu lieu, s’il a été interrompu, s’il y a eu des victimes ? » Mais sait-on jamais pourquoi l’on brûle nos idoles et si elles partent vraiment en fumée ? OM
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la vie des arts
m i ch e l g a ud e t
Michel Gaudet
un artiste humble
L’artiste peintre et critique d’art Michel Gaudet nous a reçu dans son atelier à Cagnes-sur-Mer. A 87 ans, il nous transmet avec passion ses souvenirs artistiques, nous dévoile son univers et partage ses idées. Rencontre avec un artiste tout en humilité.
L'
environnement familial de Michel Gaudet, fortement ancré dans l’art, lui a laissé un héritage artistique sur lequel il revient avec plaisir. Son père était peintre de métier, ami d’Henri Matisse et de Chaïm Soutine. A Cagnes-sur-Mer, sa tante possédait un restaurant très apprécié des peintres des années 30-40. « Toute ma jeunesse était liée à la peinture. Il y avait en permanence des photographes et des peintres à Cagnessur-Mer. Cette ambiance s’est développée avec l’amitié que nous avions pour la famille Renoir. Elle a duré de l’installation d’Auguste Renoir à Cagnes-sur-Mer jusqu’en 1975 ». C’est à cette date que Michel Gaudet quitte la France pendant deux ans. « J’ai quitté une ville où une trentaine d’artistes vivaient encore. Quand je suis revenu, il n’y en avait plus que cinq ou six ». Avec l’augmentation du coût de la vie, les peintres ont petit à petit quitté Cagnes-sur-Mer, explique-t-il. « Cela n’a rien changé à mon travail de peintre, ni de critique d’art. C’est plutôt le climat général qui a changé ». Michel Gaudet, l’Artiste libre et indépendant Il traduit lui-même sa manière de peindre comme caractéristique de deux tendances. « Une tendance d’envolée, de puissance, d’intensité, de couleurs et de lignes qui se sculptent. En contradiction, il y a l’apaisement de lignes directrices très construites », image-t-il. Pour photos © Sylvain Renault
lui, la gestation d’une œuvre est souvent longue, alors que le travail en lui-même sur la toile l’est moins. « Je tire un trait et je rêve pendant deux jours sur le trait. C’est là toute la question. […] A chaque trait conclu, à chaque couleur posée, je deviens mon propre critique. […] Quand je signe le tableau, il correspond au maximum de ce que je peux donner sur lui. » De son point de vue, tout artiste qui se respecte évolue avec le temps et son environnement. « Je ne pense pas avoir supporté de manière volontaire autre chose qu’un élan personnel. […] J’étais simplement peintre abstrait, parce que c’est ainsi que l’on appelle la peinture que je fais, la peinture abstraite. J’ai toujours été indépendant, mais il est évident
m i ch e l g a ud e t
que je dois peindre en fonction d’influences que je subis sans les comprendre, sans en avoir conscience ». Pour Michel Gaudet, la « liberté créatrice » est primordiale. « C’est le droit de dire ce que l’on pense, mais toujours en apportant quelque chose », revendique-t-il. Il se positionne fermement contre la critique systématique, par respect de l’art. « Quand on est critique d’art [pour le journal Le Patriote – ndlr], et surtout quand on est peintre et critique d’art, on sait combien la construction d’une œuvre est difficile. Alors on a le respect de cette construction ». Flashback et réflexions contemporaines Dans une vie, il y a des rencontres qui vous nourrissent et vous marquent. Pour Michel Gaudet, il s’agit notamment d’avoir fait la connaissance d’Henri Matisse. « Etant devenu un homme et commençant à peindre, je suis allé avec mon père pour rencontrer Matisse à Vence. Sa sérénité, quoique certainement éclairée par une mise en scène personnelle, était extraordinaire. […] Ce côté accompli et sa simplicité surtout, bien qu’assez théâtrale, c’était quelque chose de considérable », se remémore-t-il. A ce jour, Michel Gaudet se dit particulièrement touché par « la richesse de l’art contemporain, de l’art moderne, dans la reconnaissance qu’enfin les pouvoirs publics ont par exemple pour le sculpteur César ». Selon lui, l’art contemporain demeure encore un art plastique au sens propre du mot, « tant qu’il est tactile, c’est-à-dire tant que l’on peut le toucher, le voir, l’entendre. Si le mouvement intervient, c’est le cas dans beaucoup de manifestations contemporaines, c’est un autre art qui intervient. La performance, c’est du théâtre. La peinture, c’est la peinture. La sculpture, c’est la sculpture. » Il faut selon lui faire la part des choses, entre des artistes reconnus actuellement qui ne le seront plus dans quelques années et ceux qui vont apparaître. Entre ce qui est art et ce qui ne l’est plus, la limite peut être rapidement franchie. « Je crois que dans la mesure où cela devient intéressé, ce n’est plus de l’art. Par exemple, si je me dis en réalisant un tableau qu’il faut faire telle ou telle chose pour qu’il soit vendu, ce n’est plus de l’art », assure-t-il. Pour Michel Gaudet, la nécessaire remise en question d’un artiste passe par la perception de son humilité. C M
Michel Gaudet et la Maison des Artistes de Cagnes-sur-Mer L’association Les artistes de Cagnes-sur-Mer est née en 1949, avec pour premier Président Claude Renoir, le plus jeune fils d’Auguste Renoir. « Nous étions jusque-là au Château de Cagnes-sur-Mer [aujourd’hui Château-Musée Grimaldi, qui fut le premier siège social de l’association – ndlr]. Le château est devenu un musée et nous n’avons plus pu bénéficier de ce lieu » se souvient Michel Gaudet. L’association a alors proposé de remettre en état une dépendance du Château qui tombait en ruines, pour en faire un lieu d’exposition qui a vu le jour en 1954. « La ville nous a fourni les matériaux et nous avons tous travaillé pour en faire la Maison des Artistes ». Une passion pour Michel Gaudet qui nous explique : « Je m’y suis investi pendant 50 ans. Il y a quelques années, j’ai laissé la place aux jeunes. […] C’est Anne Sechet maintenant qui s’en occupe et qui travaille à la Villa Arson. »
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ME D ON NIS A CC OAS T E L L AS
Denis Castellas La vie dans un détail
Né à Marseille en 1951, c’est à Nice que l’artiste Denis Castellas travaille en toute discrétion dans son atelier, réalisant des toiles qui racontent des histoires auxquelles le regardeur a bien du mal à mettre un point final…
Quelle a été votre première rencontre avec la peinture ? La rencontre essentielle a été celle d’Alfred Angeletti, un peintre qui a vécu à Nice et qui est décédé en 1991. Mon parcours a commencé par hypokhâgne mais quelques raisons m’en ont écarté. C’était l’époque de supports/surfaces et cela m’a attiré, et j’ai participé à ses interrogations. Je n’étais pas aux Beaux-Arts mais Daniel Deuzeuze venait me voir souvent et a joué un rôle important car j’étais assez mal dans ma peau à cette période. Par quel style de peinture avez-vous commencé ? J’ai eu en fait des débuts très abstraits. Symboliquement, ma première exposition eut lieu en 1974. Ben avait des galeries chez lui à St Pancrace et cette première exposition était complètement abstraite. Ce que je donnais à voir s’apparentait un peu à ce que faisait l’artiste Roman Opalka. Je ne le connaissais pas mais je faisais des petites croix sur mes tableaux, des monochromes. Deux ans après, je suis passé à des expositions qui devenaient cette fois figuratives. Cela était mal vu à cette époque. Comment approche-t-on une peinture de Denis Castellas ? Tout est une histoire de physique selon moi comme la création du monde. La vie sur terre est arrivée par l’eau, l’eau est arrivée par les poussières d’on ne sait où… Une peinture pour moi arrive un peu comme cela, d’une façon assez inexplicable. Je commence en général une toile puis je repeins dessus, pendant parfois des années et cela se transforme sans arrêt. Ce qui m’intéresse, c’est le mouvement. J’aime la transformation d’image et le processus où l’image se construit. A un moment donné, je l’arrête car il y a quelque chose en accord qui n’est pas forcément de l’ordre de la ressemblance mais de la vie de la peinture. Vivant ou pas. Nous ne sommes pas dans l’imitation de la vie mais dans son mouvement. Mes toiles ne sont en fait jamais finies. Là aussi, je suis très contradictoire : Rembrandt et Cézanne. Rembrandt, c’est très clos, Cézanne très ouvert et jamais terminé.
Y a-t-il des thèmes en particulier que l’on peut retrouver dans vos œuvres ? Non, je n’ai pas de thème en particulier. Si ceux là peuvent être des thèmes, il s’agit alors de personnages, des personnages mondains souvent. Mais cela marche par métonymie. Je peignais des personnages mondains mais en même temps je peignais des armures, c’est assez métonymique. Vous avez l’armure du monde et l’armure physique. Des gens qui se masquent, la « comédie du monde ». En ce sens, il y a quelque chose de la scène et du théâtre dans mon travail. Au fond, peu importe les images, seuls comptent le désir et le plaisir. Ces personnages sont en résonance avec votre vie… Quand j’ai repris la peinture, c’était après des années de destruction vis-à vis de ma personne. Le fait de peindre de cette façon et ces motifs, c’était un peu comme installer un sentiment de vie, une pulsion vitale. La peinture fait monter très haut mais elle détruit aussi. En refaisant les choses jusqu’à ce qu’il y ait un déclic, on rejoue la vie et la mort sans arrêt. Tentez-vous de déceler ce qu’il y a derrière les personnages ? Non, il n’y a pas d’approche psychologique. Je fais très souvent des portraits de gens que j’aime, pour diverses raisons, Rodanski, Artaud…. A New-York, j’ai d’ailleurs pensé refaire plusieurs portraits d’Artaud. La figuration, c’est une part de l’homme, mais l’homme peut être dans l’abstrait. Toutefois, depuis un an ou deux, je réalise beaucoup moins de figures. Un partage avec le public ? Une réflexion que vous souhaitez faire naître ? Je ne cherche ni à plaire ni à déplaire. C’est purement dans le sensible que cela s’opère. J’ai toujours en tête une exigence de vérité comme un vieux fond catholique. Par ailleurs, au regard de l’histoire et de la marche du monde, mieux vaut s’entrainer à la modestie. La peinture, c’est la vie, et la peinture parle avant tout de la vie. On est touché ou pas. Si on ne l’est pas, je n’y peux rien. Peu importe le degré d’abstraction ou la figure. Mais il n’y a pas d’approche intellectuelle.
D E N IS C AS MTOENLAL C AS O
sans titre, huile sur toile
sans titre, huile sur toile
Objets posés sur une etagère de l’atelier
Portrait d’Arthur Rimbaud, par Denis Castellas
sans titre, huile sur toile
détail, huile sur toile photos © B.Ornano
sans titre, huile sur toile
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La peinture est plus rapide que l’ordinateur. On fait trois traits et il se dévoile tout un univers. C’est plus rapide mais je n’ai pas de construction de ce type. J’aime être en marge cela. Depuis quarante ans, à vrai dire, je défais mon œuvre. Vous ne restez pas figé dans une manière de peindre et il y a souvent beaucoup d’écart d’une œuvre à l’autre. Comment estce vécu par votre entourage ? Les artistes comprennent. En général, j’ai d’abord leur estime, parfois celle de certains collectionneurs, et rarement celle des critiques. Il y a une belle citation de David Hockney en parlant de Cézanne, il dit : « l’œil, la main, le cœur ». C’est important dans notre travail. Ce qui m’intéresse, c’est que la peinture soit habitée… qu’il y ait un esprit. Les questions de formes m’importent peu, je peux autant aller de Giotto à Rembrandt qu’explorer ce qui se fait chez les artistes d’aujourd’hui. Je puise dans des choses totalement transversales. Vous avez découvert New York l’an passé. Une ville qui vous attire ? C’est une ville qui est devenue essentielle pour moi depuis la résidence d’un an que j’y ai effectué. Un an, cela parait long mais c’est bien trop court en fait… Après Alfred Angeletti et Jean Dupuy, New York est pour moi la troisième rencontre de ma vie, parmi d’autres bien sûr. C’est une ville qui rend les choses possibles, qui permet de croire que quelque chose est possible. Une ville qui respire la liberté dans le travail. J’ai toujours été libre dans ce que je faisais mais à New York, je ressens que tout est encore plus libre là-bas. Peut-être le sentiment d’une nouvelle vie... Ma nouveauté se fera là-bas. Il y a une expression qui me plaît beaucoup… « human being ». Ca veut bien dire ce que ça veut dire. « C’est ça que je veux être »… ou du moins, ce que j’essaie d’être. Un artiste qui est ou devient prudent est un artiste mort. RC
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M AR C O S M ARI N
Peintre et sculpteur installé en France et aux Etats-Unis, Marcos Marin est un artiste brésilien qui ne cesse d’œuvrer dans un travail axé sur le portrait et l’identité. Après avoir trouvé sa voie dans l’art optique, il en explore à l’infini les possibilités d’expression depuis vingt ans… Né au Brésil, vous avez grandi à San Paolo. Qu’est ce qui vous a fait rejoindre la France ? J’ai vécu au Brésil jusqu’en 1990 puis j’ai déménagé à Paris. C’est dans la capitale française que j’ai effectué mon premier séjour à la Cité des Arts, non comme peintre, mais comme pianiste. Finalement, je suis resté. Au détour de rencontres, je suis devenu correspondant pour une édition d’art et cela m’a fait beaucoup voyager. J’étais un peu comme un agent artistique qui s’occupait d’un groupe d’artistes exposant dans des salons officiels de Paris. Par ce biais, j’ai donc rencontré de nombreux artistes. Qu’est-ce qui a été moteur dans votre carrière ? J’ai pensé faire une carrière de pianiste tout d’abord mais la situation du musicien et les opportunités étaient limitées. J’ai voulu me lancer et c’est dans l’art que je l’ai fait. Au Brésil, la vie était assez difficile avec une situation économique instable et des changements de gouvernement fréquents. Quand je suis arrivé à Paris, la concurrence était grande. J’avais une bonne formation dans le piano mais je n’étais pas dans l’esprit de me battre pour cela et je n’avais peut être pas la pa-
tience de rester devant l’instrument pour préparer des concerts et d’en vivre, alors j’ai commencé à peindre…. De quelle façon avez-vous abordé la peinture ? Quelles étaient vos « sources » ? J’ai toujours été très surréaliste, très hyperréaliste même. L’une de mes références a longtemps été Dali qui m’a beaucoup inspiré. J’aimais beaucoup inventer des choses et j’avais même pensé devenir architecte car j’aimais construire. Mais il fallait faire des choix, je ne pouvais pas tout embrasser. Ceci dit, la musique est toujours très présente dans ma vie. J’ai toujours un piano dans chaque atelier où je travaille. La musique est l’une de mes sources. Une rencontre a été décisive et vous a mis le pied à l’étrier dans l’art optique… Ces inspirations ont duré un certains temps, j’étais très éclectique dans ma création jusqu’au moment où j’ai rencontré Vasarely à Paris, lors d’une visite à la Cité des Arts. A Montmartre, j’étais assistant de celui qui réalisait les sérigraphies de Vasarely. Et là, je suis tombé amoureux des effets optiques. Tout le monde disait qu’il y avait quelque chose d’intéressant dans
mes portraits optiques alors j’ai mélangé les techniques de Vasarely, les lignes, les trames, les contrastes, l’inspiration était classique. En France, on me considérait davantage comme l’élève de Vasarely, mais ce n’était pas le cas. J’ai travaillé en fait directement avec lui mais c’est plus le contact qui a été décisif. Ce n’était pas un bon moment pour l’art optique à cette époque. Personne n’en voulait plus vraiment. J’étais en quelque sorte à contresens de cet art et je me suis retrouvé un peu tout seul. Et à Paris, il était vraiment dur de se faire accepter. L’œuvre de Marcos Marin se reconnaît au premier coup d’œil. Comment travaillez-vous ? Je suis conscient que je suis un artiste «sale», c’est-à-dire que j’aime laisser quelques imperfections du pinceau sur la toile. Contrairement au piano où il fallait beaucoup de patience, à travers la peinture, j’avais envie de faire vite pour créer, explorer davantage. Pour moi, l’idée est plus importante que le résultat. Et je considère toujours mon œuvre d’art en constante transformation. Je reviens sur mes œuvres, je les retouche, j’y reviens souvent. On voit les traces de pinceaux dans mes tableaux,
Marcos Marin
© Isabelle Chanal
c’est ça que j’aime. Les lignes peuvent être parallèles mais elles ne le sont jamais tout à fait. Sur les sérigraphies, par contre, tout est net et précis, imprimé. L’accident du pinceau n’apparaît bien sûr pas dans ce cas. Vous avez abordé la sculpture de façon assez inédite… L’histoire de la sculpture, c’est un peu accidentel. En 2003, j’ai été invité comme artiste d’honneur d’Arte Americas à Miami, un salon réputé. C’est là qu’a débuté l’aventure de la sculpture. Et de façon assez étrange, oui ! (rires) Il n’y avait plus de mur pour exposer et ma galeriste m’a alors demandé d’improviser pour exposer au milieu des espaces qui restaient, voire ceux d’un jardin attenant. Je me suis souvenu de l’œuvre d’art installée au Centre Georges Pompidou, ce grand portrait réalisé par Vasarely. Je me suis dit que je pouvais réaliser quelque chose dans ce sens, mais j’ai voulu inverser les effets. Dans l’œuvre de Vasarely, la peau est claire et les reliefs sont en noir. En sculpture, c’est l’inverse, de manière à créer un effet cinétique. C’est une inversion qui a permis l’œuvre. Ce fut une Mona Lisa que je réalisais en 4 mètres de hauteur, en fibre de verre. Ca été une réussite, une des plus belle de ma vie…
photos © Isabelle Chanal
Les portraits représentent pour vous une empreinte du monde. Que cherchez-vous à dévoiler à travers eux ? Je suis vraiment en admiration devant ceux qui ont du talent, des grands génies de l’humanité, les personnages d’exception. Je reste un inconditionnel des gens du cinéma, de la musique… et grâce à mon art, je souhaite les honorer, leur rendre hommage. L’art optique n’est pas quelque chose d’évident. Il y a une participation du public et j’aime faire agir aussi très souvent ceux qui vont être sur l’œuvre. La rencontre des personnes dont je fais le portrait est importante. Laisser participer ces gens dans le choix infini de l’art optique l’est tout autant. Vous puisez également dans d’autres registres que l’art optique pour faire avancer votre art… J’affectionne aussi les œuvres de grands Maîtres et peints souvent d’après des références historiques de la peinture. Je fais le détournement de l’image à partir d’œuvres très célèbres. Comme cette série d’après Le Caravage, et les femmes de Caravage, c’est toute une création qui est possible à partir de là. Je travaille aussi avec de grands photographes qui ont des photographies exceptionnelles de grandes
pop stars. C’est un autre travail mais je tente de faire revivre certaines photographies de l’histoire en les adaptant et en les traitant dans ma version optique. Vous entretenez une relation privilégiée avec la Principauté de Monaco aujourd’hui. Comment êtes-vous arrivé sur le rocher ? J’étais à la foire de Bâle en décembre 2004 et j’ai rencontré Delphine Pastor. Elle a vu mon atelier, elle a adoré et m’a proposé de rejoindre sa nouvelle galerie qu’elle avait ouverte à Monaco. J’ai fait une exposition avec 47 pièces dont deux portraits de Grace Kelly et de la princesse Stéphanie. Le Prince Albert est tombé amoureux du portrait de Grace Kelly et a voulu le faire entrer dans la collection du nouveau musée d’art de Monaco. J’étais très fier de voir une de mes œuvres rejoindre cette collection prestigieuse. Vous êtes également soutenu par Pierre Cardin… La commande d’une œuvre monumentale du Prince Albert en hommage à son père dans le monument officiel historique fut un grand honneur. Un moment fantastique même. C’est à partir de là que ma vie a changé. Des œuvres dans le Palais princier de Monaco, ma notoriété à Miami, tout
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Atelier de Marcos Marin © Isabelle Chanal
se mettait en place et je suis devenu un artiste international. J’ai connu juste après cela un galeriste à Palm Beach, qui était lui-même artiste et un grand ami de Pierre Cardin. J’ai fait le portrait de Pierre Cardin, et lorsque je suis venu à Paris, il l’a découvert. Séduit, il m’a proposé d’habiter à Lacoste, près d’Avignon, pour donner une vie artistique à ce village qu’il avait décidé de faire restaurer. J’ai dit oui sans hésiter et pour ce faire, j’ai quitté Miami. Il est devenu mon mécène en tant qu’artiste peintre d’abord, mais, découvrant que je jouais du piano, je suis également devenu son pianiste (rires).
La peinture, la sculpture… Quelle perspective souhaitez-vous apporter à votre art ? Aujourd’hui, je fonce dans les sculptures monumentales pour la place publique. J’ai installé récemment la sculpture de Jean Cocteau à la citadelle de Villefranche, j’ai eu la chance de pouvoir réaliser cela, tout comme l’œuvre de la Principauté de Monaco. Et puis, je vais installer une sculpture à la Villa Médicis à Rome, le portrait d’un compositeur Jacques Ibert, qui fut directeur de la Villa Médicis pendant trente ans. C’est ici encore un honneur de faire la sculpture pour le cinquantenaire de la mort de ce
compositeur et grand homme. Ce sera pour l’année prochaine. Plein de bonnes choses à venir donc… Je suis vraiment content d’être à la fois pianiste et artiste. J’ai 44 ans, mais je me sens jeune. Pierre Cardin me dit quelque chose de très intéressant : «Le plus difficile dans la carrière d’un artiste, ce sont les premiers soixante ans» (rires). Tout ce qui m’arrive est une bénédiction, je pense réaliser une belle carrière... RC
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Sarah Caron 11 fĂŠvrier - 3 juin 2012 Porte Sarrazine - 06250 Mougins Ouvert du mardi au dimanche EntrĂŠe libre Tel : 04 93 75 85 67 museephoto@villedemougins.com
Je me souviens...
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