ARTCOTEDAZUR N°2

Page 1

CINéMA///DANSE///PATRIMOINE///ART CONTEMPORAIN///BANDE DESSINéE///ART CULINAIRE

Bande Dessinée

Les Editions Groinge décoincent la Bulle !

Atelier d’Artiste

Patrick MOYA ou la tentation d’une île

Art Contemporain

Gilbert PERLEIN passionnément conservateur

Art Culinaire

Keisuke MATSUSHIMA à l’aventure du manga gastronomique !

Supplément culturel des Petites Affiches des Alpes Maritimes


Making of

MERCI !


Art Côte d’Azur Supplément culturel bimestriel des Petites Affiches des Alpes Maritimes Numéro 3401 du 9 au 15 mai 2008 ISSN 1962- 3569 Place du Palais 17 rue Alexandre Mari 06300 NICE Ont collaboré à ce supplément culturel : Rédacteurs Florence Canarelli , Olivier Marro, Valérie Noriega Direction Artistique François- Xavier Ciais Création Graphique Maïa Beyrouti Photographe Jean-Charles Dusanter Photo de Couverture Courtesy de l’artiste © Delphine TOMASELLI « autocorps miroir Naked 3 // 2006» Reproduction interdite sauf autorisation de l’auteur. Contacter la Rédaction : Valérie Noriega Tél : 04 92 47 21 81 Fax : 04 93 80 73 00 valerie@artcotedazur.fr www.artcotedazur.fr Art Côte d’Azur est imprimé par les Ets Ciais Imprimeurs/ Créateurs sur un papier répondant aux normes FSC 100% recyclé.

Ce deuxième numéro d’Art Côte d’Azur vient ponctuer allégrement le printemps qui est vivant et dense, à proportion des créations artistiques, propositions culturelles et de la passion que les artistes mettent dans la réalisation de cette « grande œuvre » qui anime notre Côte d’Azur ! Comment dire la richesse des activités culturelles, festivals, expositions, projections des mois de Mai et Juin sur notre territoire…tant elle est colossale ? Ce nouveau numéro se devait de répondre à vos attentes en matière d’informations tout en reflétant le souci permanent de qualité artistique et esthétique, que l’équipe d’Art Côte d’Azur prend plaisir à vous offrir depuis le début ! Pour nous aider à réussir cet ambitieux et joyeux pari, Jean Mas et Marcel Alocco se sont gaiement laissés convaincre d’associer à nouveau leurs plumes à notre magazine ! Puis Billet d’humeur

Le sourire de la Vache qui rit… Le sourire de la « Vache qui rit » vaut bien celui de la Joconde . Après ce que nous nommions « la réclame », « la publicité », voici venir le temps de la présentalité ! Terme qui signifie qu’une chose, un objet, une personne, un paysage… sont mis en scène pour être consommés, d’abord visuellement et plus si affinité ! Bien ! On nous ressort à nouveau que le culturel a d’autres ambitions, prétentions, destinations, fonctions que d’inciter à la consommation. Pourtant, il me

Erratum: sur le numéro Mars/Avril d’Art Côte d’Azur, une erreur s’est glissée en page 14, il fallait lire sur la légende photo « Le pouce de César ». La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées dans les articles, celles-ci n’engagent que leur auteur. Tous droits de reproduction et de traductions réservées pour tous supports et tous pays. © J-Ch Dusanter

sont venus Raoul Mille, Stéphane Cipre, Delphine Tomaselli, Alexandre de La Sale, Fafé, Keisuke Matsushima, Eric Oberdorff : tous artistes d’exception, ils ont accepté de nous accueillir dans leurs lieux respectifs de création, en terrasses de café ou dans leur cuisine et ont soufflé leurs rêves avec une rare générosité et spontanéité ! Ne pas les rencontrer, ça aurait été échapper à l’incroyable inventivité du monde artistique : ils vous offrent de belles pistes de réflexion, comme des poudres d’or, et des témoignages inspirés. Et voilà que Patrick Moya nous entraîne dans sa troisième dimension : il vous révèle en exclusivité sa seconde vie et vous propose de vivre un voyage sur le web vertigineux et époustouflant ! C’est ensuite Gilbert Perlein qui nous ouvre les portes du MAMAC : il vous permet d’explorer son univers de façon intimiste et laisse à entrevoir sa personnalité attachante et déterminée. Enfin,

comme Art Côte d’Azur aspire à toujours plus pour vous, nous sommes allés à ciel ouvert prospecter d’autres écrins à surprises : nos foulées ont guidé nos pas du Vieux Menton à la Fondation Hartung-Bergman à Antibes en passant par le Grimaldi Forum de Monaco… A vous d’entrer à présent dans ce « mélange des arts, des lieux, des artistes, des illustrations et des formes » et de vous assurer que nos surprises sensibles participent à ouvrir la boite de pandore de votre imagination et vous invitent subtilement à un voyage inattendu ! Que le proche été, passionnément « festival », vous soit à tous propice et vous permette en enrichissant vos jardins secrets de trouver les ressources d’énergie dont vous aurez besoin en attendant les vacances ! Le numéro Juillet/Août d’Art Côte d’Azur saura vous accompagner pour remplir vos bagages d’inspirations culturelles !

semble que nous consommons, ingurgitons, baignons dans du culturel, alors votre culturel : oui, la Vache qui rit : non ? Discrimination objectale, Monsieur le Président (camembert). Tartine oblige, pour bien avoir à l’étaler sans détaler devant le sourire énigmatique de la Joconde, oui elle me fout la trouille cette bonne femme avec son air de sainte-pas-touche ! Oui, je lui préfère le sourire pris dans le rire franc et un peu narquois de l’animal qui semble dire « si tu m’attrapes tu me manges ! ». Satrape qui me dit « la vache fait du laid » Mais bon, n’en faisons pas tout un fromage, de ceux qui l’écartent du royaume de la culture, et étalons-là, cette pâte ni fétiche, ni icône. La Joconde et la Vache qui rit participent de notre environnement culturel, à notre rapport au monde, c’est-à-dire à notre culture. La représentation de ce fromage, sa plasticité expressive adaptée aux pays et aux époques, témoigne de l’attention portée à la diversité des consommateurs ! Des

yeux bridés aux lèvres charnues, la Vache joue de la séduction par un sourire humanisé et, avec des yeux rieurs, elle nous invite aux agapes du palais ! Ce rejet, cette mise hors jeux de l’objet présentaliste (ex. publicitaire) de la sphère de la culture est regrettable. De par le travail de présentation, l’objet, se trouve de ce fait inscrit dans une respiration artistique. Il appartiendra ensuite à l’artiste, à partir de ce supplément d’âme (publicitaire), de lui donner de l’être, de le faire accéder au statut d’œuvre d’art. Cela a été le cheminement qui a donné le Pop Art, une partie de l’Ecole de Nice, les Nouveaux Réalistes. C’est un mauvais procès fait à la présentalité que de la refuser à la télévision publique au nom d’une culture qui prétend canaliser le rapport à l’objet « cause toujours ». Pas de culture avec un grand C pour celui qui sait ce qu’il en est des investissements désirants. Oui à un peu de publicité, oui à la Vache qui rit !

VN

Jean MAS Artiste de l’Ecole de Nice, Chercheur


En Ville 6 8 10 12 14 16

nice

Festival du Livre

© D. Tomaselli

vence

Festival Les Nuits du Sud

antibes

Fondation Hartung Bergman

menton

Patrimoine : Rénovation Vieux Menton

© J-C Dusanter

monaco

Exposition Reines d’Egypte

cagnes sur mer

Alexandre de la Salle In memoriam Albert Chubac

19

F O C U S cannes Festival de Cannes vu par Delphine Tomaselli

©Fondation Hartung Bergman

©Philippe Pierangeli 2006


La Vie des Arts 24 26 28 30 34

En Ville 5

cinéma

Festival du Cinéma Brut de Mouans Sartoux

© Fafé Martinetti

artiste

Stephane Cipre

bande dessinée

La vie crayonnée par Fafé

atelier d’artiste Moya Virtual

© Malou

figure de l’art

Gilbert Perlein directeur du MAMAC Hommage à Yves Bayard

37 39 41

en scene

Cie Humaine et Eric Oberdorff

arts culinaires

Keisuke Matsushima

© Moya

à la page Ecrits d’ici

© Guillaume Barclay


6

En Ville 

NI C E

F E S T I VA L D U L I V R E

POUR L’AMOUR DE LA LANGUE FRANÇAISE Un adjoint au maire « délégué à la littérature », c’est unique en France ! C’est pourtant le tout nouveau statut de Raoul Mille, écrivain « niçois par hasard », mais depuis plus de 50 ans quand même !

C

Bio-express de Raoul Mille « Mes seuls diplômes sont mes prix littéraires » dit-il joliment, fier d’avoir reçu plusieurs prix importants (dont l’Interallié) pour ses sagas. Né à Paris en 1941, dans une famille du peuple (seule sa mère aimait lire), Raoul Mille n’a fait aucune brillante étude, il avait juste le goût de lire puis d’écrire, et ce fut une révélation : « j’ai été sauvé d’une vie médiocre par l’écriture ». Depuis lors, il n’a plus arrêté d’écrire - à la main - des sujets autobiographiques puis historiques, passionné par « le style et le polissage de la phrase ». Son premier livre publié en 1973, « Les chiens ivres », fut suivi de « Léa ou l’opéra sauvage » (prix des Quatre-Jurys, 1984), « Les amants du paradis » (prix Interallié, 1987), « Père et mère » (prix Paul-Léautaud, 1993), « Le paradis des Tempêtes » (Prix Baie des Anges, 1999), « Ma Riviera » (2002) et « Le Roman de Marie Bashkirtseff » (2004).

onseiller municipal, c’est un « job » inédit pour Raoul Mille … plutôt fier de son titre unique en France, de « subdélégué à la Culture, à la Littérature, à la Lutte contre l’Illettrisme et à l’Histoire ». Qu’on se le dise, Raoul Mille n’est pas un homme politique, il n’appartient à aucun parti, n’a pas de carrière politique devant lui … juste « d’excellents rapports depuis longtemps avec l’homme Estrosi ». Et la première mission que lui a confiée le nouveau Maire, c’est de « donner une renommée encore plus internationale au Festival du livre ». Dès cette année, le festival accueillera un invité d’honneur en la personne de Max Gallo, et organisera une soirée « hors les murs » afin d’aller à la rencontre du public. Une grande nouveauté, que cette Nocturne du samedi soir, qui se tiendra dans le Vieux Nice, place Antoine Gautier : sur une scène montée pour l’occasion, on pourra assister gratuitement à des lectures faites par des comédiens du Théâtre de Nice, entrecoupées d’intermèdes musicaux, ainsi qu’à des débats et séances de dédicaces d’une quarantaine d’écrivains … Mieux, pour 2009, Raoul Mille nous promet encore plus de ces soirées dans différents quartiers avec des animations autour du livre. Et l’invité d’honneur de l’année prochaine devra être un écrivain de renommée internationale. Mais au delà du Festival du livre, Raoul Mille compte bien « faire parler du livre toute l’année, instaurer une véritable politique du livre ». Et il arrive avec des idées : par exemple, faire de l’Abbaye de Roseland une résidence pour les écrivains et du CUM, un pôle important de colloques internationaux. Enfin, son challenge le plus motivant est aussi le plus difficile : lutter contre l’illettrisme, ce fléau (15% des enfants ne savent ni lire ni écrire) : « Je veux me battre : la langue, c’est le moyen de communiquer, s’il n’y a pas de langage, nous sommes des animaux dénaturés ». Pour lui,

Raoul Mille  67 ans  Ecrivain  Veut se battre pour que la culture retrouve droit de cité à Nice

le livre a encore de beaux jours, même s’il a perdu son aura, son caractère sacré : « je veux également insister sur la lecture orale. Il faut raconter des histoires oralement pour conduire les jeunes à s’intéresser à la chose écrite ». Son souhait le plus cher : « que la culture retrouve droit de cité à Nice, qu’on retrouve la force du rayonnement de Nice au XIXème siècle et jusqu’au milieu du XXème siècle ». MPO-COM, Les créateurs de votre temps libre C’est le slogan trouvé par les trois associés de MPO-COM pour présenter leur « groupe de communication et événements ». Complémentaires et redoutablement efficaces, Frédéric Garnier, Stéphane Corsia et Christian Giraud sont devenus en 15 ans des pros dans l’organisation d’événements culturels, dont la renommée dépasse largement les frontières du département. A leur actif, les festivals du livre de Nice, mais aussi de Toulon, Nîmes et Roquebrune, les festivals

© J-Ch Dusanter


NI C E

de la BD de Valberg ou Puteaux, et encore le Salon des loisirs créatifs de Nice et Toulon. C’est « tout simplement en répondant à un appel d’offre de la ville de Nice » en 1996, comme le raconte Frédéric Garnier, que MPO a été mandaté pour organiser ce festival, depuis lors en progression constante : 50.000 visiteurs en moyenne, contre 15.000 au début. Le choix des thèmes et des invités se fait dans un comité de pilotage, où est représentée la ville - cette année, en la personne de Raoul Mille. Au programme, une conférence sur le thème « l’amour de la langue française » avec Max Gallo, Boualem Sansal, Eric Fottorino, Gaston Kelman, Rachid Taha, Malika Mokeddem . Autre conférence au titre accrocheur : « Franglais, Sms, Rap, Slam, la langue française s’en remettra-t-elle ? » avec Alexandre Jardin et deux inspecteurs d’académie. A l’honneur également, Luciano Mélis, éditeur de romans, poésies et livres d’art installé à Colomars : auteur à l’occasion, il présentera son « Garibaldi, mon héros » où il raconte comment le Sarde qu’il est a appris à lire dans les « Mémoires de Garibaldi ». 300 auteurs attendus dont Katherine Pancol, Alexandre Jardin, Didier van Cauwelaert, Denise Bombardier, Marc Lévy, Marc Lambron ou encore Bernard Werber.

 En Ville 7

« Ce festival du livre se déroule dans un état d’esprit ultra-convivial, une atmosphère de fête, se félicite Frédéric Garnier. Le livre sort de ses chapelles pour aller vers son public, à qui il est offert de nombreuses occasions de rencontrer les auteurs ». Max Gallo, invité d’honneur En vedette cette année en tant qu’invité d’honneur, Max Gallo. Juste récompense pour ce niçois pur jus. Né à Nice, ce fils d’émigrés italiens fut élève au lycée du Parc Impérial. Pour échapper à son destin, après un CAP de tourneur, il obtiendra agrégation et doctorat d’histoire par correspondance, avant d’enseigner au lycée Masséna. Rappelons encore qu’il fut député PS de Nice et porte-parole un temps du gouvernement socialiste. Quant à sa carrière d’écrivain, juste quelques chiffres : une centaine de livres publiés, 800.000 exemplaires vendus de sa biographie de Napoléon et 750.000 de sa trilogie «Baie des Anges». Des tirages « astronomiques » pour ce colosse de 1,93 mètres ! Enfin, Max Gallo vient d’entrer à l’Académie Française.

En savoir davantage sur le Festival du livre de Nice du 27 au 29 juin 2008 entrée libre jardins Albert 1er www.nice-livre.com

FC

Nice est devenu mon pays par hasard, j’aurais pu vivre aussi bien ailleurs, père nordique, mère monégasque, né à Paris, élevé dans le Pas-de-Calais, je suis sans racines, sans terroirs. Et, le plus souvent, je m’en félicite. Etre de nulle part, c’est être de partout…

© J-Ch Dusanter


8

En Ville 

VENCE

F E S T I VA L

Les Nuits du Sud Musique sans frontières !

T

Dès le 17 juillet et pendant quatorze jours, plus de 30 artistes rallumeront la nuit vençoise. Onze ans que la magie opère, drainant sur sa grande place du jardin une foule bigarrée autour d’une fête de la musique qui joue à saute-mouton par-dessus les frontières !

eo Saavedra, son fondateur est celui que les vençois ont adopté pour diriger « Les nuits du Sud ». Un festival qui depuis 1998 a vu 40 000 personnes applaudir 200 artistes. De quoi sabler le champagne ! D’autant que l’événement demeure un de ces rares purs produits du label festival qui fait de notre région, rappelons-le, la deuxième de France la plus prolixe en la matière. Car à Vence, on continue à pratiquer la chose à la sauce Woodstock. Et l’été, c’est toute la ville qui se fédère autour de sa place principale entourée de terrasses de cafés ! Une proximité entre les artistes et le public qui génère un climat de mixité convivial. Il y a 30 ans, Teo Saavedra fuyant le régime chilien débarque à Paris puis s’installe à Vence. Acteur, réalisateur, écrivain, musicien à ses heures, ce touche-àtout inspiré est animé par le désir de partage. « Et la musique, c’est aussi cela ! » précise-t-il avec son accent sud-américain qui roule comme des maracas avant de répondre à nos questions ! Dee Dee Bridgewater, Red Earth © Philippe Pierangeli 2006

Les Nuits de Vence ouvriront le feu pour la onzième fois, le 17 juillet. Comment est né ce festival qui tient la dragée haute à ses aînés à quelques encablures ? La mairie de Vence cherchait à renouer avec l’ambiance de liesse qu’elle a vécu dans les années 60. J’étais connu dans le coin pour être un fêtard qui organisait chez lui des soirées musicales. De là à ce que l’on me sollicite afin d’organiser cet événement pour la ville, il n’y a eu qu’un pas ! Pourquoi les Nuits du Sud, comment définiriez-vous votre programmation ? Il fallait bien trouver un nom, et comme on est toujours le sud de quelqu’un (rires) ou en tous cas au sud de quelque part ! En fait c’est un mélange de rythmes, de musiques qui racontent des histoires, celles de peuples, d’hommes, d’amis. J’y amène ce que j’aime. C’est ça les Nuits du Sud !


VENCE

La diversité est omniprésente avec des musiciens d’horizons aussi divers que Dee Dee Bridgewater, Stephan Eicher, Jimmy Cliff ou L’orchestre des mariages et des enterrements ? Depuis le début, nous avons dû accueillir une centaine de pays via des artistes venus de tous continents : Amérique latine, Europe, Afrique... Cette année il y aura 15 pays représentés parmi les invités et même des néozélandais ! Mais nous refusons les soirées à thème. Au folklore nous préférons l’idée d’une fête sans frontières, imprévisible. C’est la meilleure façon de toucher et de surprendre les gens. C’est grâce à cet état d’esprit que les Nuits du Sud rencontrent un tel engouement auprès d’une audience de tous âges, conditions ou horizons ! Votre politique tarifaire y participe aussi… En pré-vente les billets sont à 10 euros, sur place 17 euros et les enfants ne payent pas. En fait sur 700 000 euros nous finançons une grosse partie par notre billetterie. Nous avons donc choisi cette politique d’ouverture pour attirer le plus de monde possible, il en va aussi de notre survie. Et cela fonctionne, la jauge augmente chaque année. Nous misons sur un minimum de 30 000 entrées en 2008. Locomotives, groupes moins connus, comment s’organise la cohabitation, est-ce un exercice difficile? Dee Dee Bridgewater est une diva du jazz, mais elle vient avec sa formation malienne pour proposer un univers différent, idem

pour Angélique Di Kijo, une artiste à laquelle aucune étiquette n’adhère. Ces têtes d’affiches qui ne présentent que 10 % de notre podium nous permettent de faire découvrir les autres 90%, des groupes peu médiatisés hors de leur pays mais qui ont la même exigence. C’est cette qualité du plateau artistique qui fait qu’en 2005 nous avons été distingués comme étant le festival ayant le meilleur retour de satisfaction auprès du public azuréen. Comment procédez-vous à la sélection de tous ces artistes ? Nous n’avons pas les moyens de payer 200 000 euros des musiciens qui viennent se produire 30 minutes sur scène. Mais la réputation du festival est telle aujourd’hui que 80% d’entre eux viennent à nous directement. De mon coté je voyage et rencontre Gocoo au festival Nuits du Sud © Achour Abbes

beaucoup d’artistes. Cela crée des liens, des complicités, suscite des envies de part et d’autres ! Pouvez-vous nous en dire plus sur « Les Talents Nuits du Sud - Unisys » ? C’est un nouvel outil pour soutenir la création. Les Nuits du Sud ont toujours eu la curiosité et la vocation de dénicher des musiciens hors des circuits commerciaux. Ce concours, pour lequel nous avons reçu cette année 120 candidatures, a pour but d’amener des groupes amateurs locaux vers la professionnalisation. Un prix de 1 000 euros sera remis à celui qui aura reçu le suffrage maximum du public et du jury et, sera invité à monter sur scène le 8 août en première partie de Omara Portuondo du Buena Vista Social Club.

 En Ville 9

Profitez-en pour venir prendre la température du Festival car ces tremplins qui auront lieu les 17, 24 juillet et 2 août font partie des nombreuses animations ouvertes gracieusement au public durant « Les Jours du Sud » : un « off » qui se déroule dans la rue (lecture de contes, expositions, spectacles de danse, concerts..).Trois jours où l’espace public devient une grande scène à ciel ouvert, où la musique s’écoute, se joue, se danse. C’est ça tous les sud de ce festival qui tourne en rythme avec la terre, la lune et le soleil !

OM


10

En Ville 

AN T I B E S

AT E L I E R S D ’ A RT I S T E S

FONDATION HARTUNG : UNE MAIS O « Hans Hartung fut dans l’abstraction pure depuis son plus jeune âge : il ne part pas du réel, ne donne pas de titre à ses tableaux, juste des numéros. Seuls l’intéressaient la trace, le geste, l’instant ». Si Marie-Guylaine Garcia est trop jeune pour l’avoir connu personnellement, elle connaît tout sur Hans Hartung, le « pape de l’Abstraction lyrique » et la visite guidée prendra en sa compagnie une dimension passionnante.

U

ne maison blanche, de style très épuré et minimaliste, construite en deux parties autour d’une piscine au bleu éclatant. Dans cette piscine, qui était chauffée en hiver, Hartung se baignait tous les jours, descendant dans l’eau grâce à une installation étudiée pour parer à son handicap. D’un côté se trouvait la chambre, de l’autre le living, qui seul se visite : des fenêtres

rectangulaires, toutes en longueur, encadrent le paysage. Basses, elles offrent la meilleure vue possible depuis un fauteuil roulant, sur les oliviers du jardin. Les meubles étaient bas également, et très sobres, avec des proportions respectant le nombre d’or - une des recherches de longue date de Hartung. Tout ici a bien sûr été dessiné par l’artiste et sa femme, se rappelant tout deux leur première maison des Baléares, cube blanc à pans coupés en oblique, qui déjà s’inspirait des maisons de pêcheurs espagnols. Et du style Bauhaus pourrait-on rajouter. C’est beau, intemporel, indémodable … et sans doute d’une sobriété toute « protestante », selon le mot de Marie-Guylaine Garcia. Poursuivons notre visite en traversant le parc aux oliviers, pour atteindre les deux ateliers d’artiste situés en contrebas. Celui d’Anna-Eva Bergman a été dessiné par elle-même : peintre d’origine norvégienne, venue à l’abstraction grâce à Hartung, elle faisait des oeuvres contemplatives, inspirées de la lumière nordique. Tout près, celui d’Hans Hartung semble encore habité. Outre ses chapeaux tachés de peinture, on peut contempler les outils qu’il utilisait pour gratter, frotter, projeter de la peinture : pinceaux, brosses, balais, pistolets divers et variés. Les portes de placards, maculées de taches de peinture en épaisseur, pourraient être considérées comme des oeuvres en soi. La dernière année de sa vie, âgé de 85 ans, nous raconte le guide, Hartung travailla beaucoup ici : 360 oeuvres ! Et comme il ne laissait jamais rien au hasard - de même qu’il gardait tout depuis l’enfance, numérotait, classait - il a également avant sa mort décidé de sa Fondation par testament.

Une Fondation pour conserver et faire rayonner Pas étonnant que la Fondation Hans Hartung & Anna-Eva Bergman soit devenue, depuis son ouverture en 1994, l’une des plus grandes fondations dans le monde, par la richesse de ses patrimoines : 16.000 peintures et dessins dont 13.000 pour Hartung, 30.000 photos prises par lui durant sa vie et des archives gigantesques - cahiers d’écoliers, courriers, catalogues, publications et articles de presse, films réalisés sur les artistes, enregistrements sonores … Le tout accessible depuis une base de données informatisée mise en place par un informaticien-maison : une méthodologie d’ailleurs très recherchée par d’autres fondations. Dirigée par François Hers, une douzaine de personnes travaillent en collégialité à « conserver et faire rayonner l’œuvre ». Reconnue d’utilité publique, la Fondation vit, sans subventions, du mécénat et du parrainage. Elle reçoit artistes en résidence, historiens de l’art, critiques, conservateurs de musées ou commissaires d’expositions. Cependant, la fondation Hartung n’est pas un musée. Les visites ont lieu seulement une fois par semaine, le vendredi à 14 heures. Hans Hartung ou l’abstraction pure Né en 1904 à Leipzig, dans une famille de médecins, avec un père également musicien et peintre autodidacte, Hans Hartung dessine depuis le plus jeune âge, « des taches d’encre » et des « éclairs » dans ses cahiers d’écolier. Pour ses études, il hésite à entrer au Bauhaus - l’école d’art


AN T I B E S

 En Ville 11

IS ON D’ARTISTES ENCORE HABITÉE d’avant-garde célèbre dans les années 30 - mais préfère une formation plus classique à l’Académie des Beaux-Arts de Dresde. Il commence par copier les oeuvres des expressionnistes allemands pour en simplifier les formes et n’en retenir que les masses colorées, atteignant ainsi l’abstraction dès 1922 (il a 18 ans) dans une série d’aquarelles restées étonnamment modernes. Puis il voyage en Europe, découvre la France, s’installe à Paris. C’est là qu’en 1929, il rencontre et épouse Anna-Eva Bergman, jeune peintre norvégienne. Avec elle il retourne en Allemagne, pays qu’il doit bientôt quitter devant la montée du nazisme. Cherchant tous deux un endroit tranquille pour peindre, ils choisissent l’Espagne, et l’île de Minorque alors encore très sauvage, pour y faire construire leur première maison : déjà un cube blanc simplissime, inspiré des maisons de pêcheurs espagnols.

De retour à Paris, Hans Hartung rencontrera tous les grands maîtres de l’art abstrait (Kandinsky, Magnelli, Miro…), tandis qu’il peint sa célèbre série de “taches d’encre”. Nous sommes dans les années 30, l’époque est tourmentée, et les problèmes personnels nombreux : difficultés matérielles, maladie de sa femme, divorce, il bénéficiera ensuite de l’hospitalité du sculpteur Julio Gonzales, dont il épousera la fille Roberta. Arrive la guerre : pour rester fidèle à luimême, Hartung veut se battre contre le nazisme, il s’engage dans la légion étrangère. Envoyé en Afrique du Nord, incarcéré, il perd une jambe durant l’attaque de Belfort en novembre 1944. Naturalisé français après la guerre, décoré de nombreuses médailles, il se fait enfin remarquer par les critiques. Bientôt reconnu comme l’un des chefs de file de l’art informel, un musée de Bâle lui consacre une

première rétrospective dès 1952. En 1953, incroyable clin d’œil du destin, il retrouve par hasard Anna-Eva dans un vernissage : nouveau coup de foudre, il la ré-épousera quatre ans plus tard ! Elu en 1956 membre de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin, il reçoit en 1960 le Grand Prix international de peinture de la Biennale de Venise. Suivront de nombreuses grandes rétrospectives en France, en Allemagne et partout dans le monde : c’est la consécration. En 1968, il achète un terrain planté d’oliviers centenaires à Antibes. Avec Anna-Eva, il dessine les plans de leur maison-atelier idéale, dans laquelle ils s’installeront à demeure. Anna-Eva Bergman meurt en 1987, Hans Hartung le 7 décembre 1989 : selon sa volonté, les cendres de cet homme du nord seront dispersées dans la Méditerranée. FC

En savoir plus sur la Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman 173, chemin du Valbosquet 06600 Antibes Téléphone 04 93 33 45 92 photos : © Fondation Hartung Bergman


12

En Ville 

MENTON

Le vieux Menton prend un coup de jeune ! Pat r i m o i n e

Avant /Après Le front de mer côté Italie : en dix ans, toutes les façades ont été réhabilitées

L

a première OPAH ( Opération Programmée pour l’Amélioration de l’Habitat) a été lancée en 1998. Pour rénover des logements qui « ne répondent pas aux exigences de confort moderne », des subventions sont accordées par la Ville, avec l’aide de l’État, du Conseil Régional et de l’Agence Française pour l’Amélioration de l’Habitat, à hauteur de 25%, et jusqu’à 79% du montant des travaux. Une deuxième OPAH s’est terminée en avril 2007. Plus récemment, en juin 2003, l’État a approuvé un Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV), avec comme objectif de réhabiliter le patrimoine bâti mais aussi de renforcer l’activité commerciale et d’organiser l’accueil touristique en donnant au centre ancien une dimension culturelle. En septembre 2006, le conseil municipal a demandé une révision du PSMV, afin de permettre la construction du futur Musée Jean Cocteau, devant les halles municipales, qui accueillera l’incroyable collection Séverin Wunderman. Et aussi la réhabilitation de l’ancien hospice Saint Julien pour l’accueil du premier cycle de Sciences-Po Paris. Une politique d’aides apparemment populaire puisque Jean-Claude Guibal vient d’être réélu pour un quatrième mandat.

ce type de secteur, dans lequel un règlement différent peut s’appliquer à chaque bâtiment (« POS à la parcelle »). En conséquence de quoi le propriétaire n’a plus le droit de faire « n’importe quoi », selon l’expression de Paola Ocana, Responsable adjointe du service patrimoine à la mairie. Et les entreprises du bâtiment doivent respecter des règles strictes : utiliser de la chaux pour les murs de façade (car la chaux laisse respirer les murs anciens, évitant les traces d’humidité), du bois et de la ferronnerie pour les menuiseries, des tuiles « canal » (rondes) ou plates (pour les bâtiments du XIXème siècle). Idem pour les couleurs : seule est autorisée une gamme d’ocres jaunes et d’ocres rouges, typiques de la région, d’inspiration ligure. C’est ainsi que le patrimoine médiéval de Menton retrouve peu à peu une nouvelle jeunesse : la rue Bréa a été réhabilitée, la rue Longue est en travaux, on refait actuellement les réseaux et le revêtement de surface. Objectif : transformer cette ancienne voie romaine en une artère commerçante animée !

Grâce à Malraux, le patrimoine de Menton retrouve une nouvelle jeunesse.

Suivez le guide dans les ruelles de l’histoire

Quelle bonne idée d’avoir demandé le classement de la vieille ville en secteur sauvegardé. Il en existe une centaine en France, Menton l’a obtenu en février 2001. C’est la loi Malraux du 4 août 1962 qui délimite

Les touristes viennent lui poser des questions même quand elle ne porte pas son badge de « guide » : c’est dire si Patricia Béguin est faite pour le métier. C’est avec elle que nous avons fait une passionnante promenade dans le passé méconnu de Menton. Suivez le guide…


XIX

MENTON

ème

1980 2008 Pour qui souhaite faire une visite guidée, rendezvous à la Maison du patrimoine, créée en 1991 et dirigée aujourd’hui par Josiane Tricotti. Située dans l’ancien hôtel Adhémar de Lantagnac datant du XVIIIème siècle, elle propose des expositions temporaires, par exemple sur les techniques ancestrales de construction. Car désormais, Menton appartient au réseau « Ville d’art et d’histoire », appellation attribuée par le Ministère de la Culture aux villes qui « animent leur patrimoine » : la ville des citrons emploie cinq guides-conférenciers, dont la compétence est garantie par l’Etat. C’est le cas de Patricia Béguin, qui avoue que « les jardins de Menton » ont souvent la préférence des visiteurs. Mais découvrir avec elle « les ruelles de l’histoire » en surprendra plus d’un. Sait-on par exemple que les 140 tonnes d’agrumes utilisés lors de la Fête du Citron proviennent … d’Espagne, que le fameux bastion du XVIIème siècle où Cocteau a installé ses oeuvres avait les pieds dans l’eau et était relié à la ville par un pont de bois jusqu’en 1870. Ou encore que Menton appartint aux seigneurs de Monaco durant cinq siècles. C’est Honoré II qui fit construire ce bastion pour protéger la ville, et qui signa un protectorat avec l’Espagne de Charles Quint pour 99 ans, la seigneurie de Monaco étant prise en étau entre la Provence, la Savoie et la république de Gênes. Il s’installa même un temps à Menton, alors gardée par 800 soldats espagnols pour une population de 1200 habitants. Continuons notre visite par les Halles (1898), marché

 En Ville 13

150 façades ravalées, 319 propriétaires financés, 90 immeubles ayant reçu un appui technique et juridique pour organiser leur copropriété, 1.5 millions d’euros dont 960 000 euros investis par la commune, 5 millions d’euros de travaux générés… C’est le (beau !) bilan de dix ans d’OPAH initiée par la municipalité de Jean-Claude Guibal. couvert à structure métallique, signé d’un architecte mentonnais adepte de Gustave Eiffel, Adrien Rey : sur la façade, des céramiques architecturales, provenant de la manufacture Saissi, fondée par Joseph Saissi en 1873, et qui, vous racontera Patricia, avait le monopole du bleu turquoise pour la région, et ce jusqu’aux années 1940 ! Elle vous conduira ensuite dans la rue Longue, qui suit l’antique voie romaine, et sur laquelle se dresse l’ancienne résidence des Grimaldi, dont il ne reste aujourd’hui qu’une plaque (en latin) et le hall « assez large pour contenir deux chaises à porteurs ». Dans la vieille ville, les maisons les plus anciennes datent du XVème siècle. Très pauvre, la population construisait les murs avec des matériaux de récupération : galets, poteries alimentaires cassées, le tout lié avec un mortier à base de chaux. La maison typique se composait d’un rez-de-chaussée qui servait d’échoppe … ou d’étable, la pièce à vivre se trouvant au premier niveau et le grenier, ouvert sur l’extérieur, au deuxième. Construites en escalier, ces maisons comportaient trois niveaux sur la rue haute, mais cinq sur la rue basse. Et jamais d’ouvertures sur les derniers étages côté mer, pour paraître imprenable de loin. La basilique Saint Michel est d’un baroque discret, sobre … faute d’argent, car elle fut construite au XVIIème siècle … grâce à l’impôt. Regardez attentivement le parvis en galets, restauré récemment : la frise du décor est composée de losanges, emblème de la famille Grimaldi de Monaco, et de H pour Honoré II.

Contacter la Maison du patrimoine 24 rue Saint-Michel Menton Tel. 04 92 10 97 10)

FC


14

En Ville 

àd Sta Ép Ier s

M O NA C O

Mu (inv seu

Re Ah NE ho Th et

Kes ©K gne Tep

àg Sta ME Pro W.

Exposition

« Reines d’Egypte », la modernité de l’empreinte passée Chaque été, le Grimaldi Forum Monaco produit une grande exposition thématique, consacrée à un mouvement artistique majeur, à un sujet de patrimoine ou de civilisation. Après « SuperWarhol », « New York, New York », le Grimaldi Forum nous plonge cette année dans l’Egypte ancienne, la plus brillante et mystérieuse des civilisations.

The the ©S

Scénographie Reines d’Egypte Section 3 : Epouses secondaires, concubines et «harem».

S

ci Co Ha NE

Tor An An

i les expositions consacrées à ce thème sont abondantes, celle-ci est exceptionnelle à plus d’un titre : pour la première fois ce sont les personnages des « Reines d’Egypte » qui sont mis en lumière sur près de 4000m2 , la grande majorité des 250 chefs d’œuvres est présentée pour la première fois en France et les plus grands Musées du monde participent à cette exposition en prêtant des œuvres emblématiques. Pour goûter, en avant première, les joies de cette exposition d’une envergure peu commune, partons en promenade dans les allées ouatées avec son metteur en espace François Payet.

Alchimiste d’idées et d’images

Créateur protéiforme, architecte, scénographe, muséographe, vous concevez des bâtiments, des aménagements muséaux et des scénographies d’exposition : comment articulez-vous ces trois activités ? Il est très compliqué de répondre en quelques lignes à cette question : la partie « architecte pur » (c’est-à-dire

« de bâtiment ») ne s’est pas déroulée en même temps dans ma carrière, et donc actuellement je n’en fais plus. Par contre la pratique de l’espace (composition spatiale) en tant qu’architecte reste un outil très important dans mon métier de scénographe, et encore plus ici dans la situation du Forum Grimaldi, puisque l’espace est un grand plateau

Après avoir fait vivre avec talent les mythes et légendes de Saint Pétersbourg en 2004 au Grimaldi Forum, François Payet revient créer, avec un plaisir non dissimulé, dans ce lieu qu’il décrit comme « un des outil les plus performants qui puisse exister pour faire des expositions ». Entretien avec ce concepteur qui a chuchoté à l’oreille des Reines d’Egypte pour nous donner à ressentir leurs secrets enfouis !


à droite : Statue de Cléopâtre Époque ptolémaïque, Ier siècle av. J.C.

M O NA C O

 En Ville 15

Musée de l’Ermitage, St. Pétersbourg, (inv.3936) © The State Hermitage Museum, St. Petersburg (Svetlana Suetova)

Représentation de la Reine Ahmes-Nefertari déifiée. NE, XVIII dyn., règne d’Amenhotep Ier (vers 1360 av. J.C) De Thèbes: rock-tomb de Nebamun et Ipuki. Kestner Museum, Hanovre, inv.1962.70 © Kestner-Museum, Hannover (Allemagne). Photographie : Christian Tepper.

libre et que toute l’architecture du lieu est à définir !

à gauche : Statue de princesse abydénienne ME, XII dyn., règne d’Amenemhat III Provenance : Abydos, fouille de W. Petrie The Supreme Council of Antiquities of the Arab Republic of Egypt, JE 36359 © Sandro Vannini

ci dessous : Coupe avec le visage de la déesse Hathor NE, XVIII dyn. Torino, Fondazione Museo dellle Antichità Egizie, Cat.3368 © Museo Antichità Egizie di Torino.

Autour de l’expo Toutes les infos dans la rubrique Expositions du site : www.grimaldiforum.mc Le catalogue de l’exposition (parution Juillet 2008). 368 pages couleurs et 550 illustrations – en version française ou anglaise Visites nocturnes les jeudis et samedis jusqu’à 22h. Des visites commentées pour le jeune public et pour tout public

« Exposer » des statues et oeuvres inanimées, cela ne va pas de soi dans notre société où tout est perpétuel mouvement. Comment avez-vous résolu cette difficulté pour rendre perceptible ce qui ne l’est plus ? Quels ont été les principes et buts recherchés à travers votre scénographie ? C’est une exposition qui nous fait vivre un voyage par l’esprit, c’est le voyage immobile et intérieur de notre regard plongé dans les fondements de notre culture. C’est une exposition conçue pour être approchée dans la lenteur, avec le temps qu’il faut pour que les objets nous imprègnent : elle laisse l’Histoire nous absorber. Les objets ne sont pas seulement exposés. Ils sont là, émouvants par le temps qu’ils ont parcouru, par la mémoire qu’ils représentent. Ils façonnent par leur disposition et leur présence l’espace d’exposition. Ils donnent vie au parcours du visiteur et donnent sens à l’espace scénographique qui les entoure. Ils sont lumière, forme, matière, mais aussi le médium pour comprendre la réalité de l’Égypte ancienne. Ce ne sont pas que des mots : la lenteur se traduit en dispositif scénographique, c’est une forme de parcours, un parcours long, scandé, un peu sinueux qui fait perdre au visiteur ses repères dans l’espace. Comme une respiration, le parcours se construit dans la traversée de lieux alternés et complémentaires : les uns ouverts et dynamiques développant l’espace nécessaire

aux œuvres (c’est le terrain où le regard du visiteur se focalise et s’imprègne), les autres intérieurs, où le corps et l’esprit se posent, le temps de comprendre, des espaces de pause et de consultation (mais pas seulement…). L’originalité de cette scénographie, c’est de permettre une relation toute en nuances de ces deux types d’espaces entre eux. Catherine Ziegler, Commissaire de l’exposition, souhaite que le visiteur « après avoir pris beaucoup de plaisir, reparte plus instruit et plus curieux qu’il n’y était entré » : comment avezvous répondu à cette volonté de concilier plaisirs visuels et informations pédagogiques ? Il n’y a pas de dissociation à faire entre les deux, quand on part dans un projet comme celuici on ne se dit pas d’un coté on va se faire plaisir et de l’autre on va en donner un peu pour le public. Quand on conçoit « on est le public », on s’intéresse, on apprend : je me suis plongé dans de nombreux textes sur l’Égypte avant de tenir mes idées. C’est seulement après qu’on traduit cela en espace. Ma volonté n’a pas été de dire, « on fait un beau documentaire au début et on se débarrasse du problème du sens ». Le côté didactique est inclus dans le parcours, dans un va-et-vient régulier entre voir… comprendre… voir … comprendre… (Et on en revient à la lenteur.. !) Est-il difficile pour un scénographe de répondre au besoin de sensation caractéristique d’un large public pour lequel la question du contenu est

peut-être moins importante que celle du contenant, pourvu qu’on le fasse rêver ? Je crois que le contenu ne peut atteindre le visiteur dans une expo (ou dans toute chose de la vie) que s’il est justement inscrit dans la sensation : on apprend plus d’un poème que d’une notice technique de « réveil matin » ! Comment votre masculinité a-t-elle perçu cette exposition entièrement consacrée aux femmes ? Je voulais traduire une forme d’érotisme dans le regard que je portais à la nature de la femme Egyptienne, le traduire de façon très littéraire. Pour cela je me suis beaucoup appuyé sur la force des textes d’Elie Faure, dont je vous cite un passage : « Les femmes quand elles se parent, ou mouillent leurs pinceaux fins pour farder leur maîtresses, ont l’air de roseaux inclinés pour chercher la rosée dans l’herbe. Le monde a le frisson silencieux des matins. »* (Elie Faure – L’Egypte) Une œuvre de l’exposition vous a-t-elle touchée plus spécifiquement ? J’ai toujours une relation particulière avec les œuvres puisque que je les relie toujours à l’espace que je crée autour. Je pense notamment à ces statuettes qui font plus africaines qu’égyptiennes, très primitives dans leurs factures, des petites sculptures de 20 à 25 cm, des petits bouts de femmes, très intenses … que je mettais en lumière dans les interstices d’immenses colonnes … sombres : la statuette de Dame Touty ou la statuette de Nebetia. Rendez-vous cet été dès le 12 juillet, pour vivre une expérience mêlant esthétisme et poésie, et redécouvrir les empreintes étonnamment modernes laissées par ces femmes au destin hors du commun !

VN


16

En Ville

ALEXANDRE DE LA SALLE

UN RÊVEUR SANS COMPROMIS

Alexandre de La Salle entouré de ses masques africains : « L’art Nègre est beau et chargé de sens, il raconte un rapport au monde, c’est un art métaphysique » © J-Ch Dusanter

« L’art ne s’apprend pas, il se vit, s’expérimente. Il doit entrer en vous par tous les pores de la peau : c’est la seule Sainteté qui existe, une ascèse, une expérience unique, un feu brûlant ». Non, Alexandre de La Salle n’est pas un tiède : qu’on en juge… « Mon père avait cinq passions : la guerre, la révolution, l’art, les femmes et … le jeu - ce qui l’a perdu : il s’est suicidé sans tristesse ». Alexandre de La Salle résume ainsi, avec son franc-parler, la vie de son père, Uudo Alexandre Einsild, qui quitta en 1918 son Estonie natale pour Paris, où il ouvrit une galerie d’art rue Jacques Calot. Parmi ses artistes, Modigliani et Soutine, dont il fut l’ami durant vingt ans. Avec de plus une mère, Berthe Sourdillon de la Salle, peintre, Alexandre a depuis toujours « des rapports privilégiés avec le monde de l’art » : « tout jeune, on me traînait impitoyablement dans tous les lieux où régnait la peinture ». Très vite il acquit un « mépris pour tout ce qui sort de la voie royale menant de Piero della Francesca à Picasso et Léger ». Longtemps étudiant dilettante à Paris, ayant touché au dessin, au droit et même au journalisme, c’est seulement à l’âge de 30 ans, et à Vence qu’il ouvre sa première galerie, avec sa femme Maroussia. C’était le 1er février 1960, place Godeau, où il « attendît Godot durant quinze années ». En « héritier de son père », il commence par montrer l’Ecole de Paris. Un temps marxiste, puis lecteur passionné de Sartre et de son « Ego transcendantal », il décide alors de « se fier à son regard », ne se fondant que sur la « qualité », qu’il trouve « chez des artistes peu connus, mal connus ou carrément ignorés ». Il est fier aujourd’hui d’avoir découvert de jeunes artistes, comme Gérard Eppelé et Robert Malaval. C’est d’ailleurs ce dernier, un « prince des ténèbres, provocateur, brûlant sa vie, et qui en est mort », qui lui parle du mouvement naissant de l’Ecole de Nice. En 1967, il organise la première exposition de groupe intitulée « Ecole de Nice ? » qui deviendra historique. On y voyait des oeuvres d’Alocco, Arman, Arnal, Ben, César, Chubac, Farhi, Gette,


C AGN E S S U R M E R

Alexandre de La Salle  78 ans  Ancien galeriste  Une vie à la recherche de l’excellence

De l’Ecole de Nice à l’abstraction géométrique

l’abstraction géométrique : « J’ai été un de ceux, très rares, qui ont voulu et su introduire dans le Sud l’Abstraction ». Pour lui, ce mouvement de l’abstraction géométrique, est « la grande chose du siècle », et en particulier le mouvement MADI, initié en 1936 par Carmelo Arden Quin. Dans son panthéon personnel, Arden Quin vient sans doute en premier : un artiste uruguayen, figure majeure de l’abstraction géométrique, qui a inventé la peinture polygonale, et faisait des tableaux non carrés, auxquels il manque un morceau, ou à plusieurs surfaces. Et dont Alexandre de La Salle termine actuellement le catalogue raisonné. Dans la même veine des années 40, citons Jean Leppien (ancien Bauhaus), Fritz Levedag, Wols ou Aurélie Nemours (« la grande dame de la peinture, un bloc métaphysique, mystique, comme un moine cistercien »).

En 1974, Alexandre s’installe à Saint Paul de Vence, dans un vaste local extrêmement bien situé, juste en dessous de la Fondation Maeght. A côté des « jeunes » de l’Ecole de Nice, il s’oriente vers

En 1998, il revend sa galerie à Guy Pieters et en 2000, Frédéric Altmann lui consacre une rétrospective au Centre d’Art de Carros, qui raconte les quarante ans de son parcours.

Gilli, Malaval, Annie Martin, Raysse, Venet, Viallat. Pierre Restany écrit un texte pour le catalogue et Arman réalise une lithographie. Une exposition « grandiose », dont Alexandre de La Salle se rappelle « les cocktails servis dans des bocaux à poisson de toutes les couleurs - dont un de couleur bleu de Klein ». Suivront tous les dix ans, et jusqu’en 1997, trois autres grandes expositions sur le même thème. De ce mouvement, il retient « une flambée magnifique », avec des figures marquantes comme Yves Klein, Arman, Martial Raysse, César - sans oublier ses « chouchous », Malaval et Chacallis – « un groupe de peintres qui avaient en commun de travailler ensemble ici, d’avoir commencé leur carrière à Nice d’abord ».

© J-Ch Dusanter

 En Ville 17


18

En Ville 

C AGN E S S U R M E R

Que fait-t-il depuis lors ? Outre qu’il a découvert « l’art nègre » et s’est mis à collectionner des centaines de pièces, Alexandre de La Salle édite (et même écrit sous des pseudos !) des poésies, et en particulier Gherasim Luca, « un immense poète, il en existe dix par siècle de ce niveau ». Déçu par « le tournant pris par l’art ces vingt dernières années, où les seuls Dieux sont le pouvoir et l’argent », Alexandre de La Salle est persuadé pourtant que « l’art est aussi précis que la physique nucléaire ». Ce qui lui permet de juger du bon et du mauvais avec une grande assurance : « seuls comptent pour moi la qualité, l’excellence; le « pas mal » ne m’intéresse pas ». S’il porte au pinacle les oeuvres des artistes accrochés sur ses murs - Garibo, Giraudon, Charasse, Alanore, Dorigni, Neron, Guié, et même sa petite fille Anne de La Salle (qui fait des collages),

In memoriam

L’une des innombrables expositions Chubac à la Galerie de la Salle, Sain-Paul

Albert Chubac nous a quittés. Albert Chubac aimait tellement l’art ludique qu’il fut le seul à réaliser toute une œuvre avec simplement trois couleurs : bleu, jaune et rouge. Une œuvre entièrement consacrée au jeu infini des carrés, triangles, droites, cercles aussi, points, dansant dans la couleur. Des centaines de collages, et, bien qu’obéissant à une sorte de minimalisme pictural, tous parfaitement différents les uns des autres. Ce que je disais en 1999 lors d’une rétrospective sur mon travail de galeriste, dont il était, bien sûr, puisque j’ai commencé à l’exposer au début des années 60, et que je lui fis plus d’une vingtaine d’expositions : « Son atelier ? Une fête de formes découpées, de collages aux trois couleurs mais pouvant se décliner à l’infini ; en quelque sorte une véritable accumulation, jouant avec l’espace et la couleur de ce lieu enchanté. Plus que quiconque il a compris l’esprit de notre région, des lieux de mer, des

il peut se montrer sévère avec les autres, ceux qui n’y sont pas. Eh oui, Alexandre de La Salle est comme ça : « un homme exigeant, direct et vrai, qui dit ce qu’il pense et ne s’est compromis dans rien ». Mais aussi à ses heures, un « rêveur, un contemplatif », qui chante tous les matins avec le merle de son jardin ! Bientôt un lieu d’art à Cagnes sur mer Dans sa belle maison de Cagnes sur Mer, 24 rue Jean Féraud, Alexandre de La Salle va ouvrir un « lieu d’art », qu’il intitule « L’image et la parole », où il compte organiser quatre vernissages par an, avec visites sur invitation et rendez-vous. Première exposition à venir, « petits formats » pour présenter ses artistes (Dorigni, Chacallis …)

chaises longues, des parasols blancs, bleus ou rouges, d’une déambulation calme et tranquille. Plus que personne il en a sublimé l’image en la poussant bien sûr jusqu’à l’abstraction de ses superbes collages. D’Aspremont il voit la mer, et elle monte jusqu’à lui comme pour irriguer son travail. Alors heureux qui comme Chubac ? Oui, mais c’est un peu juste, car, derrière cette fête, il y a, et c’est inévitable, un homme et ses angoisses, et qui devant toutes les abysses, s’interroge, s’interprète et s’assume ». Lors d’une exposition en 1990, j’écrivais encore : « Albert Chubac est l’un des plus anciens et des plus importants membres de l’Ecole de Nice, l’un des quatre ou cinq qui ont fait cette école. Il est également, et sans contexte, l’un des meilleurs abstraits géométriques européens de sa génération. » Aspremont où, comme un ermite il a vécu une cinquantaine d’années, sera désormais un lieu de mémoire, ainsi que l’Espace Chubac à Tourrette-Levens.

FC

Albert Chubac et Alexandre de la Salle chez Chubac à Aspremont

Un grand nombre d’artistes de l’Ecole de Nice reconnurent leur dette à cet homme, leur aîné, qui passa de l’Ecole de Paris, de son goût pour de Staël, de son amour de l’Egypte, la Grèce, de son amour de la lumière, à une place particulière dans un Mouvement où la liberté était de mise, et le goût de la vie, place qu’il honora jusqu’au bout. Sa forme d’enseignement, faite de présence et d’un grand rire explosif demeurera, telle une voie à suivre. Adieu, Albert, tous nous t’aimions beaucoup. Alexandre de la Salle


C ANN E S

FOCUS

 En Ville 19

F E S T I VA L D E C A N N E S

Delphine Tomaselli

Elle a couvert officiellement mais singulièrement le Festival de Cannes 2007, car le regard de Delphine Tomaselli alias Delf Pia Chitti artiste photographe, déborde largement de l’objectif et de sa focale… Fondu au noir en plein soleil !

Delphine Tomaselli pendant le Festival de Cannes 2007 ©D. Tomaselli pour la ville de Cannes.

Chitti horror picture show !


20

En Ville 

FOCUS

C ANN E S

Lorsqu’elle présenta en 2003 ses triptyques mêlant prises de vues du quotidien, documents d’archives et captures de film, un parfum étrange planait dans l’air. Que veulent dire ces rébus visuels en forme de cadavres exquis digne de David Lynch, où vont ces ellipses entre les plages celluloïds ? Deuxième acte, deuxième livraison : « Quand il n’y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre » ! Personne n’a oublié le slogan coup de poing de « Zombie », l’autre film culte de Romero après « La nuit des morts vivants ». Et si cette série de portraits qu’elle baptise « My friends are dead » laisse transpirer son contingent d’influences « trash et gothique » des studios Hammer film à Dario Argento, Delf Pia Chitti s’infiltre une fois de plus dans la frontière poreuse qui sépare le réel de l’irréel. Un voyage qui la conduira vers la folie… cannoise, s’entend !

Cette page (de haut en bas) Travail personnel Oser Desirer © Delphine Tomaselli // Période Delf Pia Chitti – 2003/2004

Deux sélections de la série My Friends are Dead © Delphine Tomaselli // Période Delf Pia Chitti – 1997/2005

Page opposée et double page suivante : © Delphine Tomaselli pour la Ville de Cannes pour les 60 ans du Festival du Film en 2007

De Niki de Saint Phalle à Jean Pierre Léaud « Je suis scorpion ascendant vierge, née le 30 octobre 1970 à Mérignac avec 5 semaines d’avance, d’un père italien né en Algérie et d’une mère espagnole née à Casablanca. La sage-femme qui m’a donné le jour s’appelait Marie-Ange », c’est ainsi que se présente Delphine Tomaselli. Flash-back : la fillette au regard triste sur les photos de classe se réfugie très tôt dans la musique, piano et batterie. Le virus de l’image, c’est par son père qu’elle le contracte : « Il a toujours fait de la photographie en amateur, moi je portais ses boîtiers. Avec le recul regarder le monde à travers son objectif m’a sauvée de l’autisme ». Après un bac d’art plastique à Paris, Delphine part à l’aventure, travaille avec un styliste tout en s’adonnant à sa passion, la photo. Celle qui rêve à douze ans

d’être peintre, collabore ensuite avec le plasticien Kriki, anthropologue du fuzz, une sorte de gremlins terroriste qui fait les 400 coups dans la campagne, puis peint des sculptures pour Niki de Saint Phalle. Alors qu’elle travaille sur le script d’un film, elle rencontre Jean-Pierre Léaud. Le double de Truffaut à l’écran l’engage comme répétitrice puis coach. De 1991 à 1996, elle fréquente les plateaux, réalise des courts métrages dont « Ante Eros » sur un poème de Fernando Pesoa, sélectionné pour la Biennale de Venise. Sur un de ces coups de dés, dont elle a le secret, elle approche en 1998 à Lisbonne le cinéaste portugais Joao César Monteiro. L’acteur réalisateur de « La Comédie de Dieu » lui achète même quelques-unes de ses mobiles photos : « C’est le cinéma du pauvre ! » dit-il en riant.


C ANN E S

Wanted dead or alive ! Arrivée sur la Côte d’Azur, Delf Pia Chitti (un pseudo inspiré du patronyme de son arrière grand-mère) expose en 2003 à « La galerie dans le ciel » ses triptyques. Un format qui n’est pas sans évoquer les images religieuses. Deux ans plus tard le Musée de la photographie André Villers de Mougins, lors d’une exposition collective, dévoile quelques planches de « My friends are deads ». Une série recentrée sur le portrait où l’artiste met en scène (costumes, maquillages, décors) des figures fantasmatiques saisies en état de grâce ou de disgrâce. Elle accouche alors d’une esthétique néo-gothique singulière et pose les bases d’une mythologie personnelle où David Bowie période « Aladine sane » pourrait tenir le beau rôle : « Je rêve de le photographier, même sur son lit de

FOCUS

 En Ville 21

mort ». Shootés à l’argentique et retravaillés sur son Mac ces portraits sont ensuite tirés sur papier métallique. Mais avant d’être immortalisés comme des camés de porcelaine funéraire, les anges déchus reprennent vie sous sa direction d’acteur : « Je me sers de leur personnalité. Et au lieu de masquer ou d’embellir, le maquillage sert ici à révéler l’identité». Un travail qui attire peu à peu les regards de ses pairs. Delphine vient prêter son œil à l’exposition et au catalogue de Ben « Les limites de la photo » à Mougins. Quelques mois après, c’est Frédéric Ballester, Directeur de la Malmaison qui l’invite à participer au catalogue de Combas qui présente à Cannes ses toiles autour du 7ème art. De là à ce que la Ville lui propose de couvrir son mythique Festival du film, il n’y a qu’un pas, qu’elle franchit allégrement.

Edouard Baer / Acteur – Réalisateur – Animateur – producteur 18/05/2007 23:48:19 plage Martinez « Viens on va boire du champagne dans une villa !» me dit-il. C’est finalement durant l’été à Calvi, que nous trinquerons ensemble.

Abel Ferrara / Réalisateur 24/05/2007 23:52:45 au 3.14 Ce soir là je suis totalement H.S. Je veux Dormir ! Mais je me dis que je dormirais après le festival… Je me traîne au 3.14, me dirige comme téléguidée vers le piano sachant que j’y trouverais du calme. Abel est là, seul. Il lit. Le journal est posé sur le piano. Au moment où je suis prête à sortir ma fameuse question… « …une photo ? » une jeune femme s’interpose entre nous deux. Elle le salut en l’embrassant, visiblement ils se connaissent. La situation de nos corps dans l’espace fait qu’elle, elle croit que je suis avec lui, lui il croit que je suis avec elle. Elle me salut et me demande de les prendre en photo. Je les prends tous

les deux. Abel lui demande qui je suis. Elle lui dit qu’elle ne sait pas. Il me regarde. Je lui fais un geste du bras avec mon appareil photo (sans un mot) qui signifie : une autre photo mais sans la fille ! La fille ne comprend pas, elle veut encore des photos avec lui. Lui me regarde, pour ainsi dire (mais toujours sans un mot) t’es ready ? Il se décale d’elle, reprend sa pose de lecture. Je me dis que je n’ai pas le droit à l’erreur, et je shoote une seule fois. La fille aussitôt me demande de voir la photo car elle pense qu’elle est dans le cadre. Je lui montre la première. Abel, lui ne dit rien et sourit. Après le festival j’ai mailé à cette fille la photo sur laquelle ils sont tous les deux. J’ai fait sa joie.


22

En Ville 

FOCUS

Asia Argento Actrice – réalisatrice – dj 24/05/2007 03:24:44 et 24/05/2007 03:24:46

C ANN E S

Asia est celle qui est chez elle partout. Quand je la vois je pense à son rôle dans Transylvania le film de Tony Gatlif. Soirée Abel Ferrara de dingue. Je fais toutes mes photos en dansant face à elle… Un jeu de rôle et de regards s’installe entre elle et moi.

Chassés-croisés sur la Croisette Delf Pia Chitti s’efface, Delphine Tomaselli réapparaît. La fiction c’est l’affaire de la première, la réalité de la seconde, mais mon tout est la même personne, c’est là que tout se complique, s’enrichit aussi. Une charade qui en dit long sur la façon singulière avec laquelle elle investira les coulisses du 60ème Festival de Cannes. Un travail qu’elle se refuse à aborder selon les rites des paparazzi : « J’ai laissé faire l’ordre des choses, m’en suis remise au concept « Inch Allah ». Caméléon entre jours et nuits. Une seule chose m’importait : donner à voir et non pas prendre une photo, il m’est arrivé souvent d’en refuser sur rendez-vous ou quand je jugeais que le moment n’était pas favorable! ». C’est dans cet état de veille permanente que la photographe dérobe au fil de son errance et de ses rencontres ces moments d’intimité rares en pleine démesure cannoise avec Abel Ferrara, Jim Jarmush, Paolo Coelho, Edouard Baer, Lou Douillon, Asia Argento, Hyppolite Girardot et bien d’autres

encore. Soixante images pour un rêve (« Sixty Shot Dream ») qui firent l’objet d’une exposition en novembre dernier à Cannes et partiront bientôt à Beverly Hills et Shizuoka, deux villes jumelées avec le temple du 7ème art. Et depuis, le cinéma qu’elle avait mis de coté après sa période parisienne, lui fait le coup du « souviens-toi ! » comme chantait Piaf. « Depuis deux ans je suis invitée au Festival d’Amiens par son directeur Jean Pierre Garcia à qui je dois des rencontres avec Jean-Jacques Beineix, Samuel Benchetrit ou Danny Glover ». Ce travail d’investigation narrative lui ouvre également les portes du Festival du Film d’Amérique Latine à Toulouse, et par l’intermédiaire de Melita Toscan du Plantier celui plus médiatique de Marrakech. « Je le fais par amour du Cinéma, c’est n’est pas une sorte de chasse pour revendre des photos aux agences mais le besoin spontané d’aller à la rencontre de gens, connus ou pas du tout, partout où mes bagages se posent ». Pour autant, Delphine continue

Lou Doillon / Comédienne & Modèle 21/05/2007 14:01:34 Je lui dis : « Vous voulez bien me filmer pendant que je vous photographie » Elle : « ok… » Jardin du Grand Hôtel.


C ANN E S

Jim Jarmush / Réalisateur 19/05/2007 13:44:24 Au moment où je fais une série « volée » avec lui, je suis avec ma nièce Sarah et une de ses amies sur la croisette. Deux adolescentes venues voir des Stars. Mais y en a pas !

d’explorer plus intimement les limites de son art. Après s’être intéressée aux autres, elle braque depuis peu son objectif sur son propre corps, de chambre d’hôtel en chambre d’amis. « L’avantage avec les autoportraits, c’est qu’il n’y a pas de droit à l’image sauf si je veux me faire un procès » commentet-elle en riant. Mais le nomadisme n’a qu’un temps, Delphine

Soudainement je le vois et puis aussitôt je me dis « Non, pas lui » puis « oui oui c’est lui ! ». Puis « j’sais plus ! » Je demande confirmation aux deux ados mais elles ne connaissent pas ce cinéaste. Du coup je leur parle des films de Jim Jarmush. Le soir même je le croise vers 2 du mat au bar du Grand Hôtel, et je lui

demande un portrait. Il ne veut pas. Il est ferme. Il me dit qu’il respecte mon travail et ma création mais qu’à cette heure-ci il est affreux. Il me propose un rendez vous pour le lendemain et je refuse ! Par ailleurs, je le félicite sur son travail lui disant que j’aime ses films. Il me dit « Yes ok but NOW I

qui le pratique depuis toujours envisage à l’approche de la quarantaine de se poser, en Corse ou au Maroc : « J’aimerai pouvoir prendre du recul. Histoire de pouvoir derusher toutes ces photos que j’accumule depuis une dizaine d’années et pourquoi pas me consacrer à l’écriture d’un film ? ».

FOCUS

 En Ville 23

want to find some one who loves my heart ! ». Touchant, très touchant d’autant que quand il me dit ça c’est droit dans les yeux. Moment privilégié, nous sommes isolés de la foule qui observe… cette phrase me revient souvent. Comme quoi l’art et la vie sont deux « choses » à dissocier…

Découvrir le travail de Delphine Exposition SIXTY SHOT DREAM au SOFITEL MEDITERRANEE de Cannes du 12 au 31 mai 2008 http://monsite.wanadoo.fr/delfpiachitti ou http://monsite.wanadoo.fr/tomaselli L’artiste Delphine Tomaselli remercie Frédéric Cassoly, Jean-Pierre Moreau, Canal+/Michel Denisot, Gilles Sandoz, le3.14 à Cannes, la Ville de Cannes, et son ange gardien (il se reconnaîtra !)

OM

Louis Garrel Acteur 19/05/2007 00:39:44 plage Martinez Disponible, concentré, très professionnel. Il m’embrasse après avoir vu la photo. La famille Garrel c’est du Monumental ! Pour moi c’est un honneur d’avoir pu photographier le petit fils talentueux comme ses aïeux.

Extraits du cahier de shooting de Delphine Tomaselli, Festival du Film de Cannes 2007


24

La Vie des Arts 

D AN S L ’ O B J E C T I F

F E S T I VA L

CINEMA BRUT ET LA TOILE MET LES VOILES ! Alors que le Festival de Cannes est en pleine effervescence, celui du Cinéma Brut dédié aux nouvelles images ouvre sa troisième édition au Château de Mouans-Sartoux. Il fallait être fou pour « narguer » à moins de 10 kilomètres, le géant Cannois. Pascal, Pat, Vincent et les autres l’on fait et ça marche ! Les frères Lumière immortalisèrent l’arrivée du train en gare de la Ciotat, Méliès nous envoya dans la Lune en 1902, Dziga Vertov recadra la réalité, la nouvelle vague dépava la fiction dans les rues de Paris, le cinéma brut requalifie la fin en éclatant les moyens… images par images, la toile n’en finit pas de s’agrandir ! Et c’est à Mouans-Sartoux, entre Cannes et Grasse que le miracle a lieu chaque année. Si l’argent manque, la passion et l’huile de coude y suppléent explique Pascal Cadaré à la barre du collectif Cinéma Brut, à l’origine du Festival. Une dizaine de membres bien décidés à faire de ce village gaulois qui résiste à l’envahisseur la Mecque d’une nouvelle race de créateurs audio-visuel. Un allié de poids pour Pascal Pat Marcel, l’homme qui créa les « Houses movies party » dans la capitale et anime depuis quatre ans sur Canal + l’émission « Les films faits à la maison ». Un dangereux récidiviste qui s’était déjà commis il y a vingt ans dans une émission devenue culte : « l’œil du cyclone ».

Un peu de brutalité dans un monde de douceurs Cinéma Brut ! Y aurait-il donc un cinéma doux voire bouché comme le cidre ? En tous cas un cinéma sans caméra et sans producteur à gros cigare, un cinéma autonome surfant sur la vague numérique se cristallise autour du château de Mouans-Sartoux. « En fait, l’idée est partie des films faits à la maison, un genre né avec l’accessibilité des moyens vidéo. On a voulu réunir tous ces francs-tireurs issus du docu, de l’art vidéo, du clip, ou de leur trois pièces/cuisine ». Remettre au goût du jour le « Power People », on avait déjà entendu ça du coté du Free cinéma dans l’Angleterre d’après-guerre, puis à Paris avec la Nouvelle vague, du coté de New York où le cinéma indépendant servi de tremplin à des auteurs comme Jim Jarmush. Si l’histoire se répète, le Cinéma Brut fait sauter définitivement les ponts (et les bouchons) avec ses aïeux grâce à la technologie du XXIIème siècle. Aujourd’hui n’importe qui peut filmer avec sa webcam, son mobile, son appareil photo, pour un coût dérisoire et une immédiateté qui renvoie à la niche le lion énervé de la Metro-GoldwinMayer. Et, aux antipodes des blogbus-

ters qui se repaissent de capitaux tels des multinationales, émerge parallèlement un cinéma autoproduit, libéré des contraintes de l’industrie. Les robins des bois sont dans la forêt « d’Holly(sher) wood ». Attention les yeux !

David contre Goliath ? Quatre bouts de chandelles, quatre boules de cuir pour boxer dans une catégorie budgétaire poids plume mais loin d’être anecdotique quant à son impact. Car le genre insurrectionnel a déjà ses meneurs : Charlie Mars, Jérôme Torrel, Félicien Chaveau et d’autres qui ont intégré le collectif Cinéma Brut tels Julien David intervenant à l’Ecole des Gobelins qui réalise pour Canal+ « Les Multiples », une série adaptée en bande dessinée. Et aussi, Vincent Pompignoli réalisateur de nombreux courts métrages diffusés à la télévision et Président de l’association House Movie qui édite une collection de DVD autour de la création vidéo indépendante, ou encore le duo « Joe la Mouk » qui détourne sans vergogne les films de genre. Ce vent de renouveau qui draine chaque année à Mouans-Sartoux plus de 1500 spectateurs pour une quinzaine d’heures de projections azimutées et « déformatées » (de 1 à 90 minutes) n’a pas échappé à Daily Motion qui, en partenariat avec


DANS L’OBJECTIF

le collectif, a mis en ligne le miel de la ruche azuréenne. Une programmation qui accueille cette année quelques remakes improbables de standards de science-fiction. Des films qui ont répondu à l’appel lancé par Michel Gondry qui nage dans les eaux troubles du cinéma brut et du cinéma d’auteur : ce plasticien vidéaste après avoir griffé les clips de Björg, Massive Attack, Daft Punk, Beck ou des Rolling Stones, présentera d’ailleurs son premier long métrage sur la Croisette. L’an dernier c’est David Lynch (Président du jury du Festival de Cannes en 2002) qui s’était invité au Château avec un film d’animation « Dum Land ». Bref, la distance entre Cannes et Mouans-Sartoux se resserre : « Les professionnels du circuit conventionnel sont attirés comme un aimant par ce feu sacré qui couve sur les hauteurs cannoises, comme Georges Lautner -le papa des tontons flingueursqui parraina notre seconde édition » confirme Pascal Cadaré. Une main de velours dans un gant de crin, le cinéma brut prend à rebrousse poil l’industrie cinématographique, le meilleur moyen pour éviter qu’elle ne s’endorme sur ses lauriers et pour qu’elle garde un œil ouvert sur une époque qui va, aujourd’hui, beaucoup plus vite que 24 images à la seconde. 2008, c’est du Brutal ! Parmi les 16 heures de projections et la quarantaine de réalisateurs qui concourent pour le Brutal 2008, à découvrir : « 99 cent dreams » le voyage autour du monde de 8 canadiens, « Minutes Moments » un film expérimental de 1 minute. 30 minutes de programmation offertes par Daily Motion. Mais aussi des spectacles interactifs-numériques, des installations d’artistes de la Villa Arson et d’AtomArt. A noter le 23 mai, un concert signé « Les Plages Electro » avec Micronautes, Dip et Washing Majazz. OM Retrouvez le programme sur www.cinemabrut.com Festival Cinemabrut 2008 23, 24, 25 Mai à Mouans-Sartoux

Photos : de haut en bas et gauche à droite Lady flo, chanteuse et danseuse de Cabaret new-burlesque Long métrage «nouveau monde» de Mathieu Lalande, thilbault mombellet, morgan s. dalibert Affiche Cinéma Brut 2008 Diedre & Cricket www.myspace.com/ dierdreonline show d’ouverture au château présenté par Nathalie Tramier et mectoob Chinaski, qui donnera un concert au château

 La Vie des Arts 25


© G. Barclay

© G. Barclay

© G. Barclay

Stéphane Cipre Collection Haute Soudure Stéphane Cipre est un créateur atypique qui dompte depuis une dizaine d’années la matière brute, pour en faire une matière à rêver et à penser. Un travail qui l’a conduit après l’exploration du langage et des mots à aborder aujourd’hui le thème de la production de masse.


ARTISTE

 La Vie des Arts 27

Stéphane Cipre  40 ans  Artiste designer  Vient de faire la Une du New York Times Du stylisme à la sculpture Tout commence dans la boutique de fourreur que sa famille ouvrit dans les années 70 à Nice Rue Georges Clemenceau. Après une formation de modéliste styliste il y travaillera, dessinera même des modèles pour Chacock ou Yves Saint Laurent ! Reprendre l’entreprise familiale ? Ce n’est pas vraiment inscrit à son menu. Surtout que sa mère, il s’en souvient, qui avait une petite collection d’œuvres d’art, fréquentait assidûment la Galerie Ferrero. « C’est quand j’ai eu mon CAP et que j’ai commencé à travailler de mes mains que je suis entré dans mon univers : la matière ». Alors, sans vraiment savoir pourquoi, une force étrange le pousse à suivre des cours à l’Ecole des Beaux Arts de la Villa Thiole. A la suite d’un choc émotionnel il façonne des petits objets avec du carton puis des chandeliers qui se vendent bien sur les marchés. En commençant à vivre de son travail, il se penche sur son processus créatif, c’est l’engrenage. Sa rencontre avec des artistes confirmés, comme Roland Coquerille qui a suivi lui un cursus classique et qui s’intéresse aux réactions de la peinture et des pigments au travers la toile, lui ouvre la voie : « Tout en m’imprégnant de sa culture, je commençais à cerner la différence profonde qui existait entre l’artisanat et l’art ». Une révélation pour celui dont le père est Président des Meilleurs Ouvriers de France PACA, et qui a baigné dans « le culte du travail bien fait ». Mais une autre porte vient s’ouvrir pour Stéphane Cipre : la sculpture ! Des mots en lettres de feux La pièce « Calligraphie » déclenche tout, elle repose aujourd’hui dans une villa de « Super Cannes ». Dès ses premiers travaux, Cipre s’est attaqué à l’écriture. Une sorte de revanche pour celui qui a quitté l’école à la 4ème et avoue avoir été un cancre : « L’orthographe c’était mon talon d’Achille je m’en suis servi pour me rééquilibrer. Et ça a plutôt fonctionné, aujourd’hui l’Académie de Poitiers a présenté mon travail à un sujet Bac Arts appliqués ! ». Puisant dans le langage, il isole les mots, les mêlent intimement à la forme, à la matière. Un moyen d’échapper au diktat scolaire ? En tout cas une façon pertinente de détourner le sens familier, de lui trouver une autre aire de jeu : « J’ai été amené à me demander si dans notre écriture © J-Ch Dusanter

occidentale il n’y aurait pas moyen de retrouver également une certaine représentation des objets qu’elle signifie. Et contrairement à l’abstraction plus j’intègre un maximum d’informations concrètes dans mon œuvre plus les gens y voient leur propre imaginaire ! ». Puis, toujours avec les noms qu’on leur donne, il représente les animaux - Dog, Fish, Autruche – prend à partie le mobilier : « Les chaises volumes dont les lettres servent à accueillir les corps sont en graphite pour rappeler la matière de la mine de crayon ». Avec le transat « RELAX » il résume son propre parcours. Les lettres articulent le support, la fourrure habille le siège : « le travail de l’acier et de la couture sont très similaires. Mais au lieu d’avoir une machine à coudre j’ai un poste à souder ». Cipre déshabille le monde pour mieux l’habiller de métal et lui redonner un autre signifiant ? L ’artiste poussera plus loin, il rajoutera aux mots des photos et ces sculptures deviendront des trompe-l’œil où l’on découvre à travers le rythme de la découpe des lettres, les visages de Gandhi, d’Elvis ou du Che. Mais où est Dieu dans tout ça ? La sculpture installation « Look for God », sous-titrée « God not found » y répond en 2007 comme une erreur sur un serveur de recherche web. Et si le monde n’avait pas dit son dernier mot ? En s’attelant au projet « Cipre & Co » qui sera représenté en juin à la Galerie Ferrero transformée en entrepôt, puis au nouvel espace culturel de Cap d’Ail et partira cet automne à la foire « Art Basel » de Miami, le sculpteur franchit une nouvelle étape. Il explore cette fois les limites de l’industrialisation, la surconsommation, la mondialisation. Tout un rituel qu’il met en scène à sa façon, entre gravité et légèreté. Le Mot « ART » ou l’estampille « MADE IN CHINA » (sur laquelle est étiquetée en plus petit « Fabrication Nissarda ») sont sanglés et transportés sur des palettes, comme du vulgaire fret. Des containers côtoient des rayonnages où sont stockés des objets lettres ; GOD, SEX, DEATH : « Tout ce qui est immatériel mais qui se vend aujourd’hui ». Après avoir sondé le passé, Cipre se tournerait-il vers le futur ? Les choses ne sont pas si simples quand on sait que l’artiste est né en 1968 en même temps que le Pop Art et le Ready Made ! Retrouver Stéphane Cipre lors de la présentation de sa prochaine exposition Cipre&Co à la Galerie Ferrero à Nice du 19 juin au 31 aout 2008 OM

© Guillaume Barclay

© Guillaume Barclay

« Adolescent je n’aurais jamais imaginé être artiste, j’ai embrassé sur le tard la carrière ! » confie Stéphane Cipre qui, à 40 ans, vient de faire la une du New York Times avec une chaise qui a servi d’affiche à la foire « Art & Design Fair », et dont les œuvres présentes dans les musées privés et à la Fondation Daurel à Barcelone sont exposées à Paris, Monaco, Genève, New York. Et s’il a décroché à Nice, l’an dernier le prix de l’UMAM*, cette reconnaissance le place pourtant toujours en marge de la famille de l’art contemporain : « Je ne suis pas formaté, je viens du commerce, je marche plutôt bien, bref cela ne plaît pas trop aux institutions ». Mais ça c’est une histoire qui ne date pas d’hier… *Biennale de l’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne créée en 1946 par Pierre Bonnard, Henri Matisse et le docteur Thomas.


28

La Vie des Arts 

B AN D E D É S S IN É E

Groinge, Fafé & Co Et la BD sort de sa bulle ! Avec le roman graphique venu des USA, le retour des fanzines, des dessins dans les galeries d’art, l’illustration surfe sur une vague qui a pris des allures de tsunami en quelques années. A Nice, les Editions Groinge, sous l’impulsion de Fabienne Martinetti alias « Fafé », font partie de ces francs-tireurs qui repoussent les cases de la Bande Dessinée.

T

© Fafé Martinetti

out en évoluant depuis 15 ans dans l’ombre, la BD indépendante a lentement mais sûrement gagné du terrain et participe aujourd’hui au décollage de la bulle. Une manière de développement durable culturel face aux grosses machines d’édition qui déroulent au mètre des cases pour ados. Il faut savoir que certains jeunes auteurs de BD voient leur ouvrage tirer à 2 ou 3 fois plus d’exemplaires que le prix Goncourt, et que le secteur génère, via des tendances porteuses comme le Manga ou l’Heroic fantaisie, une économie de profit à la hausse chaque année. Native de Toulon, Fafé, intègre la Villa Arson après des études en architecture. Elle partage aujourd’hui sa vie entre son fils Némo 5 ans, l’enseignement de l’histoire de l’art au Lycée Estienne d’Orves et les Editions Groinge où elle est co-éditrice : « Je suis d’abord entrée comme graphiste dans l’aventure du « Phacochère », un fanzine créé en 1994 par le dessinateur Big Ben. J’ai lâché complètement le pinceau pour le crayon et deux ans plus tard nous fondions ensemble une structure associative ». Et depuis

1999 les Editions Groinge, installées dans le quartier du Port à Nice, s’illustrent en éditant des BD contemporaines ainsi qu’une revue collective « Comix Club ». En décrochant avec le « Phacochère », l’Alph-art (la récompense suprême du Festival de BD d’Angoulême) de la meilleure revue alternative en 2002, la petite entreprise intègre « le Comptoir des indépendants ». Un réseau de librairies qui lui ouvre une diffusion nationale. Au rythme de 3 à 5 publications par an, les Editions Groinge affichent une bonne vingtaine d’albums au compteur et 12 carnets parus en 2005 sur le thème « 1 mois/1 auteur ». Réuni autour du noyau dur originel (Big Ben, Fafé, Ancha la suédoise, et BSK le Hyérois) le collectif évolue en réseau avec une quinzaine de dessinateurs français, suisses ou belges dont les ouvrages sont régulièrement édités chez Groinge. « L’album Dictature écologiste par Jean Bourguignon s’est vendu en 2007 à plus de 500 exemplaires. En février dernier nous avons publié un auteur parisien Gilles Rochier. Dunk, Chicken and Blood narre les péripéties d’un petit garçon de la banlieue qui pour s’acheter une paire de Nike se fait embaucher dans une boucherie, où il passe ses journées à vider des poulets… » commente Fafé.


B AN D E D E S S IN É E

 La Vie des Arts 29

Fafé Martinetti  40 ans  Enseigne l’histoire de l’Art  Dessine de 18h à minuit tous les jours ! © Editions Groinge

Comix Club

Que fait Fafé à l’heure du goûter? Pas étonnant que Fafé, notre croqueuse de 40 ans qui commença en recopiant Pifou poche avoue un faible pour Charles Shulz, le papa de Snoopy ! Mais elle se reconnaît aussi au travers de dessinateurs contemporains, Schlingo, Julie Doucet et, de genres en vogue comme les mangas d’auteurs ou la BD autobiographique. Elle travaille entre 18h et Minuit, en s’inspirant du quotidien, de ses rêves ou cauchemars. Crayonne puis encre à la plume. Un travail parfois mis en ligne sur son propre blog (http://fafe.m.free. fr/madamefa-blog). Après avoir signé plusieurs ouvrages dont « Monsieur Zéro » elle vient d’autopublier chez Groinge « Camille » quatre histoires poignantes, quatre corps à cœurs en bichromie rouge et noir. « Pendant huit mois, de mai 2006 à janvier 2007, j’ai réalisé une page de carnet racontant ce qu’il se passait à 16h45 précises. La sonnerie de mon portable me rappelait à mes devoirs chaque jour ». Résultat : 240 planches à monter ! Un travail de longue haleine qu’elle poursuit tout en travaillant sur un ouvrage à paraître en 2008 « Diantre », un livre pour les 10/12 ans dont l’héroïne Daphné part à la recherche de son portable égaré. Les temps ont bien changé depuis Snoopy ou Spirou, alors pourquoi la BD serait-elle restée en marge du cahier !

La revue « Comix Club » (éditée à 600 exemplaires) dirigée par J-P Jennequin, traducteur de comics américains et membre du collectif Groinge, a pris le relais du « Phacochère ». Vendue en librairies, sur abonnement ou en ligne, elle donne la parole trois fois par an à des dessinateurs invités qui abordent sous forme de textes critiques et de dessins décalés l’actualité, l’histoire, et les problématiques de l’univers graphique. Le numéro 8 sort en juin avec 13 auteurs invités autour du thème du dessin. Des publications toutes en noir et blanc et petits formats. Une caractéristique de la BD indépendante dictée par des raisons économiques comme ce fut le cas pour Hergé au cœur de la seconde guerre, mais aussi par un choix éditorial ou esthétique. Car à l’heure de la crise, l’épure et le minimalisme sont de mise sur le papier, en tous cas pour cette nouvelle génération d’auteurs dont le travail d’observation, à bien y regarder, n’est pas sans rappeler celui qui anima via les strips (mini feuilleton) la presse quotidienne aux Etats-Unis ou en Europe dès l’entre-deux guerres. Découvrir les Editions Groinge 9 rue Beaumont à Nice http://groinge.free.fr

OM


30

MOYA SUR SON ILE Patrick Moya  52 ans  Artiste hypermedia  Vit et travaille à Nice … et sur Second Life

Si son interlocuteur s’y perd, Patrick Moya non, qui jongle d’un univers à l’autre, de la RL (pour Real Life) à SL (pour Second Life), de la même manière qu’il s’est toujours joué des différents médias, passant des pinceaux à l’ordinateur, des peintures pseudo-naives remplies d’animaux aux films en 3D puis aux gigantesques sculptures en acier.

© J.-C. Dusanter

« Je dois rentrer à l’atelier, j’ai un vernissage sur Second Life ». De quel atelier parle-t-il, de sa vieille maison début de siècle ou de sa factory virtuelle ? Est-il devenu fou, depuis qu’il a acheté une île faite de pixels pour 1600 vrais dollars et 300 dollars de frais mensuels ?


ATELIER D’ARTISTE

 La Vie des Arts 31

Une journée dans la vie d’un artiste hypermedia Dès l’aube, avant même de boire son café, Patrick Moya allume son ordinateur pour relever le radar qui lui donne le nom de tous les avatars passés sur son île pendant la nuit, en provenance du Japon, du Danemark ou des Etats-Unis. Après un croissant mangé au dessus du clavier de l’ordinateur, faisant fi des miettes tombant dedans de peur de rater quelques minutes de sa « seconde vie », son double moya janus passe dire bonjour aux étudiants des Beaux-Arts de Venise qui préparent la (vraie !) Biennale d’architecture dans l’atelier virtuel qu’il leur a installé sur la rive sud-est. Comme il faut bien vivre, vendre quelques toiles sous la pression de son galeriste, il monte dans son atelier de la RL à l’étage pour commencer une toile de commande. En attendant que la peinture sèche, il redescend sur SL visiter un nouveau lieu d’exposition, par exemple l’île du « Docteur Muglerstein » conçu par Thierry Mugler, qui a proposé à Moya une (virtuelle) résidence d’artiste. Peu avant midi, c’est l’heure où Moya redescend dans la RL pour donner ses rendez-vous, juste avant le rituel déjeuner de midi dans son restaurant préféré du quartier, où il invite un journaliste, un chef d’entreprise à la recherche d’idées, un commissaire d’exposition ou le représentant d’une grande banque intéressé par une démonstration de Second Life. Ces heures du déjeuner sont bien les seuls moments consacrés à sa vie « privée », à la suite de quoi il revient poursuivre sur Second Life ses travaux de terrassements, pour, suivant l’humeur du moment, construire un nouveau musée Moya, un hôpital Moya, une boutique Moya ou alors pour creuser un gouffre vertigineux dans la falaise du Vieux Moya afin d’épater les futurs visiteurs. Sous le coup de l’inspiration, il remonte dans son atelier de peinture pour s’essayer à la représentation picturale de son avatar, ou enrichir de personnages

© J.-C. Dusanter

Second Life a-t-il un avenir ? Le phénomène Second Life est-il un feu de paille ou symbolise-t-il le web du futur ? Toujours est-il qu’il n’est pas né par hasard : 10 ans de réflexion, 4 ans de développement, une amélioration continue, des outils de 3D accessibles à tous, l’implantation d’IBM en 2006 suivie de nombreuses entreprises internationa-

peints une image numérique issue de Second Life … Autant d’œuvres mixtes, mêlant réel et virtuel qui serviront de prétexte à une future exposition. Tandis que, par peur de rater une rencontre déterminante, il connecte un pc portable en wifi pour pouvoir surveiller SL tout en continuant la peinture. Après l’incontournable café de 16 heures sonnantes (réel celui-là), il reprend sa deuxième vie pour inventer quelques nouvelles sculptures virtuelles. Se jouant des « scripts » spécifiques de SL - grâce auxquels on donne des attributs de flexibilité ou de rotation à des formes choisies - il poursuit son oeuvre de la RL en déclinant les quatre lettres de son nom, ou ses thèmes fétiches comme les ailes, les masques et les auto-portraits. Quand le soir tombe, Moya se prépare pour « aller manger chez sa maman », seule opportunité pour lui de regarder un peu la télé et de s’informer de la marche du monde réel - avant de rentrer en vitesse participer à l’intense vie nocturne de SL. C’est ainsi que son double, moya janus, assiste à un vernissage, à un concert, à une conférence de haut niveau sur Pierre Bourdieu ou sur le e-paper … Quand il ne s’agit pas de répondre à une interview en direct depuis SL par avatar interposé : c’est ce qu’il a fait récemment pour une radio suisse, pionnière de la radio-web ! Parfois, Moya laisse son avatar danser dans une « rave » pour remonter finir une gigantesque toile de 4 mètres destinée à une Dolly Party, tout en écoutant la musique en streaming d’un DJ en direct de Zurich sur SL. Et avant d’éteindre l’ordinateur, il ne manque pas de faire un retour sur son île afin de guetter les visiteurs et leur proposer une visite guidée en voiture … lui qui n’a pas son permis de conduire dans la RL ! Sur le coup des deux heures du matin, Moya remonte une dernière fois … pour se coucher, quittant à regret sa passionnante seconde vie.

les - de Microsoft à Nike en passant par Coca-Cola ou Toyota, mais aussi Renault et Peugeot, BNP-Paribas, la Caisse d’ Epargne et le Crédit Agricole, L’Oréal et Yves Saint Laurent - ce deuxième monde a pris de l’avance sur la concurrence. Créée en 2003 par le Californien Philip Rosedale, qui voulait « inventer un nouveau monde », l’entreprise Linden Lab emploie 200 programmeurs indépendants pour un chiffre d’affaires estimé à 70 millions d’euros.

© P. Moya

Et même si aujourd’hui, la progression est ralentie (plus de 13 millions d’inscrits mais 60.000 personnes connectées en même temps), le fondateur n’étant plus que Président du Conseil d’Administration, et les entreprises déçues de ne pouvoir (jusqu’à présent) y faire des affaires, SL reste une formidable opportunité pour les créatifs, à l’exemple de Patrick Moya.


32

© P. Moya / Vue aérienne de l’île de P. Moya

C’est sur Second Life et nulle part ailleurs Où, ailleurs que sur SL, Patrick Moya aurait-il pu acheter une île de 65.000 mètres carrés et lui donner son nom. En faire une oeuvre globale de la taille d’une petite ville qui demande plusieurs heures de visite. Montrer son travail au monde entier, en 3D, rencontrer en personne son public, et le faire entrer dans son univers. Avec comme conséquences de vendre des sculptures virtuelles dans une foire d’art (Start à Strasbourg en novembre 2007), d’animer des soirées branchées (par exemple au Théâtre de la Mer à Sète pour accompagner le groupe de rock franco-islandais The Do), de faire des interventions dans des écoles d’art (l’Accademia di Belle Arti de Venise) ou même, surprenant retour des choses, bientôt devant les ingénieurs d’IBM La Gaude ! Mais posséder une île sur Second Life (il en existe 14.000 à ce jour) n’est pas à la portée de tous, il faut en payer le prix. Le plus souvent, seules les grandes entreprises peuvent se le permettre. Ou alors quelques promoteurs entreprenants - comme cette jeune chinoise devenue célèbre (elle a fait la une de Business Week !) pour s’être enrichie en revendant des îles en parcelles et en faisant de la spéculation immobilière, comme dans la vraie vie !

En tant qu’artiste, Patrick Moya est en la matière un cas unique, d’autant plus qu’il a donné son nom à cette île, comme il avait auparavant acheté son nom de domaine sur internet. Notons qu’il reste en cohérence parfaite avec sa démarche artistique, quand on connaît l’importance du nom dans son oeuvre … et sa théorie selon laquelle « la créature - en l’occurence moya janus - doit prendre le pouvoir sur le créateur ». A part l’exception Moya, on trouve par exemple Thierry Mugler, qui, depuis qu’il a revendu en 2002 sa maison de couture, finance quelques projets novateurs. Ainsi il a confié à Balistik*Art, une agence de communication 2.0 créée en octobre 2007, la construction de l’île du “Docteur Muglerstein”, transposition de son univers extravagant, où le « docteur » propose aux résidents de «Muglériser» leurs avatars, de revêtir l’apparence de personnages célestes et fantastiques, fidèles à l’imaginaire du créateur : « ma mesure, c’est la démesure », aime-t-il à dire. Réalisée par un « builder » spécialisé, Balthasar Truffaut de son nom d’avatar, sur un projet dessiné par Mugler lui-même, cette île aux couleurs bleutées de son parfum Angel, est une des plus

©P


oya

ATELIER D’ARTISTE

 La Vie des Arts 33

Le Guide de l’île MOYA sur Second Life Pour poursuivre l’illusion d’un nouvel univers à visiter, Patrick Moya a rédigé un Guide touristique de son île qui raconte en détail l’histoire de l’implantation de Moya sur Second Life. Il y explique par exemple la construction du vieux village de Moya qui surplombe la mer, avec à son sommet, la Chapelle Moya (copie conforme de la Chapelle Saint Jean-Baptiste peinte par Moya à Clans) ou encore du Moya Club, qui accueille les célèbres soirées Techno Dolly Party dont Moya a dessiné la mascotte. A côté des nombreux musées Moya, de la Biennale de Moya … le Guide répertorie également les boutiques Moya, où rien n’est à vendre mais qui servent à exposer les oeuvres de Moya ayant pour thèmes la mode, l’optique, la lingerie ou les vins. Il en est de même pour le Moya Hospital ou la pharmacie Moya. Le Moya Land n’exige ni visa ni papier d’identité, mais vous proposera un “Moya Tour”, visite guidée en voiture en présence de l’artiste en personne. L’île Moya : une destination de rêve !

© P. Moya

belles de Second Life. Depuis son premier défilé en 3D réalisé à Imagina en 1998, Thierry Mugler est à ce jour le seul créateur de renommée internationale à s’investir dans les mondes virtuels. Quant aux fondateurs de Balistik*Art, Stéphane Galienni et Alexandre Véry, ils se destinent à accompagner les annonceurs du luxe (dernièrement Lancôme ou Jean-Paul Gaultier) dans leurs approches nouveaux médias, à « anticiper l’évolution des comportements communautaires afin de délivrer le bon message au bon moment sur les bons canaux de communication ». Second Life est pour eux un « formidable laboratoire de recherche dont l’avenir passera par un accès plus simple, voire une intégration aux navigateurs sous forme de plug-in et surtout par l’Open Source et l’interconnexion entre les différents univers virtuels ». « Les grands artistes du futur viendront du web” a prophétisé Charles Saatchi, grand collectionneur anglais d’art contemporain. « Second Life, ou un univers équivalent en 3D, est l’avenir de l’internet », approuve Jacques Gros, directeur d’IBM La Gaude, une des rares entreprises azuréennes à posséder une île privée. Et si c’était vrai ?

Le guide de l’île Moya est consultable sur internet à cette adresse : www.moyacircus.com/sltourisme.htm

En visite sur l’île privée d’IBM La Gaude L’entreprise américaine est sans doute la seule de la Côte à posséder une île virtuelle. Mais c’est une île à usage privatif des employés d’IBM, elle ne se visite pas … Sauf pour les lecteurs d’Art Côte d’Azur ! Claire Lamy, la « spécialiste SL », nous dévoile qu’on y a reproduit en 3D le site de la Gaude, et que les employés s’y exercent à développer par exemple des magasins virtuels. De façon générale, l’entreprise américaine

dispose à ce jour de plus d’une vingtaine d’îles et de plusieurs milliers de collaborateurs ayant un avatar. Quelques-uns de ses domaines d’action dans les mondes virtuels : le « v-commerce » ou comment les mondes virtuels peuvent être appliqués à chaque secteur d’activité; la collaboration ou comment travailler ensemble dans les mondes virtuels; la formation (interne ou clients) ou comment les mondes virtuels permettant de visualiser des

concepts en 3D … Récemment, les chercheurs d’IBM ont par exemple mis au point un avatar 3D modélisant le dossier médical du patient. Bref, IBM cherche à déterminer « quels nouveaux usages peuvent découler de ces nouvelles technologies, qui feront partie de l’internet 3D de demain ». Et pour les curieux qui veulent rencontrer un « IBMer », rendez-vous dans le centre d’affaires virtuel IBM : il est ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 !

Flo06 Writer (alias FC), envoyée spéciale sur Second Life

FC


34

La Vie des Arts 

F IG U R E D E L ’ A R T

GILBERT PERLEIN

Un Idéalisme Bien Conservé Garder la trace, faire image, mettre en jeu l’essentiel … Gilbert Perlein est un intellectuel sans doute idéaliste qui sait aussi ce qu’il veut : construire un patrimoine solide d’œuvres et inscrire ce musée au rang des plus grandes structures internationales. « La passion » : c’est le seul mot que choisit Gilbert Perlein pour définir son caractère. Paradoxal, chez cet homme du nord discret, qui n’aime pas parler de lui ni se mettre en avant ? Ou alors logique : une passion intérieure et d’autant plus brûlante, pour l’art, les artistes, ou bien pour sa mission ? Nul ne le sait et il n’en dira pas plus. Gilbert Perlein accepte seulement de parler de sa famille, « des charpentiers de père en fils depuis la

Révolution », à laquelle il voue une grande admiration : il a gardé des « souvenirs de l’atelier », en particulier des dessins posés par terre, à l’échelle, à partir desquels on construit un escalier ou une charpente. Ainsi que de l’émotion ressentie par tous à la naissance d’un « chef-d’œuvre » par exemple un escalier tournant - et le côté festif de ce qui pouvait ressembler à un « vernissage ». Il se rappelle encore la « panoplie d’outils qui se transmet de père en fils, une centaine d’outils à main, marqués aux initiales de chacun, qui est comme un rite de passage à 18 ans, quand la main est formée ». Sans aucun doute, Gilbert Perlein a été marqué tout jeune par ce « climat de compagnonnage » et en a gardé beaucoup de respect pour son père et ses frères - même s’il n’a pas suivi le même chemin. Né à Hazebrouck dans le nord en 1949, il choisit les études littéraires et d’histoire de l’art. Mais sans suivre le cursus habituel du conservateur de musée, puisqu’il exerce un « premier métier » de diffuseur de vidéos dans un centre culturel de Roubaix-Tourcoing (les fameux « ciné-clubs » des années 70). A la suite de quoi

il est « appelé pour créer le département audiovisuel » du Musée d’Art Moderne de Villeneuve d’Ascq. Un poste qui lui permet de réaliser plusieurs portraits d’artistes - des films produits et réalisés pour les Musées de France - dont le plus mémorable est celui du grand artiste allemand Josef Beuys. Et de se découvrir une vocation de « metteur en scène d’expositions », en dialogue permanent avec les artistes : à son actif, une dizaine de projets, dont des installations vidéos avec l’artiste italien multimédia Fabrizio Plessi qui furent récompensées par un prix. Ce fut son premier commissariat d’exposition, avant d’être nommé Conservateur- adjoint de Pierre Chaigneau. Là, il découvre un peintre du nord méconnu, Eugène Leroy, et lui organise sa première grande expo à l’age de 70 ans (il exposera ensuite au Musée d’Art Moderne de Paris).

En 1990, changement de cap : l’homme du nord se tourne vers le sud. Outre qu’il suit Pierre Chaigneau en tant qu’adjoint, pour prendre avec lui la tête du tout nouveau Musée d’Art Moderne et Contem-

© J-Ch Dusanter


F IG U R E D E L ’ A R T

 La Vie des Arts 35

Gilbert Perlein  59 ans  Conservateur en chef du MAMAC  Défend un souci de cohérence scientifique

porain de Nice, il a également « envie d’une étape dans son évolution personnelle, pour aborder de nouveaux territoires ». Mais l’époque est sombre : on est en pleine affaire Médecin, l’inauguration du MAMAC est boudée par la presse et par Jack Lang, l’Etat se retire et Arman refuse d’en faire l’exposition inaugurale prévue … Après quatre à cinq années ardues où il ne fut « pas facile de lancer le navire », Gilbert Perlein devient conservateur en titre en 1996 suite au départ de Chaigneau, à qui il tient à « rendre hommage ». Désormais aux commandes du magnifique vaisseau de marbre et de métal signé Yves Bayard, il décide d’un premier acte fort : créer un événement autour d’Yves Klein pour fêter l’an 2000, comme « un deuxième lancement du musée ». Et qui mieux qu’Yves Klein pouvait créer une identité forte au musée, lui donner ses lettres de noblesse : un niçois, personnage majeur, aujourd’hui mondialement reconnu comme précurseur, et dont la cote équivaut à celle des artistes américains les plus chers. Pour ce faire, il se rapproche de la famille d’Yves Klein, en particulier de Daniel Moquay, le deuxième mari de Rotraut, qui « a fait un travail considérable, durant 25 ans, pour défendre l’œuvre d’Yves Klein dans le monde ». Avec lui, il signe un contrat pour dix ans et prépare une grande exposition Klein pour l’an 2000, la première en France depuis 23 ans.

« Construire une programmation cohérente sur le long terme » A côté de ce coup d’éclat, Gilbert Perlein le discret n’a eu de cesse de « construire une programma-

tion cohérente » sur le long terme. Comme un chef de restaurant, il s’agit de « faire les bons dosages ». Repérer les mouvements artistiques importants pour Nice : d’abord les années 60, marquées par l’émergence du Nouveau Réalisme, seul mouvement qui tient la route face au Pop Art américain, car « sur les treize artistes du mouvement, plus de la moitié ont des liens avec Nice, comme Raymond Hains qui vécut 25 ans à Nice dans un hôtel de la rue Dalpozzo ou Niki de Saint Phalle qui avait sa résidence secondaire dans le Var (des « Nanas » habitables !) ou encore Rotella qui avait une maison sur le port de Nice … Deuxième axe, la scène américaine de la même époque, le Pop Art, représenté par Jasper Jones, qui a travaillé avec Niki de Saint Phalle et Tinguely, Jim Dine, Tom Wesselmann, Robert Indiana (qui a fait au MAMAC sa seule expo personnelle en Europe) ou encore Robert Rauschenberg, « figure mythique » que Gilbert Perlein est fier d’avoir récemment exposée. Enfin, troisième axe, la proximité de l’Italie et de son « Arte Povera » (Zorio, Calzolari, Pistoletto), mouvement né à Turin et l’on connaît les liens historiques entre Nice et la capitale du Piémont, comme le prouve la niçoise « route de Turin ». Et si on lui reproche de ne pas assez s’intéresser aux artistes « locaux », il répond que tous ont eu un jour les honneurs du MAMAC : « Ben, Pagès, Venet, Gilli, Castellas, Fostner, Moya … tous ceux qui comptent ont été montrés ». Sans esbroufe, Gilbert Perlein aime à raconter les « moments forts » qu’il a vécus à la tête du musée niçois : les donations d’œuvres faites par les artistes exposés. Et en particulier l’extraordinaire histoire de sa rencontre

© J-Ch Dusanter

avec Niki de Saint Phalle dans sa résidence de San Diego en Californie : avec naturel et simplicité, elle a offert au MAMAC 170 oeuvres, l’équivalent en valeur du coût de la construction de musée, ce qui est « inouï dans la vie d’un conservateur et prouve l’adhésion des artistes ». Sans oublier le plus important, les rencontres, le « dialogue long et construit avec les artistes », parfois une « proximité qui s’apprend, comme avec Jean-Pierre Raynaud », souvent un travail en


© J-Ch Dusanter

le statut du MAMAC Avec une moyenne de 155.000 visiteurs par an, le MAMAC est un musée populaire, et c’est quand même la « finalité première », que cette « rencontre avec le public ». Inauguré en 1990, après Beaubourg en 1977, puis Grenoble et Saint Etienne, construit sous les années Lang au titre de la régionalisation, le MAMAC est un musée municipal également estampillé « musée de France ». Une commission nationale a droit de regard sur le choix du conservateur, même s’il est nommé par le maire. L’Etat participe à l’achat des oeuvres à hauteur de 50%.

étroite collaboration : « l’enjeu est du côté de la scénographie : donner toute sa place à l’œuvre plutôt que de faire des commentaires sur l’œuvre ». C’est ainsi que Gilbert Perlein a réalisé la mise en scène des oeuvres récentes de Jaume Plensa en accord parfait avec l’artiste, d’où cette exposition « habitée ». De même pour Rauschenberg, avec qui il fit « une visite de nuit de son expo (les oeuvres des 20 dernières années jamais montrées) : deux heures de pur bonheur », qui l’ont « payé au delà de tout ».

Conscient d’avoir la chance de posséder « un outil formidable » et un métier passionnant, il est heureux d’avoir prouvé que « le musée s’est bâti une colonne vertébrale solide, puisqu’il a désormais la capacité d’arrimer ces fortes personnalités ». Et de défendre son « souci de cohérence scientifique » dans le but de donner un « point de repère fort sur la Côte, qui fait image ». Tout en gardant une vision à long terme : d’ores et déjà, le MAMAC se prépare à fêter en 2010, le 50ème anniversaire du Nouveau Réalisme.

Si Gilbert Perlein sait être un brin lyrique pour raconter « la part la plus sublime » de son travail -« donner à voir le meilleur, faire dialoguer, accoucher, recueillir le suc… »- il est par contre très difficile de le faire parler de ses goûts personnels - si ce n’est pour dire qu’ils sont en cohérence avec son métier. Quant à ses loisirs, vous saurez seulement qu’il est en train de dessiner les plans de son futur loft, et qu’il « essaie de ne pas emmener trop souvent ses enfants dans les musées » ! FC

HOMMAGE A YVES BAYARD, L’ARCHITECTE DU MAMAC ves Bayard, l’architecte poète, s’est éteint à 72 ans d’un accident vasculaire cérébral. Plus qu’un architecte, Yves Bayard était un artiste au sens fort du terme, qui aimait autant dessiner que peindre, photographier ou jouer du piano. Né en 1935 à Paris, Yves Bayard sort architecte diplômé des Beaux-Arts avec un projet utopique intitulé « le Maréolien », où on trouve en germe les grands thèmes de son oeuvre : l’observation de la nature, le postulat des contraires (le vide et le plein, la violence et la plénitude), sa forme géométrique fétiche, l’arc et l’idée de promenade sensitive. Dans les années 70, il participe à la réflexion sur l’urbanisme de Sophia Antipolis et signe plusieurs bâtiments, comme le laboratoire Allergan, le restaurant de France Télécom ou le Théâtre en plein air. Parmi ses réalisations phares, la Technopole de Limoges en forme de soucoupe volante, un collège à Bagneux en forme d’arc … Et à Nice, le MAMAC et le Théâtre de Nice, ainsi que, plus récemment, la Bibliothèque et sa Tête au carré, une sculpture monumentale habitée inspirée de Sosno. Mais l’œuvre dont il était le plus fier, c’était le MAMAC et son double, d’une architecture audacieuse et poétique. Voila comment il expliquait ses intentions de départ : « créer une opposition totale entre le froid du Musée et le chaud du Théâtre, le yin et le yang, puisque le théâtre

s’inscrit dans le musée, le musée est en creux alors que le théâtre reprend la même forme en plein. Construire le musée à cheval sur la route (Nationale 7) afin de ne pas couper la ville en deux. Alterner les pleins et les vides, les tours en marbre et les passerelles en verre et métal. Jouer les transparences en faisant évoluer les stores en fonction de la lumière. Reproduire une falaise de marbre de Carrare au naturel, et s’inspirer pour les escaliers de ceux de la Scala de Milan. Enfin, relier les deux bâtiments par une esplanade surélevée, dans le but de susciter un dialogue entre l’art contemporain et le théâtre. » « On peut habiter n’importe quelle forme … sauf le néoprovençal », disait-il. Et pour le prouver, il avait dessiné à ses heures perdues une « rose des sables habitable » destinée à servir de studio à un pianiste : « Dans cette géométrie particulière, j’ai imaginé un lieu où de grands pianistes pourraient séjourner quelques temps, y composer, recevoir des amis dans l’auditorium puis faire descendre le piano par un système de câbles, comme au théâtre, pour donner un concert en extérieur ». En véritable artiste, Yves Bayard se souciait peu de l’argent, roulant depuis des années dans la même vieille Peugeot. Son seul luxe : un piano qui lui permettait d’exprimer d’une autre manière encore sa profonde sensibilité.

FC

© J-Ch Dusanter

Y


© J-Ch Dusanter

EN SCENE

DANSE

La Compagnie Humaine Anatomie d’un rêve « Je ne croirais pas en un dieu qui ne sache pas danser » disait Nietzsche, Eric Oberdorff fait danser, lui, les hommes sur une planète chauffée à blanc par les paradoxes, les rêves et les déchirements. C’est à travers leurs corps, qu’il projette sa poétique du mouvement concentré sur l’énergie et l’émotion. Après ses études de danse au CNR de Nice (1er prix en 1984), au Centre de Danse International de Cannes Rosella Hightower, puis à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, Eric intègre successivement les Ballets de Salzbourg, MonteCarlo, Zürich puis revient en principauté sous l’ère de Jean-Christophe Maillot. Seize années durant lesquelles il évolue en tant que danseur avec des chorégraphes aussi réputés que Kylian, Maillot, Balanchine, Forsythe, Armitage, Roland Petit, Fokine, Massine, Lacotte, Lifar, Tudor, Bienert, etc.. Au terme de cette sarabande initiatique vertigineuse Eric décide de voler de ses propres ailes. C’est l’automne 2002 ! Mouvement perpétuel

© J-Ch Dusanter

 La Vie des Arts 37

Lorsque Eric Oberdorff revient danser sur le rocher princier, Jean-Christophe Maillot qui a pris la direction des Ballets est bien décidé à dépoussiérer la vénérable institution monégasque encore sous son in-

fluence historique russe. Eric restera dix ans dans ce grand bain, s’imprégnant de l’exigence et du professionnalisme du maître. Une expérience inoubliable : « Aujourd’hui encore je me nourris presque inconsciemment de ces années ». Une compétition à Hanovre réservée aux jeunes chorégraphes le consacre en 2001 premier face à 120 candidats tandis que le magazine « Ballettanz » le classe parmi les révélations de l’année. Le métier rentre. En 2002, la chrysalide éclôt. La Compagnie Humaine voit le jour et après son baptême du feu enchaîne créations sur créations. Une dizaine à ce jour à l’actif d’Eric et de sa troupe de 5 intermittents (Territoire Zéro, Les murs, Sometimes, 4.48 Psychose, le diptyque Post War Dreams), mais aussi quelques chorégraphies signées en free-lance pour le Jeune Ballet du CNSMD de Lyon, la Tanzcompagnie Giessen Allemagne (février 2004), le Cannes Jeune Ballet (2004/2005) et le Ballet Mainz Allemagne (novembre 2005). Et si le travail de la Compagnie Humaine (soutenue par les villes de Cannes et de Nice) séduit et attire les foules, la troupe est toujours sans domicile fixe, vaquant de résidences en ateliers, du Centre Rosella Hightower au CRR de Nice via le Théâtre de la Licorne où elle vient de présenter pour Made in Cannes « Libre ». Une ode au plaisir du corps détaché in fine de ses chaînes. Prochaine étape : Grenoble, une résidence de 15 jours. On the road again ? « Les choses devraient évoluer bientôt, nous avons réellement besoin de nous poser ». De l’après-guerre à l’American way of life « Toutes les nuances du gris sont autant de tactiques de survie » chantait en 1980 le groupe rennais Marquis de Sade. Pour Eric Oberdorff, la palette des gris c’est tous les possibles du corps humain « un puissant capteur d’énergie ». Guère étonnant que son apprentissage des arts mar-

Eric Oberdorff  Chorégraphe de l’émotion  En 2002, il fonde la Compagnie Humaine  N’a de cesse de rester ouvert à ses contemporains

tiaux le conduise à réfléchir et à puiser tel un sculpteur dans cette matrice faite de chair et de sang, de rêves et de doutes et qui tel un buvard absorbe tous les conflits internes ou externes. Ainsi le chorégraphe qui aime à s’attarder sur le rapport à l’autre, la place de l’individu dans le groupe, compose-t-il ses dramaturgies sur fond de traumatismes sociaux ou psychologiques.... Le diptyque « Post War Dreams » pose ainsi la question : comment se reconstruire après une guerre, retrouver le goût de rêver quand tous les repères ont disparu ? En introduction, un solo sur le Japon : Enola’s Children. En deuxième partie, Sarajevo’s Diary qui développe avec 5 danseurs, le carnet de voyage d’une narratrice à Sarajevo, ses rencontres avec les victimes. Ont-elles réussi à oublier le passé pour se projeter dans l’avenir ? Après avoir exploré le temps dans « Sometimes » et la mémoire «Sometimes»

© Malou


38

La Vie des Arts 

EN SCENE

de l’émotion comme une sorte de persistance rétinienne « Les images comme les mouvements se nourrissent l’un de l’autre », l’auteur s’attaque aujourd’hui au paradoxe du Nouveau monde. Avec « Un autre rêve américain » Eric plonge dans ce melting-pot né de plusieurs vagues migratoires. Comment des ethnies aussi disparates ont-elles réussi à cohabiter et accoucher de la première puissance de la planète ? « Cette commande du Pavillon Noir d’Aix en Provence pour une demie heure de spectacle devrait être exploitée en 60 minutes » explique l’auteur qui a convoqué pour l’occasion des textes de Jim Morisson, Kerouac, John Fante ou Richard Brautigan sur des musiques jouées en live de Tom Waits, Patti Smith, ou John Cage. Sur fond de contre culture, Eric y aborde le problème des « laissés pour compte » du rêve américain : « Même s’ils sont au bord de la route et regardent passer le Greyhound, eux aussi ont participé à la fondation du mythe et leurs rapports Compagnie Humaine © Malou

à la joie ou à la douleur sont plus exacerbés que quiconque » ! Ce n’est pas la première fois que le travail de ce chorégraphe qui avoue se nourrir de littérature, cinéma, musique, photo ou architecture, s’articule autour d’autres artistes (vidéaste, compositeur, plasticien) : « A l’image de Ernest Pignon Ernest et Maillot, cette complicité doit servir la pièce sinon on sacrifie à la mode ou la non-danse, une tendance qui privilégie le conceptuel sur l’émotionnel et ferme l’accès du spectacle au plus grand nombre ». Un autre paramètre qui fait partie de son défi. Car en dépit de son travail reconnu par ses pairs - en mai 2007, Eric a été nominé pour le Kurt Joos Preis - sa bien nommée Compagnie Humaine, qui se produira en Juillet en Avignon, reste toujours grande ouverte à ses contemporains. Un juste retour des choses car c’est d’eux, de vous, de nous, qu’elle puise toute son intensité poétique. OM

Eric Oberdorff © Malou

La Compagnie Humaine est une compagnie chorégraphique subventionnée par le Conseil Régional Provence-Alpes-Côte d’Azur et le Ministère de la Culture et de la Communication & soutenue par la Ville de Nice, la Ville de Cannes, et le Conseil Général des Alpes-Maritimes. Aller à la rencontre de la Compagnie Humaine : www.compagniehumaine.com


A R T C U L INAI R E

 La Vie des Arts 39

Keisuke Matsushima l’enfance de l’art A 30 ans, Keisuke Matsushima a déjà laissé sa trace en Méditerranée à la manière de Christophe Colomb découvrant le Nouveau Monde. Mais, entre Tokyo et Nice, la nouvelle « étoile montante de la gastronomie française » a encore des rêves plein la tête… « Dans ce pays, tout le monde part pour l’étranger ! » : le pays dont parle Keisuke Matsushima avec une sorte de candeur mêlée de maturité, c’est celui de son enfance. Une petite île au sud de l’archipel nippon où il fut élevé dans une famille de paysans. La cuisine ? Il avoue l’avoir appris aux cotés de sa mère pour pouvoir faire un jour le grand écart sur le Pacifique. C’est avec ce passeport qu’il prendra d’abord le bateau pour Tokyo où, après un apprentissage à l’école culinaire Tsuji spécialisée dans la cuisine française, il fera ses débuts au restaurant « Vincennes ». Chronique d’un départ annoncé ? En effet, le petit Keisuke était déjà loin de son île, lorsque gamin il se plongeait dans la lecture de mangas relatant les aventures de Christophe Colomb….

Sur les traces de Colombus A l’époque Robuchon part lui dans l’autre sens à la conquête du pays du Soleil Levant en ouvrant sa table à Tokyo puis en devenant une star de la TV nippone, que Keisuke admire en secret. C’est après sa rencontre avec Alain Passard, alors en représentation au Japon, qu’il se


décide à s’offrir un billet pour l’hexagone. A vingt ans il entame son parcours initiatique. Un tour de France des grandes tables et des vignobles, de Vienne à Toulouse durant lequel l’apprenti s’imprègnera des terroirs, des cultures, des saveurs, et assimilera les techniques les plus novatrices auprès des chefs en devenir comme Régis Marcon, Michel Sarran ou les frères Pourcel à Montpellier. Alors qu’il effectue une séjour chez Jean-Marc Banzo au « Clos de la Violette » à Aix en Provence, il prend une autre décision importante : s’installer définitivement dans le Sud. « Dès mon arrivée en France, j’avais pris l’habitude d’effectuer, chaque année, un séjour dans la capitale azuréenne. J’y retrouvais un peu ma région d’origine avec la mer, la montagne et un climat agréable ». Ce petit coin de paradis, c’est aussi le début d’une histoire d’amour avec les produits méditerranéens… Le 22 décembre 2002, le jour de son 25ème anniversaire, il accomplit enfin son rêve et ouvre son propre restaurant : « Kei’s Passion », pour 22 convives. Quatre ans plus tard il décroche sa première étoile au Michelin, dans le plus petit établissement de France : « Il vaut mieux être concentré pour créer que grand et dilué » commente-t-il avec un sourire qui en dit long sur sa détermination.

Des mangas gastronomiques, sinon rien ! Désormais c’est entre Nice et Tokyo, où il se rend tous les mois, que Keisuke Matsushima affine son talent : « Cela m’aide à prendre du recul sur tout ce que j’apprends ici. Vous connaissez l’anecdote de Colombus, qui après avoir demandé à ses convives comment faire tenir un œuf tout droit, le saisit et le tapant sur son extrémité le figea sur la table ? C’est ce que j’essaye de faire en cuisine. A un moment, il faut savoir se recentrer sur ses acquis, revenir à sa propre histoire ». Mais Keisuke ne se contente pas de belles paraboles, il donne régulièrement des cours de cuisine aux enfants de son pays où il est devenu une star, à Nice aussi, où une fois par mois, il reçoit les amateurs dans sa cuisine/atelier pour transmettre sa passion. Le plaisir de cuisiner, une mission pour laquelle il se sent investi : « je travaille sur le projet d’une école de sensibilité où j’enseignerai le goût, il y aura aussi de la musique et du dessin ». De là est

née une autre idée qui a fait son chemin depuis que le chef a rencontré, au Hi Hôtel, Frédérique Frédérick Grasser Hermé. Une « écrivaine-cuisinière » iconoclaste qui compose, avec des produits simples, des recettes rapides et sophistiquées pour la collection « Serial colors ». L’ex-femme du pâtissier Pierre Hermé le convint de faire des livres. Oui mais pas n’importe lesquels ! Et Keisuke a déjà trouvé sa niche… Il fera des mangas gastronomiques. Une bien étrange idée pour nous européens : « au Japon il y a beaucoup de mangas dont certains sont dédiés à la cuisine. C’est ainsi que j’ai moi-même pris mes premiers cours ! » avoue le jeune étoilé. Et puis cela ne fait aucun doute pour lui, le manga est l’outil le plus efficace pour réapprendre le goût à ces enfants « qui lorsqu’on leur parle de thon voient juste une boite en fer blanc ». C’est aussi le moyen de séduire une génération qui ne lit plus et pour qui, les salons gastronomiques ou les éditions de luxe signées par les grands chefs appartiennent à un autre âge. Pour relever ce nouveau défi dont l’ambition n’est autre que d’introduire chez nous une nouvelle forme d’éducation des sens, Keisuke s’est accoquiné avec une spécialiste : « j’ai rencontré Mimei Sakamoto via un club d’artistes que je fréquente à Tokyo, c’est une vedette là-bas qui a commencé par dessiner des mangas érotiques …dans un journal sportif » ! Mais le projet n’en est qu’à ses prémices, et le chef, dont l’agenda est aussi noirci que celui d’un businessman, aimerait réussir à convaincre la dessinatrice de le rejoindre sur la Côte d’Azur. « Une carotte met plusieurs mois à pousser, c’est un travail de patience, le véritable artiste c’est le paysan ! Moi, mon métier c’est traducteur, faire passer l’émotion à travers le produit ». Keisuke a dix ans lorsqu’il passe de longues heures à ramasser les légumes de son grand- père paysan sur l’île de Kyushu. Avec lui, il ne l’a jamais oublié, il a découvert les produits de la terre, leurs vrais goûts, est devenu gourmand puis gourmet. Aujourd’hui il semble que l’heure soit venue pour ce chef dans le feu des médias, de récolter les fruits de la passion et de pousser à son tour, pourquoi pas d’autres enfants à quitter leur île ! OM


À L A P AG E

 La Vie des Arts 41

Écrits d’ici, deuxième… La littérature « pan-bagnat » se porte bien, mais certains s’en extirpent. La littérature contemporaine niçoise est donc riche d’écrivains à bon tirage, scénarisés, cinématographiés et célébrés, et même allés de l’Avenue des diables bleus ou de la Place Île de Beauté aux prix académiques, ou, étrange itinéraire, de Garibaldi et la République jusqu’à Richelieu. Mais jusqu’ici les femmes étaient peu présentes. Ces dernières années, quelques écrivaines s’illustrent en colonnes spécialisées et magazines généralistes, et sans doute serons-nous un jours concitoyens glorifiés d’une Académicienne. Il est vrai que pour l’instant nos femmes de lettres, les Maryline Desbiolles, Claire Legendre, Olympia Alberti, les poétesses Béatrice Bonhomme, Régine Lauro, Sophie Braganti, Cathy Rémy et autres écrivaines, j’oublie sans doute les meilleures, ont les dents encore trop blanches et la chevelure trop brillante et fournie pour briguer un fauteuil en la Vénérable Compagnie. Elles écrivent, publient, animent de leurs lectures et signatures Festivals, Salons et librairies… À Mouans-Sartoux, tous les octobres, les stands en sont moins barbus et moins austères. « Quelque chose dans le ventre », le premier livre de l’auteuse que je viens de lire, (j’emploie à dessein ce féminin, car…) a

été publié par « Côté Femmes Editions » en 1991. Françoise Laurent se délivrait alors d’un texte un peu bricolé, récit-témoignage et non pas roman, et comme tel plutôt efficace. Depuis l’écriture, son style et le genre ont évolué. Il ne semble pas qu’avec son dernier roman (éd. Krakoen), portant un nom de femme, « Dolla », version latine je suppose de la Dolly anglosaxonne, Françoise Laurent ait eu l’intention de briguer l’abri du célèbre Dôme. Il s’agit d’une histoire abracadabra-dantesque de retraités soixante-huitards bien secoués par les ans. Pas de ceux qui ont fait carrière, d’ici delà, de gauche à droite, mais des gauchos guère pensifs, plutôt tendance guitares-pétardsperformances-paillettes. [ Ah ! Fatigue. Soixante-huit ! Qu’en a-t-on fait ! Mère des fictions ! Sous les pavés, les rêves ! Comme s’il avait existé, boîte de Pandore d’où seraient sorties toutes les idées fast-foods,

un objet 68 autre qu’une année entre soixante-sept et soixanteneuf. Comme si le féminisme n’avait pas agité le 19ième siècle, participé vivement à la « Commune », comme si le «Front Popu» n’avait jamais eu lieu, comme si Dada et Surréalisme n’avaient pas existé. Comme si le symptomatique Victor Margueritte n’avait publié en 1922 «La Garçonne», une génération avant l’importante compilation de Simone de Beauvoir et ainsi perdu à grands bruits sa légion d’honneur… : « Abstenez-vous dans une affaire qui passe infiniment votre compétence » écrivait Anatole France dans sa « Lettre ouverte à la Légion d’Honneur ». Fictions dans la fiction. Car si sur cinq cents mètres de boulevards le Surréalisme s’est exprimé avec plus de force que les trotskistes ou les maoïstes conjugués, si une grève générale qui rappelait 1936 faillit priver d’essence et de vacances ceux qui en avaient les moyens, l’ordre régnait sur les plages durant l’été 68. Ce fut un mai roulement de tambour dont les idées s’étaient forgées pendant des décennies : le mur des Fédérés ne sentait pas le shit, mais la poudre noire des cartouches. Mais, bien sûr, tout cela n’a, évidemment, rien à voir avec la fiction qui ici nous occupe.]

Françoise Laurent


42

La Vie des Arts 

À L A P AG E

Revenons à nos moutons noirs, couleur polar. Nous serions dans un futur proche de quelques lustres. Il s’agit d’un roman dans lequel s’accentue la tendance à faire appel à l’histoire-fiction pour décrire finalement… notre temps en traits d’encre de chine. Stratégie déjà adoptée dans de précédents ouvrages, notamment « Une dent contre les fraises » (éd. Du Ricochet), histoire de dantesque dentisterie (Côté Enfer). Dans le dernier livre, en un décor local, l’écriture caricaturiste retrace les péripéties rocambolesques d’un groupe de post-seniors qui, pris dans leurs rêvasseries, pour n’avoir finalement rien

compris à leur temps (ou pas voulu comprendre) en viennent aux solutions radicalement extrémistes des fondamentalistes kamikaze human-bomb de tous bords. Nous dirons, Nice oblige, que c’est un récit baroque carnavalesque, plutôt Daumier ou Mossa que Gide ou Matisse. Donné par l’éditeur comme « une fiction pleine de tendresse », avec son panorama de gentils délirants, de traîtres, et de meurtriers, ce roman se révèle d’une incroyable férocité, tant pour son époque que pour ses personnages qui, découpages à la tronçonneuse aidant, finissent par être surtout à l’image des plus poujadistes ou médio-

cres parmi nos contestataires contemporains. Plutôt nuisants, brouillons, ces meufs et leurs mecs, et… démoralisants. « Fable sociale » ? Nous, on voudrait bien, mais où en est le moral et la morale, quel que soit le sens donné à ces mots ? Pas, comme on pourrait l’espérer, aussi bête et méchant qu’un hebdo ! Paraît même, quelqu’un m’a dit, que c’est rigolo. Tout dépend avec qui l’on rigole… Marcel Alocco

Pavé ‘68 Don Art Côte d’Azur 2008


8

La Vie des Arts 43


VITRINES PARISIENNES COM h5NE VITRINE OÂ TOUT EST Ü VENDREv #OLLECTIONS

!MERICAN 6INTAGE

!PRIL -AY

"EL !IR

,YNN !DLER

-ANOUSH

3CARLET 2OOS

4ATOOSH

:O£ LA F£E


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.