T H É ÂT R E / / / S C U L P T U R E / / / P A R F U M E U R / / / M O D E & C R É AT I O N / / / P H O T O
RAPH GATTI
FAIT SON FESTIVAL "VINTAGE"
SUPPLÉMENt CULtUREL DES PEtItES AFFICHES DES ALPES MARItIMES
L’OPÉRA DE NICE au PALAIS NIKAÏA VENDREDI 12 & DIMANCHE 14 JUIN 2009 20h30
SOIRÉE JEUNE PUBLIC ET ETUDIANTS MERCREDI 10 JUIN 20h30 : 5 �
AIDA BILLETTERIE : OPÉRA 04 92 17 40 79 \ PALAIS NIKAÏA 08 92 390 800* www.nikaia.fr www.ticketnet.fr www.fnac.com MERCREDI 10 JUIN 20h30 : BILLETTERIE OPÉRA UNIQUEMENT
Opéra de Nice
Partenariat avec le Palais Nikaïa * 0,34 centimes la minute
licence entrepreneur de spectacles 1-1015185 - 2-1015183 - 3-1015184 - Peinture Nathalie Verdier
VERDI
« J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence. »
Art Côte d’Azur Supplément culturel des Petites Affiches des Alpes Maritimes Numéro 3451 du 2 au 7 Mai 2009 Bimestriel
Anatole France
Le printemps est là depuis seulement quelques jours, et déjà fleurissent les festivals, les différentes expositions de plein air annonçant très bientôt l’été culturel que notre région a toujours su embaumer d’effluves artistiques, et de nouvelles couleurs, lumières réfléchissantes des regards créatifs et novateurs des Papes reconnus ou naissants du « Art context » local. Le printemps c’est aussi le bourgeonnement et l’explosion des sentiments, l’Amitié, l’Amour, la Passion…Voila ce qui caractérise ce nouveau numéro d’Art Côte d’Azur ; une balade avec des artistes, des acteurs de culture, des « hommes », ou tout simplement des Passionnés ; L’amitié ou l’Amour se mêlant, leur vie n’est faite que d’échange, de grandes découvertes, d’humanité, et d’affection. Par ces temps, il est à souhaiter qu’aux travers de ces morceaux de vie, nous puissions encore fleurir nos âmes, que ces passions nous enivrent et, tel l’été de nos vingt ans, les parfums et les souvenirs de ce voyage n’en seront que plus beaux. FX
ISSN 1962- 3569 Place du Palais 17 rue Alexandre Mari 06300 NICE Ont collaboré à ce supplément culturel : Rédacteurs Florence Canarelli Olivier Marro Direction Artistique François- Xavier Ciais Création Graphique Maïa Beyrouti Photographe Jean-Charles Dusanter Photo de Couverture Raph Gatti, 1979 Raph qui mettait parfois en scène ses shooting avait trouvé amusant de mettre entre les mains de ses sujets un appareil de photo. L’arroseur arrosé, un jeu qui a visiblement inspiré Jerry Lewis. ©Courtesy de l’artiste
licence entrepreneur de spectacles 1-1015185 - 2-1015183 - 3-1015184 - Peinture Nathalie Verdier
Contacter la Rédaction : Sidonie Bois Tél : 04 92 47 21 81 Fax : 04 93 80 73 00 sidonie@artcotedazur.fr www.artcotedazur.fr Art Côte d’Azur est imprimé par les Ets Ciais Imprimeurs/ Créateurs « ImprimeurVert », sur un papier répondant aux normes FSC, PEFC et 100% recyclé.
La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées dans les articles, cellesci n’engagent que leur auteur. Tous droits de reproduction et de traductions réservés pour tous supports et tous pays.
UN PEU… Les planches sont nombreuses : à repasser, à découper, à billet, anatomique, à savon… Et c’est là, avec un certain savoir : « nous savons », que je participe jusqu’au 10 Mai à l’exposition Art et Savonnerie marquant les 125 ans de la fabrique italienne Gavarry (1). Evidemment les incontournables « bulles » de toutes sortes étaient présentes, seules celles de savon ont fait l’objet d’une application collective ! Oui ! une entreprise, un artiste, c’était le concept d’« Artreprise » que nous développions en 2001 avec la JCE (2). Ponctuer la vie d’une entreprise, quelque soit sa taille (imposition !) par un événement en associant un artiste, c’est afficher une certaine bonne santé, une confiance. Faire « entrer l’art dans les murs » par une acquisition, c’est tracer, marquer la mémoire d’un développement. Certaines, trop peu hélas, ont pris cette voie, une façon aussi de se faire « entendre » et d’être à l’écoute en prenant place dans un tissu culturel faisant cohabiter œuvre et travail, c’est s’autoriser d’une respiration, d’une volonté citoyenne. Mais voici Mai : protégez vos cerises, faites un épouvantail, voici le mien ! Et voici aussi ma bulle Photo Catherine Mas JM (de Mai)
Photo Catherine Mas
PROCHAINEMENT : 12 mai 19h à Nice Faculté St Jean d’Angély Séminaire de psychanalyse PerforMas : « Bataille navale » 26 mai A Chamonix/Genève l’accélérateur de particule – PerforMas « l’hystérie comme œuvre d’art réalisée » … Et ne pas manquer : le dimanche 14 juin à Bonson Grand concours de lancer de noyau d’olive ! (RSVP à la Mairie).
(1) Savona Italie www.lamande.it (2) Jeune Chambre Economique Nice Côte d'Azur
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Raph Gatti, Le photographe sans appareil
© J-Ch Dusanter
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village-musée à ciel ouvert
12 CONTES
© J-Ch Dusanter
J'ai vécu le temps des merveilles
14 MENTON
Mauro Colagreco : Tout naturellement !
16 NICE
Terra Amata : 400.000 ans d'âge
© J-Ch Dusanter
18 BIOT
Le musée Fernand Léger, toujours « moderne »
© J-Ch Dusanter
La Vie des Arts 20 GALERIE
Antonio Sapone : L’art contemporain ou la traversée du cœur
© M Caminiti
24 PARFUMEUR
Mona di Orio : Parfum de rêve !
26 THÉÂTRE
Arketal : Langue de bois
© J-Ch Dusanter
28 MODE & CRÉATION Corinne Reinsch Eco-Glam Versus Bling bling !
30 ARTISTE
Caminiti : en roue libre
34 CÉRAMIQUE
© Lagalla
Teresa Spina Terre en vue !
36 ARTISTE
Lagalla : That’s all Folks!
© J-Ch Dusanter
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Raph Gatti, Le photographe sans appareil Du Patriote à L’Agence France Presse puis Nice-Matin, Raph Gatti qui avait toujours son appareil autour du cou mais savait le faire oublier voua quarante ans de sa vie au reportage. Ses clichés racontent l’ascension de la Riviera, en ces temps où les célébrités en villégiature jouaient sous le soleil les touristes en goguette… Raph Gatti est tombé dans le bain d’Ilford tout petit. Mais celui qui connaîssait Nice comme mille facteurs, mille chauffeurs de taxi n’avait pas le regard percé d’un judas mais plutôt celui vif et tendre d’un passionné de la vie qui embrasse à 360 degrés ceux qui la peuple. Aussi quoi de plus naturel que ces clichés parlent si bien de la Riviera et qu’en retour ses victimes, consentantes, parlent si bien de lui. Car Raph Gatti s’est toujours défendu d’être photographe, refusant de dégainer son 35 mm afin de ne pas gâcher la magie d’une rencontre remarquable. Par les temps qui courent, une telle philosophie ça peut surprendre ! Et pourtant elle valut au reporter des photos que personne d’autre n’aurait pu faire. Raph est mort en scène raccrochant son matériel en 2005 quelques temps après un accident de moto sur la Promenade des Anglais. Une ironie du sort pour celui qui débuta aux cotés de l’écrivain Louis Nucéra qui disparut lui 5 ans avant percuté en vélo par une voiture à Saint Laurent du Var. Avec le peintre Moretti ils formaient un infernal trio. Le plus candide
1970 Bunuel aimait « faire » la Croisette à pied, Raph emboîte le pas de son metteur en scène préféré « Je ne comprends pas pourquoi vous êtes toujours avec moi alors qu’il y a tant de jolie filles à photographier » lui rétorque un jour le réalisateur espagnol.
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Ci-contre : 1979 - Raph qui mettait parfois en scène ses shooting avait trouvé amusant de mettre entre les mains de ses sujets un appareil de photo. L’arroseur arrosé, un jeu qui a visiblement inspiré Tony Curtis
En bas : 1976 - Miou Miou et Julien Clerc au cœur de la 29 éme édition. C’est encore le temps de l’amour entre l’actrice et le chanteur et de la mode baba cool
des trois laissa derrière lui un précieux héritage, un miroir fait de milliers de photos où se reflète la Côte d’Azur dans un tourbillon de paillettes et de grandes figures du XXéme siècle.
Kessel, Spaggiari, Giscard, Hitchcock et les autres Raph c’est le diminutif de Raphaël, c’est Raymond Moretti qui baptisa ainsi ce niçois de pure souche dont les parents tenaient depuis 1822 un commerce de photographie place Garibaldi. Raph baigna dans cette atmosphère d’autant que son père le quittant trop tôt, il dut aider sa mère à la boutique. A 18 ans, il part pour le service cinématographique des armées. Destination : L’Indochine où il réalise ses premières images avec la population locale, « c’est ce qui m’a vraiment donné le goût de la photo » avouera-t-il plus tard. A son retour de Saïgon en 1958, un journaliste du nom de Nucéra, appelle au magasin. Il a besoin d’urgence d’un photographe. Rendez-vous est pris devant la villa Paradisio à Cimiez. Quelques minutes après, en pénétrant dans ce qui est un atelier, Raph se retrouve face au peintre Raymond Moretti et Jacques Brel. Une photo qui lui met le pied à l’étrier et lui permet d’intégrer l’Agence France Presse, place Masséna. L’AFP au temps du yéyé c’était le temps de l’argentique, des cuvettes, des agrandisseurs. Avec 25 kg sous le bras, les reporters jouaient aux dockers. Son territoire de chasse s’étend de St Tropez à Barcelone. Une formidable école d’apprentissage au fil du Jazz à Juan, du Grand prix de Monaco ou du Festival de Cannes. Raph mitraille. Le voyage présidentiel de Giscard à Thaïti, les faits divers, Spagiarri le casse du siècle, Hitchcock sur « La main au collet », Chagall pendant la construction de son musée, les rencontres sportives, les prises d’otages. Il part au Liban, en Syrie, en Egypte C’est avec Louis Nucéra avec qui il oeuvre en duo qu’il fera au début des années 60 sa deuxième rencontre marquante. Joseph Kessel donne à l’hôtel RHUL une conférence sur Dostoïevski. L’entretien durera tard dans la nuit. Plus tard il se liera avec son neveu, Maurice Druon secrétaire de l’Académie Française puis avec Jean Cocteau venu tourner « le testament d’Orphée » à Villefranche, César, J.F Lartigues et tant d’autres…
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1972 - Une étrange équipée : Sydney Pollack et son acteur fétiche Robert Redford nominés pour « Jeremiah Johnson » en compagnie du pianiste Arthur Rubinstein et de son épouse Nela. Un cliché que Raph donnera plus de 30 ans plus au metteur en scène américain après l’avoir rencontré à Nice à l’Esquinade.
« Alors tu ne me fais pas la photo, tu préfères Manitas de Platas ! » L’aventure Picasso, fut tardive. Raph le rencontre en 1961 pour son 80ème anniversaire mais entretiendra avec l’artiste jusqu’à la fin de sa vie une solide amitié « jalonnée de repas à Vallauris qui se prolongent tard dans la nuit » confirme son épouse Andrée Gatti. Et pour cause le scoop, n’est pas son obsession. Un jour, il ramène du Cameroun, une guitare en peau d’antilope à Picasso. Ce dernier s’en saisit, gratte les cordes et le regarde interloqué « Alors tu ne me fais pas la photo, tu préfères peut être Manitas de Platas ! » Mais Raph ne fréquente pas que les célébrités, il sympathise aussi avec le personnel des palaces, les restaurateurs, la concierge de l’AFP qui lui prépare de délicieux couscous « parce que dans ce métier on fait aussi souvent le pied de grue ! ». Friand de rencontres, curieux de nature, plus voyeur que photographe, il avoue être capable de s’arrêter en voiture
1975 - Quand deux drôles de séducteurs se rencontrent. Mastroianni face à Rochefort qui interprète alors un don juan à problème dans « Un éléphant ça trompe énormément »
juste pour regarder un arbre qui lui paraît bizarre. En 1988 il quitte L’AFP pour rejoindre Nice Matin et intègre une rédaction qu’il connaît pour l’avoir fréquenté sur le terrain. Il a alors 50 ans. Mais quand le journal est vendu, il raccroche, pour travailler à son rythme. Il fait des photos de Claudia Cardinale, l’amie rencontrée sur le « Guépard » de Visconti, une exposition à Milan où il partage les cimaises avec Clergues, Doisneau et Villers. Arte l’invite à participer à une émission consacrée au coiffeur de Picasso car il est le seul à avoir des clichés du peintre en train de se faire couper les cheveux à Vallauris. Raph Gatti qui vivait à cent à l’heure nous a quitté en laissant une myriade de clichés émouvants mais avant d’avoir pu réaliser tous ces projets dont un livre avec son plus fidèle complice Louis Nucéra « Il en parlait souvent explique Andrée, mais le destin en a voulu autrement, Raph n’avait jamais le temps ! ». Le temps, il le partageait avec ceux qu’il immortalisait. OM
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En haut à droite : 1978 - Eddy Williams une des plus célèbres starlettes de la Croisette fait le plein d’objectifs et de festivaliers.
1975 - Michael Caine, Joseph Losey et Helmut Berger portent un toast à leur nouveau bébé « Une Anglaise Romantique »
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t oure t t e L evens
Tourrette Levens : village-musée à ciel ouvert A 74 ans, le « docteur Frère » semble heureux de vivre et content de son sort. Maire depuis 1983, vice-président du conseil général chargé de la culture depuis 15 ans, il a une personnalité généreuse et passionnée qui « aime faire plaisir aux gens, donner du bonheur ».
Alain Frère devant l’Affiche de Buffalo Bill
C
’est dans ce but qu’il « travaille comme un fou », pour faire de Tourrette Levens une « ville culturelle ». Car pour lui, la culture prime sur tout. La preuve, il a embauché récemment une attachée culturelle en la personne de Claire Japhet … Ce qui est en effet exceptionnel pour une population de moins de 5000 habitants. Max Cartier, L’Homme Fort , 2008 Sans négliger le riche patrimoine existant - vieux village perché médiéval, château et chapelle du 11ème siècle, église du 12ème siècle, musée des métiers traditionnels (6000 outils anciens) et même musée d’histoire naturelle (4000 papillons et insectes du monde entier) - Alain Frère a tenu à se tourner aussi
vers l’art d’aujourd’hui : «je suis l’ami des artistes et ils me le rendent bien …» En offrant des oeuvres à la commune, comme Max Cartier, résident tourrettan, avec son « homme de pierre » qui trône sur un rond-point à l'entrée du village. La ville peut s'enorgueillir également de sculptures de Jean-Alexandre Delattre (« le jongleur au chapeau ») et de Jean-Pierre Augier (« la marchande de fraises »). Sans oublier le portique de 4 mètres de haut signé Chubac, érigé peu après sa mort en mai 2008 : lié à Tourrette Levens par son amitié avec le docteur Frère, qui était son médecin de famille, le peintre et sculpteur abstrait Albert Chubac est à l’honneur dans la maternelle du village, dont les murs, repeints à ses couleurs, sont ornés de nombres de ses oeuvres. Si l'école ne se visite pas, il existe depuis 2001 un espace Chubac qui présente chaque été de belles expositions : cette année, « le « wild west show » de Buffalo Bill, à la conquête de l’ouest, à partir de la collection personnelle du docteur Frère. Grand collectionneur devant l'éternel, le docteur sait tout sur l'histoire de Bill Cody, et en particulier que son célèbre « show » s'est arrêté à Nice en 1906, à l’emplacement actuel du stade Jean Bouin. Il aime aussi à faire visiter sa salle « culturelle » des mariages,
t oure t t e L evens
Ci-dessus : Ernest Pignon, Hommage à René Cassin, 2008
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En haut à droite : Chubac, Ecole Maternelle Groupe Scolaire TORDO
inaugurée en 2007, où sont présents sur les murs Franta, James Coignard, Brazillier, Gilli, Chubac, Ernest Pignon-Ernest et Ben avec un « et surtout, n’oubliez pas de vous aimer ». Mais ce n'est pas tout. Le maire a récemment demandé au grand artiste Ernest Pignon-Ernest une « fresque » pour le collège René Cassin, sur le thème des droits de l’homme, qui a été installée en janvier 2009. Et a lancé depuis trois ans une grande fête médiévale qui a lieu en mai, à laquelle toute la population participe avec bals masqués, troubadours, concerts… Avec l'ambition de faire de Tourrette Levens un "village-musée à ciel ouvert". FC
Un extra-terrestre les pieds sur terre
« Je suis un extra-terrestre mais faut pas le dire ! » Né au Creusot en 1935, et malgré un père mort à la guerre en 1940, Alain Frère fut « un enfant gâté, très heureux », élevé par une mère et une grand-mère (corses !) toutes deux très possessives et aimantes. Grâce à un oncle qui l'emmène dans les musées et une mère qui lui donne « le virus du théâtre », il se prend de passion dès l'âge de 4 ans pour le spectacle, en découvrant le cirque Medrano : « mon rêve aurait été de devenir un trapéziste volant mais le cirque était à l’époque un monde fermé. » Il se rattrapera plus tard en devenant le médecin des familles Medrano et Bouglione, car il a aussi une « passion pour la médecine ». Après des études à Marseille, il est un
Alain Frère devant une œuvre de BEN « Et surtout n’oubliez pas de vous aimer… », salle culturelle des mariages de la Mairie.
Alain Frère
74 ans Médecin de campagne, maire et passionné de culture Aurait voulu être trapéziste volant
temps interne à l’hopital de Monaco, ce qui lui permet de rencontrer le prince Rainier, rapprochés par leur passion commune pour le cirque. C'est ainsi qu'en 1974, pour fêter le 25ème anniversaire du règne de Rainier, ils décident de créer le festival international du cirque, Alain Frère à titre de conseiller artistique d'un festival qu’il « accompagne depuis 33 ans ». Entretemps, il choisit Tourrette Levens pour s’installer, et devient médecin de campagne : « c'était ma vocation, je me levais toutes les nuits, je travaillais samedi et dimanche, vous comprenez … » Sur le tard, il se découvre une nouvelle vocation, la politique : il devient maire à 48 ans et sera constamment réélu depuis, avant de trouver sa juste place de chargé de la culture
au Conseil général. Car c'est en « homme de spectacle », pour son plaisir, qu'il « voit tous les spectacles », prêt pour ça à dormir dans sa voiture. Non seulement le cirque mais aussi les soirées estivales et autres « 06 en scène » qu’il a initié : « il y a 420 spectacles par an, je les vois tous, je les vis ». Et quand il rentre chez lui, que fait-il ? Il descend dans le sous-sol de sa maison aménagé en musée du cirque, dans son « antre », où tout est méticuleusement classé et répertorié. Alors, quand il vous affirme qu'il possède « la plus grande collection privée au monde sur le thème du cirque », on ne se dit plus qu’il embellit la réalité : on le croit !
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contes
Contes
J'ai vécu le temps des merveilles Du 25 mai au 15 Juillet Contes deviendra le théâtre d’une exposition réunissant la fleur des créateurs de l’art moderne et contemporain. A l’origine de cet événement à la mesure de l’engagement culturel de la ville : Les 10 ans de sa médiathèque ainsi qu’ un hommage à Georges Tabaraud
L
photo : © J-Ch Dusanter
e Moyen-pays voudrait-il reprendre au rivage la vedette ? Contes qui n’a jamais été en reste en matière de culture dévoile autour de la mémoire de Tabaraud sa prestigieuse collection « printemps été » de l’art moderne et contemporain Une trentaine d’artistes, plus de 200 œuvres, une véritable fièvre s’emparera dès fin mai de cette commune sise à 20 km de Nice dans la vallée du Paillon Rien d’extraordinaire pour les contois car si ce bourg de 7000 âmes flanqué de son village médiéval ne fait pas de remous il baigne dans un bouillon de culture entretenu par son maire Francis Tujague épaulé de Françoise Lemaire, adjointe à la culture depuis 2001. Un effort largement encouragé par Georges Tabaraud. Né à Nice en 1915, décédé en février 2008 cet écrivain journaliste (ex directeur du Patriote Côte d’Azur),
joua un rôle prépondérant dans le foisonnement artistique de la Côte d’Azur de la seconde moitié du XX ème siècle. La plupart des artistes qu’il a soutenu devinrent ses amis, parfois plus « C’était une sorte de petit frère pour mon père » témoigne Maia Picasso dans le catalogue de cette exposition hommage.
Tabaraud et ses amis Issu d’une famille locale, Tabaraud s’installa dès sa retraite à Contes dans la demeure de ses grands parents « Il n’a cessé dès lors d’être au coeur de l’émancipation de la cité » commente Françoise Lemaire qui outre sa charge municipale pilote la Médiathèque depuis sa création en 1999. Ce carrefour d’échanges culturels qui draine plus de 1200 abonnés fait profiter plus de 2000 personnes de ses activités. Ainsi de-
puis que Georges Tabaraud inaugura le lieu en dévoilant le suc des archives de la ville inventorié par ses soins chaque année une grande exposition s’y déploie. Picasso, Pignon Ernest, Pagès et d’autres créateurs emblématiques sont passés par là grâce à son soutien. Mais ce ne fut le seul service que l’homme rendit au patrimoine de la ville.
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photo : © J-Ch Dusanter
© photo Gaby Giordano
photo : © J-Ch Dusanter
contes
Edmond VERNASSA, « Contrainte », 2008
Roger CAPRON, « Faune Bleue », céramique
Françoise LEMAIRE, adjointe à la culture, ville de Contes
Il fit classer via son association Lou Peuy le moulin à fer sur le Paillon ainsi qu’un vieux moulin à l’huile, écrivit même un ouvrage sur l’histoire du pays des "Tremp'Oli". Quant à son livre sur Picasso, il dévoila les liens que l’homme noua avec le peintre espagnol alors en villégiature et qui avec Fernand Léger et Magnelli compta parmi ses plus illustres complices. Ainsi ce baroud d’honneur auquel ses nombreux amis ont répondu déborda très vite de son cadre « Grâce à une trentaine de personnes et trois musées, Magnelli (Vallauris) Picasso (Antibes) et celui de Contes plus de 200 œuvres ont été réunis » De la place Allardi à la cour de la médiathèque un jardin sculpture fleurira autour de pièces de Vernassa, Theunissen, Capron, Anasse, Roussil, Cantin, Franta... Quant à Bernard Pagès, qui réside à Contes avec son épouse l’écrivaine Maryline Desbiolles, il exposera deux œuvres monumentales dont une créée pour l’événement. Les 400 m2 de la médiathèque où trônera à l’entrée une sculpture de Vernassa seront eux mis en valeur par des toiles, lithographies, gravures, céramiques et tapisseries de Magnelli, Picasso, Léger, Armand, Arp, César, Pignon Ernest, Hartung, Kijnot, Ben, Alocco. Un espace sera consacré à l’évocation de Georges Tabaraud, avec des clichés d’André Villers et une vitrine de livres
dédicacés. Cet exceptionnel déploiement d’oeuvres fera l’objet d’un catalogue avec les éditions de l’Amourier sises à Coaraze, plus haut dans la vallée. Un livre anniversaire retraçant les 10 ans de la médiathèque sera également offert aux visiteurs. Une grande messe de l’art qui s’ouvrira le 23 mai par un spectacle de rue proposé par la compagnie « Divine Quincaillerie » et se refermera sur le traditionnel banquet orchestré par le baleti d’Occitanice.
DAC fédère sous l’égide de la ville une cinquante de classes dans toute la vallée du Paillon depuis 2003 et donne chaque année naissance à un recueil écrit par les enfants lors d’ateliers. Quant au festival gratuit « Paioun ven » organisé par le Comité des fêtes de Contes il ouvre son théâtre de verdure d’une capacité de 2000 personnes à une pléiade d’artistes dans le cadre des « Estivales ». Contes une ville qui a choisi de vivre l’art jour après jour à l’image des sculptures qui rehaussent son paysage. Deux de Bernard Pages le long des berges, une autre baptisée « contrainte » de Vernassa qui symbolise une paire de menotte avec son grand écrou et chapeaute étrangement la gendarmerie nationale. Et malgré la crise les projets n’ont pas été mis à l’encan confirme Françoise Lemaire « Alors que la Communauté de Commune du Pays du Paillon vient d’inaugurer sa maison de la musique et de la danse. La municipalité a mis sur les rails un Musée des arts et tradition populaire au cœur du la cité médiévale. C’était une idée de Georges Tabaraud et aujourd’hui grâce à un appel aux dons fructueux nous avons déjà réuni quelques 5000 pièces » OM
La culture jours après jours Mais cette exposition n’est que la partie émergée de la politique culturelle qui anime toute l’année Contes. Ainsi sa médiathèque dont le budget de fonctionnement s’élève à 205 000 euros en 2009 et qui consacre 16 000 euros/an à ses acquisitions accueille tous les 15 jours les 29 classes scolaires de la ville. Des élèves qui sont également conviés aux expositions qui tous les ans relayent la Fête de la science en partenariat avec l’Université de Nice Sophia-Antipolis et le CNRS « Nous avons été pionnier en la matière. Une action rendue possible grâce aux concours de médiateurs bénévoles, des scientifiques résidant chez nous qui viennent se joindre à notre équipe » Les belles lettres font aussi parties de la fête « Poésie des deux rives » initiée par la
Médiathèque municipale de Contes Tél : 04 93 91 74 20
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Menton
Mauro Colagreco : Tout naturellement ! Mauro Colagreco a remis en trois ans sur la voie royale le Mirazur, une table vigie dominant le golfe de Menton à la frontière Franco-Italienne. Tout un symbole pour ce jeune chef dont les origines métissés se révèlent dans une cuisine nature si inspirée qu’elle lui valut dès 2007 une étoile Michelin et le titre de chef de l’année 2009
«J
’ai un défaut celui de tout aimer (rires) Mais je pense que c’est dans l’équilibre que se jouent les saveurs » Facile à dire, plus dur a faire. Et c’est là le secret de Mauro Colagreco qui a réussi la synthèse à l’assiette de toutes les cultures glanées au fil de son apprentissage comme de celles qui coulent dans ses veines. Ses grands-parents maternels italiens, dont la grand-mère native de Calabre, ont émigré en Argentine au XIX ème siècle. « J’ai du sang italien, argentin mais aussi basque et indien ». Un cocktail à faire fuir un vampire mais qui donne une ampleur singulière à sa créativité. C’est à Plata, à 60 kms de Buenos Aires que Mauro verra je jour au milieu des années 70. Mais avec des fourmis dans les jambes et un petit vélo dans la tête lorsqu’il tente d’emboîter les pas de son père comptable, ça ne marche pas !
Sang mêlé Mauro qui a encore le souvenir des confitures de lait et du pain perdu de son enfance, celui d’un grand-père cordon bleu aussi, opte pour des études culinaires qui le conduisent en 2001 de l'école hôtelière de Buenos Aires à celle de La Rochelle. « Mon niveau de français n’étant pas suffisant mais je n’ai pas voulu attendre. En 6 mois je me suis perfectionné et fais mes valises » ; une détermination qui en dit long sur sa soif de découverte. Alors que le stage de 4 mois qu’il a décroché chez Bernard Loiseau arrive à terme, à la demande de l’étoilé il prolonge son séjour à Saulieu. A la mort de ce dernier, il gagne la capitale avec son épouse Daniela qui suit elle, des études de stylisme. Il y intègre durant plus deux ans le restaurant l’Arpége « Avec Passard j’ai appris le respect des produits. Les légumes cueillis à 10 h du matin étaient dans l’assiette a midi. Cela parait banal ici, mais dans cette métropole urbaine c’est un vrai challenge ! ». Après un passage chez Ducasse au « Plaza Athénée » où il apprend la cuisine de palace, il officie comme chef au Grand Véfour. Mais les ailes commencent à pousser. Il a 29 ans, de nouveaux horizons l’attendent.
Menton, l’autre paradis latin « J’ai commencé à chercher vers l’Espagne lorsque des amis m’ont parlé de cet ancien bistrot où l’on servait jadis la meilleure limonade artisanale de Menton. J’ai eu le coup de foudre mais je me suis dit trop beau, trop cher ! » Le propriétaire des lieux qui avait tenté précédemment mais sans succès l’aventure avec Jacques Chibois, décide tout de même face au talent et à l’audace du jeune chef italo-argentin, de remettre le couvert. Une chance pour Mauro « Il a voulu prendre le pari et m’a proposé le Mirazur en location gérance. Ce qui m’a permis de ne pas avoir tout de suite le couteau sous la gorge » Alors très vite, Mauro transforme cette demeure aux lignes claires, nimbée de lumière fermée depuis trois ans en atelier de création. Séduit par le jardin d’agrumes, il lui adjoint un autre dédié aux essences aromatiques puis un potager. La cueillette c’est dans ses gènes. L’homme connaît 200 espèces végétales « Ici aussi c’est une tradition. Les herbes sauvages, les fleurs gourmandes j’ai retrouvé un peu de mon Amérique latine à Menton ».
Menton
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Mobilis in Mobili Mais Mauro qui a toujours souhaité s’affranchir du passé pour aller de l’avant a posé ses bagages à l’entrée de cette maison où les « mobiles shadows » de Stéphanie Marin se laissent eux aussi porter par l’inspiration « Je n’ai pas voulu venir avec mon fardeau culturel. J’ai déjà la chance de ne pas avoir à porter celui de l’héritage de la cuisine française » Une liberté qui lui permet de s’exprimer sans tabous et de se servir de la technique pour défricher de nouveaux territoires « L’acidité, l’amertume, je m’en sers. Une confiture de citron servie seule peut être désagréable mais avec un foie gras cela va arrondir le plat, tout est équilibre, jeu de constantes. Les peintres font de même avec leur palette » Ainsi dans les mains du poète argentin c’est tout le patrimoine gaulois qui prend la clé des champs. Le végétal omniprésent joue les Merlin l’Enchanteur « le pot au feu est sous le jardin de légumes » Textures, couleurs, mariages, Mauro repousse les limites. Il est taillé pour ça ! Et ce grand découvreur a toujours les sens en éveil « Au potager on a produit déjà 20 variétés de tomates, 30 sont prévues pour 2009. Que serait l’Italie sans elle, on peut tout faire avec ! » Son prochain produit fétiche maison rien de moins qu’un œuf bleu ! « J’ai découvert une race de poules péruviennes qui pondent ces oeufs incroyables, merveilleux à proposer à la coque ! » Celui qui invite des plasticiens à exposer dans le lounge bar du Mirazur est artiste dans l’âme. Il suffit de goutter ces créations au graphisme épuré comme « la Salade d’asperges mi-cuites et pommes vertes, pamplemousse, cebettes et mourons des oiseaux ». Maître des cuissons et chantre des saveurs il l’est aussi au point qu’un repas à sa table se change en une véritable odyssée des sens. Un voyage qui lui valut le titre envié de « Chef de l’année 2009 » décerné par Le Gault et Millau ainsi qu’un classement parmi les « 50 Best Restaurants of the World ». Pour le 60ème anniversaire du Festival de musique de Menton le Mirazur recevra les hôtes de marques et sera encore de la fête lors de l’inauguration du Musée Cocteau. Comment peut-il en être autrement, Mauro Colagreco est une fête à lui seul, un don de la nature fait à la gastronomie ! OM
photos : © J-Ch Dusanter
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Terra Amata : 400.000 ans d'âge Les « fouilles de sauvetage » effectuées en catastrophe avant que le site ne disparaisse, c'était une première en France. Un musée construit sur le site même de fouilles préhistoriques, au rez de chaussée d'un immeuble d'habitation, également. Le musée de Terra Amata sort de l'ordinaire, d'autant plus que les homo erectus qui vivaient là y inventèrent le feu. Retour dans le passé …
A
l’aube de l’humanité, voici 400.000 ans, le mont Boron était une plage de galets accueillante, que les hommes utilisaient comme halte de chasse. Ce n’était pas un habitat permanent car on n’a retrouvé aucun ossement humain - seulement la dent de lait d’un enfant - mais on sait par contre qu’ils sont venus 29 fois occuper les lieux, pour y chasser éléphants et rhinocéros, daims et cerfs, sangliers et aurochs qu’il faut imaginer présents en grand nombre dans la région. Et c’est là, s’abritant sous des huttes de branchages, que les Homo erectus de Terra Amata domestiquèrent le feu … Du moins a-t-on pu retrouver des restes de foyer datant de cette époque sur ce site, qui a une histoire quelque peu rocambolesque.
Quand éléphants, rhinocéros, daims et aurochs gambadaient sur les pentes du mont Boron… En 1860, lors de la construction de la route de la Basse Corniche - à l’emplacement de la station BP actuelle, sur le boulevard Carnot - on fait une étonnante découverte : des ossements … d’éléphants, puis tout retombe dans l'oubli.
Un siècle plus tard, la maitresse du roi de Yougoslavie, qui possède une superbe villa sur le mont Boron, décide de vendre son jardin à un promoteur. Ce dernier commence à tailler la colline puis s’arrête faute d’argent. Des géologues passant par là remarquent bientôt une plage fossile – un amoncellement de galets visibles dans l’entaille faite dans la colline. Une plage à 26 mètres d’altitude ? Voila qui interpelle aussi les archéologues : rapidement, ils découvrent le premier « biface » (outil en pierre taillé sur les deux faces). Un nouveau promoteur rachète le terrain et recommence des travaux de terrassement … Heureusement, le préhistorien Henry de Lumley, alors chargé de recherche au CNRS de Marseille, a eu le temps de faire une première prospection du chantier et de découvrir d'autres outils et des restes d’animaux qui éveillent son intérêt. Nous sommes en 1966, aucune loi n’existe, c'est pourquoi, malgré les articles dans la presse et le soutien d’André Malraux, alors ministre de la culture, on ne donne à Henry de Lumley que six mois pour effectuer ce qui deviendra la première « grande fouille de sauvetage concernant la Préhistoire » en France.
De janvier à juillet 1966, pressée par le temps, son équipe travaille d’arrache-pied, tous les jours et bientôt 24 heures sur 24 : 28.800 pièces seront répertoriées et « coordonnées en x, y et z », selon la méthode classique des archéologues, qui consiste à faire des carrés avec des fils tendus. Enfin, sera réalisé un gigantesque moulage du sol de 60 mètres carrés qui permet aujourd’hui de visualiser une des 29 couches, ou «occupations du sol ». Quasiment une première mondiale … De même que ces fouilles de sauvetage serviront de modèle à la loi qui paraitra beaucoup plus tard. Et qu’a donc découvert le professeur de Lumley ? Rien de moins qu’un campement de chasseurs vieux de 400.000 ans et un des plus anciens foyers de l’histoire de l’humanité ! Avec ce scoop, il n’eut pas de mal de convaincre le maire de l’époque, Jacques Médecin, de faire construire un musée à cet emplacement - en fait, le rez de chaussée de l’immeuble qui sera finalement construit. Inauguré en 1976, ce musée sera le premier « musée de site » consacré à la préhistoire en France. Il est aujourd’hui dirigé par Bertrand Roussel. FC
© J-Ch Dusanter
© J-Ch Dusanter
Intérieur du Musée, grand moulage du sol DM, 380.000 ans
Sculpture monumentale de Raymond MORETTI ornant la façade du musée, bronze, 1976
Bertrand ROUSSEL et l’Homme de TOTAVEL (Arago 21), 450.000 ans
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D'où vient-on ? Venant d’Afrique, l’homme arrive aux portes de l’Europe, il y a 1,8 million d’années. On le retrouve ainsi dans le Caucase en Géorgie. Puis, on suit sa trace en Espagne et en Italie du sud (vers 1,4 millions d’années), puis dans le sud de la France (un million). Ensuite, cet Homo erectus européen se « néandertalise ». L’homme de Neandertal disparait il y a 29.000 ans pour des raisons encore inexpliquées. Il est alors remplacé par l’homme moderne, ou Homo sapiens, également issu du berceau africain. © J-Ch Dusanter
Bertrand Roussel, tout feu tout flamme
Bertrand Roussel
35 ans Directeur de collection du musée Terra Amata Aime voyager immobile A l'image de l'entomologiste Jean-Henri Fabre, qui passa sa vie à observer de minuscules insectes, Bertrand Roussel aime voyager immobile, entouré de murs couverts jusqu'au plafond de centaines de tiroirs où sont classés des morceaux infimes de la vie aux temps préhistoriques - de l’os de mulot jusqu’au biface. C'est dans cette salle hors du temps que se préparent les 4 volumes de la monographie complète du site de Terra Amata, dont le premier sortira bientôt, et qui permettra de reconstituer et comprendre le mode de vie en ces temps lointains. Docteur en archéologie préhistorique, maitre de conférences, Bertrand Roussel est né à Marseille en 1974.
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Œuvre réalisée par un étudiant de la Villa Arson, Ugo SCHIAVI, 2008 pour l’exposition TAM FORTIS QUAMARDENS
© J-Ch Dusanter
Bertrand ROUSSEL devant une œuvre réalisée par une étudiante de la Villa Arson, Mlle Eun Yeoung LEE, 2008, pour l’exposition TAM FORTIS QUAMARDENS
De parents originaires du Gard, ayant vécu à Arles et Montpellier, Bertrand se sent pourtant niçois : s’il n’est pas très fan des voyages lointains, il aime approfondir sa connaissance d’une région qu’il a fait sienne. Par exemple en participant à la conception du guide « rando malin », aux éditions Mémoires Millénaires, sur le thème « comment faire des randonnées intelligentes sur la Côte ». Depuis son arrivée au musée, il essaie de rendre vivante cette époque. Par exemple en prenant le timbre comme prétexte : « L'idée de cette exposition était de raconter la préhistoire à partir de la collection de timbres de Pierre Cadenat. A chaque thème - les outils, l’art … - nous présentons les objets correspondant dans des vitrines : dent d’éléphant ou de mammouth, harpons ou pics… » Eclectique, Bertrand aime aussi l’art contemporain. Cette année, dans le cadre de Mars aux musées, il a travaillé avec des étudiants de la Villa Arson. Pédagogue et passionné, il a su les faire vibrer en leur expliquant la préhistoire. Après trois
jours d’explications et d’installation avec les étudiants, le résultat est là : tag et faux tags, moulages de bombes de peinture, réflexion sur le réel-non réel, parpaing symbole de l’immeuble qui enserre le musée, reconstitution impossible d’un bloc ayant servi à tailler des bifaces … de quoi méditer sur l'origine de l'homme. Surtout quand on sait que, si l’homme de Terra Amata a 400.000 ans, l’art n’a lui, « que » 40.000 ans ! Curieux de tout, Bertrand Roussel s’intéresse aussi à l’ethnologie ou à l’époque médiévale, aimant par dessus tout « croiser les disciplines ». Malgré son jeune âge, iI a déjà écrit plusieurs livres, dont « la grande aventure du feu » (chez Edisud, avec Paul Boutié) et même tout récemment « le briquet pneumatique ». Autant dire qu'il est devenu un spécialiste du feu : on le réclame désormais pour des communications et autres conférences sur ce thème. Le dernier livre en préparation promet d'être davantage coquin et décalé : surprise réservée pour la rentrée !
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biot
santer © J-Ch Du
devant échuret aurice Fr hagall, M C ée us ise au M Photo pr
de l’œuvre
PIA raire UTO ion tempo l’exposit
jus uer et Pe de Berdag BIANCA
, r e g é L d n a n r e F e é s u Le m toujours « moderne » BIOT
50 années d'une vie d'artiste… Près de 350 oeuvres dont de très célèbres comme la Joconde aux clés, les constructeurs ou le cirque. Sans oublier les mosaïques monumentales qui ornent ses façades : le musée Fernand Léger de Biot, récemment relifté, n'a pas pris une ride. Il faut redécouvrir l'art de Léger, moderne mais figuratif, puissant et efficace, qui s'adresse au plus grand nombre. Un régal…
«L
e paysan de l'avant-garde » : c'est ainsi qu'a pu être décrit Fernand Léger, si l'on se fie à son franc parler et à son physique robuste qu'il tenait d'un père éleveur. Né en 1881 en basse Normandie, il échoue à l'entrée des beaux-arts de Paris, devient dessinateur chez un architecte pour gagner sa vie, tout en s'orientant vers la peinture. Se posant contre l'Impressionisme, il construit peu à peu une oeuvre très structurée, cubiste d'abord puis unique en son genre, qu'on peut admirer dans son évolution, depuis les débuts en 1905 jusqu'à sa mort en 1955, dans le musée qui lui est consacré à Biot. Bâti par sa veuve Nadia sur une propriété achetée par l'artiste peu avant sa mort, il fut inauguré en 1960.
Un musée relifté à redécouvrir Musée Léger à Biot, musée Chagall à Nice et chapelle Picasso à Vallauris : trois musées nationaux pour l'art moderne dans les Alpes maritimes, c'est parait-il excep-
tionnel en France. Aussi Maurice Fréchuret, nommé à leur tête en juin 2006, a de quoi être satisfait. D'autant plus que deux d'entre eux ont été récemment rénovés, dont le musée Fernand Léger par l'atelier d'architecture de Marc Barani. L'architecte niçois, qui a reçu en février 2009 l'Equerre d'argent, a ouvert la façade ouest d'une baie vitrée, pour redonner de la transparence et offrir une vue sur le parc méditerranéen. A la demande de Maurice Fréchuret, il a également ajouté la salle d'expositions temporaires qui manquait, ce qui permet de conserver le premier niveau pour la collection permanente ; au total, 348 peintures, céramiques, gravures, dessins, bronzes, tapisseries. Aussi, depuis sa réouverture en juin 2008, le musée Léger possède désormais, des jardins redessinés par Philippe Déliau, un mobilier d'Eric Benqué et un personnel arborant des tenues signées Chacok. Le visiteur est toujours accueilli par plusieurs mosaïques monumentales sur trois de ses façades : des morceaux de bravoure
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Fernand Léger (1881-1955) Les Constructeurs, définitif, 1950, huile sur toile 300 X 228 cm. Donation Nadia Léger et Georges Bauquier 1969 au Musée Fernand Léger, Biot inv. MNFL 94001 © A.D.A.G.P.
magnifiques réalisées post mortem par le second mari de Nadia, l'artiste Georges Bauquier. Il lui reste bien d'autres sculptures délicieuses à découvrir dans le parc, dont la merveilleuse « Fleur qui marche ». A l'intérieur, l'oeuvre de l'artiste séparée en deux périodes : de ses débuts, avec par exemple un « portrait de l'oncle » remarquable jusqu'aux années 30 encore cubistes, où il tente de « peindre la vie moderne », et le monde du travail, à la recherche de l' « Esprit nouveau » cher à Le Corbusier. La deuxième période commence avec sa découverte de l'Amérique, en 1931, les années de guerre qu'il passa à New York
Une Signalétique Signée Léger En 2010, l'anniversaire des 50 ans du musée Léger sera l'occasion d'une grande exposition qui se prépare d'ores et déjà en coulisses. Aux commandes, Arnauld Pierre, historien de l'art et professeur à Paris IV-Sorbonne, qui a choisi l'angle original du « langage du panneau de signalisation ». Titre provisoire : « disques et sémaphores ». - « Le langage pictural de Fernand Léger, fait d'aplats géométriques, très efficace en terme de communication, est issu de l'esthétique des chemins de fer. Comme s'il avait étudié la signalisation rapide dont on a besoin dans une gare ou un port. » Arnauld Pierre, qui fait partie du comité consultatif du musée Léger, a écrit sur Fernand Léger une monographie de référence (collection Découverte de Gallimard), « peindre la vie moderne ».
Œuvre extérieure issue d’un projet créé par Fernand Léger en 1953 pour la Triénale de Milan, et repris par Heidi Melano en 1987-1989
puis son retour avec son implication dans le parti communiste : son fameux tableaux « les constructeurs » date de 1950. Et pourtant, comme le note Arnauld Pierre dans son « Fernand Léger », sans jamais
avoir voulu « modifier sa peinture pour s'adresser aux ouvriers » : l'artiste doit rester libre … de « produire un art apaisant et intérieur », qui doit être « le repos après le combat ». FC
Maurice Fréchuret, de la mine aux cimaises Maurice Fréchuret
60 ans Directeur des trois Musées du XXème siècle des Alpes- Maritimes Aime l'art vivant
© J-Ch Dusanter
Photo prise au Musée Chagall, Maurice Fréchuret devant l’œuvre de l’exposition temporaire UTOPIA BIANCA de Berdaguer et Pejus
Avec un père « mineur de fond » à St Etienne, Maurice Fréchuret n'avait pas un chemin tout tracé à l'avance. C'est dans les livres, et en « dialoguant », au sens profond du terme, avec un ami de lycée qu'il découvre l'art contemporain. Avec la chance d'être né dans la ville qui abrite « un des plus beaux musées d'Europe », qui s'appelait alors « musée d'art et d'industrie », mais possédait, déjà, une section art contemporain importante. D'où lui vient cette passion si précoce ? Nul ne le sait. Toujours estil qu'il prend très jeune l'habitude de visiter les ateliers d'artistes de sa région, n'hésitant pas à faire du stop pour aller voir musées et galeries de Lyon ou d'ailleurs. Il organise sa première exposition … à 18 ans, sans aucun moyen, en récupérant de vieux panneaux d'affiches électorales en guise de support ! Bientôt, le voilà inscrit en sociologie à la fac de Grenoble, se faisant livreur de fleurs, colleur d'étiquettes sur des bouteilles de vin, voire animateur socio-culturel le week-end pour financer ses études. Après la sociologie urbaine, il s'oriente vers l'histoire de l'art, et obtient un doctorat grâce à une thèse sur « Charles Maurin, artiste symboliste du 19ème siècle ».
Mais c'est en autodidacte qu'il s'intéresse à l'art du XXème siècle, car à l'époque, l'histoire de l'art s'arrête aux Impressionnistes : « J'ai toujours voulu vivre avec mon époque, j'aime l'art vivant ». Sa ténacité sera récompensée : après un épisode dans l'enseignement à l'école des beaux-arts de sa ville natale, il entre dans ce fameux musée d'art moderne, dont il sera le conservateur durant douze ans. Et son incroyable parcours ne s'arrête pas là : il découvre la Côte en 1998, pour prendre la direction du musée Picasso d'Antibes, avant de diriger quatre ans plus tard le très fameux CAPC de Bordeaux et sa collection « très contemporaine ». Pour revenir aujourd'hui « avec joie sur cette terre si fertile pour les arts ». Maurice Fréchuret a publié une importante collection d’ouvrages sur l’Art – le mot et ses formes, la machine à peindre, l'art en cause, l'art médecine … Sans oublier de nombreux articles dont les titres sont, à eux seuls, une réflexion sur l’art : « L’impossibilité de peindre, Du vide et du plein, Du rigide au flexible, L’écriture griffée, Le mou et ses formes, La machine à peindre, A l’épreuve de la lumière, Embrasser le mur, Jusqu’à Ecouter ce que dit l’oreiller … »
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galerie
C’est toute une vie où l’exception constitue l’ordinaire, une famille à la Fellini, un clan à la sicilienne, mais surtout une traversée du XXème siècle au-delà des mers, des hommes et de la légende…
Antonio Sapone : L’art contemporain ou la traversée du cœur
«J
e suis très attendri devant tout acte de création. Mais le rôle de la galerie c’est de faire le premier pas vers ce qui va rester dans l’histoire. aussi j’ai souhaité faire de ma galerie, une passerelle entre les artistes qui m’ont touché et les institutions ». Mission accomplie pour antonio sapone qui en un demi siècle après avoir quitté son île natale entre Naples et rome est devenu le collectionneur et galeriste que l’on connaît. Marchand d’art ? le mot écorche tant ce qu’il aime faire partager tient, plus du rêve, de l’amour, de la peur, bref de tout ce qui fait d’un créateur une sorte de demi dieu dont le talon d’achille serait la vie. ainsi plus qu’une référence dans le monde clos
de l’art, l’homme du grand large reste un repère (un second père) pour tous ces amis artistes qui œuvrent dans l’ombre de leurs ateliers avec parfois pour seule lumière, la chandelle vacillante du doute. Un ambassadeur qui a soutenu et continue de porter aux quatre coins du monde la parole délivrée par Picasso, Hartung, Magnelli, Giacometti, anna-eva Bergman, sonia delauney, Kijno, vivien isnard, Malaval et tant d’autres compagnons de route…
gaeta, l’île mystérieuse « Je suis né d’un père musicien au sud de l’italie, un lieu chargé de légendes ». C’est à Gaeta une presqu’île plantée d’oliviers et entourée d’eau qu’antonio sapone voit
le jour et passera son enfance. Un climat propice au rêve bercé par l’épopée Homérique. ainsi ce rocher érodé par les vagues qui a la forme d’un bateau « Chez nous ce rocher a une toute autre histoire. On disait que lorsque Ulysse faussa compagnie à Circée qui avait transformé ses marins en cochons, la sorcière le poursuivit jusqu’au rivage mais ne parvint à pétrifier qu’un seul de ces navires, celui qui devint ce rocher ». C’est dans ce golfe rattaché à celui de Naples offrant pour toute perspective d’avenir une ligne d’horizon que naîtront des générations de navigateurs « Je suis devenu l’un d’eux l’hiver, c était un désert et tous les jeunes n’avaient qu’une envie : partir comme le firent leurs aïeux en émi-
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Vivien isnard, peinture et pigments sur toile, 1986, 145 X 185
« tu vas te noyer avant même de commencer à nager » C’est grâce à Michel, ce beau-père dont la vie fut une aventure qu’antonio découvrira et s’imprégnera du monde de l’art pour ne plus jamais le quitter « Michel sapone est parti durant la guerre à split en Yougoslavie. tout en exerçant le métier de tailleur dès l’age de 17 ans il aida les partisans. sa rencontre avec sa femme date de cette
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la vie des arts
louis Chacallis, Honorable armure de l’esprit, 2000
« C’est une jungle, ils vont te bouffer en six mois »
grant vers l’europe ou les amériques pour chercher fortune ». C’est dans un des plus anciens instituts de navigation italien qu’antonio fera ses études et quittera le bercail à 18 ans pour y rentrer 4 ans après. Mais il officiera longtemps en tant que commandant de la marine marchande jusqu’à ce qu’il rencontre son épouse aïka. « Mon beau père était un cousin qui portait le même nom, un artiste dans l’âme natif du même village que mon propre père, Bellona à coté de Capoue »
époque ». la guerre termi- qui il avait portes ouvertes. il n’y avait pas née, le couple retourne à tu- d’enjeu financier, il n’a jamais vendu une rin. tout y étant dévasté, ils pièce, juste des rapports humains » C’est migrent vers la riviera fran- ce grand ami des artistes qui joua pour son çaise. « C’est à Nice qu’il beau-fils le rôle de passeur. Quand antonio connut à partir de 1948 tous vint se marier à Nice il décide de quitter ces artistes exilés au soleil ; et comme la la marine et d’ouvrir une galerie d’art. la plupart étaient alors sans le sou, ils échan- première personne qu’il consulte fut Hargeaient leurs oeuvres tung « tu vas te noyer contre les costumes qu’il avant même de comleur confectionnait » ses mencer a nager » lui répremiers clients : le gotha torque le peintre. Quant de l’art moderne, Magnelà Magnelli « C’est une li, Braque, Picasso, Miró et jungle, ils vont te boufbien d’autres. C’est ainsi, fer en six mois » Mais parfois au grand dam de comme antonio s’obstison épouse qui aurait préne, ils viennent lui prêter féré de quoi faire bouillir main forte. Hartung le la marmite que Michel conseille pour l’éclairage commença sa collection. de la galerie qui ouvre « Mais les amitiés qu’il lia ses portes en 1972. Pour durèrent jusqu’à la mort sa fondation antonio le explique antonio. a Nice, conseillera à son tour il a vécu de magnifiques plus tard « si je dois aventures humaines avec mes premier contacts Matisse ou Picasso chez alberto giacometti, Aïka Sapone, 1960 à Michel sapone. Par la
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Antonio Sapone, Jacqueline Picasso, André Villers, Expo Picasso, tôles découpées, 1986
suite tout le monde m’a reconnu, même si je n’avais fait aucune école d’art » explique le galeriste avant de poursuivre « Ma trajectoire comme celle de mon beau père me l’a prouvé. Nous avons tous une sensibilité plus ou moins exacerbée. Tout à chacun a en lui cet héritage qui lui permet d’apprécier l’art contemporain » Kijno n’était pas loin de penser la même chose lui, qui regrettait toujours que la peinture ne soit pas aussi accessible qu’un simple 33 tours.
Plus qu’une galerie, une famille d’artistes ! 37 ans plus tard toujours sise sur le boulevard Victor Hugo, la galerie Sapone en connexion avec les meilleures galeries italiennes, européennes, américaines et les musées est devenue une référence internationale au cœur d’expositions uniques. Bien qu’ayant un héritage que d’aucun pourrait envier, Antonio Sapone, n’hésite pas à prendre des risques en défendant les jeunes artistes qu'il aime et dont il suit l'évolution. « Ce que je fais à la galerie est un travail de fond. Certes, il y a peu de vernissages, les expositions temporaires ne représentent pas une finalité. Je préfère aider les artistes en achetant leur œuvres ou en leur trouvant des contacts avec des collectionneurs et des musées ». Aujourd’hui encore Antonio voyage beaucoup (cette fois en avion) de la Chine à la Russie, du Japon aux USA, pour présenter les artistes de la
Sonia Delauney, Antonio Sapone, Hans Hartung, Expo Sonia Delauney, 1975
galerie « Le travail n’est jamais terminé on fut elle toujours présente pour soutenir peut écrire l’histoire, s’appeler Magnelli, Antonio Sapone et sa famille même dans il faut continuer à montrer les œuvres, à les moments les plus difficiles. A 85 ans. les faire vivre ». Ainsi la galerie où il œu- Alors qu’elle était très fatiguée elle vint à vre maintenant avec sa fille Paola, est-il un Nice pour ce qui fut l’une de ses dernières lieu à part dans le paysage azuréen « c’est expositions. un endroit très humain, les artistes sont ici chez eux comme dans une grande fa- Retour au Pays mille. Je ne suis pas créateur mais nos vies C’est probablement pour toutes ces raise sont mélangées, nous partageons tant sons que l’homme qui a dédié sa vie à l’art de choses en commun » Vivien Isnard ne mais surtout à ceux qui le font a décidé de dira-t-il pas de son ami galeriste « Il est de revenir sur la terre de ces ancêtres de Gael’autre rive mais c’est le même cœur » Ainsi ta à Bellona pour y poursuivre son oeuvre. ce navigateur au long cours qui sillonna le « Bellona, c’est une terre très ancienne. Les monde avoue avoir découvert avec les ar- turcs, les grecs, les français sont passés par tistes d’autres horizons et des parcours de là, les traces y sont encore vivaces » Féru vie incroyables. Hartung qui s’est engagé d’histoire, il est intarissable quand on parle dans la légion étrangère et perdit une jambe en combattant les allemands. Kijno qui, né a Varsovie où son père était premier violon partit travailler dans les mines du nord de la France. Après avoir contracté la tuberculose il rencontra l’amour dans un sanatorium en la personne de Marie Louise Kerdavid hôtesse de l’air, la seule survivante du crash d’un vol Paris Londres. « Ce sont des vies qui ressemblent à de grands voyages, des personnes généreuses qui Centre Culturel de Rencontres Internationales, A et Aïka Sapone cultivent le sens de l’amour, de l’amitié » Ainsi Sonia Delauney
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Photo prise lors de l’exposition « œuvre récente » à la galerie sapone, avec Hantz Hartung et antonio sapone, 1989
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alberte garibbo, Construction mentale, Koan i, peinture sur toile, 2007, 120 X 120
Ce sont des vies qui ressemblent à de grands voyages, des personnes généreuses qui cultivent le sens de l’amour, de l’amitié.
en haut : Photo du monastère, 1985 dessous : Photo du monastère restauré, 2008
du pays, plus pudique comme peut l’être l’homme de la terre quand on évoque ses sentiments. Mais antonio finit par s’ouvrir « a Bellona j’ai créé un centre culturel car ma conviction est qu’en italie comme en France nous avons une sensibilité du beau que l’on contracte au quotidien via l’architecture. Mais si pour l’art contemporain le Nord est gâté, au sud il y a toujours eu un manque. sans musées, ni galeries d’art moderne la rencontre entre le public et les artistes ne peut pas avoir lieu ». et pourtant le créateur y est considéré comme un être d’exception, le respect de la culture du passé inscrit dans les gènes. alors pour pallier à cette lacune, il ouvre en 1990 une fondation au milieu d’un désert. l’image est belle, tout un symbole. Ce carrefour d’échange est devenu un lieu vivant où scolaires, néophytes, et amateurs éclairés viennent aujourd’hui en nombre « en italie on commence très vite à parler d’art mais nous n’avons pas facilement accès aux œuvres. alors ce lieu avec ses expositions didactiques a fonctionné rapidement » après
avoir construit un centre d’art tout neuf pour parler du passé, il a souhaité ériger, non loin de là, un autre lieu tourné lui vers l’avenir dans un monument du passé. J’ai acheté et restauré un monastère sur la colline dont la première pierre remonte aux croisades ». en effet, après maintes péripéties, cette chapelle devenue monastère tomba en ruine pendant l’assaut de Monte Cassino. aujourd’hui antonio reconstruit ce site de mémoire pour en faire des ateliers d’artistes. abriter ceux qui parfois œuvrent dans des conditions précaires ? Peut-être s’est-il souvenu de robert Malaval, un jeune artiste qui compta beaucoup à ses débuts et dont la toile « Poussière d’étoiles » est encore accrochée aux cimaises de la galerie « C’était un écorché vif dont l’œuvre visionnaire a inspiré d’autres artistes. Malaval était volcanique, il vivait à cent à l’heure sa vie nocturne dans un petit local et lorsqu’un ami lui laissa son grand atelier ce fut un moment de grâce. l’annonce de son suicide fut un choc, j’en ai souffert beaucoup aujourd’hui encore il me manque » conclut antonio sapone, un homme de coeur et de talent qui semble mener son combat pour l’art et traquer ses rêves au-delà des cimaises de la galerie. Une galerie, un pan de vie aujourd’hui nourri par la sensibilité de sa fille, Paola qui vient de reprendre avec la même passion, le flambeau. Om
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Mona di Orio : Parfum de rêve !
«J
e me souviens de toutes ces odeurs, du jardin à la forêt, la vigne, les kakis. Mais le bouquet final c’était lorsque l’on a arrosé au soir les géraniums. J’entend encore la terre crépiter avant d’exhaler toutes ses senteurs » C’est dans la maison du Pradet de ses grands parents que Mona née à annecy fait ses premiers pas sur le chemin qui la mènera à « son royaume des odeurs » elle a tout juste 5 ans lorsqu’elle écrase des citrons et des roses « Papa Meilland » dans l’eau d’un carafon « juste pour voir ! » Pouvait-elle alors se douter que son destin allait être mené par le bout du nez, que ce jeu d’enfant pouvait être un métier ? « a l’époque on ne parlait pas de tout ça, c’était top secret. Quand je rentrais dans une parfumerie avec ma mère, je me faisais toute petite » et si aujourd’hui, Mona di Orio ne passe plus inaperçue dans ces maisons bourgeoises c’est que ses propres créations y côtoient celles de Chanel ou de Guerlain. Une success story ? le fruit de la passion cueillit en quelques coups de dés et coups de grâce !
au jardin suspendu son bac de lettres en poche, traquant le parfum, des paradis artificiels de Baudelaire à Huysmans,
de la philosophie à la sociologie, Mona présente le concours d'entrée à l'école Givaudan. admise directement en seconde année, elle se voit pour des raisons de quotas migratoires refouler au dernier moment ! Mais notre petit rat de bibliothèque et des champs ne s’avoue pas vaincu. Comme Jean-Baptiste Grenouille, elle mise sur la Mecque du parfum. Mais à Grasse on lui fait savoir « qu’il faut avoir fait chimie ou que pour être nez, il vaut mieux être bien né ! » elle écrit alors à edmond roudnitska. Une autre bouteille à la mer ? le maître parfumeur du 20e siècle qui créa diorela porté par sa maman et eau sauvage, le parfum de son père, lui adresse en retour quelques beaux ouvrages épuisés ainsi qu’une invitation à visiter sa tour d’ivoire à Cabris. entre l’apprentie de 17 ans, enflammée et gracile comme un modèle de Modigliani et l’expert, le courant passe. le célèbre parfumeur l’aide à trouver des stages alors qu’elle revient des Beaux-arts de dijon pour se diriger vers un cursus « art, communication et langage » à Nice, puis il s’ouvre à elle « Mes jours sont comptés, je vais vous transmettre mon savoir ! » Mona tombe des nues. le conte de fée commence ! entre le parc aux effluves rares et l’atelier de l’alchimiste elle apprend pendant trois ans l’art de réanimer les paradis perdus en recréant le parfum des fleurs « comme aux Beaux arts en travaillant d’après modèles vivants ». en alternance, elle aigui-
p a r fu m e u r
La vie des arts
Il fait corps avec la peau depuis des lustres, on l’a vu récemment se glisser dans les pages d’un best seller puis envahir les salles obscures. Du jardin d’Eden à ceux de Babylone, pour Mona di Orio, il y a longtemps que le parfum règne en maître sur nos sens ! se son nez : cours d’œnologie, stages chez les chefs étoilées. Elle rencontre Ducasse au Louis XV qui lui demande de coordonner la réalisation de son livre, puis Serge Luttens, alors directeur de création chez Sisheido qui lui apprendra « à cultiver sa différence »
De Lux à Chamarré A la disparition de Roudnitska en 1996, Mona demeure au nid d’aigle grassois. Elle y gère les achats de matières premières quand un designer hollandais, Geroen désireux de créer des parfums d’ambiance pour les hôtels la contacte. Mais après avoir senti sa première création « LUX » il lui propose de l’aider à financer une ligne de parfums qu’elle choisi en hommage à son autre passion de sceller d’un muselet de champagne. Les bouchons sautent pour Mona, nous sommes en 2005 ! A ce premier jus inspiré « du citron sicilien que l’on tranche au couteau », deux autres suivent « CARNATION » un nom délicieusement désuet pour un floral royal « rétro et suave, une sorte de lait de lys à la mémoire de Collette » puis OIRO « Une ode au jasmin en plein été, comme un sultan avec toute sa cour ! ». Mais c’est un troisième cru qui lui vaut d’être sacré en 2006 nouveau nez par la presse britannique. « NUIT NOIRE » est dédié à Serge Luttens qui, à l’instar de Flaubert s’enivra d’orientalisme. « C’est un retour d’Afrique, épices, musc, orange, ambre…il est feutré et hot steamy comme les hammams ! » Mona qui réside à Nice depuis 20 ans a installé son atelier à domicile. Tout en dégustant la littérature britannique avec les grands vins français, elle se laisse porter par les fragrances du sud « le parfum c’est de l’émotion pure, une part de vie dérobée au temps. Les miens sont à facettes, sans age, ni sexe, voilà les anges ! J’aime que chaque peau puisse se les approprier pour raconter sa propre histoire » Comme un livre de chevet ? Quoiqu’il en soit cette fugace intimité la créatrice souhaite la préserver et se refuse ainsi à inonder le marché. Ces précieux flacons sont vendus uniquement chez les parfumeurs de niche. Paris, New York, Milan, Berlin, Dubaï, Cannes, … 70 enseignes sur le globe. Après avoir créer Amitys « Mon jardin de Babylone inspiré d’une ballade sur les canaux d’Amsterdam » son dernier bébé vient d’être lancé. « Chamarré » porte bien son nom c’est une passerelle entre couleurs et odeurs,
reflets et textures « comme un prisme chatoyant autour de l’absolue Rose turque, que j’ai voulu soyeux et chaleureux ». Mais avant ce baptême, Mona Di Orio a apporté son soutien à une association caritative hollandaise en offrant une création exclusive dont les ventes participeront au financement de dispensaires en Afrique pour les femmes et enfants atteints du sida. Car le parfum, pour cette gourmande de sensations n’est pas un oiseau rare que l’on met en cage mais un rêve d’éternité à partager, un trésor que l’on a pas fini de chercher. OM Site internet : www.monadiorio.com
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tHéâtre
Hélène Delrieu-Cruciani, marionnette Bunraqu, 2006.
Arketal : G Langue de bois arKetal est une compagnie à géométrie variable explorant les confins de l’art de la marionnette. dans son atelier cannois une vingtaine de créations ont déjà vu le jour depuis près de 20 ans jouant à saute mouton avec les langages, les rites et les disciplines artistiques.
reta Bruggeman et sylvie Osman, deux des fondatrices d’arketal se croisèrent en 1981 à CharlevilleMézières ; drôle d’endroit pour une rencontre ? Non, car la ville industrieuse est aussi la Mecque des marionnettistes explique Greta « Nous avons essuyé les plâtres de l’institut international de la Marionnette, arketal est d’ailleurs un sorte d’anagramme des noms de nos professeurs ». Un centre qui délivre une formation internationale car ce spectacle vivant fédère en France plus de 300 compagnies sous l’égide de l’association tHeMaa. le théâtre de marionnettes, à l’origine des figurines manipulées en temps réel par des marionnettistes prend racine bien avant le théâtre avec comédiens. On retrouve ses traces en amérique du sud sur des bas-reliefs de 400 et 900 après J.-C. les peuples primitifs s’inspiraient déjà de sculptures animales ou de totems parés de pouvoir magique pour représenter les moments forts de la vie tribale. et chaque pays a connu son âge d’or, fait de rites et de héros. Guignol en France, les Pupi en italie (grandes marionnettes siciliennes en bois), le Bunraku au Japon où elles sont le fer de lance dans l’enseignement des vies de Bouddha. aujourd’hui la discipline a investi d’autres formes d’art, comme le théâtre ou la danse « Une de nos collègues emilie valantin du théâtre du Fust à monté cette année un spectacle à la comédie française, Philippe Genty tourne dans le monde entier. il est passé par le in du Festival d’avignon qui s’est ouvert l’an dernier par une relecture des Paravents de Genet pour marionnettes et acteurs. Cet été nous nous y produiront aussi avec les verticaux avant de rejoindre le festival de Charleville-Mézières ».
Sans fils
« Oiseau migrateur » Festival Hidra en Grèce, 2004
l’interaction entre acteurs et marionnettes, la recherche graphique et littéraire, c’est le credo d’arketal depuis son installation sur la Côte en 1984. en 1990, la ville de Cannes leur propose un atelier de travail puis en 1997, signe avec elle, une convention. en dix-neuf ans, arketal a créé une vingtaine de spectacles, participé à de nombreux festivals (dont Made in Cannes) et tourné à travers la France et l'étranger (allemagne, suède, suisse, Cameroun, espagne, tchad, thaïlande...) Greta se souvient des premiers pas « dès qu’on a posé les valises ici un de nos professeurs nous a invité à collaborer sur un projet d’échange
théâtre
La vie des arts
Et les artistes contemporains jouent le jeu ... En fait ils sont tous ravis de voir leurs personnages s’animer en 3D
Greta entre 2 marionnettes de pygmalion de Bertrand Shaw et dessin de Théo Tobiasse, 1992
entre l’Asie et l’Europe. On a eu la chance après l’école d’apprendre le métier avec lui à Stockholm pour les répétitions puis en Thaïlande où nous avons rencontré musiciens et danseurs » Depuis les rôles sont repartis. Greta travaille à faire des figures nées sur dessins ou peintures, des « Matières à vivre» jouant avec les matériaux, incorporant organes vitaux au cœur du sujet « Comme nous évoluons en petite équipe nous n’utilisons pas les fils qui requièrent un manipulateur par personnage ». Les marionnettistes étant souvent visibles Arketal puise parfois au sein de l’ERAC* un vivier où Sylvie Osman intervient lors d’ateliers. Sylvie, c’est la comédienne de la Compagnie. En dirigeant la marionnette, prolongement de sa main, elle insuffle la vie au corps inerte qui devenant symbole incarné de notre condition joue à plein son rôle de passeur d'émotions. Mais la limite est parfois plus opaque « Ariane Mnouchkine a créé un spectacle où tous ses acteurs sont manipulés comme des marionnettes par d’autres acteurs. Parfois on ne sait plus qui est humain ou pas ».
De la vie des marionnettes Arketal monte ses spectacles en glanant l’inspiration au fil de ses rencontres « D’abord on choisit le texte puis un plasticien qui intervient sur le langage visuel en concevant personnages et décors ». Le premier spectacle fut « Les trois mousquetaires ». D’autres adaptations de classiques suivirent comme Antigone ou Pygmalion mais Arketal fait plus souvent appel à des écrivains vivants. Fabienne Mounier pour « Les Verticaux » et le fidèle Jean Cagnard qui participa entre autre à « Bout de bois », une réinterprétation de Pinocchio « Nous collaborons aussi avec des auteurs de la chartreuse d’Avignon, un centre d’écriture pour le spectacle » Arketal investit également avec des plasticiens sa recherche sur la figure marionnette. Depuis le début du 20ème siècle celle-ci est devenue un nouveau langage
dans la quête des formes abstraites s’animant entre les mains de Paul Klee, Calder ou Fernand Léger. « Le Musée national Fernand Léger de Biot nous a commandé un spectacle inspiré par l’artiste qui en 1834 dessina ses propres marionnettes boxeuses ». Et les artistes contemporains jouent le jeu : Marius Rech, Théo Tobiasse, Rolf Ball, des illustrateurs tels Martin Jarrie et pour « Les Dessin de Martin Jarrie pour Pinocchio dans Verticaux » Wozniak, « Bout de Bois », 2005 peintre polonais et dessinateur au Canard enchaîné « En fait ils sont tous ravis de voir leurs personnages s’animer en 3D» Des expositions itinérantes (l’an prochain en Israël) dévoilent régulièrement ses créations exclusives. En 2005, « Toucher du bois » rassemblait à Cannes 40 pantins enfantés par des plasticiens dont Ben, Alocco, Moya, Jean Mas, Eusébi, Virginie Broquet ou Frédéric Lanovsky. Alternant spectacles pour adultes et pour enfants, Arketal (trois permanents suppléés par une dizaine de collaborateurs) n’a de cesse de faire grandir la marionnette. Un art complet qui inspira Alfred Jarry pour son Ubu roi mais aussi Fellini et Bergman qui enfants, créèrent leur propre théâtre de chiffons. Ainsi pour que perdure la magie, la compagnie propose des ateliers d’initiation, de formation et d'échanges autour des techniques de construction de cette figure allégorique, le plus vieux compagnon de l’humain. OM
*Ecole Régionale d'Acteur de Cannes
Marionnette modèle, de Greta Bruggeman
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MOde & création
Corinne Reinsch Eco-Glam Versus Bling bling ! Un arbre à bijoux, une bague « silence » en boule Quies de la SNCF, une parure de corps végétale, une autre en muselets de champagne, Corinne Reinsch est-elle styliste, plasticienne ou une ecocitoyenne surdouée ?
©Fabrice C.
Détail, robe réalisée avec 1200 muselets usagés
Robe réalisée avec 1200 muselets usagés
O
n connaissait la femme chocolat d’Olivia Ruiz voici la femme champagne de Corinne Reinsch, une égérie aux confins de la mode, de l’art contemporain et du récup’ art vêtue de 1200 muselets scellant le cru le plus agité d’une planète en surchauffe. Cet assemblage d’anneaux de fer compressés, clin d’oeil aux robes métalliques de Paco Rabanne, c’est l’une des dernières création de cette styliste résidant à Nice dont l’engagement en terme de développement durable n’a d’égal que son amour des matières naturelles ou industrielles, nobles ou déshéritées
Antiquités et vie au grand air Native de la Moselle et cadette de trois sœurs, Corinne, se souvient d’avoir toujours été « perchée dans les arbres » histoire de voir le monde d’en haut ? Car tout n’est pas rose au pays de la houille « Mon père qui était musicien nous a quitté alors que nous étions
enfant dans un accident. Aussi notre mère n’a pas vu d’un bon œil s’exprimer notre sensibilité créative qui lui rappelait trop son défunt mari ». Alors Corinne quitte à 18 ans le bercail pour s’en aller suivre à Bordeaux des études littéraires tout en travaillant chez un antiquaire. C’est là qu’elle débute une collection de boutons et de galons. Des objets qu’elle inclura d’abord à ses premières céramiques puis à une série de bijoux déclinant matériaux détournés, végétaux et pierres semi-précieuses. Etant la seule sur ce créneau, ses créations sont remarquées par le couturier Olivier Lapidus qui lui confie la réalisation d’accessoires pour ses défilés. La brèche est ouverte, Corinne qui a gagné la capitale s’y engouffre et la voilà en 1989 au Salon des indépendants « Le Grand Palais, le grand départ ! » Oh pas pour les antipodes ! Une vie de château repartie entre la campagne parisienne et le Luxembourg. Elle emménage dans un domaine du XVI ème siecle du Val’Oise. « 10 ans de pur
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tous ses bijoux, à l’image des ornements tribaux, se parent d’une aura sentimentale
Détail, robe COCO, réalisée à partir de cacahuètes dont le collier apéritif se grignotte.
Des centaines de noyaux de fruit et graines (dont certaines cultivées Bijoux de porte, réalisés par le public au sein dans son jardin) larmes de job, orde l’association ARTSENS pour le Projet Perle, à but humanitaire chidées séchées, drisses, plumes, filins de pêche, crins de cheval, bonheur au coeur d’une grande passementeries, tessons de verre, famille communautaire ». Une pélapis Lazuli, etc… Un inventaire Profusion de bijoux crée par l’artiste et réalisés à partir de matières recyclées riode durant laquelle elle s’occupe à la Prévert qu’elle assemble et (chambre à air de vélo, joint de robinetterie...) d’un jardin de 1 ha, fait des excoud pour réinventer ses accessoipositions dans des écuries et des res de mode « Je n’utilise pas de rencontres déterminantes. Au jardin de Victor Renaud, au salon colle, c’est industriel, et cela me permet de proposer des pièces « Entre campagne et jardin » de Noémie Vialard (tous deux journa- recomposables, personnalisées et plurifonctionnelles » Une collistes à Rustica) à « Couleurs et saveurs d’automne » de Monique lection en trois versions, Couture, Tournure (mélange de matières) Petit, championne d’ikebana. Elle y croisera Patrick Blanc à l’ori- et Nature qui intègrent toujours l’âme du passé, « certains clients gine des murs végétaux mais aussi J.P Koffe, ou Carole Bouquet souhaite parfois inclure leur propres reliques ou objets fétiches ». qui gravitent dans ce milieu de doux dingues « où certains arrivent Ainsi tous ses bijoux, à l’image des ornements tribaux, se parent en tracteur avec d’énormes citrouilles de 2m » Corinne explore d’une aura sentimentale ». Des valeurs qui comptent dans la déalors les matières végétales, initie des procédés de solidification marche de celle qui aime à dire « Tout être humain porte en lui un par métallisation afin de réaliser « une collection de fragiles » avec précieux grain de sable » Cette approche humaniste anti « fashion du persil, des feuilles d’érables ou de ginkgo biloba. Et chaque victim » l’a incité à créer « Artsens » une association d’artistes qui été, durant 10 ans, grâce à un poste d’ambassadrice d’artistes organise des ateliers en faveur du recyclage et vient de s’associer français elle créera des expositions dans les châteaux classés de avec « Nature et découverte » mais aussi des ventes d’oeuvres la vallée et commencera à vendre ses créations à une clientèle au profit de causes humanitaires. C’est ainsi qu’en récoltant des fortunée. Une clientèle qu’elle retrouve en 2001 lorsqu’elle décide bouchons pour « France Cancer » Corinne a accumulé des tonnes de se rapprocher du Sud et propose aux Palaces comme la Voile de muselets « Comme c’était la seule chose non recyclable j’ai d’or une ligne de bijoux s’harmonisant aux collections présentées imaginé la robe champagne » Une parure de corps qui vient rejoindans leurs vitrines. dre 12 autres végétales ou en matériaux recyclés. De quoi séduire l’organisateur du salon « Planète durable » à Paris qui l’a invité en Cap sur le Récup’ art ! mars dernier à créer une vitrine de design éco responsable sur Avec le nouveau millénaire son travail « entre en collusion » avec le stand de Nelly Rodi, un bureau de style, conseiller auprès de des courants socio culturellement porteur : le recyclage, la custo- 1000 clients dans le monde. Et depuis les projets se bousculent. misation, le Land art (elle réalisera 6 installations à l’arboretum du En mai ce sera le salon du bijou d’art à Mougins, en juin l’Eco Roure pour le collectif No-made) l’éco-citoyenneté et l’amazone Festival près de Dijon, en 2010 le Carrousel du Louvre… Corinne attitude venant rajouter du sens à son engagement. Mais Corinne Reinsch ne se ménage pas pour mettre sur de nouveaux rails la qui se fit à son instinct a devancé la vague comme en témoigne féminité du 21ème siècle, un glamour écologique qui sonnera le dans son atelier près de la gare du Sud, son trésor de corsaire : glas de l’ère Bling bling ? OM
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artiste
Martin Caminiti passe le plus clair de son temps à mettre en apesanteur notre univers domestique : vélos, aspirateurs, cannes à pêche, cintres…. Se jouant des codes y compris de ceux de l’art contemporain, inclassable, insaisissable, fluide comme l’air, il délivre son message en quelques lignes…dans l’espace
i t i n i m a C e u o en r e r b i l
Détail d’une œuvre en constrution, 2009
© J-Ch Dusanter
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artin Caminiti est directeur de la villa thiole. le reste du temps, il travaille dans son atelier à la Halle spada à mettre en forme d’étonnants objets qui prennent racine dans notre présent et la tangente en quelques tours de roues. Pêcheur par son prénom, cycliste « chemin faisant », Caminiti est né en Calabre (taurianova) en 1959 ce qui lui vaudra plus tard de se voir refuser une exposition en italie du Nord. Mais c’est une autre histoire. la sienne commence à roquebrune-cap-martin où il débarque à trois mois avec sa famille. enfant il joue du coté du cabanon le Corbusier. ado il passe son CaP de menuisier. après la villa thiole, il intègre la villa arson. en cinquième année, alors que l’on aborde la question du socle dans la sculpture, Martin décide de retourner « roue de bicyclette » l’œuvre clé de Marcel duchamp qui représente une roue sur un tabouret « la roue est devenue alors socle avec l’illusion d’un déplacement possible et le tabouret sculpture. Ce fut mon premier détournement mais surtout un pied de nez à une interrogation qui n’a jamais été la mienne car j’ai toujours appréhendé l’objet comme un matériau poétique plutôt que comme un concept ».
© J-Ch dusanter
Du dessin dans l’espace le mot est lâché « poésie », un de ces termes tant galvaudé. et pourtant, il semble mieux que tout autre définir son travail comme l’émotion qui se dégage de ses œuvres atemporelles, qui détournent par le langage des formes (ou signes) le quotidien du droit chemin. avec la plupart des grands créateurs italiens léonard de vinci en tête, Martin Caminiti partage le sens du placement dans l’espace. Partagerait-il aussi un don pour le design ? l’autre sport national des italiens après le totocalcio. Par essence, non ! excepté si l’on veut bien parler de « design inutile ». Un illogisme qui conviendrait à ses oeuvres aux courbes rondes et avenantes mais privées de vertus pratiques, sublimes par leur subtile incongruité ! Car le seul lien que les OvNis de Martin gardent avec leurs origines manufacturés (aspirateur Cadillac, mobylettes Ciao) c’est les pièces que leur prélève l’artiste et qui une fois ré-assemblées avec d’autres offrent un « organisme » flambant neuf propice au rêve éveillé. docteur Frankenstein sommes nous en présence de ready-Made ? Non, car les figures libres de Caminiti naissent sur le papier et renaissent une seconde fois dans leur version en trois dimensions. Mais jamais elles n’auront cessé de tracer (tisser) leurs lignes dans l’espace telles d’insatiables arachnides ? d’ailleurs n’ont-elles pas parfois l’allure d’étranges insectes, ces sculptures hyperdoués à capter l’énergie ? l’artiste s’en explique « Je dessine dans l’espace plus que je ne sculpte. après c’est un travail d’assemblage inspiré de volumes. C’est ainsi
que j’ai eu recours aux cannes à pêche. leur forme graphique est idéale pour passer du trait à la 3d. Quant à la roue en tant que cercle, c’est un point qui revient sur lui-même » Guère étonnant que l’on ait pu dire de cet artiste qu’il conviait le spectateur à rentrer dans une feuille à dessin.
« Par quel mystère ça tient en l’air ces deux hémisphères ? » Mais au-delà de la mécanique du rêve les sculptures ont pris corps. a Nice, on a pu les contempler dès
en haut à gauche : série Fata morgana dessin oculaire - 2008 mine graphite et technique particulière 42 x 32,5 cm ( 30 x 20 cm ) en haut à droite : anamorphose - 2006-2008 Crayon graphite sur papier 65 x 50 cm séries ci-dessus : Dessin sur rodhoïd - 2005-2006 rodhoïd sur papier - 65 x 50 cm
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« L’objet ne doit pas être dans une immédiateté de reconnaissance et ne doit jamais mourir. La poésie n’a pas de date de péremption. »
© J-Ch Dusanter
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Dessin déjanté - 2005 Roue de vélo, driss de nylon 61 cm de diamètre
Le Vent l'emportera 2 (détail) - 2006 Métaux divers, fibre de verre, pigment 80 x 35 x 22 cm
1989 chez Lola Gassin, plus récemment à la galerie Pastor, au Château de Carros, à la galerie des Ponchettes. Elles partiront à Nuremberg en juillet dans le cadre du jumelage avec la ville de Nice mais investiront d’abord Monaco en juin, préfaçant ainsi le départ du Tour de France. « Dans mes expos je voudrais mettre un carnet où chacun pourrait raconter une anecdote sur le vélo. C’est universel, de Shanghaï à Budapest tout le monde se souvient d’une chute ou d’une balade inoubliable » C’est en deuxième année à la Villa Arson, que Martin commence à imaginer ses sculptures à la pulpe d’objets recyclés. Il a toujours bricolé, des radios, bicyclettes, plus tard des voitures mais pas sa Kangoo, toujours en panne et dont les voix demeurent impénétrables « De nos jours tout est jetable, plus rien ne se répare » regrette-t-il. Mais sa formation de menuisier reste un atout pour couper, façonner, souder, percer, visser dans des pièces qu’il chine ou achète souvent neuves. Quoiqu’il en soit aucune n’est datée. Toutes sont décapées et repeintes. Martin leur donne une seconde vie comme un second pedigree « L’objet ne doit pas être dans une immédiateté de reconnaissance et ne doit jamais mourir. La poésie n’a pas de date de péremption. Aussi je choisis toujours du matériel de qualité qui peut résister au temps » Quant à l’interprétation que l’on peut faire de ces œuvres atypiques elle est sans fond. Pour sa part il avance quelques repères : l’arrêt sur image hérité du Futurisme italien de Marinetti et Boccioni, calabrais comme lui. Un courant esthétique qui fit entre autre la synthèse des mouvements d'un cheval en course. Mais d’autres pourront voir dans son travail le décalage dont se repait le burlesque minimaliste
de Jacques Tati, lui aussi grand consommateur de cycles et de confort moderne. Quant à la musique de Sati faites de contrepoints espiègles elle entretient une parenté avec son univers ludique et rayonnant
«Dessin sans frein» - 2006 - Freins, à disque, bois - 25,5 x 25,5 cm
« Lors de mon expo au musée national du sport une fanfare y a joué du Satie. J’aime ce compositeur pour son coté mécanique » et dont les titres évoquent ses œuvres. Quelle distance sépare les « gymnopédies » de l’une des « anamorphoses » de l’autre ? Et puis il y a Roland Topor, le retour aux origines ! « Le dessin, avoue Martin, j’ai très envie d’y revenir pour explorer encore plus en profondeur mon imaginaire » OM
ARTI S TE
Dessin a la chaine Installation dimensions variables
Ronde-bosse - 2008 Installation - Cordes à piano dimensions variables (180 x 240 x 40 cm)
Ronde-bosse - 2008 Installation - Cordes à piano dimensions variables (180 x 240 x 40 cm)
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céramique Tube « Par chemin », terre engobée, monocuisson 59X11
« Payssage », acrylique 80X80
Le bonheur dans le hasard, c’est la définition du Raku, une des techniques d’émaillage que Teresa Spina explore depuis qu’elle s’est installée à Cap d’Ail. Une ville qui joua le rôle de révélateur dans son parcours fusionnel d’artiste céramiste.
Teresa Spina Terre en vue !
« Stelle pour horizon », terre engobée et fer monocuisson 44X48
N
ée de parents immigrés calabrais, Teresa, après avoir transité par la Lozére et la Gironde pose ses valises sur la côte d’azur il y a quinzaine d’années. Et si elle fut assistante sociale dans une autre vie « pour ne pas contrarier des parents effrayés par le simple mot de Beaux arts », elle renoue au sud avec ses premières amours « J’ai traîné des toiles inachevées pendant longtemps. En arrivant à Cap d’Ail, la première chose que je fis fut de m’inscrire dans un atelier de peinture et de suivre des cours de sculpture ». Et la passion longtemps refoulée finit par faire céder la digue. Comble de l’ironie, à l’origine de ce mini séisme : La terre « Je suis repartie en larmes de mon premier cours, je ne m’attendais pas à vivre une tel choc en manipulant l’argile ! ».
Le bonheur dans le hasard Une sorte de renaissance qui fait que Teresa commence à travailler « sur un tabouret de 50 cm2 » dans sa cuisine. Mais la soif de rattraper le temps perdu est si forte qu’elle sollicite Claude Rosticher « Je lui ai dit, c’est urgent je suis en train de mourir, il faut que je fasse quelque chose de mes deux mains ! » L’homme qui dirigera pendant prés de 20 ans l’école d’art plastique de Monaco lui permet d’intégrer l’établissement en auditeur libre, sa tranche d’age ayant dépassé celle des jeunes étudiants Teresa touche à tout, gravure, reliure, céramique jusqu’à ce qu’une autre rencontre la mette sur la voie. Daphné Corregan professe alors au Pavillon Bosio « C’est une grande artiste américaine spécialiste du Raku coréen, que l’exploration de la matière a amené jusqu’en pays Dogon en Afrique ».Sur les conseils de cette dernière, Teresa multiplie les stages auprès de sculpteurs émérites. Et les portes s’ouvrent « Du moment où j’ai rencontré l’argile, tout s’est accéléré. Les rencontres que j’ai pu faire ont fini par avoir raison de ma crainte à franchir le pas ». Ainsi la municipalité de Cap d’Ail lui propose d’assurer des cours d’initiations à l’art plastique à l’école primaire « La commune a été retenue dés 1995 a titre expérimental dans le cadre du dispositif ARVEJ inspiré du modèle d’enseignement allemand. Le matin était consacré aux disciplines générales, l’après midi aux sports et aux activités culturelles » Teresa propose alors au maire de Cap d’Ail, Xavier Beck de créer
Façonnage tube « Par chemin »
des ateliers de modelage céramique. Au terme du projet qui durera trois ans, l’atelier sera maintenu. Aujourd’hui Teresa mène de front plusieurs activités. A Cap d’Ail elle continue de dispenser ses cours à l’école André Malraux et de diriger un atelier de céramique ouvert à tous « Une formule qui a fait des fidèles». Elle se rend également à Menton où Jacqueline Verdini, artiste et élue à la culture de la ville lui a confié des cours à l’école municipale d’art plastique
« Je fais des tubes ! » Le reste du temps, elle le consacre à ses créations. Après des travaux axés sur la matière qu’elle tritura, jusqu’à l’accident, la déchirure, elle s’intéresse à des formes plus épurées « En m’apaisant, je vais vers l’essentiel » Et au bestiaire tourmenté des débuts, suit une étrange smala, une famille épousant la forme de cactées. La symbolique de la lune et du soleil, la notion de masculin et féminin participe à sa recherche. Son travail actuel : « Des couples symbolisés par des hautes cheminées très tendus, liés par des petites passerelles sur fond de monochrome bleus et gris béton » Ce cheminement vers un graphisme dépouillé est né voici un an « J’avais des toiles et des tubes d’acrylique noire qui traînaient. J’ai ressenti une forte envie de peindre avec une piste : le noir et blanc. Je me suis mis alors à faire des ponts tout en travaillant des motifs d’empreintes via la gravure » Ainsi naquirent ces long cylindres où les aplats de couleurs et des signes/traces évoquent une calligraphie ou des paysages vus du ciel avec des rythmes de couleurs renvoyant à l’univers de Miro ou Klee, empruntant par-
céramique « Empreinte », acrylique 80 X 80
Assemblage sur couple
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« Payssage 2 », gravure et collage 33 X 35
fois les pistes du « ready made » de Rauschenberg. « Je ne travaille jamais sur croquis, je me laisse guider par le contact de la matière. Ce n’est qu’ensuite que les choses se révèlent et que la vient la réflexion » explique l’artiste qui préfère laisser parler son subconscient. Et quand on lui demande ce qu’elle fait aujourd’hui, elle répond en riant « Des tubes ! » Cette nouvelle obsession, une nouvelle étape dans sa quête ? « Mon travail est de plus en plus léger, la blessure a disparu. En allant vers le Sud Est je me suis rapprochée de mes racines italiennes. C’est peut être cela qui m’a permis d’aborder avec plus de sérénité ma pratique ». Un talent de céramiste à découvrir du 5 au 22 juin au Château des Terrasses à Cap d’Ail.
Cap d’ail, cap culture Pour Xavier Delmas, adjoint à la culture de Cap d’ail « Cette exposition n’est qu’un juste retour des choses. Teresa Spina est un artiste accomplie qui a tant fait pour la ville et ses enfants. Cet effort d’ouverture aux arts plastiques amorcé voici 14 ans via une association nous avons tenus à le pérenniser. Des cours de mosaïques seront initiés prochainement » Teresa, succédera au Château des Terrasses, à l’artiste peintre vidéaste Patrick Moya qui inaugura le lieu en présence de S.A.S. le Prince Albert II, au sculpteur Stéphane Cipre venu en duo avec
le photographe Guillaume Barclay et d’autres créateurs. « Racheté en 2001 par la municipalité et ouvert en 2007 après restauration, c’est un nouvel outil qui abrite notre école de musique, un lieu magique où nous accueillons également, des concerts et spectacles vivants » Cap d’ail, cap culture ! En tous cas l’art semble avoir trouvé ses marques dans cette ville balnéaire qui héberge à la Villa Roc Fleuri chaque année en septembre le collectif « no-made » et son grand déploiement de plasticiens et en août le festival « Cap Jazz » à l’amphithéâtre de la mer. « Payssage », gravure et collage 40 X 40
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Lagalla : That’s all Folks ! Thierry Lagalla est un OVNI (Objet Volant Niçois Improbable). A 43 ans il a déjà fait douter le nombril de l’Art de sa capacité à enfanter de vrais natures en exhumant des décombres de l’après Duchamp quelques charafi en guise d’installations, en exposant de vrais fausses croûtes. Son arme, un sens aigu de l’absurde qu’il retourne d’abord contre lui même !
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© J-Ch Dusanter
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Cette page, en haut à droite : Sans titre, 2006, mesclun sur papier, 29,7 X 21 cm Ci-dessus : Portrait de Lagalla
u début était « l’homo sapiens » puis l’homme se mit debout et fit connaissance avec la peau de banane. Alors en 1966 vint Thierry Lagalla dit Tilo. Diplômé de l’école de la Brossalhas, Tilo est transféré d’urgence à Nice où il obtient en 1991 son diplôme d’artiste néo folklorique à l’ESRP « Si quelque chose peut être filmé, c’est la chute, l’estramasse, tout le reste c’est du remplissage, car c’est dans ces moments là que l’homme se révèle dans sa nudité ! » Dés lors le pathos sera au cœur de son travail. La lucidité est ce qui sert à l’homme à mesurer l’étendue de son malheur alors Tilo pour évaluer le fond des océans a recours à un truc infaillible : la chute.. Ainsi dans ces dessins, peintures ou vidéos on le verra la tête posée sur une toile cirée comme sur un billot, une bougie d’anniversaire allumée dans l’oreille (jamais solet dau buòn/ Jamais vraiment seul) posant pour
la postérité avec un pigeon sur le crâne « afin de pasticher ces grands hommes qui servent dans les jardins d’états de reposoir à volatiles et dont la figure finit maculé de guano » ; Ou encore jouer au binto avec deux patates et sa quéquette sans jamais parvenir à la retrouver sous les trois godets ?
M’as-tu vu en Ravi ? Il est comme ça, le Lagalla, un rien l’amuse. Mais une « cagade » c’est l’arbre qui cache la forêt ! Une forêt de papier canson qu’il peuple d’agapes populaires, cochons débités en charcutaille, sardines royales, et pour faire bonne figure d’autoportraits : M’as-tu vu en ravi de la crèche ou complètement à l’ouest, en John Wayne ? Car l’artiste touche à tout, se révèle un redoutable pamphlétaire de l’art qui n’oublie jamais que le pinceau « c’est le petit pénis dans l’étymologie » ? Yvon Lambert ne s’y pas trompé en invitant ses croquis acidulés à sa célèbre galerie entre les oeuvres d’un japonais et d’un new-yorkais. « Ça manquait d’exotisme ! » Et si Thierry passe à la moulinette le menu fretin de la pêche
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De gauche à droite, haut en bas : Buona fortuna (good luck), acrylique sur toile, 22 X 16 cm /// Jamai solet dau buon 1 (nerver really alone 1), 2006, acrylique sur toile, 19 X 24 cm /// Le ravi au lit (retour à l’immanence), 2006, acrylique sur toile, 24 X 19 cm /// Sans titre, 2007, mesclun sur papier, 29,7 X 21 cm /// Sans titre, 2007, mesclun sur papier, 30 X 30 cm /// Tantiflas & lume (potatoes & light), acrylique sur toile, 19 X 27 cm /// Jamai solet dau Buon 2 (never really alone 2 ), 2006, acrylique sur toile, 19 X 24 cm
du jour avé l’accent, benêt qui n’y verrait que du néo-folklore. Car ce trublion provençal qui travaille volontiers du ciboulot en occitan taquine aussi la langue de Shakespeare. Ces œuvres en niçois sont sous-titré en anglais « Y’a pas de raison, c’est une langue comme une autre ! » explique le miston de la Ben génération qui parle d’oc et de toc, parce qu’il est du pays du Còr de la plana (un trio pour lequel, il dessina des pochettes d’album) et du Carnaval de St Roch. Mais « m’en bati ! » ça ne suffit pas. Il faut couper tous les cordons. Son kit de chirurgie plastique : Des jouets piqués à ses enfants, des ustensiles domestiques, des rebus, autrement dit à Nice des charafis « La huitième merveille du monde du ravi !» Un arsenal qui fait passer le ready made américain pour du Vuiton ! Le recours au rudimentaire, au minimal, au patois, c’est en fait la réponse de Lagalla à l’emballement de la machine. Son économie d’effet, l’éloge de la tortue, un coup de pied au fondement du consumérisme !
« Et tant mieux si l’on voit les fils cela n’en souligne que plus l’instant de vérité : Vé, comme elles cassent ! » L’aventura espaciale Son invitation à « le tas d’esprit » de Ben à Paris en 2006 ou son exposition niçoise « Ò lo pintre ! » la même année permirent d’apprécier combien l’artiste jubile à se jouer des codes de la bienséance, de la rébellion, de la mode et du sacré. « Si tu peux passer le doigt dans tes taches, c’est que ce sont des trous » Un autre « déballage » qui confirmera que Tilo met le doigt là ou ça fait mal. Vrais fausses croûtes de peintre du dimanche, cartes postales d’aguichantes baigneuses, légendes urbaines
dou Pays comme Sainte Sucette, une niçoise de petite vertu qui oeuvra jadis dans le quartier de Notre dame, Lagalla invite à son banquer l’extra et l’ordinaire, Eros, Thanathos et Patatrac ! Peu importe les outils qu’il manie, la transfiguration est au rendez-vous, transcendante, réjouissante, truculente… Pas vraiment artistiquement correct tout çà ? Et pourtant l’artiste a fait la tournée des grands ducs (Palais de Tokyo, Yvon Lambert, MAMAC) et se sent d’attaque aujourd’hui pour l’art abstrait « Voila un portrait de Dostoïevski, un autre Martin Lamotte ». Mais la plupart de ces toiles sont nés d’arrêts sur image de ces saynètes vidéo. Un format qu’il apprécie pour sa portée universelle (ses films ont été diffusés en Colombie, Brésil, Australie etc) et sa grande capacité de synthèse car dit il pour paraphraser Guitry : « Burles-
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détail de l’exposition O lo pintre !, espace à vendre, 2006
L’aventure espaciale 6, extrait vidéo
quement au cinéma on court, en vidéo on a couru ! » le réel va trop vite, la vie vous échappe, le bon sens renâcle, alors lagalla redresse tout ça en 24 images à la seconde. et sous les feux de la rampe, s’avère un mélange corrosif de Buster Keaton dont il a la prunelle désabusée et d’un ionesco enfermé dans les WC de Pagnol. Un OvNi au mitan de la rue qui tente d’atteindre les étoiles en vain. vanité des vanités ! dans sa série « l’aventura espaciale » le compte à rebours finit invariablement sur une chute digne de Cap Carnaval, jamais de Cap Canaveral. Jusqu’à ce jour, où le Centre National d’etudes spatiales ( CNes) au courant de
ses infructueux essais en chambre l’appelle pour le convier à diffuser au sein de l’établissement ses déroutantes mises en orbites. véridique ! a l’heure où l’usine à gaz accouche d’une souris où l’on « relifte » sa vie en pixels, tilo lui prend le contre-pieds en célébrant l’acte manqué, les « Outsiders » et les maîtres du muet avec trois bout de ficelles. Plus Bastian countraîre, tu meurs ! « et tant mieux si l’on voit les fils cela n’en souligne que plus l’instant de vérité : vé, comme elles cassent ! »
Cet été sera lagallien avec « O figure ! » à la galerie espace à vendre (30 mai/1er aout) lo trionf de la Pintura au Cabinet à Paris et une performance projection au MaMaC le 3 juin.
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