BASCHENIS

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SUITE BERGAMASQUE Enrico De Pascale « La poésie est dite peinture parlante, la peinture poésie silencieuse ; le propre de l’une est une muette faconde, de l’autre un éloquent silence. » Giovan Battista Marino, Dicerie sacre. Diceria prima: la Pittura (1614)

« Il m’a toujours semblé que la musique ne devrait être que du silence, et le mystère du silence, qui chercherait à s’exprimer. » Marguerite Yourcenar, Alexis ou le Traité du vain combat (1929)

MUSIQUE POUR LES YEUX Interprète acclamé d’un genre très nouveau – la nature morte d’instruments de musique –, Evaristo Baschenis n’a pourtant connu qu’une éphémère célébrité. En effet, malgré les succès remportés dans les principales villes d’Italie – Venise, Rome, Florence, Turin, Mantoue, Milan1 –, son nom est rapidement tombé dans l’oubli après sa mort. Peut-être s’est-il perdu dans la foule de ses innombrables imitateurs, ou bien a-t-il été victime d’un désintérêt progressif pour le genre de la nature morte, ou plus simplement encore a-t-il pâti de la faible visibilité de ses chefs-d’œuvre, conservés dans d’inaccessibles demeures aristocratiques. Sa « redécouverte » s’est produite par hasard lorsqu’en 1908 le collectionneur belge Charles-Léon Cardon (1850-1920) décide d’offrir au musée des Beaux-Arts de Bruxelles (fig. 1) une nature morte attribuée à « François le Maltais », acquise deux ans auparavant lors d’une vente Müller à Amsterdam. En examinant le tableau, Alphonse-Jules Wauters, membre de la Commission directrice des Musées royaux de peinture et de sculpture, découvre la signature du peintre « EVARISTUS BASCHENIS F. », inconnu de lui. Dans l’article qu’il publie quelques mois plus tard, il déclare que l’artiste « nous était totalement inconnu. Jamais nous ne l’avions rencontré dans nos lectures […]. » Le tableau est alors retiré de la salle des Hollandais – où il était répertorié comme « Anonyme du xviie siècle » – pour être exposé avec les artistes italiens2. L’épisode est décisif ; en effet, dès ce moment l’attention portée à Baschenis ne cesse de croître, favorisée par le regain d’intérêt du monde artistique, scientifique et marchand, pour la nature morte3. Ce sont dans ces mêmes années 1908-1912 que Georges Braque (fig. 2), Pablo Picasso, Juan Gris entre autres peignent dans le nouveau style cubiste

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