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Alias
from #5 - Transmettre
by Assiégé-e-s
Mème éthique La fragmentation de nos souvenirs
ALIAS
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Quand l’équipe s’est mise d’accord sur le thème du numéro « transmettre » parler de mémétique m’a paru important. Car les « mèmes », comme nous les connaissons sur Internet, tiennent en vérité leur nom d’une théorie philosophique aujourd’hui utilisée comme piste de recherche principale dans une bataille de récits. Celle-ci étudie le second réplicateur : le mème (le premier étant le gène). C’est ce réplicateur qui a permis à l’être humain de modeler son environnement au fil des âges, de savoir quand et où migrer pour éviter les aléas des climats. Cette science s’inscrit dans une logique darwinienne, aussi critiquable que ça l’est.
Pour moi parler d’évolution dans le sens « scientifique » ne diffère pas tant du mythe dogon d’Amma. La mémétique apporte un regard que je trouve intéressant sur le psyché humain. Ici il ne se distingue pas de celui des autres animaux par une supériorité mais par sa plasticité. C’est ce qui explique la taille de notre cerveau, la douleur que provoque l’accouchement, mais c’est également ce qui nous amène à avoir développé au cours des âges une capacité d’abstraction1 . Cette capacité nous a permis de créer des outils, et de communiquer avec au moyen de langages.
J’ai souvent entendu que les nourrissons étaient incapables de se souvenir de leur vie avant qu’ils n’acquièrent le langage. Quand bien même l’idée me paraissait farfelue, l’explication était logique : tant qu’un bébé n’avait pas la notion de mots il ne pouvait pas fabriquer de souvenirs. C’est-à-dire que tant qu’un être humain, aussi jeune soit-il, n’arrive pas à attribuer des symboles à ce qu’il voit ou expérimente, celle·luici ne peut pas les rationaliser ainsi que les coudre dans sa mémoire en tant que souvenir. Il a donc besoin de s’imprégner de son environnement avant d’intérêt consciemment avec. Le cas contraire est vérifiable, car une personne sujette à un AVC rencontre ce type d’aphasie. Aujourd’hui, quand je réfléchis à cette même rumeur, je comprends peu à peu qu’elle fait référence à la faculté de concevoir. Sans conceptualisation, il est difficile voire impossible d’identifier son environnement. Ce processus en mémétique s’appelle la digitalisation2 . L’hégémonie occidentale incorpore de plus en plus les technologies dans nos habitudes. Ainsi, pour plusieurs internautes, consulter son téléphone et plus particulièrement les réseaux sociaux dès le réveil est devenue une habitude. Avec des fonctionnalités telles les carrousels, les messages privés ou de groupe, les stories, le partage d’information s’intensifie et se fait limite instantanément d’un endroit du globe à un autre. C’est en 1976 que le scientifique Richard Dawkins parle pour la première fois des mèmes
En le sortant de dans son ouvrage Le Gène égoïste. Avec son contexte et cela, il popularise la théorie du « de la raison qui a mené à sa création, le même est abordé comme un objet issu deuxième réplicateur » et définit le mème comme « une association entre les termes « gènes » et « mimesis », du grec ancien, qui veut dire « imiter ». Il poursuit en expliquant qu’un d’un monde où le mème peut tout aussi bien être une travail de réflexion idée, une habitude, une spiritualité n’est pas. ou style de vie comparable aux gènes pour l’ADN qu’il identifie comme « premier réplicateur ». Un réplicateur a besoin d’un hôte (dans le cas présent : d’être humains) et comme les gènes, les mèmes évoluent, se reproduisent, s’adaptent, mutent et ils peuvent même « mourir ». Un exemple simple : Vous passez la nuit chez votre ami·e pour la première fois. Le matin venu, celle-ci vous propose de prendre le petit déjeuner. En soit, vous n’avez pas trop idée de ce que cela pourrait être mais vous acceptez. Le petit déjeuner passé, le ventre rempli vous êtes satisfait·e de l’expérience et décidez d’incorporer le petit déjeuner à votre routine matinale. Nous assistons ici à la reproduction d’un mème qui vous a été transmis par votre ami·e : le petit déjeuner. Toujours dans le même exemple : en fonction de vos courses disponibles, de vos préférences culinaires ou simplement de votre diète habituelle vous décidez de changer vos recettes.
1 « Opération par laquelle l’esprit désolidarise, délie un objet, une qualité d’un objet ou une relation de son contexte. » Dictionnaire l’Internaute. 2 Big Think, « Daniel Dennett: Memes 101 | How Cultural Evolution Works », YouTube, 2017.
Illustration : Zas Ieluhee
C’est ainsi que ce mème s’est adapté et par la même occasion il subit une mutation.
Bien que l’exemple donné prenne racine dans une chose bien concrète, il est important de garder à l’esprit qu’un mème peut être tout et n’importe quoi. L’important est qu’il garde cet attribut infectieux précédemment expliqué. C’est pourquoi je propose que les mèmes soient définis par des concepts qui organisent les cultures de celle·eux qui les adoptent dans une perspective d’évolution1. Les porteurs des mèmes sont aussi appelés hôtes. Jusqu’à présent les scientifiques qui s’exprimaient sur des hypothèses d’évolution décrivaient cette dernière comme sans but, l’inverse de standardisée, car le fruit de mutations chaotiques d’une génération à l’autre. Mais là je souhaite introduire deux variables à ces changements : le contexte émotionnel, l’environnement physique de l’hôte des gènes et mèmes2 .
Selon Dawkins, les mèmes doivent posséder trois attributs afin de conserver leur survie et par la même occasion être jugés « réussis » : – la longévité ; – la fécondité ; – la fidélité à la copie.
Ici encore je relève un biais dans cette définition que j’attribue à l’« objectivité occidentale » : on sous-entend ici deux issues possibles, celles d’un mème raté ou d’un mème réussi. Cela dépossède le mème d’une utilité certes subjective mais fondamentale pour la survie de ce dernier, sauf si le libre arbitre de l’hôte n’est pas pris en compte dans sa théorie (spoiler : il ne l’est pas). En le sortant de son contexte et de la raison qui a mené à sa création, le même est abordé comme un objet issu d’un
1 Ici, l’évolution est la survie du groupe d’hôtes. 2 Le contexte émotionnel fait référence à l’affect que l’hôte et sa population ont envers le mème. Il est dépendant des souvenirs des hôtes, de leurs valeurs et de leur personnalité. Le contexte physique fait référence au niveau de contrainte. Car les hôtes humains que nous sommes tous sont sensibles à nos congénères à la pression émotionnelle ou physique qu’iels peuvent exercer.
monde ou le travail de réflexion n’est pas. « Un mème se réplique car il pas d’autres choix » comme disait la chercheuse anglaise Susan Blackmore1. C’est comme-ci, l’hôte du mème ne faisait pas le choix (explicite ou non) d’accepter ou de contredire ce dernier.
Dans son écrit, Richard Dawkins explique que les mèmes peuvent se regrouper en amas cohérents appelés Memeplex. Les exemples de Memeplex qu’il donne sont les suivants : la religion, les philosophies, les idées politiques ainsi que les visions du monde2. Il explique aussi que bien plusieurs mèmes puissent s’amasser en Memeplex, d’autres mèmes peuvent être antagonistes entre eux.
A partir de ces exemples, le scientifique annonce l’existence du mème de Dieu (God meme) auquel il attribue une grande chance de survie. La raison est que le mème de Dieu va de pair avec la crainte du feu éternel, le feu des « Enfers ».
Ici encore, je relève le même biais. L’alliance d’une notion de Dieu avec celle d’une souffrance éternelle se produit dans l’esprit d’une personne pratiquant une religion abrahamique ou du moins dont la culture environnante en découle. Ce type de religions monothéistes, relativement nouveau et guerrier, n’est pas le seul type de religions qui existe et est pratiqué par les humains. Ici le contexte est une fois de plus mis à l’écart et propose une définition qui se dissocie de celui-ci3 .
J’ai eu la chance de grandir dans un mélange de cultures et de spiritualité, ce qui m’a permis très tôt de distinguer deux concepts de Dieu. Le Dieu chrétien, et Sì. En langues bamileke, Sì désigne la force vitale qui habite tout objet et individu. En plus de ça, Sì est aussi l’être créateur. Dans la logique des mèmes, Sì est un Memeplex. Sì est un ensemble qui a la particularité de se contenir : Sì est à la fois le contenant et le contenu.
Le « God meme » comme défini par Dawkins est ce que j’appelle un mème fragmenté4.
Un mème fragmenté est un concept qui ne possède pas la totalité des attributs indispensables à la survie listé par Dawkins. Ici le « God meme » de Dawkins n’a pas beaucoup de fidélité à la copie. Exemple : Il est souvent conseillé de ne pas parler religion en société. Si le mème de Dieu était fidèle de la copie d’un hôte à un autre, beaucoup de conflits liés au sujet pourraient être effacés. Cependant, j’ai souvent entendu des chrétiens dire par rapport à leur interlocuteurs musulmans la phrase « ils n’ont pas le même Dieu que nous », le tout suivi de stéréotypes communiqués dans les médias démonisant la religion et ses pratiques. Autre exemple, venant d’une famille africaine colonisée, il m’est arrivé d’entendre les mêmes propos péjoratifs et diminutifs à l’égard des religions de nos ancêtres aujourd’hui catégorisées de « païennes » ou « animistes » comme s’il s’agissait de malédictions. Encore une ribambelle de termes,
Sì est un Memeplex. Sì est un de mèmes fragmentés : ensemble qui a la particularité l’animisme étant un de se contenir : Sì est à la courant du Christianisme, fois le contenant et le contenu. et le paganisme étant une religion ancestrale qui était pratiquée en Europe. Cette confusion fut installée par les mêmes mécaniques de pouvoir et de domination qui gouvernent le monde occidental et ses prolongements aujourd’hui. Pendant longtemps cette pratique n’avait pas de nom, maintenant, c’est la guerre mémétique. Catégorisée en guerre psychologique par l’otan5, elle a la particularité de coloniser les individus sans qu’ils ne s’en rendent compte. Elle se déroule en trois étapes : – la récolte d’informations sur l’ « ennemi » ; – l’étude de ces derniers ; – la dissémination de fausses informations de sorte à contrôler la narration globale du conflit ou de semer la confusion. Cette confusion est ce nous avons tenté de souligner plus tôt en détaillant la notion de « mème fragmenté ». Ainsi, il est possible pour un pays ou une autre entité d’attaquer sa population cible en installant une
1 Susan Blackmore, « Memes and “temes” », TEDxTalks, 2008. 2 Liza Das, « Mod-01 Lec-06 Memetics », Indian Institute of Technology, 2012. 3 Parce qu’aujourd’hui, c’est le type de religion qui est le plus pratiqué par les humains, souvent en raison des différentes phases de colonisations. Un majorité ignore que des religions monothéiste qui ne sont pas abrahamiques existent. Vu qu’iels ne connaissent que ce type de religions, il leur est souvent difficile de nommer une pratique différente mais tout aussi structurée comme « religion » également. Exemple avec les religions africaines qu’on appelle encore aujourd’hui « culte des ancêtres » ou à tort l’« animisme ». 4 Un mème fragmenté est un concept dont l’appellation a migré. Par conséquent, le mot initial qui désignait le concept a vu sa définition perdre en substance ce qui peut causer une confusion au sein d’un d’échange entre hôtes car, iels peuvent se retrouver à utiliser le même mot ou même expression pour parler de deux choses différentes. (Exemple : le terme boulimie en langue française désigne un trouble du comportement alimentaire exprimé par des pulsions. Au Cameroun, dans l’argot, le terme de boulimie est plus couramment utilisé comme synonyme de cupidité.) 5 Steve Tatham, It’s Time to Embrace Memetic Warfare, NATO Strategic Communications Centre of Excellence Riga, 2017.
narration qui sert ses intérêts sans même que le public d’hôtes ne s’en aperçoive.
Et il semble qu’Internet, plus particulièrement les réseaux sociaux, soit le principal champ de bataille. Les « memes », appelés « mémés », « mimes » ou « mèmes » par les francophones que je connais, tiennent leur appellation de la théorie de Dawkins. Pas l’inverse. Aujourd’hui, plus souvent rattaché au format médias que nous partageons en ligne à nos ami.e.s et connaissances, les mèmes internet constituent une réelle arme de confusion massive. Grâce à la connexion sans fil, leur fécondité est considérablement augmentée : il suffit d’une story, d’un poste ou d’un message privé pour les partager et/ou en discuter. De plus, à cause de leur source plus souvent anonyme, il est facile de laisser planer le doute sur son ou ses origines. Quiconque a la possibilité de tourner en dérision son quotidien et ses opinions.
Pour le citoyen lambda, le couvert de l’anonymat lui permet d’exprimer ses idées les plus sincères et ainsi toucher une audience qui restera fidèle à son contenu. Le mème internet a donc par défaut dans l’opinion publique une image rebelle qui dissocie automatiquement l’État de ce dernier.
Avec la montée des mouvements de justice sociale (ou Social Justice Movement), de ses branches et de ses lexiques il me paraît important de se poser la question suivante : comment les mèmes internet évoluent, prospèrent et gagnent en territoire ? Regardons comme, selon une optique de colonisation du psyché humain, les mèmes transmis de génération en génération subissent une ou plusieurs fragmentations.
L’exemple qui me vient le plus souvent en tête est le terme hotep qui vient du medu-neter1 à l’origine veut dire « être en paix » ou « venir en paix ». Il est également lié à la religion de Ma’at, elle aussi venant de l’Egypte Ancienne mais inspiré d’autres religions de l’intérieur du continent africain (exemples : Sangoma, Bwiti, Ifa etc). Le terme a ensuite été réapproprié par les Africains Américains (A. A.) qui s’identifie comme Afrocentrés2 .
Illustration : Zas Ieluhee
Au fil des ans, le mot a encore migré dans la langue pour désigner les personnes (souvent des hommes) afroaméricaines afro-centrées mais anti-progressistes, ou de manière satirique, pour désigner des A. A. afro-centrés clichés.
Ce qui amène à un autre exemple avec le terme woke3 . Utilisé à l’origine par les communautés afro-américaines (avant le mouvement blm) pour s’alerter entre eux des dangers du système raciste et capitaliste de leur pays, le concept de wokeness a peu à peu été approprié par une majorité proche de la blanchité pour enfin devenir un terme dépolitisé à la limite du risible. On voit donc une fois de plus, un terme à l’origine réservé à un contexte bien particulier, qui traverse les années en étant vidé de sa substance et pour au final tourner dérisions des combats bien concrets, et plus généralement individus noirs4 .
Cette fragmentation, qui est due à la volonté des anciennes puissances coloniales aujourd’hui États
1 Langue écrite en Egypte Ancienne (env. -3000 avant J.C), ce que nous appelons les « hiéroglyphes ». 2 C’est un mot qui est traditionnellement utilisé pendant Juneteenth. 3 « Éveillé » en français. 4 Sachant que pour moi « noirs » ne décrit pas plus que la race dans laquelle on me classe moi et les individus qui ont un phénotype proche du mien.
d’unifier1 et de standardiser les esprits2, les traumatisent en rendant leur langue obsolète, et leur culture en désaccord profond avec son environnement. Nous, colonisés et descendants de colonisés devenons aliénés de nos propres identités3 .
Comment est-ce qu’un supposé État pourrait mettre en place de telles offensives ?
Au moyen de la Big Data, de son analyse et des bot farms. La plus connue est l’Internet Research Agency basée en Russie.
Les bot farms (fermes de robots) sont des systèmes physiques et virtuels qui ont pour but de générer du trafic internet en masse. Les entreprises en utilisent fréquemment pour augmenter leur scores dans des classements en ligne (exemple : l’App Store). Avec le temps, les bot farms ont été combinées à l’intelligence artificielle, plus précisément au technique de machine learning. Grâce à cela, elles évoluent et s’adaptent à leur environnement de manière agressive (on se demande pourquoi4). Aujourd’hui, ça n’est plus un simple script, mais des logiciels complets avec des infrastructures dédiées composées de serveurs, de centres de données, de plusieurs ordinateurs connectés, de routeurs, etc.
Methbot, une bot farm russe, a fait perdre plus de 5 millions de dollars par jour à des publicitaires entre 2015 et 2017. Avec plus de 800 000 adresses ip (sachant que Facebook en a 400 000), Methbot est considérée comme la bot farm la plus dévastatrice. Elle créait de faux sites Web et des pages Web qui semblaient réels. Une fois dessus, les utilisateurs regardaient des publicités pendant que le propriétaire de la ferme de robots gagnait de l’argent auprès des éditeurs.
Bien sûr, il s’agit d’un matériel de pointe, ce qui vous laisse comprendre l’ampleur de ce qu’un état peut déployer en force. A cette échelle, il est difficile pour un courant politique, militant, aussi organique soitil, de riposter ou de prétendre vouloir maintenir un semblant de vérité à sa narration. C’est là qu’agit l’effet de confusion5 .
De l’autre côté de l’Atlantique, le 29 juillet dernier avait été organisé l’audience « Big Tech Anti Trust » aux États-Unis, celle ci a duré sept heures et opposait les pdg de Facebook6 (Mark Zuckerberg), Google (Sundar Pichai), Apple (Tim Cook) et Amazon (Jeff Bezos) au Comité judiciaire de la Chambre des représentants. Au cours de cette audience, les quatre chefs d’entreprises tentaient de convaincre le comité que leurs pratiques commerciales ne constituent pas des monopoles anticoncurrentiels7 .
C’est en ouvrant la séance que le président de la sous-commission David Cicilline reconnaît que « Parce que ces entreprises sont si centrales à notre vie moderne, leurs pratiques commerciales et leurs décisions ont un effet démesuré sur notre économie et notre démocratie. N’importe quelle action de l’une de ces entreprises peut affecter des centaines de millions d’entre nous de manière profonde et durable ». Il poursuit en présentant un mode de fonctionnement commun aux quatre entreprises : chacune utilise les données et la surveillance d’autre entreprise afin de se protéger en « achetant, copiant ou en coupant » la concurrence potentielle. Il conclut son discours par : « Leur capacité à dicter les conditions, à prendre les devants, à bouleverser des secteurs entiers et à inspirer la peur représente les pouvoirs d’un gouvernement privé ». Cette dernière métaphore me parut forte, car la confusion entrepriseÉtat se fait enfin.
Toujours la même année, en novembre cette fois-ci, Mark Zuckerberg se présentait lors d’une audience de la commission judiciaire du Sénat devant le sénateur Josh Hawley. Pendant cet entretien, monsieur Hawley interroge Zuckerberg sur la plateforme Tasks qui supposément permet à Facebook, Twitter et Google de se relayer des informations partagées sur le net et de s’accorder sur les de modération de contenu (bannissements et censure). Ce dernier tentait bien que
1 C’est-à-dire, de propager une philosophie capitaliste (raciste) et coloniale. 2 Pour qu’iels adoptent une mentalité raciste/capitaliste. 3 Wade W. Nobles, The Island of Memes: Haiti’s Unfinished Revolution, Black Classic Press, 2015. 4 Dans le machine learning, il est question de laisser à un algorithme (suite mathématique) la liberté d’apprendre « comme un humain » en faisant des prédictions et classifications. Quand une machine devient agressive, c’est donc qu’elle a été programmée pour et non parce qu’elle est animée d’une conscience qui déteste les hommes. 5 Je sous-entend ici qu’un État aurait beaucoup plus de moyens qu’un individu ou qu’une entreprise. Avec 800 000 adresses ip il est possible de simuler l’activité d’au moins d’une ville moyenne et du trafic internet qu’elle pourrait générer. Si les intelligences dont j’ai parlé avait été entraîné à répondre à des internautes ou de créer de faux même internet comme il est souvent le cas avec des bot farms, une plus grosse proportion de la population d’internautes auraient été affectée. 6 Entreprise qui se repose sur les bases de données du fbi pour vérifier ses faits et comme Mark Zuckerberg l’a spécifié pendant une audience devant le sénateur Ron Johnson aux côtés des pdg de Google et Twitter en octobre 2020. 7 Pendant cette même audience, le pdg de Google, Sundar Pichai, a été interrogé sur les stratégies d’intimidations et d’achats de la concurrence qu’avaient les quatre entreprises. Car il avait été rapporté à la représentante Pramila Jayapal que google avait fait pression sur Snapchat pour qu’ils acceptent l’offre d’achat de facebook. (Engadget, 2020)
mal de ne pas répondre à la question mais il finit par avouer que les trois entreprises « ne communiquent que sur des informations en rapport avec la sécurité1 ». Il refusait également de joindre à son témoignage des preuves qui concordent avec ses avances. Le sénateur continua son interrogatoire en abordant le sujet de Centra. Il s’agit d’un outil que Facebook utilise pour suivre ses utilisateurs non seulement sur Facebook, mais sur l’ensemble de l’Internet. Centra relève les différents profils qu’un utilisateur visite, les destinataires de leurs messages, leurs comptes liés, les pages qu’ils visitent sur le Web et qui ont des boutons Facebook. Centra utilise également des données comportementales pour surveiller les comptes des utilisateurs, même si ces comptes sont enregistrés sous un nom différent. À cela, le président de Facebook répliqua juste qu’il ne connaissait pas un outil avec ce nom mais qu’il souhaitait fournir plus d’informations dans le futur et en privé.
Avec l’arrivée de médias internet (exemple: AJ+ ou Brut) et des carrousels infographiques, il est devenu plus facile pour les internautes de revendiquer une conscience politique sans faire un travail d’introspection : quitte à prendre des risques et à se voir sous un jour déplaisant. Ainsi, les personnes blanches ou qui se rapprochent de la blanchité – par le phénotype ou par la classe économique – entretiennent un rapport désincarné aux luttes pour lesquelles elles affichent un soutien.
C’est comme ça que des concepts installés par des populations « noires », sont appropriés et dénaturalisés. Pour enfin, être utilisés par la majorité pour leur agenda (implicitement ou explicitement) négrophobe.
L’exemple qui me revient est celui de Kony 2012. À l’époque j’étais encore collégienne. Malgré mon âge, l’habitude de regarder mon tableau de bord Tumblr au réveil m’accompagnait déjà. Ce jour là, je remarquais très rapidement que la même vidéo avait été partagée par les personnes que je suivais : Kony 2012. Il s’agissait d’un film d’environ 30 minutes à l’ambiance grave mais très codée : que ce soit par les titres, les transitions, les couleurs utilisées, qui me rappelaient à vrai dire n’importe quel pays du Nord (bleu, blanc, rouge). La vidéo présentait les crimes de Joseph Kony, un révolutionnaire Ougandais, qui a l’époque était recherché par l’armée américaine. L’intérêt de ce mème internet était de rendre connu le visage de l’homme recherché par mandat d’arrêt international depuis 2005, pour enfin aboutir à son arrestation. De surcroît, un « kit d’action » disponible à la vente était promu pendant le film : un t-shirt, des bracelets, des posters et des pins. De quoi mieux capitaliser sur le slacktivisme2 de la majorité qui, elle, n’est pas vraiment touchée par les actions de cet homme. En quatre jours, la vidéo avait atteint une centaine de millions de vues. Elle était devenue « virale ».
Face à la montée rapide du mouvement Kony 2012, des internautes se sont interrogés sur les réels motifs du film documentaire. En effet, elle avait été créée par l’organisation non gouvernementale Invisible Children fondée un peu de temps avant la mise en arrêt internationale de Joseph Kony. L’organisation expliquait que son but était d’éduquer les Américains sur les violences que perpétue le personnage en question, et priait l’Armée américaine de déployer ses forces pour l’arrêter.
De l’autre côté du globe, la population ougandaise reprochait à l’organisme de divulguer des propos fallacieux car la vidéo omettait plusieurs détails sur la région. Ce faisant, les subtilités ethniques, religieuses et sociales étaient mises de côté. Justine Nyeko, la porteparole de l’armée de Résistance de Kony, décrivait même la vidéo de « un acte de panique bon marché et ordinaire de supercherie de masse pour rendre les peuples sans méfiance du monde complices des activités voyous et meurtrières des États-Unis en Afrique centrale ».
Le timing auquel la vidéo avait été publiée semblait bizarrement opportun : c’est au même moment qu’avait été trouvé un gisement de pétrole conséquent dans le pays.
On voit là, un exemple type d’offensive mémétique : la narration d’un conflit détournée par une entité (ici, l’état sous le couvert d’Invisible Children) pour servir des intérêts qui lui sont propres. Le tout dans une campagne call-to-action3. Avec cela, vient la fragmentation car l’audience qui a vu, partagé, et agi selon les dires du film Kony 2012 est devenue l’hôte de mèmes/memeplex fragmentés par leur manque de connexion à la réalité (plus précisément à celle des Ougandais).
Ce type de transmission, en plus de tromper sa population hôte, peut mener à des conséquences désastreuses pour une communauté entière. Pour peu que l’entité à l’origine ait les moyens, il lui est possible de justifier une réponse disproportionnée dans le but de déstabiliser le groupe cible et de lui soutirer des richesses4 .
1 cnet Highlights, « Republican Senator GRILLS Zuckerberg on Facebook, Google, and Twitter collaboration », YouTube, 2020. 2 Pratique consistant à soutenir une cause politique ou sociale par des moyens tels que les médias sociaux ou des pétitions en ligne, caractérisée comme impliquant très peu d’efforts ou d’engagement. (Oxford) 3 C’est un terme marketing qui désigne toute conception visant à susciter une réponse immédiate ou à encourager une vente immédiate. 4 C’est la même rhétorique qui a amené les États colons à mettre en place et financer des théoriciens eugénistes.