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Larissa Clement Belhacel
from #5 - Transmettre
by Assiégé-e-s
Vivre et transmettre
les danses hip-hop LARISSA CLEMENT BELHACEL
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J’ai pris mon premier cours de danse en 2007. Pendant une heure et demie, je me suis demandée où j’étais. On dansait sur de la house, alors que j’avais choisi ce cours dans la rubrique Danse hip-hop du studio. Une fois chez moi, j’ai fait quelques recherches infructueuses : rien dans les livres, presque rien sur Internet. Je suis retournée à ce cours de house dance dans un autre studio, fréquenté par des danseurs qui venaient pour des cours de hype, hip-hop new style, popping… ou simplement s’entraîner. Tous·tes semblaient se connaître, partager un même monde, parlant de lieux et de personnes qui m’étaient inconnues, utilisant des termes qui m’intriguaient. J’ai suivi ce cours pendant deux ans. Encouragée et conquise, je suis allée à des soirées, des spectacles, des événements. J’ai été fascinée par la richesse de ces danses, nées dans des contextes géographiques, culturels et musicaux différents, mais parfois regroupées sous le terme générique « hip-hop ».
J’ai d’emblée admiré le niveau de maîtrise dont certains danseurs et danseuses faisaient preuve. Comment avaient-ils appris, alors que le savoir dont ils disposent n’était pas donné, ni enseigné comme aujourd’hui ? J’ai été attirée par l’accessibilité de ces danses, à la fois populaires et initiatiques. On ne dit pas tout au nouvel arrivé. Je souhaite plonger le lecteur dans cet univers, sans donner de définition, ni décrire les mouvements cités, pour ne pas figer quoi que ce soit par l’écrit, et faire entendre la parole des danseurs euxmêmes.
J’ai échangé avec trois danseurs dans cet article. Walid, Karl et Yugson se connaissent, ont partagé des cyphers et s’estiment. Ils vivent de leur passion, la partagent. A travers leur parcours, long de plus d’une trentaine d’années, je me suis demandée ce qui se transmet dans les danses hip-hop, et comment cela se passe. Leurs visions se font écho les unes aux autres. Elles me permettent de mieux appréhender les actes physiques et mentaux, individuels et collectifs qui fondent la transmission dans cette culture.
Transmission d’énergie Walid « Il fait chaud, la musique te pénètre, t’absorbe. Il y a du monde, c’est presque une énergie de pogo. Tu ne peux pas mettre le mental en action, il se passe quelque chose dans ton corps, c’est incontrôlé ». Pour Walid, la transmission est d’abord de l’ordre de l’énergie : « Il y a un truc qui est rentré dans notre corps, par l’énergie. Tout ce que j’ai compris, c’est à partir de là. » La soirée du Chapelais, à la fin des années 80, est une révélation pour le jeune homme, déjà électrifié par le scénario de Breaking. Il se rend le samedi après-midi, le cœur « Il y a un truc qui est battant, dans ce club du 17ème rentré dans notre corps, arrondissement. « Tu rentres par l’énergie. Tout ce dans une soirée, tu vois plein que j’ai compris, c’est à de renois avec du style, tu as du partir de là. » bon son, du Teddy Riley dans la gueule, tout le monde est dans un film. Welcome to the hip-hop. Ou bien t’as du style, ou bien tu passes pour un péquenot. Il n’y a pas « je vais t’expliquer, respire par le ventre, libère un peu plus les côtes, va vers le haut… » ! C’est la transmission par le charriage ! Il fait chaud, c’est des beats super soutenus, les mecs autour de toi mettent la patate. A un moment, ou bien tu t’inventes une vie, ou bien tu y vas. Tu te mets dans une transe. Les mouvements, c’est instinctif ». L’énergie est celle d’un collectif : « Tu y retournes, les gens te disent bonjour, tu ne comprends pas trop ce qui se passe. Des gars parlent ensemble, dansent. Il y a un mec marrant avec son bonnet, un mec un peu chelou, un mec raggamuffin, un autre super beau gosse. Ce sont des rôles auxquels tu t’identifies. T’as pas le choix, soit tu en es, soit t’en es pas. Il faut le montrer avec son corps. On t’encourage, mais c’est, vas-y, te fous pas de notre gueule. Tu sens que tu es dans une communauté, pas dans une boîte. Quelque chose a résonné en moi. C’est comme si je rentrais dans une famille, inconsciemment ». Walid perçoit le clubbing comme vecteur de transmission.
Illustration : Zohra Khaldoun
Observer, analyser (imaginer)
Karl, Yugson, Walid
Tout se passe dans le cypher, au centre de l’ébullition. Walid raisonne en termes d’énergie : « J’avais cette capacité à me projeter facilement, à rentrer dans l’énergie de chaque danseur, n’importe quelle énergie ». Yugson renchérit : « L’outil de transmission le plus puissant, c’est le cercle ». On apprend dans l’immédiateté : « Tu n’as pas le temps de poser de questions ; si tu ne comprends pas, on te regarde “qu’est-ce qu’il a, lui ? Danse !’’ Tu es intelligent, regarde et refais tout de suite. » Karl insiste à son tour sur l’échange, « un langage du corps », une « discussion muette » fondée sur l’observation : « Je regarde ce que tu fais, je n’avais pas pensé à cette variante, j’en propose une autre », « On devrait tous apprendre une partie de la danse comme cela ».
Karl se souvient des soirées new-yorkaises : « Il y avait cette phase à la mode, dans les années 2000, tu vas au sol et tu donnes l’impression que ton corps se soulève. Ils la faisaient quasiment tous. Personne n’est allé demander. On observait, on rentrait, on parlait, et on a fini par découvrir comment ils faisaient. C’était magique. C’est la position du cadavre, avec le bras en haut; on a importé ce mouvement ». On aiguise sa conscience corporelle par l’observation. Karl soumet aujourd’hui ses élèves à cet exercice : « Ils me suivent pendant dix minutes, durant lesquelles je ne leur donne aucune information. Ça les oblige à se demander ce qui bouge, ce qui est moteur, dans quelle direction je vais. C’est ce qu’on fait en club ». Selon Karl et Walid, il y a une part d’analyse dans cette forme d’observation : disséquer le mouvement pour l’intégrer et le refaire.
Yugson précise que le mimétisme strict est implicitement proscrit : « Tu regardes et tu vois que
le game, c’est “je te donne un élément, avec ça tu fais quelque chose d’autre’’. C’est l’environnement qui est comme ça. Personne ne m’a dit : ne refais pas mon mouvement. » Le mouvement se transmet par l’échange, de manière organique, suivant la façon de bouger et la créativité de chacun. Recherche d’informations
Prendre conscience d’un savoir
Walid
Walid s’intéresse à des énergies différentes, se tournant progressivement vers le pop. Encore dans son clubbing, dans l’entièreté du kiff, il se diversifie. Il s’essaie au break, plus technique. Attentif au new style, il voit des danseurs de club, dans des vidéos, faire des effets empruntés au boogie. Ces effets traduisent pour lui un « passage vers la conscience ». Jusqu’à présent, il était dans une énergie juvénile, revendicative, qui passait par l’engagement du corps tout entier. Dans ce qu’il découvre, on est dans des isolations; le plaisir n’est pas immédiat. Régis, l’ami qui fait du waving, et Fox, l’ancien qu’il croise en club, sont les intermédiaires. Fox lui montre les vidéos des Electronic Boogaloo Lockers; lui explique le principe de l’isolation dans le pop, lui parle d’énergie, de chill, de respiration...
« Le pop, c’est chaud, c’est une galère... Ce n’est pas naturel d’isoler toutes ses articulations, de pouvoir à la fois les contracter et les décontracter. Ce n’est même pas un mouvement, c’est une énergie hyper disséquée. Ce n’est plus de l’ordre du visible ». Cela requiert un contrôle total de chaque partie du corps. Avec Pop N’Taco, qui fut entre autres le chorégraphe de Michael Jackson, Walid apprend à connaître son anatomie. Il se souvient avoir appris à contracter le muscle « sterno-cléidomastoïdien ». Fox le lui avait déjà montré, l’exécutant parfaitement, sans aucune vibration pectorale, mais sans donner le terme. Ce travail, parfois amer, s’inscrit dans le corps comme une mémoire. Walid intègre une science. Il est attiré par la technicité de cette danse, son aspect Rubik’s Cube.
Cette discipline paraît nouvelle dans l’histoire de la danse : « Le pop, c’est spécial. Je n’ai pas le souvenir, dans les danses traditionnelles, d’avoir vu cette manière de contracter ses muscles, d’impacter son corps. Il y a le robot, mais on pense plus au mime qu’à la danse », réfléchit-il. Pour celui qui n’a pas grandi dans un univers où « des gens avec des gants et des lunettes font des mouvements robotiques sur du Caméo », la transmission se fait différemment. A partir de 1995, Walid enchaîne les rencontres. Skeeter Rabbit est une figure marquante. C’est un « mec des seventies, pur produit de la source » dont la danse est habitée. Aucune articulation n’est sollicitée pour rien; tout est en cohérence, précis, aussi bien dans le contrôle que l’émotion. Yugson, Karl Le cheminement de Walid ressemble à celui de nombreux danseurs de sa génération. Ils ont appris de leur quartier, des membres de leurs crews, des échanges, des défis, des soirées ou des vidéos. Ils se sont inspirés de toutes et tous, dans un mouvement insatiable. Pour Yugson, deux voies sont possibles. La première consiste à prendre des cours. La seconde est de prendre son sac, partir en quête. Cette voie est risquée, car il est difficile de savoir vers qui se tourner sans de bons conseils. Le récit des autres danseurs est déterminant : « On n’avait pas de contact avec les USA. J’entendais des gens dire qu’ils y étaient allés. C’étaient des légendes. Je me souviens d’un jour où Baba, Tip et moi, on a posé la question à Hidi, qui revenait de New York avec Hicham : “Ils sont vraiment forts les Américains ?’’ Et là, ils nous ont raconté avec tous les détails. C’était
On aiguise sa conscience très rare qu’on te raconte corporelle par l’observation. comme cela. On s’est assis, on écoutait, on y était. Il fallait qu’on y aille. » Lors d’un séjour à New York, Yugson et Baba rencontrent Shannon et Tony McGregor, deux figures de la house. Ils restent deux mois chez eux, vont ensemble sur les toits, « l’environnement parfait pour comprendre le délire ». « On n’était pas si différents. Eux aussi disaient, on prend pas de cours, on va en club. » Quand on trouve le danseur qu’on cherchait, Yugson appuie, les deux mêmes possibilités se présentent : « Soit je prends un cours avec toi, soit je danse avec toi, l’énergie va me suffire pour comprendre. Je n’ai jamais pris de cours quand j’étais jeune. J’ai plutôt échangé. J’ai pris une claque, je me suis dit, faut travailler ça. J’ai pas besoin d’être assisté. Baba et moi, on était comme ça. » Pour Karl, il faut aller toujours plus loin : « Tu es obligé d’aller vers l’information, de partir en exploration, te confronter avec des danseurs à l’étranger, revenir avec du nouveau ». Pour lui, c’est l’underground londonien puis new-yorkais. « Ma vie de danseur est parsemée de rencontres. Storm. Damon Frost. J’ai été happé par l’énergie de Jazzy Jay. Il avait des genoux incroyables. Je pensais que c’était humainement impossible, avant de comprendre les techniques. Junior ou Pop N’Taco m’ont impressionné ». Aller vers « la source » est un
leitmotiv. Dans les années 2000, en pleine course aux informations, Karl organise des stages avec des danseurs qui enseignent des « bases » qu’il juge important de « transmettre aux plus jeunes ».
« Si nous avons mis tellement d’énergie à aller chercher, nous-mêmes, des informations sur les danses affiliées à la culture hip-hop, c’est peut-être parce que nous avions à cœur de les considérer dans leur profondeur historique » conclut Karl. Il entend déjouer les représentations, largement héritées d’une vision coloniale, qui minorent la valeur de ces danses. « Cette culture est vivante, intelligente, elle s’écrit au passé, au présent et au futur » assène-t-il.
Collecte des informations et transmission des récits
Karl, Yugson
Les danseurs européens, notamment français, ont joué un grand rôle dans la collecte de ces informations et leur formalisation. D’après Karl, la Hawks Method, organisée par Yugson, participe à cet effort : « Connaissez-vous les fondements des danses que vous apprenez ? Savezvous utiliser les bases pour improviser ? » Il faut parfois se mettre d’accord sur la terminologie, qui varie entre New-York, Los Angeles ou la France. Certains noms de mouvements ne posent pas problème (« le running man, on sait ce que c’est ») d’autres nécessitent une recherche personnelle (TLC et Bart Simpson désignent le même step). Yugson n’entre pas dans des différends qui risquent d’être sans fin : « En tap dance, des mouvements se rapprochent de nos footworks. Pourquoi on ne reprendrait pas les noms du tap ? On ne le fait pas, car il y a des acteurs dans cette culture qui les ont signés, c’est une forme de respect par rapport à ces personnes ».
Comment vérifier l’exactitude d’un récit ? Sur dix «anciens », trois ou quatre ont une même version, répond Yugson, mais il ne faut pas mettre de côté l’histoire des six autres. Il affirme qu’on sait qui étaient les meilleurs : ceux qui ont animé des cercles et qu’on regardait. « Les mêmes noms ressortent, tu les rencontres, ils disent souvent la même chose ».
Karl, qui a fait des études d’histoire, écoute et pose des questions : « Qui, quand, où, comment, pourquoi ? Qu’as-tu vécu ? Qu’aimais-tu ? Qui étaient
tes influences, tes concurrents ? ». Il a récolté des informations « incroyables » en passant des nuits à discuter, à regarder des vidéos avec d’autres danseurs. « Damon a vu le boogaloo arriver, il a immédiatement compris la force de Boogaloo Sam. Il m’a raconté ». Il poursuit cette démarche : récemment, il s’est connecté avec un des pionniers du C-walk : « J’ai envie d’en savoir plus, de leur donner le respect qui leur est dû. Si on ne parle pas d’eux, que restera-t-il de la danse ? Des pas sans fondement, sans histoire ». Cet homme, qui faisait partie des Creeps, donne des noms, cite des lieux, ce qui accrédite son histoire. Karl, comme professeur, ne peut soutenir que son savoir est la « pure vérité » mais un « regard porté sur un événement à un instant t ». Il encourage ses élèves à vérifier la justesse de toute information et reste lui-même en alerte : « On m’a montré des vidéos de danseurs house qui ne font pas les bases qu’on connaît ! ». Il accorde une grande attention à la musique : l’insistance avec laquelle on répète « Jack » dans la house le convainc de la centralité du jacking. Passé présent futur L’image d’un arbre généalogique est prégnante, avec ces Hip-hop family tree anciens, les OG, plusieurs Yugson sourit en se générations, cherchant à demandant qui a créé trouver leur place dans le running man, avant de les chaînes de transmission souligner la complexité irriguant cette culture. de la tâche. Des jeunes pratiquent des danses nées des musiques des nineties sur des pas qui viennent des soul train des seventies, qui ont eux-mêmes été précédés par le swing et le tap. Les steps n’ont pas changé, mais la musique, la tenue de corps, la façon de prendre le rythme ont évolué, explique-til. Pourrait-on encore aller plus loin dans le passé ? Se pose en filigrane la question des danses du continent africain, et de leur continuité, ou non, avec les danses afro-américaines. Karl prône l’ouverture. D’un côté, il y a nos origines, desquelles nous sommes plus ou moins imprégnées. De l’autre, nous vivons dans un creuset multiculturel, avec autant de possibilités d’influences. Parfois, Karl demande à ses élèves de montrer des gestuelles vues ou pratiquées en famille, dans des fêtes, et de ramener les musiques associées. Parfois, c’est après avoir commencé à danser hip-hop ou house, qu’on se tourne vers telle danse qui nous attire pour entreprendre une fusion. On ne connaîtra jamais par l’expérience les états antérieurs des danses dites ancestrales. S’il y a un lien à la tradition dans ces danses, c’est peut-être celle qui se construit dans ces récits, certes lacunaires, parfois
conflictuels. La dimension narrative est centrale pour comprendre ce qui circule de danseur à danseur. L’image d’un arbre généalogique est prégnante, avec ces anciens, les OG, plusieurs générations, cherchant à trouver leur place dans les chaînes de transmission irriguant cette culture. Là aussi, tenir les deux bouts semble essentiel, rappelle Yugson, qui a autant appris des anecdotes des anciens que de la fougue des plus jeunes qui s’entraînent dans sa salle.
À qui transmettre ?
(A secret)
Karl, Walid et Yugson donnent des cours et des workshops dans des formations, des conservatoires ou d’autres structures. Ils continuent à transmettre de manière informelle.
Karl considère toute personne qui franchit la porte de son cours. « Il y a tous les corps, toutes les aptitudes, toutes les mentalités. Il faut accepter tous les élèves, les observer, les lire, trouver les mots justes ». Si nous n’avons pas les mêmes facultés de synchronisation ou de compréhension de notre corps, il accompagne tous les profils : « C’est normal, on passe tous par cette épreuve, je vais t’amener à ton objectif, fais-moi confiance ». Tous les corps peuvent s’exprimer, car l’objectif n’est pas le mimétisme : « Je te montre le running man, tu le fais. Ensuite, je te demande d’ajouter des éléments. Enfin, tu dois le personnaliser ». Karl refuse que ses élèves vivent le mouvement à travers lui. Il donne des pistes, ne propose pas de chorégraphie. La philosophie de son cours, « utiliser la danse pour construire l’humain », est claire. Elle tire vers les arts martiaux et ses rapports particuliers entre maître et élève : « Un professeur est un guide. Il te permet de prendre ton envol. Le meilleur moyen de me remercier, c’est d’être toi-même et de réussir ! ».
On peut avoir l’impression d’entrer facilement dans ce milieu, mais on y est aussi choisi, coopté. Parfois, un élève vient voir Yugson à la fin d’un cours open et lui demande « pourquoi tu fais comme ça, on pourrait faire comme ça ? ». Il détecte un potentiel et dit ne s’être jamais trompé : « Ils sont ouverts, ils te posent des questions, il faut que tu les nourrisses ; tu te revois en eux ! ». Il les pousse à venir à la salle pour un training, dans un club pour une soirée, là où ça se passe. Il est indispensable de garder ces liens électifs : « Quand quelqu’un a cette énergie, il faut pas le lâcher ».
Walid est attentif à chaque contexte, pour être au plus près de ce qu’on attend de lui. Dans les formations, il « partage une expérience, donne des outils de lecture, ouvre un questionnement ». Il s’adapte à chacun, passe par un échange verbal. En dehors des cours, c’est « plus informel, on se challenge, on se booste, j’appelle plutôt ça du partage ». Il réserve à ceux qui le contactent spécifiquement pour cela, notamment en Asie, ou à des proches, son approche esthétique personnelle, acquise auprès de Skeeter Rabbit.
Conclusion1
J’ai mis l’accent sur l’aspect informel de la transmission, qui donne à cette culture une couleur particulière. Transmettre est inhérent à cette culture. Le concept de transmission d’énergie montre que quelque chose excédant le sensible, comprenant aussi du langage, est présent dès le début.
Karl, Walid et Yugson parlent unanimement d’observation, d’énergie. Ils cherchent à intégrer ces éléments à leur enseignement, ce qui n’a rien d’évident. Walid nomme la difficulté : « Je transmets quelque chose que je n’ai pas accueilli de cette manière, ni à ce rythme ». On imagine ce possible déracinement, pour des élèves qui passent des heures devant un miroir, ont plusieurs professeurs par semaine, sont parfois évalués. Yugson craint qu’une esthétique formelle prenne le dessus sur la culture : « Certains vont t’apprendre à danser, d’autres vont t’apprendre la danse et la culture ».
La transmission est un sujet brûlant. Certains débats sont publics, s’affichent sur les réseaux sociaux. Plusieurs visions de la formation et de son insertion dans un système politique et économique se construisent ces dernières années. En France, se pose depuis longtemps la question d’un diplôme ou d’une certification d’État, suscitant interrogations et désaccords. Beaucoup craignent que cela ne fige la créativité, en l’encadrant. Karl s’insurge contre une situation qui mettrait en péril la diversité des expressions. Pourtant, comment mettre en lumière ce qui a été créé et recensé, pour le prolonger dans le futur ? Remerciements : Fedra, Karl Libanus, Walid Boumhani, Lumengo Massangila, Rabah Mahfoufi, Anne Gagnant, Thomas Schad, Hakim Belhacel.
1 « It’s a secret! Never teach the Wu-Tang ». Wu Tang Clan, « Conclusion », Enter the Wu-Tang (36 Chambers), 1993. url : https://www.youtube.com/watch?v=PLcVl5ugD-4