À LA UNE : TRANSMETTRE
Vivre et transmettre les danses hip-hop LARISSA
CLEMENT BELHACEL
J
Transmission d’énergie ’ai pris mon premier cours de danse en 2007. Pendant une heure et demie, je me suis Walid demandée où j’étais. On dansait sur de la house, alors que j’avais choisi ce cours dans la « Il fait chaud, la musique te pénètre, t’absorbe. Il y rubrique Danse hip-hop du studio. Une fois chez moi, a du monde, c’est presque une énergie de pogo. Tu ne j’ai fait quelques recherches infructueuses : rien dans peux pas mettre le mental en action, il se passe quelque les livres, presque rien sur Internet. Je suis retournée à chose dans ton corps, c’est incontrôlé ». Pour Walid, ce cours de house dance dans un autre studio, fréquenté la transmission est d’abord de l’ordre de l’énergie : par des danseurs qui venaient pour des cours de hype, « Il y a un truc qui est rentré dans notre corps, par hip-hop new style, popping… ou simplement s’entraîner. l’énergie. Tout ce que j’ai compris, c’est à partir de là. » Tous·tes semblaient se connaître, partager un même La soirée du Chapelais, à la fin des années 80, est une monde, parlant de lieux et de personnes qui m’étaient révélation pour le jeune homme, déjà électrifié par le inconnues, utilisant des termes qui m’intriguaient. J’ai scénario de Breaking. Il se rend suivi ce cours pendant deux le samedi après-midi, le cœur ans. Encouragée et conquise, « Il y a un truc qui est battant, dans ce club du 17ème je suis allée à des soirées, des rentré dans notre corps, arrondissement. « Tu rentres spectacles, des événements. J’ai par l’énergie. Tout ce dans une soirée, tu vois plein été fascinée par la richesse de ces de renois avec du style, tu as du que j’ai compris, c’est à danses, nées dans des contextes bon son, du Teddy Riley dans la partir de là. » géographiques, culturels et gueule, tout le monde est dans musicaux différents, mais parfois un film. Welcome to the hip-hop. Ou regroupées sous le terme générique « hip-hop ». bien t’as du style, ou bien tu passes pour un péquenot. J’ai d’emblée admiré le niveau de maîtrise dont certains danseurs et danseuses faisaient preuve. Comment avaient-ils appris, alors que le savoir dont ils disposent n’était pas donné, ni enseigné comme aujourd’hui ? J’ai été attirée par l’accessibilité de ces danses, à la fois populaires et initiatiques. On ne dit pas tout au nouvel arrivé. Je souhaite plonger le lecteur dans cet univers, sans donner de définition, ni décrire les mouvements cités, pour ne pas figer quoi que ce soit par l’écrit, et faire entendre la parole des danseurs euxmêmes. J’ai échangé avec trois danseurs dans cet article. Walid, Karl et Yugson se connaissent, ont partagé des cyphers et s’estiment. Ils vivent de leur passion, la partagent. A travers leur parcours, long de plus d’une trentaine d’années, je me suis demandée ce qui se transmet dans les danses hip-hop, et comment cela se passe. Leurs visions se font écho les unes aux autres. Elles me permettent de mieux appréhender les actes physiques et mentaux, individuels et collectifs qui fondent la transmission dans cette culture.
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AssiégéEs • septembre 2021
Il n’y a pas « je vais t’expliquer, respire par le ventre, libère un peu plus les côtes, va vers le haut… » ! C’est la transmission par le charriage ! Il fait chaud, c’est des beats super soutenus, les mecs autour de toi mettent la patate. A un moment, ou bien tu t’inventes une vie, ou bien tu y vas. Tu te mets dans une transe. Les mouvements, c’est instinctif ». L’énergie est celle d’un collectif : « Tu y retournes, les gens te disent bonjour, tu ne comprends pas trop ce qui se passe. Des gars parlent ensemble, dansent. Il y a un mec marrant avec son bonnet, un mec un peu chelou, un mec raggamuffin, un autre super beau gosse. Ce sont des rôles auxquels tu t’identifies. T’as pas le choix, soit tu en es, soit t’en es pas. Il faut le montrer avec son corps. On t’encourage, mais c’est, vas-y, te fous pas de notre gueule. Tu sens que tu es dans une communauté, pas dans une boîte. Quelque chose a résonné en moi. C’est comme si je rentrais dans une famille, inconsciemment ». Walid perçoit le clubbing comme vecteur de transmission.