3 minute read

Reese Chniber

Aïcha 9andicha

REESE CHNIBER

Advertisement

Te rappelles-tu de cette étrange sensation que tu avais l’habitude d’avoir, juste après que les lumières soient toutes éteintes alors que tu ne dormais pas encore ? Et tu savais, parce que tout le monde te le répétait sans cesse, que tu ne devais pas avoir peur du noir, mais tu ne pouvais t’empêcher de sentir qu’il y avait quelque chose dans ta chambre, quelque chose qui se cachait, se rapprochant petit à petit de toi, à chaque fois que tu clignais des yeux... ? Et bien sûr, tu faisais de ton mieux pour garder les yeux ouverts et tu aurais vraiment aimé pouvoir continuer à le faire mais tu savais bien que tes yeux allaient, tôt ou tard, se fermer, et c’est à ce moment précis que tu sentais son souffle sur ta peau et que tu avais beaucoup trop peur de rouvrir les yeux ?

Le machin-chose-qui-fait-peur-dans-le-noir de mon enfance n’était rien d’autre que la terrible « Aïcha 9andicha ». Je l’imaginais comme une sorte de sorcièredémon-monstre. Je n’étais pas vraiment sûr·e de savoir ce à quoi elle ressemblait vraiment mais mon imagination, plutôt féconde, faisait en sorte qu’elle soit particulièrement effrayante. Mon cas n’était pas isolé. Laplupart des adultes faisant office de figures parentales, éducateurices et ailleul·e·s au Maroc utilisent la peur de « Aïcha 9andicha » pour contraindre les enfants à faire toute sorte de choses, l’élevant ainsi au rang de monstre national : « Fais ça ou elle s’en prendra à toi, au moment où tu t’y attendras le moins, dans le noir ! » Qu’ielles disent.

J’ai particulièrement redouté chaque fois qu’il fallait éteindre moi-même la lumière et revenir à mon lit. Je savais qu’Aïcha était là, qu’elle me suivait ... Je pouvais sentir son souffle sur ma nuque ... Je savais qu’elle me dévorerait tout·e cru·e si elle pouvait voir à quel point j’avais peur. Alors, je devais prétendre que je n’avais pas peur du tout, dessiner un sourire sur mes lèvres, cacher une larme, faire semblant de danser pour atteindre mon lit plus vite ou me retourner brusquement sur mon trajet, pour la faire s’éloigner un peu de moi... et lorsqu’enfin j’arrivais à mon lit, je me glissais promptement dedans, me cachant le visage sous la couverture, de manière à ne pas la voir s’approcher, de manière à ce qu’elle ne puisse pas me voir m’endormir, ou du moins c’est ce que je pensais…

Des années plus tard, je partageais une bouteille de rouge avec un ami d’enfance qui me racontait l’histoire de le femme amazigh légendaire qui avait combattu et vaincu les colons portugais, au Maroc, il y a quelques siècles. C’était la premiere fois de ma vie que j’entendais une histoire de femme marocaine empouvoirante et j’étais vraiment très enthousiaste ! « Mais tu la connais ! » S’exclama mon ami en me questionnant du regard. « Je ne crois pas ... » Dis-je en hochant la tête. L’indice suivant, accompagné du sourire malicieux de mon ami qui avait l’air de se délecter de la situation, ne se fit pas attendre : « Allez Reese, on la connaît tous ! » Je n’avais toujours aucune idée de ce dont il me parlait … « Bon, » dit-il lascivement, « elle est aussi connue sous le nom de Aïcha 9andicha ! » « Quoi ? Mais… Attends ! »

This article is from: