Palestine n°54

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Belgique/België P.P. Bruxelles X 1/1624

BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL TRIMESTRIEL N°54 – OCTOBRE/NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2012 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130

SOMMAIRE

© Anne Paq / Activestills

DOSSIER boycott etcetera… > 3 – 10 Le portrait du mois > 11 Gaza : instantanés > 12 Tribunal Russell > 14 – 19 Camps de réfugiés palestiniens en Jordanie > 20

Quatre ans après le massacre de l’Opération Plomb durci, alors que la population de Gaza est encore et toujours soumise à un blocus illégal, Israël lance l’Opération Pilier de Défense. Depuis le début des attaques aériennes, les victimes civiles palestiniennes se multiplient. Et rien n’est fait ni par l’Union européenne, ni par les Etats-Unis pour y mettre un terme. Pire, la communauté internationale, tout comme les médias, ne semble se soucier que de la sécurité des Israéliens mis en danger par les roquettes tirées depuis la bande de Gaza.

Plus que jamais, la mobilisation de la société civile, votre mobilisation, est essentielle


palestine 02 ÉDITO

palestine 03 DOSSIER BOYCOTT

LE DROIT À L’EXISTENCE D’ISRAËL NE LUI

donne pas tous les droits! par Pierre Galand, Président

Si l’on observe la somme des violations du droit international et humanitaire commis par les gouvernements successifs d’Israël, tout donne à croire que cet État se considère au-dessus ou en dehors de la loi. Le Tribunal Russell sur la Palestine, au cours de ses quatre sessions à Barcelone, Londres, Cape Town et New York a non seulement précisé quelles étaient ces violations commises à l’encontre des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza mais aussi à l’encontre des Palestiniens d’Israël et des réfugiés. Il a également qualifié ces violations de crimes contre l’humanité, crimes de guerre, crimes d’apartheid et crimes de persécution. En outre, il s’est attaché à analyser les complicités des États-Unis, de l’Union européenne et des sociétés multinationales qui, du fait de leurs relations économiques et commerciales avec Israël, se rendent objectivement complices de ces crimes. Il a enfin souligné les complicités et manquements graves des Nations Unies qui se laissent dicter la loi par le Conseil de sécurité sur lequel pleuvent les vétos des Américains pour protéger leur allié israélien. Aujourd’hui, malgré le rapport des Nations Unies faisant suite à l’opération « Cast Lead », malgré les conséquences criminelles de la construction des murs en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem, tant Monsieur Obama que l’UE viennent encore d’apporter un soutien des plus douteux au gouvernement israélien le plus réactionnaire de l’histoire d’Israël. Obama a accepté d’engager les USA dans une importante manœuvre militaire conjointe avec Israël. S’agissait-il pour lui de courtiser l’électorat juif américain, à la veille des présidentielles américaines? Ou, en tant que principal fournisseur d’armes et d’équipements militaires à Israël, de tester et d’exercer son pupille dans sa capacité à utiliser cet arsenal? Reste à se demander contre qui… Quant à l’Union européenne, le vote fin octobre par le Parlement européen du protocole ACAA avec Israël constitue un revirement honteux après sa décision antérieure de refuser tout rehausse-

ment des relations économique et commerciales avec Israël à la suite de l’opération « Cast Lead » et du blocus inhumain imposé par Israël aux populations de Gaza. Début novembre, Madame Clinton, en route pour Israël, a pris dans ses valises Madame la Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton. On ne peut être plus clair sur les allégeances européennes à la politique Étasunienne dans la région. Devant de telles complicités manifestes, de plus en plus de voix s’élèvent pour appeler les Américains et les Européens à se mobiliser pour dénoncer ces politiques de complicité des États occidentaux avec Israël. La campagne BDS constitue un front auquel toutes les composantes des organisations, associations et institutions civiles sont appelées à s’associer pour faire barrage à l’aveuglement criminel de ces complices d’Israël dans l’occupation de la Palestine, dans la violation de toutes les règles du droit international à l’égard des populations palestiniennes et dans le sociocide méthodiquement organisé par Israël à l’égard de ce peuple martyr.

palestine no 54

Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche, Nadia Farkh, Pierre Galand, Katarzyna Lemanska, Julien Masri, Christiane Schomblond, Gabrielle Lefèvre, Hocine Ouazraf, Nathalie Janne d’Othée. Association belgo-palestnienne / Wallonie-Bruxelles asbl Siège social rue Stévin, 115 à 1000 Bruxelles Secrétariat quai du Commerce 9 à 1000 Bruxelles tél. 02 223 07 56 / fax 02 250 12 63 / abp.eccp@skynet.be www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 / BIC GE BABE BB Graphisme Dominique Hambye & Élise Debouny

DOSSIER

Boycott

ETCETERA…

Alors que la question de l’étiquetage des produits des colonies gagne en crédibilité dans les sphères européennes, ce dossier entend parcourir les différentes formes d’action entreprises face à la colonisation et l’occupation israélienne. L’étiquetage des produits des colonies constitue une forme d’action que certains considèrent insuffisante puisqu’elle laisse entrer des produits issus de territoires occupés sur nos marchés. Mais l’étiquetage a déjà donné des résultats malgré cela (p.6). L’interdiction des produits des colonies est plus cohérente avec le droit international, comme l’explique François Dubuisson (p.7). L’Association Belgo-palestinienne lance quant à elle une nouvelle campagne de boycott ciblant Mehadrin, une compagnie israélienne d’exportation de fruits et légumes impliquée dans l’occupation israélienne des territoires palestiniens (p. 4-5). Cette campagne s’inscrit dans le mouvement plus large pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions qui s’inspire des méthodes de luttes contre l’apartheid sud-africain (p. 8-9).


palestine 04 DOSSIER BOYCOTT Mehadrin, Mehadrin, Mehadrin… il faut que ce nom s’imprime dans les esprits. Après la faillite – mais non la disparition – de l’exportateur israélien Carmel-Agrexco, Mehadrin a déboulé en force sur nos marchés. Afin d’informer les consommateurs sur le profil de cette entreprise israélienne et d’alimenter leur vigilance à son égard, la prochaine campagne de l’Association belgo-palestinienne ciblera Mehadrin.

Mehadrin

UNE ENTREPRISE QUI PROFITE DE L’OCCUPATION par Nathalie Janne d’Othée

Publicité israélienne pour les oranges de Jaffa

PREMIER BÉNÉFICIAIRE DE LA FAILLITE D’AGREXCO Exportateur national de fruits et légumes depuis la création d’Israël, Agrexco bénéficiait à l’origine d’un statut de monopole imposé par l’Etat. A la fin des années 90, le secteur est ouvert à la concurrence et des permis d’exporter sont accordés à 75 autres compagnies. Malgré ce changement, aucune transformation n’est opérée dans la structure d’Agrexco, pourtant beaucoup trop lourde en coûts humains et opérationnels. Ce manque de réactivité, couplé à des campagnes de boycott de plus en plus efficaces en Europe et ailleurs, finit par entrainer la faillite de l’entreprise, prononcée le 30 août 2011 par le tribunal de Tel Aviv. Avant même la faillite d’Agrexco, Mehadrin avait déjà pris le dessus sur son concurrent. Avec quelques dizaines d’employés seulement et donc des coûts de fonctionnement moindres, Mehadrin exportait déjà la moitié du volume exporté par Agrexco. Depuis la faillite du géant exportateur, Mehadrin a en partie pris sa place sur le marché européen et est également devenu le principal exportateur des oranges Jaffa. Via ses différentes filiales, il exporte des agrumes (oranges, citrons, pamplemousses, pomelos, etc.), des pommes de terre, des avocats, des kakis, des mangues, des raisins, des dattes, des lychees, des grenades, mais aussi des carottes, des poivrons et des tomates. Outre l’exportation, le groupe Mehadrin exerce ses activités dans divers domaines relatifs à l’agriculture : culture, emballage, réfrigération, distribution d’eau et gestion de patrimoine immobilier. Il procure également des revenus aux producteurs et coopératives agricoles qui exportent leurs produits par son intermédiaire.

pellier III) et membre de la coordination nationale française CCIPPP, ce changement cosmétique est dû à la campagne de boycott à laquelle Mehadrin a été confronté dès son arrivée sur le marché européen. Auparavant, l’entreprise reconnaissait également ouvertement qu’elle exportait des dattes Mejdoul provenant de la Vallée du Jourdain. Elle ne le fait plus ; cependant, encore aujourd’hui, de nombreuses sources attestent de la présence de Mehadrin dans la Vallée du Jourdain. Surexploitation des ressources en eau et assèchement des terres Le groupe Mehadrin possède une série de puits de forage, dont 16 proviennent de l’aquifère côtier, 4 de l’aquifère de la montagne. L’aquifère de la montagne est en grande partie situé en Cisjordanie et est considéré comme une ressource devant être partagée entre Israéliens et Palestiniens. Le rapport publié sur le sujet par Amnesty International en 2009 a pourtant montré l’inégalité criante du partage des ressources hydrauliques. Les Palestiniens n’ont en effet un accès direct qu’à 20% de l’eau issue de l’aquifère de la montagne, tout le reste étant exploité par les Israéliens. Les Palestiniens se voient dès lors contraints d’acheter de l’eau à la compagnie israélienne des eaux, Mekorot, à un prix souvent supérieur à celui que paient les colons qui les encerclent.

Impliquée dans la construction du Mur Le groupe Mehadrin est également impliqué dans la construction du Mur. En effet, l’actionnaire majoritaire du groupe, IDB Group, possède une filiale, Nesher Israel Cement Enterprises, qui participe à la construction du Mur. Les oranges Jaffa Mehadrin est le premier exportateur d’oranges Jaffa. Antérieurement cultivées par les Arabes de Palestine, les oranges de Jaffa sont devenues, grâce à une intense campagne publicitaire menée dans le monde entier, un symbole national israélien. Pour les Palestiniens, cela représente, en plus du vol de la terre, un déni de leur histoire et une opération de rapt de leur culture. Petit bout d’histoire… Lorsque les orangeraies palestiniennes furent confisquées et attribuées aux colons juifs, ces nouveaux « Israéliens » n’avaient pas le savoir-faire nécessaire à leur entretien. Ils ont donc fait appel à une main-d’œuvre palestinienne qui sera parfois composée de ceux à qui la terre a été volée ! (cf. La mécanique de l’orange, un film documentaire d’Eyal Sivan, 2009) Au vu des différents liens de Mehadrin avec le système d’occupation israélien, on comprend combien celui-ci fait partie intrinsèque de la société et de l’économie israéliennes. Ce qui justifie amplement l’appel au boycott total des produits israéliens.

UN GROUPE PRÉSENT EN EUROPE

en 1997. Située à Barendrecht, près de Rotterdam, elle opère via les ports de Rotterdam, d’Anvers, de Bremen, d’Hambourg et de Koper en Slovénie. Suivant le calendrier saisonnier diffusé sur le site de Mehadrin, ce sont principalement des agrumes qui arrivent sur nos étals de septembre à février, des pommes de terre de janvier à juillet. L’exportation de dattes Mejdoul s’étale quant à elle sur toute l’année. La plupart des supermarchés et des marchés belges commercialisent des produits Mehadrin, même si le nom de la marque n’est pas toujours apparent.

OSEZ LE BOYCOTT DE MEHADRIN Le 25 octobre dernier, Richard Falk, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés a appelé l’Assemblée générale et la société civile à prendre des initiatives contre les entreprises qui profitent de l’occupation. Parmi celles-ci, le Rapporteur spécial a cité le groupe israélien Mehadrin. Afin d’informer les citoyens et les consommateurs sur les activités illégales et en lien avec l’occupation de Mehadrin, l’Association belgopalestinienne répond à l’appel de Richard Falk et mènera cette année campagne pour le boycott des produits Mehadrin. Ce sera l’occasion de mettre l’accent sur la situation dramatique des Palestiniens de la Vallée du Jourdain, partie de la Cisjordanie où Mehadrin s’est implantée et où l’entreprise profite illégalement de la terre, de l’eau et d’une maind’œuvre palestinienne bon marché et honteusement exploitée.

UNE ENTREPRISE QUI PROFITE DE L’OCCUPATION

Or Mehadrin revend une partie de l’eau tirée de ses puits à l’entreprise israélienne de distribution d’eau Mekorot. Selon le rapport annuel 2011 du groupe Mehadrin, les projets et investissements de la compagnie dans le secteur de l’eau sont subsidiés par l’État à raison de 60 à 100 %.

Plusieurs filiales du groupe Mehadrin, et plus précisément de Mehadrin Tnuport Export (MTEX) sont présentes en Europe : Mehadrin France, Mehadrin Scandinavia, Mehadrin UK, Mehadrin Holland. La Belgique est desservie par la filiale hollandaise de Mehadrin, établie

Présente dans les territoires occupés L’ancien site web de Mehadrin mentionnait que la compagnie possédait au moins quatre vergers en Cisjordanie. Mais après la faillite d’Agrexco, il semble avoir fait peau neuve et a effacé la trace de ces vergers. Selon José-Louis Moraguès, maître de conférences (Mont-

Par ailleurs, Mehadrin développe une agriculture inadaptée à la nature du terroir de la région. Ainsi, sa contribution à la culture des dattes dans la Vallée du Jourdain concourt à la culture extensive du palmier dattier qui assèche dangereusement une terre autrefois des plus fertiles.

ATTENTION ! CARMEL-AGREXCO N’A PAS DISPARU !

Si participer aux activités de sensibilisation de cette campagne vous intéresse, n’hésitez pas à nous contacter (abp.eccp@skynet.be).

Rachetée en octobre 2011 par Gidéon Bickel, la compagnie Carmel-Agrexco a repris ses activités sous une nouvelle forme, plus adaptée au marché actuel. L’homme d’affaires a dit vouloir relever le défi de relancer la marque, en tirant avantage de sa renommée internationale, et il en a les moyens. Depuis janvier 2012, l’entreprise exporte à nouveau vers le marché européen.


palestine 06 DOSSIER BOYCOTT

palestine 07 DOSSIER BOYCOTT Les gazéificateurs Sodatream sont produits dans la colonie israélienne de Mishor Adumim.

Pour l’étiquetage des produits DES COLONIES ISRAÉLIENNES ? par Nathalie Janne d’Othée

LES ÉTATS DE L’UNION EUROPÉENNE ONT L’OBLIGATION

Depuis quelques mois, le débat sur un étiquetage des produits des colonies a pris un nouveau tournant. Deux pays, l’Afrique du Sud et le Danemark, obligent désormais les commerçants à étiqueter les produits israéliens provenant des colonies comme tels.

À l’initiative du Danemark et de certaines grandes ONG comme Crisis Action, l’UE semble s’engager sur la même voie. Par ailleurs, de nombreuses voix israéliennes se sont exprimées en faveur d’un étiquetage clair qui ne trompe plus le consommateur. Mais en quoi un étiquetage distinctif est-il réellement efficace ? Quelle est la position de l’Association belgo-palestinienne sur le sujet ? Depuis peu, la question d’un étiquetage des produits en provenance des colonies israéliennes progresse. Après l’Afrique du Sud et le Danemark, la France, la Grande-Bretagne et la Commission européenne poussent l’UE à s’engager dans la même voie. Les États membres de l’UE restent néanmoins réservés sur les arguments qui justifieraient un étiquetage de ces produits. Ce faisant, il ne s’agirait en aucune manière de sanctionner Israël mais seulement d’appliquer pleinement les accords de libre échange conclus avec Israël – qui n’incluent pas les colonies – voire d’alléger la charge de travail reposant sur les services de douane des États membres de l’UE. Pour l’instant, la vérification de la provenance des produits – via l’examen du code postal – repose sur les douanes des États membres, ce qui impose à celles-ci un travail administratif important. La demande d’ONG comme Crisis Action est aujourd’hui de revoir l’Arrangement technique (AT) avec Israël, de manière à le contraindre à appliquer lui-même un étiquetage distinctif des produits issus des colonies. Les arguments invoqués en faveur d’un étiquetage distinctif ne correspondent pas à ce que défend l’Association belgo-palestinienne. En effet, il est selon nous nécessaire qu’Israël perçoive une telle initiative comme une sanction de sa politique d’occupation, dont la colonisation n’est qu’une composante, et non comme le simple respect par l’UE de sa propre réglementation ! D’autre part, la réforme du système proposée par Crisis Action implique de faire confiance à Israël pour un étiquetage correct. Il apparaît pourtant peu probable qu’Israël soit susceptible d’étiqueter des produits comme provenant d’une « colonie » puisqu’il accorde à ses colonies, illégales selon le droit international, le même statut qu’aux autres municipalités situées sur son territoire, à l’intérieur de la Ligne Verte.

La démarche de l’UE n’est donc pas mauvaise en soi mais elle manque à la fois de courage et de réalisme politiques. D’autres arguments sont avancés pour défendre un étiquetage spécifique. Ainsi, Gidéon Levy tente de convaincre l’opinion publique israélienne en soulignant par exemple que la distinction entre produits des colonies et produits israéliens provenant de l’intérieur des frontières de 1967 permettra aussi bien aux détracteurs qu’aux défenseurs de l’entreprise coloniale israélienne de consommer selon leurs convictions politiques là-dessus. Il avance en outre que, tant qu’aucune distinction n’est faite entre produits israéliens et produits des colonies israéliennes, un boycott généralisé de tous les produits israéliens sera justifié (voir Palestine n°53, septembre 2012). Par ailleurs, il faut reconnaitre qu’un étiquetage des produits des colonies peut avoir des retombées positives comme on a pu le constater dans certaines grandes surfaces européennes. Plutôt que de mettre dans les rayons des produits étiquetés « produit dans une colonie », les supermarchés Coop en Grande-Bretagne ou Migros en Suisse ont préféré tout simplement s’en passer. Peut-on dès lors penser qu’un étiquetage spécifique représente une avancée, même s’il ne répond pas entièrement à nos attentes ? Au vu des arguments invoqués et des retombées positives, on aurait tendance à répondre par l’affirmative. Néanmoins, accepter sur nos marchés des produits en provenance des colonies, même dûment étiquetés comme tels, n’est pas acceptable. Les produits des colonies proviennent en effet, selon le droit international, de territoires illégalement occupés. Ce sont donc des produits fabriqués sur des terres volées à leurs habitants palestiniens et fabriqués par des ouvriers palestiniens honteusement sous-payés . Pour terminer, notons que la position de l’Association belgo-palestinienne sur le boycott va plus loin. Selon nous, en effet, le boycott est plus qu’un simple refus du consommateur d’être complice de la colonisation israélienne. Au-delà de la colonisation, c’est l’ensemble du système israélien d’occupation contre lequel nous luttons. Nous prônons le boycott de tous les produits israéliens parce qu’en l’absence de sanctions politiques de la part de nos gouvernements, le boycott est selon nous un moyen de pression pacifique qui reste à la disposition des citoyens et qui a déjà fait les preuves de son efficacité ailleurs.

d’interdire le commerce

DES PRODUITS ISSUS DES COLONIES par François Dubuisson, Chargé de cours Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles

La question du commerce des produits fabriqués dans les colonies installées par Israël en Territoire palestinien occupé (en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est) fait l’objet d’un débat de plus en plus intense, notamment au sein de l’UE. Plusieurs États membres seraient favorables à un étiquetage des marchandises issues des colonies, permettant aux consommateurs d’en identifier l’origine spécifique. Pourtant, il existe de nombreux arguments juridiques permettant d’établir une obligation pour les États d’adopter une politique d’interdiction pure et simple du commerce des produits des colonies. Comme on le sait, les colonies de peuplement sont installées par Israël en Territoire palestinien occupé en violation de l’article 49 de la 4e Convention de Genève et du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. L’accaparement de terres et de ressources naturelles palestiniennes au profit de ces colonies et de leur économie entraînent encore d’autres violations du droit international. L’existence de ces « violations graves de normes fondamentales du droit international » engendre pour les États tiers certaines obligations visant à ce qu’il soit mis fin à la situation illégale créée par de telles violations. Les États doivent « coopérer » pour mettre fin à ces violations et ont l’obligation de ne pas « prêter aide ou assistance au maintien » de la situation illégale. À cela, s’ajoute l’obligation des États de « faire respecter » les dispositions de la 4e Convention de Genève. Toutes ces obligations à charge des États tiers avaient été déjà énoncées par la Cour internationale de Justice dans son avis du 9 juillet 2004, concernant la situation illégale créée par la construction du Mur. Le développement économique des colonies, comme centres de production, de transformation ou d’emballage de produits, participe indéniablement à leur maintien et leur expansion. Et l’exportation de ces produits est à cet égard un débouché essentiel. En admettant sur leur territoire l’importation et la commercialisation des produits issus des colonies de peuplement, les États de l’Union européenne contribuent indéniablement à leur prospérité économique et, en cela, apportent « aide et assistance » au maintien de la situation illégale

créé par la politique de colonisation d’Israël. Un rapport récemment publié par un ensemble de 22 ONG montre la réalité de ces importations, par les États de l’UE, de marchandises en provenance des implantations établies au sein du Territoire palestinien occupé (« La Paix au Rabais : comment l’Union européenne renforce les colonies israéliennes, 30 octobre 2012). Le respect de leurs obligations internationales impliquerait que les États cessent immédiatement cette forme d’assistance au maintien des colonies et adoptent une politique d’interdiction des produits qui en sont originaires. Plusieurs États européens, dont la Belgique ou le Royaume Uni, ont fait savoir qu’ils étaient favorables à une « labellisation » des produits des colonies, permettant aux consommateurs de les identifier comme tels, mais qu’ils récusaient toute possibilité d’interdiction. Une telle décision ne répondrait en rien aux obligations internationales décrites plus haut et serait au contraire de nature à mettre en lumière les défaillances des États concernant le respect de celles-ci. En effet, la seule exigence d’une indication exacte de l’origine des produits revient à considérer la question de la commercialisation des produits des colonies comme ne posant qu’un problème d’information du consommateur. Dans cette logique, une fois ce problème résolu par un étiquetage adéquat, le commerce de ces produits devrait alors être jugé comme parfaitement licite, le choix final revenant au consommateur désormais parfaitement éclairé. En réalité, le fait pour les États d’admettre que des produits des colonies, identifiables au terme d’un système adéquat, puissent être librement commercialisés, aboutit en fait à reconnaître l’aide fournie à l’économie des colonies et donc à admettre l’existence dans leur chef d’une violation du droit international. À cet égard, il est problématique que des ONG de défense des droits des Palestiniens plaident pour une politique de labellisation, dans la mesure où une telle politique aboutirait à accepter le principe de la libre circulation des produits en provenance des colonies.


palestine 08 DOSSIER BOYCOTT

Le boycott de l’Etat d’Israël AU REGARD DU PRÉCÉDENT SUD-AFRICAIN par Hocine Ouazraf

S’inscrivant dans le cadre d’actions de résistance non violente, la campagne « boycott, désinvestissement, sanctions » (ci-après BDS) appelle les sociétés civiles à travers le monde à se mobiliser davantage et autrement en vue de mettre un terme à la situation qui prévaut dans les territoires palestiniens. Elle s’inspire du modèle d’actions menées contre l’Apartheid sud-africain.

Initiée en 2005, la campagne BDS ambitionne de mettre un terme à l’impunité dont jouit Israël depuis des décennies en s’inspirant du précédent sud-africain contre le régime d’apartheid.

DES SIMILITUDES La société civile palestinienne fait le parallèle entre la situation palestinienne et celle que connaissait l’Afrique du Sud. En effet, dans son appel au BDS, la plate-forme palestinienne qui réunit mouvements associatifs, syndicats, … souligne : « Nous, représentants de la société civile palestinienne, invitons les organisations des sociétés civiles internationales et les gens de conscience du monde entier à imposer de larges boycotts et à mettre en application des initiatives de retraits d’investissement contre Israël tels que ceux appliqués à l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. (…) ». Si les situations sud-africaine et palestinienne ont chacune leurs spécificités propres, certaines caractéristiques du contexte palestinien peuvent aisément s’apparenter à celles du contexte sud-africain du temps du régime d’apartheid. Parmi les similitudes, citons pêlemêle : répression institutionnalisée d’un groupe de population, régime de discrimination légalement organisé, domination établie d’un groupe sur un autre et fragmentation du territoire,… Dans les conclusions consécutives à sa troisième session (Cape Town/novembre 2011) qui s’interrogeait sur : « les pratiques d’Israël envers le peuple palestinien violent-elles l’interdiction internationale du crime d’apartheid ? », le Tribunal Russell sur la Palestine concluait : « Israël soumet le peuple palestinien à un régime institutionnalisé de domination considéré comme apartheid en vertu du droit international. »

LE BOYCOTT DE L’AFRIQUE DU SUD Né en 1959 à Londres à l’initiative de la diaspora sud-africaine, le « mouvement anti-apartheid » sud-africain appelait à un boycott éco-

nomique du régime sud-africain. Le mouvement était soutenu par une large plate-forme comprenant entres autres des syndicats et des partis politiques d’obédiences diverses. Le mouvement s’étendra rapidement d’abord en Europe et ensuite au reste du monde. Deux évènements majeurs contribueront à en accélérer le processus : tout d’abord en mars 1961, la répression sanglante par la police sud-africaine d’une manifestation à Sharpeville qui entraînera la mort de plusieurs dizaines de Noirs sud-africains, et dans un second temps en 1976, la répression de la révolte de la municipalité noire de Soweto. Ainsi, dès 1962, les premiers effets du mouvement anti-apartheid apparaissent avec l’exclusion de l’Afrique du Sud des Jeux olympiques et ce, jusqu’en 1992. Dans les années 80, les États-Unis connaissent peu à peu un mouvement de désinvestissement massif d’Afrique du Sud qui s’étendra à d’autres pays (Canada, Japon, pays européens, ...). Des législations anti-apartheid y sont adoptées, dont notamment le Comprehensive Anti-Apartheid Act en octobre 1986, destiné à freiner les investissements en Afrique du Sud et à supprimer le trafic aérien entre les deux États.

LE RÔLE DES NATIONS UNIES Dans la lutte contre le régime d’apartheid sud-africain, les Nations Unies ont joué un rôle déterminant. En effet, à l’inverse des Palestiniens aujourd’hui, les Sud-Africains ont pu compter sur l’organisation internationale pour appuyer la campagne de boycott qui a conduit à l’élimination du régime d’apartheid. C’est ce résultat qui inspire Nelson Mandela lorsqu’il déclare à l’Assemblée générale des Nations Unies en 1994: « Nous saluons aujourd’hui, de cette tribune, l’Organisation des Nations Unies et ses États membres, individuellement et collectivement, qui ont uni leurs forces avec les masses de notre peuple dans une lutte commune qui a conduit à notre émancipation et a repoussé les frontières du racisme ».

Affiche appelant à des manifestations contre l’U.S. Open en septembre 1977 où une équipe de Sud Africains blancs était autorisée à jouer en dépit du boycott sportif international contre l’Afrique du Sud.

En effet, dès 1962, le régime d’apartheid sud-africain est mis sur la sellette par l’Assemblée générale des Nations Unies qui adopte la résolution 1761 dans laquelle elle appelle ses membres à rompre leurs relations diplomatiques avec l’Afrique du Sud et à adopter des mesures de boycott commercial à l’encontre de ce régime. Un pas de plus sera franchi en 1977 avec l’adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 418 qui préconise un embargo total sur les armes à destination de l’Afrique du Sud. Néanmoins, en raison du contexte géopolitique mondial et de la division Est/Ouest, les résolutions des Nations Unies peinent à sortir leurs effets. Le régime sud-africain de l’apartheid se décrivait, par ailleurs, comme le chantre de la lutte anti-communiste dans la région notamment en raison des soutiens apportés par l’ex-URSS et Cuba aux mouvements révolutionnaires marxistes et nationalistes angolais et mozambicain. C’est ce qui explique la violation systématique de la résolution 418 par plusieurs États (Israël, Italie, France, …) et la poursuite de leur collaboration militaire avec le régime sud-africain. Il faudra attendra l’arrivée de Gorbatchev au pouvoir et la chute du Mur de Berlin pour voir les responsables politiques européens et américains lâcher tout doucement le régime de Pretoria et conditionner leurs relations économiques avec l’État sud-africain à l’ouverture de négociations politiques avec l’ANC et à la libération de Nelson Mandela.

occupé, avis qui appelait les autorités israéliennes à en stopper la construction et à démanteler les tronçons déjà construits. D’autres évènements vont favoriser l’accélération de la campagne et son développement, dont notamment l’opération « Plomb durci » (décembre 2008/janvier 2009) et la publication du rapport Goldstone (2009). L’appel au boycott sud-africain émanait d’une diaspora sud-africaine organisée et structurée, ce qui n’est pas le cas de la diaspora palestinienne, active mais peu encline à se structurer au sein d’organisations européennes soutenant l’appel au BDS palestinien. Si les Nations Unies ont d’emblée soutenu la lutte contre le régime de l’apartheid en appelant à des mesures concrètes en faveur du boycott, un tel soutien de l’organisation internationale en faveur du peuple palestinien fait encore cruellement défaut. Cette différence de traitement s’explique par le soutien inconditionnel notoire des États occidentaux à Israël, en particulier des États-Unis et ce, quels que soient les agissements de l’État hébreu. Des voix discordantes au sein de l’organisation se font néanmoins entendre, telle celle de Richard Falk, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme dans les territoires palestiniens occupés qui exhorte l’Assemblée générale des Nations Unies et les sociétés civiles à boycotter les entreprises multinationales qui contribuent à l’effort de colonisation des territoires palestiniens.

COMPARAISON AVEC LE BDS La campagne BDS a été lancée en 2005 par la société civile palestinienne, pour sortir de l’impasse des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens, de l’enlisement de la situation sur le terrain, de la poursuite de la colonisation et de l’absence de réactions politiques fermes des États occidentaux. Cette initiative a été lancée lors de la date anniversaire du jour où la Cour internationale de Justice a rendu son avis consultatif sur le Mur dans le territoire palestinien

Pour terminer sur une note d’espoir, précisons que la campagne BDS prend rapidement de l’ampleur. Les actions de boycott du régime sud-africain n’avaient commencé à sortir leurs effets qu’en 1980, soit près de 30 ans après les premiers appels au boycott. Or après sept ans seulement, la campagne BDS jouit déjà d’un soutien estimable et ce, y compris dans les pays occidentaux (voir « les nouvelles du BDS » dans ce même numéro).


palestine 10 DOSSIER BOYCOTT

News du BDS

palestine 11 BRÈVES

Gideon Sa’ar

Des nouvelles et des victoires sur le front du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions… « LE PORTRAIT DU MOIS »

GIDEON SA’AR (LIKOUD), MINISTRE DE L’ÉDUCATION DU GOUVERNEMENT NETANYAHU, EX-MEMBRE DU CABINET D’ARIEL SHARON

Victoires

Un expert indépendant des NU se prononce pour un boycott des entreprises qui tirent profit des colonies Le 25 octobre, Richard Falk, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme dans les Territoires palestiniens occupés, a appelé l’Assemblée générale et les sociétés civiles à boycotter les entreprises qui tirent profit des colonies. Dans son rapport, il cite un certain nombre de ces entreprises : le groupe Dexia (Belgique), Mehadrin (Israël), Caterpillar Incorporated (USA), Veolia Environment (France), G4S (Royaume-Uni), Ahava (Israël); the Volvo Group (Suède); the Riwal Holding Group (Pays-Bas); Elbit Systems (Israël); Hewlett Packard (USA), Motorola (USA), Assa Abloy (Suède) et Cemex (Mexique) !

Oxfam Italie rompt ses liens avec une égérie de Sodastream En réponse à une lettre de la campagne italienne Stop Sodastream, Oxfam Italie a rompu ses liens avec Paola Maugeri, choisie comme égérie par l’entreprise israélienne Sodastream. Paola Maugeri est une star de la radio en Italie et l’auteur du livre « My life at zero impact ». Oxfam Italie l’avait initialement associée à sa campagne « Un futur sans faim ».

Les Quakers américains retirent leurs participations de Veolia et Hewlett Packard La Friends Fiduciary Corporation, l’entreprise d’investissement socialement responsable au service de plus de 300 institutions Quaker aux États-Unis, a retiré ses investissements de Hewlett Packard et Veolia Environnement, deux sociétés multinationales qui soutiennent l’occupation par Israël des territoires palestiniens.

Des intervenants annulent leur participation à une conférence honorant Shimon Peres Quatre des cinq orateurs prévus pour une conférence sur les droits de l’Homme, chapeautée par l’UNESCO, le 23 octobre à l’Université du Connecticut ont annulé leur participation. Ils manifestaient ainsi leur opposition au fait, lors de cet événement, de mettre à l’honneur le Président israélien Shimon Peres.

par Marianne Blume

Campagnes

L’Euro des -21 ans en Israël : On ne peut pas s’en foot ! Devant le sort réservé à Mahmoud Sarsak, lejoueur palestinien de football emprisonné en Israël durant 3 ans sans motif et en grève de la faim pendant 3 mois, le mouvement BDS a lancé une campagne contre la tenue en Israël en 2013 de la Coupe européenne de football pour les moins de 21 ans. En France et au Luxembourg, la campagne s’est intitulée « On ne peut pas s’en foot ». Le message en est simple : l’Europe ne peut pas gratifier Israël en lui accordant le privilège d’accueillir cette compétition alors qu’il emprisonne sans raison et impunément des joueurs de football palestiniens et qu’il poursuit son occupation illégale des Territoires palestiniens. (Pour ceux qui le souhaitent, des brochures d’information sur cette campagne sont en vente à 2 € à l’ABP).

Ne dansez pas avec l’apartheid israélien La campagne « Don’t dance with Israeli Apartheid » appelle au boycott de la tournée anglaise de la troupe de danse israélienne Batsheva Dance Company. Cette compagnie bénéficie en effet du soutien du ministère israélien des Affaires étrangères lorsqu’elle se produit à l’étranger car elle contribue à la bonne image du pays. Chaque représentation de la Batsheva Dance Compagnie a dû faire face à des manifestations, mais aussi à des désistements de son public, dûment informé sur les implications de ce spectacle grâce à la campagne.

De Gideon Sa’ar, Uri Avneri dit que de ministre de l’Éducation, il est devenu ministre de la Propagande.

POURQUOI ?

1/ Parce que depuis son entrée en fonctions, dans le cadre du programme « Héritage », il a organisé des voyages scolaires dans les Territoires occupés, spécialement à Shilo (une colonie), à Silwan (« Cité de David ») et à Hébron. Les voyages sont subsidiés à raison de 40 % à 80 %, suivant le statut socio-économique des élèves, soit 270 millions de shekels. 2/ Parce qu’il a aussi introduit l’armée dans les écoles de manière officielle. Le nouveau programme, appelé « Derek Erekh » (=sentier des valeurs), conçu par l’armée, vise à doper l’enrôlement des bacheliers dans les unités d’élite qui opèrent en terrain hostile, comme la bande de Gaza. Gideon Sa’ar veut renforcer le sens du devoir et de l’allégeance à l’État et resserrer les liens entre l’école et l’armée. (Jillian KESTLER DAMOURS, Israël militarise son système éducatif.)

En visite à Shilo, le ministre a déclaré : « Les Juifs seront toujours à Shilo. On ne doit pas donner l’illusion aux Arabes qu’un jour, il n’y aura pas de Juifs ici… » Ailleurs, il proclame que la colonisation est basée sur le droit des Juifs sur la terre. En visite au musée du Goush Katif (bloc de colonies de Gaza évacué en 2005) à Jérusalem, il a dit qu’il n’y aurait pas d’autre évacuation de colons et il a instauré un jour obligatoire où le Gush Katif est présenté comme la pierre de touche du sionisme. (voir l’article édifiant du Haaretz, Education Ministry school program presents Gush Katif as the epitome of Zionism). Enfin, il a demandé la reconnaissance du Collège d’Ariel comme université à part entière bien qu’il soit implanté dans une colonie. Il faut dire que Gideon Sa’ar a un passé et un présent dans l’extrême droite. Il est la main de « Im Tirzu », un groupe extra-parlementaire sioniste ultranationaliste, dont les buts sont de combattre la délégitimation d’Israël et de répondre au post-sionisme et à l’antisionisme. C’est ce mouvement qui a attaqué « New Israeli Fund » pour avoir financé des groupes qui ont participé au rapport Goldstone, qui a publié un rapport dénonçant des institutions académiques pour leur enseignement antisioniste et qui a fait campagne contre la nakba. Dans cette optique, non content de supprimer le terme nakba des livres scolaires (« il n’y a pas lieu d’utiliser ce terme qui veut dire catastrophe pour décrire la création d’Israël »), il s’est aussi déclaré contre la célébration de la nakba à l’Université de Tel Aviv (« un coup donné aux symboles de l’État et à sa souveraineté »). Par ailleurs, il a décidé de sanctions contre les enseignants qui se prononçaient pour le boycott (« les seuls dont la liberté académique fait du tort à Israël »). Dans le même élan, il a interdit les visites scolaires à Hébron avec « Breaking the silence » (« une organisation qui a soutenu le rapport Goldstone »), sermonné une école (arabe évidemment) qui avait participé à une manifestation à Tel Aviv pour les droits de l’Homme (« Les étudiants portaient des pancartes contre le racisme, les démolitions de maisons, ce qui contrevient à la circulaire du directeur général », détaille la lettre envoyée à l’école). Enfin, pour couronner le tout, il a interdit aux Palestiniens membres du « Forum des familles endeuillées » (une association qui réunit des Israéliens et des Palestiniens dont un proche a été tué) de participer aux réunions : « Établir une comparaison entre les familles israéliennes et palestiniennes endeuillées est inconcevable dans la mesure où de telles discussions légitiment le terrorisme ». Enfin il est piquant de souligner que, sous sa houlette, le ministère a interdit un livre destiné aux écoles et traitant de la Déclaration universelle des droits de l’Homme en raison de deux de ses articles : le droit de changer de religion et le droit d’émigrer dans un autre pays…


palestine 12 GAZA

L’attaque contre Gaza, le blocus et ses conséquences ont tué quelque chose à l’intérieur des gens.

Les magasins-cahutes où l’on achetait bonbons, boissons et cigarettes ont été rasés: il n’y a pas à dire, cela fait propre. Je remarque aussi que certains de mes petits « soupermarkett », sorte d’épiceries fourre-tout, ont disparu ou ont changé de look,se transformant en magasins à la présentation recherchée, voire luxueuse. Le gouvernement du Hamas veille, semble-t-il, à embellir l’espace public.

UNE SEMAINE DANS LA BANDE DE GAZA

© Asmaa Seba

RETOUR AUX RÉALITÉS QUOTIDIENNES

instantanés

par Marianne Blume

ARRIVÉE Après l’organisation désordonnée du côté égyptien, le poste frontière palestinien est un paradis : tout y est beau, propre et ordonné. Celui qui m’a invitée officiellement et a fait la coordination avec le ministère de l’Intérieur palestinien peut me rejoindre dans l’espace d’arrivée. Un fonctionnaire de la sécurité m’invite à m’asseoir et me prie avec politesse de remplir un formulaire. Je n’en reviens pas: je ne m’attendais pas à ce professionnalisme du côté palestinien. Pas par préjugé. Par expérience de la période où j’ai vécu à Gaza.

À PREMIÈRE VUE Le frère d’un ami est venu nous chercher, une amie norvégienne et moi. Tout au long du trajet, je tends le cou pour scruter le paysage, repérer ce que je connais, apercevoir ce qui aurait changé et demander des

nouvelles du paysage. Au début, j’ai l’impression que rien n’est différent. Sur le chemin, pas de traces de l’attaque meurtrière de 2008-2009. Tout au long, les enseignes de restaurants et cafés rythment la route. La plupart sont nouvelles ou rénovées. Très chic. Je cherche des yeux les carrioles tirées par des ânes ou des chevaux : c’est comme si elles étaient devenues une rareté. Par contre, les rues sont parcourues de superbes voitures et – nouveauté- de motos et de « tchouktchouk », des motos transformées en mini-camionnettes. Les amis m’expliquent que tout cela vient par les tunnels et que, malheureusement, faute d’habitude, les accidents mortels avec ces engins sont quotidiens. Arrivée à Gaza City, j’ouvre de grands yeux : la route de la mer est maintenant une route à quatre bandes avec une petite berme centrale en fer forgé. J’entends le mot « corniiich » et je remarque alors qu’on a construit une digue sur laquelle des gens se promènent tranquillement.

Arrivée chez moi, mon ami le plus cher m’annonce que, contrairement à ce qu’il faisait avant, il ne restera pas chez moi à bavarder et fumer autour d’un café : les voisins risqueraient de voir cela d’un mauvais œil et la police pourrait s’en mêler. Ainsi, son jeune frère qui revenait chez lui un soir avec sa femme s’est vu demander ses papiers de mariage : moralité oblige. Je m’en accommode puisqu’il n’y a pas le choix. Et voilà qu’il me dit que j’ai de l’eau mais que je dois l’utiliser avec parcimonie car elle ne reviendra que dans six jours. Je devrai guetter le bruit dans les tuyaux et me précipiter alors pour actionner le moteur qui acheminera l’eau dans le réservoir. Et si je n’étais pas là ? Quant à l’électricité, je n’en aurai que de 22h30 à environ 9 heures du matin. J’ai de la chance : à certains endroits, la période de fourniture d’électricité est plus réduite. Le frigo est muet, la radio se tait et mon téléphone attendra pour être rechargé. Comme mon ordinateur d’ailleurs. Je me mets à penser aux tâches ménagères que l’on doit donc effectuer la nuit… Heureusement, cet ami m’a procuré une lampe qui se charge quand il y a du courant et s’allume toute seule quand il se coupe. Ingénieux. Bien sûr, cela ne fera fonctionner ni la machine à laver, ni le fer à repasser ni le surgélateur ni la télévision si j’en avais. Avant, il arrivait qu’Israël coupe le courant mais maintenant les coupures sont la normalité. Beaucoup d’établissements et de maisons ont un générateur mais, vu la pénurie et le prix du carburant, on en économise l’usage. Je pense que je vais m’habituer comme tout le monde. Sauf que, quand je veux aller sur internet, j’ai oublié. Et le garçon du café où je me fume ma chicha rit en me voyant tempêter contre mon ordinateur qui refuse d’ouvrir Google Chrome. En examinant la note, je me rends compte que les prix ont augmenté. Mais le plus curieux, c’est de voir des filles seules ou en groupe, voilées ou en cheveux, bavarder ou étudier en fumant une chicha, sans complexe. Ce n’était pas si courant de mon temps… Un couple religieux – homme barbu et femme avec niqab – passe: ils se tiennent par la main. Ca non plus, ce n’était pas habituel… Je suis perturbée par ces contrastes.

REGARD INTÉRIEUR Je rencontre mes amis, mes ex-collègues et mes ancien(ne)s étudiant(e)s, presque tou(te)s marié(e)s avec des enfants. Je vais à l’université où j’ai enseigné dix ans. La nouvelle de ma venue se répand

comme une traînée de poudre. En une semaine, je n’aurai pas le temps de voir tout le monde. Un accueil incroyable : j’ai l’impression d’être retournée à hier. Mais au fil des conversations, je perçois une partie d’une réalité désenchantée. Il y a ceux qui parlent des difficultés quotidiennes et ceux qui étouffent parce qu’il n’y a nulle part où aller. Ceux aussi qui critiquent le Hamas : en quelques années, ils sont devenus comme ceux du Fatah et même pires parce qu’ils répriment plus durement. Certains ont la haine. Il est vrai que mes étudiant(e)s étaient presque tou(te)s du Fatah. Il y a encore ceux qui déplorent amèrement la désunion et l’oubli total de la cause palestinienne. Et ceux qui se retirent sous leur tente pour ne penser qu’à leur famille. Tout le monde veut connaître mon avis sur l’avenir. Tout le monde me dit que j’apporte une bouffée d’oxygène et que ma présence redonne courage. Petit à petit, je comprends ce que me disait un ami de Khan Younis : l’attaque contre Gaza, le blocus et ses conséquences ont tué quelque chose à l’intérieur des gens. Je le ressens très fort le jour où je donne cours. Les étudiants ont visionné un reportage sur l’usage du tramadol, un puissant analgésique dérivé de l’opium, la drogue du pauvre. Un tiers des jeunes en prendrait. Tous les étudiants ont évoqué comme causes le blocus, le chômage, la pauvreté, l’enfermement et la situation politique mais aucun n’a parlé de l’attaque meurtrière de 20082009. Ce traumatisme terrible est enfoui dans leur inconscient, ce qui le rend d’autant plus dangereux psychologiquement. Ils disent que le Hamas fait la chasse au tramadol mais qu’il vient sans problème par les tunnels contrôlés par le même Hamas… La drogue a toujours existé à Gaza mais la situation actuelle rend la vie insupportable et beaucoup ont trouvé dans le tramadol un moyen d’échapper à une vie sans vie.

LA VIE MALGRÉ TOUT Malgré tout, les sourires et les rires sont de la partie. Et le combat aussi. Nida’ est toujours aussi passionnée et active à défendre la Palestine et son développement ; Sharif continue à peindre, photographier et aussi à enseigner son art aux jeunes ; Amjad ne désespère pas et se bat avec d’autres pour l’unité, pour une réforme du système politique et contre l’approche humanitaire du blocus de Gaza ; Ashraf enseigne avec le même sourire et la même envie de faire réussir ses élèves ; Jamal se démène sans compter pour trouver des projets qui redonnent vie aux enfants et aux jeunes ; Ihab donne ses cours et s’occupe personnellement des difficultés de ses étudiants ; ce petit entrepreneur rencontré sur la plage a rebâti avec courage ses bassins de pisciculture détruits par l’armée israélienne, etc. Ceux-là ont un courage immense mais ils sont privilégiés. Comment font les autres ? Une semaine à Gaza ne m’a pas permis de le savoir. Ce que je sais, c’est qu’il nous faut lutter sans repos pour la levée du blocus et la fin de l’occupation. Les Palestiniens ne sont pas un cas humanitaire, ils sont victimes d’une destruction délibérée. Le combat est et reste politique.


© Nathanaël Corre

palestine 14 TRIBUNAL RUSSELL

Jugées par le TRP à New York

LA CRIMINELLE COMPLICITÉ DES ÉTATS-UNIS ET LA PARALYSIE DES NATIONS UNIES

par Gabrielle Lefèvre

Pour sa quatrième session, tenue à New York les 6 et 7 octobre 2012, le Tribunal Russell sur la Palestine a détaillé la complicité des États-Unis avec les violations d’Israël du droit international en Palestine et ce, devant des Nations Unies paralysées et qui perdent petit à petit de leur légitimité.

L’accession des Palestiniens à la CPI constituerait un pas important vers la reconnaissance complète de l’Etat palestinien. LES NATIONS UNIES PARALYSÉES Les dés étaient pipés dès le départ, constatent l’historien israélien Ilan Pappé et Peter Hansen qui a longuement travaillé aux Nations Unies dans le secteur de l’aide humanitaire. Les grandes puissances ont imposé un État juif d’Israël en terres palestiniennes. Les populations arabes ont été obligées de fuir ou de se soumettre à une politique d’apartheid, qui s’est poursuivie sous les yeux des Nations Unies jusqu’au nettoyage ethnique, pourtant décrété crime contre l’humanité, ajoute Ilan Pappé. Le projet sioniste n’a jamais consisté à créer un État de Palestine mais les gouvernements israéliens ont sans cesse menti pour éluder leurs responsabilités politiques devant la communauté internationale. Une analyse amplement confirmée par le témoignage du journaliste Benjamin White, auteur de livres et de nombreuses conférences sur le sujet. Les Nations Unies ont dressé le cadre normatif qui a permis d’enfermer les Palestiniens dans la spirale sans fin de la répression et de l’assistanat et cela, en contravention avec les valeurs affirmées par leur Charte, détaille, amer, Peter Hansen. La dernière étape de cette « blague cruelle » est la constitution du fameux Quartet (USA, UE, NU, Russie) dirigé par Tony Blair, chargé de favoriser le processus de paix mais qui a cantonné, en réalité, les Nations Unies dans le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël et dans la passivité des Européens… Pendant ce temps, les rapports dénonçant les atrocités vécues par un peuple occupé illégalement s’accumulent et l’UNRWA maintient en état de survie des dizaines de milliers de Palestiniens emprisonnés dans leurs territoires transformés en prisons à ciel ouvert. « J’ai le sentiment que les États se rachètent de leur lâcheté par leurs contributions humanitaires, accuse Peter Hansen. Il faut que les Nations Unies ressuscitent leurs normes et missions fondamentales, qu’elles se retirent du Quartet et qu’elles maintiennent leur soutien au peuple palestinien », souligne-t-il. Il craint cependant qu’une réforme des Nations Unies de l’intérieur soit impossible, le seul moyen restant la pression de l’opinion publique, heureusement de plus en plus sensibilisé à ce sujet.

Deux juristes éminents, l’Américain John Quigley et Vera Gowlland-Debbas, de Genève, ont détaillé minutieusement le statut ancien d’État de la Palestine et son statut de non-État actuel, bien que formellement reconnu par une majorité d’États dans le monde mais cependant bloqué unilatéralement par les États-Unis et Israël aux Nations-Unies. Une tragique illustration de la non-démocratie qui règne dans cette instance du fait de l’existence d’un Conseil de sécurité noyauté par les États-Unis qui usent et abusent de leur droit de véto dès que l’on touche aux intérêts d’Israël. Même l’accession des Palestiniens à la Cour pénale internationale est bloquée alors que l’assemblée des États parties à la CPI pourrait parfaitement accepter leur demande d’enquêter sur les atrocités commises par Israël au cours de son opération dite « Plomb durci ». Cette accession constituerait un pas important vers la reconnaissance complète de l’État palestinien. La Palestine pourrait alors déposer plainte contre Israël, explique John Quigley. Quant à Vera Gowwlland-Debbas, elle précisa longuement et avec une grande clarté les responsabilités des Nations Unies dans la nonapplication du droit international dans les territoires occupés, signe de la défaillance de l’ONU devant Israël. Car les NU ont montré maintes fois qu’elles pouvaient intervenir, même par la force s’il le fallait, pour sauver les droits de l’Homme où que ce soit dans le monde. Que l’on songe à l’Irak, la Libye, le Liban, le Kosovo, la Bosnie… Pourquoi pas alors dans les territoires occupés par Israël ? Et pourquoi pas après la tragique opération « Plomb durci » et le massacre de populations civiles à Gaza ? Parce que les États-Unis ont opposé leur véto à 22 reprises à des résolutions du Conseil de sécurité et ce, de 1983 à aujourd’hui. « Voilà pourquoi cette impunité virtuelle d’Israël a un impact négatif sur le processus de paix », insiste Véra Gowlland. Poursuivant son analyse, elle démontre que l’Assemblée générale des Nations Unies a de nombreux pouvoirs dont elle pourrait user, mais elle constate que les initiatives pacificatrices ou de réparations des dommages causés à la population sont freinées notamment, du fait que l’Union européenne, bien souvent, s’abstient au lieu de les appuyer.


palestine 16 TRIBUNAL RUSSELL

««” En limitant l’exercice du droit international par les NU, le Conseil de sécurité commet un crime.”

ENGAGEMENT SYNDICAL Zwelinzima Vavi, secrétaire général de la Cosatu, la puissante Confédération intersyndicale sud-africaine, a lancé un appel à l’action syndicale internationale en faveur des droits des travailleurs palestiniens, victimes de l’apartheid qui leur est imposé par Israël.

UN MAIRE COURAGEUX Il s’appelle Rémy Pagani. Il a du charme et un courage politique fou. Il a osé braver le consensus mou sur la fonction de maire en affirmant son engagement en faveur de la justice, de la non-discrimination, du droit international qui doit être respecté par tous, y compris par Israël. Il a donc non seulement soutenu financièrement la quatrième session du TRP à New York mais il y a également assisté jusqu’au bout. Pour lui, le rôle du TRP, c’est de réaffirmer l’universalité des droits de l’Homme, du droit humanitaire et l’obligation qui est faite aux États, à des entités comme l’Europe ou l’ONU de les appliquer. Ainsi, les Conventions de Genève ne sont pas respectées par Israël dans leur traitement des Palestiniens. « C’est là un déni du droit international et humanitaire qui dure depuis plus de 60 ans qui est emblématique du blocage de la communauté internationale. Ce refus systématique d’application du droit porte non seulement atteinte à ceux qui en sont victimes mais aussi à l’universalité de ces droits. Il est du devoir de la Ville de Genève d’appuyer les initiatives citoyennes en faveur du droit international. Il s’agit d’éveiller les consciences au niveau mondial. C’est la raison citoyenne contre la raison d’État, contre le droit du plus fort. », déclarait-il en ouverture de la session à New York.

ROGER WATERS : « JE SUIS ÉCLAIRÉ » Lors de la conférence de presse finale, à New York, Roger Waters, le guitariste des Pink Floyd, a qualifié le travail du TRP d’ « enquête sérieuse ». « La vérité est de notre côté. Elle doit servir à la mobilisation de l’opinion publique internationale par les médias sociaux, par les médias. Il faut dire la vérité sur la complicité des États-Unis et des Nations Unies. Je suis fier d’avoir été accepté dans ce jury. J’ai été éclairé, que les jeunes le soient aussi » a-t-il ajouté.

LES ÉTATS-UNIS LÉGALISENT CE QUI EST ILLÉGAL Cette experte en appelle aussi à l’abolition du droit de véto au Conseil de sécurité et à des pressions ciblées sur les États membres de ce Conseil. « Il faut instaurer un système d’autocontrôle du Conseil de sécurité afin que les valeurs fondamentales y soient respectées. En limitant l’exercice du droit international par les NU, le Conseil de sécurité commet un abus et une violation du droit, ce qui est un crime. Ne pas appliquer le droit international en ce qui concerne Israël et la Palestine met en danger ce droit », martèle Véra Gowlland-Debbas qui signale au passage que le secrétaire général des Nations Unies pourrait, lui aussi, faire preuve de davantage de courage dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés et qui sont importants. Une autre faiblesse des Nations Unies a été expliquée par Susan Akram, Pakistanaise, spécialiste du droit des réfugiés. Selon elle, des brèches importantes dans le système onusien laissent nombre de réfugiés palestiniens hors du mécanisme d’assistance et d’établissement de solutions durables pour eux. Pourtant, ces solutions ont été mises en œuvre pour d’autres populations réfugiées dans le monde.

LE TEMPS PRESSE Car le temps presse, en Palestine. En l’absence de Raji Sourani, directeur du Centre palestinien pour les droits de l’Homme à Gaza, empêché, il revint à Jeanne Mirer, avocate démocrate, de dresser un tableau dramatique de la situation vécue par la population à Gaza. La crise humanitaire est grave, tous les rapports le rappellent à l’envi. Mais elle risque de provoquer un véritable génocide car les Palestiniens n’ont plus accès à l’eau potable, volée par Israël au départ d’Hébron et la dépollution de l’eau est devenue impossible car toutes les installations d’assainissement ont été détruites et Israël en interdit la reconstruction. Les Gazaouis n’ont pas davantage accès aux ressources de la mer puisque les pêcheurs n’ont seulement qu’un accès limité à 3 miles. Par ailleurs, la communauté internationale, en subventionnant le Mur et l’occupation, se rend complice de faits qui sont illégaux.

L’avocate palestinienne et canadienne Diana Buttu lança les débats du deuxième jour de cette session du TRP sur l’appui des États-Unis à Israël dans la violation des droits des Palestiniens. Elle expliqua le processus permanent rendant légal ce qui est en réalité illégal comme le vol de la terre, de l’eau, la bantoustanisation : « avant, on considérait que la colonisation était illégale. Puis, sous Clinton, elle est devenue un obstacle à la paix. Ensuite, 600 000 colons ne sont plus illégaux, ni même des obstacles à la paix ; sous Obama, c’est la continuation de l’occupation qui est illégale. Et ainsi, on a réussi à rendre acceptable ce qui était inacceptable ! » Et de rappeler de plus le nombre de vétos étatsuniens au conseil de sécurité : environ 82 dont la moitié en faveur d’Israël… et un grand nombre en faveur du régime d’apartheid en Afrique du Sud… Une autre modalité de légalisation de ce qui est illégal est la suivante : « au lieu de protéger les populations occupées contre l’occupant, les États-Unis les contraignent à prendre des mesures de protection de leurs oppresseurs en faisant pression sur l’Autorité palestinienne afin qu’elle investisse dans la sécurité et non dans l’enseignement ou la santé. On fait sans cesse revenir les Palestiniens à la table des négociations pour en réalité leur imposer de gérer eux-mêmes leur occupation ! ». Quant à Katherine Gallagher, avocate américaine, elle cibla son intervention sur le montant colossal de l’aide militaire accordée par les États-Unis à Israël : 115 milliards de dollars. L’engagement signé en 2007 porte sur 30 milliards de dollars pour 10 ans, soit 18 à 22 % du budget militaire israélien. De plus, Israël peut acheter des équipements de ses propres producteurs et en exporter pour 12 millions de dollars. Il peut placer le montant de cette aide sur des comptes qui rapportent des intérêts servant à rembourser sa dette. De plus, les États-Unis accordent de 100 à 168 millions de dollars pour les programmes de défense et donnent leurs excédents d’armements à Israël. Or, ces armes sont utilisées en violation des droits de l’Homme mais il n’y a pas la moindre mesure de rétorsion contre Israël.

On imagine ainsi le niveau d’importance des intérêts du lobby militaro-industriel américain et israélien et par conséquent son acharnement à bloquer toute possibilité de paix ! Le contexte géostratégique a été évoqué par vidéoconférence par Noam Chomsky, malade et donc empêché de se rendre au TRP. Selon lui, le but des États-Unis est de créer un État tampon entre les pays arabes acquis à ses visions impérialistes et cela, au prix de la violation totale du droit international et au détriment de l’existence d’un État palestinien viable. Les sionistes chrétiens étatsuniens décrits par David Wildman, de l’église méthodiste unifiée partagent une même vision. Ils croient que le retour des Juifs dans un État d’Israël sur tout le territoire de la Palestine précipiterait le retour du Messie et la fin de l’Armageddon (le lieu symbolique du combat final entre le bien et le mal) et favorisent par tous les moyens le processus de colonisation. Pour eux, le nouvel ennemi après la fin de l’URSS est l’Islam. Ils appuient le triangle fatal argent, armes, pouvoir politique. Comment les contrer ? En les invitant à visiter la Palestine pour se rendre compte par eux-mêmes de la réalité sur le terrain, en cessant le système de donations sans impôts aux colons qui leur est accordé par le fisc américain et par des initiatives des autres chrétiens contre le soutien aux colons israéliens.

D’AUTRES RÉSISTANCES Aux côtés de l’extraordinaire résistance du peuple palestinien, il y a la mobilisation internationale des mouvements sociaux, de la société civile, des pays non alignés. Il y a l’exemple récent de la campagne mondiale BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) qui connaît de nombreux succès dans des entreprises, dans des églises, dans les opinions publiques et cela commence à constituer une pression sur les Nations Unies afin qu’elles se rappellent de faire respecter les droits essentiels par Israël et les États-Unis, détaille Phyllis Bennis, au nom de la société civile américaine. Après tout, la Charte des Nations Unies commence par « nous, les peuples… » : les Nations Unies ont le devoir de consulter les ONG pour savoir ce qui arrive aux peuples, rappelle Stéphane Hessel, fort du succès mondial de


palestine 18 TRIBUNAL RUSSELL

La mobilisation de l’opinion publique, particulièrement en Israël et aux Etats-Unis, est indispensable. son « Indignez-Vous ». La stratégie devrait être de soutenir ceux qui luttent et résistent, indique Gustave Massiah, une des chevilles ouvrières du mouvement altermondialiste. Et les sentences du TRP doivent servir à la mobilisation du peuple palestinien et du mouvement de solidarité internationale. Celui-ci se renouvelle par le BDS qui répond à la domination politique et économique et peut permettre une transition non violente vers des solutions. L’enjeu est aussi de délégitimer les attitudes d’Israël et d’accentuer les contradictions entre cet État et des entreprises. Le BDS pose aussi la question du droit international : si on accepte l’impunité d’Israël, il n’y a plus de droit international. Le boycott ne peut pas être déclaré illégal (pour atteinte au néolibéralisme) car le droit international ne peut être subordonné au droit des affaires. Enfin, l’orateur insiste sur le rôle des médias dans le raffermissement des mouvements pour la paix.

palestine 19 TRIBUNAL RUSSELL

Le terme « sociocide » avait déjà été évoqué lors de la précédente session du TRP à Cape Town. Il a été analysé par Johan Galtung, sociologue norvégien, fondateur de l’université de paix Transcend.

RACHEL CORRIE ET LA PROTECTION DES MANIFESTANTS NON VIOLENTS Un moment émouvant lors de cette sesssion du TRP : l’intervention des parents de Rachel Corrie qui, pendant des années, se sont heurtés au blocage permanent du gouvernement étatsunien de leurs demandes de soutien et d’information sur les circonstances de la mort de leur fille, écrasée en 2003 à Gaza sous un bulldozer Caterpillar de l’armée israélienne. La justice israélienne a tranché : les militaires ne sont pas coupables de la mort de cette militante non violente des droits de l’Homme. Selon le témoignage d’un militaire, la zone de Gaza étant zone de guerre, il n’y a donc pas de civils, même non violents, qui ne soient eux aussi en guerre. « Nous demandons que le gouvernement des États-Unis examine ce témoignage et prenne connaissance du verdict, disent les parents de Rachel. C’est important pour tous les civils impliqués dans ce conflit ; cela dépasse le seul cas de notre fille. Je connais, dit la maman, le cas de vingt-deux Palestiniens tués alors qu’ils protestaient de manière non violente. Les droits civils des manifestants non violents doivent être protégés », insiste la maman de Rachel Corrie.

UNE COMPLICITÉ CRIMINELLE Dans ses conclusions, le TRP reconnaît les États-Unis coupables de complicité avec les violations israéliennes du droit international : jamais une telle politique de colonisation, de séparation ethnique et de militarisme aussi violent n’aurait été possible sans l’aide multiforme et gigantesque des USA. En cela, ces derniers contreviennent au principe de la responsabilité des États, aux Conventions de Genève, à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, à l’article 24 de la Charte des Nations Unies (en abusant du droit de véto) et à leurs propres lois nationales. Quant aux Nations Unies, elles ont condamné à maintes reprises Israël mais de façon purement formelle puisqu’elles ne font pas jamais réellement pression pour que cet État mette un terme à ses violations du droit international. Elles l’ont pourtant fait pour d’autres États. Comme membre du Quartet, les NU endossent la responsabilité de son échec. Enfin, les NU n’ont pas veillé au suivi juridique de l’avis de la CIJ sur le Mur. Le TRP demande donc la fin de cette politique de démission et d’omission des NU et la compensation pour les dommages subis par la Palestine.

À propos du concept de «sociocide», le TRP considère qu’il s’applique bien au processus réprimant la société palestinienne et il souligne que le fait est déjà condamné par divers dispositifs du droit international en tant que crime contre l’humanité et en tant que crime de guerre, ce qui le rend susceptible d’être soumis au tribunal pénal international. En conclusion : la mobilisation de l’opinion publique, particulièrement en Israël et aux États-Unis est indispensable, par le biais des réseaux, des mouvements sociaux, du BDS et autres campagnes et par les médias sociaux. Il est essentiel de porter devant les tribunaux nationaux, au pénal et au civil, les litiges contre ceux qui violent le droit. La Cour pénale internationale doit être saisie de la plainte des Palestiniens. Quant aux Nations Unies elles-mêmes, elles devraient se réformer notamment par l’abolition du système du véto au Conseil de sécurité, l’augmentation du nombre de membres de ce même conseil et une redynamisation des pouvoirs dévolus à l’Assemblée générale. Le TRP lui-même poursuivra son travail d’information sur ses conclusions et se réunira une dernière fois à Bruxelles en mars 2013 pour les conclusions finales.

Le sociocide » ” ” DES PALESTINIENS par Gabrielle Lefèvre

Ce concept, né dans les années 80, appartient à la même famille conceptuelle que « génocide » (tuerie massive en vue de l’extermination d’un peuple) et « écocide » (destruction de la nature). Le « sociocide » empêche un système social de se reproduire lui-même. Le terme ne figure pas dans les lois internationales mais on peut voir son application dans la marginalisation de nombreuses sociétés indigènes. Johan Galtung démontre que ce concept s’applique bel et bien dans le cas de la Palestine. Les quatre objectifs d’une société donnée sont en effet d’assurer la sécurité, la durabilité, l’identité et l’autonomie de sa population. Pour cela, il faut un territoire, une nation dont les conditions d’existence sont la communauté de langue, de vision du monde, d’histoire (y compris dans sa dimension de projection dans le futur), de géographie (espace et propriété) et un État qui en assure l’administration. Israël est un État postcolonial qui vit sur une série de mythes (mythes du passé et mythes du judaïsme). Israël dénie totalement aux Palestiniens le droit d’organiser leur propre sécurité, il vole leur terre et leur eau et rend de ce fait impossible la durabilité de leur société, il les spolie de leur temps et de leur espace sacré en effaçant les traces de leur passé, celles des traumatismes et celles des gloires, ce qui tend à priver in fine les Palestiniens de leur identité. Ils sont perpétuellement harcelés, ce qui les empêche de vivre leur présent et de concevoir leur futur. Ainsi, Israël ne définit jamais ce que sont des « frontières sûres ». Si le futur n’est pas balisé, il est impossible de gérer une société ; la guerre est perpétuelle parce qu’Israël repousse indéfiniment tout accord sur les propositions de création d’un État palestinien. Le concept de sociocide s’applique donc parfaitement dans ce cas mais il est impossible de couler cela en termes de loi car les compensations seraient impossibles à imaginer. Une solution envisageable ? De la même façon que l’Europe s’est ouverte à l’Allemagne après la deuxième guerre mondiale, une communauté d’États arabes du Proche-Orient pourrait s’ouvrir à Israël malgré le passif historique. L’islam est une religion plus ouverte que le judaïsme qui ne reconnaît pas l’islam. Cependant, juifs et chrétiens peuvent se rencontrer sur les

droits de l’Homme. Reste la crainte que les opprimés d’hier prennent le pouvoir et punissent l’oppresseur… Professeur en droit international à Londres, William A. Schabas considère que le « sociocide » est une vision originale du génocide dans le cadre de crimes contre l’humanité. Tout comme la notion d’écocide, le sociocide offre un nouveau champ de recherche au droit international. Le problème est celui de penser la réparation, les compensations. Et d’évoquer alors un processus de mise sur pied d’une commission « Vérité et Réconciliation » tel que celui qui a existé en Afrique du Sud et en Sierra Leone. Saleh Hamayel, professeur à l’université de Bir Zeit et promoteur du concept de « sociocide », insiste sur le contenu extensif de cette notion essentielle car celle-ci inclut la totalité du processus imposé aux Palestiniens, ce qui le différencie de ce qui s’est passé en Afrique du Sud. S’opère une ségrégation raciale entre juifs et non-juifs et donc une supériorité des premiers sur les seconds, consacrée par la religion, la création de bantoustans plus ségrégatifs encore qu’en Afrique du Sud car ils séparent aussi les Palestiniens entre eux. Les Noirs d’Afrique du Sud sont en majorité restés au pays et ont été considérés comme une force de travail, ce qui est à l’inverse pour les Palestiniens, exilés en grand nombre et en majorité privés de leurs terres et de travail. Il n’y a aucun espoir à entretenir dans la perspective d’un État binational car jamais Israël ne voudra rendre les terres confisquées. On assiste donc bien à la destruction des Palestiniens en tant que groupe national et de leur société par l’expulsion et le déracinement de la population depuis 1948. Par son enfermement et sa division, aussi : le Mur crée des espaces fermés où les Palestiniens détournent leur révolte et leur rage contre eux-mêmes. On élimine physiquement les authentiques leaders palestiniens qui émergent. Enfin, Israël colonise aussi le temps et l’espace des populations en les obligeant à consacrer un temps considérable à des trajets aussi longs qu’aléatoires, ne serait-ce que pour aller travailler leur terre, aller à l’école, aller chercher de l’eau…


palestine 20 CAMPS DE RÉFUGIÉS EN JORDANIE

Les réfugiés des camps palestiniens représentent une population doublement marginalisée.

VISITE AU CAMP OFFICIEL DE BAQA’A Ce camp a été construit en 1968, suite à la Naqsa. En 1969 comme beaucoup de camps, c’était encore un terrain vague boueux en hiver, poussiéreux en été, avec parmi les tentes quelques petites cabanes... Aujourd’hui c’est le camp le plus peuplé de Jordanie et même du monde arabe après certains camps de la Bande de Gaza ou de Syrie. C’est un immense camp en dur avec, comme toujours, une densité de population très élevée (70 000 à 90 000 réfugiés sur 50 hectares).

LES CAMPS DE RÉFUGIÉS PALESTINIENS À L’EST

L’habitat laisse peu de place à l’intimité, aux déplacements des piétons, des autos et des ânes, aux jeux. Les eaux usées s’écoulent à ciel ouvert au milieu des ruelles étroites en terre battue. Toutefois, un splendide olivier s’échappe par la fenêtre d’une maison...

du Jourdain

par Dominique Waroquiez

En Jordanie (6 millions d’habitants), bien que la nationalité palestinienne n’existe pas officiellement, on estime que plus de la moitié de la population est d’origine palestinienne. D’après l’ONU, en 2005, il y avait 2 881 604 réfugiés palestiniens dont un dixième environ enregistrés dans les camps.

LE CAMP OFFICIEL DE JERASH (SURNOMMÉ « GAZA CAMP »)

Les camps de réfugiés palestiniens au Moyen-Orient. Représentés en rouge ceux de Jordanie. Source : PASSIA.

LE CAMP NON OFFICIEL DE SOUKNA, À L’ENTRÉE DU DÉSERT

VISITE AU CAMP OFFICIEL DE WIHDAT (NEW AMMAN CAMP) Toutefois, les chiffres varient notamment parce que la question est sensible, mais aussi parce qu’en Jordanie les Palestiniens ont divers statuts. Ainsi l’ONU fait elle-même une distinction entre les « réfugiés » (de 48) et les « déplacés » (de 67) ; certains Palestiniens ont la citoyenneté jordanienne tandis que ceux de Gaza ne l’ont pas et sont quasiment considérés comme apatrides (la bande de Gaza, contrairement à la Cisjordanie et Jérusalem-est n’ayant pas été annexée par la Jordanie après la guerre de 48). Quant aux camps, selon la classification adoptée par l’UNRWA, il y en a actuellement treize: dix officiels et trois non officiels.

Il a, lui aussi, été ouvert en 68 et actuellement environ 16 000 réfugiés y résident. La plupart des familles palestiniennes arrivées à Jerash sont originaires des territoires de 48 ; elles s’étaient réfugiés dans la bande de Gaza, notamment dans le camp de Shati, avant de devoir repartir en 67 avec des Gazaouis dont c’était le premier exode. Du fait qu’ils ne vivaient pas en Cisjordanie, ces Palestiniens sont considérés comme apatrides, ils n’ont donc pas les mêmes droits que les autres réfugiés, au niveau des soins de santé, de la scolarisation, du travail (le taux de chômage est encore plus élevé) et ils ont aussi beaucoup plus de problèmes pour aller à l’étranger.

Il date de 1955. Contrairement aux autres camps où nous avons été accueillis, il a été construit suite à l’expulsion de la Naqba. C’est un des plus vieux de Jordanie : les ribambelles d’enfants qui nous accompagnent doivent être la cinquième génération de réfugiés à y vivre. Comme tous les autres camps, il est très densément peuplé. Wihdat signifie d’ailleurs « unité », la surface maximale dont pouvait disposer une famille sur le terrain, 10 mètres carrés. Malgré cela, le camp a son propre club de football depuis 1956.

Il date de 1967. C’était un camp d’urgence (constitué de tentes) pour accueillir les réfugiés venant de Tulkarem, de la bande de Gaza, du Naqab... C’est maintenant, un petit camp en dur, très densément peuplé, avec environ 7 000 réfugiés et quelques centaines de « logements ». Vu qu’il ne peut pas s’étendre (alors que le déni du droit au retour persiste génération après génération), certains habitent en périphérie. Nous visitons une des habitations : elle est plus que précaire, minuscule. La famille vit à même le sol, dans quelques pièces. Le toit de tôles fuit lorsqu’il pleut ; en hiver, il fait froid, en été très chaud ; il y a des pénuries d’eau potable qu’il faut acheter. Dans ce « camp du bout du monde », il n’y a pas d’infrastructure pour évacuer les eaux usées et les fosses septiques posent problème. Comme dans le « Gaza camp », l’UNRWA reconnait un taux élevé de cancers liés à l’amiante. À travers les récits des réfugiés, c’est toute l’histoire collective du peuple palestinien démembré qui se reconstitue étape par étape. Ainsi, Oum Khaled, 84 ans, nous explique pourquoi elle habite depuis quarante-quatre ans dans le camp de Soukna. À vingt ans, elle a du quitter sa maison et son village situés dans la région de Haïfa, pour chercher refuge avec son mari blessé, d’abord à Jénine, ensuite à

Karameh à l’Est du Jourdain, puis est arrivée dans ce camp à l’entrée du désert. « Vous savez, je n’ai pas toujours vécu ici ! Je n’ai pas toujours été réfugiée ! ». Comment face à ces enfants, hommes, femmes de tous âges vivant depuis des générations dans des camps, rester indifférents face à l’ampleur de l’injustice provoquée par la spoliation de leur terre de plus en plus judaïsée et le déni de leur droit au retour (Al Awda), énoncé il y a plus de 60 ans, mais progressivement vidé de sa substance? D’autant plus que la vie dans pareilles conditions est extrêmement précaire (revenus insignifiants, chômage élevé, marginalisation, débrouille dans les ateliers des camps, en ville, budgets de l’UNRWA insuffisants et de plus en plus réduits depuis dix ans...). Deuxième caractéristique de ces camps de Palestiniens au sein du monde arabe: la surveillance particulière dont ils font l’objet. Car s’ils rappellent par beaucoup de points de vue les camps de Palestine – armée d’occupation et colons en moins – il n’est pas correct de dire qu’en Jordanie, les camps sont « intégrés » au milieu urbain ni que les réfugiés sont relativement « assimilés » ou qu’ils sont « chez eux » (conformément au souhait d’Ariel Sharon et autres sbires !). Car il faut une autorisation officielle pour aller dans les camps et si nous y sommes entrés c’était accompagnés par des hommes de la Sûreté en uniforme ou en costume civil. Pas question de s’écarter du groupe, d’aller acheter un cahier ou un fruit sur le marché, de laisser un petit drapeau palestinien déplié par terre à l’intérieur du camp de Widhat. Pas question non plus pour les familles de Baqa’a de nous héberger sans avoir un policier devant leur porte. Pas facile d’ailleurs d’y entrer la nuit ! Pourquoi cette stigmatisation, cette chape de plomb donnant par moments aux camps jordaniens une allure de ghettos? Septembre Noir, c’était il y a plus de 40 ans, quand le père du roi actuel a envoyé des centaines de chars et des milliers de soldats contre les camps de Widhat ou de Jerash pour chasser la résistance populaire. Aujourd’hui, la majeure partie de la population des camps est née après 1970! Alors, « classe pauvre, classe dangereuse ou... en danger » ? Quelles sont les perspectives d’avenir pour tous ces enfants et adolescents si même les écoles de l’UNRWA ne parviennent plus qu’avec peine à les scolariser ?!! Sans parler des orphelins, des handicapés... La situation n’est pas non plus la même qu’au Liban. De nouveaux réfugiés des pays voisins arrivent chaque jour dans le Royaume Hachémite et si la population de Jordanie est en général très accueillante, les réfugiés des camps palestiniens représentent une population doublement marginalisée : ils sont minoritaires au sein de la population globale et minoritaires au sein même de la population palestinienne dont la majorité appartient désormais à la classe moyenne, suite à la politique d’assimilation mise en place par la Jordanie.


palestine 22 COOPÉRATION

palestine 23 LIVRES

livres

COMMENT LA TERRE D’ISRAËL FUT INVENTÉE Shlomo Sand, Éd. Flammarion, 2012, 367 p.

OUT OF THE FRAME Ilan Pappe, Pluto Press, 2010, 246 p.

ISRAËLPALESTINE : AU CŒUR DE L’ÉTAU Alexis Deswaef, Éd. Couleur Livres, 2012, 118 p.

Viroinval-Qalqilya

En 2002, les Palestiniens de Cisjordanie vont connaître le même destin que ceux de Gaza. Israël entame la construction d’une Mur en Cisjordanie, qu’ils appellent par euphémisme barrière de séparation. Depuis, au Nord-Ouest de la Cisjordanie, la ville de Qalqilya est complètement encerclée par le Mur et tous les horizons sont bouchés.

UN CYBER-ESPACE POUR FRANCHIR LE MUR DU SILENCE par Jean-Marc Delizée, Député-échevin de Viroinval chargé de la coopération internationale

Pour tenter de briser l’isolement imposé par l’occupation militaire israélienne, la commune de Viroinval a mis sur pied un second projet de coopération internationale avec la Palestine. Il se concrétise par l’implantation d’un cyber-espace et d’un studio d’enregistrement au sein du Forum culturel de Qalqilya. Le 23 novembre 2012, lors de leur inauguration, c’est la voix de Qalqilya qui se fera entendre dans notre petite commune sud-namuroise. Une liaison directe par Internet permettra de franchir le Mur israélien et les 3000 kilomètres qui nous séparent du Proche-Orient. Une liaison virtuelle certes, mais symbolique. Un acte politique solidaire est posé. Ce projet est aussi un partenariat avec « Artistes contre le mur», association qui anime depuis près d’une décennie des camps d’été pour des centaines de jeunes à Qalqilya. Nous n’avons pas choisi Qalqilya par hasard. Qalqilya résume l’injustice faite au peuple palestinien, le cynisme de l’État israélien et aussi la résistance du peuple palestinien à l’oppression. Maintes fois condamné tant sur ses aspects humanitaires et politiques que légaux, le Mur provoque l’isolement physique, géographique mais aussi moral et politique. On estime que 75% des citoyens n’ont pas d’emploi à Qalqilya. Autrefois le secteur agricole était prospère. Aujourd’hui, l’accès difficile voire impossible aux terres agricoles et aux puits restés de l’autre côté du mur a ruiné l’économie de la ville. 45000 habitants sont concentrés sur 4 km2. Leurs déplacements sont empêchés. Les permis ad hoc pour franchir les portes agricoles sont rares et aléatoires. L’accès aux soins de santé, à l’éducation, aux études supérieures, au sport, à la culture est entravé par le Mur et toutes les barrières physiques, militaires et psychologiques. Dans cette ville emmurée, asphyxiée, encerclée, permettre un accès à l’information, offrir un outil d’expression et de communication pacifique, une alternative à la violence omniprésente

apporte un soutien inestimable, une bouffée d’espoir, un peu d’évasion aux enfants, aux jeunes et moins jeunes de Qalqilya. S’investir dans des projets de coopération internationale, grâce dans ce cas au soutien de la Région wallonne, est une volonté de la commune de Viroinval.

ELLE N’EST PAS TOUJOURS COMPRISE PAR LE CITOYEN Pourtant les mandataires communaux et les associations partenaires pensent qu’il est important que tous les niveaux de pouvoir (européen, fédéral, communautaire, régional, communal) se mobilisent pour coopérer plus et mieux avec les pays du Sud. La commune peut jouer un rôle dans une politique de solidarité internationale. Elle peut favoriser les liens et les connexions entre les habitants du Nord et du Sud pour une ouverture, une sensibilisation aux réalités de chacun. « La solidarité, c’est rappeler que notre objectif est l’amélioration des conditions de vie de toutes les femmes et de tous les hommes du monde entier, dans une logique radicalement différente de la compétitivité et de la concurrence. Un îlot de pauvreté, où qu’il soit, reste une injustice sociale de trop, qui met en péril les avancées et acquis d’ailleurs… en ce compris chez nous. » Nous vivons dans un « village global » où la précarité que vivent les uns s’exporte chez les autres et ne peut plus être ignorée, où les inégalités, les injustices dépassent les frontières. Par le choix de la Palestine, Viroinval tente modestement par son soutien d’œuvrer en faveur de la liberté du peuple palestinien, peuple éclaté, déchiré, cadenassé, humilié qui réclame ses droits depuis plus de 60 ans. Ouvrir une fenêtre sur le monde aux jeunes Palestiniens est une pierre à l’édifice dans la construction de la paix.

Ilan Pappe est historien, professeur à l’Institut d’études arabes et islamiques de l’université d’Exeter. Il est également l’auteur de l’ouvrage « Nettoyage Ethnique de la Palestine », paru chez Fayard en 2008. Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Tel-Aviv, Shlomo Sand est l’auteur du best- seller « Comment le peuple juif fut inventé », paru chez Fayard et traduit en 20 langues. Shlomo Sand poursuit ici son œuvre de déconstruction des légendes qui encombrent l’histoire d’Israël; telle qu’elle est le plus souvent présentée, celle-ci relève plus de la mythologie biblique que de la réalité historique. Certains courants sionistes s’appuient d’ailleurs sur cette version mythique pour légitimer la création de l’État d’Israël en 1948 et revendiquer pour lui le territoire qu’il prétend occuper, à savoir la « Terre promise » sur laquelle le « peuple élu » aurait un droit de propriété éternel et inaliénable. Au fil des quelque 400 pages, Shlomo Sand aborde de nombreuses questions, dont : Quel lien existe-t-il, depuis les origines du judaïsme, entre les juifs et la « Terre d’Israël » ? Le concept de patrie se trouve-til déjà dans la Bible et le Talmud ? Les adeptes de la religion juive ont-ils de tout temps aspiré à émigrer au Moyen-Orient ? Comment expliquer que leurs descendants soient majoritaires à ne pas souhaiter y vivre aujourd’hui ? Et que doit-il advenir des habitants non juifs de cette terre : ont-ils, oui ou non, le droit d’y vivre ? C.S.

L’avocat Alexis Deswaef est président de la Ligue des Droits de l’Homme. Accompagné de Véronique van der Plancke, viceprésidente, qui représente également la FIDH, il a participé à une mission de dix jours en Israël et en Palestine avec d’autres avocats belges, le directeur de « Droits Quotidiens » et celui de « Médecins du Monde Belgique ». C’est au pas de charge mais en rencontrant néanmoins des interlocuteurs très crédibles et très bien informés que cette mission a fait le tour de la question. Il en résulte un petit livre – publié lui aussi très vite - qui analyse très clairement et sous l’angle du droit l’état actuel du conflit et les blocages israéliens. C’est d’autant plus lisible que l’auteur raconte au jour le jour ses rencontres et décrit les interrogations et indignations du groupe. Le temps du vol de retour est celui des conclusions : il est urgent de continuer à témoigner car « nous sommes en face d’une des pires situations au monde en termes de respect du droit, ce qui explique l’importance de la Palestine » (…) Et la seule solution est la création d’un État palestinien viable, libre et indépendant ». G.L.

Le présent ouvrage est une autobiographie étroitement liée à l’histoire d’Israël et de la Palestine occupée. L’auteur a connu une enfance insouciante et a été baigné dans la culture dynamique d’une société sioniste prospère, assurant bonheur et protection à ses membres. Mais la guerre de 1982 contre le Liban, son travail de recherche pour l’obtention d’un doctorat en histoire, ses rencontres avec des intellectuels palestiniens, entre autres, lui ont ouvert les yeux et fait découvrir un monde parallèle où règnent nettoyage ethnique, apartheid, occupation et dépossession. C’est le fondement du fossé qui s’est creusé entre sa conception de la judaïté (de la morale juive en particulier) et l’idéologie sioniste. Avec le recul, il s’est mis à concevoir le sionisme comme un mouvement colonial et non comme un mouvement de libération du peuple juif. Il s’en est donc progressivement éloigné puis libéré, s’attirant ainsi les foudres de collègues historiens israéliens. C’est notamment son soutien à Teddy Katz – auteur d’une thèse controversée sur les massacres de Tantura – et l’hostilité manifeste de ses collègues de l’université de Haïfa qui ont précipité son départ d’Israël. Il vit aujourd’hui au Royaume Uni où il enseigne, écrit et participe régulièrement à des débats. C.S.



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