TRIMESTRIEL N°72 – AVRIL/MAI/JUIN 2017 DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130 4,00 €
palestine
BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES
SOMMAIRE DOSSIER 50 ANS DE VIE SOUS OCCUPATION 04 Le territoire 06 / Les gens 22 / Les politiques 36
02 ÉDITO
Ils ont osé !
par Pierre Galand, Président
Le premier juin 2017, à une large majorité et à main levée, le Parlement européen a adopté une résolution censée combattre l’antisémitisme. Mais voilà, in cauda venenum, la résolution stipule aussi que critiquer Israël constitue un acte d’antisémitisme !
Publier le rapport « Goldstone » qui impute à Israël des crimes de guerre et de possibles crimes contre l’humanité lors de l’opération « Plomb durci » qui fit plus de 1 300 morts essentiellement civils entre décembre 2008 et janvier 2009 à Gaza : antisémitisme.
Oser dire qu’Israël est un État voyou qui viole un nombre incalculable de résolutions du Conseil et de l’Assemblée des Nations Unies qui condamnent l’occupation et l’accaparement de la terre palestinienne : antisémitisme.
Appeler au boycott contre l’État d’Israël pour crimes de guerre, crime d’apartheid, 50 ans d’occupation et de violation de tous les droits palestiniens : antisémitisme.
Oser dire que l’extermination de près de 2 000 femmes, enfants, vieillards palestiniens égorgés à Sabra et Chatila en septembre 1982, sans compter les tortures et viols, tout cela commis sous les ordres du général Sharon, est un crime : antisémitisme. Oser soutenir, comme Mme Rime Khalef, secrétaire exécutive de la Ceseo 1, le rapport du professeur Richard Falk, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme dans le Territoire occupé de Palestine, parce qu’il y écrit qu’« Israël est coupable de politiques et de pratiques constitutives du crime d’apartheid » : antisémitisme. Oser, comme Jimmy Carter dès 2006, mettre en garde Israël contre le crime d’apartheid ou encore déclarer, comme l’ancien procureur de la république d’Israël Ben-Yaer, « nous avons établi un régime d’apartheid dans les territoires occupés » : antisémitisme.
Lorsqu’un parlement, celui de l’Europe, en arrive à un tel déni de droit – la liberté d’expression étant une valeur cardinale de la démocratie – on ne peut que s’indigner et se révolter de ce qu’il se trouve une majorité pour adopter une telle résolution, sous la pression, voire le harcèlement de réseaux de lobbyistes à la solde d’Israël. Pour les défenseurs du droit international et de la solidarité avec le peuple palestinien et tous les peuples privés de leurs droits fondamentaux, il nous faut dénoncer cette résolution, le chantage à l’antisémitisme et les menaces des cercles à la solde du gouvernement israélien. Il nous faut nous battre contre la lâcheté, les compromissions des politiciens qui adoptent des résolutions anti-démocratiques et mortifères. Il nous faut résister aux côtés de ceux qui, en Israël, dénoncent les politiques criminelles de leur gouvernement contre les Palestiniens et de ceux qui, en Palestine, combattent l’occupant.
Ne craignons pas d’affirmer que les luttes dont l’objectif est de contraindre Israël à reconnaître le droit des Palestiniens à l’autodétermination s’inscrivent dans l’histoire des peuples et de leurs combats pour mettre fin au colonialisme, à l’image du FLN algérien contre la France ou du Viêt-Cong contre les États-Unis. N’hésitons pas à dénoncer l’apartheid pratiqué par les Israéliens à l’égard des Palestiniens en territoire occupé et en Israël. Ainsi que l’a déclaré avec force l’archevêque Desmond Tutu, cet apartheid est pire que celui des Blancs d’Afrique du Sud. Le crime d’apartheid 2 est inclus depuis 1973, avec dix autres crimes contre l’humanité, dans le Statut de Rome qui est au fondement de la création en 2002 de la Cour pénale internationale. Le rapport de Richard Falk défendu par Mme Rima Khalef énonce clairement : « Israël a mis en place un régime d’apartheid qui instrumentalise de façon systématique l’oppression raciale et la domination du peuple palestinien dans sa totalité ». Davantage que des critiques, il y a lieu d’opposer à Israël des condamnations et un appel à ce que le
gouvernement Netanyahou soit déféré devant la Cour pénale internationale. Face aux manquements graves des États occidentaux et de l’ONU qui ne remplissent pas leurs obligations légales pour protéger les populations palestiniennes 3, oui, nous nous devons de les suppléer en tant que citoyens et de boycotter Israël, puissance colonisatrice et occupante de la Palestine depuis 50 ans.
1/ Ceso : Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale des Nations Unies. 2/ Crime d’apartheid : actes inhumains perpétrés dans le but d’établir et de maintenir la domination des membres d’un groupe racial sur les membres d’un autre groupe racial et de les opprimer systématiquement. 3/ Voir à ce sujet les travaux du Tribunal Russell sur la Palestine. http://www.russelltribunalonpalestine.com/en/
Palestine n°72 Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche, Nadia Farkh, Sophie Feyder, Pierre Galand, Nathalie Janne d’Othée, Gabrielle Lefèvre, Katarzyna Lemanska, Julien Masri, Simon Moutquin Christiane Schomblond et Marie-Noëlle van Wessem| Ont contribué Samuel Legros| Relecture Ouardia Derriche | Graphisme Dominique Hambye & Élise Debouny | Photo couverture © La Demeure du Chaos Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asbl Siège social : rue Stevin 115 à 1000 Bruxelles | Tél. 02 223 07 56 | info@abp-wb.be | www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 | Tout don de plus de 40 euros vous donne droit à une attestation qui vous vaudra une réduction d’impôt de 40% du montant de votre don | Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
04 DOSSIER
UNE VIE DANS
l’ombre de l’occupation
100 ans d’injustice
70 ans de dépossession
DÉCLARATION BALFOUR
L’ONU décide de partager le territoire : 55% pour un État juif ; 44% pour un État arabe ; 1% de zone internationale (Jérusalem et les Lieux saints). Logiquement, le plan est refusé par les Arabes. La 1ère Guerre israélo-arabe se solde par l’exil de 750 000 Palestiniens (la Nakba) et par l’annexion de plus de territoires par Israël.
La Grande-Bretagne, par la lettre de son ministre des Affaires étrangères Lord Balfour, promet d’œuvrer à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. Sans même avoir la souveraineté sur le territoire et sans consulter la population locale.
PLAN DE PARTAGE
50 ans d’occupation GUERRE DES SIX JOURS Il y a 50 ans, le 5 juin 1967, Israël attaquait la Syrie, l’Égypte et la Jordanie. Une «attaque préventive» qui aura des répercussions dramatiques et toujours actuelles pour la Palestine : – Occupation : À la suite de cette guerre éclair, Israël occupe la Cisjordanie, Jérusalem-Est, Gaza, le plateau du Golan syrien et le Sinaï égyptien (rendu en 1979), soit l’intégralité de la Palestine historique. En occupant ces territoires, Israël quadruple sa superficie et modifie en profondeur ses frontières. – Colonisation : Israël entame en même temps un processus de colonisation du Territoire palestinien occupé. On compte aujourd’hui 250 colonies construites avec ou sans aval de l’État et où résident près de 600 000 colons israéliens, et ce, en toute illégalité au regard du droit international. – Annexion : En juillet 1967, Israël annexe illégalement la partie Est de Jérusalem ainsi que 28 villages palestiniens environnants. Israël, 13 ans plus tard, proclamera l’entièreté de la ville de Jérusalem comme étant sa capitale indivisible et éternelle, ce qui n’est pas reconnu par la communauté internationale.
AUJOURD’HUI, EN 2017, LES PALESTINIENS SONT CONFINÉS SUR 12% DE LEUR TERRITOIRE INITIAL Une terre morcelée : Gaza, Jérusalem-Est et la Cisjordanie. Une terre occupée par l’armée israélienne, quand elle n’est pas sous blocus complet comme à Gaza. Une terre fragmentée par des centaines de colonies israéliennes et de checkpoints. L’objectif que poursuivaient les résistants palestiniens et internationaux il y a quelques décennies reste toujours le même aujourd’hui : le droit à l’autodétermination du peuple palestinien ainsi qu’une paix juste et durable dans la région, la fin de l’occupation et de la colonisation israéliennes. Mais si l’objectif n’a pas changé, la situation évolue quant à elle d’année en année, l’occupation devenant de plus en plus insidieuse et quasi irréversible. Ce dossier spécial « 50 ans sous occupation » vise donc à faire le point sur la situation actuelle en Territoire palestinien occupé en proposant un aperçu des principaux enjeux et éléments-clefs du conflit autour de trois axes principaux : le territoire ; les gens qui y vivent ; leur système politique.
06 LE TERRITOIRE
/ Coucher de soleil sur les hauteurs de Naplouse, dans le village des Samaritains. Š Kanel34
partie 1 le territoire
La bantoustanisation DU TERRITOIRE PALESTINIEN
DEPUIS 50 ANS, PLUSIEURS MILLIONS DE PALESTINIENS VIVENT SOUS OCCUPATION, EXPULSÉS DE LEURS MAISONS TROP SOUVENT AUSSITÔT DÉTRUITES, EMPÊCHÉS DE CIRCULER LIBREMENT SUR LEUR TERRITOIRE PAR LE BIAIS DE ROUTES RÉSERVÉES AUX COLONS ET D’INNOMBRABLES CHECKPOINTS, EMPÊCHÉS DE CULTIVER LEURS CHAMPS ET PRIVÉS D’ACCÈS À L’EAU, ACCAPARÉE PAR LES COLONS. EN TOUTE ILLÉGALITÉ ET EN TOUTE IMPUNITÉ, ISRAËL CONTINUE D’USER DE TOUS LES MOYENS, PAR LA FORCE ET VIA LE DROIT, POUR ACCAPARER TOUJOURS PLUS DE TERRES ET FRAGMENTER LE TERRITOIRE PALESTINIEN JUSQU’À Y RENDRE IMPOSSIBLE L’ÉTABLISSEMENT D’UN ETAT PALESTINIEN VIABLE DISPOSANT D’UNE VÉRITABLE CONTINUITÉ TERRITORIALE. LA PALESTINE EST DONC AUJOURD’HUI UNE TERRE MORCELÉE, OCCUPÉE ET COLONISÉE : LES PAGES QUI SUIVENT PROPOSENT UN ÉTAT DES LIEUX DE CES TROIS RÉALITÉS. par Gabrielle Lefevre
08 LE TERRITOIRE
Un territoire morcelé
Cisjordanie Jérusalem
Bande de Gaza
Israël
/ Jérusalem © Kanel34
09 LE TERRITOIRE
LA CISJORDANIE Le Territoire palestinien occupé est composé de trois entités séparées les unes des autres : – la Cisjordanie, occupée et colonisée, sur laquelle Israël exerce une administration militaire (intitulée curieusement « administration civile ») ; – Jérusalem-Est, annexée en 1982, dans laquelle les Palestiniens qui y résidaient déjà avant l’annexion ont été autorisés à demeurer au moyen de l’octroi d’un permis de résidence, renouvelable et révocable de manière discrétionnaire par l’administration israélienne ; – La bande de Gaza, sous blocus militaire depuis 10 ans. Ces trois entités constituent ensemble l’État de Palestine, dans lequel vivent (à côté de 600 000 colons israéliens) 4,81 millions de Palestiniens auxquels s’ajoutent 1,77 million de Palestiniens vivant en Israël (soit 1/5e de la population israélienne). Aujourd’hui, l’État de Palestine est reconnu par 135 pays ainsi que par l’ONU depuis 2012 (comme «État observateur non membre des Nations Unies»). Les frontières territoriales qui lui sont internationalement reconnues sont celles de la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée en 1967, au lendemain de la guerre des Six Jours. Ces limites territoriales suivent le tracé de ce qu’on appelle la Ligne verte, c’est-à-dire la ligne d’armistice fixée en 1949 à la fin de la première guerre israélo-arabe, non respectée par Israël qui occupe le territoire au-delà de cette limite depuis 1967.
En 1987, vingt ans après la guerre des Six Jours, éclate la 1ère Intifada, la « révolte des pierres ». Partie de Gaza, la rébellion va très vite s’étendre à la Cisjordanie et toucher tout le territoire occupé, tant dans les camps, les villes que les villages. L’Intifada est le fait de la première génération née sous occupation : profondément politisés et décidés à prendre leur destin en main, les jeunes militant-e-s innovent dans les moyens de lutte non violente et entraînent dans leur mouvement tous les pans de la société dans une révolte qui durera 5 ans. Contraints par la médiatisation de la violente répression de cette révolte et des images choquantes qui en ont circulé, les Israéliens sont acculés à négocier. Dès 1993, des pourparlers commencent en secret entre Israéliens et Palestiniens à Oslo. Le 28 septembre 1995, l’Accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, dit « Accord d’Oslo », est signé. Mais si ces accords, à leur début, semblaient offrir la perspective d’une résolution juste et durable du conflit, ils auront finalement des conséquences assez désastreuses sur les espoirs d’indépendance du peuple palestinien. En effet, avec Oslo, la Cisjordanie est divisée en trois zones dont la responsabilité est diversement répartie entre les autorités israéliennes et palestiniennes. La zone A (18% du territoire, environ 50% de la population) comprend les sept grandes villes
10 LE TERRITOIRE Jénine
Naplouse
Ramallah
zone A / Contrôle palestinien
Bethléem
zone B / Contrôle administratif palestinien et sécuritaire israélien zone C / Contrôle israélien
palestiniennes de Cisjordanie, à savoir Jénine, Qalqiliya, Tulkarem, Naplouse, Ramallah, Bethléem et Hébron, et il incombe à l’Autorité palestinienne d’y assurer la sécurité et l’administration. Dans les faits, l’armée israélienne s’arroge fréquemment le droit d’y intervenir. La zone B (22% du territoire, environ 40% de la population) comprend la plupart des autres localités palestiniennes, à l’exception de certains villages et camps de réfugiés. L’Autorité palestinienne y a, en théorie, la responsabilité civile et Israël y conserve une responsabilité prépondérante pour les questions de sécurité. La zone C (60% du territoire, environ 10% de la population) est sous le contrôle total d’Israël tant pour la sécurité que l’administration. Cette zone est d’un seul tenant; elle encercle et fragmente donc les zones A et B. La plus grande part des terres fertiles et des ressources s’y trouve concentrée et a ainsi été accaparée par Israël. On y trouve également toutes les routes desservant les colonies israéliennes, les zones tampons (près des colonies, du Mur, des routes, des zones stratégiques et d’Israël) et quasiment toute la vallée du Jourdain, Jérusalem-Est et le désert.
Hébron
Toutes les frontières sont en zone C ; les Israéliens y exercent un contrôle total. Cette situation était prévue pour une période interimaire de cinq ans, en attendant qu’un accord permanent soit négocié sur les problématiques de Jérusalem, des réfugiés palestiniens, des colonies, de la sécurité et des frontières. La poursuite de la colonisation, l’assassinat de Rabin et l’arrivée de Benyamin Netanyahou au pouvoir ont progressivement mis fin aux espoirs d’Oslo et ont fait de la situation temporaire un état de fait permanent. Alors que la grande majorité des Palestiniens vit en zones A et B, les réserves de terres vacantes disponibles pour construire les infrastructures nécessaires à la croissance de la population et aux opportunités d’investissement sont en zone C. Or 70% des territoires de la zone C sont devenus inconstructibles pour des raisons militaires ou parce qu’ils ont été décrétés « réserve naturelle » et 28% sont déjà construits. De plus, les demandes de permis de construire des Palestiniens sont quasi toujours rejetées et les constructions non autorisées sont aussitôt démolies, ce qui y rend le développement d’habitats palestiniens quasiment impossible.
11 LE TERRITOIRE
“
À JE ́RUSALEM-EST, ISRAE ̈L A MIS EN PLACE UNE SE ́RIE DE POLITIQUES DE PURIFICATION ETHNIQUE, TRANSFERTS FORCE ́S, COLONISATION INTENSIVE ET APARTHEID, AFIN DE POUSSER LA POPULATION PALESTINIENNE HORS DES MURS DE LA VILLE.
“
Actuellement, 150 000 Palestiniens vivent en zone C contre 399 000 colons israéliens répartis dans 135 colonies.
avec Jérusalem-Est comme capitale, ce que le peuple palestinien continue de revendiquer avec constance.
En réalité, la zone C a été réduite à 1143 km2, soit un tiers de la superficie qui lui était attribuée. Le reste servirait de monnaie d’échange lors d’hypothétiques négociations sur les frontières de l’État palestinien.
Aujourd’hui, Jérusalem représente 200 km2 et compte 865 700 habitants. La vieille ville entourée de remparts comprend quatre quartiers : un chrétien, un musulman, un arménien et un juif. Dans la partie Est de la ville, on compte maintenant près de 211 000 colons israéliens pour 300 000 Palestiniens. Certaines de ces colonies hébergent jusqu’à 30 000 résidents (Gilo) ; d’autres ont été conçues pour accueillir jusqu’à 90 000 résidents (Pisgat Zeev ou Neve Yaakov).
JÉRUSALEM Selon le Plan de Partage initial de l’ONU, Jérusalem aurait dû rester sous juridiction internationale et n’appartenir ni au futur État juif ni au futur État arabe. Cependant, en 1949, Israël annexe la partie Ouest de la ville, conquise au cours de la première guerre israélo-arabe de l’année précédente. En 1967, Israël annexe également la partie Est de la ville – située de l’autre côté de la Ligne verte et appartenant donc au Territoire palestinien occupé– pour faire de Jérusalem une capitale « réunifiée », ce que lui conteste la communauté internationale qui refuse d’y installer ses ambassades. En 1988, l’OLP proclame la naissance de l’État de Palestine,
Jérusalem-Est connaît une situation particulière, puisqu’Israël y a mis en place une série de politiques de purification ethnique, transferts forcés, colonisation intensive et apartheid, afin de pousser la population palestinienne hors des murs de la ville. Ces politiques passent entre autres par : Le refus ou la révocation du droit de résidence des Palestiniens : les permis de résidents « permanents » peuvent en effet être annulés par Israël de façon discrétionnaire. Depuis 1967, 14 000 Palestiniens se sont vu retirer leur permis de résidence par Israël.
12 LE TERRITOIRE
LA BANDE DE GAZA La confiscation de propriétés privées palestiniennes autorisée par la loi israélienne : cela a permis la confiscation de centaines de propriétés ces 10 dernières années. Le refus quasi systématique des demandes de permis de construire aux Palestiniens : 94% de refus ces dernières années. La construction intensive de colonies : en 2015 encore, Israël a autorisé la construction de 12 600 unités de logement à Jérusalem-Est. Le Mur d’apartheid : approximativement 60 000 Palestiniens de Jérusalem ont été physiquement séparés du centre de la ville et des services qui y sont disponibles, le mur excluant les quartiers palestiniens à forte démographie de Jérusalem-Est. Des politiques disciminatoires: alors que les Palestiniens représentent 65% de la population à Jérusalem-Est, seuls 13% du territoire ont été attribués à leur usage; et sur 600000 logements construits depuis 1967, seuls 600 ont été attribués à des Palestiniens. Le but est clair : asseoir une majorité israélienne dans la ville, qu’Israël a décrétée sa « capitale éternelle et indivisible ».
Gaza est une bande de terre de 8 kilomètres de large et 45 kilomètres de long, avec une superficie de 360 kilomètres carrés ; elle est séparée de la Cisjordanie par une cinquantaine de kilomètres. Il s’agit d’une des zones les plus densément peuplées au monde : plus de 1,8 million de Palestiniens y vivent, en majorité des réfugiés de 1948 et leurs descendants. Depuis 2007, l’État d’Israël, de concert avec l’Égypte, impose à la bande de Gaza un blocus illégal et inhumain. Les trop nombreuses clôtures, checkpoints et corridors qui entourent la bande en font «la plus grande prison à ciel ouvert de la planète.» De plus, une zone tampon empêche les habitants de se rapprocher trop près de la clôture mise en place par le gouvernement israélien, ce qui prive les habitants de Gaza de 17% de leur territoire. À cela s’ajoute une surveillance maritime qui réduit la zone dans laquelle les bateaux palestiniens peuvent naviguer (et donc pratiquer la pêche en mer) à trois milles nautiques (4,8 km). Gaza subit ainsi un blocus mortifère qui empêche ses habitants de mener une vie sociale, économique et sanitaire normale, qui leur interdit de reconstruire leur habitat et les infrastructures détruites par les trois guerres infligées par Israël : « Plomb durci » en 2008-2009, « Pilier de défense » en 2012 et « Bordure protectrice » en 2014 ; cette dernière a provoqué la mort de 2 251 Palestiniens (dont 65% de civils parmi lesquels 551 enfants) et de 67 Israéliens, et a forcé au déplacement 500 000 personnes.
13 LE TERRITOIRE
/ Jeune garçon assis au milieu des ruines de son quartier. Gaza, 2009. © Andlun1
14 LE TERRITOIRE
Un territoire occupé S’il ne fait aucun doute pour les Palestiniens et la communauté internationale qu’Israël occupe le Territoire palestinien depuis 1967, Israël refuse cependant de parler d’occupation, arguant que les territoires conquis n'appartenaient pas à un État souverain. Une argumentation refusée continûment par la communauté internationale puisque l’ONU définit les territoires palestiniens comme étant bien des « territoires occupés » dans la résolution 242 et a avalisé depuis 2004 dans sa résolution 58/292 la notion de « territoire palestinien occupé, incluant Jérusalem-Est ». Les gouvernements israéliens, quant à eux, usent souvent de l’acronyme Yesha « Judée, Samarie, Gaza » ou parlent plus généralement « des territoires » qu’ils qualifient de « disputés » c’est-à-dire sans statut défini et en niant le rapport de force « occupant / occupé » qui leur est imposé.
Notons que l’occupation d’un territoire n’est pas illégale au regard du droit international humanitaire tant qu’elle reste temporaire et que l’occupant remplit certaines obligations à l’égard de la population occupée. Dans le cas d’Israël, le caractère illégal de l’occupation ne fait aucun doute, puisque celle-ci dure depuis 50 ans, ce qui outrepasse nettement la notion de « temporaire ». Au-delà de sa définition légale, l’occupation israélienne est un système insidieux et bien organisé qui s’immisce dans tous les pans de la vie quotidienne des Palestiniens. Son fonctionnement repose sur une série d’éléments politiques concrets qui sont abordés transversalement dans ce bulletin, tels que : la présence omnipotente de l’armée, les emprisonnements massifs, la colonisation rampante ici, galopante là, le recours à la torture et aux traitements inhumains et dégradants, les entraves à la liberté de circulation des personnes et des biens, les intimidations et les humiliations, la construction d’un Mur et de clôtures de séparation, l’accaparement du territoires et des ressources naturelles.
15 LE TERRITOIRE
La résolution 242 : ambiguïté linguistique et diplomatique En 1967, la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies exige « le retrait des forces armées d’Israël des territoires occupés lors du récent conflit » ce qui s’applique donc uniquement aux territoires occupés par Israël lors de la « guerre des Six jours », c’est-à-dire au-delà de la Ligne verte de 1949. La résolution reconnaît « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre et la nécessité d’œuvrer pour une paix juste et durable permettant à chaque État de la région de vivre en sécurité ». L’ONU y exige le retrait d’Israël des territoires nouvellement conquis en échange de la cessation de l’état de belligérance ; le « respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région, et leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et
reconnues, à l’abri de menaces et d’actes de force », la création de zones démilitarisées et un règlement de la question des réfugiés. La question du devenir du peuple palestinien n’est cependant abordée que via la question des réfugiés, sans aucune référence claire au peuple palestinien en tant que tel à aucun endroit de la résolution. L’ambiguïté de la résolution réside aussi dans l’interprétation divergente de la formulation française « retrait israélien des territoires occupés lors du récent conflit », et de l’anglaise « from territories occupied in the recent conflict », ce qui pourrait se traduire par la formule plus vague « retrait de territoires occupés » sans préciser si l’on parle de tous les territoires occupés en 1967 ou de certains seulement.
16 LE TERRITOIRE
Un territoire colonisé Un des principaux enjeux de l’occupation israélienne est l’établissement de colonies de peuplement sur les zones palestiniennes les plus stratégiques, à savoir riches en ressources agricoles et en eau.
/ Les colonies surplombent le petit village palestinien de Wadi Fukin, piégé entre les colonies toujours en extension d’un côté et le Mur de l’autre. © Kanel34
Qu’est-ce qu’une colonie ? Un village ou une petite ville, voire parfois juste quelques maisons, installés sur des terres confisquées aux Palestiniens, où vivent des ressortissants israéliens. Les colonies permettent également à Israël d’encercler les villes et villages palestiniens et d’empêcher la population de circuler librement entre les unes et les autres. Quelle est l’ampleur de la colonisation? Les colonies se sont considérablement développées en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, où vivent respectivement 385 900 et 211 000 colons, c’est-à-dire près de 600 000 colons au total, soit deux fois plus qu’en 1995. Seules les colonies de la bande de Gaza ont été évacuées par les Israéliens, peu avant leur retrait unilatéral de la zone en août 2005.
Quelles répercussions sur le terrain ? La construction des colonies – accompagnées des réseaux d’adduction d’eau, des routes de contournement et des câbles électriques nécessaires à leur alimentation – a entraîné la confiscation de toujours plus de terres palestiniennes et la destruction de dizaines de milliers de maisons et de nombreuses autres constructions à vocation artisanale ou agricole palestiniennes. En effet, pour assurer la sécurité des colons, les colonies ont été reliées entre elles par un réseau de routes qui leur sont réservées. Elles sont interdites d’accès aux Palestiniens. La Cisjordanie est ainsi divisée en plus de 200 îlots non reliés entre eux. Un tel état de fait empêche toute viabilité économique du Territoire palestinien occupé. Si l’on y ajoute les centaines de barrages et de checkpoints imposés par Israël, on comprend mieux que les colonies sont la clé de voûte de la politique israélienne d’occupation et, surtout, que leur objectif est d’évincer la population palestinienne de sa terre en la contraignant à l’exil.
Illégalité totale La poursuite continue de la colonisation a été, une fois de plus, fermement condamnée par le Conseil de sécurité des Nations Unies en 2016, sans que rien ne change pour autant. Or l’illégalité des colonies est incontestable: elles violent notamment la IVe Convention de Genève qui stipule que « la puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert de sa propre population civile vers les territoires qu’elle occupe ». Les colonies sont également condamnées par la résolution 465 du Conseil de sécurité des Nations unies et, enfin, elles sont qualifiées de crime de guerre par les statuts de la Cour pénale internationale et sont en contravention avec le droit humanitaire international. Malgré cela, en Israël, tout un arsenal législatif et réglementaire est continuellement déployé pour donner un vernis légal aux politiques de colonisation. La dernière loi en date (février 2017), dite « loi de régularisation » vise à permettre la légalisation des avant-postes israéliens, c’est-à-dire des « colonies sauvages » édifiées à l’initiative de citoyens israéliens et sans aval de l’État. Cette loi permettrait donc la légalisation pure et simple du vol de terres en Territoire palestinien occupé.
18 LE TERRITOIRE
L’eau, un enjeu crucial La Banque mondiale estime que 90% de l’eau de la Cisjordanie est utilisée au profit d’Israël, les Palestiniens ne disposant que des 10% restants. Avec l’occupation, depuis 1967, de la rive occidentale du Jourdain et des hauteurs du Golan syrien, c’est-à-dire du cours supérieur du Jourdain, Israël instaure sur le territoire un gouvernement militaire et s’assure ainsi le contrôle des principales réserves d’eau. En effet, au mépris du Droit international et de la IVe Convention de Genève, Israël applique une loi de 1959 faisant de l’eau « une propriété soumise au contrôle de l’État ». De ce fait, les Palestiniens ne peuvent plus pomper librement l’eau souterraine des abondantes nappes de la Cisjordanie. Et comme la vallée du Jourdain est bouclée par l’armée, ils n’ont pas davantage accès à l’eau du Jourdain. En surface, les deux-tiers des eaux provenant de la vallée du Jourdain (1300-1500 millions de m3 par an) sont utilisés par Israël et ce qui en arrive chez les Palestiniens est impropre à la consommation car son taux de salinité dépasse les normes. La population palestinienne vit majoritairement de l'agriculture. Les puits d’eau sont vitaux pour son économie. Or les Palestiniens doivent solliciter l’autorisation de l’armée pour forer de nouveaux puits et réparer les anciens, moderniser les installations de pompage, poser de nouvelles canalisations. Ce qui leur est systématiquement refusé : sur les 350 puits en
usage aujourd’hui, seuls 23 ont été forés depuis le début de l’occupation. Des citernes séculaires et des réservoirs souterrains artificiels, datant parfois de l’époque romaine, deviennent subitement « illégaux » lorsque l’armée israélienne ou une colonie les confisquent. Les gouvernements israéliens successifs ont continûment perfectionné l’arsenal législatif pour spolier les Palestiniens de leur droit à la terre et à l’eau. Ainsi en est-il de la « loi des absents », édictée conformément à l’ordonnance militaire sur la « propriété abandonnée » (ordre n°58 de 1967). Israël confisque de cette façon un nombre non connu de puits qui étaient utilisés par les Palestiniens ayant subi l’exode de 1948, ou n’ayant plus accès à leur terre pour des raisons de « sécurité » et depuis considérés comme « absents ». La confiscation de l’accès aux puits a encore été accélérée par la construction du « mur de séparation » (voir ci-après). Les Israéliens coupent fréquemment l’approvisionnement en eau des villes et des villages palestiniens. Les gens doivent alors acheter de l’eau des camions-citernes à un prix prohibitif. C’est dire que la pénurie d’eau n’est pas le résultat d’un phénomène naturel mais est provoquée sciemment. La situation est la plus critique dans la bande de Gaza, où 80% de l’eau sont, en outre, gravement pollués, ce qui porte atteinte à la santé publique.
Le Mur De la séparation à l’annexion
/ Camp de réfugiés d’Aida, Bethléem, avril 2017. Le Mur, à l’endroit même ou Jean-Paul II était venu faire son discours de paix il y a quelques années. © Kanel34
20 LE TERRITOIRE
Mur de séparation achevé ou en cours de construction Ligne verte / ligne d’armistice de 1949 Checkpoints permanents
En juin 2002, le gouvernement Sharon entame la construction d’un « mur de séparation », officiellement dans le but d’empêcher des terroristes de pénétrer en territoire israélien. Or, sur la plus grande partie de son tracé, le Mur ne suit pas la « Ligne verte » de 1967 mais pénètre jusqu’à 16 km au cœur de la Cisjordanie, afin d’annexer les colonies les plus importantes. Revenant à 1 800 000 euros le kilomètre, le Mur devrait compter au total 780 km de long. Autour des grandes villes, comme Qalqiliya ou Bethléem, des barrières « intérieures » ont également été érigées, qui viennent ainsi multiplier les enclaves. Avec le Mur, 11,9% de la superficie de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, se retrouvent soit à l’ouest (8,5%), soit complètement ou en partie encerclés (3,4%). Près de 500 000 Palestiniens sont affectés par ces annexions : 27 520 habitants se retrouvent à l’ouest du Mur, totalement coupés du reste de leur communauté, tandis que 247 800 autres vivent dans des zones encerclées et 222 500 habitants de Jérusalem-Est sont coupés du reste de la Cisjordanie. Ainsi, le Mur sépare davantage les Palestiniens les uns des autres que les Palestiniens des Israéliens et il est davantage un Mur d’annexion qu’un Mur de séparation. Si le tracé du Mur suit en grande partie celui des colonies israéliennes en Cisjordanie, il est également frappant de constater sa correspondance avec la carte des ressources en eau. Les
principales nappes aquifères ne sont plus accessibles qu’aux seuls Israéliens ; 36 puits d’eau souterraine ont été confisqués, soit une perte de 6,7 millions de m³ par an pour les Palestiniens. Des kilomètres de système d’irrigation se retrouvent dans la zone coincée entre le Mur et la Ligne verte, des serres et des terres agricoles sont ainsi asséchées. En outre, l’arrachage massif d’arbres pour les besoins de la construction du Mur accélère le processus de désertification de la zone. Plus de 83 000 arbres ont ainsi déjà été déracinés ; ce sont pour la plupart des oliviers, des arbres dont la maturation est très longue, ce qui constitue un véritable gâchis patrimonial et écologique. En fait, le Mur a provoqué le morcellement du territoire palestinien en de petites enclaves isolées. Des dizaines de communautés ont fait l’expérience de la confiscation de terres, de ressources en eau et de toute autre ressource qui leur permettaient de subvenir à leurs besoins, sans compter la destruction des biens personnels et communautaires. Les villes et villages palestiniens à proximité du Mur sont devenus des enclaves isolées où les mouvements d’entrée et de sortie sont limités, quand ils ne sont pas devenus impossibles : concrètement, cela signifie que les déplacements nécessaires pour se rendre au travail, pour se faire soigner, pour pourvoir à son éducation, rendre visite à des amis et à sa famille sont rendus très pénibles, voire harassants.
Jénine
Naplouse
Ramallah
Jérusalem Bethléem Hébron
/ © M.H
Contraire au droit international L’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 9 juillet 2004 a déclaré le tracé du Mur illégal et demandé l’arrêt des opérations de construction, la démolition des parties déjà construites, l’abrogation du régime juridique qui y est associé et la réparation des dommages causés de ce fait. Le 20 juillet de la même année, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution (A/ES-10/15) exigeant qu’Israël s’acquitte de ses obligations en vertu de l’avis précité. Loin de se soumettre à la résolution, Israël poursuit, kilomètre après kilomètre, la construction du Mur.
partie 2 les gens
VOUS POURRIEZ
vous sentir des humains, comme nous LOIN D’ÊTRE « UNE TERRE SANS PEUPLE POUR UN PEUPLE SANS TERRE », COMME LE REVENDIQUE LE SLOGAN SIONISTE, LA PALESTINE ABRITE SUR SON TERRITOIRE PLUSIEURS MILLIONS DE PALESTINIENNES ET PALESTINIENS POUR QUI CHAQUE JOUR EST SYNONYME D’INJUSTICE ET DE RÉSISTANCE. QUELS SONT LEURS STATUTS ET LEURS DROITS ? À QUOI RESSEMBLE LEUR QUOTIDIEN AUX CÔTÉS DES COLONS ISRAÉLIENS ? QUE SIGNIFIQUE « RÉSISTER » EN PALESTINE ? APRÈS LE TERRITOIRE PALESTINIEN, ABORDONS LES GENS QUI Y VIVENT. par Katarzyna Lemanska
© J. Kravik
© Y. Renoult
24 LES GENS
Près de 6,4 millions de Palestiniens vivent en Israël et dans le territoire occupé, auxquels s’ajoutent près de 3,3 millions de réfugiés répartis dans des camps au Liban, en Jordanie et en Syrie. En Israël, ils représentent environ 20% de la population totale. Les 5 millions de Palestiniens vivant à Gaza et en Cisjordanie (dont fait partie Jérusalem-Est) sont les habitants du Territoire palestinien occupé et sont considérés, à ce titre, comme des personnes protégées. Pourtant, il existe un décalage entre les droits qui leur sont formellement reconnus et la protection dont ils bénéficient effectivement. La plupart des atteintes aux droits humains des Palestiniens sont liées à l’existence et à l’expansion des colonies. À Gaza, à l’occupation, viennent s’ajouter les incursions militaires meurtrières et destructrices et 12 années d’un blocus qui maintient la population dans un état de dé-développement. L’ingérence des autorités israéliennes touche tous les aspects de la vie des Palestiniens (relations familiales et sociales, santé, perspectives professionnelles, culture, sport). L’occupation les enferme dans une bureaucratie kafkaïenne et arbitraire, ce qui ajoute une violence mentale et psychique à la violence physique. Derrière chaque colonie, chaque violation des droits humains des Palestiniens, il y a des vies et des projets contrariés, des opportunités barrées, des choix cornéliens à assumer. À cette immixtion s’ajoutent l’impunité dont jouissent les colons et les autorités militaires et l’absence de
perspectives d’amélioration de la situation. Il en résulte un climat général de désespoir, en particulier dans la jeunesse palestinienne, qui alimente les frustrations, et parfois, la violence. Cette seconde partie se centre sur les Palestiniens touchés par l’occupation et la colonisation, à savoir les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie et dresse un inventaire – non exhaustif –des violations de droits humains qui les affectent en tant que personnes, les questions territoriales étant traitées dans le chapitre précédent. Elle revient ensuite sur ceux avec qui ils sont forcés de partager leur petit territoire : les colons. Vivant en Palestine pour des raisons idéologiques et/ou politiques, les colons sont les agents directs de l’accaparement des terres et les bénéficiaires du régime d’apartheid mis en place par Israël en Palestine occupée. Extrêmement violents pour certains d’entre eux, ils jouissent d’une impunité totale. La dernière section revient sur les formes de résistance exercées par les Palestiniens et montre que la partie la plus médiatisée, la résistance violente, est en réalité mineure et très occasionnelle. Tenter de mener une vie normale, cultiver la terre, créer, mener des actions de résistance non violentes dans un contexte de répression systémique, tout cela ne fait certainement pas la « une » des journaux, et pourtant, c’est ça qui constitue la norme de vie de la plupart des Palestinien-ne-s.
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Un peuple, des réalités multiples En fonction de leur lieu de résidence, les Palestiniens ont des statuts différents. Bien que Jérusalem-Est fasse partie de la Cisjordanie, les Palestiniens jérusalémites ont un statut à part : à la suite de l’occupation israélienne de la ville, en 1967, les habitants palestiniens se sont vu accorder la « résidence permanente » en Israël, ce qui leur donne le droit de vivre à Jérusalem et de travailler en Israël, sans avoir à demander de permis. Néanmoins, pour rester résidents permanents, ils doivent régulièrement prouver que Jérusalem est leur centre de vie. À défaut, leur statut est révoqué et ils perdent le droit de résider dans la ville. C’est pour cela que des Palestiniens qui avaient été délogés de leur maison pour faire place à des colons, et qui s’étaient installés en signe de protestation dans une tente juste en face de leur désormais ancienne habitation, continuaient à en payer les factures d’électricité, pour ne pas se faire expulser de l’autre côté du Mur. Contrairement à la citoyenneté israélienne, la résidence permanente n’est pas automatiquement transférée aux enfants si un des parents n’en est pas porteur, ni à l’époux/se en cas de mariage. La procédure de réunification familiale est complexe, longue et coûteuse et interdit à l’enfant ou l’époux/se de légalement résider dans la ville tant que le statut de résident permanent ne lui a pas été formellement octroyé. Ces mesures proviennent du Plan démographique, (Master Plan) ratifié par la municipalité de Jérusalem en
2000, dont l’objectif principal est de contenir la population palestinienne à 40% maximum de la population totale. De ce fait, des centaines de résidences permanentes sont ainsi révoquées chaque année. Les Palestiniens qui vivent à l’est du Mur, hors de Jérusalem ne bénéficient pas de ce statut. À chacun de leurs choix personnels, correspond une ordonnance militaire et une procédure d’obtention du permis approprié, qui peut de surcroît varier en fonction de la zone (A, B ou C) dans laquelle ils vivent. Un Palestinien de Ramallah ne peut pas choisir tout simplement d’étudier à Jérusalem-Est ou à l’étranger car il est peu probable qu’un permis lui soit octroyé pour ce faire. Une Palestinienne qui épouserait un Jérusalémite fait courir à ce dernier le risque de devoir renoncer à résider dans la ville où se trouve son cercle social et familial. Les conséquences politiques sont donc obligatoirement prises en compte dans les choix personnels. Dans la zone C, où les autorités militaires exercent le contrôle le plus absolu, obtenir un permis de construction sur son propre terrain, ou de rénovation de sa propre maison, est presque impossible. Et sans permis, la démolition est assurée. Choisir son lieu de travail n’est pas simple non plus. Jérusalem était un centre de vie pour les Palestiniens, y compris du point de vue économique, jusqu’à la construction du Mur et
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des checkpoints. Les permis pour s’y rendre sont distribués au compte-gouttes. Toute l’économie est déstructurée, captive et subordonnée à l’occupation. De nombreux Palestiniens n’ont d’autre option que de se tourner vers le marché du travail israélien, où ils prestent un travail souvent précaire, avec un niveau de protection sociale bien inférieur à celui accordé à leurs collègues israéliens. Les Gazaouis forment la catégorie de Palestiniens la plus précarisée. En plus de l’occupation, ils vivent sous un blocus aérien, maritime et terrestre, qualifié de « punition collective » par les Nations Unies. Ce sont 1,8 million de personnes qui vivent enclavées dans un territoire de 365 km2. C’est dans cette « prison à ciel ouvert » qu’ils ont subi 3 attaques militaires ayant entrainé la mort de 4 000 personnes, en grande majorité des civils, et laissé, en lieu et place des habitations et infrastructures, un champ de ruines. Compte tenu des restrictions imposées à l’importation des matériaux de construction, seule une infime partie des maisons a été reconstruite ; 96 % de l’eau distribuée par les réseaux publics n’est pas potable et les coupures d’électricité peuvent durer jusqu’à douze heures par jour. Le blocus dévaste autant les relations sociales que l’économie. Rendre visite à de
la famille en Cisjordanie est quasi impraticable : les critères et quotas en la matière sont stricts, les procédures d’obtention des autorisations lentes. Le regroupement familial est totalement interdit. Le blocus empêche également les Palestiniens de commercer avec les marchés de Cisjordanie. Les pêcheurs ne peuvent pas accéder à leurs zones de pêche ni les agriculteurs à leurs terres. Les principales industries ont été décimées. Les 3 attaques consécutives ont laissé 300 000 enfants et adolescents traumatisés. Quand les autorités israéliennes bombardent la zone, il n’y a pas d’endroit où se réfugier. Les jeunes sont 60% à être sans emploi ; 80% de la population est tributaire de l’aide humanitaire. Il faut prendre conscience que derrière chacune de ces statistiques, il y a des individus qui, comme nous, aspirent à vivre dans la sécurité et la dignité, ont des rêves, ont envie de se projeter dans l’avenir, de voyager, de découvrir, d’apprendre, de s’assurer et d’assurer à leur famille une stabilité affective et sociale. L’occupation, le choix politique rationnel et assumé des autorités israéliennes depuis 50 ans maintenant, empêche la pleine réalisation des aspirations des Palestiniens. Derrière chaque statistique, il y a des vies volées.
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Droit à l’éducation
Droit à la santé
En Cisjordanie, près d’un étudiant sur cinq doit franchir un poste de contrôle pour se rendre à l’école. Les étudiants peuvent être amenés à effectuer quotidiennement de longs déplacements s’ils souhaitent étudier dans une université située en dehors de leur zone de résidence. Dans des parties reculées de la zone C, la distance jusqu’à l’école la plus proche peut atteindre les 10 km. Les établissements situés à JérusalemEst leur sont inaccessibles. Les déplacements des étudiants de Gaza vers la Cisjordanie sont catégoriquement interdits. Rejoindre des universités étrangères est exceptionnel, ce qui compromet le libre choix de la formation universitaire.
L’accès, la disponibilité et la qualité des services de santé sont compromis par les restrictions imposées à la liberté de circulation des patients et des professionnels de la santé. Lorsqu’un traitement médical n’est pas disponible dans un de ses hôpitaux, le ministère palestinien de la Santé envoie les patients vers d’autres établissements, généralement situés à Jérusalem-Est. Or ceux-ci ne sont accessibles qu’à la condition d’obtenir un permis des Israéliens. Le système complexe des permis peut entraîner des retards et des refus de soins pour les patients ; les restrictions sur les permis pour les personnels de santé peuvent en outre interrompre la continuité des services médicaux.
Tant les élèves que les enseignants sont régulièrement victimes de harcèlement et de violence de la part des soldats ou des colons israéliens.
À Gaza, la dépendance à ces transferts est particulièrement critique. Il n’y a par exemple que deux chirurgiens cardiaques pour 1,8 million d’habitants.
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Un peuple en résistance
par Samuel Legros
/ Au mur du «Popular Committee Against the Wall» de Bil’in, la photo de Bassem Abu Rahmah, activiste non-violent tue ́ par l’armée israélienne en avril 2009 lors d’une manifestation pacifique. Sur l’e ́tage ̀re, les re ́sidus d’armes utilise ́es par l’arme ́e (gaz lacrymoge ̀nes, canisters, bombe sonore…). © Kanel34
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RECONNAISSANT LE DÉSIR PASSIONNÉ DE LIBERTÉ DE TOUS LES PEUPLES DÉPENDANTS ET LE RÔLE DÉCISIF DE CES PEUPLES DANS LEUR ACCESSION À L’INDÉPENDANCE 1.
Qu’est-ce que la « résistance » ? Ce terme convoque probablement chez beaucoup d’entre nous des images de violence et d’affrontements. La résistance ne peut pour autant se réduire à une de ses formes d’expression. Elle est bien plus que cela. D’après le dictionnaire Larousse, la résistance définit en effet « la capacité de résister, d’annuler ou de diminuer l’effet d’une force subie ». La résistance vitale, elle, renvoie à « la capacité pour un organisme de se maintenir en vie ». La résistance du peuple palestinien – organisme social, politique et national – définit l’ensemble des actions, depuis la plus infime habitude du quotidien, qui lui permettent de se maintenir en vie et de diminuer les effets de la colonisation et de l’occupation. Si l’on ne résiste pas, on se résigne. Pour le peuple palestinien, vivre, c’est résister. Parce que vivre signifie s’opposer au jour le jour à une entreprise de dépossession d’une terre, d’une communauté politique et d’une culture. La domination politique, économique et militaire d’Israël sur la Palestine ne s’opère évidemment pas de façon paisible. Toute domination doit utiliser la violence pour se maintenir. C’est à l’aune de cette violence-là que doit se mesurer et s’analyser la résistance qui lui est opposée. Pourtant, la « résistance populaire quotidienne » des Palestiniens, tout au long du 20e siècle et
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jusqu’à aujourd’hui, ne réserve qu’une place très minoritaire à la violence : combien d’oliviers replantés sur des terres spoliées pour combien de bombes posées ?
La résistance civile à l’occupation israélienne a principalement pris des formes non violentes : des manifestations de masse, des mobilisations populaires, des grèves de travailleurs, le boycott de produits israéliens. Sans oublier la résistance intellectuelle et culturelle, au travers de la création d’écoles et d’universités, de la poésie, de la littérature, de la musique ou de la danse. Les années 1970 et 1980 ont vu le développement de multiples cadres d’organisation de la lutte. Outre la résistance armée, des syndicats et des organisations d’agriculteurs, de femmes, d’étudiants et d’intellectuels sont créés, qui veulent développer des structures d’émancipation vis-à-vis de l’occupant israélien, en visant tant l’autonomie et la viabilité économique que la constitution d’alternatives aux structures de l’État colonial. L’Organisation de Libération de la Palestine, reconnue à la suite de la guerre du Kippour de 1973 comme le représentant officiel du peuple palestinien par la Ligue arabe, préfère progressivement l’orientation politique et diplomatique à l’action militaire. Son président, Yasser Arafat, renonce publiquement au terrorisme le 13 décembre 2008 devant l’Assemblée générale des Nations Unies.
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Malgré cela, le traitement médiatique et politique de la résistance palestinienne ne réserve généralement que peu d’espace à cette résistance populaire pacifique quotidienne. Seuls les actes de violence sont régulièrement épinglés, du jet de pierre à l’attentat-suicide.Ce traitement biaisé favorise les amalgames dans l’opinion publique, et ne permet en rien d’expliquer le cadre dans lequel ces actes de violence émergent. Sans les cautionner pour autant, il faut inlassablement rappeler que les expressions palestiniennes de la violence ne peuvent être appréhendées qu’à la lumière de la violence de l’occupation politique, économique et militaire d’Israël, continue depuis 1967 dans le Territoire palestinien occupé. Rappelons en outre que la plupart des luttes d’indépendance, d’autodétermination ou de décolonisation se sont appuyées sur des cellules (para-)militaires et ont adopté, à certains moments de leur évolution, des méthodes violentes : le peuple français contre l’occupant allemand, l’ANC de Nelson Mandela ou encore le FLN pour l’indépendance de l’Algérie. La création d’Israël ne fait pas exception. Sur son site internet, Tsahal (l’armée israélienne) revendique d’ailleurs toujours l’héritage de groupes comme la Haganah, l’Irgoun ou le « groupe Stern », qui ont tous utilisé la violence, parfois sans discernement, contre l’occupant britannique et contre les populations arabes présentes sur le territoire. 1/ Résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux, 14 décembre 1960
Bil’in, ce village qui résiste encore et toujours à l’envahisseur
En février 2006, le village palestinien de Bil’in accueille la première « Conférence internationale pour une résistance populaire et non violente ». Elle se réunit chaque année depuis. Le lieu n’a évidemment pas été choisi au hasard. En janvier 2005, Bil’in a créé un « Comité populaire » qui organise tous les vendredis des manifestations pacifiques contre la construction du Mur, dont le tracé empiète largement sur les limites municipales du village. Bil’in est r apidement devenu un symbole de la résistance civile populaire et nombre de militants pacifistes étrangers, y compris des Israéliens, participent aux manifestations. Le Comité populaire de Bil’in a également déposé différents recours juridiques devant la Haute Cour israélienne, qui a ordonné à plusieurs reprises des modifications du tracé du Mur.
BDS, l’appel des palestiniens Le 9 juillet 2004, la Cour internationale de justice rend un avis relatif à la construction du « mur de séparation ». D’après elle, « tous les États ont l’obligation de ne pas reconnaître la situation illégale qui résulte de la construction du mur et de ne fournir ni aide ni assistance au maintien de [cette] situation. ». La Cour demande la destruction des parties du mur construites en territoire occupé. L’avis de la CIJ, endossé par l’Assemblée générale de l’ONU, est pourtant resté lettre morte. Un an jour pour jour après sa parution, plus de 170 associations palestiniennes, se référant à l’expérience réussie du boycott du régime d’apartheid sudafricain, lancent la campagne « BDS » : Boycott, Désinvestissements et Sanctions « jusqu’à ce qu’Israël honore son
obligation de reconnaître le droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination et respecte entièrement les préceptes du droit international ». Au-delà des États et des institutions qui permettent l’impunité d’Israël et ses violations répétées du droit international, la campagne BDS veut s’adresser « aux gens de conscience au sein de la communauté internationale » afin d’organiser un boycott économique, politique et culturel d’Israël, de demander aux institutions économiques et financières de retirer les investissements faits en Israël et de faire pression sur les États pour sanctionner Israël et organiser des embargos contre lui. Depuis quelques années maintenant, la campagne BDS, également portée en Belgique, engrange des victoires significatives.
Tu sais ce que c’est, vivre avec les colonies ? par Marianne Blume
/ Sud de Naplouse. Kamal Farha Abbed, devant la colline sur laquelle il avait une maison jadis, avant qu’elle ne devienne une colonie israe ́lienne. Dans sa nouvelle maison, pour se prote ́ger des attaques des colons, il a pose ́ des barreaux ̀ a toutes les fene ̂tres : « Je vis en prison dans ma propre maison. Si vous voulez vivre ici, vous devez oublier la peur ». © Juliane Kravik
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UN PETIT RAPPEL POUR COMMENCER Depuis le début des années 1967, Israël a implanté des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens. L’établissement de ces colonies dans les territoires palestiniens occupés viole le droit international et est condamné par l’ONU. Aujourd’hui, on compte 127 colonies en Cisjordanie, 15 colonies autour de Jérusalem annexée auxquelles il faut ajouter les colonies à l’intérieur de Jérusalem-Est (cf. Silwan), à l’intérieur d’Hébron et plus d’une centaine de colonies sauvages en passe d’être légalisées par le gouvernement d’Israël (loi du 7 février 2017). Pour rappel, les colons israéliens sont aujourd’hui environ 385 000 en Cisjordanie et 211 000 dans et autour de Jérusalem, soit près de 600 000 au total.
QUI SONT LES COLONS ? On distingue habituellement trois types de colonies : les colonies religieuses, les colonies nationalistes et les colonies « économiques ». Les premières seraient le fait d’ultra-orthodoxes désirant vivre en communauté fermée, les deuxièmes seraient habitées par de Juifs israéliens revendiquant la terre au nom d’un droit divin ou d’un « Grand Israël » nationaliste et les troisièmes rassemblent des Israéliens qui s’y installent pour des raisons économiques du fait des divers avantages accordés par l’État et du prix avantageux des habitations. À vrai dire, comme le souligne Dror Etkes (un spécialiste israélien des colonies), la différence de terminologie entre les colons qui s’installent dans les colonies pour des raisons économiques ou des motifs de qualité de vie et leurs équivalents
idéologiques ne se justifie pas : tous participent à un projet plus large, qui est celui de l’occupation. De toute manière, quel que soit le type de colonies, elles ont toutes le soutien de l’État: de 2000 à 2006, les subsides per capita était plus ou moins de 57% plus élevés dans les colonies qu’en Israël.
LES COLONIES PRENNENT MES TERRES Je m’appelle Youssef Hassan. Je vis dans le village agricole de Dura al-Qar', à 13 km d’Al-Bireh. Notre famille possédait 120 dunums (12 hectares) répartis dans différents endroits. On y cultivait du blé, du raisin, des pêchers et des amandiers. En 1970, l’armée a confisqué des terres du village et d’Al-Bireh pour y établir un poste militaire. Puis en 1977, la colonie de Beit El s’est installée sur ces terres. Et bien que la colonie se soit agrandie en deux endroits différents (Beit El A et B), elle est considérée comme une ; 96,85% de son territoire sont sur des terres privées palestiniennes (Haaretz, 2009). Nos terres sont aujourd’hui incluses dans la colonie et nous n’y avons plus accès. Pour relier les colonies de Beit El et Ofra, Israël a construit une route (2000). Résultat : 30 dunums expropriés. Nous avions 60 dunums à Al-Mala’ab : se servant de faux papiers, les colons ont prétendu l’avoir achetée. Nous avons fait appel en vain. Exit les 60 dunums (2004). Nous possédions aussi 5 dunums à Al-Hadab. Pendant la deuxième Intifada, l’armée nous empêchait d’y accéder. Actuellement, il faut une coordination pour y aller. Et aucun recours n’a abouti. Les colons ont toujours raison devant les tribunaux… » d’après un témoignage recueilli par B’tselem
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LES AGRESSIONS DE LA PART DES COLONS SONT DEVENUES UNE VÉRITABLE ÉPIDÉMIE, NOTAMMENT DU FAIT DE L’INDULGANCE DONT FAIT PREUVE LE GOUVERNEMENT ISRAÉLIEN.
D’après B’tselem, les colonies occupent 63,5% de la zone C, soit 36,6% de la Cisjordanie. Or la zone C étant essentiellement agricole, le déficit de terres pour les Palestiniens est criant. D‘après Dror Etkes, de 1997 au milieu de l’année 2012, le total des terres palestiniennes privées saisies par les colons s’est accru de 56%: elles sont situées en dehors des limites de la juridiction des colonies et les propriétaires palestiniens en ont été chassés, soit directement par les colons, soit par l’armée. Depuis 1997, les colons ont saisi 24 000 dunums de terres agricoles dont 10 000 sont des terres privées palestiniennes. À cela, il faut ajouter les terres dites « publiques » confisquées d’office par l’État d’Israël et investies par les colonies (par ex. la vallée du Jourdain).
LES COLONIES PRENNENT MON EAU Kufr al-Deek est situé à 300 mètres de la colonie d’Ariel, une des plus grosses colonies de la Cisjordanie. Quand les réserves d’eau sont basses en été, Mekorot (la compagnie des eaux israélienne) ferme les vannes qui alimentent Kufr al-Deek pour ne pas affecter la distribution d’eau à Ariel. (…) Récemment, la source d’Ein al-Matwi a été contaminée. En effet, la colonie d’Ariel menace cette source dont dépendent ces communautés palestiniennes (Salfit, Burquin et Farkha) pour leur eau potable en y déversant ses eaux usées de manière inappropriée. En agissant de la sorte, Ariel affecte directement non seulement la santé des communautés mais aussi l’agriculture locale et l’environnement… Al Haq
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Israël mène une guerre de l’eau et les colonies en sont l’instrument. Alors qu’Israël contingente pour les Palestiniens l’eau puisée dans les nappes aquifères de Cisjordanie, elle dispense généreusement cette même eau aux colons. Ainsi, seuls 6,9% des terres cultivées palestiniennes sont irrigués (OCHA, 2014). Rien que dans la vallée du Jourdain, Mekorot extrait 30 millions de mètres cubes par an pour le bénéfice de seulement 10 000 colons, soit à peine moins du tiers du total de l’eau extraite par les Palestiniens pour répondre aux besoins de 2 700 000 personnes (Amira Hass, 2016). Par ailleurs, une autre menace majeure pour les Palestiniens vient de la confiscation forcée des sources par les colons, « qui ont usé de menaces, d'intimidation et de clôtures pour prendre le contrôle des points d'eau proches des colonies. » (rapport de l’ONU, mars 2012). Rien qu’en 2014, OCHA dénombre 40 sources (sur 56) que les colons ont transformées en « attraction touristique ». Or, vu la violence des colons, les Palestiniens n’y ont qu’un accès restreint si pas exclu.
LES COLONIES ENTRAVENT MA LIBERTÉ DE MOUVEMENT Toute colonie établie en Cisjordanie a amené à sa suite une route (…) Il a fallu 10 km de route pour relier les colonies de Kadim et Gapim (300 hab.) à la route de contournement de Jénine ; on a construit 14 km de route pour 300 personnes vivant dans la colonie de Shima et 30 km de route entre Tekoa et la mer Morte pour à peine 550
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colons vivant à Male Amos et Mitzpe Shalem. De la même manière, chaque colonie sauvage est reliée à une route principale. D’année en année, ce sont des centaines de routes de contournement qui ont été construites… Ariel HANDEL, Gated/gating community: the settlement complex in the West Bank, 2013 Ces routes détruisent les communications entre les communautés palestiniennes. Outre le fait que les Palestiniens ne peuvent ni les utiliser ni même s’en approcher, elles constituent de facto un obstacle au développement de leurs communautés : 41 routes et sections de route sont interdites aux Palestiniens, soit 700 km (B’tselem, 2017). Par ailleurs, comme on le sait, pour protéger les colonies, une série de checkpoints ont été installés, ce qui constitue un nouvel obstacle aux déplacements des Palestiniens.
LES COLONIES ME CHASSENT DE CHEZ MOI Le plan East 1, ou E1, est un projet israélien d’extension des colonies dans la région située entre Jérusalem-Est et Maale Adumim, mis au point dans les années 1990. Plus de la moitié des Bédouins visés par les démolitions et les déplacements vivent dans le périmètre retenu pour le projet E1. Amnesty International, Halte aux déplacements, 2012 Les déplacements de population sont interdits au regard du droit international mais cela reste une pratique israélienne courante. Ne sont pas seulement concernés les Bédouins de la zone E1
– qu’Israël veut « reloger » près d’une décharge – mais aussi les habitants de Jérusalem (ceux de Silwan, par ex.) ou de Susya ou de Massafar Yatta ou de Dkaika, etc. La plupart du temps, comme dans le cas de la zone E1, il s’agit de permettre l’extension des colonies et de vider la zone C (60% de la Cisjordanie, zone de contrôle total par Israël) de ses habitants palestiniens.
LES COLONIES FONT DE MA VIE UN ENFER On se souvient certainement de la famille Dawabshe de Duma, brûlée vive dans sa maison lors d’une attaque de colons venus de la colonie voisine de Maaleh Ephraim. Mais les colons ne font pas que tuer, ils incendient des champs, coupent des arbres, attaquent des bergers, empêchent des paysans de récolter leurs olives, frappent des civils, lancent des pierres contre des voitures, écrasent des enfants (Silwan, Hébron), coupent des routes, incendient des lieux de culte, taguent des mots vengeurs sur les murs… Selon l’organisation La Paix Maintenant, les « agressions de la part des colons sont devenues une véritable épidémie », notamment du fait de «l'indulgence dont fait preuve le gouvernement envers les violences anti-palestiniennes et les discours de haine». Selon Yesh Din, une organisation israélienne de droits de l’Homme, « ces actes de violence ne sont pas des incidents isolés, ce ne sont pas non plus de simples actes de haine ou de colère. Ce type de violence fait partie d’une stratégie plus large destinée à asseoir la domination territoriale sur les Palestiniens en Cisjordanie ».
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/ Mausolée d’Arafat, situé dans la cour de la Mouquata’a, c’est-à-dire les bureaux gouvernementaux de l’Autorité palestinienne et le quartier général de l’administration locale palestinienne. © Sébastien Bourguignon
partie 3 les politiques
Gouverner et être gouverné
SOUS OCCUPATION
MÊME SOUS OCCUPATION, UNE POPULATION ET UN TERRITOIRE DOIVENT ÊTRE GÉRÉS, ADMINISTRÉS. EN PALESTINE OCCUPÉE, CETTE RESPONSABILITÉ REVIENT À LA PUISSANCE OCCUPANTE ET DONC À ISRAËL. MAIS DEPUIS LES ACCORDS D’OSLO, L’AUTORITÉ PALESTINIENNE (AP) ASSURE ELLE AUSSI UNE PARTIE DE CETTE TÂCHE. AUJOURD’HUI, IL N’EST PAS RARE D’ENTENDRE DES CRITIQUES À L’ÉGARD DE L’AP, DE SON MANQUE DE VOLONTÉ POLITIQUE DANS LES NÉGOCIATIONS OU DE SA MAUVAISE GOUVERNANCE. MÊME S’IL EST ÉVIDENT QU’ELLE PORTE UNE PART DE RESPONSABILITÉ DANS LES MANQUEMENTS ÉPINGLÉS, IL EST NÉCESSAIRE DE RAPPELER LES LIMITATIONS, POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES, QUI LUI ONT ÉTÉ IMPOSÉES DEPUIS SA CRÉATION. par Nathalie Janne d’Othée
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LA DURE LOI DE L’OCCUPATION Pour rappel, en droit international, l’occupation israélienne n’est pas considérée comme illégale. Le droit international humanitaire (aussi appelé droit des conflits armés) envisage l’occupation militaire comme une situation temporaire et devant répondre à certaines règles. L’occupation israélienne pourrait néanmoins être qualifiée d’illégale du fait de sa longévité, du phénomène de colonisation qui l’accompagne (contraire à l’article 49 de la IVe Convention de Genève) et des multiples violations des droits humains qu’elle entraine pour les Palestiniens, à commencer par leur droit à l’autodétermination (reconnu dans l’article 1 commun aux deux Pactes des droits de l’Homme de 1966). En tant que puissance occupante, Israël a un certain nombre d’obligations vis-à-vis de la population palestinienne (et syrienne du Golan) (cf. Règlement de La Haye de 1907 (art. 42-56) et IVe Convention de Genève (CG IV, art. 27-34 et 47-78)). La puissance occupante est tenue d’assurer l’ordre public et la sécurité de la population occupée ainsi que des conditions satisfaisantes d’hygiène et de santé publiques. Elle doit également l’approvisionner en vivres et lui dispenser les soins médicaux nécessaires. Elle ne peut transférer de force la population civile, ne peut appliquer de peines collectives ou de représailles contre les personnes ou leurs
biens, ne peut détruire ou saisir des biens publics que si sa sécurité est menacée. Israël déroge à la plupart de ses obligations. Afin de gérer le territoire palestinien occupé, Israël a réhabilité un ensemble de règles édictées par la puissance mandataire britannique lors de l’état d’urgence instauré en 1945. Ces ordres militaires permettent, entre autres, de juger des civils devant des tribunaux militaires sans leur donner de droit d’appel, de permettre des fouilles et des saisies, d’interdire la publication de journaux, de confisquer des terres, de démolir des maisons, de détenir des individus administrativement sans preuves ni charges, de boucler des territoires ou encore d’imposer un couvre-feu. Alors que les civils palestiniens du territoire occupé sont jugés devant des tribunaux militaires, les colons israéliens répondent, quant à eux, du droit et des tribunaux civils israéliens. Le fait de soumettre des populations vivant sur le même territoire à deux systèmes juridiques différents, sur base de leur appartenance ethnique, peut s’apparenter à un crime d’apartheid. Les similitudes avec le régime sud-africain d’apartheid se situent également dans la multiplicité des règlements qui régissent la vie des Palestiniens, rendant impossible la connaissance de tous les règlements en vigueur et favorisant le caractère récurrent et arbitraire de leur application.
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LE FAIT DE SOUMETTRE DES POPULATIONS VIVANT SUR LE MÊME TERRITOIRE À DEUX SYSTÈMES JURIDIQUES DIFFÉRENTS, SUR BASE DE LEUR APPARTENANCE ETHNIQUE, PEUT S’APPARENTER À UN CRIME D’APARTHEID.
En 1981, après les Accords de Camp David entre Israël et l’Égypte, l’ordre militaire n°947 crée l’administration civile israélienne chargée d’administrer la population des territoires occupés. Elle n’a de civile que le nom puisqu’elle est gérée par l’armée et le Shin Bet (le renseignement israélien). L’administration civile fait partie du COGAT (Coordinator of Governement Activities in the Territories) qui dépend du ministère israélien de la Défense et est chargé de la coordination des affaires civiles dans les territoires occupés (Cisjordanie et Gaza) entre le gouvernement israélien, l’armée israélienne, les organisations internationales, les diplomates et, à partir de 1994, l’Autorité palestinienne.
LES LIMITATIONS DE L’AUTORITÉ PALESTINIENNE Les accords d’Oslo créent l’Autorité nationale palestinienne, une entité gouvernementale chargée d’administrer le quotidien des Palestiniens dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, dans les zones A et B. Celle-ci est composée d’un président et d’un Conseil législatif, une assemblée de 132 députés, dont la moitié sont élus dans les circonscriptions, l’autre moitié étant élue au suffrage universel. Le président choisit le premier ministre parmi les députés élus. Depuis la
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reconnaissance de la Palestine comme État observateur non membre par l’Assemblée générale le 29 novembre 2012, l’Autorité palestinienne utilise la dénomination d’État de Palestine dans ses documents officiels.
Mais sous des dehors de proto-gouvernement d’État, l’Autorité palestinienne ne bénéficie pour gouverner que de marges d’action extrêmement limitées. Elle est responsable de l’éducation, la culture, la santé, la sécurité sociale, des impôts directs et du tourisme. La plupart de ses fonctions sont des obligations que le droit international impute pourtant à Israël en tant que puissance occupante. Les frontières terrestres, maritimes et aériennes palestiniennes restent par ailleurs toutes sous contrôle israélien. Une police palestinienne est mise en place mais l’armée israélienne reste responsable de la défense du territoire palestinien contre les menaces extérieures. De plus, les décisions de l’AP en matière économique ou de sécurité doivent faire l’objet de concertation avec le gouvernement israélien tandis que son financement dépend en grande partie de l’aide internationale (voir plus bas). Selon Julien Salingue, docteur en sciences politiques, spécialiste de la vie politique et économique palestiniennes, « l’échec d’Oslo est l’échec programmé d’un processus par lequel on a tenté d’imposer aux Palestiniens de renoncer à
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leurs droits et de renoncer à les revendiquer, au nom d’une autonomie illusoire et d’un transfert d’une partie des compétences et prérogatives de l’administration coloniale à une administration autochtone sans réelle souveraineté. » (Interview par Le Courrier de l’Atlas, 27 octobre 2014).
UNE COOPÉRATION SÉCURITAIRE DÉNONCÉE Les accords d’Oslo ont instauré une coopération sécuritaire entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien. Il s’agit d’une condition à l’instauration de forces de maintien de l’ordre palestiniennes, des forces financées et entrainées par la communauté internationale. La coopération sécuritaire concerne le passage des biens et des personnes entre les différentes zones de Cisjordanie mais également des échanges d’informations et des transferts de prisonniers. Depuis 2004, les prisonniers politiques relâchés par l’AP sont systématiquement arrêtés par l’armée israélienne et enfermés dans des prisons en Israël. La coopération sécuritaire a déjà été suspendue durant la deuxième Intifada. Mahmoud Abbas avait entrepris de la relancer lorsqu’il a succédé à Yasser Arafat, privilégiant la coopération à la lutte armée. Le Comité central de l’OLP a appelé à mettre fin à cette collaboration en mars 2015, estimant qu’il était nécessaire de remettre
l’entière responsabilité de la gestion du territoire occupé entre les mains de l’occupant israélien. Cette coopération sécuritaire apparait en effet comme une forme de collaboration aux yeux de nombreux Palestiniens, ce qui fait progressivement perdre à l’Autorité palestinienne le peu de légitimité dont elle jouit encore au sein de la population palestinienne. Le soulèvement palestinien initié en septembre 2015, appelé « intifada des couteaux », est en partie causé par une forte opposition de la rue palestinienne à cette coopération sécuritaire.
LE DÉ-DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE PALESTINIEN Dès 1967, l’occupation militaire a contribué à subordonner l’économie palestinienne à l’économie israélienne. Ainsi les ordres numéro 10, 11 et 12 ont annulé tous les accords préexistants d’exportation ou d’importation de et vers le territoire palestinien. Coupée de ses approvisionnements en matières premières, l’économie palestinienne n’a pu développer une industrie moderne et est devenue dépendante des productions israéliennes. Pendant ce temps, Israël a profité de son contrôle sur l’économie palestinienne pour développer une industrie spécialisée dans les domaines de pointe (électronique, informatique, technologies militaires). Par ailleurs, par son contrôle sur le sol et les voies de
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LA COOPE ́RATION SE ́CURITAIRE APPARAIT COMME UNE FORME DE COLLABORATION AUX YEUX DE NOMBREUX PALESTINIENS, CE QUI FAIT PROGRESSIVEMENT PERDRE A ̀ L’AUTORITE ́ PALESTINIENNE LE PEU DE LE ́GITIMITE ́ DONT ELLE JOUIT ENCORE AU SEIN DE LA POPULATION PALESTINIENNE.
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/ Soldats israéliens à Bil’in, lors d’une des manifestations hebdomadaires du vendredi. © Kanel34
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POUR QUE L’AUTORITÉ PALESTINIENNE PUISSE GÉRER UN E ́TAT SOUVERAIN, IL N’EXISTE QU’UNE SOLUTION : METTRE FIN A ̀ L’OCCUPATION ISRAE ́LIENNE DE LA PALESTINE.
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transport, Israël a empêché, et empêche encore, tout développement agricole palestinien. Sarah Roy, économiste politique du Center for Middle Eastern Studies, parle de dé-développement de l’économie palestinienne du fait de l’occupation.
Après les accords d’Oslo, l’économie palestinienne semble s’autonomiser : liberté d’importation sur une liste de 526 produits, reversement des taxes et des droits de douane à l’AP, possibilité de développement d’un secteur financier et bancaire autonome… En réalité, cette autonomie n’est qu’une apparence et s’ancre de surcroit dans une économie déjà modelée par 25 années d’occupation. L’économie palestinienne reste captive et donc entièrement dépendante de l’économie israélienne. Ce sont 90% des échanges commerciaux palestiniens qui se font avec Israël, et le déficit commercial palestinien passe de 800 millions de dollars en 1990 à 1,4 milliard de dollars en 1996. Les produits israéliens inondent le marché palestinien tandis que les productions palestiniennes trouvent leur débouché principal en Israël. Par ailleurs, les 526 produits autorisés à l’importation ne sont que des biens de consommation courante. S’ils veulent importer des matières premières ou d’autres matériaux nécessaires à un développement industriel, les Palestiniens doivent obtenir l’autorisation du Comité économique conjoint, l’organe de coordination entre Israéliens et Palestiniens créé par le Protocole de Paris.
LA DÉPENDANCE POLITIQUE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE DE L’AUTORITÉ PALESTINIENNE Le Protocole de Paris, signé en avril 1994 dans le cadre des Accords d’Oslo, régit les relations entre Israël et l’Autorité palestinienne dans six secteurs : les douanes, les taxes, le travail, l’agriculture, l’industrie et le tourisme. Il instaure une union douanière israélo-palestinienne dans laquelle Israël contrôle toutes les frontières et perçoit toutes les taxes, à la fois les taxes à l’importation et la TVA. Les montants récoltés, équivalents à quelque 80 millions d’euros par mois, sont ensuite reversés à l’Autorité palestinienne, pour laquelle cela représente deux tiers de ses recettes budgétaires propres. Israël a déjà plusieurs fois utilisé la retenue des taxes pour exercer une pression ou sanctionner l’Autorité palestinienne. Ainsi en avril 2014, Israël a retenu le versement de ces prélèvements à la suite de la demande de l’Autorité palestinienne d’adhérer à une quinzaine de traités internationaux. La dépendance de l’Autorité palestinienne à Israël est encore renforcée par l’unité monétaire que lui impose également le Protocole de Paris. Le shekel israélien est la monnaie utilisée en Cisjordanie, et il est interdit aux Palestiniens de frapper leur propre monnaie. Outre l’occupation israélienne, les choix effectués par l’Autorité palestinienne ont aussi contribué au dé-développement palestinien. Avec un appareil d’État pléthorique (jusqu’à 180 000 fonctionnaires en 2007), l’AP est devenue le premier pourvoyeur d’emplois dans le territoire occupé.
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Ce caractère incontournable lui a permis de développer un large réseau de clientélisme et de corruption, dans lequel passe une grande partie de son budget. Parallèlement à cela, sa dépendance à l’aide internationale est totale. Elle est donc tributaire des choix politiques et économiques de ses bailleurs. Ainsi, la suspension de l’aide internationale à la suite de l’élection du Hamas en 2006 a poussé l’AP à former un gouvernement non démocratique de technocrates, dirigé par Salam Fayyad, un ancien haut fonctionnaire de la Banque mondiale et du FMI. Le choix de Fayyad comme Premier ministre répondait également à la volonté des bailleurs de privilégier un certain type de développement économique : basé sur les investissements étrangers, sur des secteurs à haute rentabilité comme les télécommunications ou l’immobilier de luxe, et sur le renforcement du secteur de la sécurité. Pour conclure, il faut donc souligner que si l’Autorité palestinienne se fait appeler « État de Palestine », elle semble surtout servir d’interface entre l’occupation israélienne et la population palestinienne occupée, un jeu dans lequel elle a tout à perdre. L’AP ne gère pas un État souverain, elle n’en a jamais eu les prérogatives et elle ne pourra pas réaliser le droit à l’autodétermination du peuple palestinien dans le cadre qui lui est imposé. Pour cela, il n’existe qu’une solution : mettre fin à l’occupation israélienne de la Palestine.
Pour en savoir + – Building a Failed State: Palestine’s Governance and Economy Delinked, by Ibrahim Shikaki, Joanna Springer in Al Shabaka, April 21, 2015 https://al-shabaka.org/briefs/building-a-failed-state/ – Économie palestinienne : une « crise » qui vient de loin, par Julien Salingue, 11 septembre 2012, http://www.juliensalingue.fr/articleles-dynamiques-economiques-palestiniennes-1967-2009-39774476.html – Why the Palestinian Authority Should Be Shuttered by Diana Buttu, in New York Times, May 26, 2017 https://www.nytimes.com/2017/05/26 /opinion/palestinian-authority-mahmoud-abbas.html?smid=twshare&_r=1
44 LIVRES les essentiels pour comprendre
Naguère en Palestine
Raja Shehadeh, traduction Emilie Lacape, Éditions Galaade, 2010, 368 pages Avocat, fondateur de Al-Haq et écrivain palestinien, Raja Shehadeh vit à Ramallah. Il a reçu le prix Orwell 2008 et le prix Courrier international du meilleur livre étranger 2010 pour Naguère en Palestine. « Lorsque j’ai commencé à faire de longues promenades en Palestine à la fin des années 1970, avant les changements irréversibles qui allaient en défigurer l’horizon, les collines proches de Ramallah, les wadis des environs de Jérusalem et les splendides ravins qui bordent la mer Morte étaient comme une grande réserve naturelle. C’était le genre d’endroit dont la beauté intacte procure un immense sentiment de liberté. Mais le décor s’est déplacé en Cisjordanie, là où les planificateurs israéliens établissent des colonies juives qui dominent les vallées dans lesquelles sont construits la plupart des villages arabes. Le mur de séparation a pénétré les terres des Palestiniens comme autant de coups de poignard. Tandis que leur monde se réduisait, celui des Israéliens ne cessait de s’étendre: les nouvelles colonies détruisent à jamais vallées et falaises, et transforment cette merveilleuse terre que de nombreux Palestiniens ne connaîtront jamais.»
Le livre noir de l’occupation israélienne
LES SOLDATS RACONTENT Breaking the Silence, préface Zeev Sternhell, Éditions Autrement, collection Essais-Documents, 2013, 396 pages Breaking the Silence est une ONG israélienne constituée d’anciens soldats. Zeev Sternhell est professeur de Droit à l’université hébraïque de Jérusalem. Réveiller un village en pleine nuit à coups de grenades pour faire régner la terreur, démolir des maisons au prétexte de chercher des armes, passer à tabac des prisonniers menottés, arrêter des enfants, annexer des terres et s’en voir félicité : dans le Territoire occupé de Palestine, l’insupportable est devenu banal. En 145 témoignages, des soldats de l’armée israélienne racontent leur quotidien… et celui des Palestiniens du territoire occupé.
45 LIVRES
Histoire de Gaza
Jean-Pierre Filiu, nouvelle édition actualisée, Éditions Fayard/Pluriel, Poche, 2015, 576 pages. Jean-Pierre Filiu est professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po (Paris). La bande de Gaza, d’une superficie de 360 km2, doit être replacée au centre de la question palestinienne, surtout parce qu’elle concentre une densité inégalée de réfugiés depuis 1948-1949. Ce bout de territoire, zone de contact entre le Levant et l’Égypte, ne doit pas aujourd’hui être réduit à une « prison à ciel ouvert ». Les assauts répétés qu’il a subis en 2008-2009, 2012 et en 2014, prouvent que, sans règlement de la question de Gaza, il n’est pas plus d’avenir pour la Palestine que de sécurité pour Israël.
Atlas des Palestiniens
UN PEUPLE EN QUÊTE D’UN ÉTAT Pierre Blanc, Jean-Paul Chagnollaud et Sid-Ahmed Souiah, cartographie Madeleine Benoît-Guyod, Éditions Autrement, Collection Atlas Monde, 3e édition, 2017, 96 pages Pierre Blanc est enseignant-chercheur en géopolitique à Bordeaux, rédacteur en chef de la revue Confluences Méditerranée. Jean-Paul Chagnollaud est professeur des universités, directeur de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient IREMMO. Sid-Ahmed Souiah est professeur émérite de l’université de Cergy-Pontoise. Plus de 120 cartes et infographies entièrement mises à jour pour prendre la mesure d’un conflit à la fois complexe et apparemment sans fin, pour comprendre sa genèse et son évolution : – une société majoritairement condamnée à la plus grande précarité et à l’exclusion : – l’archipel palestinien : un territoire sous blocus ou restrictions, déstructuré, fragmenté par le Mur, morcelé par les colonies ; – une situation diplomatique bloquée : la paix est dans l’impasse.
La Palestine expliquée à tout le monde Elias Sanbar, Éditions du Seuil, collection Documents, 2013, 112 pages L’auteur est l’une des grandes figures intellectuelles du mouvement national palestinien. Historien, écrivain, homme d’action, il fut l’un des négociateurs des accords de paix d’Oslo ; il est aujourd’hui ambassadeur de Palestine à l’Unesco. À ceux qui disent ne rien comprendre au « conflit israélo-palestinien », à ceux qui le trouvent trop compliqué, Elias Sanbar répond par ce petit texte qui restitue l’histoire de la Palestine contemporaine, depuis la Déclaration de Balfour de 1917 jusqu’à aujourd’hui. Ce court récit raconte l’histoire palestinienne vécue de l’intérieur, émaillée de souvenirs et de commentaires personnels. L’auteur n’esquive pas les questions difficiles et ne nie pas que l’usage de la violence a souvent malheureusement terni l’image des Palestiniens mais, comme il l’explique avec conviction, la lutte palestinienne ne se réduit pas à une stratégie terroriste.
Israël, Palestine
VÉRITÉS SUR UN CONFLIT Alain Gresh, nouvelle édition actualisée, Éditions Hachette Pluriel Référence, 2017, 328 pages Alain Gresh est un ancien directeur en chef du Monde diplomatique ; il dirige le journal en ligne Orient XXI. C’est l’un des meilleurs connaisseurs du Moyen-Orient sur lequel il a écrit de nombreux ouvrages. Ce petit livre remonte aux racines historiques du plus ancien conflit de la planète: il a commencé il y a un siècle environ, avec l’émergence du mouvement sioniste en Europe et les premières vagues de colonisation en Palestine. Il s’est traduit par des violences et des guerres. L’auteur rappelle que la situation actuelle est née d’une injustice originelle : les Palestiniens ont été chassés de chez eux (en 1948-1950) par des milices juives puis par l’armée israélienne. Cette expulsion, souvent encore niée ou refoulée en Israël et en Occident, est un fait établi grâce aux travaux des nouveaux historiens israéliens. Cette injustice mérite reconnaissance et réparation. Elle ne peut être occultée car elle est la condition sine qua non de la paix.
47 LIVRES
Etre Palestinien en Israël
SÉGRÉGATION, DISCRIMINATION ET DÉMOCRATIE Ben White, préface Hanin Zoabi, Éditions La Guillotine, Montreuil, 2015, 155 pages Ben White est journaliste indépendant et écrivain, c’est un collaborateur du journal The Guardian. Les Palestiniens, dont il est question dans ce livre, sont ceux que l’on nomme habituellement « les Palestiniens d’Israël » ou plutôt « les Arabes israéliens » ; ils sont formellement « citoyens » israéliens mais ne bénéficient pas de tous les droits que confère la « nationalité » israélienne (réservée aux seuls Juifs). Ils forment environ 20% de la population de l’État d’Israël. Ce livre constitue un puissant réquisitoire contre l’allégation selon laquelle « Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient » : en analysant la manière dont Israël traite sa minorité palestinienne, l’auteur démontre que cet État est tout, sauf une démocratie.
Les Seigneurs de la Terre Histoire de la colonisation israélienne des territoires occupés, Idith Zertal et Akiva Eldar, traduction Charlotte Nordmann, Éditions du Seuil, Collection Documents, 2013, 496 pages Idith Zertal est une historienne israélienne, auteure de nombreux ouvrages dont La Nation et la Mort et Akiva Eldar est journaliste, ancien éditorialiste de Haaretz. Depuis la fin de la guerre de 1967, au mépris du droit international, des citoyens juifs d’Israël se sont installés, au-delà de la Ligne verte, sur des terres palestiniennes qu’ils estiment leur appartenir depuis les temps bibliques. Ce livre, richement documenté, fait le point sur la question des colonies juives en Palestine et sur l’importance croissante des colons dans la vie publique israélienne, à la Knesset, au gouvernement, à l’armée, à l’université et dans le système judiciaire. Les gouvernements successifs d’Israël ont tous encouragé l’établissement de ces colonies. La montée en puissance de l’occupation s’est accompagnée de violations répétées de la loi israélienne, jamais condamnées par l’État ni par ses institutions censées la promouvoir et la protéger.
La Palestine
AU CŒUR DES FESTIVALS
Lasemo 07 – 09/07 Esperanzah 06 – 08/08 Solidarités 26 – 27/08 Manifiesta 16 – 17/09
éditeur responsable – Pierre Galand, rue Stevin 115 à 1000 Bruxelles
CET ÉTÉ, L'ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE PREND LA ROUTE AVEC SA CARAVANE « BIENVENUE EN PALESTINE » POUR ALLER À LA RENCONTRE DES FESTIVALIERS !