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TRIMESTRIEL N°71 – JAN/FÉV/MARS 2017 DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130 4,00 €

palestine

BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES

SOMMAIRE DOSSIER « DIPLOMATIE : OÙ EN EST-ON ? » 04 Campagne « 50 ans sous occupation » 22 / Régularisation des avant-postes 24 Nabila Kilani de Gaza 28 / Culture : Mahmoud Darwich 40


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ÉDITO

Palestine n°71 Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche, Nadia Farkh, Sophie Feyder, Pierre Galand, Nathalie Janne d’Othée, Gabrielle Lefèvre, Katarzyna Lemanska, Julien Masri, Simon Moutquin Christiane Schomblond et Marie-Noëlle van Wessem| Ont contribué Majed Bamya, Ramzy Baroud, Elise Depauw, Catherine Fache, Dominique Waroquiez et Michel Warschawski | Relecture Ouardia Derriche | Graphisme Dominique Hambye & Élise Debouny | photo couverture Juliane Kravik Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asbl Siège social : rue Stevin 115 à 1000 Bruxelles | Tél. 02 223 07 56 | info@abp-wb.be | www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 | Tout don de plus de 40 euros vous donne droit à une attestation qui vous vaudra une réduction d’impôt de 40% du montant de votre don | Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles


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à l’annexion ? DE L’OCCUPATION

par Pierre Galand, Président

C’était le thème développé par Michel Warschawski à La Vénerie de Watermael-Boitsfort ce 11 mars dans le cadre de la semaine « Cent ans de conflits en Palestine ». De quoi s’agit-il ? Israël et ses gouvernements successifs jusqu’à Benyamin Netanyahou admettaient le fait que, depuis 50 ans, ils occupaient le territoire palestinien. Cette occupation militaire respectait, selon leurs dires, les conventions de Genève. Occupation, certes, mais accompagnée de négociations et d’accords entre belligérants, le plus souvent avec l’appui international. Il en est ainsi, à titre d’exemples, des Accords d’Oslo en 1993 ou du retrait unilatéral de Gaza en 2005. Entretemps, avec la construction du mur puis avec les guerres criminelles contre les populations de Gaza et l’extension – multiplication des colonies de peuplement, les dirigeants israéliens ont fini par tomber le masque et clairement adopter une politique d’annexion. En effet, il se trouve aujourd’hui une majorité à la Knesset pour voter sans sourciller des lois en violation absolue avec les principes du droit israélien lui-même. Tel est le cas de la loi dite de « régularisation » adoptée tout récemment pour légaliser les « implantations sauvages » des colons, ce qui constitue un processus d’annexion pure et simple de territoire palestinien. Quant au gouvernement israélien, relayant la vox populi, il demande avant tout jugement la grâce du soldat Elor Azaria, prévenu du meurtre d’un résistant palestinien blessé, gisant au sol. Ce même gouvernement tente de réduire au silence des citoyens israéliens membres d’ONG comme B’Tselem et Breaking the Silence en les

tenant pour des organisations de traîtres et d’ennemis d’Israël. Ceux qui, jusque-là, en Israël et dans le monde, présentaient ce pays comme la seule démocratie du Proche-Orient, devraient d’urgence revoir leur jugement et s’opposer aux dérives d’un gouvernement et de partis qui ont laissé la démocratie au vestiaire et se font les fossoyeurs de l’état de droit au nom d’un projet de Grand Israël et d’asservissement du peuple palestinien. Briser le silence complice des alliés d’Israël est une obligation au regard du droit international et du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. C’est aussi de l’ordre de la nécessité absolue de solidarité avec les Palestiniens de l’intérieur d’Israël ainsi qu’avec les démocrates anticoloniaux israéliens. « Prévenir le crime de silence », disait Bertrand Russell en novembre 1966 en dénonçant les crimes de guerre des USA au Vietnam. Prévenir le crime de silence en 2017, tel est aussi l’objectif de la campagne « 50 ans sous occupation » qui démarre ce mois de mars et se poursuivra tout au long de l’année en Belgique et en Europe. N’en déplaise aux amis de cet Etat annexionniste et guerrier, c’est plus que jamais contre un régime proto-fasciste, s’inspirant des pires méthodes du colonialisme et de l’apartheid, que nous allons nous mobiliser. En soutenant le mouvement BDS, en dénonçant le crime d’apartheid commis par les responsables politiques et militaires israéliens, nous défendons les droits fondamentaux des Palestiniens et nous soutenons les Israéliens qui militent courageusement pour la paix dans le respect des résolutions des Nations Unies et pour l’état de droit.


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04 DOSSIER

DIPLOMATIE

où en est -on?


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COMMENT LES RÉCENTS CHAMBOULEMENTS POLITIQUES INTERNATIONAUX AFFECTENT-ILS LA DONNE EN PALESTINE ? ENTRE L’ARRIVÉE AU POUVOIR DE DONALD TRUMP ET DE SES CONSEILLERS PRO-COLONISATION, L’ANNONCE PAR ISRAËL DE LA CONSTRUCTION DE 6 000 NOUVEAUX LOGEMENTS EN TERRITOIRE OCCUPÉ, UNE INITIATIVE FRANÇAISE PEU CONCLUANTE ET, TOUT DE MÊME, LE « CADEAU D’ADIEU » DE BARACK OBAMA QUI A PERMIS LE VOTE D’UNE RÉSOLUTION DE L’ONU CONDAMNANT LES COLONIES, CE DOSSIER VOUS PROPOSE UN ÉTAT DES LIEUX DE LA SITUATION POLITIQUE INTERNATIONALE AUJOURD’HUI.

/ Jérusalem © Kanel34


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La résolution 2334,

UNE SIMPLE RÉSOLUTION DE PLUS ? La résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité n’est-elle pas mort-née, surtout avec l’arrivée au pouvoir d’une administration Trump ayant abandonné les fondamentaux qui ont gouverné le processus de paix durant trois décennies, les annonces de milliers de nouvelles unités de colonisation par le gouvernement israélien et l’adoption d’une loi légalisant la confiscation de terres privées palestiniennes ? Ces questions sont légitimes et doivent nous interpeller, sans pour autant nous paralyser. par Majed Bamya Diplomate palestinien, premier conseiller à la mission permanente d’observation de la Palestine auprès de l’ONU


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07 DOSSIER La résolution 2334 – ONU

LE CONTEXTE Dans les années 1979 et 1980, le Conseil de sécurité a énoncé des principes fondamentaux affirmant l’illégalité de l’acquisition de territoires par la force, condamnant la colonisation et appelant à son arrêt. Au cours des 30 années qui ont suivi, les États-Unis ont bloqué toutes les tentatives de concrétiser ces principes et ont fini par ne plus considérer les colonies comme illégales mais leur expansion seule comme illégitime, passant ainsi d’un lexique juridique et de ses implications à un langage politique. L’administration Obama, qui avait usé du veto pour bloquer une résolution contre la colonisation, avait avancé l’argument que la problématique de la colonisation devait être traitée dans le cadre des négociations bilatérales et non par des condamnations du Conseil de sécurité. Celui-ci, dont le mandat est de préserver la paix et la sécurité internationales, se voyait donc mis dans l’incapacité de condamner une des principales menaces contre la paix et la sécurité au Moyen-Orient.

à son successeur. À ce moment-là, on n’envisage qu’une seule hypothèse de travail, l’arrivée de Hillary Clinton à la Maison Blanche en janvier 2017. Dans ce contexte, l’initiative palestinienne risque de compliquer les efforts de paix et d’entrer en collision directe avec les efforts de Kerry pour une reprise du dialogue.

Depuis 2009, le Conseil de sécurité n’a pas réussi à adopter une seule résolution sur le conflit israélo-palestinien. Quand la diplomatie palestinienne se remet en ordre de bataille et annonce début 2016 son intention de faire adopter une résolution condamnant la colonisation, les réactions sont sceptiques voire moqueuses.

UNE FENÊTRE D’OPPORTUNITÉ LIMITÉE

Certains pays amis jugent alors que la Palestine se trompe de route et devrait plutôt se focaliser sur un cadre garantissant le retour aux négociations. L’initiative française est lancée dans la foulée, et le secrétaire d’État américain continue à évoquer des paramètres pour la résolution du conflit qui seront annoncés par l’administration Obama et serviront de base

Mais l’argumentation palestinienne est simple. Israël doit choisir entre l’occupation coloniale et la paix, les deux ne peuvent coexister. Si la communauté internationale refuse de mettre fin au principal obstacle à la paix, comment peut-elle faire respecter les droits du peuple palestinien ? Contre vents et marées, la diplomatie palestinienne œuvre dans l’ombre essentiellement pour créer un élan irréversible contre la colonisation et pour renforcer la complémentarité entre ses efforts et d’autres initiatives de paix. Si ce travail de fourmi n’avait pas été fait, la résolution n’aurait jamais vu le jour.

Il était clair qu’une telle initiative, si elle était portée devant le Conseil avant les élections américaines, n’aurait aucune chance de succès car l’administration Obama y opposerait son veto de crainte que cette résolution ne soit instrumentalisée par des lobbies puissants contre la candidature Clinton. La fenêtre d’opportunité était donc extrêmement étroite et s’étendait de novembre à janvier, période de transition entre l’élection présidentielle américaine et l’intronisation d’un nouveau président, moment de la vie politique américaine qui ouvre une période de possibles.


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08 DOSSIER La résolution 2334 – ONU

L’administration Obama avait sans doute ses propres plans pour cette période, y compris au Conseil de sécurité, en présentant une résolution avec des paramètres fixés pour un retour aux négociations. L’élection de Trump a changé fondamentalement la donne. D’abord, en étant ouvertement interprétée par l’extrême droite israélienne au pouvoir comme signant le décès de la solution à deux États, Trump lui-même ayant annoncé son intention de changer les fondamentaux de la politique américaine dans la région. Ensuite, parce que toutes les initiatives visant à reprendre les négociations de paix devenaient moins urgentes que l’objectif d’éviter la mise à mort de la solution à deux États par la colonisation israélienne. La diplomatie palestinienne a recherché discrètement l’appui de tous les États et a continué de travailler sur un texte qui ne provoquerait pas de veto américain tout en étant substantiel et concret et évoquerait néanmoins les conditions nécessaires pour une solution à deux États, en ce compris les questions de la colonisation, de la violence, des négociations et des contours d’une solution. Le dernier obstacle fut la pression énorme exercée par Israël et le Président élu Trump qui contraignit l’Égypte, qui avait porté le texte devant le Conseil et contribué aux négociations, à retirer le texte en raison de réalités nationales qui ne peuvent être minimisées. Mais quatre autres membres du Conseil, représentant la quasitotalité des régions géographiques, la Malaisie (Asie-Pacifique), la Nouvelle-Zélande (Europe et autres États occidentaux), le Venezuela (Amérique latine et Caraïbes), le Sénégal (Afrique), qui avaient déjà cosigné le texte initial, représentèrent de nouveau le texte au vote à l’ONU.

Lorsque le Président du Conseil demanda aux votants en faveur du texte de lever la main, 14 mains se levèrent. Aussitôt, tous les regards se tournèrent vers la représentante américaine. Le Président du Conseil demanda alors qui votait contre le texte. La main de la représentante américaine demeura résolument baissée. La salle poussa un soupir et, membres du Conseil compris, applaudit à l’adoption du texte, exprimant ainsi sa solidarité avec les droits du peuple palestinien et son refus du silence du Conseil.

LE TEXTE Quels sont les éléments importants de la résolution et en quoi celle-ci diffère-t-elle des résolutions précédentes ? 1/ Elle réaffirme la primauté du droit international Réaffirmer les mêmes principes énoncés par le Conseil trente ans plus tôt n’est pas sans mérite. Durant trois décennies, Israël a œuvré pour imposer sur le terrain des faits accomplis illégaux qu’il entendait rendre irréversibles pour finalement chercher à les légitimer. Pour Israël, les négociations supplantent le droit international, et les colonies font partie des questions à négocier, en cherchant le compromis sans cadre ni règle. La résolution est profondément ancrée dans le droit international, elle réaffirme le principe de l’illégalité de l’acquisition de territoires par la force, incorporant pour la première fois l’avis de la Cour internationale de justice condamnant le Mur ; elle réaffirme l’illégalité de la colonisation et condamne l’ensemble des politiques visant à changer la démographie, la composition, le caractère et le statut du territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, appelant à inverser les tendances négatives qui minent la solution à deux États.


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/ Le Conseil de sécurité pendant l’adoption de la résolution 2334 (2016). 14 voix pour, 1 abstention (États-Unis). © Organisation des Nations Unies

2/ Elle rappelle les termes de référence du processus de paix Israël a toujours cherché à nier l’existence d’un cadre pour les négociations, or la résolution énonce clairement les termes de référence pour toute négociation, toutes les résolutions onusiennes, les principes de Madrid, la Feuille de Route du Quartet et l’Initiative de paix arabe, toutes initiatives rejetées par Israël. 3/ Les lignes de 1967 (la Ligne verte) La résolution consacre ces lignes comme la base de la solution à deux États et exige des États de les respecter, y compris en ce qui concerne Jérusalem.

4/ L’objectif La résolution énonce clairement l’objectif de mettre un terme à l’occupation qui a débuté en 1967 et de réaliser la solution à deux États. 5/ Le soutien international La résolution salue les initiatives de paix, y compris l’initiative française, les efforts russes, égyptiens et ceux du Quartet, et prévoit que le Conseil accompagnera les parties tout au long de la négociation et dans la mise en œuvre d’un accord. 6/ La responsabilité des États tiers La résolution ne se contente pas de rappeler les obligations de la puissance occupante,


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10 DOSSIER La résolution 2334 – ONU

mais aussi la responsabilité des États tiers et du Conseil. La résolution réaffirme que le Conseil ne reconnaîtra aucun changement aux lignes de 1967, sauf ceux agréés par les parties, et appelle les États à distinguer entre le territoire israélien et les territoires occupés depuis 1967, délégitimant ainsi toutes les politiques israéliennes visant à annexer des territoires occupés et s’opposant à toute complicité internationale avec le régime colonial. La résolution confirme aussi que le Conseil examinera les moyens concrets pour assurer la mise en œuvre de ses résolutions pertinentes.

DE LA CONDAMNATION À L’ACTION L’arrivée de Trump au pouvoir et l’annonce de milliers de nouvelles unités de logement dans les colonies ne rendent pas pour autant la résolution obsolète ou inutile, mais au contraire d’autant plus importante. Cependant, la résolution en ellemême ne garantit pas le passage tant attendu de la condamnation à l’action ; or sans cela, Israël n’a aucune raison de changer sa stratégie. Mettre fin à l’impunité israélienne est la condition de la paix, car c’est grâce à celle-ci qu’Israël a persisté dans son choix du colonialisme. Pour cela, les voies sont claires : – Pousser les États tiers et les institutions internationales à remplir leur obligation internationale de respecter et faire respecter le droit. Israël a convoqué les ambassadeurs des États membres du Conseil et rappelé ses ambassadeurs

dans ces États qui ont pourtant agi en droite ligne avec le droit international alors qu’aucun de ces États n’a convoqué l’ambassadeur israélien ou rappelé son ambassadeur à Tel-Aviv au motif des nombreuses violations du droit commises par Israël. De même, Israël a coupé toutes aides et relations avec un certain nombre de ces États alors qu’on ne cesse de nous seriner qu’il est inadmissible d’appeler à des mesures semblables à l’égard d’Israël tant que celui-ci poursuit sa politique coloniale. Cela doit changer. – Poursuivre les responsables de crimes de guerre et crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale, notamment ceux responsables de la colonisation qui implique la commission de tels crimes. – Conforter toutes les initiatives de la société civile, y compris le mouvement BDS, qui visent à rendre l’occupation et les violations des droits du peuple palestinien coûteuses pour la puissance occupante. En bref, cette résolution conforte toutes les démarches visant à mettre un terme à l’impunité israélienne notamment dans sa dimension coloniale. En cela, sa portée ne peut être pleinement mesurée qu’à long terme.

CONCLUSION La résolution 2334 (2016) a réaffirmé l’illégalité du régime colonial mis en place par Israël au cours des dernières décennies et a remis les pendules à l’heure quant aux tentatives israéliennes


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© RNW Media

d’utiliser le processus de paix pour légitimer ce qui est illégal au lieu d’y mettre un terme.

des officiels palestiniens ou de la société civile palestinienne et internationale.

Elle réaffirme également qu’il s’agit pour Israël de se conformer au droit et non de faire en sorte que le droit se conforme à l’illégalité israélienne. Elle ne bloquera pas la colonisation en tant que telle, ni ne permettra en elle-même l’avènement d’une solution à deux États sur la base des frontières de 1967, condition sine qua non de l’indépendance et de la souveraineté de l’État palestinien. Mais elle identifie les responsabilités dans la mise à mal de cette solution et confirme les États tiers et la communauté internationale dans leurs propres obligations, que la demande en émane

Enfin, la résolution est un marqueur historique important sur lequel les Palestiniens peuvent s’appuyer pour relancer leur lutte contre l’apartheid. Car elle avance clairement que la poursuite des politiques de colonisation consacre de fait une réalité à un État, et même si le terme « apartheid » n’est pas utilisé, cela sous-entend un État fondé sur des inégalités. Toutes les conditions sont en effet réunies pour la mise en place d’un régime d’apartheid. Il faut donc réunir d’urgence les conditions nécessaires à son démantèlement.


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SAUVER

la

solution À DEUX ÉTATS ? L’année 2017 représentera sans nul doute un tournant dans la question israélo-palestinienne. L’arrivée de Donald J. Trump au pouvoir aux États-Unis a en effet provoqué en Israël une vague de colonisation et de destructions de structures palestiniennes sans précédent. Devant cette situation, l’UE représente plus que jamais le seul espoir de préserver la solution à deux États. Malheureusement, ses dernières initiatives sur le dossier ne sont guère encourageantes. par Nathalie Janne d’Othée


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13 DOSSIER Perspectives USA-UE

L’« EFFET TRUMP » : UNE COLONISATION DÉBRIDÉE Depuis le 20 janvier, ce sont 566 un jour, 2 502 ensuite, puis 153 et encore 3 000, en tout plus de 6 000 nouveaux logements dans les colonies qui ont été annoncés par le gouvernement israélien. L’arrivée au pouvoir de la nouvelle administration Trump aux États-Unis a clairement changé la donne en Israël. La « retenue » prônée par le gouvernement israélien durant les derniers mois de la présidence d’Obama a laissé place à une recrudescence inédite de la colonisation, dépassant en quelques semaines les chiffres de 2016. Parallèlement, la démolition de structures palestiniennes et le déplacement forcé de populations ont eux aussi connu un regain avec 119 maisons palestiniennes détruites par l’armée israélienne et 177 Palestiniens déplacés.

aucune chancellerie ne voulant cautionner l’annexion de Jérusalem-Est par Israël. David Friedman est par ailleurs le président de l’organisation des Amis américains de Beit El, une colonie israélienne située à côté de Ramallah. Il est par conséquent également opposé à la solution à deux États. Et, dernier arrivé parmi les conseillers de Trump, son beau-fils Jared Kushner n’a rien à envier aux deux autres. La famille Kushner, de tendance juive ultra-orthodoxe, a déjà financé à hauteur de 58 600 dollars la « yeshiva » (école talmudique) d’Itzhar, une colonie des plus radicales située près de Naplouse et d’où partent de nombreuses attaques sur les villages palestiniens des alentours. En d’autres mots, les partisans des colons sont à la Maison Blanche.

Au sein de l’administration Trump, aucune réaction ne s’est fait entendre devant cette reprise de la colonisation israélienne. Rien d’étonnant au vu des conseillers que Trump s’est choisis sur la question israélo-palestinienne. Déjà conseiller de Trump sur les affaires israéliennes durant sa campagne, Jason Greenblatt a reçu le poste de Représentant spécial pour les négociations internationales. Il a d’ores et déjà déclaré que les colonies ne représentaient pas un obstacle à la paix et que la solution à deux États n’était pas viable. David Friedman, nouvel ambassadeur des États-Unis en Israël, a quant à lui déclaré qu’il voulait déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem. Les ambassades étrangères sont pour le moment toutes localisées à Tel Aviv,

Néanmoins, le nouveau président américain est également réputé pour ses changements de positions et sa déclaration du 2 février a « surpris » et « déçu » les partisans de la colonisation en Israël. Trump y disait en effet : « Si nous ne pensons pas que l’existence de colonies est un obstacle à la paix, la construction de nouvelles colonies ou l’expansion de celles existantes au-delà de leurs frontières actuelles pourrait ne pas aider à atteindre cet objectif ». Lors de sa rencontre avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou le 15 février, le président américain a néanmoins semblé se rallier aux positions du gouvernement israélien, lui demandant seulement de « se calmer un peu sur les colonies ».


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SACHANT LES ORIENTATIONS DE L’ADMINISTRATION TRUMP, C’EST AUJOURD’HUI PLUS QUE JAMAIS A ̀ L’UNION EUROPE ́ENNE DE JOUER POUR FAIRE CONTREPOIDS. Autre petite lueur d’espoir du côté des États-Unis, un sondage de la Brookings Institution publié en décembre montre que 60% des démocrates et 40% des républicains sont en faveur de sanctions contre la politique de colonisation israélienne. L’opinion publique américaine évolue donc également sur la question, ce qui peut, à terme, induire des retournements de position des États-Unis.

UN RÔLE DÉCISIF À JOUER POUR L’UE Sachant les orientations de l’administration Trump, c’est aujourd’hui plus que jamais à l’Union européenne de jouer pour faire contrepoids. Les mesures de différenciation prises ces dernières années (voir encart) montrent que l’Union européenne refuse de reconnaître la souveraineté israélienne sur les Territoires occupés. Néanmoins, cette ligne de conduite européenne est encore trop peu affirmée. Or le contexte actuel exige que l’Union européenne affirme plus fermement sa politique de différenciation. Mais l’attitude européenne en ce début d’année 2017 n’est pas rassurante. Le 15 janvier, 75 pays et organisations étaient rassemblés à Paris, à l’initiative de la France et en l’absence des Israéliens et des Palestiniens, pour tenter de relancer le processus de paix. Tous les États membres de l’UE étaient présents à la réunion. À l’issue de la rencontre, les participants ont rappelé la nécessité de sauvegarder la solution à deux États,

notamment par l’application de la Résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’initiative française pour la paix a donné de nouveau lieu à de belles paroles mais à peu de conséquences concrètes. Le Conseil des ministres des Affaires étrangères qui se tenait le lendemain à Bruxelles était l’occasion d’appuyer les conclusions de Paris en prônant une politique européenne claire de différenciation. Malheureusement, la Grande-Bretagne a empêché que la déclaration de Paris et la nécessité d’appliquer la résolution 2334 soient reprises dans les conclusions du Conseil. Une occasion ratée de plus pour l’Union européenne.

SUR LE TERRAIN, UNE VISION TRÈS CLAIRE DE LA SITUATION Comme chaque année, les chefs de mission européens en poste à Jérusalem-Est ont rédigé un rapport sur la situation dans la ville pour informer et conseiller les chancelleries européennes. Et comme chaque année, le rapport a fuité dans la presse. C’est le journal Le Monde (24 janvier) et Mediapart (13 février) qui en ont dévoilé les conclusions et recommandations dans la presse francophone. Les consuls y soulignent la situation des quartiers arabes, délaissés par les autorités israéliennes, alors que ces dernières favorisent la colonisation de la partie Est de la ville. Ils rappellent l’objectif de la politique israélienne qui est de garder la population palestinienne en-dessous


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15 DOSSIER Perspectives USA-UE

d’un seuil maximal de 40%. Ils recommandent à leurs capitales de mettre en œuvre des mesures concrètes de différenciation, notamment en matière de commerce avec les colonies israéliennes.

À BRUXELLES, LE BUSINESS AS USUAL Alors que les consuls en poste à Jérusalem-Est tirent une fois de plus la sonnette d’alarme, le Service d’action extérieure de l’Union européenne prépare, quant à lui, le conseil d’association entre l’Union européenne et Israël. Or il n’y a plus eu de rencontre de pilotage de l’accord d’association UE-Israël depuis 2012. En outre, il est question d’y discuter des « priorités de partenariat » avec Israël, ce qui signifie un approfondissement des relations euro-israéliennes. En 2009, l’Union européenne avait décidé de lier le rehaussement de ses relations avec Israël à des avancées dans le processus de paix et au respect du droit international humanitaire et des droits de l’Homme par Israël. En tenant ce conseil d’association alors qu’Israël ne semble plus mettre aucune limite à son entreprise de colonisation et d’annexion du territoire palestinien, l’Union européenne envoie un très mauvais signal. Reste à espérer qu’elle se ressaisisse et qu’elle annule cette rencontre… ou qu’elle en fasse l’occasion d’affirmer sa politique de différenciation. Il s’agit sans doute là d’un des derniers espoirs d’une solution à deux États.

Différenciation Le terme de différenciation a été lancé dans un rapport du think tank paneuropéen European Council on Foreign Relations en juillet 2015 qui appelait l’Union européenne à opérer une distinction entre le territoire israélien et les colonies dans l’ensemble de ses relations bilatérales avec Israël. La différenciation permet de nommer les politiques par lesquelles l’UE tente de se mettre en conformité avec son obligation de ne pas reconnaître et de ne pas porter assistance aux violations du droit international commises par Israël. Les Lignes directrices de juillet 2013, excluant les colonies des subsides et autres instruments financiers de l’UE, ainsi que la Communication interprétative de novembre 2015 sur l’étiquetage d’origine des produits des colonies sont ainsi considérées comme des mesures de « différenciation ». Le point 5 de la récente résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations Unies ancre, quant à lui, le principe de différenciation dans le droit international.


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ISRAËL FÊTE LA VICTOIRE DE

Donald Trump Netanyahou est fier de lui, Netanyahou est fier d’Israël. par Michel Warschawski

© Creative Commons


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17 DOSSIER Échos d’Israël

Le Premier ministre israélien vient de tweeter – un des nombreux points communs qu’il a avec Trump – sa satisfaction pour les deux dernières mesures prises par le nouveau président étatsunien : l’interdiction édictée contre les résidents de sept pays arabes d’entrer aux ÉtatsUnis et la construction d’un mur entre la Californie et le Mexique. Deux mesures qui non seulement provoquent une énorme opposition dans l’opinion publique étatsunienne, mais seront peut-être déclarées non constitutionnelles par la Cour suprême de Washington. L’ambassadeur d’Israël au Mexique a immédiatement été convoqué par le ministère des Affaires étrangères après les déclarations « inamicales » de Netanyahou sur le mur, et, plus significatif, ce dernier a été sévèrement critiqué par le Grand rabbin du Mexique qui craint que de telles positions de la part du Premier ministre israélien ne provoquent une vague d’antisémitisme dans son pays. La fin de la présidence Obama a été l’occasion pour le président sortant d’infliger un camouflet à celui qui, durant huit ans, n’a pas cessé de l’humilier : pour la première fois depuis 1973, les USA n’ont pas usé de leur veto dans un vote du Conseil de sécurité qui critiquait l’État hébreu, en l’occurrence pour sa politique de colonisation en Cisjordanie.

« Pas grave » a-t-on réagi à Tel Aviv, l’islamo-gauchiste Barak Hussein Obama s’en va, et, grâce a Dieu, c’est un pote à nous, un pote comme nous, qui va le remplacer. Des points communs entre Donald Trump et les dirigeants israéliens, il y en a plein: mentionnons-en seulement deux: la vulgarité sans limite et le racisme décomplexé. À peine arrivé à la Maison Blanche, et l’antisémitisme se libère dans l’entourage de Trump, à commencer par ses propres déclarations négationnistes et le refus de sa porte-parole, Hope Hicks, de reconnaitre explicitement le génocide des Juifs d’Europe. Comme l’écrit l’éditorialiste du Haaretz : « Si Barak Obama avait flirté avec le négationnisme, comme le fait Donald Trump, un tonnerre de Dieu aurait été entendu des deux côtés de l’Océan… mais s’agissant de Donald Trump, l’ami de la droite et l’idole des colons, personne n’ouvre ici la bouche ». Quant au ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, grand pourfendeur de présumés antisémites à gauche, il se contente de dire, avec un petit clin d’œil : « il s’agit d’une administration amicale, et je préfère traiter [ces propos] comme un incident et un malentendu. » Les liens de l’équipe Trump avec des mouvements antisémites notoires, comme le KKK, est pourtant de notoriété publique, mais pour certains dirigeants israéliens, il en est de l’antisémitisme comme du cholestérol : il y a des mauvais antisémites et il y a


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18 DOSSIER Échos d’Israël

de bons antisémites, ce qui compte, c’est leur attitude face a l’islam et aux musulmans. Une fois l’antisémitisme mis de côté, vu de Tel Aviv, l’avenir semble radieux, et si Marine le Pen fait prochainement un tabac en France, ce sera encore mieux… Ceci dit, l’amitié proclamée d’un Donald Trump est loin d’être fiable, comme d’ailleurs tout ce qui caractérise le personnage. Qui peut exclure un deal entre le nouveau président et son ami Poutine, sur la Syrie par exemple, ou même sur un règlement général au Moyen-Orient ? Il est important de souligner que c’est la première fois depuis 1967 que siège à la Maison Blanche un président qui n’est pas lié aux différents lobbies et groupes de pression pro-israéliens, démocrate ou républicain. Si on ajoute à ce fait marquant le caractère imprévisible de Donald Trump, la joie qu’expriment ces dernières semaines Netanyahou, Bennett ou Lieberman peut être de courte durée. D’autant que les propos racistes de Trump et les décrets pointant plusieurs États musulmans nous ramènent au tristement célèbre « choc des civilisations » de George W. Bush. Auquel cas il faudra s’attendre à une montée en force de mouvements terroristes islamistes et à une nouvelle vague d’attentats a travers le monde. Israël risque alors d’être de nouveau la ligne de front de cette « guerre des barbaries » selon l’expression si pertinente de Gilbert Achcar, et nos enfants, et pas ceux de Trump, de la chair à attentats terroristes. C’est sur cette éventualité que devraient méditer les Israéliens, plutôt que de fêter la montée des forces les plus réactionnaires aux quatre coins de

la planète, pour l’unique raison qu’ils sont « nos sons of a bitch ». Pourtant, l’opinion publique israélienne, dans sa grande majorité, ne semble pas trop préoccupée par la géopolitique globale, et préfère s’intéresser aux affaires glauques dans lesquelles Benjamin Netanyahou et sa famille sont de plus en plus englués. Les affaires de la famille Netanyahou vont sans doute l’obliger à démissionner et la course à la succession est ouverte. Que ceux qui attendent une alternance de gauche, ou au moins du centre, ne se fassent aucune illusion : la course à la succession concerne uniquement l’extrême droite, a savoir le ministre de l’Éducation Naftali Bennett ou le ministre de la Défense, Avigdor Lieberman. Le Parti travailliste, ou ce qu’il en reste, est dans un état de mort clinique, et une véritable alternative de gauche tarde à voir le jour. À l’exception de la Liste Unifiée, où se retrouvent l’ensemble des partis arabes et quelques milliers de supporters juifs. Une fois de plus, se confirme une vieille loi de la politique israélienne : c’est la lutte du peuple palestinien – au Liban en 1982, dans les Territoires occupés en 1987 – qui politise le combat politique inter-israélien. Aujourd’hui, et c’est un euphémisme, la lutte de libération nationale palestinienne n’est pas au mieux de sa forme. C’est ce qui explique pourquoi la grande majorité des Israéliens et Israéliennes sont aujourd’hui préoccupés par les boites de cigares de Netanyahou et les caisses de champagne rose de sa femme Sarah plus que par les effets désastreux que nous prépare la venue au pouvoir de Donald Trump.


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ET SI LA PRÉSIDENCE TRUMP ÉTAIT FINALEMENT

19 DOSSIER Échos de Palestine

profitable à la Palestine ?

par Ramzy Baroud, chroniqueur international

/ Garçons jouant sur une colline surplombant Bethléem © Dawei Ding


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Tout semblait dit lorsque le président élu Trump a désigné un ultra-réactionnaire, David Friedman, comme prochain ambassadeur américain en Israël. Ce nouveau nommé affiche son intention de déménager l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, et soutient l’expansion des colonies illégales qui ont déjà transformé un éventuel État palestinien en une série de Bantoustans semblables à ceux de l’ex-apartheid en Afrique du Sud. Aussi, il peut sembler curieux sinon tout à fait provocateur de suggérer qu’une présidence Trump pourrait être le coup de grâce qui obligera les Palestiniens – et en fait tout le Moyen-Orient – à se libérer du poids d’une politique étrangère américaine arrogante et futile qui s’est imposée depuis des décennies. Il est indéniable que la présidence de Donald Trump sera sur le court terme terrible pour les Palestiniens. L’individu en question ne cherche même pas à montrer le minimum d’impartialité ou d’équilibre lorsqu’il traite du conflit le plus long et le plus lourd d’implications du Moyen-Orient. Selon le flux apparemment inépuisable de ses tweets, Trump compte les jours avant celui où il pourra prouver aux dirigeants israéliens combien pro-israélienne sera son administration. Peu de temps après que les États-Unis se soient abstenus, le 23 décembre, de voter sur la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui condamnait la colonisation israélienne, le président nouvellement élu a tweeté : « En ce qui concerne les États-Unis, les choses seront différentes après le 20 janvier ». Trump a une fois de plus répondu sur Twitter, peu de temps avant que John Kerry ne prononce un discours politique majeur sur le conflit israélo-palestinien, dans lequel le secrétaire d’État a fait le reproche à Israël d’avoir compromis la solution des deux États, et qualifié le gouvernement de Benjamin Netanyahou de plus à droite de tous les gouvernements passés. Dans sa réplique, Trump a demandé à Israël de « rester fort » jusqu’à son investiture du 20 janvier. Les dirigeants israéliens sont également

à l’affût, comme l’est Naftali Bennett, chef du parti fascisant « Foyer juif », qui s’attend à une « remise à zéro » des relations israélo-américaines une fois que Trump sera à son poste. « Nous avons une chance de remettre à zéro toute l’organisation du Moyen-Orient », a déclaré Bennett aux journalistes en novembre dernier. Rappelons qu’il est également ministre de l’Éducation d’Israël. « Nous devons saisir cette opportunité et bien l’exploiter », a-t-il encore dit. L’une des perspectives imminentes dans la présidence de Trump est que « l’ère de l’État palestinien est révolue ». Bien sûr, Kerry a raison… L’actuel gouvernement israélien est le plus à droite et le plus extrémiste, une tendance qui ne changera pas rapidement car elle reflète fidèlement l’ambiance politique et sociétale du pays. Voyez comment Bennett a répondu au discours de Kerry : « Kerry m’a cité trois fois, anonymement, dans son discours afin de démontrer que nous nous opposons à un État palestinien », a-t-il dit. « Alors laissez-moi le dire explicitement : Oui… Si cela dépend de moi, nous n’établirons pas un autre État terroriste au cœur de notre pays ». Quant au rappel par Kerry selon lequel Jérusalem devrait être une capitale pour Israël et pour la Palestine, Bennett a répondu : « Jérusalem est la capitale juive depuis 3000 ans. C’est dans la Bible, ouvrez-la et lisez. » Dans le proche avenir, la domination du délire messianique dans la politique israélienne est irréversible. Alors que dans le passé, les politiciens juifs laïques se sont servis de notions religieuses pour appeler les juifs religieux à voter pour eux et pour peupler les colonies illégales, ce sont aujourd’hui ces mêmes groupes religieux qui donnent le ton de la politique israélienne. Alors comment cela pourrait-il bénéficier aux Palestiniens ? En termes simples : par la clarté. Depuis que des responsables américains de niveau intermédiaire avaient accepté de rencontrer une délégation de l’Organisation de libération de


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21 DOSSIER Échos de Palestine

la Palestine en Tunisie à la fin des années 1980, les États-Unis ont choisi un chemin des plus impraticables pour parvenir à la paix. Peu de temps après que les États-Unis se soient « engagés » avec hésitation avec l’OLP, et après que cette dernière ait rempli un nombre infini de conditions pour recevoir un blanc-seing des États-Unis, ces mêmes États-Unis eurent carte blanche pour définir ce que signifiait la « paix » entre Israël et ses voisins palestiniens et arabes. La Maison Blanche a alors fixé les paramètres du «processus de paix», obligeant les Arabes à leur servir de caution à maintes reprises pour n’importe quelle « vision » de la paix que les États-Unis trouvaient appropriée. Elle a classé les Arabes en camps « modérés » et « radicaux », selon la façon dont un pays répondait aux diktats américains dans la région. Sans aucun mandat, les États-Unis se sont auto-désignés comme « honnêtes négociateurs de paix » mais en faisant leur maximum pour compromettre le respect des mêmes paramètres précédemment fixés. Tout en présentant la construction de colonies illégales par Israël comme « un obstacle à la paix », le gouvernement à Washington a financé les colonies et l’armée d’occupation chargée de protéger ces entités illégales. Il a appelé à des « mesures de confiance » tout en finançant l’armée israélienne, tout en justifiant les guerres d’Israël contre Gaza et ses violences excessives et quotidiennes en Cisjordanie et à Jérusalem sous occupation. En d’autres termes, pendant des décennies, les États-Unis ont fait exactement l’opposé de ce qu’ils ont publiquement prêché. La schizophrénie politique des États-Unis s’exprime à plein aujourd’hui. Alors qu’Obama a osé commettre l’inimaginable en décembre dernier en s’abstenant de s’opposer à une résolution demandant qu’Israël mette fin à ses colonies illégales en Cisjordanie, il avait quelques semaines plus tôt signé avec Israël « le plus important accord d’aide militaire de toute l’histoire [des États-Unis]. » Le soutien aveugle de l’Amérique à Israël au

cours des années a multiplié les attentes de ce dernier, au point qu’il considère maintenant comme acquis le soutien des États-Unis, même lorsque Israël est dirigé par une clique des plus extrémistes qui déstabilise encore davantage une région déjà fragile et explosive. Dans la logique israélienne, ces attentes sont tout à fait rationnelles. Les États-Unis ont servi de catalyseur à l’agressivité politique et militaire d’Israël, voulant en même temps calmer les Palestiniens et les Arabes selon les cas par des promesses vaines, des menaces ou des avertissements. Les soi-disant « Palestiniens modérés » comme Mahmoud Abbas et son Autorité palestinienne ont été dûment « calmés » et, en retour, se sont vu attribuer quelques semblants de « pouvoir » grâce à l’accord américain, tout en laissant Israël conquérir tout ce qui restait de Palestine. Mais cette époque est terminée. Alors que les États-Unis continueront de soutenir l’intransigeance israélienne, la présidence de Trump pourra signifier la mort du double langage tenu à Washington. Si les mots on un sens, le mal n’est pas le bien et l’addiction à la guerre n’est pas la paix. En fait, Trump est en train d’exposer la politique étrangère américaine pour ce qu’elle est réellement et pour ce qu’elle a été pendant des décennies. Sa présidence est susceptible d’imposer à tous les partis un choix absolu et clair quant à leur position sur la paix, la justice et les droits de l’homme. Les Palestiniens devront eux aussi faire un choix : soit affronter dans le cadre d’un front unique la réalité qui s’impose depuis si longtemps, soit céder devant ceux qui ont l’intention de « remettre à zéro » l’avenir du Moyen-Orient sur la base d’une sordide interprétation de prophéties bibliques.

Article publié sur le site Chronique de Palestine, le 8 janvier 2017.


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22 CAMPAGNE

Effaçons l ’occupation,

PAS LES PALESTINIENS ! Voilà 50 ans que Palestiniennes et Palestiniens vivent dans la violence de l’occupation. par ABP-WB asbl Au quotidien, vivre sous occupation, c’est avoir constamment l’ombre d’un soldat d ans le dos, perdre des heures aux checkpoints, survivre dans la prison à ciel ouvert qu’est Gaza, cohabiter avec un mur atteignant 9 mètres de haut par endroits, dormir dans la crainte permanente d’être arrêté sans aucun chef d’accusation ou de voir sa maison détruite sous des prétextes d’ordre administratif. La violence de l’occupation, c’est aussi endurer de voir les collines de Palestine se joncher de colonies, des oliviers centenaires brûlés par les colons ou détruits par les bulldozers de l’armée. Mais être Palestinien, c’est aussi résister. Être debout face à la violence de l’occupation militaire israélienne, en dépit de l’inaction de la communauté internationale depuis plus de 50 ans. Pendant combien de temps encore les Palestiniens trouveront-ils la force de se battre sans être fermement soutenus dans leur lutte ? L’année 2017, avec les dates commémoratives qui y sont associées (100 ans depuis la

déclaration Balfour, 70 ans depuis le plan de partage de la Palestine, 50 ans depuis la guerre des Six Jours) et avec l’émergence d’un nouveau contexte international peu favorable aux Palestiniens et l’enlisement des conflits locaux, se doit d’être une année de lutte accrue afin de soutenir les aspirations à la liberté du peuple palestinien. Cette année nous rappelle surtout la nécessité urgente de renforcer les mouvements de solidarité et d’interpellation politique au niveau local, national et international, avant que la Palestine ne soit tout simplement effacée sous le regard complice ou indifférent du reste du monde. Avec la campagne « 50 ans sous occupation », l’ABP et ses nombreuses organisations partenaires ont pour objectif de forcer à la cohérence les politiques belges et européens afin qu’ils mettent un terme à leurs complicité avec la colonisation et prennent des sanctions à l’égard d’Israël jusqu’à obtenir : la levée du blocus de Gaza et la liberté de mouvement pour tous les Palestiniens, la fin de l’occupation du territoire occupé en 1967 et la suspension de l’Accord d’association UE-Israël tant que ce dernier continuera de bafouer le droit


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EN 2017 PLUS QUE JAMAIS, LA PALESTINE A BESOIN DE VOUS ! TOUTES LES ÉNERGIES SONT NÉCESSAIRES. POUR VOUS IMPLIQUER, CONTACTEZ-NOUS À info@abp-wb.be

international.Nous nous concentrerons plus particulièrement en 2017 sur un objectif politique précis : obtenir la cessation de toute collaboration économique avec l’occupation et l’interdiction d’importation des produits des colonies sur les marchés belge et européen. Cela ne sera possible qu’à l’aide d’un contrepouvoir citoyen, qui soit sensibilisé, formé, prêt à agir et croissant au point d’avoir une incidence politique réelle et de replacer la lutte pour les droits du peuple palestinien au premier plan de l’agenda politique et médiatique.

CONCRÈTEMENT, QU’EST-CE QUI NOUS ATTEND AU COURS DE CETTE ANNÉE DE CAMPAGNE ? Un rassemblement de grande ampleur début juin pour commémorer les 50 ans de la guerre des Six Jours ; une caravane « Stop The Occupation » aux couleurs de la Palestine qui parcourra la Belgique tout au long de l’année à la rencontre des festivaliers, des vacanciers et des participants aux évènements culturels récurrents ; des « semaines Palestine » organisées dans

plusieurs régions de Wallonie et proposant débats, films et expositions et une série d’évènements de sensibilisation. Mais aussi… La participation d’une équipe « Run for Palestine » aux 20 km de Bruxelles et lors du Liège 10 km 2017 ; des formations grand public qui explicitent la réalité de la vie sous occupation israélienne ; l’exposition interactive « In between Wars » en octobre-novembre sur la vie à Gaza après 10 ans de blocus, notre présence lors de nombreux festivals en Belgique : Esperanzah, Les Ardentes, Manifiesta, les Solidarités, etc. Et enfin, un événement de clôture le 25 novembre 2017, parallèlement à la remise aux ministres des Affaires étrangères et de l’Economie de la pétition que nous aurons fait circuler tout au long de l’année.

Toutes les informations pratiques sur les évènements et nos revendications politiques sont accessibles sur le site : www.stop-occupation.be


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Légalisation des avant-postes : VERS UNE ANNEXION PURE ET SIMPLE DE LA CISJORDANIE ?

/ Bil’in Deux Palestiniens assis devant le mur (à gauche) et la colonie (à droite) qui les privent de 60% de leurs terres. © Kanel34


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25 LOI DE RÉGULARISATION DES AVANT-POSTES

Indignation et sueurs froides en Palestine, tensions internes en Israël, complicité en demi-teinte de Trump, résurgence du débat sur la « solution à un ou deux États » : la « loi de régularisation » suscite un tsunami politique. À juste titre, puisque si elle venait à être validée par la Cour suprême israélienne, la loi marquerait un tournant décisif dans l’histoire de la Palestine occupée, permettant à Israël de foncer en roue libre vers l’annexion de la Cisjordanie en narguant ouvertement la toute récente résolution 2334 de l’ONU. Sous le regard désapprobateur mais sans la moindre réaction tangible de la communauté internationale. par Marie-Noëlle van Wessem


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26 LOI DE RÉGULARISATION DES AVANT-POSTES

UNE DE PERDUE, DES CENTAINES DE « SAUVÉES » « Nous sommes en train de remporter la guerre pour la Cisjordanie ». C’est en ces termes que s’exprimait récemment le porte-parole de la communauté d’Amona, colonie sauvage située près de Ramallah et démantelée par l’État israélien en décembre dernier. Car si le fait qu’Amona ne puisse pas être « sauvée » a bel et bien suscité de chaudes larmes chez les colons qui l’habitaient, ils ont rapidement pu se consoler de leur perte en apprenant qu’une centaine d’autres avantpostes tels que le leur seraient bientôt légalisés rétroactivement. Amona est donc sacrifiée, mais la grande entreprise coloniale israélienne ne s’en voit que confortée, quoi qu’en dise l’ONU dans sa résolution ! En effet, le lundi 6 février 2017, la Knesset adoptait en dernière lecture une loi permettant la légalisation des avant-postes (ou « colonies sauvages ») installés sur des terres palestiniennes privées. Pour rappel, seules les colonies fondées avec l’aval de l’État hébreu sont actuellement reconnues par Israël (mais restent illégales au regard du droit international), tandis que les colonies sauvages, créées à l’initiative de particuliers sans l’aval de l’État (mais bénéficiant cependant de la protection de l’armée), étaient jusqu’ici considérées comme illégales par Israël. Mode de création d’une colonie sauvage ? S’installer avec quelques amis fanatiques, plusieurs caravanes, beaucoup de détermination et très peu de scrupules sur une colline de Cisjordanie (que l’on se plaît à appeler « Judée-Samarie ») et décréter que, quoi qu’en disent le droit international, les Palestiniens et même Israël, ce coin de terre vous appartient désormais, et pour toujours. Si cette pratique ne rencontrait jusqu’à présent le soutien que des plus extrémistes des Israéliens, avec la « loi de régularisation », elle se verrait encouragée par l’État entier, qui plébisciterait ainsi les colons téméraires pour leurs audacieux vols

de terres. Ce serait alors près de 4 000 logements illégaux qui seraient légalisés rétroactivement, s’ajoutant aux 6 000 nouveaux logements annoncés par Israël début 2017. Au-delà de la légalisation des avant-postes déjà existants, cela provoquerait une véritable fuite en avant vers toujours plus de colonisation, avouant ainsi de manière claire et éhontée qu’Israël n’a jamais pensé à renoncer et ne renoncera sous aucun prétexte à son expansion territoriale sur toute la Cisjordanie occupée.

ISRAËL AU FIL DE SES TENSIONS INTERNES Cependant, en Israël même, la loi n’emporte pas l’unanimité. Elle apparaît dans un contexte de dissensions internes, Dominique Vidal évoquant même un véritable « putsch d’extrême droite » au sein du gouvernement. En effet, la loi est portée essentiellement par Naftali Bennet, ministre de l’Éducation et leader du parti « Foyer Juif » (extrême droite nationale religieuse), sans le soutien initial de Netanyahou lui-même (qui a maintenant changé de position, de peur de perdre son électorat de droite). Le Premier ministre israélien aurait-il été pris d’un accès de décence en l’occurrence ? Que nenni. Son soutien aux colons reste intact, mais ses préoccupations portaient d’une part sur les possibles poursuites de la Cour pénale internationale – Guterres ayant annoncé que la loi aurait des conséquences juridiques – et d’autre part sur l’épineuse question des répercussions de la loi sur la nature même de l’État d’Israël.

DE L’OCCUPATION À L’ANNEXION Car, avec cette loi, ce serait la première fois que le Parlement israélien légifèrerait sur le Territoire palestinien occupé, normalement sous juridiction militaire. En d’autres mots, cela reviendrait à étendre la souveraineté de la Knesset sur le territoire


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DANS L’ATTENTE DU JUGEMENT DERNIER palestinien, ce qui implique qu’Israël, après des décennies d’occupation et de colonisation, passerait maintenant à l’étape supérieure : l’annexion de la Cisjordanie. En effet, l’annexion des avantpostes ouvre dangereusement la voie à l’annexion de toute la zone C, qui constitue 60% de la Cisjordanie, ce qui signifierait l’incorporation de cette dernière au territoire israélien, rendant impossible toute autodétermination du peuple palestinien dans ses frontières et son État propres. C’est d’ailleurs le sourire aux lèvres que Naftali Bennet, saluant un jour historique, a déclaré que le Parlement israélien était « passé d’un projet de création d’un État palestinien à celui d’une extension de sa souveraineté sur la Judée et la Samarie ». L’annexion assumée rendrait donc impossible toute « solution à deux Éats », mais la « solution à un État » poserait également une question très sensible en Israël : celle des droits politiques et citoyens du peuple palestinien annexé. « Y répondre positivement menacerait à terme le caractère juif de l’État d’Israël ; y répondre négativement créerait ouvertement une situation d’apartheid. D’où la mise en garde du chef travailliste Isaac Herzog, qui voit là un “suicide national” sous la forme d’un “État binational”. » (Dominique Vidal, Amona, démanteler une colonie israélienne pour légaliser toutes les autres. Une opération en trompe-l’œil, Orient XXI, 22 décembre 2016, en ligne) Israël n’a en effet jamais balancé sur son caractère juif, ce qui l’a d’ailleurs conduit à toujours refuser fermement le retour des réfugiés palestiniens, de peur entre autres de voir sa population civile davantage composée d’Arabes que de Juifs. Mais maintenir son caractère juif en annexant un territoire peuplé de plusieurs millions de Palestiniens non juifs mènerait de facto à un État d’apartheid assumé, avec des citoyens de première et de seconde zone, avec le risque probable de sanctions internationales.

Ce sont donc des perspectives peu réjouissantes que promet cette «loi de régularisation», entraînant des implications considérables sur le rêve d’indépendance palestinien. Une lueur d’espoir réside cependant dans le processus législatif israélien, car la loi doit encore franchir une étape ultime et de taille : son examen par la Cour suprême. Au vu du caractère anticonstitutionnel et antidémocratique de la loi – celle-ci ayant des répercussions sur des personnes qui ne votent pas pour le gouvernement qui la leur impose – beaucoup sont d’avis qu’elle ne passera pas cette dernière épreuve. Un recours en annulation a également été déposé devant la Cour suprême par deux organisations de défense des droits de l’Homme et 17 municipalités palestiniennes. Les Palestiniens sont donc maintenant pendus aux lèvres de la Cour. Et même si on peut concrètement espérer que la loi sera bloquée, le fait qu’elle soit parvenue à passer les trois lectures de la Knesset témoigne d’un changement de cap encore plus radical en Israël, qui n’est décidément prêt à aucune concession sur la colonisation et continuera ce faisant à saboter irrémédiablement toute possibilité d’accord de paix. Que faut-il donc de plus à nos gouvernements pour comprendre qu’ils ne peuvent continuer à considérer comme partenaire un État qui encourage scandaleusement ses citoyens à voler des terres qui ne leur appartiennent pas ? Que faut-il de plus à la Belgique pour réaliser que le « moment opportun » qu’elle prétend attendre pour reconnaître l’État de Palestine est bel et bien arrivé – depuis longtemps déjà – au risque de n’avoir bientôt plus rien à reconnaître ? Israël doit être sanctionné, car par leur silence complice, leur neutralité vide de sens et leur manque de fermeté, nos États continuent à nourrir la plus longue et la plus cruelle occupation de l’histoire contemporaine.


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28 NABILA KILANI DE GAZA

Nabila Kilani

UNE FEMME DE CARACTÈRE, UNE PALESTINIENNE, UNE GAZAOUIA VÉRITABLE par Marianne Blume


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ELLE VEUT DONNER AUX ENFANTS UNE CHANCE D’ÉTUDIER, LEUR APPORTER UNE ASSISTANCE MATÉRIELLE ET PSYCHOLOGIQUE. RENCONTRE

Nabila a passé son enfance et son adolescence en Algérie avec sa famille. Son père était un résistant et compagnon d’Arafat. De son enfance et de l’exemple de son père, elle a hérité d’une force de caractère et d’une ouverture d’esprit peu ordinaires. À l’université El Azhar où j’enseignais, elle choque par ses manières aisées avec les filles et les garçons. Elle rit fort, elle remue beaucoup, elle a toujours un avis sur tout et d’abord méfiants, les étudiant-e-s sont vite conquis par sa vitalité, son enthousiasme, sa propension à venir en aide à tout le monde et sa bonne humeur communicative. Elle parle déjà français mais sans s’impatienter, elle laisse aux débutants leur temps de parole. Très vite, nous nous entendons bien et c’est le début d’une amitié sincère. Comme je suis une étrangère, elle peut partager sans risque avec moi ses idées saugrenues aux yeux de de la société de Gaza.

Sans changer pour autant de personnalité, elle va entreprendre d’adapter son style d’approche et, étant une musulmane éduquée, elle va arriver petit à petit à trouver sa place. Son père est son modèle : de lui, elle a appris l’histoire de Palestine et elle sait ce que résister veut dire. Elle l ’interroge, l’écoute mais sait à l’occasion le contredire et argumenter. Le fruit n’est pas tombé loin de l’arbre...

SA VIE DE FEMME Elle tombe amoureuse d’un jeune homme qui le lui rend bien et, malgré les réticences familiales, elle l’épouse et devient mère d’une petite fille, Yara. Quelques années après, ils divorcent, ce qui ne va pas de soi pour une femme à Gaza. Elle met peu de temps à prendre son destin en mains et agit sans se préoccuper des qu’en-dira-t-on. Elle décide de fonder un centre communautaire dans son village, Beit Lahia. Situé à la frontière avec Israël, le village est souvent attaqué et les habitants, des paysans, voient petit à petit leurs terres disparaître. La pauvreté y est grande. Elle veut donner aux enfants une chance d’étudier, leur apporter une assistance matérielle et psychologique. Mais ce n’est pas tout, elle veut aussi aider les femmes et particulièrement les veuves et les divorcées. Elle dit ouvertement aux femmes : « J’ai été divorcée deux fois (elle s’était remariée mais son deuxième mari a perdu la raison), je n’en suis pas honteuse. Il n’y a pas de raison de raser les murs. Nous pouvons subvenir à nos besoins ». Et le personnel du centre, d’abord volontaire et maintenant appointé, est essentiellement féminin. Outre ses sœurs, ce sont des femmes du village qui donnent cours, qui confectionnent des pâtisseries et réalisent des broderies qu’elles revendent à Gaza et à l’étranger. Car Nabila est une entrepreneuse née et elle fait jaillir l’enthousiasme autour d’elle. C’est ainsi que des amies de France vont créer une association pour soutenir le centre : « Famille de cœur » avec Laure Blanchet (voir Facebook et site web).


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30 NABILA KILANI DE GAZA

ELLE SE DÉMÈNE COMME UN BEAU DIABLE, SOLLICITE DE L’AIDE ET FINIT PAR RÉUSSIR.

Pour Nabila, un centre doit être un beau lieu de vie ; elle fait peindre les murs dans des couleurs gaies, place des rideaux aux fenêtres, apporte du matériel… Et quand le centre sera détruit en partie lors d’une des nombreuses attaques israéliennes, elle ne se décourage pas : elle prend ce qui reste du mobilier de sa propre maison – elle aussi bombardée – pour faire revivre le centre. Elle se démène comme un beau diable, sollicite de l’aide et finit par réussir.

« BORDURE PROTECTRICE » : ATTAQUE SANGLANTE CONTRE GAZA Cette agression contre Gaza fut la plus terrible. Et la famille de Nabila ne fut pas épargnée : un cousin et son épouse, leurs 2 deux fils et leurs 3 trois filles ont tous été massacrés ; un beau-frère a également été tué… Nabila m’avait déjà raconté les horreurs vécues en 2008-2009 (lors de l’opération Plomb durci. À l’entendre au téléphone, en 2014, c’était encore pire. Mais au lieu de rester cloîtrée chez elle, Nabila a décidé d’aider. Aider dans les hôpitaux, aider dans les écoles servant de refuge, aider les voisins… Malgré les bombardements et l’affolement général, elle fut de celles et ceux qui ont continué à croire en l’humanité et ont fait de leur mieux pour secourir ceux qui pouvaient l’être. Et après cette attaque meurtrière, elle a décidé de soutenir encore ceux qui sont abrités (jusqu’à aujourd’hui) dans des conteneurs. Elle récolte de l’argent pour financer

des réservoirs d’eau, pour des ventilateurs, pour pallier le manque d’aide. Elle fait des appels à dons pour l’hôpital Shifa qui manque de tout. Bref, rien ne l’arrête.

ET LE PROJET S’AGRANDIT Vu la pauvreté due au blocus de Gaza, de nombreuses familles n’ont pas de quoi élever décemment leurs enfants : une association française, répondant à son appel, met en œuvre un parrainage des enfants. Non contente de diversifier et d’améliorer l’action de son centre (matériel informatique, dramathérapie, expositions de dessins, sorties…), elle s’intéresse à un home pour personnes âgées. Si celles-ci se retrouvent là, c’est qu’elles n’ont plus de famille : seules, sans visite, sans gâterie, parfois même sans le nécessaire. Nouvelle action, nouvel appel à dons en faveur du home. Mais ce n’est pas tout. Consciente des traumatismes subis par les enfants, elle veut créer une structure de soutien psychologique. Des associations françaises ont immédiatement embrayé et Nabila a été invitée en France pour parler de tous ses projets et particulièrement de celui-là. C’est ainsi qu’elle nous a fait l’honneur et le plaisir de venir aussi en Belgique fin du mois de février, l’occasion pour celles et ceux qui l’ont entendue de comprendre de l’intérieur ce que c’est que de vivre à Gaza, grâce au témoignage d’une personne qui y vit et y travaille avec acharnement.


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31 NEWS

News BDS

« Une nouvelle défaite de BDS et de ceux qui prônent la division au lieu (de construire) des ponts », voilà comment s’exprimait le CCOJB (Comité de coordination des organisations juives de Belgique) ce 22 février à propos de la campagne « Stop Law-Train » lancée il y a quelques semaines par un collectif d’associations de paix et d’ONG en Belgique.

Gaza où 2 millions de personnes vivent dans une situation de survie impensable. Ou bien pourquoi pas un pont suspendu semblable au Pont de Normandie, enjambant ce que les ingénieurs israéliens ont par contre bel et bien construit depuis 10 ans : un mur de 9 mètres de haut qui rappelle aux Palestiniens leur statut d’animaux.

Construire des ponts… C’est donc ce que certains voient dans ce programme d’échanges de techniques d’interrogatoires entre la Belgique et Israël. Malheureusement, avant de lancer ce communiqué, les ingénieurs des ponts du CCOJB ont certainement laissé passer le rapport d’Amnesty International, publié le même jour, qui pointe de sérieux obstacles dans les fondations des ponts : torture sur les prisonniers, privation de sommeil, menaces, coups, gavage forcé, etc. Passons ces obstacles techniques dans les fondations de l’infrastructure pour nous interroger sur le type de ponts que le CCOJB imagine : s’agirait-il d’un grand pont aérien de type viaduc de Miau ? Survolant le blocus de

Non, aucun architecte ne pourrait imaginer la construction d’un pont sur le terrain de la politique israélienne. Les ponts du dialogue entre Palestiniens occupés et Israéliens sont à l’image de nos tunnels bruxellois : vieillissants, dangereux et coûteux. Vieillissants car ils ne correspondent plus à la réalité du terrain actuel : celle de centaines de milliers de Palestinien-n-es vivant dans l’enfer d’une occupation tous les jours plus violente où tout a été fait pour les séparer des Israéliens de manière physique et mentale. Dangereux car ces chantiers de ponts et de dialogues taisent l’extrême gravité explosive de la situation dans laquelle se trouve la société palestinienne à bout de souffle, mais aussi l’extrême droitisation de l’opinion publique israélienne. Cela s’illustre par exemple dans le soutien massif apporté à Eror Azaira, soldat coupable d’un meurtre commis de sang froid sur un Palestinien d’Hébron pourtant neutralisé. Et pour finir coûteux car toutes les déclarations allant dans le sens d’un dialogue naïf retarderont d’autant la fin de la colonisation, de l’occupation qui la structure et du conflit qui en découle.


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32 NEWS

La campagne Stop Law-Train : une nouvelle défaite ? C’est dire l’état d’ignorance et de méconnaissance de ceux qui tentent de décrédibiliser les mouvements citoyens opposés à la politique d’Israël. En 10 années, malgré des sommes astronomiques dépensées pour lutter contre le mouvement et un disque rayé hurlant à l’antisémitisme, la campagne BDS n’a cessé de progresser : soutiens étudiants et universitaires en hausse, liste croissante d’artistes qui refusent de se produire en Israël, tourisme et vente de produits israéliens en baisse, etc. Par ailleurs, le fait même que le CCOJB réagisse à une campagne (qui n’est pas liée au mouvement BDS mais passons sur le détail) montre toute la pertinence et la réussite de l’objectif principal de ce type de campagne : refuser l’impunité, sensibiliser les citoyens à la situation du peuple palestinien et aux violations du droit international, porter la question au devant de la scène médiatique et appeler les organisations progressistes et les décideurs politiques à prendre position.

L’importation du thème de l’occupation en Belgique n’est pas conflictuelle ; dans le passé, des citoyens du monde entier ont participé à des luttes dont les enjeux étaient éloignés de leur quotidien local, du soutien aux populations sud-africaines sous apartheid au réchauffement climatique aujourd’hui. Non, ce qui transforme prétendument une mobilisation légitime en « importation du conflit », c’est la lâcheté d’une politique internationale à géométrie variable, ou encore le chantage à l’antisémitisme pour défendre la politique israélienne. Ces attitudes-là, elles, stimulent en effet des colères qui nourrissent le terreau de situations conflictuelles. La campagne BDS n’appartient à personne, c’est un mouvement, une dynamique qui puise sa source dans une croyance forte en la justice et dans les luttes passées contre les discriminations de tout genre. Les personnes qui la portent militent non pas en raison de leur religion, culture ou origine, mais bien sur la base de valeurs communes humanistes qu’elles défendent ensemble. En témoigne, par exemple, la levée de fonds pour la réhabilitation d’un cimetière juif saccagé, lancée à l’initiative de Linda Sarsour, militante éminente de la campagne BDS aux USA. Lancée il y a plus de 10 ans, aucun aboiement, aucune gesticulation ou tentative de diabolisation ne l’atteindront ; seules la fin de l’occupation et de l’oppression qui l’accompagne permettront le début d’un dialogue qui, nous l’espérons, construira des ponts, mais ce, après avoir démoli les murs physiques et mentaux de l’occupation et de la colonisation illégales et immorales.


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SALON DES VACANCES

Belgique STOP LAW-TRAIN La campagne Stop Law-Train, un échec ? Bien au contraire ! En quelques mois, de nombreux articles ont été diffusés dans la presse flamande, des conférences ont été ou sont programmées partout en Belgique, plus de 480 professeur-e-s et 192 artistes ont signé une lettre appelant les autorités belges et universitaires de Leuven à mettre fin à leur participation au projet Law-Train. Après deux semaines de lancement, des centaines de signatures ont déjà été récoltées et ce n’est qu’un début. Par ailleurs, le travail parlementaire continue et ce partenariat immoral commence à faire débat au sein des parlements belges. Pour signer la pétition : www.stop-law-train.be

« L’occupation n’est pas une destination » À l’initiative de l’ABP Bruxelles, un groupe de militants s’est rendu au Salon des vacances afin de dénoncer la présence d’un stand de l’ambassade d’Israël. Depuis deux ans, le stand y fait la publicité de ses plages de sable doré, de ses lieux de détente et de la « richesse historique et architecturale d’Israël ». Tant la Mer morte que Jérusalem-Est sont référencées comme des destinations israéliennes alors qu’il s’agit pourtant de territoires palestiniens, occupés certes, mais palestiniens tout de même ! Une telle propagande ne devrait pas être permise et constitue en elle-même une violation du droit international. Non, l’occupation n’est pas une destination !

ISRAELI APARTHEID WEEK Alors que vous lisez ces lignes, l’Israeli Apartheid Week 2017 s’est achevée. Quelques semaines auparavant (c’est-àdire aujourd’hui pour nous) les organisateurs-trices étudiant-e-s terminaient les préparatifs de cet évènement annuel qui rassemblait cette année huit universités en Belgique. Anvers, Ghent, Bruxelles, Louvain-La-Neuve accueillent en effet des évènements autour de « 100 ans de colonisation, 100 ans de résistance populaire ». À Louvain-La-Neuve, où la jeune régionale de l’ABP portait l’évènement, un débat autour des prisonniers palestiniens s’est déroulé en présence de Salah Hamouri, ancien prisonnier et Alexis Deswaef, avocat et président de la Ligue des droits de l’Homme. La campagne « Stop Law-train » y a été abordée.


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34 NEWS

Australie Nathalie Imbruglia a décidé d’annuler sa venue en Israël. Connue pour ses engagements progressistes, notamment pour les droits des femmes via Oxfam, elle s’ajoute à d’autres personnalités comme Roger Waters, Brian Eno, Gill Scott Heron, Elvis Costello, les Pixies, Massive Attack et beaucoup d’autres. Une porte-parole de la campagne BDS a commenté la décision de la chanteuse canadienne : « La montée de l’extrême droite aux États-Unis et dans certains pays européens, en particulier Trump et son équipe raciste, islamophobe et xénophobe, a encouragé Israël à accélérer ses politiques de colonisation et d’apartheid. Dans ces circonstances, s’abstenir de se produire à Tel-Aviv devient une obligation éthique, car sinon on deviendrait complice du blanchiment des violations flagrantes des droits de l’Homme d’Israël. Nous appelons tous les artistes et universitaires à ne pas devenir un accessoire des tentatives israéliennes de “blanchiment” ».

USA Zéro… c’est le nombre d’artistes qui ont profité du gracieux cadeau du ministère du Tourisme israélien aux lauréats de l’édition 2016 de la cérémonie des Oscars. Pourtant, tout avait été bien préparé : gros coups de campagnes marketing vantant les hôtels de luxe et les plages dorées, effets d’annonce en marge de la cérémonie, etc. Un an après, c’est l’heure des comptes : aucun artiste n’a accepté l’invitation. Et l’Oscar de l’acteur le plus nul de l’année est attribué à…

Amérique Latine PREMIÈRE VICTOIRE POUR L’ÉQUATEUR Après une première victoire contre la firme de sécurité britannique G4S, le mouvement BDS a intensifié la pression contre la société afin que la cessation de son implication dans la politique carcérale israélienne soit totale. Récemment, c’est en Équateur que la campagne a marqué une première victoire en faisant annuler un contrat G4S avec un centre de recherche important à Quito.


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35 ÉCHOS DES RÉGIONS

ASSEOIR L’ESPOIR ET LA RÉSISTANCE

par la culture

Face aux mythes, à la désinformation, aux pressions et manipulations de la propagande israélienne, nous nous sentons souvent bien démunis. Nous avons donc proposé un voyage d’exploration au cœur de cette propagande, animé par notre co-président Serge Hustache. Ce cycle devrait se poursuivre en 2017. Notre stratégie ? La résistance par la culture. par Élise Depauw

© Denis Bocquet


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36 ÉCHOS DES RÉGIONS

NOTRE STRATÉGIE ? LA RÉSISTANCE PAR LA CULTURE La culture sous toutes ses formes (cinéma, danse, cuisine, littérature, …) représente un levier puissant pour lutter et faire vivre la solidarité. En Wallonie picarde, ce sont des membres bénévoles soutenus par deux mouvements d’éducation permanente, le CIEP-MOC et le PAC, qui portent ces initiatives. Le 19 janvier dernier, nous avons présenté au Ramdam, le Festival du film qui dérange à Tournai, le film 3000 nuits qui retrace la révolte de prisonnières palestiniennes détenues dans une prison israélienne dans les années 80. Un film poétique qui dérange nos certitudes tout en faisant écho aux paroles de Mahmoud Darwich : « Nous souffrons d’un mal incurable, l’espoir. »

AU CŒUR DE NOTRE ACTION, LA SENSIBILISATION CIBLÉE ET TOUT PUBLIC Ainsi, nous rencontrons le 10 février les élèves de l’Institut Saint-Luc à Tournai dans le cadre de la semaine « Droits de l’Homme et Solidarité ». Du 5 au 10 mars, c’est la Ville d’Ath qui vivra une semaine aux couleurs de la Palestine : avec le retour du spectacle Al Manara, le 5 mars au Palace, une rencontre-débat avec Michel Warshawski et Émile Shouffani le 6 mars à L’Écran, un ciné-club avec le film Dégradé à l’occasion de la journée internationale du droit des femmes le 8 mars à l’Écran, une initiation à la cuisine palestinienne le 9 mars à la Maison de la culture d’Ath, une séance scolaire Israël-Palestine : pour mieux comprendre en présence de Simone Susskind et d’étudiants bruxellois le 10 mars à l’Écran. La semaine sera ponctuée d’expositions de photographies de Charles Henneghien et de Mahmoud Alkurd, jeune créateur contemporain originaire de Gaza, mais aussi des toiles de l’artiste Iyad Sabbah, sculpteur et peintre gazaoui réfugié en Belgique. La Bibliothèque mettra également en avant sa riche collection d’ouvrages de littérature palestinienne. D’autres initiations à la cuisine palestinienne sont prévues dans la région, le 2 février à Tournai et le 16 février à Mouscron. L’occasion de déguster de délicieux plats et une Taybeh mais aussi d’attirer l’attention sur les produits Made in Illegality issus des colonies.


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NOUS SOUFFRONS D’UN MAL INCURABLE, L’ESPOIR

S’ENGAGER, MILITER, C’EST AUSSI ET SURTOUT TÉMOIGNER

SOUTENIR NOS PARTENAIRES PALESTINIENS ET CRÉER DES SYNERGIES LOCALES

Les missions d’observation en Palestine sont incontournables : elles permettent de nouer des liens sur place et rendre compte de la réalité de l’occupation.

L’ABP WaPi propose depuis plusieurs années la Quinzaine du livre palestinien : l’initiative s’arrêtera cette année à Péruwelz du 16 au 30 novembre. Au programme : prêts de livres, animations scolaires, soirée littéraire avec Mohammed Aldirawi, cartographie Les mots traversent le mur, atelier cuisine, ciné-club et accueil du spectacle Terre Promise.

L’ABP Wapi emmène 15 personnes en mission à Pâques. La mission concordera avec le projet Jawla Palestina qui rassemblera en Palestine une centaine de musiciens de la région. Ce sera, à coup sûr, un temps fort du voyage. L’ABP Wapi est présente pour témoigner au sein des villages associatifs d’événements locaux incontournables : le dimanche 14 mai à la fête des partenariats organisée par la Mutualité chrétienne Hainaut-Picardie à Tournai et le dernier week-end de septembre lors des 24Heures en course libre de Mouscron.

À l’initiative de l’ABP Wapi, la Ville de Tournai co-gère un dossier WBI avec la Maison internationale et la plateforme des ANGs de Tournai. Ce partenariat avec la Bethleem Arab Society for Rehabilitation de Beit Jala soutient la réinsertion et l’autonomie des personnes handicapées dans la société palestinienne. Enfin, nous avons noué des liens avec nos amis du Nord de la France, l’Amitié Lille-Naplouse et l’AFPS Villeneuve-d’Ascq. Ce fut l’occasion d’une belle collaboration en décembre 2016 avec l’organisation conjointe d’une rencontre autour de la problématique des prisonniers.


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38 LE DÉCLIC

Nous vous invitons à nous envoyer un texte décrivant votre déclic personnel, ce moment-clef dans votre vie où vous avez décidé de vous engager pour les droits des Palestiniens. Gardez le texte en-dessous de 2000 signes et envoyez-le à marie-noelle@abp-wb.be

Babou Sanchez www.aljabal.be

J’ai 8 ans, je suis dans le salon ; à la télé Arafat et Rabin se serrent la main sous le sourire de Clinton; je cours dans la cuisine annoncer aux adultes: «La guerre est finie!». Je ne savais pas très bien de quelle « guerre » il s’agissait ; je n’imaginais pas que 15 ans plus tard je me rendrais « là-bas », que la question du conflit israélo-palestinien serait mon entrée dans le monde de la militance et que malheureusement, non, la « guerre » n’était pas finie. En 2007, j’ai 23 ans, je suis prof de cirque, comédienne fraichement sortie de l’école de théâtre, je cherche mon chemin dans cette carrière artistique qui s’ouvre à moi. Par hasard, un soir je me retrouve au troisième étage du Kaaitheater où Shady, directeur de la Palestinian Circus School, présente le projet d’école de cirque à Ramallah et surtout la situation palestinienne. Je suis touchée par l’injustice flagrante que je découvre ce soir-là et interpellée par la réponse culturelle que propose Shady. C’est le déclic. Deux mois plus tard, je suis en Cisjordanie pour intervenir dans les écoles de cirque de Ramallah, Naplouse et Jérusalem. C’est avec violence que je découvre le quotidien des Palestiniens. À mon retour je suis chargée de colère et d’incompréhension, je plonge tête en avant dans l’histoire et les enjeux de cette situation. Je suis tombée dans la marmite. S’ensuivent de multiples voyages pour accompagner la création d’écoles de cirque à Naplouse et à Gaza et bien sûr la militance en Europe.


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Daniel Dekkers Comment est né mon soutien aux Palestiniens

J’ai commencé ma vie professionnelle en 1960, au centre de recherche de Paris-Saclay, dans le laboratoire de physique des particules. C’était une matière très abstraite et j’avais envie de faire quelque chose de plus concret, de plus utile à court terme. J’ai décidé d’aller travailler trois semaines dans le kibboutz Gevim près de Gaza. À l’époque, les kibboutzim avaient le vent en poupe et apparaissaient comme des organisations progressistes tout comme le gouvernement israélien. Les kibboutznik étaient sympathiques, mais j’ai été choqué par leur mépris des agriculteurs palestiniens, qu’ils trouvaient fainéants (mais ils ne me disaient pas, ce que j’ai découvert plus tard, que la canalisation d’eau aboutissait dans leur kibboutz et que les Palestiniens n’avaient pas cette même chance). C'est ce qui m’a fait passer à la défense des Palestiniens. Travaillant ensuite à Genève j’ai été secrétaire de la Centrale sanitaire suisse romande et y ai dirigé des projets en soutien à l’ONG UPMRC (Union of Palestinian Medical Relief Committees) du Docteur Mustafa Barghouti, que je connais ainsi depuis plus de 20 ans. Revenu en Belgique en 1998, j’ai voulu continuer à soutenir les Palestiniens et c’est à l’ABP que j’ai été le mieux accueilli. J’ai rédigé les PV de l’association pendant quelque temps et j’ai participé à ses diverses activités dont notamment, depuis 2001, l’organisation des manifestations mensuelles devant l’ambassade d’Israël... Et, malgré la tentative, en 2004, de membres de l’association belgo-israélienne de les empêcher, elles continuent. D’ailleurs, depuis le temps que cela dure, nos banderoles se font vieilles et leur remplacement ne serait pas du luxe. Des volontaires ?


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40 CULTURE

Mahmoud


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Darwich

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En 2009, le plasticien français Ernest Pignon-Ernest (1942), ami de Darwich, réalisa un « Parcours Mahmoud Darwich ». Il placarda le portrait en pied du poète dans les rues de Ramallah et dans d’autres lieux symboliques de son histoire et de celle de son pays. Images exposées à Bozar, Bruxelles, le 25 janvier 2017. © Catherine Fache


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42 CULTURE

Il y a 8 ans s’éteignait Mahmoud Darwich. Mort pressentie. Il avait 67 ans. Son coeur était abîmé, la vie l’avait usé mais n’avait pas eu le temps de le flétrir. L’image qui demeure de lui est celle d’un homme épargné par la vieillesse. par Catherine Fache Le poète est, paraît-il, plus que connu des lecteurs de ce bulletin ! Nous vous envions d’avoir lu et relu sa poésie, en arabe, ou plus vraisemblablement en français, vers lequel une vingtaine d’ouvrages sont traduits, ou dans une des nombreuses autres langues dans lesquelles il a été traduit. Pour « perpétuer l’œuvre et la pensée d’un poète majeur du XXe siècle considéré comme l’un des plus grands auteurs arabes contemporains », a été inaugurée à Bruxelles le 25 janvier dernier une Chaire Mahmoud Darwich, une initiative de la Fédération Wallonie-Bruxelles en partenariat avec Bozar, l’ULB et l’UCL. Elle organisera des événements culturels ainsi que des activités à caractère plus universitaire, impulsant une dynamique dans les milieux des étudiants et de la recherche. Le site web quadrilingue de la Chaire contient, entre autres articles, des éléments bio- et bibliographiques empruntés à la revue littéraire Europe qui paraît concomitamment.

une chaire

Chaire universitaire et culturelle Mahmoud Darwich www.chairemahmouddarwich.org info@chairemahmouddarwich.org

Ce numéro spécial de la revue Europe consacré à Mahmoud Darwich s’ouvre par cette phrase : « Il ne sera nullement exagéré d’affirmer que, dans son œuvre immense et diversifiée, comme dans sa vie elle-même conçue et assumée comme une œuvre, Mahmoud Darwich résume et incarne l’histoire de la Palestine moderne. » Kadhim Jihad Hassan (Europe, p. 3). Poète. Arabe. Palestinien. Darwich fut un militant actif de l’OLP. En 1987, il fut élu membre de son comité exécutif. Il fera partie de l’Organisation pendant 6 ans puis la quittera après les accords d’Oslo qu’il dénoncera. En 1961, à la fin de ses études secondaires à Haïfa, il avait rejoint le parti communiste israélien où militaient ensemble Arabes et Juifs.


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DANS SON ŒUVRE IMMENSE ET DIVERSIFIÉE, COMME DANS SA VIE ELLEMÊME, MAHMOUD DARWICH RÉSUME ET INCARNE L’HISTOIRE DE LA PALESTINE MODERNE.

Les images des funérailles nationales de « Mahmoud » à Ramallah le 13 août 2008 sont émouvantes pour nous dont le quotidien ne rime ni avec poésie ni avec patrie… Qui étaient ces admirateurs venus par centaines ? À quel moment de l’histoire palestinienne associent-ils Darwich ? Quels vers récitent-ils ? Dans quel exil le rejoignent-ils ? Dans quelles valises voyagent-ils ? Dans quelles maisons demeurentils ? « Les poèmes peuvent établir une patrie métaphorique dans les esprits des gens. Je pense que mes poèmes ont bâti quelques maisons, dans ce paysage. » Mahmoud Darwich (Europe, p.148) Ce numéro d’Europe, riche de contributions internationales, présente les principaux aspects de la vie et de l’œuvre de Darwich. Il se termine par ces mots : « Ne t’obstine pas dans l’absence, cher Mahmoud, et fais-nous parvenir tes poèmes par-delà la tombe, chaque fois que tu le peux. » Mohammed Barrada (Europe, p. 262) Les poèmes de Darwich sont sans cesse rendus à la vie, à la lecture, à la mémoire. Ici et là. Par des éditions, traductions, colloques, hommages, publications, spectacles,… Par des lieux aussi. À Ramallah, au sommet d’une colline, sur un vaste terrain, se trouvent le Musée Darwich ainsi que sa tombe. C’est par décret présidentiel que fut créée dès 2008 la Fondation Mahmoud Darwich, en même temps que le mémorial Yasser Arafat. Le musée expose des objets ayant appartenu au poète ainsi que des manuscrits et des éditions. Un auditorium et un théâtre en plein air accueillent conférences, concerts, etc. Le bâtiment est l’œuvre de l’architecte palestinien Jaafar Touqan, auteur également du mausolée de Yasser Arafat, dans l'enceinte du palais présidentiel de Ramallah, et du musée éponyme attenant, qui a ouvert ses portes au public en novembre 2016.

une revue

Numéro spécial de la revue littéraire Europe Mahmoud Darwich, Europe revue littéraire mensuelle, 95e année n°1053-1054 Janvier-février 2017 ISSN 0014-2751 20 € www.europe-revue.net europe.revue@wanadoo.fr

un musée

Mahmoud Darwish Foundation www.darwishfoundation.org info@darwishfoundation.org

une poésie

La Palestine et les poètes Un site de la Plate-forme Charleroi-Palestine http://poesie.pourlapalestine.be/


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44 LIVRES

Des hommes entre les murs

COMMENT LA PRISON FAÇONNE LA VIE DES PALESTINIENS par Assia Zaino, préface de Julien Salingue Éditions Agone, 2016, 197 pages par Dominique Waroquiez L’auteure est titulaire d’un master en histoire du monde arabe à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO-Paris). Elle a effectué de longs séjours dans les Territoires palestiniens occupés entre 2010 et 2015 partageant la vie d’une famille de Nabih Saleh, un village situé au NO de Ramallah, d’où toutes les semaines des marches sont organisées vers la source accaparée par la colonie voisine de Halamish. Les treize témoignages qu'elle a réunis sont judicieusement replacés dans leur contexte historique, si bien qu'ils permettent de mieux appréhender le système implacable des arrestations de masse qui vise à briser la longue lutte palestinienne de libération nationale mais qui, paradoxalement, contribue à renforcer la résistance, de génération en génération. Ainsi, ces Palestiniens et Palestiniennes ont le courage malgré leurs doutes, leurs divisions, les traumatismes et la peur, de continuer à résister refusant la soumission aux ordres militaires et la « disparition » de la Palestine. Quel avenir resterait-t-il aux jeunes s'ils cessaient de résister ? Car, même s'ils sont considérés par les uns comme des héros, par les autres comme des terroristes, ils et elles sont avant tout des êtres humains qui nous demandent : est-ce normal de devoir tuer parce que des colons nous privent de la terre sur laquelle nous vivons? En 1978, Nabi Saleh a porté plainte contre la colonie mais depuis, le vol des terres se poursuit et l'armée ne cesse de harceler, d'enlever, d'emprisonner et de torturer adultes et enfants.


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La mosaïque éclatée

UNE HISTOIRE DU MOUVEMENT NATIONAL PALESTINIEN (1993-2016) par Nicolas Dot-Pouillard Édition Actes Sud, Sindbad et Institut des études palestiniennes, 2016, 263 pages par Dominique Waroquiez Nicolas Dot-Pouillard est docteur en sciences politiques, chercheur associé à l'Institut français du Proche-Orient (Beyrouth) et chercheur principal au sein du programme WAFAW du Conseil européen de la recherche. Le livre présente, de manière fouillée et sans langue de bois, les multiples facettes du mouvement national palestinien et sa dynamique depuis Oslo (1993). L'auteur fait le point sur les débats politiques et stratégiques qui traversent le mouvement national palestinien, séparent, rapprochent ou divisent depuis ces vingt dernières années les différents partis, les diverses factions et une série de groupes et acteurs politiques distincts des partis. Avec rigueur, il replace dans leur contexte et explicite les diverses positions relatives au pouvoir politique (l’OLP et l’Autorité nationale palestinienne), au territoire (les discussions ne se résument pas à l’antagonisme binaire « un ou deux États », « frontières de 48frontières de 67 »), aux moyens de résistance et aux possibilités d’alliances, sans oublier les changements idéologiques nés avec la révolution iranienne et la fin de la guerre froide. Un livre documenté et utile donc pour comprendre non seulement la richesse des discussions politiques au sein du mouvement national palestinien mais aussi les inextricables défis auxquels il est actuellement confronté. On y découvre un nationalisme palestinien pluraliste, vivant et indéracinable malgré ses déchirements, ses échecs successifs, les guerres et les divisions du monde d'aujourd'hui.


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46 LIVRES

Monde arabe, le grand chambardement par Yves Aubin de la Messuzière. Éditions Plon, Tribune du Monde, Paris 2016, 228 pages par C. S. L’auteur, diplomate arabisant, a effectué l’essentiel de son parcours professionnel au Proche-Orient et au Maghreb, ainsi qu’au sein de la direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient du Quai d'Orsay qu’il a dirigée de 1998 à 2002. Cinq années après les printemps arabes, le constat est celui d’un monde arabe en convulsion, avec des situations contrastées. Autonomes à l’origine, les soulèvements à caractère social ont été parfois confisqués par des mouvements conservateurs, puis par l’islamisme radical. Seule la Tunisie, qui a ouvert la voie en 2011, semble avoir réussi sa transition démocratique. La Libye s’est enfoncée dans l’anarchie. Au Proche-Orient, l’Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen sont des États faillis, qui ont fait la place belle à Daech. Les bouleversements dans cette région ont conduit à des rééquilibrages entre puissances régionales et internationales. L’Égypte retrouve son poids stratégique. L’Arabie saoudite s’affirme face à l’Iran. La Turquie revoit à la baisse les ambitions de sa diplomatie en direction du monde arabe. L’accord sur le nucléaire renforce la main de Téhéran sur la Syrie et les chiites, au Liban, au Yémen et au Bahreïn. La stratégie en retrait des États-Unis permet le « retour impérial » de la Russie dans la région. L’Europe s’en trouve marginalisée.


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Terrorisme : histoire et droit sous la direction de Henry Laurens et Mireille Delmas-Marty. CNRS Éditions, collection Biblis. Paris 2013, 352 pages par C. S. Henry Laurens et Mireille Delmas-Marty sont tous deux professeurs au Collège de France, respectivement titulaires de la chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe et de la chaire d’études juridiques comparatives et d’internationalisation du droit. Cet ouvrage rassemble les travaux du colloque intitulé « Typologie du terrorisme et communauté(s) de valeurs », organisé en juin 2008 au Collège de France et qui a réuni les plus grands spécialistes du sujet, juristes, historiens et politistes. Thème d’actualité s’il en est, le terrorisme mobilise les acteurs politiques et différentes branches des sciences sociales afin de comprendre ses significations et ses pratiques. Perçu comme une menace contre la vie des individus, mais aussi contre les fondements même des nations et tout particulièrement des nations démocratiques, le terrorisme est loin d’être un phénomène nouveau, comme le montre ce livre : la violence politique est ancrée dans l’histoire des sociétés ; elle renvoie à la combinatoire dynamique de la peur, de la contestation et des répressions politiques et pénales. Voilà un tour d’horizon complet du terrorisme tel qu’il fut hier et tel qu’il est aujourd’hui, arme du faible contre le fort, violence accoucheuse de chaos et d’histoire.


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