palestine
BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL TRIMESTRIEL N°69 – JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2016 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130
SOMMAIRE DOSSIER RETOUR CASE PRISON > 03 Samidoun, «les Inébranlables» > 04 Les Palestiniennes et la prison > 08 Le projet « Law-Train » > 12 La saga Brussels Airlines > 16
Photo extraite de l’ouvrage de Virginie Nguyen, Gaza : The Aftermath
(Éditions CDP/Collection des Photographes). Pour ce projet, la photojournaliste bruxelloise s’est focalisée sur l’histoire de quatre familles de Gaza, qu’elle a régulièrement rencontrées entre 2014 et 2016. À travers le vécu de ces familles, c’est l’histoire de la (non-)reconstruction de Gaza qu’elle essaye de capturer, la dure réalité de l’après-guerre que l’on a rarement l’occasion de voir. « La vraie crise humanitaire, c’est maintenant qu’elle se passe », affirme-t-elle (lire l’entretien p. 20).
palestine 02 ÉDITO
« “Soumoud” «« RÉSISTER,
ICI ET LÀ-BAS ! par Pierre Galand
Lorsque le 16 septembre 2014, à 5 heures du matin, l’épouse d’Itiraf Rimawi a entendu le bruit des pas des soldats, elle se précipita pour leur ouvrir la porte. Ceci afin d’éviter qu’ils ne la cassent, comme les autres fois. C’est la sixième fois qu’Itiraf Rimawi, directeur exécutif de l’ONG palestinienne Bisan, se fait arrêter et mettre en détention administrative. Enchaîner des mois, voire des années d’absence de leur père, les trois fils de Rimawi connaissent ça, sans pour autant s’y habituer. Bisan est un centre important de recherche en développement communautaire, soutenu entre autres par la Coopération belge. Les partenaires belges de Bisan ont essayé d’alerter nos ministres des Affaires étrangères et de la Coopération, en vain. Des cas comme celui d’Itiraf Rimawi, il y en a des milliers. C’est pourquoi, en collaboration avec le PAC, l’ABP lance une campagne contre la détention administrative (p.14) – un héritage datant du Mandat britannique, qui permet au colonisateur d’arrêter n’importe quel individu pour une durée indéterminée, sans charge ni procès. Si cette pratique n’est que la pointe de l’iceberg, elle dévoile la dimension arbitraire et terriblement destructrice d’un système juridique qui est le socle discret, voire invisible, de l’occupation et de la colonisation israéliennes (p.4). Cela fait des décennies que l’on dénonce cette réalité pernicieuse, sans que la communauté internationale, ni notre gouvernement, ne semblent s’en émouvoir. Au contraire : en ce moment même, se négocie à la Chambre une résolution commune sur la Palestine qui rassemble plusieurs thématiques, dont les prisonniers politiques. Au passage, elle s’est malheureusement « diluée » à un point tel qu’elle n’a pratiquement plus de raison d’être. Encore plus honteux, la participation de la Belgique au projet « Law Train », un programme de recherche et d’échange en matière de techniques de surveillance et d’interrogatoire, avec le Portugal, l’Espagne….et Israël (p.12). Enfin, la « saga » Brussels Airlines nous montre par ailleurs que le gouvernement belge n’est pas prêt à lever le petit doigt pour soutenir nos entreprises lorsqu’elles tentent de respecter le droit international, ce qui leur vaut de faire aussitôt l’objet d’un boycott en Israël (p.16).
»
La situation dans les territoires occupés ne fait qu’empirer depuis octobre 2015. En effet, désormais, même de très jeunes filles – des adolescentes de 14 ans – ne sont plus à l’abri de ce risque. Voilà qu’on les enferme pour « incitation à la haine », l’une pour avoir écrit un poème appelant le peuple palestinien à résister, ou une autre pour être en possession d’un couteau dans son sac à main. En d’autres termes, par anticipation pour des actes qu’elles n’ont même pas commis (p.8). Tout cela finit par entraîner une forme de lassitude chez tout un chacun. Mais nous n’avons pas le droit d’être lassés. Car cela fait partie de la stratégie de l’occupation israélienne : maintenir le statu quo le plus longtemps possible et poursuivre la colonisation tous azimuts en espérant que les opposants se lasseront et baisseront les bras. Il nous faut au contraire continuer de nous battre et nous inspirer des quelques petites victoires qui raniment l’espoir. Par exemple, le fait qu’Itiraf Rimawi soit enfin libre depuis le 5 juillet dernier, après un an et demi de prison. Ou encore, que le Portugal se soit retiré du programme « Law-Train », sous la pression de sa société civile. Qu’attendons-nous pour en faire autant, nous, les Belges ?
palestine no 69
Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche, Nadia Farkh, Sophie Feyder, Pierre Galand, Katarzyna Lemanska, Christiane Schomblond, Gabrielle Lefèvre, Simon Moutquin et Nathalie Janne d’Othée |Ont contribué François Dubuisson, Paul Frank, Caroline Hayek, Ibrahim Khayar, Sylvie Picavet, André Verlaine |Relecture Ouardia Derriche Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asbl Siège social : rue Stevin 115 à 1000 Bruxelles | Tél. 02 223 07 56 | info@abp-wb.be | www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 | Tout don de plus de 40 euros vous donne droit à une exonération fiscale. Graphisme Dominique Hambye & Élise Debouny Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Des femmes palestiniennes manifestent pour exiger la libéralisation de leurs bien aimés enfermés dans les prisons israéliennes.
palestine 03 DOSSIER
DOSSIER
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Conjointement avec le lancement de la nouvelle campagne de l’ABP et de PAC contre les détentions administratives, ce dossier revient sur l’emprisonnement comme stratégie clé dans le système israélien d’occupation et de colonisation. Il s’efforce d’identifier les manifestations nouvelles de ce phénomène, notamment l’emprisonnement de jeunes femmes et jeunes filles, accusées «d’incitation à la haine ou à la violence» sur Facebook. Soutenir la nomination de Marwan Barghouti, prisonnier emblématique, au Prix Nobel de la Paix, revient plus largement à attirer l’attention sur l’incarcération massive des Palestiniens et à exiger leur libération. Sachant par ailleurs que la torture est pratique courante dans les prisons israéliennes, il est urgent de dénoncer la participation de la Belgique au programme de recherche Law-Train (p.12).
© Occupied Palestine / AFP Said Khatib
À LA CASE PRISON
palestine 04 DOSSIER RETOUR À LA CASE PRISON
Samidoun, »
“LES INÉBRANLABLES” entretien avec Charlotte Kates
Américaine, Charlotte Kates est la coordinatrice internationale de Samidoun, la plateforme de solidarité internationale en faveur des prisonniers palestiniens. Elle nous explique en quoi la problématique des prisonniers politiques est un aspect central du système israélien d’oppression et d’occupation et pourquoi il est important d’organiser un mouvement de solidarité au niveau international. Samidoun, en deux mots, c’est quoi ? Samidoun, qui veut dire « les Inébranlables » en arabe, est né après la grande grève de la faim collective d’octobre-décembre 2011, après avoir fait le constat de son peu de relais dans les médias internationaux. Samidoun est avant tout un réseau international de solidarité, c’est plus un mouvement qu’une association. On a une forte présence à New York et à Montréal, et des cellules un peu partout en Amérique du Nord et depuis peu en Europe, notamment Bruxelles, Amsterdam, Istanbul, Dublin… Que veux-tu dire exactement par « un mouvement et pas une association » ? Quelle différence vois-tu entre les deux ? Il existe déjà de nombreuses associations qui agissent sur place en Palestine et aident directement les prisonniers et leurs familles. Notamment Addameer, qui leur offre un soutien juridique et une représentation vitale. On ne veut pas dédoubler les structures existantes ; on cherche plutôt à coordonner sur ce sujet les différentes associations et autres groupes sensibles afin de lancer, au niveau international, des campagnes communes de façon unie et en parfaite cohésion. On se voit comme le mégaphone qui amplifie les voix palestiniennes auprès de la communauté internationale. On facilite le partage de ressources: la traduction en différentes langues des informations récoltées sur les prisonniers par des journalistes et militants palestiniens, l’accessibilité à tous du matériel pour les manifestations (affiches, tracts, images…), etc. Plus généralement, on cherche également à recadrer la lutte des prisonniers – ses buts et ses problèmes – dans le contexte plus large du mouvement international en faveur de la libération de la Palestine. Justement, peux-tu m’expliquer en quoi la question des prisonniers est fondamentale dans la problématique de l’occupation israélienne de la Palestine ? En d’autres termes, pourquoi avoir choisi de se centrer sur la question des prisonniers ? L’emprisonnement et la répression ont toujours été une facette importante de la colonisation, pas seulement en Palestine. C’est un mécanisme de colonisation antérieur à l’ère sioniste. À l’époque de
la colonisation britannique par exemple, existaient déjà un certain nombre de lois militaires et de lois martiales qui ont inspiré celles d’aujourd’hui : la détention administrative, les mesures punitives comme la démolition de maisons, l’usage de la torture… Aujourd’hui, on chante et lit encore la poésie écrite par les prisonniers sous le Mandat britannique. Dans une perspective historique, la colonisation est une action permanente, dans laquelle l’emprisonnement est une stratégie clé pour fragmenter la population palestinienne, isoler les leaders de leurs communautés, ce qui revient à les éliminer efficacement. Je ne parle pas seulement de leaders nationaux, mais aussi les leaders locaux – les syndicalistes, des militant-e-s d’organisations de femmes ou d’étudiants. Le but de ce système est de créer un environnement où les gens aient peur de résister. Deuxièmement, il faut comprendre que l’emprisonnement est une expérience partagée par un nombre impressionnant de Palestiniens. Il y a 7000 Palestiniens en prison aujourd’hui, mais cette statistique implique des individus en rotation constante. Ainsi, 40% des hommes en Cisjordanie et à Jérusalem sont passés en prison au moins une fois dans leur vie. Chaque famille palestinienne a une mère, un père, un frère, un enfant, un cousin…qui a été chopé par les soldats, a été interrogé, s’est fait jeter en détention administrative, bref, qui s’est frotté d’une manière ou d’une autre à ce système israélien de répression. C’est un aspect dominant qui affecte la vie quotidienne de tous les Palestiniens. C’est pour cela que Samidoun qualifie tous les prisonniers palestiniens de prisonniers politiques ? Exactement ! Le fait que l’État israélien fasse lui-même la distinction entre les « prisonniers de sécurité » et les « prisonniers criminels » en est bien la preuve. Les « prisonniers de sécurité» sont accusés de « délit nationaliste », de « menacer la sécurité de l’État ». Et on met dans ce même sac toute personne qui ose résister d’une manière ou d’une autre: les organisateurs d’une grève syndicale ou d’une manifestation étudiante, les enfants qui jettent des pierres aux soldats de l’occupation, celui qui s’est engagé dans la lutte armée.
Khalida Jarrar On y retrouve des gens comme Mohamed Abu Sakha, le prof de l’école du cirque palestinienne (voir page 10), des parlementaires palestiniens, des gens comme le journaliste Omar Nazzal (voir encadré) ou Khalida Jarrar (voir encadré). La charge la plus commune est de loin l’accusation de soutenir ou d’être membre d’une « organisation interdite ». Mais il faut savoir que tous les grands partis politiques palestiniens sont des organisations interdites, y compris le Fatah ! Pour donner un exemple du degré d’absurdité, Khalida Jarrar a été condamnée sous cette charge, avec comme preuve qu’elle a prononcé un discours sur un podium où il y avait un drapeau et une affiche d’une «organisation illégale». C’est insensé! Construire un mouvement de solidarité autour de la question des prisonniers revient donc à soutenir plus largement la résistance palestinienne. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer l’illégitimité des cours militaires – qui, rappelons-le au passage, ont des taux de condamnation de 99.4 %, acceptent des aveux obtenus sous la torture, des preuves secrètes fournies par les services secrets, etc. Notre combat, soyons clairs, n’est pas de réclamer des procès équitables. Les cours militaires ont été créées par l’occupant pour mettre les Palestiniens en prison et servir le projet colonial. Il s’agit donc de critiquer tout un système juridique, politique et militaire qui considère comme un acte illégal, voire terroriste, le fait de faire parti d’un parti politique ou d’un syndicat, le fait qu’un enfant jette une pierre à un soldat. Soutenir les prisonniers, c’est soutenir la légitimité du droit des Palestiniens à résister contre l’occupation et la répression. Mettre la question des prisonniers au cœur du mouvement de solidarité pour la Palestine met en avant le fait qu’une alternative à la résistance telle qu’elle se décline aujourd’hui n’existe pas, tant que ne cessera pas la colonisation. Et pourquoi insister sur l’échelle internationale dans vos interventions ? Mais parce que les systèmes de répression sont interconnectés au niveau international et dépassent le simple territoire national. Les pouvoirs d’État échangent des techniques de surveillance,
53 ans, avocate et membre du Conseil législatif palestinien, est également dirigeante d’un parti politique et membre du Parlement palestinien. Militante politique et féministe de longue date, elle avait initialement été arrêtée le 2 avril 2015. Les six mois de détention administrative ont rapidement été réduits à un mois grâce à la forte mobilisation internationale en sa faveur. La cour militaire a finalement converti sa détention administrative en une peine de prison, invoquant douze charges contre elle, dont « être membre d’une organisation illégale », « rendre service à une organisation illégale », « s’être rendue à une foire de livre organisée par une organisation illégale ». Le témoin principal au procès a déclaré qu’elle avait participé à un meeting au cours duquel un homme masqué a fait un discours faisant l’éloge de l’enlèvement de soldats israéliens, même s’il ne pouvait affirmer que Jarrar elle-même ait dit quoi que ce soit à ce sujet.
des techniques pour « contrer l’insurrection », tout un savoir-faire en matière de « mesures anti-terroristes ». C’est, par exemple, des unités de police américaines qui viennent s’entraîner en Israël, ou encore plus récemment des députés belges qui vont à l’aéroport Ben Gourion découvrir leur soi-disant « modèle de sécurité ». Il faut également se rappeler que l’intimidation policière contre la solidarité avec le peuple palestinien dépasse le territoire du Proche-Orient. Aux États-Unis, il y a eu récemment ce fameux cas des cinq humanitaires de la fondation « Holy Land » qui se sont vus condamnés à 65 ans de prison, simplement pour avoir récolté et distribué des fonds à différents projets humanitaires en Palestine 1. D’où l’importance d’organiser une alliance des mouvements de résistance au niveau mondial ? Exactement ! Se centrer sur les prisonniers aide à mettre en avant pourquoi il est important de travailler à la convergence des luttes. La solidarité envers les prisonniers politiques, où qu’elle se déploie dans le monde, est un point de départ puissant pour la construction d’un mouvement international contre l’oppression et la répression.
palestine 06 DOSSIER RETOUR À LA CASE PRISON
Omar Nazzal
Journaliste indépendant, 53 ans, père de trois enfants, en détention administrative depuis avril 2016. Basé à Ramallah, Nazzal a été arrêté alors qu’il s’apprêtait à quitter la Cisjordanie pour participer à une réunion de la Fédération européenne des journalistes à Sarajevo. Le Shin Bet le soupçonne de faire partie du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), qu’Israël considère comme une organisation terroriste. La cour militaire a estimé que les preuves secrètes étaient assez convaincantes pour le garder en détention administrative. À ce jour, Nazzal ne sait toujours pas quelle charge est portée contre lui et ne peut donc préparer sa défense. En protestation, il a entamé une grève de la faim en août 2016, en même temps que Bilal Kayed.
On ne peut qu‘être solidaire avec tout prisonnier impliqué dans des luttes de libération ; sinon on tombe vite dans l’hypocrisie. Il va de soi pour nous d’identifier les points communs entre la colonisation incessante en Palestine occupée et les conséquences actuelles de l’histoire de la colonisation au Canada – on y décèle la même violation continuelle du droit à disposer d’eux-mêmes des peuples indigènes. En 1981, des prisonniers palestiniens ont envoyé une lettre de soutien aux prisonniers républicains en Irlande du Nord en grève de la faim lors de la répression thatchérienne. Aujourd’hui, on voit les mêmes liens de solidarité se développer entre prisonniers palestiniens et prisonniers noirs, portoricains et amérindien des États-Unis. Samidoun participe notamment aux manifestations contre Guantanamo Bay, et soutient activement le mouvement « Black Lives Matter » (BLM), qui lutte contre la violence policière et le racisme institutionnel envers les minorités noires des États-Unis. Ce mouvement s’est d’ailleurs volontairement exposé à des critiques supplémentaires en exprimant clairement sa position sur la question, qualifiant Israël d’État d’apartheid et sa politique de génocidaire. En retour, le comité BDS de Palestine a récemment rédigé une lettre de soutien au mouvement BLM, les félicitant d’avoir donné à la Palestine une place centrale dans leur mouvement qui revendique les mêmes aspirations à la justice sociale.
Soutenir les prisonniers, c’est soutenir la légitimité du droit des Palestiniens à résister à l’occupation et à la répression. Si l’emprisonnement comme dispositif politique date de la colonisation britannique, quelles sont les tendances actuelles de ce phénomène en Palestine ? Désormais, on voit de plus en plus de gens se faire accuser « d’incitation à la haine », surtout pour avoir posté certaines choses sur les réseaux sociaux. Un des cas les plus choquants est l’exemple de la poétesse palestinienne Dareen Tator, arrêtée en décembre 2015 et emprisonnée durant trois mois (elle est aujourd’hui toujours assignée à résidence), pour avoir posté ses écrits sur Facebook. Elle avait partagé une vidéo où on la voit réciter son propre poème intitulé « Soulève-toi, mon peuple ». En d’autres termes, la poésie et l’expression artistique palestiniennes sont désormais étiquetées comme étant de l’incitation à la haine. Ce cas a fait beaucoup de bruit car il s’agit d’une artiste, mais il n’est pas moins grotesque que des centaines de Palestiniens se fassent arrêter et mettre en prison simplement pour avoir exprimé sur Facebook une opinion politique qui déplait à l’Etat israélien. Il ne faut même pas prouver que cette opinion ait directement provoqué ou ait eu un lien avec un quelconque délit! L’astrophysicien Imad Barghouthi s’est donc finalement retrouvé condamné par la cour militaire pour « incitation à la haine » sur Facebook, malgré l’énorme campagne internationale pour le faire libérer. L’État s’est contenté de convertir sa détention administrative qui touchait à sa fin en une peine de prison. C’est la façon la plus facile de faire taire les critiques portant sur la seule illégalité de la détention administrative. Comment s’organise la résistance au sein des prisons ? Peux-tu nous parler des grèves de la faim, par exemple ? Peut-on parler à ce propos de « tactique du faible » ? Oui, ce serait une description très juste. Les prisonniers n’ont rien d’autre que leur propre corps pour protester. Ils peuvent refuser de se nourrir, rejeter l’emploi du temps qu’on leur impose, refuser de collaborer avec leur geôlier. Une tactique connue de résistance en
Affiche de l’artiste palestinien Omar Hafez pour Samidoun
Majd Atwan prison est de cogner sur les barreaux, dans le but de faire du bruit et de mettre les gardiens mal à l’aise. Il y aussi une longue tradition de grève de la faim, tant des grèves à titre individuel que collectif, les deux étant liées. Le peu de droits des prisonniers aujourd’hui – notamment le droit à des porte-paroles, de voir leur famille – ont été obtenus grâce à leur résistance collective, notamment via la grève de la faim. L’histoire de Bilal Khayed, qui vient juste (ce 25 août) de mettre fin à 71 jours de grève de la faim, illustre bien ce dernier point. Bilal est un des leaders de la lutte des prisonniers; il a notamment coordonné la grève historique de la faim de 2012, à laquelle des milliers de prisonniers ont pris part. Bilal avait subi 14 ans et demi de prison, et le jour où il était censé être libéré, Israël décrète contre lui un nouvel ordre de détention administrative, qui est évidemment indéfiniment renouvelable. Bilal décide donc d’entamer une grève de la faim et une centaine de prisonniers le rejoignent pour appuyer sa revendication. Non pas parce qu’il est très connu parmi les prisonniers, mais parce qu’il y un intérêt collectif à soutenir sa cause. Lors de l’appel obligatoire du matin, les prisonniers criaient le nom de Bilal plutôt que leur numéro d’identification. Car Bilal Khayed, c’est eux, les 6999 autres prisonniers. Son cas n’est pas une anomalie mais un exemple de l’intensification de la répression. Tout prisonnier arrivant à la fin de sa peine risque désormais de voir son séjour en prison être indéfiniment prolongé. La détention administrative n’est qu’une facette de la problématique, elle ne concerne qu’environ un dixième de la population carcérale palestinienne. Cette pratique dévoile néanmoins le caractère fondamentalement injuste et arbitraire du système juridique israélien. Face à cet ennemi commun, les prisonniers organisent une solidarité qui transcende les clivages politiques internes. Les vétérans de grèves de la faim par exemple continuent à
Artiste maquilleuse, 22 ans. Elle a été arrêtée en avril 2016 à deux heures du matin. « Il y avait tellement de Jeeps militaires, on aurait cru qu’Oussama Ben Laden était dans les parages », commente sa mère. Son crime ? Avoir posté sur Facebook un commentaire considéré comme provocateur. Son commentaire, écrit à la suite d’un attentat dans un bus : « Bonne nouvelle : 20 colons blessés ». Pour cela, elle a été accusée d’incitation à la violence, et condamnée à 45 jours de prison, ainsi qu’à une amende de 3000 sheckels ($800). Majd fait partie des 150 Palestiniens récemment arrêtés pour « incitation à violence » sur Facebook. Ce chiffre est en hausse depuis octobre 2015, date à laquelle une vague d’attaques au couteau a émergé. « Ma fille, inciter à la violence ? Depuis qu’elle est toute petite, elle a plutôt une passion pour les ongles et les permanentes », conclut sa mère. Atwan est loin d’être la seule femme à subir cette nouvelle forme de répression.
soutenir les luttes des prisonniers, même longtemps après avoir quitté la prison. Car si les noms des grévistes changent continuellement, les enjeux, eux, restent les mêmes. Évidemment, il y a un prix à payer pour cette résistance. Les prisonniers peuvent être punis de différentes façons : être jeté en régime cellulaire, se voir coller une amende pour désobéissance, être transféré de prison en prison afin de saboter toute construction d’une coordination entre prisonniers, se voir interdire les visites de leurs familles ou même de leur avocat. En dépit de cela, ils sont déterminés à continuer parce qu’il n’y a pas de vie sans lutte.
1/ Sous l’empire des nouvelles lois anti-terroristes de 2001, ils ont été accusés de « soutien matériel de groupe terroriste », c’est-à-dire d’avoir illégalement financé le Hamas, via des organisations religieuses qui étaient soi-disant liées à ce « parti terroriste». Pour plus d’information sur cette affaire: https://electronicintifada.net/blogs/maureen-clare-murphy/new-evidence-hoped-free-holy-land-five
palestine 08 DOSSIER RETOUR À LA CASE PRISON
LES PALESTINIENNES
et la prison
par Katarzyna Lemanska
« Pour une Palestinienne, s’impliquer dans des activités politiques ou combattantes n’a rien d’un hasard. L’occupation l’a meurtrie, elle a agressé sa terre, ses enfants, son mari, sa famille. Elle a changé le cours de sa vie. La souffrance collective l’influence directement et l’empêche de se détacher de son environnement ».
C’est par ces mots qu’Ittaf Alian, qui a passé 10 ans dans les prisons israéliennes, rappelle que la Palestinienne a toujours pris sa part de la lutte de libération nationale. En effet, loin de l’image orientaliste d’une femme effacée et soumise, la Palestinienne a toujours contribué à la lutte de libération nationale, soit en prenant part à des actions militantes criminalisées par l’occupant, soit en prenant soin de sa famille lorsqu’un, voire plusieurs de ses membres – mari, frère, père, enfant – sont emprisonnés.
Durant la détention, elles sont encadrées par des gardiennes israéliennes. Le niveau de violence dont ces dernières font preuve dépasse parfois celui des hommes : l’ONG israélienne Breaking the silence a réalisé une étude en 2009 qui conclut que les soldates israéliennes déploient des méthodes de contrôle parfois plus violentes que leurs collègues masculins afin de forcer le respect et la reconnaissance de leurs collègues masculins et de leurs supérieurs 1.
LES PRISONNIÈRES PALESTINIENNES
Lors de la libération, à la souffrance psychologique de la torture, s’ajoute la honte. La psychologue Samah Jabr, interviewée dans un précédent numéro, disait à propos de ces « actes omniprésents d’humiliation » qui sont à la base de la politique israélienne : « une caractéristique essentielle de l’occupation est de cibler et de saper chaque facette de l’identité palestinienne (…). L’humiliation agit pour étouffer les sources d’autonomie et d’indépendance. Elle vise à contraindre les Palestiniens à un état de silence passif ».
Depuis 1967, l'association palestinienne de défense des droits des prisonniers palestiniens Addameer comptabilise 10 000 femmes incarcérées par les autorités militaires israéliennes. En février 2016, elles étaient une soixantaine, soit 3 fois plus qu'en février 2015 et 12 fois plus qu'à la même époque en 2013. La hausse observée est due à la vague de répression des autorités israéliennes en octobre 2015, dans un contexte de tension croissante autour du statut de la mosquée Al Aqsa et de recrudescence des actes violents commis par les colons. De leur arrestation à leur incarcération en passant par leur interrogatoire, les femmes, comme la grande majorité des hommes, sont soumises à des actes de torture et à des mauvais traitements. Il y a cependant une particularité : ces actes sont genrés, c’est-à-dire que les intimidations à caractère sexuel et/ou cherchant à porter atteinte à leur réputation sont plus fréquemment employés. Il arrive par exemple que les autorités militaires les menacent de faire courir de fausses rumeurs sur leurs mœurs, feignent (ou pratiquent) des attouchements, les obligent à mimer des positions sexuelles et les dénudent avant de les faire parader devant des hommes. Leurs corps, leur sexualité et leurs valeurs familiales ainsi que les stéréotypes sexistes, portés tant par les autorités militaires que par la société palestinienne, sont utilisés afin d’arracher un aveu.
Comme la grande majorité des prisonniers palestiniens, les femmes sont incarcérées en dehors du territoire palestinien et ce, en violation du droit international. L’absence ou le caractère sporadique des visites familiales est particulièrement difficile à vivre pour les mères d'enfants en bas âge. Aucune des prisons où les femmes sont incarcérées ne prévoit de mesures adaptées aux femmes. Les besoins spécifiques des femmes, en termes d'hygiène notamment, sont totalement ignorés et négligés, y compris quand elles sont enceintes. Les consultations gynécologiques leur sont systématiquement refusées. L’absence de mesures en adéquation avec les besoins spécifiques des femmes renforce leur sentiment d’humiliation. Le seul contrôle médical est celui accordé dans le cadre d’un accouchement. Là encore, de nombreux témoignages récoltés par Addameer font état du fait que
Khalida Jarra, parlementaire palestinienne, saluant la foule venue à son procès (lire encadré page 5). Arrêtée en avril 2015, elle a finalement été libérée le 3 juin 2016.
leurs mains pieds et leurs mains sont attachés durant leur transport vers l’hôpital et le restent jusqu’à leur entrée en salle d’accouchement. Et, dès que l’enfant est né, elles sont à nouveau ligotées.
LES FEMMES AFFECTÉES PAR L’EMPRISONNEMENT DE LEURS PROCHES Quand on évoque la question des prisonniers palestiniens, on aborde rarement la problématique des femmes affectées par l’emprisonnement de leurs proches. Et pourtant, les 800000 Palestiniens qui ont été incarcérés par les autorités militaires israéliennes sont souvent, voire toujours des pères, des époux, des frères ou des fils. Leur absence affecte gravement la cellule familiale dont la gestion finit par reposer sur les seules femmes ou le cercle familial proche. L’incarcération de masse, telle qu’elle est systématiquement pratiquée par Israël, détricote le tissu familial, compromet à long terme l’éducation des enfants, soumet les femmes à une pression et à un stress qui provoquent différentes formes de souffrance psychologique et affecte la situation économique du ménage. Qu’elles soient emprisonnées ou pas, les Palestiniennes font face, au quotidien, au système carcéral israélien. Chacune y résiste à sa manière. Et, en tout état de cause, parvenir tant bien que mal à assurer à sa famille en semblant de stabilité dans un contexte d’occupation ne constitue certainement pas une des moindres formes de militance ou de participation à la lutte contre l’occupation.
1/ Voir http://www.breakingthesilence.org.il/wp-content/uploads/2011/02/Women_Soldiers_Testimonies_2009_Eng.pdf
Dareen Tator
Une jeune poétesse du village de Reineh est dans la même situation qu’Atwan (voir encadré p.07). En octobre 2015, elle est arrêtée pour avoir posté sur Facebook des textes poétiques considérés comme dangereux car faisant appel à la résistance (sans toutefois parler de résistance armée ou de violence). Après avoir fait trois mois de prison, elle est désormais consignée à domicile, n’ayant le droit de sortir de chez elle que six heures par semaine, accompagnée de son frère. Selon Addameer, le nombre de jeunes femmes et de jeunes filles se retrouvant en prison a fortement augmenté depuis septembre 2015, passant de un à 12 cas dans l’espace de six mois. Même les Palestiniennes avec la citoyenneté israélienne ne sont plus à l’abri de cet arbitraire juridique, comme en témoigne le cas d’une jeune Palestinienne de Nazareth. Agée de 19 ans, arrêtée en octobre 2015 et mise en détention administrative, sous l’accusation d’incitation à la haine pour avoir écrit sur Facebook qu’elle voulait devenir une shahida, une martyre. La dernière fois qu’un « Arabe israélien » s’était pris une détention administrative, c’était il y a plus de dix ans. On peut donc craindre que l’emprisonnement de Dima al Wani, qui à l’âge de 14 ans est « la plus jeune détenue au monde », (voir bulletin n°68) ne soit pas un cas exceptionnel mais un signe avant-coureur des tendances futures en matière de répression.
Leurs mains pieds et leurs mains sont attachés durant leur transport vers l’hôpital et le restent jusqu’à leur entrée en salle d’accouchement. Et, dès que l’enfant est né, elles sont à nouveau ligotées.
palestine 10 DOSSIER RETOUR À LA CASE PRISON
Marwan Barghouti
UN DESTIN À LA MANDELA? par Caroline Hayek paru dans L’Orient-Le Jour, le 6 juin 2016
Sept députés belges ont appuyé la candidature au prix Nobel de la paix du leader palestinien emprisonné depuis 14 ans par Israël.
On le surnomme le Mandela palestinien. Parce que cela fait déjà vingt ans qu’il est incarcéré dans les geôles israéliennes, dont les quatorze dernières années sans discontinuer, et trois en isolement, Marwan Barghouti est devenu l’incarnation de la résistance palestinienne et le premier parlementaire palestinien détenu par l’État hébreu. En octobre 2013, a été lancée la campagne internationale pour sa libération ainsi que celle des 7000 autres prisonniers, dont 7 parlementaires, 400 enfants, 30 prisonniers pré-Oslo, 67 femmes, 20 journalistes, 750 détenus administratifs et des centaines de prisonniers malades. Défenseur des droits de l’homme, avocat acharné du pluralisme palestinien, tant religieux que politique, Marwan Barghouti a été la figure d’un combat politique, durant toutes ces années en tant que parlementaire, depuis son élection en 1996 jusqu’à son arrestation en 2002. Il est apparu comme « une composante essentielle de notre identité et de notre destin », estime le diplomate palestinien, Majed Bamya, coordinateur général de la campagne internationale pour la libération de Marwan Barghouti et de tous les prisonniers palestiniens, interrogé par L’Orient-Le Jour. Le 18 mai dernier, sept parlementaires belges, appartenant à cinq partis différents, ont présenté la candidature du leader palestinien au prix Nobel de la paix. Cette première nomination européenne vient appuyer davantage la campagne en faveur de sa libération. Marwan Barghouti, enfant de Kobar, près de Ramallah, naît en 1959. Alors adolescent, il s’engage dans le Fateh et cofonde le mouvement des jeunes du parti, les Chabiba, en Cisjordanie. À l’instar de Nelson Mandela, qui avait également formé le mouvement de la jeunesse au sein de sa faction politique, l’ANC. Cette nouvelle nomination au prix Nobel de la paix, par des parlementaires belges, vient s’ajouter à plusieurs autres. En janvier dernier, Adolfo Pérez Esquivel, Prix Nobel de la paix argentin, icône de la lutte pour la liberté contre les dictatures en Amérique latine et ancien prisonnier politique, a proposé le nom du leader palestinien. Le Parlement arabe a suivi, à l’unanimité, ainsi que le président de l’Union interparlementaire arabe et chef du législatif libanais, Nabih
Berry (pour mémoire : France : la Justice annule une décision de faire de Marwan Barghouti citoyen d’honneur d’une ville de banlieue parisienne).
« PERSONNAGE EMBLÉMATIQUE » Ces soutiens sont le fruit du travail acharné des meneurs de la campagne internationale pour la liberté de Marwan Barghouti et de tous les prisonniers palestiniens. Cette campagne a été lancée le 27 octobre 2013 depuis la cellule de Nelson Mandela, par l’homme qui était à l’origine de la campagne Free Mandela, Ahmad Kathrada, avant de passer lui-même 26 ans dans les geôles de l’apartheid. Elle a, depuis, reçu le soutien de 8 prix Nobel de la paix (Jimmy Carter, Adolfo Perez Esquivel, José Ramos Horta, Desmond Tutu, Mairead Maguire, Jody Williams, Sherin Ebadi, Rigoberta Menchú Tum), 115 gouvernements et 15 anciens chefs d’État. Le soutien est notamment venu de centaines de parlementaires, d’artistes et d’intellectuels du monde entier. De leur côté, les lauréats tunisiens du Nobel 2015 lui ont remis symboliquement leur prix. Gwenaëlle Grovonius, députée fédérale belge et présidente de la section Palestine de l’Union interparlementaire, est l’une des sept signataires ayant appuyé la candidature de Marwan Barghouti. « Pour moi, c’est un personnage emblématique de la résistance du peuple palestinien et tout à fait représentatif de la question plus large des prisonniers palestiniens », confie-t-elle à L’Orient-Le Jour. Engagée durant ses années d’étudiante en faveur de la cause palestinienne, Gwenaëlle Grovonius a, depuis son élection au Parlement belge en 2014, mené plusieurs actions en ce sens. «Pour l’instant, nous n’avons pas encore reçu de réaction de la part du Comité Nobel norvégien, mais même si cette candidature n’aboutit pas, le seul fait d’avoir réussi à mettre cette question en lumière et d’avoir mobilisé un grand nombre de parlementaires, tous partis confondus, pour soutenir cette action, est déjà un succès en soi », estime-t-elle.
CRIMINALISER LA LUTTE Figure de proue de la première Intifada en 1987, pour laquelle il sera expulsé en Jordanie jusqu’en 1994 jusqu’à la signature des
accords d’Oslo, puis de la seconde Intifada en 2000, Marwan Barghouti devient l’une des personnalités politiques à abattre. Alors secrétaire général du Fateh en Cisjordanie, il est arrêté en 2002 par les forces israéliennes et il est condamné le 20 mai 2004 pour cinq meurtres, y compris pour avoir organisé l’attentat du Sea Food Market à Tel-Aviv en 2002, dans lequel trois civils ont été tués. Le 6 juin, Barghouti est condamné à cinq peines de réclusion à perpétuité pour les cinq meurtres et à 40 ans d’emprisonnement pour tentative de meurtre. Le président sud-africain a, lui aussi, dirigé l’aile armée de son parti lors de son arrestation et a toujours prôné le droit à la résistance, même par le biais des armes. Pour Majed Bamya, Israël a arrêté Marwan Barghouti dans l’espoir de criminaliser la lutte du peuple palestinien. Refusant de se défendre, il a toujours clamé son innocence et a refusé de reconnaître la légitimité du tribunal israélien. Tout comme Mandela à l’époque. « Marwan a réussi à transformer son procès en procès de la puissance occupante », estime Majed Bamya. Fort du soutien de la population, mais également d’une partie de la communauté internationale, le prisonnier le plus célèbre de Palestine est devenu au fil de ses années d’incarcération un artisan de l’unité, de la liberté et de la paix. La campagne de dénigrement menée par le gouvernement israélien n’a su empêcher la montée en puissance de ce personnage politique, considéré par certains comme le nouvel Arafat. Alors que les chances de se voir remettre le prix Nobel de la paix augmentent au fil des semaines, le gouvernement israélien pourrait s’inquiéter de la popularité grandissante de son prisonnier numéro 1. Après dix années passées dans la cellule 28 de la prison de Hadarim, Marwan Barghouti a été transféré il y a deux semaines dans celle de Ramon, où il aurait été accueilli en héros par les autres détenus. Mais cinq jours plus tard, ses proches étaient sans nouvelles de lui, après un second transfert vers un lieu inconnu. Selon les informations recueillies par L’Orient-Le Jour, il serait désormais détenu dans la prison de Galbou, sous haute sécurité, et aurait été victime d’un transfert punitif.
Futur leader ? Dans le dernier sondage d’Awrad, l’un des instituts les plus importants de Palestine, Marwan Barghouti a été crédité d’une popularité inégalée et sans précédent de 82 % dans le territoire palestinien occupé, avec un taux de popularité plus fort à Gaza qu’en Cisjordanie. Toujours selon le sondage, « Marwan Barghouti est le leader le plus éligible, suivi de Mahmoud Abbas et d’Ismaïl Haniyé. Preuve que loin de l’avoir coupé de ses soutiens, l’emprisonnement de M. Barghouti a eu exactement l’effet inverse puisqu’il a renforcé sa légitimité aux yeux de la population palestinienne ». « Marwan est en ces temps de division le symbole de l’unité palestinienne ; en ces temps où l’occupation semble invincible, un espoir de liberté ; en ces temps de fanatisme, d’extrémisme et de terrorisme, un artisan de paix, de pluralisme, de coexistence », estime Majed Bamya, selon qui Marwan Barghouti peut être le catalyseur d’une nouvelle ère du projet national palestinien. Ce dernier serait le seul capable de reconstituer une unité palestinienne à même de réconcilier Ramallah et Gaza. La mobilisation des proches et des scènes nationale et internationale en faveur de la libération du leader palestinien fera-t-elle plier un jour où l’autre Israël, à l’heure où le gouvernement est plus à droite que jamais ? Sa détention arrangerait-elle certains hauts cadres du Fateh qui voient d’un mauvais œil les nominations au prix Nobel déferler? Selon une source proche de l’Autorité palestinienne, même les concurrents de Marwan Barghouti, qui pensaient que sa présence en prison l’éliminerait de tout destin national, ont désormais compris qu’il est le choix du peuple. « Ils ont désormais commencé à se rallier à lui. Soit par conviction, soit par calcul », confie-t-elle.
Depuis la publication de cet article en juin 2016, des parlementaires de différents groupes politiques du Maroc, ainsi que des organisations de la société civile, se sont joints à la nomination de Barghouti au prix Nobel. Pour les dernières péripéties de cette campagne, voir : http://fmaapp.org
palestine 12 DOSSIER RETOUR À LA CASE PRISON
Un “permis de torturer” »
BELGE À ISRAËL par Nathalie Janne d’Othée
Alors que le Comité des Nations Unies contre la torture dénonce l’utilisation par les forces de sécurité israéliennes de la torture et d’actes inhumains et dégradants durant les interrogatoires, le projet LAW TRAIN, financé par le programme européen de soutien à la recherche Horizon 2020, instaure une collaboration entre la police judiciaire belge, la KULeuven et la police israélienne sur les méthodes d’interrogatoire. Les organisations de la société civile dénoncent ce « permis de torturer » accordé à Israël et demandent que soient établis des critères éthiques beaucoup plus rigoureux pour l’accès aux fonds européens de soutien à la recherche. Lancé en mai 2015, le projet LAW TRAIN vise à développer des technologies qui permettront l’uniformisation des méthodes d’interrogatoire de police dans la lutte contre le trafic et les crimes transnationaux. Coordonné par l’université israélienne de Bar Ilan, il rassemble des équipes du ministère israélien de la Sécurité nationale, de la Police israélienne, du ministère de la Justice et de la Police du Portugal, du ministère de l’Intérieur et de la Guardia Civil de l’Espagne et enfin du SPF Justice belge. D’autres partenaires privés se joignent au projet de recherche, dont la faculté de droit, section criminologie, de la KULeuven.
UN CONTEXTE PROPICE Les récentes vagues d’attentats en Europe mettent la lutte contre le terrorisme au premier rang des priorités de nos gouvernements. Parallèlement, nombreux sont les articles de presse qui font écho au savoir-faire israélien en matière de sécurité, capable de faire face à une « menace terroriste » permanente. Dans une analyse publiée dans Politis (« Attentat de Nice : À ceux qui vantent le « modèle » israélien », Politis, 21 juillet), Denis Sieffert relève que même si la plupart de ces articles s’en tiennent à une description « technique » du modèle israélien, ils démontrent toute l’ambiguïté du concept de « terrorisme ». Comme il l’explique bien, « Que ce soit Daech, un psychotique alcoolique et délinquant, ou un Palestinien dont on vient de détruire la maison et les terres cultivables pour cause d’extension coloniale, c’est du pareil au même ». Un tel contexte favorisant l’aveuglement européen face aux violations de droits de l’Homme de leur partenaire «technique» israélien, quoi de plus naturel qu’un projet comme LAW TRAIN ?
LE PROJET LAW TRAIN EST LÉGALEMENT PROBLÉMATIQUE… Le projet LAW TRAIN est en tout premier lieu problématique légalement car il instaure une collaboration avec la Police israélienne dont le siège central se trouve dans Jérusalem-Est occupée, et ce,
en contravention avec le droit international qui énonce expressément que Jérusalem-Est ne fait pas partie du territoire d’Israël. En participant au projet aux côtés de la police israélienne, le SPF Justice belge contrevient aux obligations de la Belgique eu égard au droit international. De plus, lorsqu’un État viole le droit international, comme Israël lorsqu’il colonise illégalement le territoire palestinien, les États tiers ont l’obligation de lui intimer de respecter le droit international, de ne pas reconnaitre comme légale la situation illégale créée et de ne pas y porter assistance. L’Union européenne a depuis quelques années pris des mesures claires veillant à ne pas reconnaître la souveraineté israélienne sur les territoires occupés, au premier rang desquelles les Lignes directrices de juillet 2013. Celles-ci excluent de tout financement ou subside européen les entités établies ou ayant leurs activités dans les colonies. Leur première application en fut d’ailleurs le programme-cadre de financement de la recherche Horizon 2020, provoquant l’ire des Israéliens. Des projets ou des universités israéliennes basés dans les colonies se sont ainsi vus exclus du programme. Comment un projet comme LAW TRAIN a-t-il alors pu être accepté, alors qu’il instaure une collaboration avec la Police israélienne ? On ne peut que s’interroger sur la manière dont sont approuvés les nouveaux projets financés par Horizon 2020 et sur la manière dont les Lignes directrices de 2013 leur sont appliquées ? Le programme Horizon 2020 doit normalement subir une évaluation à mi-parcours en 2017. Ces questions mériteraient d’y recevoir des réponses.
ET ÉTHIQUEMENT INACCEPTABLE En deuxième lieu, le projet LAW TRAIN est éthiquement inacceptable. Devant l’admiration dont font l’objet les méthodes de sécurité israéliennes, il est nécessaire de rappeler que le « savoir-faire » israélien est le produit direct de son occupation du territoire palestinien, une occupation qui dure depuis bientôt cinquante ans. Cette occupation, dont la longueur commence à outrepasser la notion
INTERPELLATIONS d’« occupation temporaire » acceptée par la IV e Convention de Genève, s’accompagne de surcroît de violations incessantes des droits de l’Homme et du droit international. Sachant que le projet LAW TRAIN concerne les techniques d’interrogatoire, jetons un coup d’œil sur les dérives israéliennes dans ce secteur. Depuis longtemps, les ONG israéliennes, palestiniennes et internationales dénoncent l’utilisation de la torture et d’autres traitements inhumains et dégradants par le Shin Bet, la police et l’armée israéliennes lors des interrogatoires de prisonniers. Dans son cinquième rapport périodique sur Israël, publié en juin 2016, le Comité des Nations Unies contre la torture s’est dit très préoccupé par les multiples allégations de tels actes, notamment sur des mineurs palestiniens. À côté de cela, le Comité exprime également ses inquiétudes devant l’utilisation excessive de la détention administrative par les autorités israéliennes. Face à ces dénonciations, portée par une instance peu soupçonnable de partialité, comment un projet comme LAW TRAIN peut-il, d’un point de vue éthique, voir le jour ou en tous cas être maintenu ?
ABSENCE DE CRITÈRES ÉTHIQUES POUR L’ACCÈS AUX FONDS EUROPÉENS HORIZON 2020 Des membres de la société civile en contact avec la Commission européenne nous ont communiqué la teneur des critères éthiques définis par le programme Horizon 2020. Dans le cas précis du projet LAW TRAIN, aucun critère n’existe a priori ; il revient donc aux participants au projet d’en fixer eux-mêmes pour la durée du projet. Cette façon de procéder n’est ni fiable ni efficace. D’une part, les implications éthiques d’un projet devraient être posées avant le démarrage du projet et non durant son déroulement. Par ailleurs, il ne convient pas que des participants à un projet soient juges et parties. Comment en effet imaginer que l’on soit prêt à saboter soimême une possibilité de financement à laquelle on postule ?
C’est au sein même des institutions académiques qu’est aujourd’hui tirée la sonnette d’alarme. Après les cinquante professeurs qui avaient interpellé le recteur de UGhent sur la collaboration de l’université gantoise avec Israel Aerospace Industrie et Elbit Systems (“Geen propere handen” voor UGent in Israël, De Morgen, 16/5/2016), c’est aujourd’hui le collectif belge pour le boycott culturel et académique d’Israël (BACBI) qui interpelle Rik Torfs sur la participation de la KUL au projet LAW TRAIN (“KULeuven betrokken in project met Israëlische politie. Open brief aan rector Torfs”, De Wereldmorgen, 23/5/2016). Ces professeurs et chercheurs s’interrogent sur ses implications morales et juridiques pour l’université de Louvain, qui se rendrait ainsi complice de violations du droit international et des droits de l’Homme. Des campagnes et interpellations sont en outre lancées par la société civile. En Belgique, une série d’organisations ont déjà pris contact avec les participants belges au projet LAW TRAIN ainsi qu’avec les responsables du suivi d’Horizon 2020 au niveau belge. Au Portugal, une large coalition de la société civile, à laquelle s’est joint le parti vert, a entrepris une campagne pour dénoncer les participations portugaises au projet. Leur mobilisation s’est conclue par un succès puisque le ministère de la Justice et la police du Portugal viennent de se retirer du projet! Espérons maintenant que la réaction soit similaire en Belgique. Espérons également que le projet LAW TRAIN puisse servir de base pour l’établissement de meilleures balises éthiques pour le programme Horizon 2020, ainsi que pour d’autres traités et programmes de financements de l’UE.
palestine 14 DOSSIER RETOUR À LA CASE PRISON
# À qui le tour ?
6 MOIS ? 12 MOIS ? OU PERPÈTE SANS PROCÈS ? LA TOMBOLA DE L’OCCUPATION ISRAÉLIENNE L’ABP, en partenariat avec Présence et Action Culturelle (PAC), a lancé une campagne de sensibilisation et d’interpellation pour dénoncer les détentions administratives en Palestine occupée. La détention administrative est une mesure dont usent les autorités israéliennes afin de mater toute forme d’opposition des Palestiniens, aussi pacifique soit-elle, à l’occupation et à la colonisation. Si elle est normalement autorisée dans des cas spécifiques, son utilisation systématique et abusive par Israël en Palestine sort de tout cadre légal : les Palestiniens peuvent être en effet emprisonnés pour une période de 6 mois renouvelable indéfiniment sans qu’aucune charge n’ait été portée contre eux, sans qu’ils aient accès à leur dossier et sans qu’un procès ne soit ni envisagé ni intervenu. Le Palestinien détenu administrativement l’est le plus souvent sur la base de preuves « secrètes », connues des seules autorités militaires israéliennes. Ces « preuves » ne sont accessibles ni au détenu ni à son avocat. La torture et les châtiments corporels sont souvent pratiqués pour obtenir des aveux permettant d’inculper le détenu. Lorsqu’elle est d’une durée excessive ou qu’elle est renouvelée à plusieurs reprises, la détention administrative constitue de fait en elle-même un traitement cruel, inhumain et dégradant, en raison de son arbitraire et de l’angoisse profonde que cela suscite chez le détenu. Une ordonnance de détention administrative peut être en effet renouvelée le jour même, de son expiration sans que le détenu en soit ne serait-ce qu’informé au préalable. Les Nations Unies considèrent qu’Israël utilise cette procédure de manière arbitraire, en violation des droits de la défense et du droit à un procès. Aujourd’hui, plus de 750 Palestiniens –femmes, hommes et enfants – subissent cette forme de détention inacceptable.
LES DÉTENTIONS ADMINISTRATIVES POUR BRISER LA RÉSISTANCE PAC et l’ABP dénoncent l’usage abusif des arrestations administratives. Cette politique israélienne vise à mater toute résistance à l’occupation et à détricoter le tissu familial et social palestinien. De nombreux rapports d’organisations internationales attestent qu’Israël utilise la détention administrative comme moyen de punition collective, ce qui est en contravention avec le droit international.
Par cette campagne, nous demandons à l’État belge de condamner fermement cette pratique arbitraire et excessive de la détention administrative. Nous demandons qu’il appelle les autorités israéliennes à cesser d’y recourir et qu’il exige la libération immédiate de tous les prisonniers en détention administrative, en particulier des enfants, ainsi que de celles et ceux arrêtés dans l’exercice de fonctions liées à la poursuite de projets financés par la Coopération belge au Développement. À défaut d’une libération immédiate, exiger la tenue d’un procès équitable sur base d’une infraction reconnue par le droit international.
QUE FAIRE ? Nous ne voulons pas être complices de tels agissements ! Avec nous, faites pression sur notre gouvernement afin que cesse cette pratique arbitraire. – Signez la pétition en ligne demandant la libération d’Abu Sakha, artiste et professeur à l’école du cirque palestinien, https://miniurl.be/r-16j6 – Interpellez les parlementaires de la commission Relations extérieurs afin : – qu’ils condamnent fermement l’usage arbitraire et excessif que fait Israël de cette pratique ; – qu’ils demandent la suspension de la collaboration entre la Police judiciaire belge, la KULeuven et la police israélienne sur les méthodes d’interrogatoire dans le cadre du projet européen Law Train. (voir article page 12). Le SPF justice belge doit mettre fin à sa collaboration à ce projet, comme l’ont déjà fait la Police et le ministère de la Justice portugais. – Lettre d’interpellation sur le site : www.aquiletour.be
APPEL À SOUTIEN http://prisonnierspalestiniens.weebly.com/ http://samidoun.net/category/prisoners/bilal-kayed/ www.addameer.org
palestine 15 NEWS DU BDS
News du BDS
par Simon Moutquin
USA/ Canada 7 août 2015. Le soleil brille en Belgique, les terrasses bruxelloises sont bondées et la mer du Nord voit sa densité de population exploser proportionnellement à l’intensité des rayons du soleil. Pendant ce temps là, en Israël, un remake des meilleurs films d’espionnage du siècle dernier devient réalité; le gouvernement israélien crée officiellement « la commission anti-boycott » (Ok, ça donne beaucoup mieux en anglais). Après l’installation officielle de la commission, voici le message délivré par Erdan, ministre des Affaires stratégiques : « Boycotter Israël doit avoir un prix ! Si vous avez des informations sur quiconque prétend faire du tourisme et est en réalité un militant BDS séjournant en Israël – dites-le nous et nous agirons pour qu’il quitte le pays ». Ambiance, ambiance en Israël ! La Stasi est-allemande peut aller se rhabiller, voilà la nouvelle force anti-BDS israélienne ; tu critiques Israël, tu dégages ! (Ceci n’est pas une dictature, non non). Lors de mon prochain voyage en Israël-Palestine, peut-être qu’avoir écrit ces quelques lignes dans ce « Palestine » m’enverra, comme beaucoup d’autres avant moi, quelques heures en détention avant un retour express en Belgique. Ce jour-là, je leur sourirai, car je me rappellerai que 7000 prisonniers politiques palestiniens sont enfermés en Israël. Ce jour la, je leur sourirai, car je me souviendrai que deux générations avant moi, certains ont résisté pour bien plus qu’un vol Bruxelles – Tel Aviv…
D’ICI LÀ, VOICI QUELQUES NOUVELLES DU BDS :
Union européenne Nous vous en parlions dans le précédent numéro, plus la campagne de répression du BDS est agressive, plus BDS gagne en visibilité et amène des décideurs à prendre position politiquement. Une trentaine de parlementaires européens se sont prononcés, dans une lettre à Federica Mogherini, pour le droit à la liberté d’expression. Riya Hassan, coordinatrice du BDS en Europe, explique : « Cette lettre montre que le soutien au droit des citoyens et des organisations à prendre part au mouvement BDS continue d’augmenter en Europe, tout comme il augmente autour du monde. Il y a une préoccupation croissante à propos des attaques en cours contre la démocratie pour aider à protéger Israël des critiques et de ses responsabilités ».
Outre-Atlantique, la campagne présidentielle américaine se précise ; deux « va-t-en-guerre » seront candidats, autant dire que les prochaines années ne s’annoncent pas meilleures côté politique étrangère américaine. (Nous aurons l’occasion d’y revenir dans nos prochains numéros). Cependant, cette pré-campagne américaine nous apporte un vent d’optimisme : dans l’électorat de Bernie Sanders, le candidat démocrate qui a dû renoncer face à Clinton, son jeune électorat américain (80 % des jeunes démocrates l’ont soutenu), un discours clairement critique envers Israël était majoritairement soutenu. Par ailleurs, pour la première fois lors d’une élection américaine, Jill Sfeir, la candidate verte à l’investiture, a ouvertement parlé d’apartheid pour qualifier la politique du gouvernement israélien. Au Canada, alors qu’une loi anti-BDS a été adoptée par le parlement, le Parti vert a soutenu à une large majorité une motion demandant le boycott du Jewish National Found (JNF) impliqué dans la propagande archéologique israélienne. C’est certes un tout petit pas pour la cause palestinienne, mais un grand pas pour les Nord- Américains.
Portugal Le ministre portugais de la Justice a récemment annoncé que son pays se retirait du projet de coopération israélo-européen « Law Train » dont l’objectif était d’unifier les techniques d’interrogatoire des polices. Ainsi, l’Union européenne par son programme de recherche Horizon 2020 permet un partenariat avec un pays qui détient 7 000 prisonniers politiques palestiniens et dont les pratiques de tortures ont déjà été dénoncées par plusieurs ONG internationales. Le Portugal s’étant retiré de ce projet, il reste deux autres pays européens impliqués : l’Espagne et… la Belgique !
palestine 16 LA SAGE « BRUSSELS AIRLINES »
Brussels Airways
CÈDE SOUS LA PRESSION DU GOUVERNEMENT ISRAÉLIEN
Il y a quelques semaines, Brussels Airlines avait annoncé sa décision de retirer des barres « Vanilla Halva » de la marque Achva de son menu offert à bord. Un client, membre de Palestina Solidariteit, leur avait fait remarquer que ces produits étaient fabriqués dans la colonie israélienne de Barkan, en Palestine occupée. Le gouvernement israélien n’a pas tardé à réagir à cette décision, mobilisant non seulement l’ambassadeur israélien à Bruxelles et son ambassadeur à Berlin, mais également le ministre israélien du tourisme, Yariv Levin. Ce dernier a même déclaré vouloir bannir la ligne aérienne bruxelloise du ciel israélien. Cédant à la pression, la compagnie fait marche arrière et décide de réintégrer la confiserie dans son offre de catering. La porte-parole de la compagnie déclare : « En concertation avec le gouvernement israélien, nous avons décidé de rectifier notre faute. La décision de retirer ce produit, qui était correctement étiqueté, n’était pas la bonne car elle n’était pas politiquement neutre. Or c’est ce que nous désirons être. À l’avenir, nous réintégrerons donc, si notre fournisseur les propose, des produits provenant de ce producteur et issus de cette région ». Ci-dessous une lettre du professeur François Dubuisson, adressée à Brussels Airlines, en réponse à cet argumentaire fallacieux.
Bonjour, J’ai appris que votre compagnie offrait sur ses vols des pâtisseries « Vanilla Halva » produites par la firme israélienne Achva, dans une usine établie dans une colonie, localisée en territoire palestinien occupé, dans la zone industrielle de Barkan 1. Les colonies israéliennes sont installées en violation du droit international (4e Convention de Genève, article 49 – voir l’avis de la Cour internationale de justice relative à la construction du Mur, 9 juillet 2004) et le développement d’activités économiques dans ces colonies s’inscrit directement dans le maintien de cette situation illégale et se fait au détriment des possibilités de développement autonome de l’économie palestinienne, comme le constatent de nombreux rapports internationaux. Informée de ce fait, votre compagnie avait fort justement décidé de cesser de distribuer ce produit, afin de ne pas contribuer à la
promotion d’une activité économique illégale. Toutefois, cédant à la pression du gouvernement israélien, vous êtes revenus sur cette décision, l’estimant même fautive et contrevenant à une politique de neutralité. Or c’est au contraire l’offre et la poursuite de l’offre de ces produits en provenance des colonies israéliennes qui enfreignent à la fois des normes juridiques, éthiques et de neutralité. 1/ Les colonies israéliennes sont illégales au regard du droit international : hormis par Israël, ce point n’est contesté par aucun État. Il est établi par de nombreuses résolutions des Nations Unies, émanant tant du Conseil de sécurité que de l’Assemblée générale. Dans sa résolution 465 (1980), le Conseil a qualifié « la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans les territoires occupés » de « violation flagrante » du droit international. C’est la position officielle constante de l’Union européenne et de ses État membres, y compris la Belgique. Dans son avis du 9 juillet 2004 concernant le Mur, la Cour internationale de Justice a encore confirmé le fait que « que les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) l’ont été en méconnaissance du droit international ». En particulier, l’installation des colonies viole l’article 49 § 6 de la 4e Convention de Genève. Ce fait est également constitutif de crime de guerre au regard du Statut de la Cour pénale internationale. 2/ Il est dument établi que la société Halva est installée dans une colonie israélienne. Cette société s’est installée dans une colonie dans le cadre d’une politique d’incitation du gouvernement israélien, qui offre des conditions préférentielles sur le plan fiscal et financier aux sociétés s’implantant en Territoire palestinien occupé. Il n’est pas contestable que le commerce et les activités économiques menées par les colonies sont un élément qui renforce et pérennise la colonisation du Territoire palestinien, et que cette colonisation constitue le principal obstacle à la paix et au développement économique des Palestiniens. Le choix de s’associer à Achva, loin d’être
« Made in Illegality » est une campagne lancée en France et en Belgique en 2015, qui réclame l’interdiction des produits issus des colonies israéliennes sur le marché européen. François Dubuisson a écrit une étude juridique sur laquelle cette campagne est fondée. Vous pouvez la télécharger sur le site http://www.madeinillegality.org/IMG/pdf/fr-etude-dubuisson-madeinillegality.pdf
un choix neutre, vient donc apporter une caution à l’un des aspects les plus contestables de la politique israélienne. Dans une résolution adoptée en mars 2016 (avec l’appui de tous les États de l’UE), le Conseil des droits de l’homme de l’ONU se déclarait « préoccupé par les activités économiques qui permettent l’extension et la consolidation des colonies, et conscient que les conditions de culture et de production des produits provenant des colonies impliquent la violation des normes juridiques applicables, notamment l’exploitation des ressources naturelles du territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est et demandant à tous les États de respecter leurs obligations légales à cet égard ». 3/ Il ne vous est aucunement demandé de « boycotter » un produit et encore moins Israël, mais de vous conformer à certaines obligations de droit international et à des normes éthiques. Il vous incombe donc de vous abstenir de promouvoir un produit spécifique, dont les conditions de production renvoient à une politique de colonisation illégale. En décidant délibérément et en pleine connaissance de cause de continuer à proposer des produits en provenance des colonies, vous faites un choix politique, en faveur de la « normalisation » de la colonisation et du développement économique des colonies illégales. Les entreprises commerciales doivent veiller à ce que leur politique prenne pleinement en compte leur impact sur le respect des droits de l’homme, même à l’étranger. Les Nations Unies ont récemment adopté des « principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme » (2011) qui soulignent la responsabilité des entreprises dans le respect de ceux-ci, ce qui implique notamment d’éviter « d’avoir des incidences négatives sur les droits de l’homme ou d’y contribuer par leurs propres activités » . À cet égard, le Conseil des droits de l’homme, dans sa résolution précitée rappelait « les risques d’ordre financier et juridique et en matière d’image, y compris la possibilité que soit engagée la responsabilité des personnes morales impliquées dans des violations flagrantes des droits de l’homme et des atteintes aux droits de la personne, qu’implique le fait d’être associés à des
activités de colonisation, y compris par le biais de transactions financières, d’investissements, d’achats, de marchés publics, de prêts et par la prestation de services, et d’autres activités économiques et financières dans les colonies de peuplement israéliennes, ou au bénéfice de celles-ci ». Le Conseil souligne encore que les entreprises doivent prendre les mesures nécessaires pour « éviter l’impact néfaste de [s]es activités sur les droits de l’homme et d’éviter de contribuer à l’implantation ou au maintien de colonies israéliennes ou à l’exploitation des ressources naturelles du territoire palestinien occupé ». 4/ Dans votre communication, vous indiquez que le produit était correctement étiqueté. Les informations données à cet égard ne sont guère précises. L’étiquetage est-il bien conforme aux exigences de la législation européenne qui recommande l’indication « Produit de Cisjordanie (colonie israélienne) » ? Les passagers sont-ils dûment informés de cette provenance particulière ? Et en toute hypothèse, l’offre d’un produit dont les conditions de production sont illégales et qui contribuent à une situation contraire au droit international est en elle-même problématique tant au regard des normes juridiques que des considérations éthiques. La décision de continuer à promouvoir les produits Achva est donc extrêmement préoccupante, tant du point de vue juridique que de celui de l’image de Brussels Airlines, qui risque d’apparaître comme une entreprise indifférente aux droits de l’homme et comme un soutien de la politique de colonisation du gouvernement israélien. Très cordialement François Dubuisson Professeur de droit international ULB 1/ Voir les informations données à ce sujet par l’ONG israélienne « Whoprofits », http://www.whoprofits.org/company/ahdut-factory-tehina-halva-and-sweetsahdut-achva
palestine 18 ÉCHO DES RÉGIONS
C’est au début des années 80 qu’est née à Namur, à la suite des massacres de Sabra et Chatila, une section namuroise de l’Association belgo-palestinienne, proche de la Fondation Naïm Khader. Celle-ci, grâce à ses activités culturelles et politiques, a beaucoup contribué à informer une partie importante de la population namuroise sur la gravité du conflit israélo-palestinien, et ce, jusqu’en 1986.
Coordination namuroise
DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE par André Verlaine, Président C’est en 2011 que quelques militants namurois des années 80 et des militants de la Centrale Générale namuroise (CG) de la FGTB, actifs dans la préparation de voyages-témoignages en Palestine, ont mis en place le 23 juin, une Coordination namuroise belgopalestinienne. D’association de fait, celle-ci est devenue ASBL le 18 avril 2014. Elle est composée de personnes physiques et de plusieurs associations d'horizons différents, actives en province de Namur, dont la CG de la FGTB de Namur, le CNCD-CNAPD, le Centre d'action laïque de la Province de Namur, le MOC, la Ligue des Familles, OXFAM, HOPE-Espoir, Floreffe-Palestine, la Commune de Viroinval, l’Union des musulmans de Namur, le PAC, Solidaris, etc. Elle s’est donné comme objectifs d’être un relais local de l’Association belgo-palestinienne sur le conflit israélo-palestinien, de coordonner les initiatives des associations, d’informer, de débattre, de communiquer avec les médias, de mettre sur pied ses propres activités. Elle a signé la Charte BDS le 17 janvier 2015. La première activité publique de la Coordination a eu lieu le 17 octobre 2011 à la Maison de la Culture de Namur a été une conférence-débat sur le thème La création d’un État palestinien : pourquoi tant d’obstacles ? avec Leila Shahid et Pierre Galand. Depuis, elle a organisé ou co-organisé différentes manifestions, dont: des conférences-débats Avec Éric David, Alexis Deswaef, Véronique De Keyser, sur des thèmes comme La Palestine au féminin, Quel avenir pour les prisonniers politiques palestiniens ?, Réalités palestiniennes et Si j’étais né en Palestine. des animations, des films Venue du cirque de Ramallah et du Théâtre de Jenine à Namur, projection des films My land de Nabil Ayouch et Dancing in Jaffa de Hilla Medalia, en présence de Leila Shahid, expositions de photos Mères de Qalqilya – Traces de libertés, débats dans les écoles, Journées de « mini-foot pour la Palestine ». des manifestations Participation aux travaux du Tribunal Russel sur la Palestine, à Yalla Palestina à Bruxelles, à trois manifestations à Bruxelles lors de la guerre de Gaza en 2014 avec des départs en cars de Namur et distribution de tracts sur les marchés et dans
les gares, au « Salon des médias alternatifs » à Namur, à l’opération « On ne peut pas s’en foot » à l’occasion du match Belgique-Israël. des rencontres Avec le Dr Izzeldin Abuelaish à l’UNamur, avec Raed Abu Youssef président de la Coopérative Al Sanabel de Halhul au MOC, avec des partenaires palestiniens de SolSoc et Gwenaëlle Grovonius, députée fédérale. des concerts Al Manara et Mozart en Palestine (15 octobre 2016) au Théâtre de Namur. des récoltes de fonds Pour le financement d’une embouteilleuse de jus de raisin pour Al Sanabel (voir article de J-F Pollet Sous la Vigne, la Résistance dans le bulletin n°68 et l’appel à don ci-dessous). des partenariats La CNB-P est partenaire des « Conférences du Samedi » qui propose des débats sur des sujets d’actualité traités par des spécialistes dans un esprit critique, de la FUCID (UNamur), du Théâtre de Namur, de la librairie Papyrus à Namur, … La Coordination namuroise belgo-palestinienne ambitionne de travailler, avec tous les moyens qu’elle pourra développer en termes d’information, de débats, d’interpellations, à la construction de cet État palestinien qui tarde tellement à voir le jour. Elle en appelle, pour atteindre cet objectif, au soutien et à la mobilisation de l’ensemble de notre société démocratique, tant la société civile, les instances politiques et syndicales, les milieux culturels, le monde économique, etc., que tous les citoyens de bonne volonté. Contact : namur@abp-wb.be
APPEL À SOUTIEN La CNB-P fait un appel pour soutenir la coopérative agricole Al Sanabel. Cette aide servira à acquérir l’équipement nécessaire à fabriquer de jus de raisin, afin de pérenniser les sources de revenu de ces agriculteurs. Sur demande: comptes, budgets et schéma industriel de la coopérative. Pour les parculiers, via le compte ouvert par Oxfam pour le projet Al Sanabel. Compte bancaire OXFAM: BE37 0000 0000 2828 * avec la communication: «Palestine 8893». Exonération fiscale à partir d’un don de 40€ par an. Pour les associations et sociétés: compte bancaire CNB-P: BE10 7555 4841 3704 avec la communication: «Al Sanabel».
palestine 19 LE DÉCLIC
Le déclic
Le comité de rédaction a décidé d’initier une nouvelle rubrique intitulée « Le déclic ». Nous vous invitons tous, les membre de l’ABP et les autres, à nous envoyer un texte qui décrit le moment clé dans votre vie où vous avez choisi de vous engager pour la Palestine. Gardez le texte en-dessous de 2 000 signes et envoyez le à sophie@abp-wb.be.
Sylvie Picavet
Ibrahim Khayar
Je suis allée en Palestine pour la première fois en 2009. Un ami d’enfance m’avait envoyé, quinze jours avant le départ, un avis de mission d’observation civile organisée par l’ABP. Une demi-heure m’a suffi pour compléter et renvoyer le formulaire d’inscription. Je savais que le voyage me bouleverserait, mais je n’imaginais pas à quel point. La distance entre le savoir théorique et le vécu est immense quand il s’agit de la Palestine.
Je m’appelle Ibrahim Khayar, j’ai 23 ans et je suis étudiant à Bruxelles. Cela fait deux ans que je suis engagé au sein de Comac, le mouvement de jeunes du PTB, que j’ai rejoint à la suite des attaques israéliennes sur la bande de Gaza durant leur opération criminelle de 2014. Ces évènements m’avaient poussé à me poser la question suivante : pouvais-je me dire propalestinien tout en ne faisant strictement rien pour faire progresser leur lutte ? Ou m’offraisje juste une bonne conscience en allant de temps à autre aux manifestations ? Il a fallu que je regarde la réalité en face : c’était bien la deuxième option qui prévalait. C’est là que j’ai eu le « déclic », et c’est depuis que je tente d’approfondir constamment mon engagement en qualité et de l’élargir en diversité. En diversité, parce qu’il s’agit pour moi de mettre en pratique un des principes fondamentaux que l’on m’a inculqué dès ma plus tendre enfance : le bon côté d’une lutte n’est jamais celui des oppresseurs, mais toujours celui des opprimé.e.s. À cela, s’ajoutait ma nouvelle prise de conscience, si bien résumée par Desmond Tutu : « Demeurer neutre dans des situations d’injustice, c’est choisir le parti de l’oppresseur ».
Voir de mes yeux ce que je savais déjà par mes lectures, l’occupation, la colonisation, l’apartheid, le déni de toute liberté m’installa dans le vécu et me transforma. Ce vécu a provoqué en moi des émotions, des sentiments que je ne connaissais pas ou que j’avais peu éprouvés dans ma vie antérieure, ou avec une moindre intensité. Arriver en Palestine, être confronté aux interrogatoires interminables, se déplacer de façon contrainte, faire la file aux check-points, être à nouveau arrêté, fouillé, interrogé pour aller d’une ville à l’autre distante de 20 km. Aller un vendredi à la manifestation pacifique hebdomadaire contre la construction du Mur et des colonies et voir que l’on creuse déjà une tombe parce que les soldats tirent des canettes de gaz ou des bombes sonores avec des projectiles à haute vélocité (quand ce ne sont pas de vraies balles) et en visant les manifestants. Ne pas se laver ce matin car il y a coupure d’eau, d’électricité et tant d’autres expériences mortifiantes... Simplement vivre le quotidien ordinaire des Palestiniens. Et puis, le retour. Que faire de ce vécu perturbant, bouleversant ? Ce sont les émotions et leur intensité qui m’ont motivée à réagir, à agir, à devenir une militante active. Cela m’a fait grandir. Grandir, c’est agir, poser des actes en adéquation avec sa pensée, ses options. Fonder une harmonie entre ma pensée, mes choix et mes actes est devenu mon chemin de vie, et ce, opiniâtrement et dans tous les domaines de la vie.
Ainsi, les luttes n’étaient plus séparées dans mon esprit, et se fondaient progressivement les unes dans les autres. Et le plus beau, c’est que cette vision d’une convergence des luttes et de l’intersectionnalité des formes de domination grandit parmi les jeunes qui s’engagent partout dans le monde. En témoigne par exemple la solidarité témoignée les un.e.s aux autres par un grand nombre d’activistes afro-américain.e.s et palestinen.ne.s lors des émeutes de Ferguson et qui se poursuit à ce jour, ou encore la plateforme BDS et la solidarité qu’elle a pu créer sur le terrain entre activistes de préoccupations diverses. J’ai pu en faire directement l’expérience sur mon campus. Et c’est ainsi que je conçois mon engagement aujourd’hui: comme un engagement global pour une société plus juste, plus égalitaire, et qui respecte le droit des Palestinien.ne.s sur leur terre.
palestine 20 ENTRETIEN
Photographier
LA (NON)RECONSTRUCTION À GAZA entretien avec Virginie Nguyen Hoang, propos recueillis par Sophie Feyder
Jeune photojournaliste bruxelloise, Virginie Nguyen Hoang s’est régulièrement rendue à Gaza entre juillet 2014 et février 2016. Son sujet ? La vie après la guerre, la reconstruction… ou plutôt l’absence de reconstruction. Gaza: The Aftermath (Éditions CDP/Collection des Photographes), qui sort cet automne 2016, est son premier livre. Comment t’es-tu intéressée à la Palestine, et plus particulièrement à Gaza ? En 2008, j’ai pris part à un projet de Génération Palestine dans lequel des étudiants en journalisme, des profs et des professionnels de Suisse, de France et de Belgique ont dû réaliser un documentaire sur la Cisjordanie. Je ne connaissais pas la problématique en profondeur, je commençais à peine mes études. Mais j’ai tout de suite vu la réalité sur place : des Palestiniens se faire expulser de leur maison à Jérusalem-Est, les réfugiés dans les camps à Ramallah… C’est là que je me suis vraiment intéressée au conflit et plus généralement à la région, ce qui a par la suite guidé mes choix de cours. J’ai vécu 2 ans en Égypte, où j’ai travaillé pour un journal local, j’ai photographié en Libye, en Syrie. Comment t’est venue l’idée du projet Gaza, the Aftermath ? Le déclencheur, ça a été la guerre de 2014. J’étais en vacances en Belgique et je ne supportais pas de voir ça à la télé, je n’arrivais pas à rester sur place. C’est comme ça que je m’y suis rendue une première fois, pour couvrir la guerre. L’idée du livre est venue au retour. La guerre en elle-même a pu bénéficier d’une grosse couverture médiatique, mais une fois le cessez-le-feu instauré, on ne voyait plus rien. Mais, ayant vu les dégâts qu’a occasionnés cette guerre, tous ces quartiers entièrement rasés, je pensais sans cesse à tous ces gens se retrouvant du jour au lendemain sans abri. Je me demandais : « mais comment vont-ils faire ? ». Pendant la guerre, il y a certes la tragédie des pertes humaines, mais la vraie crise humanitaire, c’est celle qui affecte ceux qui sont restés vivants, c’est maintenant qu’elle se passe. J’ai trouvé nécessaire de raconter l’histoire de l’après-guerre, à travers quatre familles dans différents endroits de Gaza. Car l’histoire n’est pas la même dans chaque région : à Khuza’a, ils ont vécu l’opération terrestre, alors qu’à d’autres endroits ce sont surtout les bombardements qu’ils ont subis.
En tout, entre juillet 2014 et février 2016, tu t’es rendue quatre fois à Gaza. Comment as-tu pu à chaque fois négocier ton entrée à Gaza? Est ce que ça a été difficile ? La première fois c’était archi-facile, alors qu’on était en pleine guerre. En deux jours, j’étais à Gaza. Normalement, avec une carte de presse, c’est facile, plus facile que pour les militants ou les employés d’ONG. Il a suffi que je prenne un bus de l’armée israélienne, qui organisait étrangement le transport de journalistes jusqu’au check-point d’Erez, l’entrée de Gaza. C’était très bizarre, on se sentait comme dans un bus touristique rempli de journalistes. On a dû faire un petit arrêt à une station service car c’était trop dangereux de continuer, prétendument parce que le Hamas tirait des roquettes (au bruit, c’était clair que c’était des bombardements israéliens et pas des roquettes). Par contre, à chaque retour, ça devient de plus en plus compliqué. La dernière fois que j’y suis allée, en février 2016, c’était quatre heures d’interrogatoire à Ben Gourion, avec fouille en prime. Ils avaient tout l’historique de mes voyages. Le fait d’avoir été en Syrie, en Égypte, au Libye, en Tunisie, plusieurs fois à Gaza, c’était suspect pour eux. En gros, ils voulaient savoir si j’avais eu des contacts avec le Hamas, le nom de mon contact làbas… Je ne sais pas si la prochaine fois, je passerai. Comment as-tu organisé ton séjour une fois sur place ? Comment as-tu pu établir tes contacts ? J’ai pris tous mes contacts sur place, pendant la guerre. Je me suis fais une très bonne amie là-bas, qui est aussi ma traductrice et ma « fixeuse », qui m’a beaucoup aidée sur place. Cela a pris du temps de trouver des familles qui voulaient bien se laisser photographier et d’établir des liens de confiance avec eux. Je leur ai expliqué que c’était un travail de longue haleine, sur plusieurs années, que j’allais être avec eux du matin au soir, parfois la nuit, que je voulais vraiment me fondre dans leur quotidien sans qu’ils fassent trop attention à moi.
Pourquoi avoir fait ce choix de te focaliser sur la famille et le quotidien ? Ce qui m’intéressait, c’était de raconter le quotidien des familles qui ont partiellement ou totalement perdu leurs maisons, et comment ils ont fait pour se reconstruire un quotidien, que ce soit matériellement ou psychologiquement. Le choix de se centrer sur les familles, ça me permettait de toucher aux différents problèmes que rencontre cette population, mais aussi d’explorer un élément central dans la culture arabo-musulmane – les relations familiales. Je trouvais que c’était la meilleure façon de raconter la reconstruction ou justement l’absence de reconstruction. Comment en tant que photographe gères-tu la tension entre le fait de t’immiscer dans un quotidien plutôt trash et l’envie de composer de « belles » photos ? Je me considère plus journaliste que photographe. Je vise l’esthétique dans une certaine mesure, car c’est le propre de mon média. Mais je suis surtout à la recherche de moments qui peuvent créer de l’émotion, car c’est l’émotion qui te fait retenir l’information. Et il est impossible de trouver ces moments sans établir une certaine intimité avec les gens que je photographie. À part les soucis d’entrés et de sortie, as-tu rencontré d’autres obstacles dans ton travail? Des moments de crise ? J’ai vécu les bombardements pendant la guerre – il y avait une nuit en particulier où j’ai cru que notre immeuble allait s’écrouler, un gars avait lancé une roquette de l’immeuble d’à côté, je voyais les bombardements se rapprocher de plus en plus… On est resté enfermés toute la nuit dans notre appart avec un petit groupe de journalistes, on avait enfilé nos gilets pare-balles, comme si ça allait changer quelque chose (rires). Il y a eu une autre fois où on a dû se rendre au service du renseignement du Hamas, qui nous soupçonnait d’être des espions. On n’était pas très tranquilles, c’est le moins qu’on puisse dire (rires).
De retour en Belgique, que retiens-tu de cette expérience ? Qu’est-ce qui t’a le plus marquée ? Cela n’a pas été facile de revenir de Gaza après la guerre. J’avais déjà vécu des situations similaires ailleurs, mais ce qui m’a le plus marquée à Gaza, ce sont les enfants. En Syrie et aussi en Égypte, j’ai vu des cadavres, notamment après le massacre de Rabaa, mais c’étaient des corps de combattants ou alors de civils mais adultes. À Gaza, c’était dur d’entendre tous ces gamins qui pleuraient de douleur ou de peur dans cette salle d’hôpital. Je me souviens de ce bombardement à Beach Camp le jour de la fête de l’Aïd, qui a tué 7 enfants. C’était dur, parce que je pensais à mon neveu qui a plus ou moins le même âge, je ne pouvais pas l’imaginer vivre la même chose. Les gens de Gaza disent que ça a été la pire guerre qu’ils aient jamais vécue en termes de séquelles sur la population. La fille d’une des familles que j’ai photographiée, leur fille a 13 ans – elle a déjà vécu trois guerres. Trois guerres, tu t’imagines ? Un de pères que j’ai interviewé disait que ses gosses avaient des problèmes de comportement, ils étaient toujours très nerveux et excités, à cause de la guerre et de leur situation instable depuis que leur immeuble a été détruit. Comment s’est faite cette collaboration avec Jean-Pierre Filiu et Ziad Medoukh ? Une amie m’avait offert le livre de Jean-Pierre Filiu (Histoire de Gaza, éditions Fayard/Pluriel 2015), qui retrace l’histoire de Gaza depuis le 19e siècle jusqu’à 2014. J’ai adoré son livre et je l’ai tout de suite contacté pour lui demander d’écrire une préface pour le mien. Il a aimé mon travail, mon approche des familles, et il a accepté. Une autre amie m’avait parlé de Ziad Medoukh, un poète francophone gazaoui qui travaille à l’Institut français. En une semaine, il m’a envoyé un poème, écrit en réaction à la série d’images que je lui avais envoyée. On est en train de voir comment on peut organiser un petit événement à l’Institut français pour le lancement du livre. Sachant les difficultés à rentrer à Gaza, ce serait plus commode de passer par une valise diplomatique des copies du livre. Cela me permettrait d’en faire parvenir aux familles qui ont participé au projet.
palestine 22 LIVRES
UNE PAROLE JUIVE CONTRE LE RACISME
livres
une initiative de l’Union juive française pour la paix (UJFP), publiée en 2016 par les Éditions Syllepse, Paris, 90 pages
ISRAEL AND SOUTH AFRICA ; THE MANY FACES OF APARTHEID par Ilan Pappé, auteur et éditeur, Zed books, RU, 2015, 362 pages (en anglais)
Ilan Pappé est professeur d’Histoire à l’université d’Exeter (RU), ancien directeur de l’Institut d’études palestiniennes et israéliennes de Haïfa. Il est l’auteur de nombreux livres sur les questions palestiniennes. Cet ouvrage rassemble les contributions d’un vaste panel d’historiens, hommes politiques, journalistes et juristes, provenant d’Israël, des USA, d’Afrique du Sud,… chacun ayant occupé une position clé qui lui permet de discerner dans la relation de l’État d’Israël à ses sujets palestiniens une forme d’apartheid. Son propos est de démontrer que les prémices de « la solution à deux États » du conflit israélo-palestinien, qui supposent
qu’une seule et même terre est convoitée par deux mouvements nationaux en lutte, avec les mêmes droits, le même attachement pour cette terre, etc., sont fausses. La vraie cause du conflit en est le colonialisme des occupants et son système d’apartheid : le conflit ne se situe pas dans la rivalité entre deux mouvements égaux qui revendiquent la même terre, mais entre des colons et la population native, deux groupes séparés par l’apartheid. Vue sous cet angle, la résolution du conflit devient simple : « décolonisation d’Israël/Palestine et remplacement du régime israélien par la démocratie et l’égalité pour tous ». C.S.
Ce petit livre, abondamment illustré, est destiné à un large public, de jeunes, d’enseignants, d’éducateurs, de militants. Il traite de racisme et pas seulement d’antisémitisme et nous enseigne que toutes les politiques qui visent l’épuration ethnique et les attitudes de rejet, d’exclusion, de persécution sont à combattre et que c’est en luttant ensemble que nous pouvons gagner ce combat. Le souvenir des persécutions et du génocide des Juifs impose de ne jamais se mettre du côté des bourreaux; cependant, et quelles que soient les blessures occasionnées à le raviver, nous devons constater qu’aujourd’hui, écrivent les auteurs, les principales victimes du racisme ne sont plus les Juifs. Dès lors, en proposant une parole juive contre le racisme, ils prennent le parti de l’universel contre tous les nationalismes, celui de la fraternité contre tous les replis identitaires et de l’action solidaire en faveur des réfugiés, des Roms, des peuples en lutte contre l’oppression,… C.S.
palestine 23 ÉVÉNEMENTS
événement MOZART EN PALESTINE
in memoriam liberté, mais aussi ceux des droits de l’Homme, auxquels il était très attaché. » Samir Bendimered Mozart en Palestine ambitionne de faire dialoguer entre elles l’œuvre baroque et la musique palestinienne, l’Occident et le Moyen-Orient.
Palestine. 2014. Samir Bendimered participe au Festival de musique sacrée de Ramallah avec l’ensemble Andantino, il y fait la rencontre de Ramzi Aburedwan, président de l'association Al Kamandjati et co-créateur avec Eloi Baudimont du spectacle Al Manara, qui prône la recherche d'une paix juste au ProcheOrient par la musique, l’art et la culture. Le compositeur belge lui propose alors d’adapter Mozart dans un voyage en dialogue avec la musique palestinienne. Ensemble ils choisissent de revisiter son Requiem, son œuvre la plus connue mais aussi la plus pleine de mystère. De fait, cette œuvre inachevée fut écrite par Mozart sur la commande d’un jeune comte profondément meurtri par la mort de sa jeune épouse. Il s’agit d’une œuvre profane écrite à la mémoire de la disparue. « Comme si Mozart nous léguait une partition dans laquelle des pages resteraient à écrire ensemble pour, chaque fois, réaffirmer le principe de la
Interprété par l’ensemble palestinien Dal’Ouna : Ramzi Aburedwan (bouzouk), Abeer Nehme (chant), Munther Alraee (chant), Tammam Saeed (oud), Alfred Hajjar (ney), Ayham Ayesh (qanoun) et Tareq Rantisi (percussions) [on a pu en entendre certains dans le projet Al Manara], l'ensemble à cordes Acanthe, un piano (Nadia Verrezen), quatre chanteurs lyriques [Hamada Tachfine (soprano), Lorenzo Carola (ténor), Hanna BardosFeltoronyi (alto), Paul Gérimon (baryton)] et l’ensemble vocal Andantino. Coproduction : Andantino et Ultreya asbl 14 octobre à 20 h Église Saint-Jacques, Tournai info 069 25 30 80 15 octobre à 20 h Théâtre de Namur info 081 226 026 16 octobre à 16 h Église Saint-Jean-Baptiste, Molembeek info 02 415 86 03 Plus d’infos sur la page facebook Mozart en Palestine ou au n° 0478 58 51 18
Henri Weber, prêtre du Brabant Wallon, fut professeur de religion, adjoint au vicaire général pour le Brabant Wallon, puis aumônier au MOC. Il avait consacré les dernières années de sa vie à la Palestine. Il nous a quittés cet été, le 29 juillet, à l’âge de 87 ans. Nous lui savons particulièrement gré de son engagement sans faille en faveur du peuple palestinien. L’ABP rend hommage à un compagnon de route, un homme de conviction. Un hommage lui sera rendu le 15 octobre 2016 à 15h00, à la salle communale de Haut-Ittre (Rue des Haut du Ry-Temel, 1461 Haut-Ittre). Inscription : 0475 53 32 76 ou genevieve.freres@gmail.com. PAF : 5 €.
éditeur responsable Pierre Galand – rue Stévin 115 à 1000 Bruxelles