palestine
Belgique/België P.P. Bruxelles X 1/1624
BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL TRIMESTRIEL N°58 – OCTOBRE/NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2013 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130
SOMMAIRE DOSSIER 20 ans d’Oslo > 3 News du BDS > 11 Analyse de la situation à Gaza > 12 Interview de Mehdi Dehbi > 16
Plage au Nord de Gaza, juillet 2012. Madeline Kullab est seule femme pêcheur de Gaza. Madeline est devenue pêcheur quand la blessure de son père a empêché de ce dernier de travailler. C'est la seule source de revenus de la famille. Son intégration au sein des autres pêcheurs s’est faite dans la douleur. Le Hamas la harcèle quotidiennement pour qu’elle abandonne son métier. Ce petit bateau à fond plat est celui qu’utilisait Madeline à ses débuts. Depuis que le Hamas a confisqué sa barque à moteur, elle le réutilise les fois où elle ne peut pas louer l’embarcation d’un autre pêcheur. Son frère l’accompagne pour l’aider. Photo et texte Yann Renoult (http://cargocollective.com/yannrenoult)
palestine 02 ÉDITO
QUE
d’hypocrisie… par Pierre Galand, Président
C’est à bon droit que la Commission européenne a adopté en juillet dernier de nouvelles Lignes directrices sur la participation d’Israël aux programmes de l’Union européenne. Ces règles sont censées empêcher Israël de bénéficier de soutiens financiers européens à la recherche et au développement dans les colonies de peuplement en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
On ne laisse pas tomber un aussi fidèle allié dans une région où tant les Européens que les États-Unis et l’Otan le considèrent comme le porte-avions de la défense occidentale. C’est ainsi qu’au mépris de toutes les règles de droit et des conventions internationales, Israël peut poursuivre imperturbablement son occupation et le grignotage incessant des territoires palestiniens.
Voilà enfin une initiative conforme à la légalité internationale. Le président Peres et le gouvernement Netanyahou s’en sont aussitôt offusqués et ont dépêché de toute urgence à Bruxelles nombre de délégués pour dénoncer à cor et à cri ces nouvelles mesures européennes. John Kerry, le Secrétaire d’État américain en charge des négociations dites « de paix », est intervenu lui aussi, arguant que ces mesures étaient malvenues au moment où devaient démarrer les négociations du soi-disant « processus de paix ». Cela s’appelle de la tentative d’ingérence…
Seule une pression cohérente et continue des associations de défense des Droits de l’Homme, des syndicats, des ONG et des comités de solidarité avec les justes revendications des populations palestiniennes et de leurs organisations pourra contraindre les décideurs politiques européens à axer véritablement leur politique extérieure vers la promotion de la démocratie et du respect des droits de l’Homme dans leurs partenariats euro-méditerranéens.
Il nous faut nous mobiliser pour que l’UE applique ces nouvelles mesures car elle n’est que trop coutumière de belles déclarations mais aussi d’engagements qui restent tous lettre morte. Qu’a-telle fait, en effet, pour empêcher la mise en chantier de 1 708 logements au cours des 6 premiers mois de cette année 2013 dans les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ? Ces chiffres sont révélés par le mouvement israélien La Paix Maintenant. Qui, des responsables européens, a condamné fermement les nouvelles constructions dans les colonies et les nouvelles implantations sauvages ailleurs dans les territoires occupés ? C’était pourtant la seule condition de la partie palestinienne posée à M. Kerry pour reprendre les négociations. Des sanctions européennes ou étatsuniennes ont-elles été prises et lesquelles ? Bien au contraire, la Commission européenne s’exonère à bon compte de ses obligations liées au respect du droit international et poursuit avec persévérance la mise en œuvre d’un ensemble d’accords de coopération, de recherche, de libéralisation de son commerce, d’échanges culturels avec l’État d’Israël et son gouvernement populiste d’extrême-droite. Elle le fait d’ailleurs avec la complicité de tous ses États membres.
palestine no 58
Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche, Nadia Farkh, Pierre Galand, Julien Masri, Christiane Schomblond, Gabrielle Lefèvre, Rabab Khairy, Hocine Ouazraf, Nathalie Janne d’Othée / Ont contribué à ce numéro Rachel De Plaen, Antoine Yassine / Relecture Ouardia Derriche Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asbl Siège social rue Stévin, 115 à 1000 Bruxelles Secrétariat quai du Commerce 9 à 1000 Bruxelles tél. 02 223 07 56 / fax 02 250 12 63 / abp.eccp@skynet.be www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 / Tout don de plus de 40 euros vous donnera droit à une exonération fiscale Graphisme Dominique Hambye & Élise Debouny Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
palestine 03 DOSSIER 20 ANS D’OSLO
20 ans
D’OSLO Il y a vingt ans déjà, le monde entier a pu voir la fameuse poignée de main échangée entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, sur le perron derrière la Maison Blanche. L’annonce d’un accord secret entre Palestiniens et Israéliens avait alors suscité d’immenses espoirs, des espoirs qui ont pourtant été rapidement déçus. Ce dossier entend à la fois revenir sur les grands faits du processus de paix, des pourparlers secrets à Oslo jusqu’à leur récente et peu crédible relance de juillet 2013 (page 4), mais aussi analyser les acquis et les erreurs d’Oslo ainsi que les perspectives pour l’avenir, le tout sous différentes perspectives (interview en pages 5 à 8 et article en pages 9 et 10).
© J. David AKE - AFP
DOSSIER
palestine 04 DOSSIER 20 ANS D’OSLO
Le processus d’Oslo QUELQUES REPÈRES par Hocine Ouazraf
Sur fond de reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens en juillet 2013, les Palestiniens « célébraient », le 13 septembre 2013, les 20 ans de la signature des Accords d’Oslo et de ce qui allait devenir par la suite le « Processus d’Oslo ». L’occasion de revenir sur les grandes lignes et principaux enjeux d’un processus de paix d’abord encensé puis tant décrié.
Alors qu’en 1991, le monde entier avait les yeux tournés vers Madrid où se déroulait la Conférence de paix sur le Moyen-Orient, qui réunissait l’ensemble des États de la région, pendant ce temps, Israéliens et Palestiniens menaient en secret des pourparlers qui allaient déboucher sur la signature, sur le perron de la Maison Blanche en septembre 1993, d’accords dits d’Oslo – Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires – (ci-après DP). Saluée par l’ensemble de la communauté internationale, la signature de ces accords avait été précédée d’un échange de lettres dans lequel Israël reconnaissait l’OLP comme le représentant légitime du peuple palestinien et l’OLP reconnaissait officiellement l’existence de l’État d’Israël. L’accord prévoyait la mise en place d’un « redéploiement » négocié et graduel de l’armée israélienne des Territoires autonomes palestiniens et un régime d’autonomie intérimaire ne devant pas dépasser cinq ans. Une Autorité palestinienne (ci-après AP), véritable gouvernement avec des prérogatives semi-étatiques, chargée de mettre en œuvre ces accords et de poursuivre leur négociation, allait voir le jour. Parallèlement aux différents « redéploiements », la DP stipulait que les deux parties ouvriraient des négociations sur les dossiers épineux (réfugiés, colonies, Jérusalem, frontières, …) avec pour point d’orgue la conclusion d’un « statut final » pour le 4 mai 1999 au plus tard. La mise en œuvre de ces accords débute en mai 1994 (Accords du Caire) par l’évacuation de Gaza et Jéricho. L’accord de Taba signé en septembre 1995 étend l’autonomie à l’ensemble de la Cisjordanie et prévoit l’élection d’un Parlement palestinien. Il est à noter que la DP ne fait pas mention d’un État palestinien en tant que tel. Conformément aux termes de l’accord de Taba, les premières élections palestiniennes avec l’élection d’un Parlement et d’un Président de l’AP auront lieu en 1996. Le processus d’Oslo sera ponctué par différents cycles de négociations débouchant chacun sur la signature d’un accord élargissant les zones autonomes (Accords de Wye River en 1998, Accords de Charm El Cheikh en 1999, …). Dès février 1994, avec le massacre d’Hébron qui a vu un colon extrémiste tuer 29 Palestiniens en prière au Caveau des Patriarches, les premières brèches dans le processus de paix se font sentir. L’assassinat de Rabin en 1995 lui portera, quant à lui, un coup fatal. Devant l’absence de résultats concrets, la poursuite de la colonisa-
tion des territoires palestiniens et les nombreux retards dans le redéploiement sur le calendrier prévu, la tension monte dans les territoires palestiniens avec pour seule réponse la répression violente de l’armée israélienne. Conscient de la gravité de la situation, le Président Clinton convoque un sommet de la « dernière chance » à Camp David en juillet 2000. Affaiblis, les Palestiniens n’en voulaient pas. Selon eux, ce sommet était insuffisamment préparé alors que l’on devait y aborder les questions les plus complexes. Il se terminera d’ailleurs le 25 juillet sur un échec cuisant dont les administrations israélienne et américaine rendront Yasser Arafat, le Président de l’AP, entièrement responsable. Une ultime tentative de sauver un processus de paix en totale décomposition est lancée par Clinton en 2001 au sommet de Taba. Un accord de paix est à portée de main et de l’avis même des équipes présentes à ce sommet, jamais Israéliens et Palestiniens n’ont été si proches d’un accord de paix. Malheureusement, l’arrivée au pouvoir d’Ariel Sharon en 2001 en Israël et de Georges Bush aux États-Unis, l’éclatement de la Deuxième Intifada et le déclenchement de l’Opération « Rempart » en 2002 avec la destruction systématique de tous les symboles de l’AP mettront définitivement à mal un processus déjà moribond, voire à l’agonie. En 2003, on assiste à une nouvelle relance du processus de paix avec la « Feuille de route ». Gérée collectivement par le Quartet (Union européenne, Russie, États-Unis et Nations Unies), le document prévoit l’établissement en trois étapes d’un « État palestinien indépendant, démocratique et viable » avant fin 2005. Aucune des étapes n’a été réalisée, alors même que la « Feuille de route » a été dûment approuvée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Enfin, en 2007, à l’invitation des États-Unis, Israéliens et Palestiniens se rencontrent à Annapolis dans le Maryland en compagnie de représentants de seize États arabes avec pour seul résultat la lecture par G. Bush d’une déclaration prévoyant un État palestinien pour la fin 2008 au plus tard. Cinq ans plus tard, même s’il n’est pas déclaré officiellement mort avec la reprise en juillet dernier des pourparlers de paix entre Israéliens et Palestiniens, il ne fait aucun doute que le processus connaît un état de mort clinique qui cache mal sa mort véritable.
20 ans d’Oslo
ENTRETIEN CROISÉ AVEC LEILA SHAHID ET PIERRE GALAND propos recueillis par Hocine Ouazraf
À l’occasion du vingtième anniversaire des Accords d’Oslo, le comité de rédaction de Palestine a estimé opportun de dresser un bilan de ces 20 années de négociations au travers d’un entretien croisé avec Leila Shahid, Ambassadeur de Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg, et Pierre Galand, Président de l’Association belgo-palestinienne. Quel a été votre sentiment lorsque vous avez appris l’existence des accords d’Oslo ? Leila Shahid : La surprise totale parce que je n’étais absolument pas au courant des négociations secrètes d’Oslo. En revanche, je suivais de très près les négociations à Washington qui ont suivi la Conférence internationale de Madrid (1991) et où, pour la première fois, une délégation palestinienne dirigée par le Dr Haidar Abdel Shafi négociait au nom des Palestiniens. Celles-ci ont duré deux ans et je pense qu’on aurait dû les poursuivre. Malheureusement, dans un dossier aussi complexe et difficile que le conflit israélo-palestinien, il y a beaucoup d’éléments qui entrent en jeu : le local, le régional et l’international. La position du Président Arafat à Oslo les prenait tous en compte. Et puis n’oublions pas, pour le Président Arafat, la symbolique importante du retour en Palestine après un long exil !
Pierre Galand : En mai 1993, j’étais en Palestine et en Israël où je pilotais une délégation de personnalités belges de haut niveau appartenant à différents milieux (syndicats, universités, …). Colette Avital, députée travailliste à la Knesset et membre de l’Internationale socialiste, nous avait alors informés d’un évènement important à venir. Quelques mois plus tard, nous apprenions l’existence des accords d’Oslo. C’était une époque où les travaillistes croyaient encore à une solution négociée. En tant que mouvement de solidarité avec le peuple palestinien et comme c’était l’OLP – son représentant légitime – qui avait mené les négociations, nous les avons soutenues bien que certains points restaient flous. Oslo était à défendre car l’existence du peuple palestinien était enfin reconnue. Une partie du mouvement de solidarité, il faut le dire, avait des doutes quant aux possibilités d’aboutir à une solution équitable avec ces accords.
palestine 06 DOSSIER 20 ANS D’OSLO
« Oslo était à défendre car l’existence du peuple palestinien était enfin reconnue. Pierre Galand
Quels ont été les acquis d’Oslo pour le peuple palestinien ? LS : La spécificité du mouvement national palestinien est qu’il a pris naissance dans l’exil parmi les réfugiés. Les Palestiniens menaient leur lutte en exil (Jordanie, Liban, Tunisie, …). Avec Oslo, le mouvement national palestinien revenait chez lui au sein de la mère patrie. Arafat disait : « Oslo ne nous donne pas un État mais il ramène la Palestine en Palestine ! ». Grâce à Oslo, nous avons connu des élections en 1996 et 2006, certes sous occupation militaire, mais elles ont eu le mérite d’exister. Nous avons créé des institutions qui sont une ébauche de traduction du projet national palestinien et de son chemin vers son droit à l’autodétermination, même si je reconnais les questions qui se posent quant à une vraie souveraineté. Mais il y a eu là un fait irréversible : le mouvement national palestinien est rentré dans sa patrie. PG : Oslo n’a pas été un acquis que pour les seuls protagonistes directement concernés ; il l’a été aussi pour le monde entier et pour tous ceux qui voulaient s’impliquer dans la question. Un des acquis d’Oslo dans le monde post-guerre froide a été l’émergence d’un espoir au niveau planétaire d’une nouvelle ère de paix ! L’Internationale socialiste, qui a servi d’intermédiaire entre Israéliens et Palestiniens, en est une illustration. De plus, le processus euro-méditerranéen de Barcelone avec la Palestine comme partenaire de la rive Sud de la Méditerranée a signifié que les Européens reconnaissaient la Palestine comme acteur à part entière avec un rôle central dans la stabilisation de la région. Là aussi, c’était un acquis du processus. Pourquoi les accords n’ont-ils pas abouti à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination ? LS : Rappelons que la « Déclaration de principes » qui a lancé la dynamique d’Oslo était un accord intérimaire qui devait, au terme d’une période de 5 ans, aboutir à la création d’un État palestinien en mai 1999. Or l’assassinat de Rabin, qui avait été fomenté par ce que le Président Arafat appelait une « OAS israélienne » (ndlr. « organisation armée secrète ») a mis à mort la possibilité d’un accord définitif
juste et durable entre Israéliens et Palestiniens. Pendant toutes ces années de négociations, nous avons huit premiers ministres israéliens, dont deux seulement étaient favorables à un accord avec les Palestiniens ! Dans la stratégie palestinienne, il n’y a pas eu de vision d’un plan B au cas où certains dirigeants politiques israéliens rejetteraient Oslo. L’idée de la création d’un État de Palestine vivant aux côtés d’Israël, en filigrane de la logique d’Oslo, n’a jamais rencontré d’écho favorable au sein du Likoud. On le voit bien aujourd’hui avec Netanyahou qui fait tout pour anéantir l’espace vital de l’État palestinien en intensifiant la construction de colonies. Pour le Likoud, la Palestine existe déjà en Jordanie ! PG : Oslo n’a pas abouti à cause des différents gouvernements israéliens successifs et en cela, je partage l’analyse de Leila. Mais il faut ajouter que les Israéliens ont réussi, dès la signature des accords d’Oslo, à marginaliser les Nations Unies en tant qu’instance internationale qui devait soutenir les Palestiniens dans leur lutte légitime pour leur droit à l’autodétermination. Certains préconisaient même la dissolution du Comité pour les droits inaliénables du peuple palestinien aux Nations Unies. L’Ambassadeur à la tête de cette instance n’osait même plus affirmer haut et fort le rôle des Nations Unies dans le soutien à la lutte du peuple palestinien ! LS : Les Américains iront même jusqu’à dire aux Palestiniens que les Nations Unies devaient maintenant renoncer au vote annuel des résolutions 242 et 338, comme cela se faisait depuis des années. Celles –ci n’auraient plus eu de raison d’être ! Jusqu’à l’UNRWA qui devait disparaitre pour les Israéliens ! Les Américains et Israël ont tout fait pour éliminer les arbitres objectifs (ONU, UE, …) pour nous coincer dans un tête-à-tête bilatéral avec Israël. Il faut rappeler qu’à partir de 2001, le contexte international n’était plus favorable à notre lutte. Les attentats de Ben Laden et la réponse de l’administration Bush ont complètement dévoyé la nature de notre résistance. En effet, on a versé la lutte du peuple palestinien dans le camp du terrorisme, ce qui a porté un coup fatal à la négociation politique
« »Dans la stratégie palestinienne, il n’y a pas eu de vision d’un plan B au cas où certains dirigeants politiques israéliens rejetteraient Oslo.
Leila Shahid
entre Israéliens et Palestiniens. Il faut dire que ça a été savamment orchestré par Israël qui y avait le plus grand intérêt. Les forces progressistes israéliennes qui avaient soutenu le processus d’Oslo sont rentrées elles aussi dans cette logique de confrontation. C’est une des raisons de l’échec d’Oslo. L’aboutissement de la « guerre contre le terrorisme » menée par Israël contre le peuple palestinien a été l’enfermement d’Arafat dans son bunker de la Mouqata’a. Sans compter la destruction systématique de tous les symboles d’une Autorité palestinienne qui pouvaient s’apparenter de près ou de loin à un État palestinien émergent en devenir. Selon vous, existe-t-il des hommes politiques israéliens « pragmatiques » à l’image de Rabin capables de mener leur peuple vers la paix ? LS: Aujourd’hui, très franchement, avec l’équipe actuelle qui comprend des idéologues du racisme comme Liberman ou Naftali Bennett, il n’y a pas moyen d’avancer d’un iota. Mais il faut dire que les forces politiques progressistes israéliennes qui pourraient voir l’émergence de nouveaux Rabin sont totalement marginalisées par l’Union européenne et les États-Unis. Pourquoi les électeurs israéliens voteraientils pour les forces progressistes alors que ce sont les partis de droite qui sont les enfants chéris des Occidentaux ? Netanyahou peut montrer à ses électeurs qu’il obtient tout de l’Union européenne, quoi qu’il fasse d’illégal en jouissant d’une totale impunité. Et aux ÉtatsUnis, on peut même avancer que sa parole pèse plus que celle d’Obama. Il n’y aura de nouveaux dirigeants israéliens de gauche capables de s’imposer que le jour où le monde entier rendra les Israéliens redevables d’explications sur leur politique à l’égard des Palestiniens. L’échec de la gauche en Israël n’est pas seulement l’échec des Israéliens, c’est aussi l’échec de la communauté internationale ! Comment l’Autorité palestinienne voit-elle son avenir face à l’échec des accords d’Oslo? LS : Nous n’avons pas encore officiellement déclaré Oslo mort. Le Président Abbas, lors de la récente reprise de pourparlers de paix en
juillet 2013, s’est donné un maximum de neuf mois de négociations avant de décider quoi que ce soit. Aujourd’hui, on ne peut pas dire que les choses évoluent positivement, sachant que les négociateurs n’arrivent même pas à se mettre d’accord sur les termes de référence qui doivent servir de base à la négociation (frontières, capitale, …). Le mouvement national palestinien a connu plusieurs phases en fonction de la réalité politique du moment : l’exil d’abord avec l’OLP et l’intérieur ensuite avec l’Autorité palestinienne. Peut-être trouvera-t-on une troisième voie post-Autorité palestinienne qui sera déterminée par nos rapports avec Israël et le reste du monde. En tous les cas, pour Abbas, ces négociations sont les dernières dans le cadre du processus dit d’Oslo. Si elles échouent, nous entrerons dans cette nouvelle phase dont je vous parlais, la phase où ce sera la communauté internationale qui devra imposer l’État de Palestine ! PG: On ne peut pas parler de l’échec d’un processus qui était légitime. Il a été dévoyé ! Quand les Nations Unies admettent la Palestine en tant que Membre observateur, pour moi, ça s’inscrit totalement dans ces différentes phases dont parle Leila. Quels impacts peuvent avoir les révolutions arabes sur la situation en Palestine ? LS : Les printemps arabes que j’appelle personnellement « Intifada arabe » sont le fruit de mouvements sociaux qui émanent des forces vives des sociétés arabes, d’où la tendance à parler d’Intifada à leur propos. Malheureusement, ces mouvements ont été récupérés par des forces conservatrices comme les islamistes. La société civile palestinienne, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, est connectée à ce mouvement ; elle s’enrichit et souffre en même temps de ces révolutions. Mais aujourd’hui, Israël considère que la Palestine n’occupe plus la position centrale qu’elle avait auparavant. Netanyahou l’a encore répété il y a quelques jours à Bar Ilan. Aujourd’hui pour Israël, la menace majeure contre la paix en Méditerranée, ce n’est plus le conflit israélo-palestinien mais l’idéologie islamiste incarnée par le « Grand Satan » qu’est l’Iran. Au lieu d’encourager les chan-
Il a fallu l’intervention des sociétés civiles à travers le monde pour voir les États assumer leurs responsabilités en décrétant l’apartheid crime contre l’humanité. Pierre Galand « »
CITOYEN D’HONNEUR DE LA PALESTINE gements vers la modernité politique des mouvements sociaux dans le monde arabe, Israël préfère se lancer dans une offensive militaire contre l’Iran. C’est dire quel est l’impact de ces mouvements sur Israël qui craint l’avènement de la démocratie dans le monde arabe. Israël est réactionnaire ; au lieu de saisir cette opportunité de changement dans le monde arabe, il lui préfère la confrontation. Israël a un penchant avéré pour la guerre dans laquelle il voit sa seule possibilité de survie au Moyen-Orient.
De passage à Bruxelles, le 23 octobre 2013, le président palestinien Mahmoud Abbas a décerné la citoyenneté d’honneur palestinienne à Pierre Galand, président de l’Association belgo-palestinienne, « pour son rôle dans le renforcement des liens d’amitié et de coopération entre la Belgique, l’Europe et la Palestine au niveau des sociétés civiles et des institutions étatiques et pour son inestimable soutien à l’application du droit international, en particulier le droit à l’autodétermination, à la souveraineté et à l’indépendance ».
PG : La Palestine garde aux yeux des populations du monde arabe toute son importance. À Tunis lors du Forum social mondial, tous les participants ont réaffirmé la centralité de la question palestinienne. Pour eux, à travers le règlement de cette question, on réaffirmera la primauté des droits des peuples. Or aujourd’hui, avec les États-Unis et Israël, on assiste à la volonté de remettre en cause les normes fondamentales du droit international qui sauvegardent les droits des peuples. Par ailleurs, le sionisme déstabilise toute la région du Moyen-Orient, comme l’apartheid en son temps était un facteur de troubles en Afrique australe. Plusieurs États de la région, regroupés en une « ligne de front » (Angola, Mozambique, Zimbabwe, …), se sentant déstabilisés par l’apartheid, ont réagi en luttant contre cette idéologie raciste, étant conscients que leur situation ne changerait pas sans le règlement du problème sud-africain. C’est un peu le même phénomène que nous vivons au Moyen-Orient où les peuples arabes en lutte savent que leur salut passera par la résolution du conflit central israélo-palestinien.
Une belle reconnaissance après 40 ans d’engagement et de militantisme pour les droits du peuple palestinien.
Quel rôle l’Union européenne peut-elle jouer à l’avenir pour soutenir une solution juste et durable de ce conflit ? LS : Les Américains et les Européens ont salué les accords d’Oslo sans accompagner le processus. Pour eux, il s’agissait d’une question bilatérale entre Israéliens et Palestiniens. Comme s’il était imaginable qu’une Puissance occupante soit capable de traiter d’égal à égal avec une entité occupée. Les Européens ont aidé financièrement les
Palestiniens mais n’ont pas aidé à mettre fin à l’occupation israélienne de la Palestine. Les Européens n’ont vu après Oslo qu’une opportunité de réorganiser leurs relations économiques et commerciales avec les pays du pourtour méditerranéen et de créer un espace de libre échange. Seul le critère commercial entrait en ligne de compte. Avec les printemps arabes, l’Union européenne a compris qu’elle s’était trompée de stratégie dans cette région du monde. Comment créer une zone de libre échange dans cette région avec une cause d’instabilité aussi grave que le conflit israélo-palestinien et l’absence de démocratie? Les Européens comprennent aujourd’hui qu’ils doivent assurer les bases politiques d’une véritable politique de voisinage. PG : Je voudrais faire un parallèle avec l’Afrique du Sud. L’aveuglement coupable de l’UE à l’égard de l’apartheid dans les années 70 et 80 ressemble à s’y méprendre à la politique de l’UE à l’égard d’Israël aujourd’hui. L’Afrique du Sud disposait d’armes atomiques et on faisait entière confiance aux Blancs pour régler le problème. Il a fallu l’intervention des sociétés civiles à travers le monde pour voir les États assumer leurs responsabilités en décrétant l’apartheid crime contre l’humanité.
palestine 09 DOSSIER 20 ANS D’OSLO
VINGT ANS D’OSLO…
et après ?
par Nathalie Janne d’Othée
Ils sont Palestiniens, Israéliens, internationaux ; ils ont été acteurs ou penseurs des accords d’Oslo ou en ont subi les conséquences ; ils ont commenté les vingt ans du processus « de paix » né en 1993. Des propos communs reviennent sur les maigres acquis et surtout les faux espoirs du processus. Certains aussi se souviennent de l’époque.
DES ACTEURS DES NÉGOCIATIONS SE SOUVIENNENT
1993 : SOUTIEN SANS ENTHOUSIASME
Certains occupaient des postes centraux et ont été les témoins privilégiés de la mise en place du processus d’Oslo. Après une réunion secrète à Tel Aviv avec Jan Egeland, le ministre adjoint aux Affaires étrangères norvégien et le négociateur israélien Yair Hirschfeld, Yossi Beilin rapporte comment il a été décidé que le partenaire pour la paix serait la représentation de l’OLP à Tunis. Des premiers contacts eurent lieu avec Ahmed Qurei à Oslo avant que Hirschfeld et Beilin en avertissent Shimon Peres, alors ministre des Affaires étrangères, de peur que ce dernier leur dise d’abandonner ce canal pour privilégier les négociations multilatérales initiées à Madrid. De son côté, Hanan Ashrawi faisait partie du leadership palestinien durant la Première Intifada et à ce titre, a participé aux négociations multilatérales à Madrid. Dans un entretien accordé à l’université Brown en septembre dernier, elle dit néanmoins regretter que les accords d’Oslo aient été négociés en secret, sans consulter l’équipe qui négociait à Washington. Les conséquences ont été des accords d’Oslo fondés sur le principe de « terres contre paix », alors que les accords de Madrid se construisaient sur le droit international.
D’autres se souviennent de la période des accords d’Oslo, même s’ils n’en étaient pas directement parties prenantes. Ils semblent tous partager à peu près le même sentiment. Uri Avnery dit avoir pensé dès le départ qu’il y avait un déséquilibre flagrant dans l’accord, le déséquilibre entre un occupé et un occupant. Malgré cela, il se rappelle avoir soutenu les accords parce qu’il y voyait le lancement d’une dynamique de paix. Pour Michel Warschawski, il s’agissait de la moins mauvaise des solutions. Denis Sieffert relit son opinion dans la revue française Politis à cette occasion : « Il y est question de « bantoustans » et de territoires « sillonnés par des colonies de peuplement dont la protection justifiera l’omniprésence militaire » et d’un accord « lourd de toutes les crises futures ». Mais paradoxalement, il se souvient avoir approuvé ces accords. Le nouvel historien israélien Avi Shlaim se souvient aussi avoir soutenu ces accords, mais admet aujourd’hui qu’Edward Saïd avait raison en les qualifiant de « Versailles palestinien ». L’engouement n’était donc pas à son comble en 1993, mais beaucoup ont soutenu les accords, préférant cette solution au statu quo.
Hanan Ashrawi souligne aussi la difficulté d’une administration palestinienne gérée par des Palestiniens exilés depuis des décennies et cela, à plusieurs niveaux. Premièrement, leur connaissance des réalités du terrain était faible, ce qui les a empêchés d’anticiper correctement les conséquences des propositions mises sur la table par les négociateurs israéliens. Par ailleurs, l’OLP était auparavant la représentante de tous les Palestiniens, ceux de l’intérieur mais aussi les 5,5 millions de réfugiés de l’époque. L’installation de l’OLP sur la terre palestinienne a été perçue par les réfugiés comme un abandon de leur cause.
LES DÉTERMINANTS DE L’ACCORD Pourquoi ces accords ont-ils été conclus à ce moment-là ? Pascal Boniface répond en précisant qu’aucun accord n’aurait vu le jour sans le réalisme des dirigeants palestinien et israélien de l’époque. Yasser Arafat et Yithzak Rabin avaient tous deux la conviction qu’il était dans leur intérêt de faire des concessions réciproques. Du côté israélien, on sentait que l’aide des Américains n’était plus si inconditionnelle que par le passé. G.H. Bush avait en effet menacé le précédent Premier ministre Yithzak Shamir de ne plus garantir les prêts américains à Israël si la colonisation se poursuivait de la sorte.
palestine 10 DOSSIER 20 ANS D’OSLO
Michel Warschawski constate en outre que les accords étaient finalement avantageux pour les Israéliens puisqu’ils leur ont permis de déléguer à la fois le financement de l’occupation et la gestion d’une partie de l’appareil sécuritaire aux Palestiniens. Si les concessions ont été nombreuses pour parvenir à un accord en 1993, c’est donc surtout du côté palestinien. La rencontre historique entre Yasser Arafat et Yithzak Rabin est sans conteste le fait qui reste dans tous les esprits. Les deux leaders étaient animés d’une même conviction qu’il fallait conclure la paix et étaient capables de convaincre une majorité dans leur camp de les suivre. La fameuse poignée de main à la Maison Blanche et la reconnaissance mutuelle qu’elle symbolise est sans doute l’acquis le plus important de ces accords, pour ne pas dire le seul.
DES LACUNES Les opinions parues à l’occasion des 20 ans d’Oslo ne sont pas enthousiastes, loin de là. Elles sont en effet beaucoup plus prolixes sur les lacunes que comportaient les accords et sur les raisons de leur échec. On a déjà évoqué le fait que la nouvelle Autorité palestinienne était une autorité issue de l’exil et donc pas la mieux rodée pour administrer des territoires nouvellement autonomes. Mais le plus important est ce qu’Avi Shlaïm souligne : l’absence dans les accords de la mention d’un État palestinien indépendant. Hanan Ashrawi fait également remarquer que si les Palestiniens reconnaissaient l’existence d’Israël, les Israéliens, eux, ne faisaient que reconnaitre l’OLP comme représentant du peuple palestinien. Selon elle, lorsque Rabin se lance dans les négociations, il assure au départ les Israéliens qu’il n’y aura pas d’État palestinien pour les convaincre de lui faire confiance. Dans son opinion sur les 20 ans d’Oslo, l’Anglais Ben White explique de la même manière que le plan était de « créer une entité palestinienne qui soit moins qu’un État » pour « gérer de manière indépendante les vies des Palestiniens sous son autorité », tandis qu’Israël garderait une « Jérusalem unie » et les plus grands blocs de colonies. La colonisation israélienne n’a en effet pas cessé durant toutes les négociations d’Oslo. De 260 000 en 1993, les colons israéliens sont passés aujourd’hui à 515 000 en Cisjordanie et Jérusalem-Est. Selon l’historien Avi Shlaïm, la colonisation est le principal facteur d’échec des accords d’Oslo puisqu’elle rend caduque la base même du compromis « paix contre terres ». Le militant palestinien Omar Barghouti revient sur l’absence dans les accords d’Oslo de référence à l’ensemble des droits inaliénables du peuple palestinien, en particulier le droit à l’autodétermination et le
droit au retour des réfugiés. Uri Avnery souligne quant à lui l’erreur des Israéliens qui est de ne pas avoir mis en place un système pour qu’il y ait une continuité géographique entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Ce qui a contribué de fait à la division du leadership palestinien qu’on connait aujourd’hui. Les accords d’Oslo étaient donc marqués par de nombreux manques qui, dès le départ, ont miné leurs chances de réussite.
OSLO EST MORT, QU’EST-CE QUI LUI SUCCÈDE ? Une chose est sûre pour tous : le processus d’Oslo est mort. Seul l’Israélien Yossi Beilin semble encore espérer quelque chose du cycle de négociations initié l’été dernier mais souligne qu’il s’agit de la dernière chance d’une solution à deux États. Les autres constatent la fin d’une période, la nécessité même d’y mettre fin. Mais qu’est-ce qui succèdera à ces vingt ans ponctués de négociations de plus en plus vaines ? La solution à deux États est-elle encore viable ? Quel avenir pour la lutte du peuple palestinien pour son autodétermination ? Pour beaucoup, l’échec des accords d’Oslo signifie l’échec de la solution à deux États. Pour la juriste palestino-américaine Leila Farsakh comme pour beaucoup d’autres, la seule solution est celle d’« un État unique, incluant Juifs et Arabes, et basé sur les valeurs d’égalité et de justice pour tous ». Mais, quelle que soit la solution, comment y parvenir ? Pascal Boniface rappelle l’urgence de la situation qui, aujourd’hui, ne fait que s’envenimer. Israël ne peut sans cesse ignorer le droit international et le droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes sous peine de se retrouver aux prises avec une véritable « bombe à retardement ». Dans le contexte actuel, les négociations ont montré toutes leurs limites. Ali Abunimah, le chroniqueur de Electronic Intifada, revient sur les initiatives issues de Palestiniens oubliés par les accords d’Oslo comme les Palestiniens de la diaspora qui, aux États-Unis, ont créé un mouvement qui prend de l’ampleur. Certains Palestiniens d’Israël ont également décidé de réoccuper leurs villages sans attendre que le droit au retour leur soit accordé. Et enfin, le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions initié en 2005 ne fait que grandir depuis. Ce sont autant de fenêtres d’espoirs dans un horizon qui, après vingt années de prétendues négociations, semble à première vue bien bouché.
Les opinions sur lesquelles se basent cet article sont référencées sur le site de l’Association belgo-palestinienne.
palestine 11 NEWS DU BDS
News du BDS Désinvestissements Retrait d’un projet de traitement des eaux usées à Jérusalem-Est L’entreprise d’ingénierie néerlandaise Royal HaskoningDHV a annoncé qu’elle se retirait d’un projet de traitement des eaux usées dans Jérusalem-Est occupé. Le projet aurait bénéficié aux seuls colons installés à Jérusalem-Est et cela, alors que les autorités israéliennes refusent des projets sanitaires et environnementaux essentiels aux Palestiniens. Royal Haskoning DHV a précisé dans un communiqué que leur retrait était motivé par une volonté de la société de respecter le droit international. (Source : Electronic Intifada)
Un syndicat norvégien met fin à son contrat avec G4S Industri Energi Norway, un important syndicat norvégien, a mis fin à un contrat avec l’entreprise de sécurité G4S afin de marquer son opposition au rôle joué par l’entreprise dans l’équipement et les services fournis aux prisons et colonies israéliennes. Le leader du syndicat a expliqué dans la presse que ce geste était un acte de solidarité avec la lutte du peuple palestinien. (Source : BDSMovement.net)
Veolia Transport se désengage des lignes de bus qu'elle gérait en Palestine occupée Veolia Transport Israel (aussi connue comme Connex Israel) a revendu les lignes de bus qu’elle exploitait dans les colonies à la société israélienne Afikim. Jusqu’il y a peu, Veolia Transport possédait des lignes de bus opérant sur des routes réservées aux seuls colons et desservant les colonies de Cisjordanie. Néanmoins, malgré la revente de ses lignes de bus, la multinationale Veolia reste impliquée dans l’occupation par le transfert des déchets israéliens qu’elle assure via une filiale vers la décharge de Tovlan située en Palestine occupée, ainsi que par ses parts dans les sociétés Citypass et Connex Jerusalem qui chapeautent le fonctionnement du tramway reliant Jérusalem-Ouest aux colonies de Jérusalem-Est. (Source : Who Profits)
Quelques actualités et victoires du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions…
Du côté académique
Des appels d’académiques en appui aux Lignes directrices de l’UE On ne peut réellement parler de « boycott académique » pour cette nouvelle, mais elle vaut la peine d’être relevée. six cents intellectuels israéliens ont en effet adressé à José Manuel Barroso, Président de la Commission, ainsi qu’à Catherine Ashton, la Haute représentante de l’UE, une lettre pour les encourager à maintenir l’application des Lignes directrices excluant de tout financement européen les entreprises israéliennes opérant directement ou indirectement dans les territoires palestiniens occupés. Parallèlement, cinq cents académiques de treize pays européens – dont dix-neuf Belges – ont également écrit à Catherine Ashton afin que l’UE maintienne ses Lignes directrices malgré les pressions. (Sources : ECCP et BRICUP)
Sanctions
40 organisations palestiniennes demandent à l’UE de ne pas céder aux pressions américaines Une quarantaine d’organisations de la société civile palestinienne ont, dans un communiqué, encouragé l’UE à ne pas céder aux pressions américaines contre les Lignes directrices qu’elle a promulguées en juillet dernier. Elles demandent également à l’UE de prendre d’autres mesures, afin de contraindre Israël à respecter le droit international, telles que la suspension de l’accord d’association UE-Israël, des mesures pour que les acteurs privés ne puissent plus opérer dans les territoires occupés, en ce compris Jérusalem-Est, des mesures en vue de s’assurer que les fonds européens pour la recherche ne bénéficient pas à des entreprises militaires ou des initiatives publiques visant à développer les capacités militaires israéliennes, l’application d’un embargo militaire bilatéral total envers Israël. (Source : BDSMovement.net)
palestine 12 GAZA
Prises entre deux feux, 1 701 437 personnes sont donc soumises à une punition collective et à une vie indigne.
Gaza
DANS L’ÉTAU
par Marianne Blume
LE BLOCUS ISRAÉLIEN On dit qu’il a commencé après l’élection du Hamas et a été renforcé après la prise de pouvoir du Hamas (2007) quand Israël a déclaré Gaza « entité ennemie ». En fait, il existe depuis les accords d’Oslo. C’est le COGAT (organisme militaire) qui décide des biens qui peuvent entrer et en calcule la quantité. Les matériaux de construction, le gaz, les produits nécessaires à l’assainissement des eaux mais aussi certains aliments sont/ont été interdits. Actuellement, sur les 4 points de passage des marchandises, trois ont été fermés et seul Kerem Shalom fonctionne encore mais il est sous-équipé. Le passage des personnes est restreint aux marchands, aux malades avec accompagnant et aux employés des organisations internationales. Même pour ces catégories, les refus de permis sont nombreux. Résultats : chômage : 34,5% ; dépendance à l’aide humanitaire : 80% de la population ; insécurité alimentaire : 57% (OCHA). Les terres cultivables sont à 35% inaccessibles (zone de 300 à 500 m le long de la frontière avec Israël) ; les pêcheurs ne peuvent dépasser les 3 milles marins (contre les 20 milles prévus dans les accords d’Oslo) sous peine d’être l’objet de tirs, de voir leur bateau arraisonné et confisqué ou d’être emprisonnés : le nombre d’incidents a doublé depuis 2012. L’eau de l’aquifère est à 90% impropre à la consommation, ce qui oblige la population qui le peut à acheter de l’eau potable. D’ici 2020, Gaza n’aura plus d’eau potable (ONU). Ce sont 90 millions de litres d’eaux usées non traitées qui sont rejetés dans la mer, faute d’avoir pu être traitées (produits de traitement interdits). Vu les restrictions en fourniture d’électricité imposées par Israël et le manque de carburant pour la centrale électrique de Gaza (qui, à plein régime, couvre 30% des besoins de Gaza), les coupures d’électricité sont quotidiennes. Au niveau santé, 27 des 128 médicaments essentiels sont en rupture de stock et 16 d’entre eux sont en nombre limité. Les exportations sont quasi inexistantes.
L’ÉGYPTE : DESTRUCTION DES TUNNELS ET PASSAGE DE RAFAH Les tunnels ont constitué depuis le blocus une sorte de poumon pour la bande de Gaza, notamment pour le carburant, le gaz ménager et les matériaux de construction mais aussi pour l’approvisionnement en nourriture et autres biens de consommation. Sous Moubarak, le passage de Rafah était difficile et lors de l’opération « Plomb durci » (2008/2009), l’Égypte n’a pas ouvert ses frontières. Après la destruction partielle de la frontière à Rafah (2009), Moubarak a fait construire un mur de fer enfoncé jusqu’à 20 m de profondeur et l’armée a inondé des tunnels. Néanmoins, bon nombre d’entre eux ont continué à fonctionner. Avec le gouvernement de Morsi, la population a espéré une ouverture. En réalité, il y eut peu de progrès. Depuis le renversement de Morsi, l’armée égyptienne aurait détruit 80% des tunnels et a entrepris de créer un no man’s land le long de la frontière. Pour le PAM (programme alimentaire mondial), cette situation menace la sécurité alimentaire des habitants et, selon OCHA, la fermeture des tunnels provoque d’importantes pénuries et une hausse considérable des prix, notamment pour les matériaux de construction et les combustibles. Par ailleurs, des navires militaires égyptiens tirent sur les pêcheurs et des avions survolent le sud de la bande de Gaza. Enfin, le nombre de voyageurs autorisés à passer a chuté dramatiquement, notamment parce que le terminal est régulièrement fermé sous prétexte de violences dans le Sinaï dont l’armée accuse le Hamas d’être l’instigateur.
L’EUROPE ET LES USA SONT COMPLICES En 2006, l’Europe et les USA ont non seulement refusé le résultat des élections mais ils ont refusé de traiter avec le Hamas qu’ils ont mis sur la liste des organisations terroristes. Cette politique a renforcé le blocus imposé par Israël à Gaza. Aujourd’hui, pris entre deux feux, ce sont 1 701 437 personnes qui sont donc soumises à une punition collective et à une vie indigne. UNE SEULE SOLUTION : LA LEVÉE IMMÉDIATE DU BLOCUS DE GAZA.
© Yann Arnoult
palestine 13 GAZA
Gaza
ÉTOUFFE SOUS LE PIRE DES BLOCUS par Ayman Qwaider Publié sur Info-Palestine.net, 16 octobre 2013. Traduction Info-Palestine.net Les impacts dévastateurs du blocus israélien actuel sont très visibles dans la vie quotidienne des habitants du territoire. Les conversations quotidiennes entre les gens ici à Gaza traitent des pénuries en énergie, de la fermeture du point frontalier de Rafah, de la disponibilité ou non des produits alimentaires sur les marchés de Gaza. Le blocus a encore poussé plus loin ses effets en attaquant le tissu social de la communauté et l’état psychologique des individus. En guise d’exemple, l’essentiel des discussions, les soirées en famille, vont consister à parler des coupures d’électricité qui ont atteint la durée sans précédent de 12 heures par jour. Ma mère tentait de se réjouir du fait que l’autre jour, comme l’électricité n’avait pas été coupée au moment prévu, elle ait pu terminer ce qui restait de travaux domestiques. Pour apprendre leurs leçons, mes frères et soeurs doivent gérer leur temps selon les moments de fourniture en électricité. Quand celle-ci est coupée, ils font leurs devoirs à la lueur de bougies. Ma mère prépare les repas et s’occupe de ses enfants à la lumière des mêmes bougies. C’est cela, la vie quotidienne à Gaza et ce, depuis 7 ans... Les soirées dans Gaza sont incroyablement bruyantes car les Palestiniens utilisent des générateurs pour remédier aux pénuries en énergie électrique. L’utilisation de générateurs est non seulement dommagea-
Pénurie d’essence à Gaza
ble pour l’environnement à cause des émanations toxiques qui s’en échappent, mais aussi parce que cela perturbe gravement la tranquillité psychologique des habitants. Je vis pour ma part dans un quartier très peuplé de la ville de Gaza. De la fenêtre, on ne peut voir que des murs de parpaings, à cause du taux de concentration des habitations. Un voisinage si dense rétrécit votre horizon et votre espoir et cela a un impact dévastateur sur votre vie. Chaque nuit, les gens commencent à compter les minutes et les heures, jusqu’à ce que les générateurs s’arrêtent et qu’ils puissent enfin dormir. En ce qui me concerne, les coupures d’électricité à Gaza ont toujours eu un impact psychologique extrêmement négatif sur moi. Sans électricité, j’ai le sentiment d’être coupé du reste de ce qui est ma communauté humaine hors les frontières de Gaza. Ces 8 derniers mois, j’ai dû faire l’acquisition de deux chargeurs et de batteries, simplement pour conserver ce lien si vital avec mes amis à l’étranger. La catastrophe humanitaire qui se produit aujourd’hui à Gaza est une honte pour l’humanité et pour tous ceux qui restent les témoins silencieux de cette politique de punition collective, qui s’attaque à l’espérance et à l’humanité d’une population de 1,7 million de personnes dont les 50 pour cent ont moins de 18 ans. Ce blocus inhumain doit cesser immédiatement et il n’est pas question d’arguties politiques mais simplement de la vie quotidienne des gens.
© Yann Arnoult
Choses vues À GAZA
J’ai passé un peu plus de deux semaines à Gaza. Comme je ne vis plus sur place, je m’efforce donc de décrypter par Marianne Blume la situation au travers des conversations, des expressions qui sortent spontanément, des récriminations et bien sûr des réponses à mes questions. Au travers aussi de ce que je vois en me promenant, en allant à l’université, en faisant mes courses, en allant au restaurant...
FEMME… On fait souvent état de la régression des droits des femmes depuis l’avènement du Hamas. Cette fois, je me devais de porter toute mon attention à la question. Et les événements se sont enchaînés sans que je n’aie rien à faire. Cela commence par un petit détail. C’est N* qui m’accueille à la frontière avec son enthousiasme habituel. Elle est venue en taxi et elle m’embarque avec elle. Le chauffeur de taxi est comme un ami. Et N* sort des cigarettes et fume. Je n’en reviens pas. Une sorte de pied de nez aux us et coutumes locales. Mais aussi au régime en place ? Je ris avec une complicité qui me rajeunit. Je vais revoir N* plus d’une fois, notamment dans le petit centre qu’elle a créé à Beit Lahyia. Un centre où les enfants du village peuvent s’épanouir, trouver un soutien pour leurs devoirs et leçons, jouer, apprendre autrement. Tout commence par la « concierge », une femme qui vit seule dans deux petites pièces avec ses enfants et fait son possible pour les nourrir. Puis, à l’intérieur, encore des femmes qui s’occupent des enfants et des jeunes. Chaque salle a une cou-
leur et des tentures assorties, petit délire de N* qui pense que cela ne peut qu’influer positivement sur l’atmosphère et le moral. N*dirige tout avec sa sœur. Dans un coin, sur une table, des petits biscuits emballés sans étiquettes. Une idée de N* pour que les femmes divorcées, veuves ou dont le mari n’a pas de travail aient une activité rentable. Elles fabriquent les biscuits et le centre se charge de leur « commercialisation » : tout le bénéfice va aux femmes. N* m’apprend entre deux portes qu’elle a constitué un groupe informel de femmes divorcées. Divorcée deux fois, elle refuse que ces femmes longent les murs tête basse et veut leur donner le courage de se battre. Je suis soufflée. Même si elle me dit bien que ce n’est qu’un essai. Mais ce n’est pas tout. Le papa de N* est à l’hôpital, gravement malade. Et bien sûr N* passe ses soirées et ses nuits auprès de lui. Un soir, arrive une vieille dame qu’on est obligé de placer dans la section hommes, faute de place ailleurs. Aucun infirmier ne l’approche. N* perd patience et, forte de sa connaissance approfondie de la religion et des interprétations du Coran, entame un dialogue avec
palestine 15 GAZA
l’infirmier pour le convaincre de soigner la dame. Dialogue au bout duquel, défait par les arguments de N*, il s’est plié aux injonctions d’une femme qui en savait plus que lui… Un détail : N* est du Fatah.
ENCORE FEMME… Deux réunions entre femmes : mes anciennes étudiantes et moi chez deux d’entre elles. Toutes sont mariées sauf une. On se redit nos souvenirs et on rit. On papote de la vie et un peu de la « situation ». Première surprise : pour la première fois, j’entends parler des femmes de contraception sans fard, sans grandes déclarations de principe. Et j’apprends le mot stérilet en arabe. Les discussions vont bon train. L’une d’entre elles n’a qu’un fils et déclare haut et fort, devant son mari qui acquiesce, que cela lui suffit. Une autre va essayer le stérilet. Une autre encore se réjouit de l’aide que son mari lui apporte dans les travaux ménagers. Deux d’entre elles travaillent mais celles qui ne travaillent pas (pas facile de trouver un emploi) n’oublient pas pour autant de lire et même de revoir leur français. Quant à I*, en dépit de la pression sociale, elle a décidé de divorcer : elle habite seule avec son fils et travaille. J’ai l’impression que ces jeunes femmes ont gardé quelque chose de leur passage à l’université, qu’elles vont de l’avant et elles me donnent l’espoir d’un changement dans les relations homme/femme.
HAMAS : NIHIL NOVI SUB SOLE ? Cette fois, personne ne me propose de venir chez moi. Il semble évident que garçon ou fille, il vaut mieux se rencontrer dehors ou chez eux. Les hommes me semblent très prudents et J* me confirme que le contrôle des mœurs par le pouvoir s’est accentué. Je note avec déplaisir. Dans mon appartement, je suis seule mais très vite, on sonne pour voir qui est là. Jusque là, rien que de normal. Ce qui l’est moins, c’est de sonner plusieurs fois. La voisine veut savoir à qui je loue, pour combien de temps, à combien, pourquoi je suis là, comment il se fait que d’autres sont venus se réunir chez moi en mon absence, etc. Tout cela, avec la gentillesse de mise : sourire, thé, biscuits. La curiosité est naturelle mais cette fois, j’ai eu l’impression qu’on tâchait d’avoir des renseignements. Paranoïa ? Une consolation, deux de mes anciens étudiants préférés, devenus de vrais amis, n’hésitent pas, la première fois qu’ils me revoient, à me faire l’accolade en public. Dans ma redécouverte de Gaza, je veux absolument aller voir les nouveaux lieux « in ». On m’emmène dans un lieu paradisiaque avec fontaine, palmiers, meubles en bois et architecture de goût où se rend la bourgeoisie. Beaucoup font partie, comme le propriétaire du lieu,
de la nouvelle bourgeoisie des tunnels, née avec le blocus et l’autorité du Hamas. Là, l’atmosphère est très détendue : on rit, hommes et femmes ; de jeunes couples se parlent à l’oreille, se prennent par la main. Des femmes fument la chicha. Une ambiance décontractée peu ordinaire. Le lieu aurait dû être un Movenpick mais, l’alcool étant interdit, le nom n’a pu être gardé. De pareils lieux existaient auparavant mais là, le luxe et la richesse sont plus troublants quand on sait les restrictions et les pénuries que subit la population. Alors que chez moi, je n’ai d’électricité que 8 heures par jour (et je suis privilégiée), dans les lieux de ce genre, la lumière brille partout et rien ne laisse deviner le blocus. Sûrement pas non plus la carte sur laquelle on trouve toutes sortes de boissons, de pâtisseries et de glaces sophistiquées. Je suis médusée par le nombre de nouveaux cafés, restaurants, épiceries qui se sont ouverts. Sidérée aussi de voir qu’il y a beaucoup de gens qui peuvent s’y rendre… À côté de cela, M* nous raconte ses souvenirs quand, après la prise de pouvoir du Hamas, la police est venue l’interroger parce qu’elle travaille dans une ONG qui organise avec des enfants des activités mixtes, qui est soutenue par des ONG étrangères et parce que, depuis toujours, elle ne porte pas de voile et met des pantalons… La police l’a bousculée, lui a mis une arme sur la tempe avant de renoncer à fermer le centre. D’autres membres d’ONG, internationales ou pas, disent aussi la surveillance dont leur association et eux-mêmes font l’objet … Et puis, pour compliquer tout, A*, militant du Fatah de toujours, m’annonce tout de go qu’il votera – quand et s’il y a des élections – Hamas. Et qu’il n’est pas le seul ! Pourquoi ? Parce que le Fatah de Gaza n’a pas tiré les leçons de sa défaite, qu’il refuse d’entendre les plus jeunes et de changer sa stratégie. Cela me laisse perplexe. Même si, avec le recul, je comprends que beaucoup étaient désorientés et indignés par la répression des manifestations à Gaza et la répression d’autres manifestations en Cisjordanie… À part cela, le Hamas, comme avant lui, le Fatah au pouvoir, est rendu responsable de tout ce qui va mal, à tort et à raison. J’ai parfois envie de demander si le climat ne dépend pas d’eux aussi.
ET LE BLOCUS ? La population souffre des coupures d’électricité, de la nécessité d’acheter de l’eau, de la hausse des prix, du chômage, de la pression morale et politique du Hamas, de l’isolement, de la division. Beaucoup – surtout les jeunes – rêvent de s’évader de cette prison. Hier, je téléphonais à un ami pour savoir comment ça allait depuis qu’au blocus, s’ajoutait la fermeture de la frontière avec l’Égypte. Il a ri : à Gaza, on s’habitue à tout. « Durant la 2e Intifada, ne disait-on pas que quand les Israéliens nous empêcheraient d’aller par la plage, nous achèterions des tubas et nous marcherions sous l’eau ? »
palestine 16 THÉÂTRE De gauche à droite Hala Omran Assaad Bouab Sumaya Al-Attia Husam Alazza et Firas Farrah.
INTERVIEW DE MEHDI DEHBI, PORTEUR ET DIRECTEUR DU PROJET
Les Justes d’Albert Camus
propos recueillis par Nadia Farkh
Ne vous semble-t-il pas quelque peu provocateur d’associer, aujourd’hui, les termes « justes » et « terroristes » ? Cela peut être provocateur pour certains, mais je ne cherche à provoquer personne dans le sens où je reprends le texte d’un auteur français et pied-noir, un texte, à mon avis universel, qui s’adresse donc à tout le monde et est absolument intemporel. C’est Camus lui-même qui intitule sa pièce, dont le sujet principal est le terrorisme, Les Justes. Bien que le terrorisme d’aujourd’hui ne soit pas le même que celui du contexte russe de 1905 – chaque époque a ses enjeux. Mais je conçois que le fait de choisir des acteurs du Moyen-Orient, majoritairement palestiniens, et de les faire jouer en langue arabe, puisse paraître provocateur. L’idée n’est pas de servir telle ou telle option politique, mais de se saisir puis de transmettre l’œuvre de Camus. Si je n’échoue pas en cela, étant donné la grandeur du personnage qu’est Albert Camus (à la fois penseur, philosophe, auteur de théâtre,...), le projet semblera alors forcément cohérent aux yeux des spectateurs et non provocateur. Mon projet personnel est de ne pas trahir la pensée de Camus. Il est pourtant notoire, aujourd’hui, qu’il y a une pensée unique qui condamne sans appel le terrorisme, quelle que soit la cause défendue. Or Les Justes de Camus nous font entrer dans l’esprit de ces jeunes qui, au nom d’une cause juste (volonté d’un monde meilleur), débattent des moyens d’action, de l’assassinat du dictateur – le Grand duc en l’occurrence – à l’installation d’un climat de terreur. Ce qui, en quelque sorte, ouvre le débat sur le bien-fondé du terrorisme : jusqu’où peuton aller pour défendre une cause juste ? Je crois qu’en général il y a beaucoup d’ignorance sur le sujet, entretenue aussi par les
médias. Mais loin de moi l’idée de vouloir faire l’éloge du terrorisme, ni même de prendre parti pour quelque cause que ce soit. Ma proposition est de faire entendre Les Justes joués par des acteurs qui sont au cœur de différents conflits politiques et qui éventuellement les subissent au quotidien. Ce que, personnellement, je n’ai jamais vécu. Mais ces acteurs sont avant tout des artistes et non des politiciens et encore moins des terroristes. Leur manière de résister est de faire du théâtre. Il s’agit de théâtre, pas de politique. Camus d’ailleurs ne fait pas l’éloge du terrorisme avec Les Justes, il décrit sur cinq actes la difficulté qu’ont ces hommes et femmes de se mettre en « accord avec le meurtre ». Stepan demande à Dora combien de bombes il faudrait pour détruire Moscou, ce à quoi elle lui répond qu’il est devenu fou. L’acte II dans son entièreté est un débat sur les moyens et les limites de la révolution : peut-on tuer des enfants pour abolir la dictature ? La réponse est claire et Camus va même jusqu’à nous dire que le meurtre d’un homme n’ajoute rien à la paix d’un peuple, quel qu’il soit. Dans votre texte de présentation, qui date de 2011, vous faisiez référence à Darwish et à la cause poétique comme à un au-delà de la cause politique, pouvez-vous nous en dire plus là-dessus? Je suis toujours d’accord avec ça même si le processus de création prend ses distances avec les intentions premières. Les choses évoluent et on rencontre des contradictions ou des confirmations. Mais fondamentalement, ce qui compte, c’est de raconter avec le plus de clarté et de justesse possible Les Justes de Camus et que ce soit en arabe n’est probablement pas anodin dans le contexte actuel mais cela n’est pas le fond. Le choix s’est imposé du fait que c’est la seule langue commune à tous les acteurs. Ma priorité est et reste donc
© Mehdi Dehbi
Visage davantage connu du cinéma, Mehdi Dehbi a joué dans de nombreux films. Nous avons eu le plaisir de le voir dernièrement dans le « Fils de l’autre ». Ici, il met en scène la pièce Les Justes de Camus, interprétée en arabe par des acteurs de différentes nationalités. Après des représentations au théâtre de Liège, la pièce sera jouée au Théâtre des Tanneurs à Bruxelles en décembre prochain. Nous l’avons interviewé pour le bulletin « Palestine ».
poétique. Un poète est un homme ou une femme qui parle au monde. La Palestine comme métaphore pour Darwish et l’Algérie pour Camus. Revenons donc à Camus, c’est quand même un grand classique français, comment les gens prennent-ils le fait que vous le jouiez en arabe ? J’ai été très choqué en Belgique par certains retours : Il y a quelques mois, un journaliste m’a manipulé et écrit un article à visée politique à propos du projet, ce qui a laissé cours à une vague de commentaires sur Internet complètement racistes et dont la bêtise m’a abasourdi! En dehors d’attaques racistes personnelles, j’ai surtout été touché par l’association de la langue arabe avec le terrorisme. Comme si le terrorisme était propre aux Arabes et comme si les Arabes étaient étrangers à la poésie, au théâtre, à la culture. Cela souligne un niveau d’ignorance très grave, qui justifie le gouffre grandissant entre l’Occident et l’Orient. Le public qui a vu Les Justes à Liège a été cependant réceptif et intelligent par rapport à ce choix linguistique. Je voudrais revenir sur un point, même s’il me semble que vous y avez déjà répondu. Vous dites que l’esprit de révolte est universel mais alors pourquoi avoir choisi des acteurs palestiniens ou syriens et pas par exemple des Espagnols ou... ? Parce qu’il y a eu promesse à l’univers : Les Justes, c’est une œuvre qui m’accompagne depuis longtemps. J’ai passé les concours du Conservatoire avec ce texte et il a été la colonne de plusieurs rôles que j’ai interprétés au théâtre comme au cinéma. C’est une vraie référence pour moi. En 2009, je me suis rendu à Gaza dans le but de rencontrer le monde du théâtre gazaoui. J’ai évidemment été bouleversé par les rencontres que j’ai faites et par ce que j’ai vu. J’ai donc fait une pro-
messe à Gaza. Et bien que je n’aie pas pu le monter là-bas ni même pour le moment le jouer sur place, j’ai malgré tout tenu ma promesse. Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? Je voudrais revenir sur le choc à lire des commentaires violents exprimés par des gens mais aussi et surtout par des hommes politiques en Belgique qui ont le culot de s’exprimer sur un spectacle qu’ils n’ont même pas vu et sur lequel ils ne savent rien. Nous vivons dans un monde absolument superficiel bouffé par l’a priori et l’amalgame. C’est cela aussi qui crée le terrorisme, et ces gens que l’on ne montre jamais du doigt, qui vivent dans leurs petites zones suffisantes de confort, qui n’ont ni l’intelligence ni le respect de comprendre le monde et les choses, sont pour moi les terroristes les plus blâmables aujourd’hui ! Laissons le fait que je sois indigné de n’être belge que parce que je mène une carrière au cinéma et que je sois suspect au quotidien, laissons le fait que cela est absolument insultant et humiliant. Soyons au moins, ici, dans nos pays confortables, dans l’effort et moins dans l’ignorance et l’aveuglement qui créent la pensée unique et la condition. La création n’a pas de frontières, c’est toute la mission de l’artiste de pousser ses limites, de créer des espaces de libertés à partager avec le monde.
LES JUSTES Théâtre des Tanneurs – Rue des Tanneurs, 75 à 1000 Bruxelles Du 3 au 7/12/2013 & du 10 au 14/12/2013 à 20 h 30 Infos & réservations 02 512 17 84 – www.lestanneurs.be
palestine 18 LIVRES/FILM
livres LES SEIGNEURS DE LA TERRE
L’INTRUSE
par Roannie et Oko tome 1 La découverte (2008), tome 2 Les Palestiniens, peuple invisible ? (2008), tome 3 Les Israéliens (2010), tome 4 Gaza, carnet de non-voyage (2012), Paris, Éd. Vertige Graphic
par Idith Zertal (historienne israélienne, auteure de nombreux ouvrages dont « La Nation et la Mort » et Akiva Eldar (ancien éditorialiste de Haaretz), Éd. du Seuil, 2013
Depuis la fin de la guerre de 1967, au mépris du droit international, des citoyens juifs d’Israël se sont installés, au-delà de la Ligne Verte, sur des terres palestiniennes qu’ils estiment leur appartenir depuis les temps bibliques. Ce livre, richement documenté, fait le point sur la question des colonies juives en Palestine et sur l’importance croissante des colons dans la vie publique israélienne, à la Knesset, au gouvernement, à l’armée, à l’université et dans le système judiciaire. Il apparaît que les gouvernements successifs d’Israël, de toutes couleurs politiques, ont tous encouragé l’établissement de ces colonies. La montée en puissance de l’occupation s’est accompagnée de violations répétées de la loi israélienne, qui n’ont pas été condamnées par l’État ni par ses institutions censées promouvoir et protéger celle-ci. Il en résulte un affaiblissement de la démocratie en Israël. Le pays s’est empêtré dans le bourbier humain, moral, social, financier, militaire et politique de la colonisation. C.S.
PALESTINE, LA TRAHISON EUROPÉENNE
par feu Stéphane Hessel (ambassadeur de France) et Véronique De Keyser (députée européenne), Éd. Fayard, 2013
Roannie décide, un jour et avec un peu d’appréhension, de se rendre en Palestine avec une organisation de solidarité. Elle devient une observatrice, un témoin, une intruse et petit à petit, une militante. « L’intruse », c’est le titre de cette série de bandes dessinées écrite par Roannie. Quatre albums sont sortis depuis 2008. Les dessins d’Oko sont simples, réalistes, en noir et blanc. À travers l’expérience de Roannie, ses voyages, ses rencontres, son témoignage, nous découvrons la réalité des Palestiniens qui vivent, survivent et tentent de garder leur dignité malgré la gravité et la précarité de leur situation sous occupation israélienne. Le témoignage est émaillé de cartes, d’extraits d’ouvrages d’historiens, de rapports d’organisations. J’avais lu le témoignage de « l’intruse » avant mon premier voyage en Palestine. Je l’ai relu après. Et j’ai éprouvé souvent les mêmes sentiments, nourri les mêmes questionnements que son auteur. On ne sort pas indemne de la lecture du témoignage de Roannie. « L’intruse » : une série de bandes dessinées-témoignage à découvrir, que vous soyez novice en la matière ou bien très au fait de la situation en Israël-Palestine. Bonne lecture. A.Y.
Cet ouvrage parcourt et retrace les années Abbas, de 2005 à nos jours ; il analyse la politique européenne en direction de la Palestine. Son regard sur l’Europe est féroce: Véronique De Keyser y dénonce purement et simplement la trahison européenne. « L’Europe n’a pas su protéger, en 2006, la démocratie palestinienne émergeant des urnes. (…) Elle n’a pas su protéger Abbas des pressions israéliennes et américaines qui en ont fait tantôt un mendiant, tantôt une marionnette (…). Elle n’a pas su protéger la voie de la négociation que l’extension des colonies dément et bafoue chaque jour. Elle a trahi. (…) » Malgré le financement généreux et le soutien logistique apportés à la Palestine, depuis 1948, l’Europe a manqué à sa première responsabilité, sa responsabilité politique: aujourd’hui, après 65 ans, la population palestinienne est toujours sous une occupation qui lui fait la vie dure ; elle est immobilisée, exsangue. (Extrait du chapitre 10) C.S.
BIEN COMMUNIQUER
AVEC VOS INTERLOCUTEURS ARABES par Magda Fahsi, Afnor, 2013
film THANK GOD IT’S FRIDAY
Documentaire de Jan Beddegenoodts, 2013
À vrai dire, avant de lire cet ouvrage, son titre m’avait fait peur. Je craignais les généralisations abusives, les conseils du genre recettes toutes faites et en définitive une vision un peu angélique de la communication. C’était compter sans la sensibilité et l’intelligence de l’auteure qui, d’emblée, prend le parti d’expliquer le monde arabe, son histoire en relation avec la politique internationale (chapitre 1), la religion et les traditions (chapitre 2) avec le regard d’un/une Arabe. Un parti-pris qui du coup, nous renvoie à notre propre vision, à nos propres clichés et a priori. Pour plus de clarté, Magda Fahsi n’hésite d’ailleurs pas à souligner les écarts de perception. Dans le chapitre 3, intitulé « Communiquer avec les Arabes : orientations culturelles », elle précise d’emblée qu’elle met en lumière des tendances générales et non des caractéristiques immuables, applicables à tout le monde arabe, à tous les Arabes et à chaque Arabe. Malgré tout, le souci de donner rapidement des clefs de lecture au futur interlocuteur a fait que j’ai parfois eu le sentiment d’une généralisation excessive, par exemple à propos de la perception du temps. Le chapitre 4, pour sa part, décrit plus particulièrement le Maroc et le problème berbère ainsi que l’Arabie Saoudite. Un livre à conseiller à qui veut rencontrer l’Autre et communiquer avec lui. Ici, en l’occurrence, l’Autre arabe. M.B.
Thank God it’s Friday n’est pas un documentaire qui célèbre la joie du shabbat. Non, ce documentaire relate la résistance d’un village palestinien face à l’occupation israélienne. Ce village n’est autre que Nabi Saleh, village de plus en plus connu pour ses manifestations hebdomadaires contre l’occupation israélienne et contre la colonie israélienne ‘Halamish’. Thank God it’s Friday décrit la manière dont est célébré le vendredi à Nabi Saleh et dans la colonie. Côté palestinien, la célébration a des odeurs de gaz lacrymogènes et parfois le goût du sang. De l’autre côté de la route, à Halamish, on accueille avec joie le shabbat même si l’agitation à quelques mètres de la colonie dérange tout de même les colons. Lorsque le réalisateur Jan
Beddegenoodts présente aux colons les images de la vie des habitants de Nabi Saleh, de leurs manifestations pour revendiquer leurs droits sur leurs terres, les colons sont choqués. Selon ces derniers, la terre sur laquelle vivent les habitants de Nabi Saleh leur appartient à eux, et la Palestine n’a jamais existé. Thank God it’s Friday donne le vertige. On a l’impression qu’il n’y a pas d’issue, pas de paix possible. Les colons sont en effet de plus en plus protégés et légitimés dans leur arrogance par le gouvernement israélien. Et on se dit qu’après quatre ans de manifestations, d’emprisonnements, de violence coloniale ininterrompue, les habitants de Nabi Saleh seraient bien en droit de ne plus être aussi pacifiques. R.D.
© Yann Renoult
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SAMEDI 30 NOVEMBRE 2013 À PARTIR DE 17 H 3O Entrée libre – Traduction simultanée FR-EN CENTRE CULTUREL JACQUES FRANK Chaussée de Waterloo 94 1060 Bruxelles métro Parvis de Saint-Gilles INFOS 02 223 07 56
18 h COLONIES, COLONS, COLONISÉS… Le terrain, le droit et l’action Jawad Siyam, directeur du Centre d’information de Silwan, Jérusalem Nada Kiswanson, chargée de recherche, Al-Haq, organisation des droits de l’Homme, Ramallah Eness Elias, membre de la Coalition des femmes pour la paix, Who profits, Tel Aviv Pause
20 h SYRIE, LIBAN, TUNISIE, ÉGYPTE... ET LA PALESTINE DANS TOUT ÇA ? La Palestine à l’agenda politique dans l’ère des révoltes arabes Roger Heacock, historien, professeur à l’université de Birzeit, auteur de nombreux ouvrages sur la question palestinienne Jean-François Legrain, spécialiste du monde arabe, chargé de recherche au CNRS, affecté à l’IREMAM, Aix-en-Provence
éditeur responsable Pierre Galand – rue Stévin 115 à 1000 Bruxelles
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