Palestine n°60

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Belgique/België P.P. Bruxelles X 1/1624

BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL TRIMESTRIEL N°60 – AVRIL/MAI/JUIN 2014 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130

SOMMAIRE DOSSIER Bilan et élections > 3 Made in Illegality > 10 Solidarités belgo-palestiniennes > 12 Judaïsation de Jérusalem > 18 L’armée la plus morale du monde > 20

© Rami Al-Sayyed/UNRWA Archives

Un monde dans ses yeux

Réfugiée palestinienne du camp de Yarmouk, cette petite fille a vu, dans sa jeune vie, plus de souffrances et de destructions que beaucoup n’en voient dans tout le temps d'une vie. Depuis juillet 2013, le camp de Yarmouk, installé en périphérie de Damas, a enduré 7 mois de siège durant lesquels tout accès à la nourriture, aux médicaments et aux infrastructures a été supprimé. Depuis janvier, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a réussi à entrer dans le camp de Yarmouk pour distribuer du ravitaillement aux 18 000 Palestiniens et Syriens qui y restent. La malnutrition et les maladies de plus en plus répandues en raison du siège font que les besoins d'assistance sont accrus.


palestine 02 ÉDITO

2014

UNE ANNÉE DE SOLIDARITÉ AVEC LA PALESTINE par Pierre Galand, Président

Monsieur le Président de l’Assemblée générale, Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies, En proclamant l’année 2014, année de la Palestine, devenue État non membre de l’ONU, une très grande majorité d’États membres ont voulu apporter un soutien renouvelé au peuple palestinien, à sa résistance et à sa légitime revendication à un État souverain. L’Association belgo-palestinienne (ABP) milite depuis plus de quarante ans pour que les résolutions des Nations Unies relatives aux droits des Palestiniens soient appliquées et respectées par Israël. Elle organisera le 24 mai prochain à Bruxelles un grand rassemblement de mobilisation et de solidarité à la veille des élections du Parlement européen. Nous entendons soutenir l’année de la Palestine en rappelant à nos élus, à la Commission et au Conseil européen leurs responsabilités aussi bien historiques que leurs devoirs aujourd’hui au Proche-Orient. En effet, Israël bénéficie depuis 1972 d’un partenariat avec l’Europe qui fait de ce pays non membre de l’UE un allié privilégié tant sur le plan économique que scientifique et sécuritaire. Dans le droit fil du Tribunal Russell sur la Palestine, qui le fit avec une très grande expertise, nous dénonçons l’ensemble des manquements et des complicités de l’Europe avec Israël dans les exactions commises à l’égard du peuple palestinien dans les territoires occupés de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem ainsi que vis-à-vis des Palestiniens d’Israël. Nous appelons nos concitoyens, scientifiques, sportifs, artistes à soutenir l’appel des associations palestiniennes de la résistance pour des initiatives de boycott, de sanctions et de désinvestissement à l’égard d’Israël aussi longtemps que le gouvernement et les responsables publics et privés de ce pays occupent, colonisent les territoires palestiniens et emprisonnent, privent les Palestiniens de leur liberté de mouvement et de libre accès à leurs territoires. Aujourd’hui, Israël donne dans la démesure. Après avoir, une fois encore, manipulé le prétendu « processus de paix » par l’extension permanente de la colonisation et de l’accaparement des territoires palestiniens, le gouvernement voudrait empêcher la reconnaissance de l’État de Palestine par les grandes institutions onusiennes et par les juridictions internationales.

Déjà, de manière conservatrice, pour ne pas dire rétrograde, le secrétaire d’État US John Kerry avait obtenu que le président Mahmoud Abbas reporte de neuf mois toute démarche allant dans ce sens. Alors que partout ailleurs dans le monde, les États sont en effet appelés à adhérer aux institutions et aux conventions internationales car celles-ci représentent une garantie pour la sécurité et la coopération ainsi qu’une protection pour leurs citoyens, les États-Unis apportaient – une fois de plus – leur soutien inconditionnel à Israël pour empêcher l’accès des Palestiniens à la plénitude de leurs droits. Nous vous appelons à faire de cette année de la Palestine celle de l’application pleine et entière du droit à l’autodétermination pour le peuple palestinien. Recevez, Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, nos meilleures salutations militantes Pour l’ABP, Pierre Galand, Président

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Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche, Nadia Farkh, Pierre Galand, Katarzyna Lemanska, Julien Masri, Christiane Schomblond, Gabrielle Lefèvre, Rabab Khairy, Hocine Ouazraf, Nathalie Janne d’Othée / Relecture Ouardia Derriche Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asbl Siège social rue Stévin 115 à 1000 Bruxelles Secrétariat quai du Commerce 9 à 1000 Bruxelles tél. 02 223 07 56 / fax 02 250 12 63 / abp.eccp@skynet.be www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 / Tout don de plus de 40 euros vous donnera droit à une exonération fiscale Graphisme Dominique Hambye & Élise Debouny Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles


© Yann Renoult

palestine 03 DOSSIER

DOSSIER

Élections 2014

QUEL CAP POUR LA PALESTINE ? Le 25 mai prochain, les citoyens belges et européens seront appelés aux urnes. C'est pour l'ABP l'occasion de rappeler les réalisations et les manques de la dernière législature, tant au niveau européen que belge (article p. 4-5) mais également de souligner les évolutions sur le terrain israélopalestinien (article p. 6-7) et, à cet égard, les défis à venir pour nos futurs élus. Et pour avoir une idée de ce que les partis proposent pour la Palestine, nous les avons interrogés sur leurs intentions (article p. 8-9). Le 25 mai, votez donc aussi pour la Palestine !


palestine 04 DOSSIER BILAN ET ÉLECTIONS

RAPIDE BILAN BELGE ET EUROPÉEN SUR

la question palestinienne À LA VEILLE DES ÉLECTIONS 2014 par Nathalie Janne d’Othée

Le 25 mai, les Belges se rendront aux urnes pour élire leurs représentants aux régions, au fédéral et à l’Europe. L’importance de l’enjeu s’en ressent. Le monde politique est en campagne et prend des engagements, notamment sur la question de la Palestine (voir notre article en pages 8 et 9) Afin de remettre ces promesses en perspective, il est bon de dresser un rapide bilan des réalisations et échecs de ces dernières années. En Belgique, la dernière législature a été mouvementée avec une crise gouvernementale sans pareille de juin 2010 à décembre 2011. Le gouvernement Di Rupo a donc eu peu de temps et de latitude pour avancer sur des dossiers non prioritaires. À l’échelon européen, la législature qui a couru de 2009 à aujourd’hui a été marquée par un changement majeur au niveau de l’action extérieure de l’UE avec la nomination, le 1er décembre 2009, d’une Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, censée renforcer la politique étrangère de l’UE. Entériné par le Traité de Lisbonne, le Service européen pour l’action extérieure est entré en fonctions au deuxième semestre 2010 sous la présidence belge de l’UE.

PENDANT CE TEMPS-LÀ, EN PALESTINE Durant ces législatures, la situation ne s’est malheureusement pas améliorée en Palestine, bien au contraire. Les gouvernements Netanyahou II et III sont synonymes d’une intensification de la colonisation à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, d’attaques incessantes sur la bande de Gaza, d’une discrimination accrue vis-à-vis des Palestiniens d’Israël, d’une chasse aux militants contre l’occupation, le tout en feignant la bonne volonté face aux propositions de négociations des États-Unis. La dernière tentative en date est celle lancée en juillet dernier par le secrétaire d’État américain John Kerry qui s’était donné jusqu’à fin avril 2014 pour parvenir à un résultat. Par ailleurs, Mahmoud Abbas a obtenu la reconnaissance de la Palestine comme État non membre à l’Assemblée générale des Nations Unies ainsi qu’une reconnaissance de la Palestine à l’UNESCO. L’Autorité palestinienne a ensuite accepté de suspendre ses demandes d’adhésion à d’autres traités et instruments des Nations Unies pour complaire à la médiation américaine lors des négociations en cours. Mais en réponse au refus israélien de libérer, comme prévu, un dernier contingent de prisonniers et face à une énième annonce de construction de nouveaux logements dans les colonies israéliennes, l’Autorité palestinienne a demandé le 1er avril dernier l’adhésion de la Palestine à 15 conventions et traités internationaux. Dans les évènements qui ont marqué l’actualité israélo-palestinienne ces dernières années, il faut également mentionner la publication,

puis l’abandon du rapport de la commission Goldstone sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis durant l’attaque israélienne sur la bande de Gaza en décembre 2008 et janvier 2009 ainsi que l’attaque israélienne du Mavi Marmara, un bateau de la Flottille de la Liberté, qui s’est soldée par neuf morts. La bande de Gaza revient ainsi régulièrement au devant de l’actualité, notamment lors de l’opération Pilier de défense qui a fait quelque 110 morts palestiniens mais en disparaît aussi vite sans qu’aucune réaction forte n’ait été engagée par la communauté internationale.

L’UE COMME MOTEUR Face à ce bilan négatif de la situation sur le terrain, force est de constater qu’une fois encore la communauté internationale a peu réagi. À la suite d’une série de tentatives infructueuses, le secrétaire d’État américain John Kerry a fini par obtenir des parties qu’elles reprennent le chemin des négociations mais cette tentative, qualifiée de « la dernière chance » par les quelques observateurs qui restent encore optimistes, est vouée à l’échec. Israël ne fait preuve d’aucune velléité de mettre un frein à la colonisation et les États-Unis ne sont manifestement pas capables de les en empêcher. L’Union européenne a, quant à elle, raffermi ses positions sur la colonisation avec la décision du Conseil Affaires étrangères en décembre 2012 de « faire en sorte que –conformément au droit international– tous les accords entre l'État d'Israël et l'Union européenne indiquent clairement et expressément qu'ils ne s'appliquent pas aux territoires occupés par Israël en 1967, à savoir le plateau du Golan, la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et la bande de Gaza ». Cette décision est dans la ligne de la plupart des positions prises par l’UE auparavant mais se traduira, pour la première fois de manière concrète, dans des Lignes directrices, émises en juillet 2013 par l’UE, visant à exclure les colonies israéliennes de tout financement européen. Les Lignes directrices ont ensuite été appliquées par l’UE dans le cadre des négociations sur la participation israélienne au programme européen de recherche Horizon 2020, et ce malgré de fortes pressions d’Israël et des États-Unis. Cependant, les Lignes directrices comportent encore de nombreuses failles, notamment parce qu’elles n’excluent que les seuls projets initiés dans les colonies et non les organismes


MANQUE DE COHÉRENCE basés en Israël et opérant par ailleurs dans les colonies. Les Lignes directrices doivent encore être transposées et intégrées dans les législations nationales. Dans le même objectif de mise en cohérence avec les positions européennes sur l’illégalité des colonies, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg ont poussé l’UE à adopter des mesures pour un étiquetage distinct des produits des colonies. Le ministre belge de l’Économie, Johan Vande Lanotte, a publié en mars 2013 un communiqué sur le sujet annonçant la mise en place d’une mesure allant dans ce sens en Belgique. Mais, à la suite d’un recul des PaysBas, l’initiative est restée lettre morte.

OU L’UE COMME FREIN L’étiquetage bénéficie pourtant du soutien de la majorité en Belgique. À l’instar d’autres États membres comme le Danemark ou la GrandeBretagne, la Belgique pourrait mettre en œuvre une telle mesure sans qu’il y ait nécessairement un consensus européen là-dessus. Cette décision est assez symptomatique du niveau zéro de la politique étrangère belge aujourd’hui qui répugne à agir en l’absence d’un consensus européen. Face à la demande de reconnaissance de la Palestine comme État non membre de l’AG des Nations Unies en novembre 2012, c’est ainsi que Didier Reynders s’est appuyé sur l’absence de consensus européen pour justifier un refus de la Belgique. Heureusement, la sonnette d’alarme a été tirée par la société civile, poussant le PS et le cdH à tenir un kern spécial et à rappeler au ministre des Affaires étrangères que le Sénat belge avait déjà voté en juillet 2011 une résolution en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine. La Belgique finit donc par voter en faveur de la candidature de la Palestine comme État observateur non membre aux Nations Unies. À l’occasion d’une visite de Mahmoud Abbas à Bruxelles en novembre 2013, la Délégation générale palestinienne auprès de la Belgique, du Luxembourg et de l’Union européenne a vu son statut être rehaussé à celui de « Mission de Palestine ». En conséquence, le chef de mission prend désormais le titre d’Ambassadeur.

À la suite de ces décisions, la mesure logique à prendre était de reconnaître la Palestine dans le cadre des relations bilatérales. En effet, reconnaître la Palestine comme État observateur non membre revient à la reconnaître comme État. Devant les interpellations de la société civile à ce propos, le ministre a répondu que la Belgique ne reconnaîtrait la Palestine qu’à l’issue d’une solution négociée à deux États. Une solution qu’on sait être loin d’aboutir au vu de la situation sur le terrain. Or la reconnaissance de la Palestine aurait justement pu renforcer la position palestinienne dans les négociations et mener à une solution plus équitable et durable. Le ministre des Affaires étrangères Reynders nous a de longue date habitués à de telles incohérences, tentant le grand écart impossible entre sa volonté affirmée de faire respecter le droit international et celle de rester en termes amicaux avec Israël.

L’UE RESTE L’UE, MALGRÉ ASHTON Au niveau européen, l’arrivée de Catherine Ashton ne s’est pas malheureusement pas traduite par un renforcement de l’implication européenne dans la résolution du conflit, bien au contraire. L’UE a laissé la préséance aux États-Unis ou a préféré agir via le Quartet. Un choix peu judicieux quand on considère le bilan nul de Tony Blair au poste de représentant du Quartet pour le Proche-Orient. Par ailleurs, l’UE avait décidé en 2009 de geler tout rehaussement de ses relations avec Israël, conditionnant une reprise de celui-ci à des avancées dans le processus de paix. Or en janvier 2013, l’accord signé entre les Communautés européennes et Israël sur l'évaluation de la conformité et l'acceptation des produits industriels (ACAA) représentait en soi un rehaussement de facto de ces relations bilatérales. Malgré les nombreuses interpellations de la société civile, le Parlement européen avait fini par voter en faveur de l’accord. Reste donc à espérer que les prochaines élections permettront l’avènement de politiques plus volontaristes, basées sur le droit international et plus fermes vis-à-vis d’Israël afin de mettre fin à une occupation qui dure illégalement depuis maintenant quarante-sept ans.


palestine 06 DOSSIER BILAN ET ÉLECTIONS

La Palestine EN CHIFFRES par Hocine Ouazraf

Si le conflit israélo-palestinien renvoie à des notions juridiques et politiques telles que droit à l’autodétermination, droit des peuples à disposer d’euxmêmes, souveraineté, indépendance… constamment bafouées par Israël depuis des décennies, quantifier ces violations du droit international permet de mieux saisir l’ampleur du phénomène et de l’objectiver.

Au travers de quelques catégories quantifiées des violations du droit international commises par Israël telles que la colonisation, la question des prisonniers, les réfugiés, tentons de rendre la question israélopalestinienne plus lisible, intelligible et concrète au grand public.

LA COLONISATION La colonisation des territoires palestiniens occupés depuis 1967 constitue une constante de la politique de tous les gouvernements israéliens, toutes tendances et toutes sensibilités politiques confondues. La mise en place d’une politique intensive de colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est par les autorités israéliennes viole de nombreuses dispositions du droit international et en particulier certains principes du droit international humanitaire. En vertu de l’article 49 (par.6) de la IVe Convention de Genève, les colonies de peuplement sont illégales. Elles contreviennent aux principes énoncés dans cet article qui stipule que : « la puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle. » Or l’État d’Israël est lié par cette convention qu’il a ratifiée le 6 juillet 1951. À ce jour, Israël a procédé à la construction en Cisjordanie et à Jérusalem-Est de plus de 200 colonies que l’on peut répartir comme suit : – Près de 125 colonies ont été construites avec l’assentiment des autorités israéliennes ; – La Cisjordanie compte plus de 100 « avant-postes ». Il s’agit de colonies établies en Cisjordanie par des colons sans l’aval des autorités israéliennes. Certains les qualifient de colonies « illégales », une telle qualification ne résiste pas à l’analyse, tant il est vrai que toutes les colonies établies en Cisjordanie sont illégales au regard du droit international ; – Le nombre exact de colonies à Jérusalem-Est est difficile à définir mais d’aucuns avancent un chiffre avoisinant les 15 colonies de peuplement.

Si les chiffres avancés ci-dessus permettent de mieux saisir la question de la colonisation des territoires palestiniens, son analyse sous un autre angle, celui du nombre de colons présents sur place, n’en est pas moins édifiante. En effet, à ce jour, les territoires palestiniens comptent près de 540 000 colons qui se répartissent comme suit : – Plus de 340 000 colons en Cisjordanie ; – Près de 190 000 colons à Jérusalem-Est. Ces chiffres ne prennent pas en compte les colons implantés dans les avant-postes dont il est fait mention ci-dessus. Les conséquences principales de cette politique intensive de colonisation sont la fragmentation et l’émiettement des parcelles de territoires encore disponibles sur lesquelles les Palestiniens entendent édifier leur État. Aujourd’hui, seuls 11% du territoire de la Palestine historique sont vierges de toute occupation israélienne. Le processus de négociations de paix lancé à Oslo en 1993 n’a hélas pas tari ce processus de phagocytage du territoire palestinien. Ainsi, en 1993, on comptait 120 000 colons en Cisjordanie, on en compte aujourd’hui 340 000.

LES PRISONNIERS La société palestinienne connaît depuis des décennies une politique d’emprisonnement systématique et continue de sa population. Une stratégie mise en place par Israël qui frappe sans distinction femmes, hommes et enfants. La plupart des détenus palestiniens sont incarcérés en Israël, une situation qui est contraire à l’article 76 de la IVe Convention de Genève qui stipule que « les personnes protégées inculpées seront détenues dans le pays occupé et si elles sont condamnées, elles devront y purger leur peine (…). » En 2014, près de 5000 Palestiniens croupissent dans les geôles israéliennes. Une analyse minutieuse des chiffres relative à ce phénomène montre à quel point il s’agit là d’une stratégie de destruction du tissu social palestinien.


– Depuis 1967, près de 850 000 Palestiniens ont été incarcérés, ce qui signifie que près de 20 % de la population palestinienne sont passés par les prisons israéliennes ; – 40 % de la population masculine ont connu au moins une fois dans leur vie l’incarcération ; – L’incarcération des enfants est une constante de cette stratégie d’atomisation du tissu social palestinien. Selon l’UNICEF, Israël emprisonne en moyenne chaque année 700 mineurs de moins de 18 ans ; – 14 membres du Conseil législatif palestinien sont actuellement sous les verrous en Israël ; – Près de 150 Palestiniens connaissent un régime de détention administrative. Celle-ci permet de maintenir en prison une personne sans procès, sans aucune charge retenue contre elle et sans aucun acte d’accusation précis. Cette législation israélienne, qui s’appuie sur une loi d’urgence mise en place sous le Mandat britannique, permet en outre, de prolonger la période de détention ; – Plus de 10 000 femmes ont été incarcérées en Israël depuis 1967 ; – Plus de 1 200 palestiniens atteints de maladies graves (cancer, insuffisance rénale…) sont aujourd’hui en prison en Israël.

LES RÉFUGIÉS PALESTINIENS D’aucuns considèrent que les Palestiniens sont aujourd’hui le groupe le plus important de réfugiés à travers le monde. Aujourd’hui, plus de 20 % des réfugiés dans le monde sont palestiniens. Dès la création de l’État d’Israël en 1948, la question des réfugiés frappe de plein fouet la société palestinienne. Plus de 800 000 Palestiniens sur un total de 1 400 000 sont jetés sur les routes de l’exil lors du premier conflit qui accompagne la création de l’État hébreu. Cet exode massif de réfugiés palestiniens résulte notamment de la destruction de plus de 500 villages palestiniens. La plupart d’entre eux s’installent dans les pays limitrophes : Syrie, Liban et Jordanie. Des camps de réfugiés sont aussi créés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. L’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), organisme crée par les Nations

Unies pour venir en aide aux réfugiés palestiniens dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie recense près de 65 camps de réfugiés. En 1967, la guerre des Six Jours, qui aboutit à l’occupation de la bande de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, pousse 400 000 Palestiniens sur les routes de l’exil. Certains d’entre eux deviennent refugiés pour la deuxième fois, après avoir connu une première expulsion en 1948. Le Bureau central palestinien des statistiques recense aujourd’hui près de 11,6 millions de Palestiniens à travers le monde. Dans les territoires palestiniens occupés, on dénombre 4,4 millions d’habitants (2,7 millions en Cisjordanie et 1,7 million dans la bande de Gaza). Près de 44,2 % d’entre eux sont réfugiés (41,4 % en Cisjordanie et 58,6% dans la bande de Gaza). À l’échelle mondiale, plus de 60% des Palestiniens sont réfugiés avec près de 6 millions de déracinés. Devant cette situation, l’Assemblée générale de l’ONU adopte en 1948 la résolution 194 qui dispose : « Qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables. » Dans sa résolution 3226 du 22 novembre 1974, l’Assemblée générale de l’ONU réaffirme que les Palestiniens chassés de leur demeure bénéficient d’un droit au retour et souligne le caractère « inaliénable » de ce droit. Israël n’a jamais voulu en entendre parler.


palestine 08 DOSSIER BILAN ET ÉLECTIONS

Votez POUR

LA PALESTINE ! par l’Association belgo-palestinienne

Et si le 25 mai, vous décidiez de voter pour la Palestine ? De nombreuses motivations politiques peuvent orienter un vote et l’établissement d’une paix juste et durable en Palestine et Israël en est une de taille. Pour permettre aux électeurs de prendre connaissance du programme des différents partis démocratiques sur le sujet, l’Association belgo-palestinienne leur a adressé une série de propositions d’initiatives décisives, extraites de son mémorandum Élections 2014.

Dans le prolongement et en renfort du lancement de la campagne Made in Illegality (voir pp. 10-11), nous avons décidé de nous focaliser sur la problématique extrêmement préoccupante des colonies. En effet, les prochaines années seront cruciales pour obtenir des mesures concrètes de la part de nos décideurs politiques contre l’impunité dont jouit aujourd’hui Israël dans son non-respect du droit international et des droits de l’Homme dans le Territoire palestinien occupé. La première mesure concrète proposée aux partis concerne l’interdiction de l’importation et de la commercialisation des produits des colonies israéliennes en Belgique. Tous les partis s’accordent sur la nécessité de mettre en œuvre une telle mesure, à part le MR qui dit ne pas être en faveur d’un boycott. Cet argument traduit sans doute simplement une mauvaise compréhension de la mesure. L’interdiction se fonde en effet sur une obligation de la Belgique en matière de droit international et il ne s’agit en rien d’une mesure de sanction. Par ailleurs, l’interdiction des produits des colonies devra obligatoirement passer par une identification de ces produits. Une première mesure d’étiquetage distinctif pourrait en tous cas être rapidement mise en place puisque le MR la soutient lui aussi. Si seul l’étiquetage distinctif est adopté, le PTB s’engage, quant à lui, à soutenir activement les actions citoyennes en vue de parvenir à l’interdiction pure et simple de ces produits dans nos supermarchés. La deuxième proposition porte sur la transposition en droit belge des Lignes directrices relatives aux colonies adoptées en juillet 2013 par la Commission européenne. Le MR semble privilégier une mise en œuvre au niveau de l’Union européenne tandis que les autres partis insistent sur la nécessité de les transposer au niveau belge et, comme le précise très justement le PS, au niveau des entités fédérées. Dans la ligne du rapport Dubuisson, le PTB souligne que les Lignes directrices ne vont pas assez loin et qu’il faut assurer une meilleure application du droit international en suivant entre autres les recommandations du rapport Dubuisson (voir article p.10-11). Dans le même sens, Ecolo propose de pénaliser toutes les initiatives (économiques, académiques ou culturelles) impliquées dans la colonisation du territoire palestinien.

Tous les partis s’accordent sur la nécessité de dissuader les entreprises belges d’investir dans et d’entretenir des relations commerciales avec les colonies israéliennes. Leurs positions diffèrent quant à la manière de mettre en œuvre cette dissuasion. À nouveau, le MR préfère lancer ce genre de mesure au niveau européen, y voyant une maximisation de son impact. Le CDH ne précise pas la manière dont il compte dissuader les entreprises. Pour le PS, elle passerait par des avis sur les sites du SPF Affaires étrangères, du SPF Economie, de l’ambassade à Tel Aviv et du Consulat général de Belgique à Jérusalem. Le PTB et Ecolo proposent tous deux une interdiction pure et simple de tout investissement dans les colonies. Ecolo ajoute que ces investissements doivent être interdits, même s’ils sont indirects. Le PTB souligne, quant à lui, la nécessité de commencer par le désinvestissement par Dexia s.a. de sa filiale israélienne impliquée dans le développement des colonies. La quatrième proposition portait sur l’exclusion des entreprises implantées dans les colonies israéliennes des marchés publics et des appels d’offres. Le MR répond qu’il entend respecter en cela les positions prises au niveau de l’UE. Or de telles positions européennes n’existent pas encore. Seules les Lignes directrices se rapprochent d’une telle mesure mais ne concernent que les subventions, prix et instruments financiers financés par l’UE. Pour les autres partis, il semble clair que les marchés publics ne peuvent contrevenir au droit international et aux droits humains ou aller à l’encontre des efforts de paix. Le PTB est seul à souligner que le problème dépasse la seule colonisation et que c’est l’implication d’une entreprise dans son ensemble qui doit être visée. Cinquième question posée : « Êtes-vous prêts à dissuader les citoyens belges et européens d’acquérir des biens immobiliers dans les colonies israéliennes ? ». À nouveau, les réponses sont unanimement positives mais avec de nettes différences quant à la mise en œuvre concrète d’une telle mesure. Le MR répond « oui » mais note que « dissuader n’est pas chose aisée » et que « chacun est encore libre d’opérer les choix qu’il souhaite ». Le PTB, à l’inverse, utilise le terme « décourager » et envisage une interdiction légale. Le PS se veut plus pragmatique en insistant sur l’impossibilité de


Le bilan global est positif et permet d’identifier de nombreuses pistes d’action à privilégier lors de la prochaine législature. garantir des biens immobiliers situés dans des municipalités israéliennes au-delà des frontières d’avant-1967. Tous les partis s’accordent également sur la nécessité d’informer les voyagistes afin d’éviter toute forme de soutien à des entreprises et à des sites touristiques dans des colonies. Le PS propose des mesures concrètes d’avis de voyage sur le site du SPF Affaires étrangères, du Consulat général à Jérusalem et de l’ambassade à Tel Aviv. Le MR avance à nouveau que la mesure doit être prise au niveau européen. Faut-il veiller à ce qu’une organisation qui transfère des fonds destinés à renforcer et à étendre la colonisation ne puisse bénéficier d’une quelconque exemption fiscale ? Ecolo, PS, PTB et CDH répondent par l’affirmative : il faut, selon eux, exclure ce genre d’organisation de toute possibilité d’exemption fiscale. Le PS suggère qu’une initiative allant dans ce sens pourrait être prise au niveau européen puisqu’elle irait dans le prolongement de l’esprit des Lignes directrices de juillet 2013. Le PTB inscrirait la mesure dans sa politique de lutte contre la fraude fiscale et le contrôle des flux financiers. Le MR prétend, quant à lui, que la mesure est impossible à mettre en œuvre. Pourtant, comme souligné dans le rapport « La paix au rabais » (FIDH et alii, octobre 2012), la Norvège a déjà appliqué une telle mesure pour Karmel-instituttet, une organisation norvégienne de collecte de dons pour les colonies israéliennes. L’examen de ce cas pourrait d’ailleurs orienter et soutenir la mise en place d’une telle mesure. Tous les partis dénoncent l’impunité dont jouissent encore aujourd’hui les colons responsables de violences envers les Palestiniens. Ce n’est pas la volonté de lutter contre cette impunité qui semble manquer, mais plutôt des propositions d’initiatives concrètes. Sont entre autres citées les mesures suivantes : exercer des pressions diplomatiques, porter le débat au sein de l’UE pour garantir plus efficacement les droits des Palestiniens… Il s’agira donc de réfléchir ensemble à d’autres mesures concrètes susceptibles d’avoir un impact sur cette situation d’impunité. Les partis sont-ils prêts à s’opposer à tout rehaussement des accords bilatéraux, belges ou européens, avec Israël tant que ce dernier ne respecte pas ses obligations internationales ? Une même réponse dans le chef de tous les partis : oui. Mais les argumentations des uns et des autres divergent quant aux conditions d’une éventuelle reprise du rehaussement. Ecolo la lie au respect du droit international, le CDH à l’application de la position européenne visant à l’établissement de deux États, le PS à des progrès dans le processus de paix. Le MR relève, pour sa part, que le gel du rehaussement ne doit en rien signifier la réduction des relations bilatérales entre la Belgique et Israël. De son côté, le PTB préconise la suspension ou la suppression de l’accord d’association UE-Israël du fait que celui-ci

n’en respecte pas la clause majeure relative aux droits humains. Le PTB et le CDH sont les seuls à évoquer un gel au niveau belge (qui était en effet mentionné dans la question). Enfin, la dernière proposition portait sur la nécessité de prendre les dispositions réglementaires et pratiques nécessaires pour arrêter le commerce et le transit d’armes, de matériel militaire ou de sécurité entre les Régions wallonne et bruxelloise et l’État d’Israël. Le MR répond laconiquement « non ». Ecolo demande en revanche un embargo généralisé sur les armes pour l’ensemble du Moyen-Orient. Le PTB, le PS et le CDH soulignent qu’une application correcte du droit en vigueur permettrait de mettre un terme aux exportations, importations et transits d’armes entre les Régions wallonne et bruxelloise et Israël. Pour aller au bout de la question, il faudrait de plus mentionner et souligner la nécessité d’une meilleure transparence de l’octroi de licence d’armes, de matériel militaire ou de sécurité. À la lecture du panel de réponses à notre interpellation, une série de conclusions peuvent être tirées. Même s’il apparaît sur de nombreux points un consensus en matière de mesures à prendre entre les partis, celui-ci s’effrite quelque peu sur l’argumentaire ou la manière d’envisager la mise en œuvre de ces mesures. Il est par ailleurs clair que la faiblesse de certains arguments ou leur inadéquation trahit un manque de maîtrise du sujet. Ecolo cite les Lignes directrices de l’UE sur les colonies pour justifier un embargo sur les produits des colonies alors que celles-ci n’ont aucun effet en la matière. Le MR rejette, quant à lui, l’exclusion des organisations venant en soutien à la colonisation du bénéfice de l’exonération fiscale, arguant que c’est impossible à réaliser alors que cela a déjà été appliqué en Norvège. Certaines tendances particulières transparaissent également dans les réponses des partis. Le CDH se base sur le droit international pour justifier la plupart de ses positions. Le MR préfère appuyer des actions au niveau européen, sans pour autant proposer de solutions en cas de blocage à ce niveau-là. Le PTB fait état de nombreux cas précis, tels Dexia et G4S et montre une volonté d’agir concrètement ; de plus, il entend œuvrer avec les mouvements sociaux pour dépasser les éventuels blocages au niveau politique. Ecolo, quant à lui, fait preuve de beaucoup de détermination mais avance peu de précisions quant à la mise en œuvre pratique de ses positions. Le PS est précis sur les mécanismes à actionner même s’il manque parfois de fermeté. Le bilan global est néanmoins positif et permet d’identifier de nombreuses pistes d’action à privilégier lors de la prochaine législature, tant au niveau européen, fédéral que régional. 1/ Ont été contactés les principaux partis démocratiques (CDH, Ecolo, FDF, MR, PS, PTB). Nous n’avons pas reçu de réponse du FDF. L’intégralité des réponses peut être consultée sur le site de l’ABP (www.association-belgo-palestinienne.be)


palestine 10 CAMPAGNE MADE IN ILLEGALITY

MADE IN

Illegality

par Rabab Khairy

Lancée à Bruxelles ce 27 février, la campagne Made in Illegality offre à la société civile belge et européenne un nouvel instrument pour en finir avec l’inaction des États européens et de l’Union européenne vis-à-vis de la politique d’occupation et de colonisation d’Israël. Coordonnée au niveau national belge par le CNCD-11.11.11, son homologue flamand 11.11.11 et la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), la campagne regroupe un peu plus d’une vingtaine d’organisations 1 de développement, de paix, de défense des droits de l’Homme et de syndicats.

L’hypothèse de départ est simple : toutes les colonies israéliennes sont illégales et constituent une violation grave du droit international. Or la Belgique et l’UE, en entretenant des relations économiques, commerciales et de coopération avec les colonies, contribuent à la prospérité, la pérennité et l’expansion de celles-ci et contreviennent, de ce fait, au droit international. Ainsi, en dépit de tous les discours de condamnation unanime de la politique de colonisation d’Israël de la part de la communauté internationale, la Belgique et l’UE, loin de prendre des mesures de pression pour contraindre Israël à respecter le droit international, bien au contraire, renforcent et consolident la colonisation israélienne.

3/ Ne pas prêter aide ou assistance au maintien d’une situation illégale. De par cette obligation, l’UE et ses États membres ne peuvent entretenir avec les colonies de relations économiques et commerciales qui contribuent à leur prospérité économique.

Consulté sur la question par les organisateurs de la campagne, le professeur de droit international à l’ULB, François Dubuisson, dans un rapport 2 juridique très fouillé, met en évidence trois obligations qui s’imposent aux États tiers : 1/ Faire respecter le droit international humanitaire. En l’occurrence, il s’agit pour l’UE et ses États membres de prendre les mesures nécessaires pour faire respecter par Israël l’interdiction de la colonisation. 2/ Ne pas reconnaître comme licite une situation illégale. Cette obligation coutumière de droit international vise à interdire tout acte qui impliquerait une telle reconnaissance, qui soit de nature à admettre l’autorité d’Israël sur le territoire palestinien ou à accorder des effets juridiques aux activités des colonies.

Si l’UE jusqu’ici n’a pas toujours été rigoureuse quant à la mise en œuvre de ses obligations, tout indique qu’elle les prend enfin en considération, en réponse à la pression grandissante de la société civile. C’est ainsi qu’en juillet 2013, la Commission européenne a franchi le pas en adoptant des Lignes directrices qui excluent les colonies de « prix, instruments financiers ou subventions » qu’elle finance. C’est un bon début mais cela reste insuffisant par rapport à la nécessité de mettre la politique européenne en pleine conformité avec le droit international et de prendre des initiatives qui soient susceptibles d’infléchir efficacement la politique de colonisation d’Israël. En Europe et ailleurs dans le monde, des pays prennent aussi des mesures afin de se conformer au droit international. Dernièrement,

Pour l’État belge, ces obligations impliquent : – qu’il s’assure que sa politique ne soutient pas directement ou indirectement la pérennisation et l’expansion des colonies ; – qu’il prenne les mesures nécessaires pour mettre fin à toutes les relations qui lient son économie à l’économie de la politique de colonisation israélienne.


des États comme la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la Suède ou les Pays-Bas ont ainsi exclu de leur fonds de pension publics des sociétés israéliennes impliquées dans les colonies et ont justifié leur décision en invoquant leurs obligations internationales. Aujourd’hui, nombre de pays et d’entreprises prennent ainsi leurs distances avec les colonies israéliennes. En exigeant énergiquement l’interdiction de l’importation des produits des colonies en Belgique et en Europe, la campagne Made in Illegality entend s’insérer dans cette dynamique et tout porte à croire que des résultats se feront bientôt ressentir. La période électorale en cours permet aux organisations de la campagne de demander aux partis et candidats belges de s’engager clairement sur la question. Ainsi, la première rencontre avec le public belge, un séminaire qui s’est tenu le 28 mars au Parlement fédéral, s’est voulue aussi un moment d’interpellation publique des partis politiques. Et c’est durant le séminaire et dans des réponses au mémorandum du CNCD-11.11.11 que les partis Ecolo, Groen, PS, CDH, FDF et PTB-GO! se sont prononcés en faveur des revendications de la campagne et pour l’interdiction de la commercialisation des produits des colonies. Un mois seulement après le lancement de la campagne, ces premiers acquis augurent un développement positif de la part de la Belgique, du moins en ce qui concerne la prise de conscience de ses obligations vis-à-vis de la politique israélienne de colonisation. Et l’action se poursuit avec la pression populaire sur le gouvernement belge qui s’exerce à travers la pétition Made in Illegality mise récemment en ligne. Parallèlement, la campagne entend cibler de façon concrète et précise le type de relations venant en soutien à la colonisation et à la cessation desquelles la Belgique devrait immédiatement procéder. Ceci fera l’objet d’une étude qui identifie tous les liens qui existent entre la Belgique et l’économie de l’occupation israélienne en général et qui sera très prochainement publiée 3. Certaines entreprises, telles que le groupe bancaire Dexia SA, G4S, la multinationale de services et d’équipements de sécurité ou encore les multinationales Alstom et Veolia ont depuis longtemps fait l’objet de campagnes dénonçant

leur liens avec et leur soutien à la colonisation. L’étude permettra de faire apparaître d’autres entreprises en Belgique en lien avec la colonisation israélienne et d’exposer d’autres types de liens plus ténus qui existent entre des entités belges et la colonisation. Le message de la campagne est formel en la matière : la Belgique ne peut laisser se poursuivre ce type de relations. Il est de son devoir de dissuader les entreprises belges d’investir dans et d’entretenir des relations commerciales avec les colonies israéliennes. Et elle se doit d’exclure de ses marchés publics et de ses appels d’offres toute entreprise implantée ou opérant dans les colonies. Ainsi, l’arsenal juridique déployé par la campagne Made in Illegality permet d’attaquer de front le problème que posent les relations économiques et commerciales des entités privées et publiques belges avec les colonies israéliennes, en dénonçant clairement le fait que l’UE et ses États membres, en laissant se perpétuer ce type de relations, contribuent à la consolidation de la colonisation israélienne et commettent de ce fait des violations du droit international. Les actions de dénonciation des distributeurs et des grandes surfaces qui commercialisent des produits des colonies, tels que les appareils SodaStream, les produits cosmétiques Ahava ou la panoplie de produits maraîchers cultivés en territoire palestinien, n’en restent pas moins toujours nécessaires car les acteurs privés ont également à prendre en compte le respect du droit international. Made in Illegality vient cependant renforcer ces actions en s’adressant à la source, directement aux États, pour leur rappeler l’obligation qui est la leur de faire cesser tout soutien direct ou indirect au maintien de la situation illégale que représente la colonisation israélienne. 1/ 11.11.11, Agir pour la Paix, Association belgo-palestinienne, Broederlijk Delen, CGSP wallonne, CNAPD, CNCD-11.11.11, CSC, FGTB-ABVV, FIDH, FOS, Intal, La Centrale Générale-FGTB, Ligue des droits de l’Homme, M3M Médecine pour le Tiers Monde, MOC, Palestina Solidariteit vzw, Pax Christi Vlaanderen, Pax Christi WallonieBruxelles, Solidarité Socialiste, Union des progressistes juifs de Belgique, Vrede vzw, Vredesactie. 2/ Ce rapport ainsi que tous les documents de la campagne peuvent être consultés et téléchargés sur le site de la campagne : www.madeinillegality.org. 3/ En cours de traduction, cette étude, commandée dans le cadre de la campagne Made in Illegality a été réalisée par Katarzyna Lemanska. Elle pourra également être consultée sur le site de la campagne.


palestine 12 SOLIDARITÉS BELGO-PALESTINIENNES

Tous ensemble LE 24 MAI POUR LA PALESTINE !

En novembre dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies décrétait 2014 « Année internationale de la solidarité avec le peuple palestinien ». On connaissait déjà la Journée internationale de solidarité, célébrée chaque année le 30 novembre, mais là, les Nations Unies décident d’y consacrer une année entière.

par Nathalie Janne d’Othée

L’initiative est née de la volonté d’encourager les efforts de paix relancés en juillet dernier sous l’égide des États-Unis. Cette résolution a pourtant essuyé 7 refus lors de son vote à l’AG, ceux de l’Australie, du Canada, des États-Unis, d’Israël, des Îles Marshall, de la Micronésie et du Palaos. Cela en dit beaucoup sur l’esprit qui préside aux négociations en cours puisqu’une des deux parties ainsi que le médiateur s’opposent à une initiative qui ne vise qu’à soutenir la solidarité avec le partenaire pour la paix le plus faible. Mais la solidarité internationale avec le peuple palestinien n’a que faire du processus de paix. Elle n’a pas attendu une année spéciale pour être présente, depuis longtemps, en nombre et en diversité aux côtés des Palestiniens dans le combat commun pour leurs droits. En Belgique, elle prend forme dans les initiatives les plus diverses. Ce sont tous ces messages d’espoir, portés par les citoyens, les associations, les ONG, les artistes, les localités, les agences onusiennes, les étudiants ou encore la diaspora palestinienne qui seront mis à l’honneur lors du grand événement Yalla Palestina le 24 mai prochain au Parc du Cinquantenaire à Bruxelles. En attendant de les découvrir le 24 mai, voici une petite promenade, non exhaustive, parmi les solidarités belges avec le peuple palestinien.

CAMPAGNES Plusieurs campagnes sont actuellement en cours en Belgique. Elles visent à sensibiliser les citoyens et/ou à interpeller les responsables politiques en Belgique pour qu’ils agissent ici pour renforcer les droits des Palestiniens. Une campagne lancée par l’ABP invite les citoyens à boycotter les fruits et légumes provenant d’Israël. Le mouvement de solidarité INTAL a, quant à lui, lancé une campagne pour pousser nos décideurs à appliquer un embargo militaire à Israël. C’est aussi INTAL qui anime encore aujourd’hui la plateforme de la campagne Palestine occupée, Dexia impliquée, qui a fait pression sur la banque belge afin qu’elle désinvestisse sa filiale israélienne présente dans les colonies. Quant à l’organisation Palestina Solidariteit, elle mène

campagne contre G4S, présent dans les systèmes de sécurité de certaines prisons, du Mur et des checkpoints en Palestine occupée. Toutes ces initiatives sont reliées au plus grand mouvement pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions créé à la suite de l’appel de la société civile palestinienne en 2005. Depuis peu, une nouvelle coordination BDS Belgium, issue des organisations belges qui agissent pour la Palestine, essaye d’accroître le nombre d’organisations belges signataires de cet appel (avis à celles qui ne l’ont pas encore fait, contactez-nous via le site www.bds-campaign.be/). La campagne Made in Illegality (voir article p.10-11) vient d’être lancée conjointement par des organisations de solidarité, des ONG de développement, des syndicats et des organisations de droits de l’Homme. Elle met l’accent sur l’illégalité des colonies israéliennes en Palestine occupée et sur les obligations de la Belgique au regard du droit international à cet égard. Sa principale revendication est l’interdiction de la commercialisation des produits des colonies sur le marché belge.

LES ORGANISATIONS DE DROITS DE L’HOMME Les organisations de droits de l’Homme présentes en Belgique ont toutes déjà lancé des actions particulières sur la Palestine. L’implication de certaines d’entre elles dans la campagne Made in Illegality a déjà été mentionnée. Amnesty International a, de son côté, récemment appelé la Palestine à adhérer à la Cour pénale internationale afin que puissent être jugés les crimes de guerre commis dans le territoire palestinien occupé. De nombreux juristes belges ont eu, par ailleurs, l’occasion de se rendre en Palestine, notamment lors d’une initiative intitulée PaLEXtine, et en reviennent la plupart du temps avec l’intention d’agir pour le respect du droit international dans cette partie du monde.

SE RENDRE EN PALESTINE Le fait de voir ce qui se passe sur le terrain a toujours le même effet sur ceux qui en reviennent : une envie de témoigner et d’agir ! Il est bien sûr possible de se rendre sur place par soi-même mais de


nombreuses organisations offrent également des opportunités de découvrir la Palestine et Israël de manière alternative. L’ABP, Palestina Solidariteit, l’UPJB, Solidarity with Bedouins, les Checkpoints singers organisent tous des voyages sur place, précédés de formations. Il est également possible de partir faire du volontariat en Palestine, que ce soit via le Service civil international ou l’organisation Javva.

COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT ET HUMANITAIRE La Palestine est déjà soutenue par des actions politiques mais l’est également via des projets de la coopération, directe ou indirecte, au développement. Depuis 2000, le Territoire palestinien fait partie des pays partenaires de la coopération belge au développement. Outre la Coopération technique belge (CTB), de nombreuses ONG belges comme Solidarité socialiste, Oxfam Solidarité ou Broederlijk Delen soutiennent aussi des projets sur place. Les syndicats se sont également investis dans la coopération avec la Palestine, que ce soit par l’envoi de groupes de syndicalistes sur le terrain ou par le soutien de syndicats ou de projets en Palestine même. La Centrale Générale a ainsi aidé à créer une section pétrochimie à la Palestinian General Federation of Trade Unions (PGFTU) et soutient également un centre d’information dans le quartier de Silwan à Jérusalem-Est.

COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE ET JUMELAGES La coopération s’effectue aussi de manière décentralisée par des financements régionaux via des villes et communes belges voire par des écoles qui soutiennent des projets locaux en Palestine. Certaines villes et communes sont également jumelées avec des municipalités palestiniennes. En 2012, la ville de Tournai s’est ainsi jumelée avec la ville de Bethléem. La commune d’Ixelles est, quant à elle, jumelée avec la municipalité de Zababdeh située dans le nord de la Cisjordanie occupée.

LES ARTISTES ET LES ÉTUDIANTS SONT AUSSI SOLIDAIRES On ne compte plus les artistes inspirés par la Palestine et son combat pour ses droits. Plus qu’une inspiration, c’est aussi devenu un partenariat, une lutte commune. Chez nous, le centre culturel KVS accueille régulièrement des productions palestiniennes. Depuis quatre ans, le Festival Eye on Palestine met, quant à lui, l’accent sur le cinéma palestinien. Et puis, certains artistes soutiennent également l’appel de la société civile palestinienne au boycott académique d’Israël. Le boycott académique, c’est aussi l’affaire des étudiants. Ceux-ci sont nombreux à se mobiliser dans les universités pour faire cesser les liens et échanges avec les institutions académiques israéliennes tant qu’Israël ne respecte pas ses obligations en matière de droit international. En 2013, la Fédération des étudiants francophones (FEF) s’est ainsi prononcée en faveur d’un gel des relations avec les universités israéliennes.

DIASPORA PALESTINIENNE À tous les liens qui existent entre la Belgique et la Palestine, il ne faut pas oublier d’ajouter la présence en Belgique de la diaspora palestinienne. La communauté palestinienne de Belgique n’est pas très nombreuse mais est présente de longue date en Belgique. Auparavant peu organisée bien qu’active au sein de nombreuses associations, elle s’est depuis organisée et connaît un souffle nouveau depuis 2012. Vous aussi, vous pouvez participer ! De nombreux événements sont organisés tout au long de l’année sur des questions qui concernent la Palestine. Dans les événements réguliers, vous êtes les bienvenus aux Café Palestine (à 19h au Monk tous les 1ers jeudis du mois) et aux manifestations devant l’ambassade d’Israël (à 12h30 tous les 2e vendredis du mois, depuis 10 ans déjà). Mais avant tout, on vous attend nombreux le 24 mai au Cinquantenaire pour célébrer la solidarité avec la Palestine ! (voir programme en 4e de couverture).


palestine 14 FEMMES À GAZA

Les femmes de Gaza

ENDURENT TOUTES LES SOUFFRANCES DE LA PALESTINE par Eva Bartlett

Pendant la Journée internationale des femmes, la plupart des femmes dans le monde réclament l’égalité au travail et la fin des violences domestiques, mais Mona El Farra et la majorité des femmes de Gaza luttent, elles, pour leurs droits humains les plus élémentaires. « C’est difficile de vivre sur cette petite bande de terre où les besoins les plus basiques tels que l’eau potable, la fourniture régulière d’électricité, des sanitaires corrects et des possibilités de détente pour les habitants ne sont pas rencontrés. Les femmes de Gaza sont particulièrement traumatisées par les attaques continuelles de l’armée israélienne», a dit la docteure El Farra. Un rapport de 2009 du Centre palestinien pour les droits humains (PCHR) dénonce les souffrances des Palestiniennes sous le siège israélien illégal imposé à la bande de Gaza depuis sept ans et durant les 23 jours de l’agression israélienne de 2008-2009 qui a provoqué la mort de 1400 Palestiniens, dont 112 femmes. Le rapport qui s’intitule « Par les yeux des femmes » parle de la lutte permanente des femmes de Gaza pour «tenter d’accepter leur douleur et leurs blessures, la perte de leurs enfants, de leurs maris, de membres de leurs familles, de leurs maisons et de leur moyens de subsistance. » […] Tagreed Jummah, qui dirige le comité de l’Union des femmes palestiniennes de la ville de Gaza convient, elle aussi, que le siège est leur principal oppresseur. « Le siège nous affecte tous mais il affecte spécialement les femmes » dit Jummah. « Ces dernières années, de plus en plus de femmes ont été contraintes de devenir chefs de famille parce que leurs maris ont été tués ou emprisonnés en Israël ou sont au chômage à cause du siège. Mais la majorité de ces femmes ne disposent d’aucun moyen de gagner de l’argent. »

« À Gaza, nous n’avons pas une vie normale, nous survivons seulement en nous adaptant aux conditions anormales du siège et de l’occupation », dit la doctoresse Mona El Farra qui milite depuis longtemps pour les droits humains et les droits des femmes dans la bande de Gaza. Un rapport de l’ONU d’août 2012 intitulé « Gaza en 2020, un endroit vivable ? » affirme que le chômage « est plus élevé que dans la fin des années 1990 ». Le rapport en illustre l’impact sur les femmes dont le taux de chômage était, dès le début de 2012, de 47 %. Malaka Mohammed, une diplômée en littérature anglaise de 22 ans de l’université islamique de Gaza, qui est maintenant employée à l’université, aimerait poursuivre ses études mais elle ne le peut pas. « À Gaza, que vous soyez un homme ou une femme, le problème est le même sous le siège et l’occupation. J’aimerais obtenir un doctorat en anglais mais à Gaza aucune université n’y prépare. » Cela fait dix ans qu’Israël interdit aux Palestiniens de Gaza d’aller étudier dans les universités des territoires occupés de Cisjordanie. « Aller étudier à l’étranger coûte très cher alors je cherche à décrocher une bourse, tout comme des milliers d’autres étudiants. » L’Égypte de Moubarak s’est rendue complice d’Israël en empêchant des centaines d’étudiants palestiniens auxquels des universités étrangères avaient octroyé des bourses de quitter la bande de Gaza.(…) Rana Baker, qui étudie la gestion d’entreprise à l’université islamique tout en faisant du journalisme en freelance, milite sur quantité de questions politiques qui touchent les Palestiniens. « Pour être honnête, en ce qui concerne l’impact du siège israélien et de la colonisation sur le peuple de Gaza et de toute la Palestine, je ne pense pas que l’expérience des femmes soit très différente de celle des hommes », dit Baker. «Quand Israël bombarde délibérément des écoles, hommes et femmes en sont également affectés. Quant aux limites qu’Israël impose à nos aspirations, elles affectent autant les uns que les autres. Le gouvernement israélien ne se soucie pas de la population


palestinienne. Les mêmes politiques cruelles sont appliquées indistinctement aux hommes, aux femmes et aux enfants.» Mais les femmes ont des problèmes spécifiques. La pauvreté induite par le siège a contraint 80 % des 1,7 million de Palestiniens à devenir dépendants de l’aide internationale et a aggravé les problèmes de malnutrition et d’anémie des femmes. Un rapport conjoint de juin 2012 de l’Aide médicale pour les Palestiniens et de Save the Children montre que l’anémie affecte 36,8% des femmes enceintes de Gaza et que l’anémie peut fragiliser les bébés, jouer un rôle dans 20% des cas de décès maternels et réduire la capacité de travail des adultes. » Haddad a écrit, en commentaire du livre de cuisine intitulé La cuisine de Gaza : un voyage culinaire en Palestine qu’elle a coécrit : « Même à Gaza, la petite bande de terre la plus tourmentée de la terre, des centaines de milliers de femmes trouvent le moyen, jour après jour, de nourrir physiquement autant que moralement leurs familles et leurs amis. Elles font de la cuisine une forteresse contre le désespoir et commuent la nécessité en plaisir et dignité.» Selon Haddad, le livre de cuisine est comme un rayon de soleil au cœur des épreuves que vivent les foyers palestiniens. Pour elle, la cuisine gazaouie est le meilleur endroit pour voir “«comment on réussit à faire la cuisine malgré le manque de gaz et d’électricité, comment les familles se réorganisent pour faire face à la destruction des maisons et au chômage quasi général.» Elle note que pour comprendre la réalité de la vie d’une Palestinienne de Gaza, il faut avoir conscience de « la force et de l’endurance dont font preuve ces femmes qui sont confrontées chaque jour à des situations désespérées et qui parviennent à créer dans leurs intérieurs de petits espaces de grâce, de beauté et de générosité. » Pour Tagreed Jummah, du comité de l’Union des femmes palestiniennes de la ville de Gaza, les femmes palestiniennes « sont le symbole de la résilience palestinienne, de la résistance ; leur force est le miroir de la lutte et de la ténacité palestiniennes. Nous avons perdu nos familles, nos enfants et nous continuons à subir les agressions et les bouclages de l’armée israélienne. Nous portons toute la souffrance de notre peuple mais nous continuons à vivre et à résister. » Dans son rapport sur les souffrances des femmes de Gaza, le PCHR souligne que la situation n’a aucune chance de s’améliorer tant que

le siège de Gaza n’est pas levé et que Gaza ne peut pas avoir des activités économiques normales. « Les terribles conditions économiques ont pour conséquence que de plus en plus de femmes et de familles s’enfoncent dans une grande misère. Elles ont subi l’horreur d’une guerre illégale et maintenant, elles luttent juste pour survivre. » Eva Bartlett est une bénévole de ISM qui est entrée à Gaza sur un bateau qui a brisé le blocus en novembre 2008 – un mois seulement avant qu’Israël ne lance son ignominieuse invasion de 22 jours. Elle y est toujours. Voici l’adresse de son blog: http://ingaza.wordpress.com. 8 mars 2013 – CounterCurrents – Vous pouvez consulter cet article sur http://www.countercurrents.org/bartlett080313.htm Traduction : Info-Palestine.eu, Dominique Musselet

COALITION DES FEMMES CONTRE LE BLOCUS DE GAZA : LA SOLIDARITÉ EMPÊCHÉE Sur la suggestion de militants français, une centaine de femmes de Gaza ont lancé un appel au secours dans lequel elles dénonçaient les conséquences du blocus de Gaza qui sévit déjà depuis 7 ans. En réponse à cet appel, une centaine de femmes de différents pays (dont des Belges) ont organisé une mission de solidarité qui devait coïncider avec la Journée internationale des femmes le 8 mars. La militante algérienne emprisonnée et torturée par les Français lors de la guerre d’Algérie, Djamila Bouhired, s’y était jointe ainsi que Mairead Maguire, la lauréate du prix Nobel de la Paix. Pour qu’elles puissent arriver à Gaza, les autorités égyptiennes devaient leur permettre le passage par Rafah. Alors que les participantes avaient toutes un visa pour l’Égypte, elles ont toutes été bloquées à l’aéroport du Caire. La militante américaine Medea Benjamin a même été arrêtée et violentée par la police avant d’être refoulée vers les USA. Certaines ont refusé de repartir et ont manifesté dans l’aéroport même… avant d’être obligées de s’en retourner chez elles. Si la mission internationale n’a pu rencontrer les femmes de Gaza, au moins aura-telle brisé le silence qui entoure le blocus. Il semble bien que l’Égypte de Sissi veuille elle aussi punir la population gazaouie pour la seule raison qu’elle est gouvernée par le Hamas, issu des Frères musulmans. M.B.


palestine 16 SYRIE, 4

e

ANNÉE DE CONFLIT

Syrie

LE CONFLIT ENTAME SA QUATRIÈME ANNÉE par Irina Prentice, UNRWA

Irina Prentice est chargée de communication sur la crise syrienne pour l’UNRWA. Elle s’est rendue en Syrie peu de temps avant le troisième anniversaire du conflit (13 mars 2014). Elle a rencontré des réfugiés palestiniens enfermés dans le camp assiégé de Yarmouk et dans 2 des 34 abris collectifs où vivent désormais 14 000 déplacés internes. Elle rend compte de ce qu’elle a vu et entendu.

« Seigneur, aie pitié. Des gens sont morts. Quel est ce monde dans lequel nous vivons ? », dit un vieil homme en sanglotant. « N’y a-t-il personne qui s’en soucie ? Où est passée l’humanité des gens ? » Dans le soleil, au milieu de flaques d’eau stagnante, debout dans la rue Rama dans le camp de Yarmouk, je regarde avec consternation la façade d’un bâtiment brûlé, son troisième étage détruit par des charges explosives. Des murs entiers de béton pendent à des supports en acier tordus vers le bas, la structure de l’édifice a été déformée par les explosions répétées. Dans une rue, autrefois animée, du camp de Yarmouk à Damas, les bâtiments ravagés restent silencieux. Leurs cicatrices témoignent de l’intensité des affrontements qui ont frappé la région. Des hommes, des femmes et des enfants anxieux approchent prudemment à travers les décombres, espérant recevoir de l’UNRWA une aide alimentaire dont ils ont désespérément besoin. Ils ont vécu sous le siège durant les neuf derniers mois. À Yarmouk, qui autrefois abritait 160 000 réfugiés palestiniens, 18 000 restent désormais pris au piège. Ils ont un besoin urgent d’aide humanitaire continue et sans entrave. Ils partagent avec moi les histoires poignantes de leur lutte quotidienne pour la survie, pour la recherche de nourriture et d’un abri sûr. Aaliya*, une femme mince vêtue de noir, fait la file pour recevoir l’aide humanitaire de l’UNRWA. Elle me dit qu’elle pense avoir perdu environ 20 kg depuis le Ramadan 2013, lorsque le siège du camp de

Yarmouk a commencé. En racontant les difficultés auxquelles elle a dû faire face durant le siège, elle a du mal à maitriser son émotion. « Pendant huit mois, les enfants n’ont pas eu de pain et il n’y a pas de nourriture à acheter », dit-elle. En essuyant ses larmes, Aaliya me montre sa main. La saleté a rempli les crevasses de ses paumes, qui sont rugueuses et tannées. Je lui demande comment elle s’est nourrie. « Avec un groupe de femmes, nous allons dans les champs pour chercher quelque chose à manger. S’il n’y avait pas de mauvaises herbes, nous serions mortes. Nous mangeons, une fois la nuit tombée, des mauvaises herbes et de la soupe », dit-elle. Je lui pose des questions sur sa maison. « Ma maison a été bombardée ; donc je vis dans un appartement vide qui appartient à quelqu’un d’autre. Il n’y a pas d’électricité, il n’y a pas de lumière. Nous cuisinons avec le bois des meubles. Est-ce acceptable ? », me demande-t-elle, « Est-ce acceptable ? » La force et la vulnérabilité d’Aaliya sont frappantes, mais tout dans son comportement traduit son épuisement. Simplement, je demande comment elle va et comment elle se débrouille. « Je suis morte de peur ». Elle recommence à pleurer, en se prenant la tête dans les mains. « Je jure devant Dieu, que tout ce que je veux, c’est que les gens reviennent au camp et retrouvent une vie normale. » Aujourd’hui, la plupart des réfugiés palestiniens ont perdu leurs moyens de subsistance ; beaucoup ont perdu leurs maisons ; leurs familles sont dispersées. Plus de 50 pour cent des 540 000 Palesti-


© Rami Al-Sayyed/UNRWA Archives

niens de Syrie ont été déplacés à l’intérieur de la Syrie. Des dizaines de milliers d’autres ont fui vers les pays voisins. Parmi les réfugiés palestiniens qui ont fui les zones de combat, beaucoup vivent dans des abris collectifs dans Damas. Ils décrivent des histoires navrantes de proches perdus et de chagrins permanents. Beaucoup me demandent si je peux aider à rechercher leurs proches disparus. Dans l’abri collectif de Jaramana, Hanna*, accompagnée de deux de ses jeunes enfants, s’approche de moi. D’une voix épuisée, elle me demande si je peux aider à localiser son mari qui a disparu un matin après avoir quitté la maison pour aller travailler. « J’ai quatre enfants, dont deux en bas âge. Je n’ai pas de travail et je ne sais tout simplement pas comment nous allons faire pour nous en sortir », dit-elle. « Savez-vous comment je peux trouver mon mari ? », me demande-t-elle les yeux gonflés de larmes. Avant le conflit, 27 pour cent des réfugiés palestiniens vivaient avec moins de 2 dollars par jour, ce qui signifie que beaucoup ont déjà épuisé leurs maigres ressources. Les jeunes hommes sont particulièrement vulnérables. Leurs études interrompues, ils luttent contre le chômage. La situation désespérée de la plupart des familles que j’ai rencontrées est aggravée par l’impossibilité de trouver du travail. Dans l’école Haïfa de l’UNRWA, qui a été transformée en centre collectif, je rencontre Ahmed*. Il me dit qu’il était entrepreneur. « Je me suis spécialisé dans la peinture et la décoration d’intérieur, mais il est vraiment difficile de trouver du travail », dit-il. « Au cours de la dernière année, je n’ai eu que quatre travaux de peinture à faire, et le reste du temps je reste dans notre chambre dans cet abri », poursuit-il. « Ne pas travailler est un cauchemar, et le pire, c’est que je me sens mal de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ma famille », dit-il. Je lui demande s’il espère revenir un jour ; Ahmed me répond : « Inch’Allah », si Dieu le veut.

Après quatre années de conflit, la situation humanitaire des refugiés palestiniens en Syrie est désespérée. L’usage continu de la force armée a perturbé les efforts de l’Agence pour soulager les souffrances de nombreux civils. À Yarmouk, l’UNRWA continue d’exiger avec fermeté que les parties au conflit cessent les hostilités et permettent immédiatement la reprise de la distribution de vivres aux civils piégés à l’intérieur. Globalement, l’UNRWA doit fournir une assistance humanitaire continue à plus de 440 000 réfugiés palestiniens affectés par le conflit en Syrie. Chaque contribution individuelle est un symbole d’humanité. S’il vous plaît soutenez, aujourd’hui, les réfugiés palestiniens de Syrie. Source : UNRWA, Surviving a conflict entering fourth year, how much longer to go?, 27 mars 2014. * Les noms ont été modifiés

YARMOUK COMPTE TOUJOURS SUR VOUS ! Sur 150 000 habitants en 2011, seuls 18 000 réfugiés palestiniens sont encore à Yarmouk. Assiégés, les civils sont soumis à la faim et à des conditions d’hygiène intenables : la malnutrition se propage et les soins de santé sont inexistants. Enfin, les causes de mortalité liées à des maladies facilement curables progressent, surtout chez les populations les plus vulnérables, comme les enfants et les personnes âgées. Yarmouk a besoin de notre aide. Pour cela, la Communauté Palestinienne en Belgique et au Luxembourg et l’UNRWA ont besoin de votre soutien. Faites un don aujourd’hui et soutenez nos efforts continus pour alléger la souffrance des populations civiles de Syrie et de Yarmouk en particulier. Faites un don par virement bancaire à : Austria Creditanstalt IBAN: AT391100000290573500 BIC: BKAUATWW - Code: YarmoukEurope


palestine 18 JUDAÏSATION DE JÉRUSALEM-EST

La judaïsation de Jérusalem-Est, dénoncée dans les rapports des consuls européens, s’accélère au point que ces mêmes consuls préconisent des sanctions contre Israël. Les diplomates dénoncent une colonisation « systématique, délibérée et provocatrice », « la plus grande menace pour une solution à deux États ». Cet article ne traite que des événements récents et les conséquences du Mur n’y sont donc pas décrites.

Jérusalem-Est BIENTÔT COMME JAFFA par Marianne Blume

JUDAÏSATION ET KIDNAPPING DE LA VILLE Après la guerre de 1967, Jérusalem-Est est, en dépit du droit international, annexée à Israël (tout comme les hauteurs du Golan). En 1980, la Loi de Jérusalem (une des lois fondamentales de l’État d’Israël qui n’a pas de constitution) définit Jérusalem, territoire occupé/annexé compris, comme la « capitale une et indivisible » d’Israël. Depuis lors, la volonté affichée des gouvernements est d’y assurer une majorité juive. En 1973, une commission est établie dont les recommandations sont d’assurer une proportion de 75,5% de Juifs pour 24,5 % d’Arabes. Depuis 1967, la superficie de la municipalité n’a cessé de s’agrandir en territoire occupé (de 5,5 km2 à 71 km2) par la saisie du plus de terres et du moins d’habitants palestiniens possible, notamment grâce au tracé du Mur. Par ailleurs, Israël n’a cessé d’étendre et consolider la présence juive à l’est de la ville : implantations de différentes colonies israéliennes parmi la population palestinienne, comme à Silwan et Ras al-Amud ou même à l’intérieur de la vieille ville et installation d’institutions israéliennes telles que la police municipale dont le siège est à Sheikh Jarrah. Le développement des colonies israéliennes à l’est de la ville – à l’intérieur de la frontière municipale définie par Israël – forme un arc de cercle intérieur coupant la ville du reste de la Cisjordanie (notamment les colonies de Pisgat Zeev au nord et Gilo et Har Homa au sud). D’autre part, Israël agrandit de jour en jour les colonies israéliennes de Cisjordanie, situées à l’extérieur de la frontière municipale de Jérusalem définie par Israël et formant un arc de cercle extérieur entourant Jérusalem-Est (blocs de colonies de Givat Zeev au nord, Maale Adumim à l’est et Gush Etzion au sud, projet E1). Sur son flanc sud, Jérusalem-Est est en passe d’être totalement isolée de Bethléem. Quant au projet dit E1 (E pour Est), il va carrément

couper la Cisjordanie en deux zones, une zone nord et une sud. Bref, tout est mis en place pour kidnapper la ville arabe et éliminer toute possibilité qu’elle devienne la capitale d’un État palestinien.

UN OBJECTIF : MOINS D’« ARABES » La technique est assez simple. Premièrement, on réduit l’espace: à Jérusalem-Est, suivant les plans d’urbanisme israéliens, 13 % seulement de l’espace sont réservés aux Palestiniens ; 35% ont été expropriés pour les colonies ; 22% ont été déclarés « zone verte » et 30% n’ont pas reçu d’affectation. Résultat : pas de développement palestinien possible. Deuxièmement, on n’accorde que rarement un permis de construire dans les zones déjà construites où vivent les Palestiniens et de toute façon, les procédures sont longues et couteuses. De 1990 à 1997, seuls 7,5% de maisons construites légalement sont palestiniennes. Résultats : 1. de nombreuses maisons sont construites sans permis 2. Certains habitants sont contraints de quitter Jérusalem. D’où les autres « solutions » : Troisièmement, on démolit les maisons « illégales » et les familles doivent trouver où se reloger. Soit elles restent dans des conditions déplorables, soit elles s’en vont ailleurs. Résultat : moins de Palestiniens. Quatrièmement, dans le cas où des habitants ne peuvent prouver que leur centre de vie est Jérusalem (divers documents à fournir régulièrement), ils perdent leur qualité de résidents de Jérusalem. Ils ne peuvent donc y rester et doivent obtenir un permis pour s’ y rendre avec les mêmes restrictions et difficultés que tous les Palestiniens de Cisjordanie. Résultat : moins de Palestiniens encore.


DÉMOLITIONS Un exemple récent : à Al-Tur, à l’est de la vieille ville, le 27 mars, Israël démolit un bâtiment qui abritait un centre médical, une mosquée et deux appartements. Sans qu’il y ait eu d’avis préalable. Onze personnes y habitaient. Le maire de Jérusalem avait approuvé les constructions dans cette zone mais le ministère de l’Intérieur s’y est opposé. La démolition avait été postposée par la Cour suprême… À la suite de cela, l’ONU a appelé à la fin immédiate des démolitions à Jérusalem-Est, rappelant que rien qu’en 2013, elles avaient causé le déplacement forcé de 298 Palestiniens et qu’en 2014, 85 Palestiniens – dont 45 enfants – avaient subi le même sort. Mais il y a plus vicieux. Un habitant d’Abu Dis, Muatassim Adileh, a reçu un ordre de démolition pour une maison construite en 1959 à laquelle il avait ajouté un étage avec l’autorisation de l’Autorité palestinienne. D’après le registre foncier israélien, la maison est en Cisjordanie mais la municipalité soutient que cette région est de son ressort…

menée en secret. Or une partie du bâtiment est la propriété de l’Administration israélienne des terres qui est donc complice. Qui dit colonie juive dans le quartier arabe de Jérusalem-Est, dit police, dit gardes privés, dit frictions prévisibles. Il est probable que tout le quartier s’en ressentira. Le but d’Ateret Cohanim est tout explicitement d’occuper le terrain et de judaïser la partie arabe de la ville. C’est la même organisation qui a déjà des implantations dans le quartier musulman.

CONFISCATION

PLANIFICATION DE LA DÉPOSSESSION

Toujours à Abu Dis : depuis 1996, Israël a décidé de saisir l’Hôtel Cliff (bâtiment devenu hôtel en 1961) et ensuite de confisquer les terres qui l’entourent, soit 2 900 m2 (2013) plus 1 400 m2 (2014). Aujourd’hui, les bulldozers ont commencé à l’entourer d’un mur qui le séparera définitivement d’Abu Dis. Et la famille Ayyad, propriétaire des lieux, a peu de chances de pouvoir ne fût-ce qu’aller sur ses terres pourtant en Cisjordanie.

Que ce soit la construction et l’extension, sous les auspices d’Elad (une organisation de colons), de la « Cité de David » à Silwan, la création d’un parc national sur les terres d’Issawiya et Al-Tur ou la construction d’une autoroute passant à Beit Safafa, la politique est la même : empêcher tout développement des communautés palestiniennes afin de forcer progressivement les Palestiniens à partir et faire place à une population juive. À Beit Safafa, l’autoroute va carrément couper en deux le village et il n’y aura aucun accès pour les habitants. Les intéressés sont révoltés. Comme le dit l’un d’entre eux : « Je resterai mais mes enfants ne resteront pas car il n’y aura plus de place pour bâtir et vivre.» Pour un autre, le but est clair : forcer les habitants à aller à Bethléem. Ils perdront leur résidence à Jérusalem c’est-à-dire tous leurs droits de Jérusalémites…

Israël a utilisé la « loi sur les absents » alors que celle-ci ne peut s’appliquer à un territoire occupé. Néanmoins, comme Israël a étendu illégalement les frontières de la municipalité, il semble certain que l’hôtel et les terres adjacentes seront confisqués.

L’activité des organisations de colons n’est pas nouvelle et les cas de Silwan ou de Sheikh Jarrah sont suffisamment connus pour qu’on n’y revienne pas ici. À Sheikh Jarrah, tout récemment, le Comité de planification et de construction de Jérusalem a approuvé la construction d’un bâtiment de 12 étages destiné à une yeshiva pour étudiants étrangers… On remarquera que, dans les deux cas cités, les instances officielles participent à cette colonisation.

COLONISATION À L’INTÉRIEUR DE LA VILLE L’organisation de colons sionistes religieux, Ateret Cohanim, annonce l’établissement d’une yeshiva militaire rue Salah Eddine, en plein cœur du quartier commerçant palestinien, juste en face des murailles de la vieille ville, près de la porte de Damas. Le bâtiment est celui de la poste qui abrite aussi un poste de police israélien. Toute la transaction a été

POUR FINIR Israël kidnappe complètement Jérusalem-Est. En contravention avec le droit international. L’ONU, l’Europe, tout comme les consuls et les ONG, dénoncent sans ambiguïté la judaïsation de la ville et le transfert silencieux des Palestiniens. À quand les actes ?


palestine 18 L’ARMÉE LA PLUS MORALE

L’armée

« LA PLUS MORALE DU MONDE » EN ACTION par Gideon Lévy

Les Forces de défense israéliennes croient que la force brutale est la seule façon d’agir. Les Israéliens refusent d’entendre ce qu’Amnesty international et d’autres leur disent.


Il n’y a pas d’autre moyen d’arrêter un jeune homme que de le tuer avec un missile antichar et de détruire sa maison familiale. L’armée la plus morale du monde a tiré un missile antichar sur une maison dans laquelle se cachait un jeune Palestinien recherché. L’armée la plus morale du monde a fait passer un bulldozer sur le toit de la maison et l’a détruite. L’armée la plus morale du monde a utilisé des chiens pour fouiller les ruines. L’armée la plus morale du monde a utilisé une perceuse qu’elle appelle une cocotte-minute, une perceuse plutôt dégoûtante qu’elle a inventée pour son propre usage. C’est arrivé jeudi dernier (le 27 février), à Birzeit en Cisjordanie. Les soldats de l’armée la plus morale du monde sont arrivés tôt le matin pour une autre opération d’arrestation, comme celles qui ont lieu chaque nuit et dont vous entendez rarement parler. Elle consiste à semer la peur dans les villages au milieu de la nuit, en envahissant à grand bruit des maisons dont les habitants – parmi lesquels des enfants – dorment ; le tout accompagné de fouilles brutales et de destructions. Parfois, comme jeudi dernier, cela se termine aussi par la mort. Tout ceci se produit à un moment où les opérations terroristes sont très limitées. Parfois, ces opérations militaires sont justifiées par une nécessité opérationnelle mais parfois aussi, ce ne sont que des entraînements de routine pour maintenir en éveil la réactivité des soldats et faire une démonstration de leur puissance en direction des habitants. Les Forces de défense israéliennes (FDI) 1 ont aussi donné à tout cela un nom qui fait chaud au cœur : l’Instrument de perturbation – se déchaînant contre une communauté de civils dans l’intention de provoquer la panique et la crainte et d’en perturber la vie – comme l’a exposé, devant un tribunal militaire, l’organisation de défense des droits de l’Homme Yesh Din (= Il y a une loi). À Birzeit, c’était pour trois jeunes gens, membres du Front populaire de libération de la Palestine, une organisation qui n’est pas particulièrement active. Et même si les correspondants militaires se sont précipités pour dire, comme à leur habitude que, selon les FDI, « les trois avaient l’intention d’exécuter une attaque terroriste à brève échéance » – oui, l’armée la plus morale du monde est aussi une armée qui devine les intentions – il est douteux qu’ils aient mérité la mort. Mais les FDI, prétendant qu’il avait un fusil, ont tué Muataz Washaha, qui refusait de se rendre – un assassinat dans la troisième phase de surveillance, sans bombe à retardement, et Israël a accueilli cette histoire d’un bâillement d’ennui. C’est ainsi que l’armée la plus morale du monde agit et croit qu’elle doit agir. Il n’y a pas d’autre moyen d’arrêter un jeune homme que de le tuer avec un missile antichar et de détruire sa maison familiale. Le hasard a voulu que, le même jour, une opinion de professionnels soit publiée sur la vraie moralité des FDI : Amnesty International a publié un rapport, intitulé Gâchette facile, dans lequel il établit que les soldats des FDI font preuve d’un mépris grossier de la vie humaine,

qui se manifeste par l’assassinat de dizaines de citoyens palestiniens, y compris des enfants. L’organisation affirme qu’il s’agit là d’un meurtre intentionnel et probablement même d’un crime de guerre. Bien sûr, cela n’a pas réussi à briser la croyance enthousiaste des Israéliens en la haute moralité de leur armée. « Allez voir en Syrie » rétorquent-ils fréquemment. Le ministre des Affaires étrangères et les FDI ont expliqué qu’Amnesty International souffre « d’un manque total de compréhension des enjeux opérationnels ». Et en vérité, que comprend Amnesty ? À la fin de la semaine dernière, le régime militaire qui gouverne le Myanmar (Birmanie) a suspendu sur son territoire les activités de l’association Médecins Sans Frontières, pour des raisons semblables. S’il le pouvait, Israël interdirait aussi le travail d’Amnesty et des groupes du même type. Mais un citoyen responsable n’a pas besoin d’Amnesty International pour savoir. Il y a deux jours seulement, les FDI ont tué une femme à la frontière de Gaza, à Khan Younès, après avoir mis en œuvre contre elle un autre protocole – le Protocole d’éloignement. Le meurtre de manifestants près de la clôture qui étrangle la bande de Gaza est routine – qu’y a-t-il donc là à rapporter ? C’est comme le fait de tirer sur des pêcheurs. En Cisjordanie aussi, des manifestants, des lanceurs de pierres, des enfants et des jeunes sont visés et tués. Il y a environ deux mois, l’enfant Wajih Al-Ramahi a été abattu à Jalazun. Il y a deux semaines, B’Tselem – le Centre israélien d’information sur les droits de l’Homme dans les Territoires occupés – a publié ses conclusions d’autopsie : Al-Ramahi a été atteint dans le dos par un tir, d’une distance de 200 mètres. Cela a aussi été le sort du jeune Samir Awad de Budros et de dizaines d’autres personnes tuées ; alors qu’elles ne menaçaient la vie de personne, elles ont été visées par quelqu’un à la gâchette facile et sont mortes sans raison. Personne n’est passé en jugement pour ces actes meurtriers. Dans le cas d’Awad, atteint dans le dos lors d’un guet-apens, un dossier a été constitué sur les circonstances de sa mort mais le procureur militaire l’a laissé se couvrir de poussière pendant plus d’un an. Et tout cela de la part de l’armée la plus morale du monde. Essayez seulement de contester cela. Essayez seulement d’affirmer que les FDI sont la seconde armée la plus morale du monde – disons, après l’armée du Luxembourg. Source : The most moral army in the world, in Haaretz, 3 March 2014 Traduction : Association France Palestine Solidarité

1/ Note de la rédaction : les Forces de défense israéliennes est le nom que se donne l’armée israélienne.


palestine 22 LIVRES LA FRANCE MALADE DU CONFLIT ISRAÉLOPALESTINIEN Pascal Boniface, Salvator-Diffusion, février 2014.

livres

GOLIATH, LIFE AND LOATHING IN GREATER ISRAEL Max Blumenthal, Nation Books NY, octobre 2013.

Pascal Boniface, directeur et fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques, enseigne à l’Université Paris-VIII. Il est l’auteur de nombreux livres et essais.

Max Blumenthal est un écrivain et journaliste américain de 36 ans, contributeur du Daily Beast et de Al Akhbar. L’ouvrage traite de l’État d’Israël, en un temps de crise politique et sociétale. L’auteur, Max Blumenthal, le destine tout particulièrement à ses compatriotes américains : ceux-ci savent en effet fort peu de choses sur ce qui se passe là-bas et pourtant, ils ont des avis bien arrêtés sur les questions de sécurité nationale et sur les valeurs de démocratie, d’égalité, de vie décente. Et, puisque que c’est, en grande partie, grâce à leurs dollars et à leurs appuis politiques que la situation est ce qu’elle est, Max Blumenthal s’est donné pour mission de leur ouvrir les yeux sur ce qui est fait avec leur argent en leur dévoilant sans complaisance ni sentimentalisme les faits sur le terrain.

Max Blumenthal a travaillé, à partir de mai 2009, sur cet ouvrage de façon continue pendant 4 ans ; après l’opération Plomb durci contre Gaza, Israël venait de se doter du gouvernement le plus à droite de son histoire. L’auteur a parcouru Israël et la Cisjordanie de long en large, son passeport américain lui facilitant l’entrée à Ben Gourion, lui ouvrant les checkpoints, lui permettant de circuler sur les autoroutes interdites aux Palestiniens. Il a interrogé de nombreux responsables politiques, des leaders de l’opposition, des jeunes et des personnes ordinaires. Les récits qu’il rapporte sont effrayants : ils témoignent de la montée du racisme, du fanatisme, du fondamentalisme religieux, de la violence et de l’hystérie au sein de l’État et de ses institutions. Un livre percutant ! C.S.

Onze ans après son livre « Est-il permis de critiquer Israël ? » et malgré les obstacles qu’il a dû surmonter, aujourd’hui comme hier, pour trouver un éditeur qui accepte de le publier, Pascal Boniface a pris le risque de sortir un nouvel ouvrage décapant sur l’antisémitisme, l’antisionisme et l’influence du conflit israélo-palestinien sur la société française. Ces questions très sensibles divisent en effet fortement la société française : elles creusent le fossé entre les familles, séparent les amis et rendent quasi impossible toute discussion rationnelle sur le sujet. Certains ont peur d’un développement de l’antisémitisme. D’autres ont le sentiment que les médias sont plus prompts à dénoncer les actes antisémites que les autres actes racistes et notamment islamophobes; ils y voient la manifestation d’un traitement à « deux poids, deux mesures »… À ces perceptions contradictoires, s’ajoute chez de nombreux politiques, journalistes et universitaires la peur de se voir taxés d’antisémitisme s’ils osent critiquer ouvertement Israël. Le silence relatif des médias traditionnels, loin d’apaiser, contribue à enflammer les esprits, pense l’auteur. Avec ce livre, il espère rendre possible un débat ouvert sur ces questions. Rien n’est à notre sens moins sûr ! C.S.


LA MAISON AU CITRONNIER Sandy Tolan, Flammarion, 2011, (J’ai lu, 10378).

LE DÉSESPOIR VOILÉ, FEMMES ET FÉMINISME EN PALESTINE

Norma Marcos, Riveneuve, 2013.

Norma Marcos est née à Bethleem mais vit entre Paris, New York et la Palestine. Elle est la réalisatrice de L’espoir voilé, un documentaire sur les femmes de Palestine qui a été diffusé sur des dizaines de chaines européennes. Son livre retrace l’histoire du mouvement féministe depuis 1903 jusqu’à nos jours. L’auteure s’inspire particulièrement des travaux d’Islah Jad, professeure à l’université de Birzeit. Après l’introduction historique, elle trace le portrait de cinq femmes emblématiques dont la fameuse Samiha Khalil qui se présenta aux élections présidentielles contre Arafat. Personnellement, il m’a semblé que l’insistance sur le voile (voir le titre par exemple) relevait plus d’une vision extérieure que d’une appréhension de la réalité palestinienne et les références presque exclusives à une auteure non palestinienne sur le sujet (Maria Holt) a renforcé cette impression. Le grand intérêt du livre est dans les interviews des femmes qui replacent le combat

dans leur réalité personnelle et historique. À la critique qu’on pourrait faire que ces femmes de la bourgeoisie chrétienne et musulmane ne représentent pas les femmes palestiniennes des classes populaires, l’auteure répond que, néanmoins, ce sont elles qui ont porté le combat des femmes. D’ailleurs, elle se penche sur des parcours de vie de femmes de milieux plus populaires avant de développer une étude sur l’image de la femme dans la littérature, l’art et l’imaginaire culturel en Palestine. Pour l’auteure, la lutte contre l’occupation a entravé la bataille pour les droits des femmes. Comme elle le dit dans une interview : « L’occupation a vraiment relégué la question de la femme au second plan. Les hommes politiques ont toujours dit Laissez-nous avancer sur le plan politique avec la construction d’un État palestinien et après on travaillera sur le statut de la femme. Or pour moi, c’était une grande erreur, il fallait travailler les deux en même temps. » M.B

Si on m’avait dit : « Tu vas lire un roman qui retrace toute l’histoire de la Palestine à partir de documents authentiques », j’aurais sans doute baissé les bras et renoncé à le lire. Heureusement, j’ai acheté ce livre un peu au hasard et je m’en félicite. L’auteur enseigne le journalisme à l’université de Californie du Sud et est spécialiste du Moyen-Orient. Sincèrement, il mérite bien tous ses titres. Son roman est basé sur l’histoire de deux familles réelles, l’une juive de Bulgarie, l’autre palestinienne d’Al Ramla. L’auteur a fait des interviews et des recherches approfondies pendant sept ans pour documenter son récit et ce sont près de 200 pages qui sont consacrées aux cartes, notes, références et bibliographie. Chaque chapitre est replacé dans son contexte de recherche. L’auteur affirme n’avoir pris aucune liberté avec l’Histoire et n’avoir rien inventé : je le crois, même si parfois je me suis dit que je vérifierais. Personnellement, j’ai appris beaucoup de choses sur les Juifs de Bulgarie dont j’ignorais tout. Pour moi, ce roman a autant d’intérêt pédagogique que Le serment de Peter Kosminski (série de la BBC sur l’histoire de la Palestine) sauf que le roman dévoile ses sources et en donne même de larges extraits. À lire, si l’on veut apprendre et comprendre. Sans pour autant s’ennuyer. M.B.


éditeur responsable Pierre Galand – rue Stévin 115 à 1000 Bruxelles


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