palestine
BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL TRIMESTRIEL N°65 – JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2015 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130
SOMMAIRE DOSSIER BÉDOUINS > 03 Un «nouveau Moyen-Orient» et la Palestine > 10 Terrorisme juif ? > 12 10 ans de BDS > 16 Circus in Gaza > 20
Deux enfants bédouins et un réservoir d’eau Cette photo, intitulée Deux enfants bédouins et un réservoir d’eau, a été prise en septembre 2012 dans une zone désertique située entre Jérusalem-Est et la mer Morte. La photographe, Amira A., précise qu’elle a bien été prise au 21e siècle, mettant ainsi en évidence la discrimination dont font toujours preuve les autorités israéliennes à l’égard de la population palestinienne qui se trouve sous son administration.
palestine 02 ÉDITO
INACCEPTABLE
inertie par Pierre Galand, Président
Israël profite outrageusement de l’inertie de la communauté internationale et de l’impuissance de ses institutions. Avec l’occupation et l’exploitation du territoire palestinien par les colons, qui ont aussi largement colonisé le gouvernement d’Israël, c’est un nouveau type de nationalisme israélien qui s’est instauré en Israël et parmi les occupants israéliens du territoire de Palestine et la conception même de l’État hébreu qui s’en trouve transformée.
en appelant les citoyens à rejoindre le mouvement BDS pour pallier l’inertie de la communauté internationale et l’impuissance de ses institutions que l’on contribue de manière concrète et efficace à obliger alliés d’Israël et Israéliens à mettre fin au déni de justice et au martyre du peuple palestinien.
Les États occidentaux et les Nations unies, en ne condamnant pas l’expansionnisme israélien et la négation des droits des Palestiniens, se rendent gravement complices de ces violations du droit humanitaire et international.
Sans la moindre intervention pour lever les obstacles que constituent l’occupation et la colonisation, il est hypocrite et vain d’appeler les Palestiniens à des négociations de paix.
Cela fait plus de 15 ans que le petit Mohamed Al Durra a été abattu en direct devant les caméras de France 2. Depuis, plus de 1 500 enfants palestiniens ont été tués par l’occupant israélien et plus de 6 000 ont été grièvement blessés. Selon l’ONU elle-même, 543 écoles ont été endommagées ou détruites rien qu’en 2014. En ne sanctionnant pas le gouvernement israélien et son armée pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis contre les Palestiniens, les gouvernements occidentaux témoignent d’une politique des deux poids, deux mesures et incitent à se révolter tous ceux qui, en Palestine, se sentent abandonnés par la communauté internationale et bafoués dans leurs légitimes revendications. Ce qui ne les exonère en rien de l’obligation de respecter eux aussi le droit humanitaire. Seuls l’application stricte des règles du droit international et des Conventions de Genève en particulier, le respect des résolutions des Nations unies et la reconnaissance de la Palestine dans ses frontières de 1967 offriront les garanties de coexistence pacifique entre Palestiniens et Israéliens. L’occupation, la colonisation, le repli ultranationaliste et identitaire juif en Israël, ainsi que l’appui sans réserve des gouvernements occidentaux à Israël, sont les causes objectives et indéniables de la non-résolution du conflit israélo-palestinien. C’est contre ces causes qu’il y a lieu de mobiliser les opinions publiques. C’est notamment
Mobilisons-nous pour que le gouvernement belge reconnaisse sans délai l’État de Palestine, pour que l’Union européenne suspende ses accords d’association avec Israël et ce, aussi longtemps qu’Israël poursuit la colonisation et l’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, ainsi que le blocus de Gaza.
palestine no 65
Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche, Nadia Farkh, Pierre Galand, Katarzyna Lemanska, Julien Masri, Christiane Schomblond, Gabrielle Lefèvre, Simon Moutquin et Nathalie Janne d’Othée / Ont contribué Samuel Cogolati, Babou Sanchez, le groupe Solidarity with Bedouins, Paul Delmotte et Thierry Bingen / Relecture Ouardia Derriche Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asbl Siège social > rue Stévin 115 à 1000 Bruxelles Secrétariat > quai du Commerce 9 à 1000 Bruxelles Tél. 02 223 07 56 / fax 02 250 12 63 / info@abp-wb.be www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 / Tout don de plus de 40 euros vous donnera droit à une exonération fiscale. Graphisme Dominique Hambye & Élise Debouny Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
palestine 03 DOSSIER LES BÉDOUINS
DOSSIER
les Bédouins
Ces derniers mois ont été particulièrement pénibles pour les familles bédouines du village de Susiya situé en zone C, dont les maisons risquent d’être détruites à tout moment par les autorités israéliennes. Les Bédouins, plus exactement ceux établis dans le désert du Néguev, sont également menacés en Israël qui envisage en effet de construire des villes nouvelles pour ses habitants juifs sur leurs terres. Néanmoins, qu’il s’agisse des Bédouins d’Israël ou de ceux de Cisjordanie, une même politique est à l’œuvre : leur déplacement forcé, en violation du droit international, au seul bénéfice de la population juive israélienne. L’ABP revient donc sur les violences que subissent les Bédouins en les replaçant dans leur contexte politique et juridique. Nous publions également le témoignage de l’association Solidarity with Bedouins qui relate la 83e destruction du village d’Al-Araqib.
© Al Jazeera
MENACÉS DES DEUX CÔTÉS DE LA LIGNE VERTE
palestine 04 DOSSIER LES BÉDOUINS
Umm Al-Hiran (Israël) et Susiya (Cisjordanie)
NETTOYAGE ETHNIQUE ET EFFACEMENT DE LA LIGNE VERTE par Marianne Blume
JOLI MOIS DE MAI 2015 En Israël. La Cour suprême rejette l’appel des habitants de Umm Al-Hiran (environ 750 personnes) dans le Néguev, demandant l’annulation de l’ordre de démolition de leur village, ce qui signifie qu’ils seront expulsés et leurs maisons rasées pour faire place à une ville juive orthodoxe, appelée Hiran, à construire sur le site. En Cisjordanie, en zone C, les habitants de Susiya (350 personnes environ) voient leur pétition contre la destruction partielle de leur village rejetée. Dans les deux cas, les habitants sont arabes.
DEUX VILLAGES, UNE MÊME HISTOIRE, UNE MÊME POLITIQUE Les deux villages ont une histoire similaire : déplacement forcé et destruction de leur lieu de vie d’origine. À la suite d’un accord passé avec les autorités israéliennes en 1956, les villageois d’Umm Al-Hiran avaient reçu la permission de vivre là où ils résident aujourd’hui contre la renonciation à leurs droits sur les terres dont ils avaient été chassés en 1948. Néanmoins, et malgré cet accord officiel, Israël refuse de reconnaître le village et traite ses habitants de squatters. Depuis 2002, le village a reçu
plusieurs ordres de démolition, mis à exécution en 2007, notamment. En 2015, c’est tout le village qui est menacé de destruction. Concernant Susiya (dont l’existence remonte au 19e s. !), en 1986, sous prétexte de l’existence d’un site archéologique (cédé aux colons), les habitants sont chassés des grottes qu’ils habitaient ; par la suite, en 2001, leurs nouvelles habitations sont détruites et les villageois s’installent sur ce qui reste de leurs terres. En 2011, des colons déposent, via l’ONG ultranationaliste Regavim, une requête officielle pour l’élimination du village, traitant ses habitants d’intrus et arguant du fait que le village aurait été bâti illégalement en zone C (sic !). En 2015, après de nombreux ordres de démolition appliqués, c’est tout le village qui doit disparaître d’après la décision de la Haute Cour de justice israélienne. Et ce, malgré l’existence d’un document ottoman de 1881 qui établit le droit de propriété des habitants sur la terre qu’ils occupent. Le but dans les deux cas est de nettoyer ethniquement la région et la judaïser. Aux habitants d’Umm Al-Hiran, les autorités israéliennes proposent d’aller habiter à Houra, un des townships où le gouvernement veut regrouper les Bédouins.
© Ian Scott
Aux habitants de Susiya, l’autorité militaire suggère de s’installer près de Yatta en zone A. Sur le site d’Umm Al-Hiran une ville juive orthodoxe, Hiran, (dont les Bédouins seront naturellement exclus) doit être construite et une forêt plantée sous les auspices du Fonds national juif. À l’emplacement de Susiya, les colonies juives adjacentes pourront s’étendre sans limite. Dans ces deux localités, les permis de construire ne sont pas ou sont rarement accordés aux Palestiniens en Israël (village non reconnu) tout comme en Cisjordanie (zone C sous contrôle d’Israël).
Pour ces deux villages, les autorités avancent le même argument colonial : vivre de manière pauvre, sans eau courante, sans électricité, sans confort n’est pas humain ; la volonté des décideurs est de leur permettre d’échapper à la pauvreté et à des conditions d’existence précaires. Or, si ces deux villages ne disposent pas des services publics minimaux, c’est évidemment dû au refus des autorités de les dispenser : en Israël, en effet, de petits villages non bédouins sont raccordés aux services publics et en Cisjordanie, les colonies disposent de tous les services possibles.
PRESSIONS INTERNATIONALES
Que ce soit pour Umm Al-Hiran ou Susiya il n’y a pas de plan directeur de développement et les décisions sont prises sans consultation des populations. Quand des solutions sont proposées par les intéressés, elles sont refusées.
L’annonce de la décision de la Haute Cour de justice relative à la démolition totale de Susiya a suscité des protestations internationales : les USA, suivis par l’Union européenne, ont vivement condamné un transfert forcé et demandé à Israël de stopper la démolition programmée. Comme par hasard, Israël prendrait soudain en compte les documents de propriété ottomans et ne détruirait pas Susiya…
Le maire d’Umm Al-Hiran a proposé une cohabitation entre les nouveaux venus et le village. Refusée. Les habitants de Susiya en 2013 ont soumis un plan directeur aux autorités. Refusé lui aussi.
Par contre, pour Umm Al-Hiran, rien de tel. Il est vrai que le village est situé en Israël, une démocratie, comme on le sait. Circulez, il n’y a rien à voir…
palestine 06 DOSSIER LES BÉDOUINS
Le déplacement forcé
DES BÉDOUINS CONSTITUE UNE VIOLATION DU DROIT INTERNATIONAL par Samuel Cogolati chercheur en droit international (KU Leuven)
UN PEUPLE DÉPOSSÉDÉ En Israël, comme en Cisjordanie, le gouvernement israélien inflige depuis des décennies aux Bédouins les mêmes expropriations et expulsions forcées à répétition. Après la création de l’État hébreu en 1948, près de 90% des tribus bédouines ont dû fuir le désert du Néguev (Naqab) pour se réfugier en Cisjordanie. Depuis 1967, les réfugiés bédouins de Cisjordanie sont régulièrement délogés, et leurs structures d’habitat démolies par l’armée pour permettre l’implantation de toujours plus de colonies juives. Aujourd’hui, alors que Benjamin Netanyahou tente de mettre en œuvre le plan E1 d’extension des colonies entre Jérusalem et Ma’aleh Adumim qui couperait la Cisjordanie en deux, les communautés bédouines doivent à nouveau faire face à une vague de déplacements forcés. En 2012, l’armée israélienne a démoli une vingtaine de villages de Bédouins Jahalin et déplacé de force 2 300 habitants pour les réinstaller sur des terrains situés à environ 300 mètres de la décharge municipale de Jérusalem. Le récent refus de la Cour suprême israélienne de geler les ordres de démolition du village de Susiya n’est que l’illustration de la dernière menace d’expulsion en date. Selon l’administration civile israélienne, les tribus bédouines « squatteraient » illégalement ces terres, toutes situées en zone C de Cisjordanie où l’aménagement du territoire reste sous contrôle total d’Israël. Il est rarissime que des Palestiniens y obtiennent un permis de construire. Leurs structures d’habitat font donc le plus souvent l’objet d’un ordre de démolition. En Israël, une minorité de Bédouins a pu continuer à vivre de manière précaire sur ses terres ancestrales dans le désert du Néguev, et a alors obtenu la nationalité israélienne. En revanche, ces villages ne sont pas reconnus par Israël, et l’État leur refuse tout accès aux services de base, comme l’eau, l’électricité, l’assainissement, l’enseignement, et la santé. Depuis 50 ans, en raison des confiscations de terres à des fins d’« intérêt public », des destructions de récoltes ou des reconnaissances de « zones naturelles pro-
tégées », l’expulsion est une épée de Damoclès qui pèse en permanence sur les quelque 180 000 Bédouins du Néguev. Le projet de loi Prawer-Begin prévoyait encore récemment de déplacer 40 000 à 70 000 Bédouins pour les déposséder de 215 000 hectares de terres et les regrouper dans des camps de réinstallation. Sous la pression de la communauté internationale, le plan a finalement été suspendu fin 2013. Mais le ministre israélien du Développement rural, Uri Ariel, a annoncé en juillet 2015 l’intention du gouvernement Netanyahou IV de redémarrer sa politique de planification et d’urbanisation du Néguev, qui équivaudrait en pratique à la démolition des villages bédouins.
UN CADRE JURIDIQUE CLAIR L’expérience des tribus bédouines a beau être la même des deux côtés de la Ligne verte, le contexte et donc le cadre juridique qui s’appliquent aux deux situations sont sensiblement différents. En tant que citoyens israéliens, les Bédouins du Néguev sont en principe protégés par les Lois Fondamentales d’Israël – l’équivalent de notre Constitution. Ainsi, le droit à la dignité, proclamé dans un texte de 1992, comprend le droit à un logement convenable et le droit à préserver ses traditions culturelles. Il incombe donc à l’État d’Israël de protéger le droit à la propriété de sa minorité bédouine et de reconnaître son système traditionnel d’acquisition et de gestion des terres, tout comme l’Empire ottoman et le mandat britannique l’ont fait avant lui. Les Bédouins de Cisjordanie, quant à eux, sont protégés par le droit international humanitaire comme personnes civiles se trouvant au pouvoir d’une Puissance occupante dont elles ne sont pas ressortissantes. L’article 49, paragraphe 1 de la Convention (IV) de Genève qui a été ratifiée par Israël le 6 juillet 1951, stipule que « [l]es transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de
© Tal King
la Puissance occupante ou dans celui de tout autre État, occupé ou non, sont interdits, quel qu’en soit le motif » [nous soulignons]. Notons qu’une violation de l’article 49 est considérée comme une « infraction grave » au sens de l’article 147 de ladite Convention. Il s’agit alors d’un crime de guerre. Il n’y a aucun doute sur le fait que les déplacements forcés de Bédouins en Cisjordanie relèvent du champ d’application de l’article 49. En effet, les Bédouins ne sont que rarement consultés par l’armée avant qu’elle procède à leur réinstallation, et quand ils « acceptent » cette solution, c’est évidemment contraints et forcés, faute de libre choix. Ni la sécurité des populations bédouines, ni d’impérieuses raisons militaires n’exigent l’évacuation des Bédouins de leurs terres. Et quand bien même des hostilités en cours justifieraient une évacuation exceptionnelle (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), la population évacuée devrait être ramenée dans ses foyers dès la fin des hostilités (article 49, paragraphe 2). En outre, Israël a ratifié seize conventions internationales relatives aux droits de l’homme, dont le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). La Cour internationale de justice a rappelé dans son avis de 2004 concernant l’édification d’un mur en Palestine (§§ 102-113) que la protection offerte par les droits de l’homme ne cesse pas en temps d’occupation. Par conséquent, en Israël comme en Cisjordanie, les évictions forcées de communautés bédouines représentent également des violations de la liberté de circulation des Bédouins (article 12 PIDCP), de leurs droits à la vie privée (article 17 PIDCP), à la protection de leurs familles (article 23 PIDCP), et à un logement suffisant (article 11 PIDESC). Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a aussi jugé qu’Israël devrait « garantir l’accès de la population bédouine aux structures de santé, à l’éducation, à l’eau et à l’électricité, quel que soit le lieu où elle se trouve ».
Enfin, des deux côtés de la Ligne verte, les tribus bédouines ont été qualifiées de « peuples autochtones » par l’instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones et le Rapporteur spécial sur les droits des populations autochtones. Les populations bédouines vivent depuis le VIIe siècle dans le Néguev, et souhaitent conserver un mode de vie semi-nomade basé sur l’élevage et l’agriculture de subsistance selon des règles communautaires qui se transmettent de génération en génération. Ces communautés bénéficient à ce titre des droits garantis dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par Israël en 2007. Selon l’article 26, les Bédouins ont le droit « aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis ». Plus spécifiquement, l’article 10 rappelle que « [l]es peuples autochtones ne peuvent être enlevés de force à leurs terres ou territoires » et qu’« [a]ucune réinstallation ne peut avoir lieu sans le consentement préalable – donné librement et en connaissance de cause – des peuples autochtones concernés ». Eu égard aux restrictions imposées par l’armée israélienne en zone C, les Bédouins ne peuvent plus faire paître leur bétail, ce qui les contraint à abandonner leur mode de vie seminomade et rural. Or, en vertu des articles 26 et 27 du PIDCP, le Comité des droits de l’homme a estimé qu’Israël « devrait respecter le droit de la population bédouine à ses terres ancestrales et à son mode de vie traditionnel fondé sur l’agriculture ». En conclusion, le droit est on ne peut plus clair : des deux côtés de la Ligne verte, le déplacement forcé des Bédouins constitue une violation des droits de l’homme les plus fondamentaux, et va même jusqu’à constituer un crime de guerre en Cisjordanie.
palestine 08 DOSSIER LES BÉDOUINS
Ce matin-là à Al-Araqib
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LE VILLAGE SUBIT SA 83e DÉMOLITION par le Groupe Solidarity with Bedouins
Pour la troisième fois cette année, Solidarity With Bedouins est parti en mission civile de solidarité, reliant à vélo les villages bédouins non reconnus menacés de destruction du désert du Néguev/Naqab, dans la région de Beer Sheva en Israel. Ceci est le compte rendu de la destruction d’un de ces villages, Al-Araqib.
C’était lundi 21 avril. Comme d’habitude, les habitants du village se sont levés tôt. Tout était tranquille. Vers 6h30, branle-bas de combat, l’alerte est donnée : « Ils » sont là. Trois voitures blanches sont postées à l’entrée du village et bouclent la zone, phares allumés.
cement des logements. Tout est aplani. Il n’y a plus rien. C’est impressionnant.
Ni une ni deux, il faut tout sortir des « maisons ». À peine réveillés, les femmes et les enfants courent avec des matelas, des couvertures, des paniers de légumes, la bonbonne de gaz, les chaises en plastique. Les bras chargés, ils vont tout déposer entre les tombes du cimetière qui est à quelques dizaines de mètres à peine. Les plus petits sont déjà installés sur les caveaux. C’est le seul endroit où « ils » n’interviendront pas. Au bout d’une vingtaine de minutes, les « maisons » sont vidées et les tombes sont garnies des objets les plus hétéroclites : sacs de vêtements, caddie rempli de vivres, caisse de jouets,…
Et puis très vite, la vie reprend. Avec son minibus, Selim, le père de famille, conduit tous les enfants chez son frère à Rahat, la ville de regroupement des Bédouins toute proche. Là, ils vont pouvoir se laver avant d’aller à l’école. De retour à Al-Araqib, les hommes ont déjà commencé à reconstruire les maisons démolies, avec du bois, des tôles, du plastique et des parpaings, juste à côté des gravats.
Le convoi envoyé par l’armée israélienne pour démolir les maisons entre dans le village, les véhicules s’arrêtent devant chaque habitation, soldats postés à l’avant, mitraillette pointée vers les habitants qui se sont réfugiés, eux aussi, entre les tombes du cimetière. Les bulldozers entrent alors en action: la démolition durera une trentaine de minutes. Les habitants restent dignes, certains filment la scène avec leur GSM, sans un mot, sans un cri. Les enfants regardent, ils semblent étrangers à ce qui se passe. C’est l’habitude, une sorte de fatalité. À la fin de la démolition, quelques femmes craquent et se mettent à hurler vers les soldats impassibles. Le « travail » terminé, des officiels en uniforme ont remis à Aziz, le responsable du village, une grosse enveloppe et le convoi est reparti, en rang serré, sans doute vers un autre village à démolir. À l’entrée du cimetière, une femme pleure. Sa fille Alia, 15 ans, la console comme elle peut. Les enfants s’éloignent des tombes et déambulent parmi les décombres pour voir s’il reste quelque chose à récupérer. Il n’y a évidemment plus rien. Le terrain a été nivelé par les bulldozers et des pelletées de terre ont recouvert l’empla-
DES ANNÉE DE LUTTE POUR FAIRE RECONNAÎTRE LEURS DROITS
Le soir, le silence règne dans le village, personne ne parle, nous avons l’impression d’avoir été les témoins impuissants d’un jeu vidéo de mauvais goût, le genre de jeu qu’on interdit à ses enfants, parce que la violence y est gratuite et l’injustice insupportable. Un jeu absurde où les perdants sont des femmes, des enfants, des familles épuisées par des années de lutte vaines pour faire reconnaître leurs droits. Et nous, nous ne pouvons rien faire d’autre que prendre les enfants dans nos bras et promettre que nous raconterons tout ce que nous avons vu. Ce lundi-là, Al-Araqib subissait sa quatre-vingt-troisième démolition depuis 2010. C’est de cette région qu’est partie la marche d’un groupe de résistants, de militants et de députés arabes : cent kilomètres à pied pour rejoindre Jérusalem 1 et tenter de rencontrer des responsables politiques et sensibiliser l’opinion à la demande de reconnaissance des villages bédouins non reconnus du Néguev/ Naqab menacés de destruction par le plan Shamir 2. Petit à petit le village s’est vidé de ses habitants. Il ne comporte plus aujourd’hui que vingt-deux familles. Elles se sont réfugiées dans le cimetière, créé en 1914, pensant qu’elles ne seraient pas délogées de cet endroit sacré.
© Ann Grossi
NON-RECONNAISSANCE, CONFISCATIONS ET DESTRUCTIONS Comme en 2013, c’est en VTT 3 que notre groupe parti de Belgique a relié pour la troisième fois quelques-uns des 45 villages non reconnus 4 regroupés dans la région de Beer Sheva. Nous étions encadrés par des habitants d’Al-Araqib et des membres du Regional Council of Unrecognized Villages qui porte leur voix auprès des autorités et des médias. Le village d’Al-Araqib, aujourd’hui disparu, se trouvait dans une région de collines où les autorités israéliennes ont rasé les oliviers et planté des pins et des eucalyptus financés par le Fonds national juif. Ce dernier, sous des prétextes écologiques, a organisé une récolte de fonds pour faire « verdir le désert, symbole fort dans l’histoire d’Israël », et créer « la Forêt des Ambassadeurs » ainsi nommée pour marquer le fait que les ambassadeurs de nombreux pays furent invités à venir y planter un arbre (parfois à leur insu!). Les autorités israéliennes ne reconnaissent pas l’existence d’AlAraqib, pas plus que des quarante-quatre autres villages bédouins implantés dans le nord du désert du Néguev/Naqab, dans un triangle formé par trois routes nommé triangle Siyag. Cette non-reconnaissance justifie à leurs yeux la confiscation des terres et la destruction des villages pour y établir ici une base aérienne militaire (c’est de là que sont partis les avions qui, en 2014, ont bombardé Gaza qui n’est qu’à une trentaine de kilomètres), là un village destiné aux Falashas (les juifs noirs venus d’Éthiopie), ailleurs une zone d’exploitation touristique ou encore une nouvelle zone industrielle : ainsi, la toute nouvelle usine Sodastream est implantée sur des terres confisquées à Al-Araqib et sous-paie les Bédouins volontairement précarisés et privés de leurs moyens d’existence traditionnels. Citoyens israéliens de seconde zone, les Bédouins, bien que tenus de remplir les mêmes devoirs que les citoyens israéliens de confession juive (toutefois sans l’obligation du service militaire) et de payer les mêmes taxes, ne jouissent pas des mêmes services ni des mêmes droits. La non-reconnaissance de leurs titres de propriété
qui datent de l’époque ottomane justifie le refus des autorités de les laisser vivre sur les terres qui leur appartiennent et de leur fournir les services de base tels que l’adduction d’eau, l’électricité, la construction de routes et d’écoles, des services de sécurité, de santé, etc. Le gouvernement israélien s’efforce de les regrouper dans des villes créées à cet effet, les coupant ainsi de leur mode de vie traditionnel agricole. Ces townships sont les villes les plus pauvres d’Israël, sans industrie et sans perspective d’emploi, enregistrant les taux de chômage et de délinquance juvénile les plus hauts du pays. Certains Bédouins refusent de s’y implanter. Ils refusent de partir et de quitter les terres sur lesquelles ils vivent depuis toujours selon leur culture paysanne qui y trouve sa source. Au nom de la promotion de la modernité, ces villages sont privés d’eau, d’électricité, de routes, d’écoles, de centres de santé. Les Bédouins subissent spoliations, destructions, expulsions, vexations, humiliations et injustices, ce qui ne respecte ni leurs droits en tant que citoyens israéliens, ni les droits humains élémentaires tels que définis dans la déclaration universelle des droits de l’homme et dans les grands traités internationaux relatifs aux droits humains. La Naqba (en arabe, la catastrophe) qui chassa de leur terre 800 000 Palestiniens en 1948 se poursuit encore à ce jour.
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Voir article de Serge Dumont publié dans Le Soir du 30 mars 2015 Pas encore voté à la Knesset mais déjà mis en œuvre Voir article de Colette Braeckman dans Le Soir du 27 avril 2013 Ce qui représente environ 40 000 personnes
palestine 10 ANALYSE GÉOPOLITIQUE
NOUVEAU MOYEN-ORIENT
et la Palestine ? par Paul Delmotte professeur retraité de politique internationale à l’IHECS
En quoi le « nouveau Moyen-Orient » qui semble s’ébaucher (voir Palestine, n° 64, avril-juin 2015) affectera-t-il le sort des Palestiniens ? Sans aller jusqu’à se perdre en conjectures, rappelons quelques réalités. LES VOISINS L’accord sur le nucléaire iranien signé à Vienne le 14 juillet dernier semble d’ores et déjà avoir accéléré les évolutions diplomatiques.
LE GRAND LARGE L’on sait, quels que soient les aléas de leurs relations, ce qui lie les États-Unis à Israël. Et les péripéties de la relation NetanyahouObama ont fait l’objet de maints commentaires. Il n’est toutefois pas inutile de relativiser le « froid » entre Washington et Tel-Aviv. D’autant que l’ère Obama touche à sa fin et que Bibi sait qu’une bonne partie de l’opinion US continuera, malgré certaines éphémères « baisses d’empathie » à soutenir Israël 1. Israël, disait il y a peu Vladimir Poutine, « c’est – aussi – un peu la Russie ». La fin de l’Union soviétique a donné à Israël plus d’un million de citoyens qui en sont originaires et sont loin d’avoir rompu les ponts avec leur ancienne patrie. La Russie n’est donc plus perçue comme le « parrain » de l’ennemi arabe du temps de la guerre froide. Russie et Israël ont noué d’importantes relations, économiques et de coopération techno-militaire. Même si, comme dans les rapports avec Washington, des crises surviennent, e. a. à propos de la Syrie ou de l’Iran. Ce que la conjoncture actuelle devrait donc avoir tendance à réduire. Plus, « Israël a pris acte de l’érosion de l’influence américaine dans la région » 2 et ses relations avec Moscou semblent osciller au gré de ses rapports avec Washington. Et de celles avec l’Europe: ainsi, Israël s’est empressé de tirer parti des fermetures de marchés russes causées par les sanctions économiques de l’UE contre la Russie. Et s’est montré beaucoup plus prudent face à la crise ukrainienne que lors des événements du Caucase en 2008. Aujourd’hui, dans le grand jeu diplomatique qu’a suscité l’accord de Vienne, Moscou s’efforce apparemment de se positionner tant face au rapprochement irano-américain que face à au « bloc sunnite » (voir article précédent) mené par l’Arabie saoudite et qu’au «nouveau plan de paix» iranien pour le Moyen-Orient exposé par Mohammed Javad Zarif à Beyrouth le 11 août 3.
C’est en Syrie que les choses semblent se précipiter. Les articles pointant la fragilité du régime se succèdent depuis l’été. Prises de contact discrètes avec « l’ennemi juré » et « petits gestes » (comme la libération de l’opposant syrien Mazen Darwich) semblent indiquer que Bachar Al-Assad entend soutenir les efforts que ses alliés russe et iranien déploient pour le maintenir en place le plus longtemps possible. Pour ce qui est de la cause palestinienne, l’on peut présager qu’un effacement, même progressif, de Bachar Al-Assad, ne fera guère l’affaire de Mahmoud Abbas. À l’opposé, le Hamas, fort éprouvé par Bordure protectrice, honni au Caire et accusé, par l’Égypte comme par Israël, de coopérer avec la branche égyptienne de Daesh au Sinaï, semble chercher un appel d’air dans la nouvelle donne. Et ce, du côté du « bloc sunnite »... Le Hamas semble en effet multiplier les contacts rétablis avec Riyad en décembre : visite d’une délégation conduite par Khaled Meshaal, « partisan enthousiaste », selon le Times of Israel, de l’Arabie saoudite, qui avait apporté son soutien à l’opération Tempête décisive au Yémen. Pourtant, même si l’avènement du roi Salman devrait, théoriquement, réduire l’isolement que son prédécesseur, Abdallah, lui avait infligé parce qu’il l’assimilait aux Frères musulmans, il se pourrait que le Hamas ne pèse guère dans la nouvelle stratégie saoudienne. À en croire Le Monde, Riyad se serait accordé avec les États-Unis et la Russie sur « un transfert du pouvoir par étapes » en Syrie : dans au maximum trois ans pour les premiers, cinq ans pour la seconde. Une entente qui cadre avec l’« alliance antiterroriste » que Moscou souhaiterait mettre sur pied avec Damas, Ankara, Amman et... Riyad elle-même. Projet que la Russie peut d’autant mieux faire miroiter aux Saoudiens que les attentats du Daesh se multiplient sur leur propre territoire. Et qui fut sans doute à l’agenda de la rencontre entre les responsables des affaires étrangères saoudien (Adel Al-Jubeïr), américain (John Kerry) et russe (Sergueï Lavrov), à Doha, le 6 août. Si maintenant, à en croire F. Encel, s’est forgée, face à l’Iran et au Daesh – et au Hamas pour le maréchal Al-Sissi – entre l’Égypte, l’Arabie saoudite et... Israël,
La fin de l’Union soviétique a donné à Israël plus d’un million de citoyens qui en sont originaires et sont loin d’avoir rompu les ponts avec leur ancienne patrie. La Russie n’est donc plus perçue comme le parrain de l’ennemi arabe du temps de la guerre froide. «une véritable coopération militaire et de renseignement confinant à l’alliance », il est encore moins sûr que le Hamas tire profit du nouveau cours.
lendemain de la Grande intifada de 1936-39 – l’acquis le plus précieux de la guerre de 1967: la palestinisation de la décision politique, jusqu’alors instrumentalisée par les États arabes concurrents.
Ahmad Majdalani, membre du Comité exécutif de l’OLP, s’est félicité lors de sa visite à Téhéran, le 10 août, de l’accord de Vienne. L’envoyé spécial de M. Abbas a précisé sur diverses radios avoir signé un « accord de coopération » en vue d’instaurer un « haut comité » censé discuter avec l’Iran d’échanges politiques, économiques et sociaux. Et souligné que l’Iran soutient les tentatives visant à de « mettre fin à la division palestinienne et pour former un gouvernement d’unité ». Il a enfin précisé que le « nouveau plan iranien coïncidait avec l’initiative palestinienne » et annoncé dans les deux prochains mois une visite de M. Abbas à Téhéran. Tout cela alors, observent certains, que les relations entre l’Iran et le Hamas deviennent de plus en plus froides. Et qu’une une visite de Khaled Meshaal à Téhéran aurait été annulée par le gouvernement iranien en protestation contre le rapprochement du Hamas avec l’Arabie saoudite. Ce que le Hamas a démenti. L’on sait qu’aux yeux de l’Iran, le Hamas a déjà péché par deux fois : pour avoir opté en faveur de la rébellion syrienne puis, plus récemment, contre la rébellion houthiste au Yémen.
Il semble, hélas, que, dans le «nouveau Moyen-Orient» qui s’ébauche, cette dépalestinisation risque de s’accentuer. En effet, à l’isolement du Hamas s’ajoute déjà un quasi-abandon de M. Abbas par ses pairs arabes. À l’exception du maréchal-président Al-Sissi.
Fin 2013 déjà, Jean-François Legrain estimait que le grand jeu lancé par les tentatives d’ouverture de Washington envers Téhéran risquait d’affaiblir encore plus le soutien iranien aux islamistes palestiniens. Plus, si grâce à l’accord de Vienne, l’Iran compte retrouver, avec l’aval américain, le rang régional auquel il estime avoir droit, « l’affichage de son hostilité à Israël pourrait disparaître» ajoute Legrain. Et cela même si M. Zarif présente ledit accord comme « une occasion historique de faire face aux menaces posées par l’entité sioniste ».
BACK TO 1939 ? Legrain avait naguère évoqué une dépalestinisation. Les dirigeants palestiniens, déplorait-il, ayant renoncé à ce qui avait constitué – par rapport à la décapitation de l’élite palestinienne survenue au
Si Bordure protectrice a à nouveau confirmé le peu de scrupules dont les dirigeants israéliens font preuve à l’égard de la population civile palestinienne, l’opération a aussi mis en évidence – tout comme le silence qui a plané sur la tragédie de Yarmouk – une autre triste réalité : l’indifférence des élites politiques européennes. Et l’après-Bordure protectrice n’a fait que souligner le fait. Selon un rapport de l’Association des agences internationales de développement (13 avril), les efforts de reconstruction à Gaza sont « bien trop lents » 4 et le mécanisme temporaire institué par l’ONU « ne change rien au paradigme de l’étranglement du territoire ». Yitzhak Rabin avait dit un jour souhaiter voir Gaza, qu’il percevait comme un boulet insupportable, « s’enfoncer dans la mer ». Faut-il craindre que, demain, ce sera l’ensemble des Territoires occupés qui s’enlisera dans les marais de l’indifférence internationale ?
1/ Frédéric Encel, in Diplomatie, n°75, juillet-août 2015 2/ Igor Delanoë, in Le Monde diplomatique, septembre 2014 3/ Cessez-le-feu immédiat, formation d’un gouvernement d’unité nationale, amendement de la constitution en vue d’assurer le droit des minorités, élections supervisées 4/ Selon la Banque mondiale, seuls 26,8% des fonds promis à Gaza en octobre dernier (3,5 milliards $) ont été débloqués...
palestine 12 VIOLENCE DES COLONS
Terrorisme juif ? TERRORISME ISRAÉLIEN ! par Marianne Blume
LES FAITS
Duma, 31 juillet 2015. Deux maisons ont été incendiées de nuit par des colons qui ont laissé des graffitis sur les murs : ce qu’on appelle une action price tag (prix à payer) Un bébé, Aly Dawabsheh, est mort brûlé vif. Son père a succombé à ses brûlures. Sa mère est entre la vie et la mort et son petit frère de 4 ans semble doucement s’en sortir. Emotion internationale. En Israël aussi. LA RÉACTION OFFICIELLE L’establishment israélien a tout de suite condamné et promis de réprimer avec sévérité les criminels. Netanyahou a dénoncé un «acte de terrorisme en tout point » et parlé de tolérance zéro pour les extrémistes juifs. Le président israélien, Reuven Rivlin, en a fait autant en allant plus loin : « Dans ce pays 1, nous tolérons que l’on cible nos citoyens – ceux qui ne sont pas juifs, [ceux qui sont] arabes, chrétiens ou musulmans. Cela peut nous amener vers une situation où nous pouvons tout perdre. Nous devons faire face à cette situation où les enfants sont tués, ou lorsque nous permettons que le sang des autres soit versé, ou si vous avez des gens qui disent ‘mon commandement des croyances religieuses est de brûler, de briser et de détruire’. Nous devons faire face au terrorisme comme au terrorisme, que ce soit la terreur arabe ou la terreur juive » (Rivlin : Un autre assassinat politique est ‘possible’ mais je n’ai pas peur, Times of Israel, 7/08/2015). Ce qui a valu à Rivlin d’être menacé de mort d’ailleurs. Aussitôt, des activistes religieux connus du Shin Beth sont arrêtés et les journaux israéliens abondent d’articles enflammés sur ce terrorisme maison. Sont visés les Jeunes des collines (colons), le groupe Lehava (une organisation qui défend la pureté juive notamment en cas de mariages mixtes), la mouvance Tag Mehir (prix à payer par les Palestiniens chaque fois que le gouvernement prend des mesures contraires aux intérêts du peuple juif) composée de jeunes colons et de jeunes des yeshivot religieuses… et certains rabbins qui incitent à la violence.
TERRORISME « JUIF » ? En un jour, de simples hooligans (Netanyahou, 2014), ces Israéliens deviennent des terroristes. Et comme tels, passibles de détention administrative, une mesure anti-démocratique réservée jusque-là aux Palestiniens. Des jeunes ont effectivement été arrêtés dans les deux colonies illégales (même pour Israël!) d’Adei Ad et de Baladim, proches du village de Duma. Néanmoins, ils ont tous été relâchés et ne restent en détention administrative que deux autres qui ne sont pas, pour autant, accusés des faits incriminés… L’un d’eux est
Meir Ettinger, petit-fils du rabbin Meir Kahane, qui dirige un groupe appelé La révolte connu pour ses agressions contre les Palestiniens. Pourquoi cet acte plutôt qu’un autre (rappelons par exemple le meurtre récent de Mohammed Abu Khdeir, forcé à boire de l’essence et brûlé vif lui aussi, ou encore ces enfants tués par des voitures de colons 2) a-t-il amené l’establishment israélien à parler de terrorisme juif ? En vérité, l’événement qui a mis ces criminels dans le collimateur du gouvernement, c’est l’attaque au couteau contre des participants à la Gay Pride par un Israélien, juif religieux récidiviste. Cet événement avait soulevé l’indignation. Or comme, le lendemain, un bébé était brûlé vif par des colons religieux, le débat était lancé en Israël sur l’impunité dont bénéficient les extrémistes juifs. Mais pourquoi, en Israël, parle-t-on d’extrémistes/terroristes juifs et pas d’extrémistes/terroristes tout court ? Tout simplement parce qu’on ne peut confondre les Juifs avec les Arabes (israéliens ou pas) ou les autres en général. Ainsi, le Shin Beth est composé de trois branches : la branche des affaires arabes, celle des affaires non arabes et celle de la sécurité. Or, dans la division affaires non arabes, il existe une section affectée aux Juifs. L’ex-chef du Shin Beth, Yuval Diskin, parle d’un État de Judée-Samarie (nom utilisé par les sionistes religieux pour désigner la Cisjordanie) où la loi n’est pas appliquée par tolérance des autorités. Il parle de centaines de colons sionistes religieux prêts à user de violence contre les Palestiniens ou même contre leurs « frères » juifs. Il affirme clairement que le Shin Beth, l’armée et tous les premiers ministres connaissent les faits et qu’au sein même de la section juive, il y a de nombreux colons… mis sous pression par leurs coreligionnaires. Il ajoute encore que l’actuel gouvernement de droite a un lobby de droite et un lobby de rabbins qui font tout pour faire libérer les extrémistes juifs emprisonnés. Comme le déclare un autre ex-chef du Shin Bet, Carmi Gilon, « Ces rabbins (ceux qui incitent à la violence) ont des
© ISM Palestine
noms, une adresse, des yeshivas » et il faut les traiter comme on traite les leaders religieux du Hamas… Finalement, beaucoup de bruit pour rien. Comme le dit un communiqué du CCLJ : « Hier, 4 août, la Knesset s’est réunie pour voir quelles actions prendre contre le terrorisme juif. Mais les députés de quatre des cinq partis de la coalition au pouvoir n’étaient pas là (…) La conclusion est évidente : avec une majorité d’une seule voix au parlement, B. Netanyahou ne pourra éradiquer aucun de ces deux terrorismes intégristes. Ce serait prendre le risque de perdre ce qui est l’essentiel à ses yeux : son poste de Premier ministre. »
TERRORISME ISRAÉLIEN ! Quoi qu’il en soit, les divergences étaient déjà visibles. Ainsi, pour Naftali Benett (Maison juive), il est n’est pas question de s’en prendre aux colons : « L’assassinat d’un bébé est abject (…), mais je ne laisserai pas diffamer les merveilleux Israéliens qui vivent en JudéeSamarie ». Pour Makhlouf Miki Zohar, député Likoud et membre suppléant du Comité des Affaires étrangères et du Comité de Défense, les « imbéciles » qui ont mis le feu à Duma n’avaient pas l’intention de tuer. Et ce, malgré l’argument avancé dans Haaretz, à savoir que le Shin Beth a trouvé des documents détaillant comment mettre le feu à une maison et comment s’y prendre si la maison est habitée. Comme l’explique Yossi Melman dans le Jerusalem Post, finalement, la droite modérée et l’extrême droite partagent la même idéologie : la terre en Cisjordanie appartient au peuple juif par décret divin. Ce qui explique l’extraordinaire impunité dont jouissent les colons. Deux jours avant les événements tragiques, Netanyahou annonçait la construction de nouveaux logements dans les colonies et Naftali Bennett rencontrait les colons de Bet El qui avaient résisté violemment l’armée venue détruire des maisons construites sur des terres palestiniennes; il appelait les émeutiers « mes frères » et qualifiait la destruction de ces maisons de « précipitée, extrémiste et provocatrice».
Mettre tout sur le dos d’une centaine d’extrémistes religieux des colonies est de bonne guerre: cela dédouane les autorités israéliennes de leur politique d’occupation et d’apartheid. Car ces « brebis galeuses » ne sont que le résultat de cette politique et de l’appui que reçoivent les colons des gouvernements successifs. Même le département d’État américain a inclus les attaques « prix à payer » dans son rapport sur le terrorisme. Un rapport d’UNISPAL montre que de 2009 à 2013, ces attaques ont plus que doublé et que les enfants sont notablement visés. Or ces attaques sont soutenues par les conseils des colonies tandis que la police ne fait pas son travail. Comme le souligne l’association israélienne de défense des Droits de l’Homme Yesh Din, statistiquement, une plainte déposée par des Palestiniens en Cisjordanie a à peine 1,9% de chance d’être réellement étudiée, de même qu’un suspect identifié, d’être poursuivi et condamné. Par ailleurs, toujours d’après Yesh Din, l’armée protège les colons et délègue à leurs organisations paramilitaires (armées et entraînées par elle) le soin de défendre les colonies, leur octroyant même le droit d’arrêter des gens ou de procéder à des fouilles (voir The Lawless Zone report). La collusion entre l’État, l’armée et les colons est indéniable. Parler alors de terrorisme juif est une farce, une manœuvre de diversion qui fait encore une fois l’amalgame entre juif et israélien. En définitive, qui encourage et finance la colonisation ? Qui protège les auteurs d’attaques contre les Palestiniens ? Qui laisse des rabbins dire que l’on peut tuer des enfants et qui finance les écoles religieuses plus généreusement que les autres ? Qui tue quotidiennement les civils palestiniens ? Qui détruit jour après jour leurs maisons, etc. ? Qui ? Les gouvernants israéliens, l’État d’Israël. Alors parlons du terrorisme d’un État, celui d’Israël. Parlons de terrorisme israélien. 1/ Remarquons le “notre pays” et “nos citoyens”. La Cisjordanie ferait-elle partie d’Israël? Les Palestiniens seraient-ils devenus citoyens d’Israël ? Lapsus révélateur ? 2/ Pour d’autres exemples, Susan ABULHAWA, Israël voudrait nous faire croire que l’assassinat du bébé palestinien brûlé vif est l’acte d’extrémistes.
palestine 14 PROPAGANDE
Sheldon Adelson
L’ÉMINENCE GRISE DE LA PROPAGANDE ANTI-BOYCOTT par Nathalie Janne d’Othée
Sheldon Adelson : ce nom ne vous dit probablement rien. Et pourtant, cet homme a une influence considérable en Israël comme aux États-Unis. Né en 1933 aux États-Unis, Sheldon Adelson a fait fortune dans l’industrie du casino et dans l’immobilier. Il possède le Venetian Hotel à Las Vegas, ainsi que de nombreux casinos à Singapour et Macao. Sa fortune s’élève à 29 milliards de dollars. Il y a peu, il a essayé de racheter le journal israélien Maariv, sans succès, ce qui l’a poussé à lancer le quotidien gratuit Israel Hayom, aujourd’hui le deuxième journal le plus lu en Israël. Si l’homme nous intéresse, et d’autant plus maintenant, c’est parce qu’il est récemment parti en croisade contre le mouvement Boycott Désinvestissement et Sanctions aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Ce n’est pas le premier ni le dernier à s’impliquer pour défendre la légitimité de la politique israélienne, mais vu son influence et sa fortune, le fait a de quoi nous inquiéter. Outre son business, Adelson met son énergie et son argent au service de la défense d’Israël ainsi que dans le financement de campagnes électorales aux États-Unis et en Israël. Au début du mois de juin, Adelson et d’autres riches mécènes proisraéliens ont réuni quelque 200 personnes au Venetian Hotel à Las Vegas. L’initiative, intitulée le Campus Maccabees Summit, vise à contrecarrer le succès grandissant du mouvement BDS sur les campus universitaires américains. Les donateurs ont promis des millions (entre 20 et 50 millions de dollars) aux représentants des organisations pro-israéliennes présentes, à condition qu’elles agissent ensemble, de manière unie et efficace. Ce n’est pas là la première initiative d’Adelson en matière de propagande pour Israël. Il avait déjà versé deux fois – en 2006 et 2007 – 25 millions de dollars au programme Taglit-Birthright Israel qui organise des voyages gratuits de découverte d’Israël à l’intention de jeunes adultes juifs de 59 pays. C’est également Sheldon Adelson qu’on retrouve derrière l’expérience faite au début de l’année par un journaliste israélien qui s’est promené dans les banlieues parisiennes avec une kippa (Qui est derrière “10 hours of walking in Paris as a Jew” ? dans Les Inrocks, 17 février 2015).
La fortune d’Adelson lui permet par ailleurs de financer les candidats politiques de son choix. Aux États-Unis, il soutient ainsi les campagnes républicaines, dont la dernière campagne de Mitt Romney aux présidentielles de 2012. En Israël, il soutient Benjamin Netanyahou. Son journal Israel Hayom est connu pour être favorable au Premier ministre. Ses liens privilégiés avec le parti républicain américain lui ont également permis de suggérer aux Républicains du Congrès d’inviter Benjamin Netanyahou à venir s’exprimer devant l’assemblée (Uri Avnery, Sheldon Adelson Ordered Netanyahu’s Speech in Congress, to Show Who Is In Controll of Both US and Israeli Governments sur Al Jazeera, 20 février 2015). L’invitation avait été mal reçue par la Maison Blanche qui n’avait pas été consultée au préalable sur cette visite d’un chef d’État étranger, une première. Le discours tenu par Netanyahou à cette occasion devant le Congrès fut un véritable pied-de-nez à la politique iranienne d’Obama. Depuis, les relations déjà tièdes entre l’administration américaine et le gouvernement israélien se sont encore davantage refroidies. Sheldon Adelson ne cache pas son hostilité à la politique d’Obama, voire à l’homme lui-même, et a ainsi osé déclarer que le président américain « n’avait cessé d’aller et venir entre les chrétiens et les musulmans comme un coureur de jupons dans un bar» (« Does Sheldon Adelson really want to defeat BDS?” dans Haaretz, 10 juin 2015). Mais la défense d’Israël n’est certainement pas l’apanage des seuls Républicains. L’initiative Campus Maccabees est ainsi également portée par un autre milliardaire israélo-américain, Haim Saban, qui finance, lui, le camp démocrate, dont le clan Clinton. Hillary lui a d’ailleurs récemment assuré qu’elle lutterait contre le boycott durant sa campagne (Hillary Clinton Condemns BDS in Letter to Haim Saban dans Forward, 6 juillet).
palestine 15 PRISONNIERS
Alimentation forcée
DES PRISONNIERS EN GRÈVE DE LA FAIM par Katarzyna Lemanska
En Israël, la loi interdit le gavage des animaux, mais depuis peu, elle autorise celui des prisonniers palestiniens. Le parlement israélien vient en effet d’adopter un projet de loi autorisant l’alimentation forcée des prisonniers en grève de la faim. L’Association médicale israélienne considère pourtant que la pratique s’apparente à de la torture. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et la Croix-Rouge l’ont également condamnée.
L’ARBITRAIRE DE LA DÉTENTION ADMINISTRATIVE
LA LOI SUR L’ALIMENTATION FORCÉE, FORTEMENT CONTROVERSÉE
Quelque 5000 Palestiniens sont actuellement emprisonnés en Israël, dont 400 sous ordre de détention administrative : leur détention peut être renouvelée tous les 6 mois et ce, indéfiniment, sans que des charges leur soient notifiées. Pas de procès donc, ni de jugement, mais une incarcération qui dure jusqu’à ce que l’administration décide d’y mettre fin. Si la 4e Convention de Genève autorise Israël, en tant que puissance occupante, à utiliser le régime de détention administrative, le droit international y met des restrictions sévères. Les autorités israéliennes ignorent ces limites et l’appliquent de manière systématique et à grande échelle, ce qui est constitutif de détention arbitraire et abusive.
Après les grèves de la faim de 2012, craignant que le décès d’un détenu déclenche une spirale de violence, le gouvernement israélien a rédigé une loi autorisant un juge à ordonner qu’un détenu soit attaché à son lit et entubé de force afin d’être nourri, contre sa volonté, si sa vie est en danger. Cette pratique invasive et douloureuse peut provoquer une hémorragie interne, un affaissement des poumons, des vomissements, voire la mort du patient. Il faut par ailleurs rappeler le fait qu’en Israël, le gavage des animaux est interdit. Il est par conséquent difficile de ne pas en conclure que les animaux y sont mieux considérés et traités que les Palestiniens… Malgré les oppositions de l’Union européenne, des Nations unies, de l’OMS et de la Croix-Rouge, le parlement israélien a adopté la loi. L’Association médicale israélienne refuse de l’appliquer et a introduit un recours en annulation auprès de la Cour suprême israélienne estimant que la pratique équivaut à de la torture et qu’elle va à l’encontre des standards éthiques médicaux. Elle a également clairement affirmé que tout médecin a le droit de refuser de la pratiquer. Le cas de Mohammed Allan a testé cette détermination : après être tombé dans le coma, il a été transporté à l’hôpital Soroka à Beersheba où les médecins ont refusé de le réanimer, respectant ainsi sa volonté. Il a ensuite été conduit à l’hôpital de Barzilai où la direction a clairement signifié qu’elle ne l’alimenterait pas de force. La Cour suprême israélienne a finalement levé son ordre de détention pour raisons médicales. Cette libération ne constitue pas une victoire pour autant : les médecins ignorent encore si les dommages cérébraux qu’ils ont détectés sont réversibles et, si son état de santé s’améliore, il sera à nouveau arrêté. Par ailleurs, rien ne change en matière de détention administrative. Finalement, on ne peut qu’espérer que l’ensemble du corps médical israélien se range derrière la position de l’Association médicale : il ne reste que l’éthique pour empêcher la torture devenue légale.
LE CAS EMBLÉMATIQUE DE MOHAMMED ALLAN Pour réclamer les droits qui leurs sont déniés, les prisonniers n’ont qu’un recours : mettre en danger leur propre santé, voire leur vie. Le cas de Mohammed Allan, un jeune avocat palestinien, met à nouveau en évidence les dérives de la justice militaire israélienne et l’impasse à laquelle sont confrontés les prisonniers. Maintenu en détention administrative depuis novembre, il a initié une grève de la faim qui s’est soldée par son hospitalisation au bout de 60 jours. Le gouvernement israélien refusait de l’inculper et de le juger mais aussi de le libérer si les dommages dont il souffre sont réversibles… Un exil de 4 ans lui a été proposé en échange de sa libération, sans autre forme de procès. Le politique et le judiciaire acculent le prisonnier à un choix terrible : l’exil ou la mort.
palestine 16 BDS
CHANGER LA DONNE
10 ans de BDS par Ben White
Au bout d’une décennie, les dirigeants politiques d'Israël sont toujours incapables de faire face au défi du boycott.
Il y a un peu plus d’une dizaine d’années, il n’existait rien de comparable à BDS. Beaucoup de Palestiniens et leurs alliés ont, bien sûr, appelé à un boycott d’Israël depuis des décennies. Cependant, c’est la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), lancée par les Palestiniens il y a 10 ans aujourd’hui, qui a permis de changer la donne. Rien qu’au cours des derniers mois, BDS a connu de nombreux succès et d’autres signes sont plus explicites quant à la détérioration de l’image internationale d’Israël. En avril, par exemple, la multinationale française Veolia a conclu la vente de ses actifs en Israël dans la gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie, à la suite d’une campagne mondiale contre la présence de l’entreprise dans les colonies israéliennes illégales. La société de cosmétiques Ahava envisagerait de déménager son usine située dans une colonie de Cisjordanie occupée ; l’an dernier, la campagne BDS ciblant SodaStream les a convaincus de déménager à l’intérieur des frontières d’avant 1967. Pendant ce temps, malgré le brouhaha et les récriminations entretenus en public, Orange a confirmé qu’il romprait ses liens avec la société israélienne détenant la licence de sa marque. Dans le domaine culturel, Lauryn Hill a annulé un concert prévu en Israël, Tom Morello a déclaré son soutien au boycott, et Thurston Moore de Sonic Youth a confirmé que l’annulation d’un de ses concerts précédents était due à son soutien au BDS. En février, plus de 600 artistes et travailleurs culturels ont annoncé leur soutien au boycott dans une lettre au Guardian.
ANGOISSE ISRAÉLIENNE Puis il y eut le vote de l’Union nationale des étudiants du RoyaumeUni confirmant leur soutien au BDS, le syndicat britannique UNISON lançant une campagne visant à faire pression sur les fonds de pension pour qu’ils désinvestissent des sociétés soutenant l’occupation israélienne de la Palestine et enfin le vote de l’Église unie du Christ
par 508 voix contre 124 en faveur du boycott et du désinvestissement des entreprises qui profitent de l’occupation israélienne. En Israël, tout cela a provoqué un niveau d’inquiétude relatif au BDS sans précédent, se traduisant par des avertissements de responsables d’université, la condamnation de Netanyahou, et la décision d’inclure une mission anti-BDS dans les responsabilités ministérielles de Gilad Erdan. À l’étranger, les amis d’Israël sont également passés à l’action, ainsi de l’appel à la levée de fonds lancé à l’initiative d’Haim Saban et Sheldon Adelson pour un «sommet» anti-BDS. Pourtant, les dirigeants politiques d’Israël sont incapables de faire face au défi du boycott. La droite souligne la menace BDS et en rend responsable l’antisémitisme, pendant que les centristes pointent l’absence de stratégie politique, mais n’offrent aucune alternative viable – et certainement pas celle qui accorderait aux Palestiniens leurs droits les plus élémentaires. La force de BDS est évidente. L’appel a fourni un point de ralliement aux militants palestiniens et à leurs alliés, dans une période de division et de cynisme de la direction et de la représentation nationales. Ce n’est pas juste une question de mérite en tant que tactique ; cela est également dû à l’accent mis sur les droits de tous les Palestiniens : ceux de Cisjordanie et ceux de Gaza, ceux qui ont la citoyenneté israélienne et la diaspora des réfugiés. Avec son appel en trois volets, BDS joue également un rôle important dans l’élaboration d’un discours plus global sur la question de la Palestine. Émergeant, puis prenant de l’ampleur, dans les derniers soubresauts de l’ère Oslo, la politique de la campagne BDS est très loin de la réduction de la lutte palestinienne à des négociations sur des frontières de bantoustans et à une illusoire « construction étatique ».
La politique de la campagne BDS est très loin de la réduction de la lutte palestinienne à des négociations sur des frontières de bantoustans et à une illusoire construction étatique.
LEVIER PALESTINIEN
STAGNATION POLITIQUE
Son sens stratégique est évident: dans une lutte profondément asymétrique, anticoloniale, les Palestiniens ont besoin d’un effet de levier et d’un moyen de pression.
Le deuxième obstacle, en partie lié au premier, est la division et la stagnation qui sévissent dans la politique palestinienne, et tout particulièrement, les stratégies mises en œuvre par Mahmoud Abbas. Israël peut s’opposer violemment aux efforts de l’Autorité palestinienne (AP) pour « internationaliser le conflit », mais en fait, l’AP mène, à l’intérieur et à l’étranger, des initiatives contradictoires qui manquent de vision politique globale.
Israël, pour sa part, est sensible à la fois pratiquement et psychologiquement à l’isolement et à la censure internationale. L’accent mis sur les droits donne aux militants du monde entier un message qui entre en résonance chez beaucoup d’entre eux, y compris chez des faiseurs d’opinion dans les ONG, les syndicats, les groupes confessionnels, les étudiants et d’autres encore. Le boycott est, en définitive, tout simplement une tactique, pas un programme politique. Tout seul, il ne peut pas – et ne vise pas à – atteindre les objectifs du peuple palestinien (même s’il peut apporter une contribution significative à leur réalisation). BDS est une campagne à long terme dont l’impact va croître tout au long d’une série de victoires locales, mais aussi à plus grande échelle. Les raisons de la croissance de BDS ne se trouvent pas seulement dans sa force en tant que campagne populaire, proactive et flexible. Des facteurs importants en sont également l’absence de progrès dans le « processus de paix » officiel, la brutalité et les effusions de sang lors des trois agressions israéliennes contre Gaza en six ans, et un Premier ministre et des ministres israéliens qui ont étendu les colonies en Cisjordanie, fait avancer des législations hyper-nationalistes et discriminatoires, et rejeté souvent explicitement la perspective d’un État palestinien. Un des obstacles qui empêchent des avancées de la campagne BDS encore plus substantielles est le « processus de paix » international conduit par les USA. La possibilité d’une reprise des négociations est l’un des principaux freins, pour l’Union européenne et d’autres acteurs étatiques et non étatiques, à prendre des mesures punitives de fond contre Israël. L’abandon définitif de ce cadre, qui a seulement servi à aggraver l’occupation et à contrecarrer la reddition des comptes, stimulera la campagne BDS.
Le troisième obstacle est la campagne anti-boycott menée par le gouvernement israélien et ses alliés et lobbyistes internationaux. Des dizaines de millions de dollars ont été, et seront encore, dépensés pour redorer l’image d’Israël, et pour saper et attaquer la solidarité militante envers la Palestine. Il est cependant probable que, dans sa tentative désespérée d’endiguer la marée, le lobby pro-Israël atteigne quelques-uns de ses objectifs. BDS est là pour mettre fin à la fois à l’impunité d’Israël et à notre complicité. Comme le journaliste d’Haaretz Roy Isacowitz l’a récemment exprimé, « pour en finir avec l’occupation, la classe moyenne d’Israël, nombriliste, apathique et bornée, a besoin d’un réveil brutal – grâce au mouvement international de boycott, désinvestissement et sanctions ». Beaucoup d’argent, de temps et d’efforts ont déjà été dépensés par des think tanks, des universitaires, des politiciens et des groupes de pression israéliens cherchant à contrecarrer BDS. En fait, il n’y a qu’un seul moyen garanti de mettre fin au boycott, comme l’Afrique du Sud l’a découvert: accorder à un peuple colonisé les droits qu’il exige et mérite. Cet article, dont le titre original est Game changer: 10 years of BDS, a été rédigé par le journaliste et écrivain Ben White et publié par Al Jazeera en juillet 2015. Sa traduction a été assurée par Thierry Bingen. Le livre de Ben White, Être palestinien en Israël – Ségrégation, discrimination et démocratie, vient de sortir aux Editions La Guillotine.
palestine 18 NEWS DU BDS
News du BDS Belgique
SODASTREAM, NOUVELLES DE CAMPAGNE Dans le précédent numéro de Palestine, nous vous annoncions le lancement d’une campagne contre la marque israélienne SodaStream. Une première journée de sensibilisation a été organisée dans les artères commerciales autour de la rue Neuve où un pastiche de Scarlett Johansson a déambulé en criant « Achetez SodaStream, c’est super bien, ça vole des terres aux Palestiniens ! » pendant que les militants entamaient des dialogues constructifs avec les passants. Réceptifs aux messages, les chalands ont très bien accueilli l’appel au boycott. Une question souvent posée était de savoir quoi faire si on avait déjà acheté la machine. Réponse: ne plus acheter les recharges de sirop de la marque constitue déjà un bon moyen de soutenir le boycott de la marque… sans oublier de dissuader son entourage d’en acheter ! Après un passage au Festival Couleur Café et à Marche, la campagne continue avec une étape programmée à Namur et une autre dans la cité liégeoise.
MOLENBEEK HORS COLONISATION Il y a quelques mois, au départ d’une motion PTB/PS, la commune de Molenbeek a décidé de ne plus accorder de marchés publics aux entreprises qui contribuent à l’occupation des territoires palestiniens et plus largement, qui bafouent le droit international. Rejointe par le sp.a, le Groupe d’intérêt communal (GIC) et Ecolo, la motion sera amendée par une commission qui aura pour objectif de garantir son application juridique. Parallèlement à cette première initiative, inédite à l’échelle européenne, des acteurs de la société civile, dont l’ABP, préparent une campagne plus large appelant à la reproduire auprès d’acteurs locaux dans d’autres communes. À suivre…
Belgique-Israël SOYONS PRÊTS ! Dans le cadre des matchs qualificatifs pour l’Euro 2016, Bruxelles s’apprête à accueillir le 13 octobre une rencontre Belgique-Israël. Alors que le racisme envers les Arabes s’intensifie dans les équipes israéliennes et que des dizaines de joueurs palestiniens sont victimes des restrictions de déplacement imposées par Israël, et que d’autres sont toujours en prison, la présence de l’équipe israélienne au sein de l’UEFA est inadmissible. Une série d’actions de sensibilisation Carton rouge à l’apartheid israélien est programmée jusqu’au 13 octobre, dont une grande journée nationale de mobilisation, le samedi 3 octobre ! Plus d’information sur le site Internet de l’ABP : www.association-belgo-palestinienne.be
De Molenbeek à Tel-Aviv(-sur Seine) en passant par Ferguson, la campagne BDS s’intensifie et remplit les éditoriaux de par le monde. Retour sur les victoires et avancées de ces derniers mois.
France
TEL-AVIV-SUR SEINE PREND L’EAU. MERCI, ANNE HIDALGO ! « Créer des ponts entre Tel-Aviv et la ville de Paris », c’était donc là l’objectif annoncé par la maire de la capitale française. Arguant du caractère progressiste de la capitale d’Israël, les autorités parisiennes avaient choisi Israël comme partenaire de leur espace plage sur les bords de Seine. Considérant qu’il s’agissait plutôt d’une opération de blanchiment des crimes d’Israël, des militants de BDS France se sont invités à la fête estivale pour rappeler que Tel-Aviv n’est rien d’autre qu’une capitale de 3,5 millions d’habitants, construite après la destruction de sept villages palestiniens, à partir d’où sont lancées les attaques contre Gaza. Même si les bords de plage où narguilés et discothèques se mélangent ont bonne presse, la ville de Tel-Aviv n’est pas moins responsable que les autres villes d’Israël de l’élection d’un gouvernement d’extrême droite en Israël. Une magnifique occasion de rappeler les multiples violations du droit international par Israël devant quelques dizaines de badauds…
USA
L’ÉGLISE SE MOBILISE Le législateur tente de freiner la campagne BDS mais rien n’y fait : United Church of Christ, représentant des millions de fidèles, a rejoint la campagne BDS. Récemment, des personnalités et des militants d’associations afro-américaines ont également appelé au boycott d’Israël.
Espagne LE BOYCOTT CULTUREL PROGRESSE La chanteuse du groupe Ojos de Brujo, Marina Abad, a décidé d’annuler son concert prévu en Israël à la suite des demandes de militants de BDS Catalogne. Elle devient ainsi la première chanteuse espagnole à s’engager dans le boycott culturel d’Israël quelques jours après que la chanteuse américaine Lauryn Hill ait, elle aussi, choisi d’annuler son concert en Israël.
palestine 19 BDS
BDS
ÉLARGIR ET RADICALISER LE MOUVEMENT par Simon Moutquin
Nous y voilà, la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions d’Israël est officiellement classée « menace hautement stratégique », voire « menace existentielle » par le gouvernement israélien de Bibi. Alors que pendant des années, les politiques israéliens ont nié leur impact ou se sont tus face aux militants BDS, Netanyahou a choisi d’adopter une position offensive.
UNE CONTRE-OFFENSIVE DÉSESPÉRÉE Les armes utilisées ? Nous les connaissons depuis longtemps, il s’agit d’une part de la tentative désespérée de lier toute critique de la politique israélienne à une pathologie antisémite dont nous, défenseurs du droit international, souffririons depuis la naissance et d’autre part, de profiter du chaos régional pour semer le doute sur les intentions du BDS. Derrière ces deux réponses, un peu redondantes, avouons-le, le ballet des réunions stratégiques ministérielles et internationales s’enchainent, des fonds importants sont levés (voir article de Nathalie Janne d’Othée), le gouvernement israélien liste à travers le monde les personnes actives dans le mouvement et les éditoriaux dans les grands journaux en faveur ou contre BDS se multiplient.
BDS : UNE CROISSANCE RAPIDE ET UNE EFFICACITÉ REMARQUABLE Entre-temps, BDS passe à la vitesse supérieure, le mouvement s’organise et s’intensifie, des dizaines d’organisations à travers le monde rejoignent l’appel lancé en 2005, les exportations israéliennes en Europe piétinent de même que les investissements étrangers dans les colonies sont en chute libre. Les positions bougent, la tentative de nier la raison d’être de BDS ne fonctionne pas ou plus, les citoyens de par le monde, y compris en Israël, prennent conscience des violations répétées du droit international et du désespoir du peuple palestinien. Depuis quelques mois, pas une action de boycott, pas une annulation de concert en Israël n’échappent à la couverture médiatique. Juste pour cela, merci Bibi ! Dix ans après son lancement en 2005 par l’ensemble de la société civile palestinienne, il est encourageant de voir que le mouvement de boycott connaît une croissance rapide et une efficacité remarquable. Imaginé à partir de celui contre le régime d’apartheid sudafricain, il semble porter ses fruits plus rapidement que ce dernier.
NOUVELLES PERSPECTIVES DE LUTTE Il nous faut désormais élargir et radicaliser le mouvement. L’élargir, en créant des ponts avec les acteurs qui militent pour un changement de la société, celles et ceux qui luttent pour la justice sociale,
contre le TTIP, un accord de libre-échange qui n’a de libre que le nom, contre toutes formes de racisme et de xénophobie, contre des politiques d’austérité asphyxiantes ou encore contre une Europe qui, malgré ses beaux discours, laisse mourir des milliers de migrants chaque année à ses portes. Tous ces combats, comme celui pour les droits du peuple palestinien, sont des combats pour une justice basée sur les droits fondamentaux. Le radicaliser (radicaliser signifiant « aller à la racine des choses »), c’est prendre soin de rappeler les raisons de son émergence, à savoir l’inaction de la communauté internationale face à 60 ans de politique de déplacements forcés de population, 47 ans d’occupation illégale de la Palestine et 10 ans de blocus meurtrier de Gaza. Sans jamais oublier de rappeler ses revendications : la fin de l’occupation, des droits égaux pour tous les citoyens d’Israël et le droit au retour des réfugiés. Aller à la racine de l’occupation, c’est aussi dénoncer les soutiens de la colonisation, le racisme grandissant de la société israélienne et le silence étourdissant de nos dirigeants.
UN MOUVEMENT DE DROITS HUMAINS EN BELGIQUE ET DANS LE MONDE Face à l’hystérie de nos adversaires, nous resterons constants dans nos revendications et dans les valeurs qui ont fondé BDS. La campagne BDS est, et restera, un mouvement de droits humains, rejetant toute forme de racisme et donc d’antisémitisme, fondé sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme, n’en déplaise à nos détracteurs qui se sont, quant à eux, assis sur elle depuis bien trop longtemps. Et en Belgique ? Les initiatives se multiplient autour de la plateforme BDS Belgium regroupant plus de cinquante organisations. L’ABP a lancé il y a quelques semaines une campagne contre SodaStream, un projet pour un désinvestissement des communes dans les colonies est en préparation et la campagne contre G4S continue du côté néerlandophone. Alors que le mouvement international BDS prévoit de déployer de nouvelles initiatives pour promouvoir un embargo militaire contre Israël, des bruits de couloir Rue de la Loi donneraient à entendre qu’un achat de drones (israéliens ou américains) par la Belgique ne serait pas exclu, nous y serons attentifs et vigilants !
palestine 20 GAZA
Circus in Gaza
HISTOIRE D’UN PIED DE NEZ ROUGE EN « ZONE À RISQUE ÉLEVÉ » par Babou Sanchez
Depuis 2011, un projet de création d’école de cirque se poursuit à Gaza malgré le blocus, les bombes, le chômage et la non-mixité imposée aujourd’hui par la société palestinienne. POURQUOI LE CIRQUE ? Cet art de saltimbanque a la particularité de se composer de multiples disciplines, la jonglerie (balles, massues, diabolo…), l’équilibre sur objets (fil, monocycle, boule…) l’acrobatie, le jeu de clown… Cette palette offre la possibilité à chacun de trouver son propre outil d’expression tout en faisant partie d’une « famille » plus large où l’esprit de groupe et l’entraide sont primordiaux. Sans parade (partenaire assurant la sécurité), l’acrobate ne peut se lancer dans une figure à risque, l’équilibriste a besoin d’une épaule à ses débuts pour trouver sa balance, le clown doit tester ses gags sur un public complice,… Depuis de nombreuses années en Europe, le cirque s’est développé comme outil de résilience et de cohésion sociale auprès de publics fragilisés. Le corps en mouvement devient un “ami” avec lequel on réussit à s’exprimer, à se présenter aux autres, à exister. Des enfants aux adultes, la formule magique a fait ses preuves. Proposer cet outil en Palestine, où des décennies d’occupation et de guerre blessent physiquement et moralement une population entière, relevait pour nous de l’évidence.
LE CIRQUE À GAZA De 2005 à 2009, l’association française Une toile contre un mur accompagnait la création de l’école de cirque Sirk-Saghir (le petit cirque) à Naplouse/Cisjordanie. Riches de cette première expérience, Une toile contre un mur et l’asbl Aljabal décident de se rendre à Gaza pour proposer le même type de projet. Le projet consistait d’une part à apporter du matériel de cirque et d’autre part, à former en technique et en pédagogie des arts du cirque des animateurs de cirque palestiniens qui pourraient former à leur tour des enfants palestiniens. Notre but ultime était de mettre en place une structure de cirque palestinienne autonome. Lors de notre première venue, nous avons rencontré plusieurs animateurs appartenant à différentes associations socioculturelles de
toute la bande de Gaza, de Khan Yunes au sud à Jabalia au nord. Ils ont tout de suite compris l’intérêt de développer cet outil auprès des enfants avec lesquels ils travaillaient. Mais avant d’accepter notre proposition, ils ont imposé leur seule et unique condition : que l’on s’engage sur le long terme à leur donner une formation complète. Ils avaient déjà reçu le même type de proposition de la part d’associations européennes qui pour finir leur avaient donné du matériel sans leur expliquer à quoi cela servait puis n’étaient plus jamais revenues. Leur condition nous plaisait car elle nous mettait, Européens et Palestiniens, sur pied d’égalité et nous confrontait à l’engagement que nous prenions. Cette première rencontre scellée par ce contrat moral nous a donné des ailes. De notre côté, nous avons réussi la première année à nous rendre 3 fois à Gaza pour chaque fois des périodes d’un mois. Nous apportions du matériel, nous développions avec les Gazaouis le contenu de la formation en fonction de leurs besoins, de leurs demandes et surtout, nous constations leur évolution spectaculaire : entre chacune de nos venues, les participants continuaient leur formation de manière autonome en allant voir des vidéos sur Internet. Très vite, ils ont organisé des cours pour les enfants, filles et garçons, au sein de leurs associations. Leur implication était remarquable : durant les stages que nous donnions, certains travaillaient dans les tunnels la nuit et suivaient les cours le jour. Des cours très éprouvants physiquement, sous une chaleur accablante.
LE BLOCUS POUR LES CLOWNS AUSSI ! Des ailes, nous aurions aimé en avoir au sens propre. Le plus grand frein à ce projet était et reste le blocus de Gaza. N’étant pas soutenus par une institution type ONU, il nous était impossible de passer par Israël et nous sommes donc passés par l’Égypte qui vivait son “printemps arabe”. L’ambiance était particulière ; les Égyptiens étaient fiers, ils avaient réussi à détrôner leur dictateur. Lorsqu’ils apprenaient que nous nous rendions à Gaza pour un projet cultu-
© Babou Sanchez
rel, ils nous offraient un soutien et une aide généreuse. Sans cela, aurions-nous réussi à franchir par trois fois la frontière qui sépare l’Égypte de Gaza, deux fois à l’air libre et une fois sous terre, par les tunnels ? Ce n’est pas sûr, car même en l’absence du dictateur, les militaires postés à la frontière continuaient à la rendre imperméable et les règles pour la passer n’étaient pas claires. Aujourd’hui encore, nous ne comprenons pas comment nous avons réussi. Le fait que nous ayons réussi à la passer une première fois, le fait que le projet ait pu démarrer et que nous nous sentions liés par notre engagement à nos partenaires gazaouis nous confirmaient la justesse de notre option et la nécessité d’aller à Gaza. Ainsi, à notre troisième voyage, devant des militaires égyptiens qui nous refusaient catégoriquement le passage pour Gaza, nous avons pris les tunnels sans aucune hésitation. Pour nos collègues et amis palestiniens, ce fut la manifestation définitive de l’authenticité de notre engagement ! Initialement nous avions prévu un programme de formation s’étalant jusqu’en 2015 avec en moyenne deux stages par an. C’était sans prendre en compte la situation instable de Gaza et de l’Égypte. Depuis août 2012, nous n’arrivions plus à nous rendre à Gaza, nous en avons été empêchés successivement par des attentats, le coup d’État en Égypte, les bombardements de Gaza, les conflits dans le désert du Sinaï égyptien. Par désespoir et naïveté politique, nous avons sollicité un passage par Israël qui nous fut bien sûr refusé. Devant ces obstacles, un nouvel ennemi est apparu, le découragement. Cela fait trois ans que nous travaillons pour aller à Gaza afin d’honorer notre contrat auprès de nos partenaires palestiniens, et cela fait trois ans que notre travail est balayé d’un revers de la main du fait des refus des institutions égyptiennes et israéliennes. Sans parler du “non-soutien” de nos ambassades belge et française. Mais nous ne pouvions pas baisser les bras, car là-bas à Gaza, la graine du cirque a été plantée et malgré le manque d’eau, elle pousse. Si nous ne pouvons nous rendre sur place pour accom-
pagner le projet physiquement, nous devions trouver le moyen de l’accompagner à distance et surtout de maintenir un lien qui est une source de soutien et d’encouragement vitale pour les Gazaouis coupés du monde.
L’AVENIR DU CIRQUE À GAZA ET EN PALESTINE La formation de base que nous avons pu apporter à Gaza et le travail autonome développé par les participant-e-s ont donné à ce projet des bases solides. Aujourd’hui, deux écoles de cirque sont en train d’émerger à Gaza, une à Jabalia, l’autre à Shijaiya. Dans chaque groupe, deux à trois jeunes qui ont suivi notre formation l’ont transmise à leurs amis si bien qu’il y a actuellement plus de 10 formateurs aux arts du cirque à Gaza qui donnent des cours et des stages aux garçons et aux filles. Par ailleurs, ils ont développé des contacts vers l’extérieur, tout d’abord avec les écoles de cirque palestiniennes de Naplouse et de Ramallah et ensuite avec deux ONG italiennes. Ces contacts sont l’avenir du cirque à Gaza et ouvrent des perspectives à une collaboration entre les écoles de cirque palestiniennes. Les ONG italiennes soutiennent ce projet, l’une en apportant des moyens financiers afin de louer un lieu où donner les cours, l’autre en essayant de trouver un moyen pour que les professeurs gazaouis puissent se rendre à l’Ecole palestinienne de cirque de Ramallah afin de recevoir une formation technique plus poussée. L’art, la culture, le jeu, l’amusement sont des armes pacifiques à opposer face à l’absurdité de la guerre. En nous rendant en Palestine avec ce projet de cirque nous étions porté-e-s par la conviction que s’amuser est un droit humain de base comme boire et manger. Sur place, cette conviction s’est renforcée.
Envie d’en savoir plus sur ce projet ? Rendez-vous sur www.aljabal.be
palestine 22 LIVRES / FILM
ISLAMOPHOBIE ET JUDÉOPHOBIE L’EFFET MIROIR
livres
par Ilan Halevi, Paris, Éditions Syllepse, 2015, préface d’Alain Gresh
ON PALESTINE
par Noam Chomsky et Ilan Pappé édité par Frank Barat, Chicago, Haymarket Books, 2015 (en anglais)
Né à Lyon en 1943 de parents juifs, naturalisés français et résistants, Ilan Halevi s’installe en Israël en 1964. Il prend nettement position pour la cause palestinienne et rejoint, en 1976, l’OLP d’Arafat dont il devient vice-ministre des Affaires étrangères. Il décède le 10 juillet 2013.
Noam Chomsky est l’un des plus éminents spécialistes de la politique étrangère des États-Unis. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de politique, d’histoire et de linguistique. Ilan Pappé est l’un des nouveaux historiens israéliens ; il dirige le Centre européen d’études palestiniennes de l’université d’Exeter (UK). Il a signé une quinzaine d’ouvrages. Ancien coordonnateur du Tribunal Russell sur la Palestine, Frank Barat est devenu éditeur et préside le Palestine Legal Action Network (PLAN), un réseau international d’intervention juridique et médiatique sur la question palestinienne. Voici un petit ouvrage qui mérite l’attention. D’abord pour la qualité du duo d’experts interrogés par Frank Barat, mais surtout pour leurs conversations croisées sur toutes les questions qui touchent à la Palestine, mettant en relief accords et divergences
(sur le BDS, la « solution » à un ou deux États, par exemple). Ces échanges constituent la première partie du livre ; ils portent sur le passé, le présent et l’avenir de la Palestine et sont complétés par des interviews séparées de Pappé sur sa vision de la politique d’Israël et de Chomsky sur le rôle des USA dans les négociations de paix. La seconde partie du livre reproduit les réflexions que suscitent chez eux l’assaut israélien de l’été 2014 sur Gaza, les crimes israéliens, les trêves conclues et jamais respectées par Israël, les responsabilités politiques et l’élargissement des solidarités à travers le monde. À la fin de l’ouvrage, on lira avec intérêt le discours prononcé par Noam Chomsky, le 14 octobre 2014, devant l’Assemblée Générale des Nations unies. La sortie en français est prévue pour avril 2016. C.S.
Dans ce texte, écrit dans les derniers mois de sa vie, Ilan Halevi dénonce l’islamophobie et les discriminations qui frappent les musulmans. Inquiet devant la montée des périls susceptibles de mener à une « guerre de civilisation », l’auteur écrit dans l’urgence, « car il y va de la guerre, de la mort et de la souffrance et de l’absolue nécessité de leur résister ». C’est l’œuvre d’un militant formidablement cultivé et fin connaisseur de l’Histoire, celle des Juifs, celle de la Palestine, mais aussi celle du monde dont il s’est toujours senti citoyen. L’ouvrage développe deux thèmes principaux : le premier est une analyse critique de la guerre contre le terrorisme, le second établit un parallèle entre islamophobie et antisémitisme et Ilan Halevi s’applique à démontrer que « l’islamophobie fonctionne de la même façon, joue un rôle comparable à celui que l’antisémitisme a joué en Europe avant la seconde guerre mondiale. Elle fournit le terreau idéologique sur lequel peuvent croître les nouvelles formes de fascisme. » C.S.
DE LA THÉOLOGIE À LA LIBÉRATION ?
film
HISTOIRE DU JIHAD ISLAMIQUE PALESTINIEN
par Wissam Alhaj, Nicolas Dot-Pouillard, Eugénie Rébillard, Paris, La Découverte, 2014
MON FILS SHELL-SHOCKED ON THE GROUND UNDER ISRAEL’S GAZA ASSAULT
film d’Eran Riklis, 2014, DVD avec version française
par Mohammed Omer, NY-London, OR Books, 2015 (en anglais)
Jihad islamique, vous avez dit jihad ? La plupart s’arrêtent à ce mot sans savoir ce qu’est exactement ce parti palestinien méconnu. Et pourtant, il s’agit d’un acteur important de la scène politique et militaire palestinienne, notamment à Gaza. Outre l’histoire de ce mouvement né dans les années 80, les auteurs s’attachent à décrypter son idéologie en patchwork : mouvement sunnite mais inspiré par la révolution iranienne, avec une orientation tiers-mondiste, il se polarise sur la lutte armée tant et si bien qu’un des auteurs lors d’une conférence le qualifie de guevariste. Bien que le mouvement soit islamiste, il est avant tout nationaliste et fait de la libération de la Palestine son objectif prioritaire. L’aspect théologique est un socle mais ni une fin, ni un moyen. Comme l’écrivent les auteurs, « s’il y a une seule théologie pour le Mouvement du Jihad islamique en Palestine, c’est bien celle de la libération nationale ». Ainsi, soucieux de ne jamais diviser le mouvement national palestinien dans sa lutte contre Israël, le Jihad islamique a aquis une place importante sur l’échiquier palestinien: Israël ne peut l’éliminer et ni le Fatah ni le Hamas ne peuvent l’ignorer. Avec cette étude particulière, les auteurs apportent une réflexion originale sur les mouvements islamistes, bien loin de l’image habituelle véhiculée dans les médias. M.B Le livre est en ligne: http://bit.ly/1IozD9q.
Ses films précédents sont La fiancée syrienne et Les citronniers. Le scénario de Mon fils est adapté de deux romans Les Arabes dansent aussi et La deuxième personne de l’écrivain arabe israélien Sayed Kahua.
Mohammed Omer est un journaliste palestinien, plusieurs fois récompensé pour ses reportages publiés notamment dans The Nation et Al Jazeera. Ces pages, écrites à Gaza, où Mohammed Omer résidait avec sa femme et son fils de quelques mois, constituent des témoignages de première main de la vie sous les bombes de l’opération Bordure protectrice lancée en juillet 2014. L’ouvrage est conçu comme une succession de récits courts, directs et forts dont les titres annoncent les multiples drames humains engendrés par l’opération : L’obscurité tombe sur Gaza, Des enfants palestiniens tués lors de frappes aériennes, Morts sous les décombres des écoles de l’UNWRA ou encore Même dans les cimetières, les morts ne sont pas en paix. Pendant cet été meurtrier, qui a fait plus de 2 200 morts et plus de 10 000 blessés en 50 jours, 4 500 bébés sont nés à Gaza. C.S.
Iyad est un jeune Arabe israélien. À 16 ans, ses brillants résultats scolaires lui valent de pouvoir intégrer un prestigieux internat juif à Jérusalem. Premier et seul Arabe à y être admis, son accent en hébreu et ses maladresses lui attirent les moqueries des élèves de sa classe, mais il est progressivement accepté par eux. Il n’a cependant qu’un seul véritable ami, Yonatan, un garçon atteint d’une maladie dégénérative : Iyad partage avec lui ses goûts musicaux et l’aide tant pour les cours que pour les déplacements en chaise roulante. En échange, Yonatan lui sert d’intermédiaire pour rencontrer Noami, l’élève juive dont il est amoureux. Iyad se rapproche d’Edna, la mère de Yonatan, qui fait souvent appel à lui pour s’occuper de son fils dont l’état se dégrade fortement. Iyad devient rapidement le deuxième fils de la famille. Au décès de Yonatan, profitant de sa ressemblance avec celui-ci et avec la complicité d’Edna, il prend l’identité juive de son ami. Beau film qui traite, avec tact et sensibilité, de la difficile question de l’identité. À voir ! C.S.
éditeur responsable Pierre Galand – rue Stévin 115 à 1000 Bruxelles
De 1975 à 2015
40 ans de soutien au peuple palestinien À vos agendas !
Le samedi 28 novembre L’association belgo-palestinienne fête ses 40 ans L’occasion de revenir sur quatre décennies aux côtés du peuple palestinien Plus d’informations prochainement