palestine
Belgique/België P.P. Bruxelles X 1/1624
BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL TRIMESTRIEL N°62 – OCTOBRE/NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130
SOMMAIRE DOSSIER SPÉCIAL FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE > 3 Destructions en zone C > 12 Colonisation sous Netanyahou > 14 Soulèvements à Jérusalem-Est > 16
© Mohammed Salem
Gaza Parkour Team
À Gaza, des jeunes investissent les décombres des bombardements israéliens pour en faire un terrain de jeu. Discipline internationale reconnue, le « Parkour » consiste à s’exercer à la pratique du déplacement libre, de l’acrobatie et de la voltige dans tous types de milieux. Un air de liberté à Gaza dans les ruines provoquées par les attaques successives israéliennes. L’occupation israélienne n’est pas un jeu, le blocus de Gaza est une réalité vécue quotidiennement par 1,8 million de Palestiniens. Les clichés de Mohammed Salem mettent en avant le contraste entre envies de vivre librement de la jeunesse et environnements dévastés.
palestine 02 ÉDITO
Mauvaise foi EUROPÉENNE par Pierre Galand, Président
Entendu lors d’une rencontre de la Coordination européenne des comités de soutien à la Palestine (ECCP) avec de hauts responsables de la Commission européenne, en ce début d’octobre : « Cet été, les intentions d’Israël étaient pures mais elles ont abouti à un bilan effroyable. 2154 Palestiniens tués dont une majorité de civils, nous ne pouvons l’accepter. Le Hamas s’est lancé dans cette guerre car il n’avait plus d’autre choix ; ses alliés égyptiens ayant été renversés par le général Al-Sissi, le blocus faisait des ravages dans les rangs de la population qui appelait de ses vœux le retour de l’Autorité palestinienne… Ils ont donc utilisé leurs roquettes avec l’intention de massacrer des civils israéliens, mais sans y parvenir vu l’imprécision du tir de ces armes et le système bien au point de protection israélien (4 civils tués). » Et de conclure « un État a l’obligation de protéger ses citoyens. Israël n’a fait que son devoir. Israël a, en outre, régulièrement informé les civils palestiniens de Gaza de ses bombardements, pour qu’ils puissent s’enfuir » ! Aujourd’hui que les armes se sont tues, selon ces mêmes hauts fonctionnaires, c’est « à Mahmoud Abbas de reprendre la main et de profiter de la faiblesse du Hamas pour reprendre les négociations de paix avec Israël. Il y a urgence, nous dit l’un d’eux, car nous, les Européens, n’avons plus les moyens financiers de porter à bout de bras les Palestiniens ni de participer sérieusement à la reconstruction de Gaza. » Discours parfaitement assumé, accompagné de bons conseils « et surtout, ne parlez pas de crime de génocide car cela vous discrédite », un autre allant jusqu’à nous inviter à organiser une manifestation de soutien à la nouvelle Haute représentante de l’Union européenne, Mme Federica Mogherini. Voilà des propos qui témoignent de l’arrogance et de l’adhésion totale de nombre de responsables de la Commission aux thèses du gouvernement Netanyahou vis-à-vis duquel aucune critique ne fut formulée au cours de l’entrevue. Bien que passablement heurtés, voire même révoltés par ces propos, nous avons cependant soumis nos propositions d’action à ces messieurs de l’UE : – faire preuve d’un minimum de cohérence dans l’approche de la problématique du Proche-Orient entre les proclamations relatives au respect des droits de l’Homme et du droit humanitaire et leur application sur le terrain. En effet, pourquoi prendre des mesures de sanctions contre la Russie et le Sri Lanka et pas contre Israël ? – exiger d’Israël la levée du blocus contre Gaza et assister la Palestine pour qu’elle accède à la Cour pénale internationale,
– prendre des mesures telles que la suspension de l’accord d’associations UE-Israël ; l’application urgente des Lignes directrices de juillet 2013 en matière de financements dans les colonies israéliennes ; l’application des stipulations de l’avis de la CIJ de 2004 relatif au Mur de l’apartheid ; l’exigence de paiement par Israël des dégâts causés par son armée aux équipements fournis par l’UE et ses États membres à la population de Gaza ; la suspension de tout commerce d’armes avec Israël aussi longtemps que durera l’occupation ; la reconnaissance de l’État de Palestine ; l’assistance aux 11 500 Palestiniens blessés au cours de l’opération Bordure protectrice et aux 600 000 déplacés de Gaza. Heureusement pour les Palestiniens, nos revendications, nos appels et nos actions commencent à porter leurs fruits tant au Parlement européen que dans les parlements nationaux. Des gouvernements prennent des initiatives fustigeant Israël pour ses crimes de guerre et ses crimes contre l’humanité commis cet été. La session extraordinaire particulièrement émouvante du Tribunal Russell sur la Palestine tenue à Bruxelles ce 24 septembre a fait à cet égard un travail de grande qualité pour la qualification de ces crimes et pour la dénonciation des graves manquements des alliés d’Israël.
palestine no 62
Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche, Nadia Farkh, Pierre Galand, Katarzyna Lemanska, Julien Masri, Christiane Schomblond, Gabrielle Lefèvre, Hocine Ouazraf et Nathalie Janne d’Othée / Relecture Ouardia Derriche Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asbl Siège social rue Stévin 115 à 1000 Bruxelles Secrétariat quai du Commerce 9 à 1000 Bruxelles tél. 02 223 07 56 / fax 02 250 12 63 / abp.eccp@skynet.be www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 / Tout don de plus de 40 euros vous donnera droit à une exonération fiscale. Graphisme Dominique Hambye & Élise Debouny Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
palestine 03 DOSSIER FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE
DOSSIER
Israël droit
dans le mur ?
L’entrée au gouvernement israélien de partis d’extrême droite et la dernière offensive contre Gaza ont libéré dans la société des paroles ouvertement racistes qui nous rappellent un temps que l’on croyait révolu. Pire, les témoignages entendus lors du dernier Tribunal Russell pour la Palestine (p. 8) épinglent des intentions génocidaires exprimées et diffusées impunément en Israël (p. 4-5). La classe politique israélienne elle-même dans ses plus hautes sphères semble également contaminée par les discours fascisants (p. 6). Cependant et malgré l’inquiétude devant cette montée du radicalisme, un autre Israël existe et survit toujours et des discours appelant au vivre-ensemble tentent courageusement de se faire entendre (p. 7).
palestine 04 DOSSIER FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE
Incitation au génocide
DES PALESTINIENS EN ISRAËL par Marianne Blume
INTRODUCTION Lors de la session extraoridinaire sur Gaza de 2014 du Tribunal Russell, David Sheen a montré, à partir de déclarations officielles et de messages sur les réseaux sociaux, combien les incitations au génocide contre les Palestiniens faisaient partie du discours dominant en Israël, avant et durant l’opération Plomb durci (voir www.youtube.com, David Sheen, Russell Tribunal 2014). Se basant aussi sur les autres témoignages, le Tribunal Russell a d’ailleurs écrit dans ses conclusions : « Le Tribunal a également mis en garde qu’il était possible que le crime de persécution devienne génocidaire. Le Tribunal a par ailleurs déclaré qu’il est reconnu que, dans des situations où des crimes contre l’humanité étaient commis en toute impunité et où l’incitation directe et publique au génocide se manifestait dans tous les secteurs de la société, il était concevable que l’État ou les individus choisissent d’exploiter ces conditions afin de perpétrer le crime de génocide. »
GÉNOCIDE, VRAIMENT ? Longtemps, la mention de génocide pour décrire les agressions israéliennes contre les Palestiniens a été prohibée car jugée soit légalement fausse, soit exagérée, soit contre-productive. Pourtant, ce terme avait déjà été utilisé en Israël. En 2003, par Shulamit Aloni, ex-ministre de la Culture du gouvernement Rabin qui écrivait: «Nous n’avons pas de chambres à gaz ni de fours crématoires, mais il n’existe pas qu’une seule méthode pour commettre un génocide. » En 2004, par un professeur de l’université Ben Gourion, Lev Grinberg qui, dans une tribune de La Libre Belgique, parlait de « génocide symbolique ». Ou en 2008, par Ilan Pappé qui notait déjà « génocide à Gaza, nettoyage ethnique en Cisjordanie » pour parler, actuellement, de « génocide progressif » contre les Palestiniens. En 2013, Richard Falk, professeur américain de droit international et Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’Homme dans les Territoires palestiniens, affirmait, quant à lui : « Israël ne se dirige vers rien de moins qu’un génocide palestinien ». Et il ajoutait dans une interview à la chaîne de télévision russe : « Lorsque vous ciblez un groupe ethnique et que vous lui infligez ce genre de punitions, vous nourrissez une intention criminelle génocidaire. » En 2014, d’autres voix se sont jointes à ces dernières comme celle de Nurit Peled qui, dans une lettre au Parlement européen, dit clairement
« génocide à Gaza, pogroms et massacres en Cisjordanie ». La référence au génocide est reprise même dans certains milieux juifs internationaux puisque, dans le New York Times, suite au massacre de Gaza, trois cents survivants et descendants des victimes du génocide nazi ont écrit : « Un génocide commence avec le silence du monde. Nous devons faire entendre notre voix et utiliser notre pouvoir collectif pour mettre fin à toute forme de racisme, y compris le génocide en cours du peuple palestinien. » Depuis, le président palestinien, Mahmoud Abbas, a utilisé le même terme à l’ONU à propos de Gaza, ce qui lui a valu bien sûr les critiques les plus vives d’Israël. Il faut d’ailleurs signaler que tous les juristes internationaux ne sont pas d’accord sur l’utilisation du terme.
L’INTENTION : UN ÉLÉMENT DÉTERMINANT Il ne suffit pas qu’il y ait destruction partielle ou entière d’un groupe national, ethnique, religieux ou racial pour qu’on parle de génocide. L’élément intentionnel est nécessaire. L’intention peut être prouvée au travers de déclarations, d’ordres mais peut aussi être déduite d’un modèle méthodique d’actes coordonnés. Quel que soit le motif du crime (expropriation de terres, sécurité nationale, intégrité territoriale, etc.), si l’auteur du crime a l’intention de détruire un groupe ou une partie de celui-ci, il y a génocide. Dans le cas de la dernière agression contre Gaza, c’est à relever les déclarations des politiques, des militaires, des rabbins et des quidams que s’est attaché David Sheen. Le résultat de ses recherches est effarant. De ceux qui préconisent le viol des femmes pour dissuader les fauteurs d’attentats (Mordechai Kedar, chercheur au Centre d’études stratégiques Begin – Sadate de l’université Bar Ilan) à ceux qui justifient le meurtre de non-juifs y compris des bébés palestiniens « s’il est clair qu’ils grandissent pour nous faire du mal » (rabbin Yitzhak Shapira, dans la lignée du Kach), de ceux qui glorifient les Juifs qui tuent des « Arabes » à ceux qui présentent tous les Palestiniens comme des combattants ennemis y incluant les mères et leurs enfants (Ayelet Shaket, parlementaire du parti sioniste religieux, Foyer juif), de ceux qui sont fiers d’avoir tué des « Arabes » (Naftali Bennett, dirigeant de Foyer juif, ministre de l’Économie) à ceux qui déclarent qu’il faut transformer l’armée en une
© GNU Free Documentation
armée de vengeurs qui ne s’arrête pas à trois cents Palestiniens tués (rabbin Noam Perel), de ceux qui prient pour qu’un autre million d’enfants «arabes» meurent ( un responsable de la police) à d’autres qui sur les réseaux sociaux profèrent les pires horreurs, il faut constater que l’incitation à éliminer les Palestiniens est bien présente. Y compris aux USA où l’éditorial d’un journal pro-israélien en ligne, le Times of Israel (2014), est titré : « Quand le génocide est permis ». Son auteur, Yochanan Gordon, s’y interroge ouvertement : « Si les dirigeants politiques et les experts militaires déterminent que le seul moyen d’atteindre leur objectif de maintien du calme est le génocide, est-il permis de réaliser ces objectifs responsables ? À partir de ce moment-là, quel autre moyen de se comporter avec un ennemi de cette nature y a-t-il si ce n’est celui de l’anéantir complètement ? » 1 Quant à Naftali Bennett, ministre de l’Économie et de la Diaspora, il admet implicitement qu’il y situation génocidaire à Gaza quand il déclare : « Ce que Hamas fait est en fait un auto-génocide. »
UNE INTENTION RÉCENTE ? CONCERNANT SEULEMENT GAZA ? Tout le monde connaît les graffitis d’Hébron « Gazez les Arabes ». Mais se souvient-on par exemple du rabbin extrémiste Ovadia Youssef expliquant qu’on ne pouvait avoir de pitié et qu’il fallait annihiler les Palestiniens avec des missiles 2 ? Ou du général Moshe Yaalon qui, en 2002, comparait la menace palestinienne à un cancer et disait appliquer seulement une chimiothérapie tout en précisant que parfois dans les cas de cancer on était obligé de couper un membre ? Se souvient-on de Matan Vilnaï, vice-ministre de la Défense, qui en 2008 menaçait les Palestiniens de Gaza d’une shoah s’ils continuaient à lancer des roquettes 3 ? En 2012, le ministre de la Défense « du front intérieur », Avi Dichter, a appelé Israël à “reformater” Gaza comme un disque dur d’ordinateur, sauf que c’était en la bombardant. Ce genre de considération n’est pas nouveau. Amnon Kapeliouk rapporte une déclaration de Yitzhak Shamir datée de 1981 non moins effrayante : les Palestiniens seront écrasés comme des « sauterelles », « leurs têtes fracassées contre les rochers et les murs ».
En fait, depuis 1948, les appels à éliminer les Palestiniens comme groupe en les tuant ou en les expulsant n’ont pas cessé. Et la liste en est trop longue pour les énumérer tous ici mais il semble bien que la dernière agression contre Gaza ait totalement « libéré » la parole. Il vrai que plus de 90% des Israéliens soutenaient l’opération contre Gaza et que, comme le dit Warshawski, la société israélienne se fascise. (Voir article dans ce bulletin)
FACEBOOK ET LES PAGES PALESTINIENNES ET ISRAÉLIENNES Alors que les pages Facebook où des Israéliens déversent leur haine des Palestiniens et incitent au meurtre continuent à exister sans problème (voir Kill a Palestinian “every hour”, says new Israeli Facebook page sur Electronic Intifada), Facebook ne les ferme pas. Par ailleurs, il continue de supprimer des pages palestiniennes pour incitation à la violence, antisémitisme, etc. Si l’incitation au génocide devient évidente, Facebook et les autres médias sociaux devraient être poursuivis pour complicité au cas où ils ne prendraient pas les mesures adéquates.
ET MAINTENANT ? On a l’habitude de qualifier une situation de génocide quand il est trop tard, quand la chose est faite. Dans l’esprit de la lettre des rescapés du génocide juif citée plus haut, ce qu’il faut, c’est dénoncer les incitations au génocide maintenant et agir avant qu’il ne soit trop tard. En Israël, les incitations au génocide sont évidentes. L’utilisation du terme génocide ne peut pas être un tabou. Cela dit, une utilisation qui ne serait pas étayée par une analyse précise des faits à la lumière de la définition juridique relèverait de la propagande et serait dès lors contre-productive.
1/ L’article a été retiré assez vite vu le tollé qu’il a provoqué et l’auteur s’en est excusé. Tout en continuant à défendre l’idée dans ses tweets. 2/ Ou Shmuel Eliayhu, rabbin de Safed, disant : « S’ils n’arrêtent pas après que nous en ayons tué 100, alors nous devons en tuer mille. Et s’ils n’arrêtent pas après 1000 morts, alors nous devons en tuer 10 000. Et s’ils n’arrêtent pas, nous devons en tuer 100 000, même un million. Autant qu’il faut pour qu’ils arrêtent. » 3/ Il a expliqué par la suite que “shoah” voulait simplement dire catastrophe !
palestine 06 DOSSIER FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE
Israël :
VERS LE FASCISME Un texte de Michael Warschawski, lundi 21 juillet 2014 Au cours des 45 dernières années j’ai participé à de très nombreuses manifestations, de petits rassemblements faits de quelques irréductibles à des manifestations de masse ou nous étions plus de 100 000 ; des manifestations calmes, voire festives et des manifestations où nous avions été attaqués par des groupes de droite voire par des passants. J’ai pris des coups, j’en ai rendus, et il m’est arrivé, surtout quand j’avais des responsabilités, d’être nerveux. Mais je ne me souviens pas avoir eu peur. Mobilisé – en fait détenu en prison militaire pour avoir refusé de rejoindre mon unité qui devait aller au Liban – je n’ai pas participé, en 1983, à la manifestation où a été assassiné Emile Grunzweig ; par contre j’ai été responsable du service d’ordre de la manifestation qui, un mois plus tard, traverse Jérusalem pour commémorer cet assassinat. Nous y avons connu l’hostilité et la brutalité des passants, mais là non plus je n’ai pas eu peur, conscient que cette hostilité d’une partie des passants ne dépasserait pas une certaine ligne rouge, qui pourtant avait été transgressée un mois plus tôt. Cette fois j’ai eu peur. Il y a quelques jours nous étions quelques centaines à manifester au centre ville de Jérusalem contre l’agression à Gaza, à l’appel des Combattants pour la Paix. À une trentaine de mètres de là, et séparés par un impressionnant cordon de policiers, quelques dizaines de fascistes qui éructent leur haine ainsi que des slogans racistes. Nous sommes plusieurs centaines et eux que quelques dizaines et pourtant ils me font peur : lors de la dispersion, pourtant protégée par la police, je rentre chez moi en rasant les murs pour ne pas être identifié comme un de ces gauchistes qu’ils abhorrent.
De retour à la maison, j’essaie d’identifier cette peur qui nous travaille, car je suis loin d’être seul à la ressentir. Je réalise en fait qu’Israël en 2014 n’est plus seulement un État colonial qui occupe et réprime les Palestiniens, mais aussi un État fasciste, avec un ennemi intérieur contre lequel il y a de la haine. La violence coloniale est passée a un degré supérieur, comme l’a montré l’assassinat de Muhammad Abou Khdeir, brûlé vif (sic) par 3 colons ; à cette barbarie s’ajoute la haine envers ces Israéliens qui précisément refusent la haine envers l’autre. Si pendant des générations, le sentiment d’un “nous” israéliens transcendait les débats politiques et – à part quelques rares exceptions, comme les assassinats d’Emile Grunzweig puis de Yitshak Rabin – empêchaient que les divergences dégénèrent en violence meurtrière, nous sommes entrés dans une période nouvelle, un nouvel Israël. Cela ne s’est pas fait en un jour, et de même que l’assassinat du Premier ministre en 1995 a été précédé d’une campagne de haine et de délégitimation menée en particulier par Benjamin Netanyahou, la violence actuelle est le résultat d’une fascisation du discours politique et des actes qu’il engendre : on ne compte plus le nombre de rassemblements de pacifistes et anticolonialistes israéliens attaqués par des nervis de droite. Les militants ont de plus en plus peur et hésitent à s’exprimer ou à manifester, et qu’est-ce que le fascisme si ce n’est semer la terreur pour désarmer ceux qu’il considère comme illégitimes ? Sur un arrière-fond de racisme lâché et assumé, d’une nouvelle législation discriminatoire envers la minorité palestinienne d’Israël, et d’un discours politique belliciste formaté par l’idéologie du choc des civilisations, l’État hébreu est en train de sombrer dans le fascisme.
palestine 07 DOSSIER FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE
UN AUTRE
Israël par Marianne Blume
Alors que l’agression contre Gaza battait son plein, des Juifs israéliens ont manifesté leur désaccord, y compris dans les rues. Le 26 juillet, une manifestation a notamment eu lieu à Tel Aviv qui rassemblait quelque 7 000 personnes. Parmi ces voix dissidentes, il faut relever celle des réservistes de l’Unité 8200, une unité chargée du renseignement notamment au travers des écoutes téléphoniques, de la surveillance d’Internet, etc. Leur prise de position est significative dans la mesure où ces Israéliens appartiennent à une unité d’élite, une de celles dont Israël est fière, la crème des crèmes. Voici la lettre qu’ils ont diffusée : « Nous, anciens combattants de l’Unité 8200, soldats réservistes par le passé et aujourd’hui, déclarons refuser de participer aux actions contre les Palestiniens et refuser de continuer à servir comme outils dans l’affermissement du contrôle militaire sur les Territoires occupés. Il est généralement admis que la conscription dans les renseignements militaires échappe aux dilemmes moraux et contribue uniquement à la réduction de la violence et des dommages envers des personnes innocentes. Néanmoins, notre service militaire nous a démontré que le renseignement est une partie intégrante de l’occupation militaire israélienne sur les territoires. La population palestinienne sous régime militaire est complètement exposée à l’espionnage et la surveillance des services de renseignement israéliens. Alors qu’il existe des limitations drastiques de la surveillance des citoyens israéliens, les Palestiniens ne bénéficient pas de cette protection. Il n’existe pas de distinction entre les Palestiniens qui sont ou qui ne sont pas impliqués dans des violences. L’information qui est recueillie et conservée fait du tort à des personnes innocentes. Elle est utilisée dans le but d’une persécution politique et pour créer des divisions au sein de la société palestinienne en recrutant des collaborateurs et en entraînant des parties de la société palestinienne contre elle-même. Dans de nombreux cas, les services de renseignement empêchent les accusés de
recevoir un procès équitable devant les tribunaux militaires, alors que les preuves les concernant ne sont pas révélées. Le renseignement autorise un contrôle continu sur des millions d’individus à travers une surveillance approfondie et intrusive et envahit la plupart des secteurs de la vie d’un individu. Ce qui ne permet pas aux gens de mener des vies normales et incite à plus de violence, nous distançant toujours davantage de la fin du conflit. Des millions de Palestiniens vivent sous le régime militaire israélien depuis plus de quarante-sept ans. Ce régime nie leurs droits fondamentaux et exproprie de larges étendues de terre pour les colonies juives qui sont soumises à des systèmes légaux séparés et différents et à l’application de lois différentes. Cette réalité n’est pas un résultat inévitable des efforts de l’État pour se protéger mais plutôt le résultat d’un choix. L’expansion des colonies n’a rien à voir avec la sécurité nationale. De même en est-il des restrictions à la construction et au développement, à l’exploitation économique de la Cisjordanie, à la punition collective des habitants de la bande de Gaza, et du tracé actuel de la barrière de séparation. Au vu de tout cela, nous avons conclu qu’en tant que personnes ayant servi dans l’Unité 8200, nous devons assumer la responsabilité de notre participation à cette situation et qu’il est de notre devoir moral d’agir. Nous ne pouvons pas continuer à servir le système en bonne conscience, en niant les droits de millions de personnes. À cet effet, ceux d’entre nous qui sont réservistes refusent de prendre part aux actions de l’État contre les Palestiniens. Nous appelons tous les soldats servant dans les unités de renseignement, passés et présents, de même que tous les citoyens d’Israël, à dénoncer ces injustices et à agir pour y mettre fin. Nous croyons que l’avenir d’Israël en dépend. »
palestine 08 TRIBUNAL RUSSELL
Les conclusions
DU TRIBUNAL RUSSELL
Les conclusions du Tribunal Russell pour la Palestine, un avertisseur d’incendie pour la communauté internationale.
par Simon Moutquin, Association belgo-palestinienne et François Sarramagnan, Solidarité socialiste
2 200 personnes disparues, majoritairement des civils, 11 000 autres blessées, des quartiers entiers dévastés et des infrastructures de première nécessité telles que des écoles et des hôpitaux en ruines, c’est le bilan de la dernière agression contre Gaza. Derrière ces chiffres, des personnes, des familles, des vies entières anéanties. La communauté internationale estime à vingt années le temps nécessaire pour la reconstruction du territoire le plus densément peuplé au monde, et d’un tissu économique ravagé, victime d’un blocus de huit années imposé comme punition collective par Israël. La succession ininterrompue des attaques contre la bande de Gaza suscite l’indignation, en plus de l’horreur de cette nouvelle opération nommée Bordure protectrice. Comme le rapportait le chirurgien Mads Gilbert lors de cette nouvelle session du Tribunal Russell pour la Palestine, un enfant palestinien de Gaza de 8 ans a déjà connu 4 attaques violentes durant sa courte vie. Face à cette nouvelle attaque, et au silence complice de la communauté internationale devant les crimes commis par l’armée israélienne, face à l’impunité récurrente d’Israël, mise en parallèle avec les sanctions économiques européennes prises à l’égard de la Russie ou du Sri Lanka, devant l’indécence de la propagande israélienne qui pointe la résistance palestinienne, conséquence d’une politique coloniale, comme motif de ce nouveau massacre, des membres du jury du Tribunal ont appelé à l’organisation urgente d’une session extraordinaire sur les crimes commis à Gaza qui s’est tenue ce 24 septembre à l’Albert Hall à Bruxelles. Cette session extraordinaire avait pour but d’examiner si des crimes de guerre, de génocide et des crimes contre l’humanité ont été commis par l’armée israélienne au cours de l’opération Bordure protectrice. Tout au long de la journée, plusieurs témoins privilégiés se sont succédé à la barre pour livrer leurs récits de cette dernière opération militaire israélienne à Gaza, en expliquer le contexte, éclairer sur les complicités de tiers, notamment de l’Union européenne, et identifier les conséquences qui en découlent en matière de droit international. Voici quelques-unes des conclusions qui ont été tirées de ces témoignages considérés au regard du droit international : Crimes de guerre : l’homicide intentionnel, la destruction de biens, non justifiée par des nécessités militaires et exécutée sur une grande échelle ; le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la
population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités ; l’utilisation disproportionnée de la force, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés aux cultes, à l’enseignement et des hôpitaux qui ne sont pas des cibles militaires ; l’utilisation de Palestiniens comme boucliers humains ; le fait d’employer des armes, projectiles, matières et méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus ou des souffrances inutiles ou à frapper aveuglément en violation du droit international des conflits armés; et l’utilisation de la violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. Crimes contre l’humanité : meurtre, persécution et extermination. Le Tribunal a mis en garde sur le fait qu’il était possible que le crime de persécution aboutisse à devenir crime de génocide. Il a déclaré qu’il était reconnu que, dans des situations où des crimes contre l’humanité étaient commis en toute impunité et où l’incitation directe et publique au génocide se manifestait dans tous les secteurs de la société, il était concevable que l’État ou des individus choisissent d’exploiter ces conditions afin de perpétrer le crime de génocide. Enfin, il a appelé Israël à respecter ses obligations en droit international et la Palestine à accéder sans délai au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Il a rappelé qu’il était du devoir des États tiers de coopérer afin de mettre fin à la situation illégale qui découle de la situation d’occupation, du blocus et des crimes commis dans la bande de Gaza. Il a également appelé l’Union européenne à adopter des sanctions contre Israël, dans la ligne de sa politique sur les mesures restrictives, afin de poursuivre les objectifs de préservation de la paix, de renforcement de la sécurité internationale et de respect des droits de l’Homme. Le Tribunal a également appelé l’UE à exclure les entreprises israéliennes d’armement des programmes de recherche européens. Les accusations de politiques d’apartheid énoncées lors des sessions précédentes du TRP et autrefois réfutées par la communauté internationale semblent aujourd’hui être admises devant la réalité des faits. Le TRP met aujourd’hui en garde la communauté internationale contre les conséquences prévisibles de son silence devant les mesures disproportionnées prises par un gouvernement israélien dont l’impunité semble sans limites.
palestine 09 NEWS DU BDS
News du BDS
Actualités et victoires du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions…
SodaStream quitte la Cisjordanie
SodaStream se retire d'une colonie mais reste impliquée dans le déplacement forcé de Palestiniens. Une victoire pour le mouvement BDS mais qui ne doit pas occulter pour autant les pratiques de la société. Fin octobre, SodaStream annonce son intention de fermer sa principale unité de production installée dans la colonie de Mishor Adoumim en Cisjordanie. Une victoire de plus pour le mouvement BDS. En réaction à cette nouvelle, Rafeef Ziadah, porte-parole du Comité national palestinien du BDS, nous explique :
Les Palestiniens sont forcés de travailler dans les colonies dans des conditions nettement inférieures à la norme en raison de la destruction délibérée par Israël de l'économie palestinienne. Il est plus que temps que soient créés des emplois décents et dignes dans le cadre même de l'économie palestinienne.
L'annonce de SodaStream montre qu’aujourd'hui, le mouvement BDS est de plus en plus en mesure de réclamer des comptes aux sociétés coupables de participer à l'apartheid et au colonialisme israéliens. Les pressions de la campagne BDS ont forcé nombre de distributeurs européens et nord-américains à cesser leurs relations commerciales avec SodaStream et le cours des actions de la société a dégringolé ces derniers mois, du fait des coups de plus en plus sévères portés à la réputation de la marque.
Tous les principaux syndicats palestiniens ont appelé au boycott et tous sont membres du Comité national palestinien du BDS, la coalition de la société civile qui dirige le mouvement BDS et qui a contribué à lancer la campagne contre SodaStream.
Même si la fermeture annoncée se vérifie, SodaStream restera cependant impliquée dans le déplacement forcé de Palestiniens. Sa nouvelle usine de Lehavim est en effet située à proximité de Rahat, un township dont l'installation est prévue dans le Naqab (Néguev) et où des Bédouins palestiniens doivent être transférés contre leur gré. SodaStream, en tant que bénéficiaire de ces plans, est donc complice de cette violation des droits de l'Homme. Par ailleurs, il serait absurde de supposer que c'est par bonté d'âme que SodaStream emploie des Palestiniens dans une colonie israélienne illégale située sur des terres volées aux Palestiniens. Les travailleurs palestiniens sont nettement moins bien payés que leurs homologues israéliens et, récemment, SodaStream a licencié 60 Palestiniens à la suite d'un conflit sur la nourriture destinée à la rupture du jeûne du ramadan. Déjà auparavant, les travailleurs avaient déclaré qu'ils étaient traités « comme des esclaves ».
Campagne européenne « No association with occupation À la suite du massacre de cet été, plus de 300 organisations syndicales, ONG et autres organisations de la société civile ont appelé l’UE à mettre fin à son soutien aux crimes d’Israël, notamment par la suspension de l’accord d’association UE-Israël.
L’accord d’association est le cadre principal des relations très étroites entre l’UE et Israël. Il accorde à Israël un accès préférentiel au marché européen, permet aux ministères et aux producteurs d’armes israéliens de bénéficier des financements européens et apporte à Israël le soutien nécessaire à la poursuite de sa politique criminelle d’occupation, de colonisation et d’agression de la Palestine. Laisser cet accord en vigueur malgré les crimes de guerre commis de façon récurrente par Israël, c’est, pour l’UE, envoyer à Israël un message clair de tolérance à l’égard des massacres de Palestiniens.Rejoignez la campagne « No associations with occupation » en vous rendant sur la page internet d’ECCP www.eccpalestine.org
palestine 10 STRATÉGIE OFFICIELLE
LA STRATÉGIE DE LA
Quelques mois après les opérations Gardiens de nos frères et Bordure protectrice, alors qu’il n’y a toujours pas d’accord de cessez-le-feu définitif entre Israël et les Palestiniens, qu’Israël multiplie les provocations entre annonces de nouvelles constructions dans les colonies et interdiction d’accès à l’esplanade des Mosquées, les perspectives d’une paix négociée semblent plus minces que jamais.
Palestine officielle »
par Nathalie Janne d’Othée
À la mi-novembre, deux représentants du département des Affaires de négociations de l’OLP étaient à Bruxelles. Leur présence nous apprend que l’OLP, ou plus largement ceux qu’on peut appeler les représentants de la « Palestine officielle » ont mis au point une nouvelle stratégie vis-à-vis de la communauté internationale. À l’occasion d’une rencontre avec les représentants des ONG et associations de solidarité belges, Ahsraf Khatib, conseiller en communication, et Omar Shihabi, conseiller juridique, ont exposé les différentes orientations de cette stratégie.
UNE RÉSOLUTION DU CONSEIL DE SÉCURITÉ POUR METTRE FIN À L’OCCUPATION Avec le gel du processus de paix depuis maintenant de trop nombreuses années et la politique constante du fait accompli d’Israël, l’OLP entend rappeler à la communauté internationale ses responsabilités dans le règlement de la question palestinienne. Pour cela, elle souhaite une résolution du Conseil de sécurité exigeant la fin de l’occupation israélienne d’ici trois ans. Pour parvenir à une fin de l’occupation dans ce délai, la première initiative à prendre selon eux est de reprendre le processus de paix sur les bases d’Oslo. Ces bases, en effet, les parties israéliennes et palestiniennes, ainsi que la communauté internationale s’accordaient sur elles. Mais rien n’est moins certain que la réussite d’une telle reprise du processus de paix. Voilà pourquoi l’OLP s’efforce aujourd’hui d’obtenir le plus grand nombre de reconnaissances bilatérales de l’État de Palestine et cela, surtout en Europe. L’Union européenne est en effet le premier financeur du processus de paix, et peut à cet égard jouer un rôle important. Ensuite, s’ils n’obtenaient pas de reconnaissances en nombre suffisant, les Palestiniens iraient alors devant la Cour pénale internationale (CPI). Pourquoi n’y vont-ils pas dès maintenant ? Selon eux, il n’y a premièrement pas d’urgence à cela, sachant qu’une fois ayant adhéré au Statut de Rome, les effets en seraient rétroactifs. Les
crimes israéliens commis depuis la création de la CPI en 2002 pourront alors y être jugés. Deuxièmement, les Palestiniens n’ont pour le moment pas assez de soutiens internationaux pour y aller avec certitude. Autrement dit, ils subissent des pressions pour ne pas y aller. De nombreuses organisations de la société civile ont en effet déjà entendu que les représentants de l’UE considéraient la saisine de la CPI par les Palestiniens comme une véritable bombe nucléaire. Pour les États-Unis, aucune solution ne peut être apportée au conflit israélo-palestinien si ce n’est par un processus négocié. Enfin, les officiels palestiniens soulignent qu’aller devant la CPI ne mettrait pas fin à l’occupation. Cela contribuerait selon eux tout au plus à empêcher un nouvelle attaque israélienne de la bande de Gaza. Bref, l’adhésion au Statut de Rome est prévue dans la stratégie palestinienne mais n’a selon eux que peu d’utilité si elle n’est pas accompagnée d’autres actions. Les responsables des affaires étrangères palestiniennes ont néanmoins déjà pris contact avec la CPI et sont occupés à remplir toutes les formalités d’accession pour que le côté administratif soit réglé le jour où ils décideront d’y adhérer formellement. La stratégie palestinienne est donc destinée à rappeler non pas uniquement le caractère illégal de la colonisation, mais également celui de l’occupation dans son ensemble. L’occupation israélienne viole en effet les règles du droit international humanitaire qui stipulent qu’une occupation ne peut être que temporaire, que la puissance occupante n’est pas souveraine sur le territoire occupé, elle ne peut donc pas y apporter de changements définitifs et qu’elle doit gérer les territoires occupés au bénéfice de la population occupée. Une initiative qui pourrait être prise dans cette optique, ce serait la demande d’un nouvel avis de la CIJ sur la légalité de l’occupation. Cela permettrait peut-être de mettre au jour la nature profonde de l’occupation israélienne qui tient davantage de l’annexion que d’une occupation par définition transitoire de territoires.
© Real Tingley
La stratégie palestinienne est destinée à rappeler non pas uniquement le caractère illégal de la colonisation, mais également celui de l’occupation dans son ensemble.
L’UNION EUROPÉENNE AU CŒUR DE LA STRATÉGIE PALESTINIENNE La stratégie palestinienne accorde une grande valeur au rôle de l’Union européenne et de ses États membres. Les États-Unis ne sont en effet pas un médiateur neutre, rencontrant sans cesse les exigences des Israéliens. Par ailleurs, l’UE engage des moyens financiers importants dans la construction de l’État palestinien, et voit les maigres réalisations et acquis systématiquement détruits par la politique d’occupation israélienne. En juillet 2013, l’UE s’est engagée dans la bonne voie en publiant les Lignes directrices sur le non-financement des colonies. En juillet 2014, une directive européenne non contraignante a été transposée par tous les États membres en des Messages communs visant à sensibiliser les entreprises et les citoyens de l’UE à l’impact de la participation à des activités économiques et financières dans les colonies israéliennes. Pour les officiels palestiniens, ces deux initiatives vont dans le sens d’une non-reconnaissance de toute souveraineté, autorité ou légitimité d’Israël sur le territoire palestinien occupé. Ils encouragent aujourd’hui l’UE et ses États membres à continuer à prendre des mesures dans ce sens. Parmi les mesures envisageables, les responsables européens pourraient faire l’effort de séjourner dans des hôtels palestiniens lorsqu’ils viennent en mission dans le territoire palestinien occupé. Les efforts actuels de l’Autorité palestinienne et de l’OLP visent maintenant à obtenir le plus grand nombre de reconnaissances bilatérales de la part des États membres de l’UE. À la suite de la reconnaissance de l’État palestinien par la Suède, mais également de la résolution du parlement britannique qui l’a précédée de peu, la question est à l’ordre du jour de nombreux États membres, ou en tous cas de leurs parlements. La France et l’Espagne pourraient ainsi emboiter le pas à la Suède. Avec son nouveau gouvernement, peu d’espoirs sont permis pour la Belgique sauf si les pressions de la société civile se conjuguent à celle des partis d’opposition et pourquoi pas à celles de certains membres des partis de la majorité. De son côté, Federica Mogherini, la nouvelle Haute Représentante pour les Affaires extérieures de l’Union, a quant à elle démarré son
mandat en force en déclarant qu’elle ne voulait pas seulement assister à la reconnaissance de l’État de Palestine par l’UE mais également à son établissement. Il ne reste donc plus qu’à espérer que les actes suivent les paroles. Qui parle de reconnaissance d’un État, parle également de territoire, de frontières, de capitale. Si l’idée est de repartir des accords d’Oslo, les observateurs sur le terrain rappelleront que la situation a beaucoup changé depuis 1993. La stratégie de l’OLP ne dit pas grand-chose sur ce que sera la solution définitive. On continue à parler de deux États, mais quiconque visite le territoire palestinien aujourd’hui observera qu’une telle solution est déjà très éloignée de la réalité. Dans ce sens, les officiels palestiniens remarquent bien que la reconnaissance de l’État de Palestine n’est pas un but en soi mais une manière de sortir du statu quo, de changer la configuration des négociations.
UN RÔLE POUR LA SOCIÉTÉ CIVILE Si les membres du département des Affaires de négociations de l’OLP ont insisté pour rencontrer des représentants de la société civile belge engagée dans la question palestinienne, c’est parce qu’ils considèrent qu’elle a un rôle à jouer. Les efforts palestiniens au niveau officiel doivent en effet être sous-tendus par des actions de la société civile pour espérer aboutir. La reconnaissance de l’État de Palestine par la Belgique passe donc par une implication active de la société civile en sa faveur. À l’inverse, une question a été posée aux représentants de l’OLP sur leur soutien au mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions, une campagne qui guide la grande majorité des organisations de solidarité dans leur action pour la Palestine. Par le passé, Mahmoud Abbas s’est en effet déjà déclaré opposé au mouvement BDS. À en croire les deux représentants rencontrés à Bruxelles, l’appel au BDS reste l’initiative de la société civile palestinienne, raison pour laquelle l’OLP ne s’y associe pas, mais elle ne le critiquera pas non plus. Il est vrai que si tous les efforts vont dans le même sens, chacun à son niveau, l’occupation israélienne de la Palestine prendra fin d’autant plus vite.
palestine 12 DESTRUCTIONS EN ZONE C
Destructions
D’INFRASTRUCTURES EN ZONE C, UNE POLITIQUE ISRAÉLIENNE CONSTANTE par Nathalie Janne d’Othée
Les autorités israéliennes ont détruit un réseau électrique palestinien financé par la Belgique, provoquant de nombreuses réactions d’indignation. Le cas n’est pas isolé, il fait partie d’une politique constante et délibérée de destruction des infrastructures et de blocage de tout projet de développement palestinien dans la zone C, une politique qui énerve de plus en plus les acteurs de l’aide humanitaire sur place.
Le 2 octobre dernier, la RTBF rapportait la destruction par l’armée israélienne de 4,5 km de réseau électrique à Khirbet al Taweel, un village situé près de Naplouse en Cisjordanie. Ce réseau ayant en outre été financé par la Coopération technique belge (CTB), l’information a provoqué de multiples réactions d’indignation au sein de l’opinion publique belge ainsi qu’une demande d’explication de la part du ministre des Affaires étrangères. Didier Reynders a en effet convoqué l’ambassadeur israélien afin de lui faire part du mécontentement de la Belgique ainsi que pour réclamer des compensations. Le coût des destructions est estimé à quelque 55 000 euros.
israélienne ; quant à la zone C, elle reste sous le contrôle total de l’Administration civile israélienne, autrement dit de l’armée. Comme leur nom l’indique, les accords intérimaires étaient censés valoir pour une période transitoire avant la remise de la gestion complète du territoire palestinien à l’Autorité palestinienne, initialement prévue en 1999 mais qui n’a finalement jamais eu lieu. La zone C, qui représente plus de 60% de la Cisjordanie, est donc restée depuis lors sous le contrôle total de l’armée israélienne. Un Palestinien habitant en zone C est donc tributaire de permis délivrés par l’armée israélienne pour tout développement d’infrastructures.
DESTRUCTIONS EN ZONE C
De plus, les accords intérimaires n’avaient de légitimité que dans le cadre de l’application du processus d’Oslo, aujourd’hui tombé en complète désuétude. Le cadre juridique valide sur le territoire palestinien occupé est celui du droit international humanitaire selon lequel la puissance occupante a des obligations vis-à-vis de la population occupée, dont notamment l’interdiction de destruction de ses biens mobiliers ou immobiliers, sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires (art. 53, Convention (IV) de Genève, 1949).
Si l’affaire a mis la problématique au grand jour, le phénomène des destructions d’infrastructures palestiniennes en zone C n’est pas nouveau et commence à sérieusement faire monter la moutarde au nez des bailleurs de fonds internationaux qui les ont financées. Un mois après la destruction du réseau électrique, le CNCD-11.11.11, en mission sur le terrain avec une délégation parlementaire belge, rapporte de nouvelles destructions dans le même village de Khirbet al Taweel. Une mosquée, des maisons antérieures à la création de l’État d’Israël et des canalisations d’eau financées par l’UE ont encore été détruites depuis le 2 octobre. Selon le maire d’Aqraba, responsable pour le village de Khirbet al Taweel, la zone serait destinée à la construction de nouvelles colonies. Israël essaye donc de faire place nette pour ces nouvelles implantations. Pour rappel, les accords intérimaires d’Oslo ont divisé le territoire palestinien en trois zones, A, B et C, chacune sous juridiction civile et régime sécuritaire différents. La zone A est sous le contrôle civil et de police de l’Autorité palestinienne (AP) ; la zone B est gérée civilement par l’AP mais en ce qui concerne la sécurité par l’armée
RÉACTIONS EUROPÉENNES En 2011, les consuls européens en poste à Jérusalem ont publié un rapport sur les difficultés de plus en plus grandes rencontrées par les Palestiniens vivant en zone C. Ils y ont dénoncé les permis pour la construction de nouvelles infrastructures accordés au comptegouttes aux Palestiniens et cela, au mépris de l’obligation d’Israël selon le droit international humanitaire de fournir les services de base à la population palestinienne occupée. Les refus systématiques de permis forcent donc les Palestiniens à construire sans permis. Israël se réclame ensuite de l’argument pour détruire toute nouvelle
© Mohamad Torokman
construction érigée en zone C. Le rapport des consuls souligne que les destructions visent principalement les abris, les infrastructures comme les puits, les citernes, les toilettes, ainsi que les des écoles, des cliniques ou encore des enclos à bestiaux. Bref, des infrastructures indispensables au développement de base d’une communauté. Déjà préoccupée par l’augmentation des destructions de projets de développement en 2011, la Commission européenne avait estimé à 49 millions d’euros le montant des projets européens détruits entre 2001 et 2011. Durant l’année 2011, un groupe d’agences des Nations Unies et d’ONG avaient dénombré 622 démolitions d’infrastructures à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, toutes zones confondues. Les bailleurs de fonds de l’aide internationale évitent généralement de construire sans autorisation, sachant pertinemment les menaces de destruction. Or la population de la zone C est celle qui a le besoin le plus urgent de cette aide, et l’UE, tout comme ses États membres, passe parfois outre les autorisations qui tardent à venir si le projet est de nécessité vitale pour les populations. Selon une source interne d’ECHO, l’administration européenne chargée de l’aide humanitaire et de la protection civile, l’Union européenne interpelle régulièrement les autorités israéliennes sur les destructions d’infrastructures en zone C et ailleurs. Mais les Israéliens se bornent généralement à mentionner que les infrastructures détruites avaient été construites sans permis et s’engagent tout au plus à faire des efforts afin de faciliter l’obtention des permis de construire. Mais lorsque leur sont rappelées leurs obligations au regard du droit international en tant que puissante occupante, dont la nécessité de dédommager les populations touchées ou les bailleurs de fonds, les autorités israéliennes y opposent une fin de non-recevoir.
ESPOIRS DE CHANGEMENTS Malgré ces multiples interpellations, la situation sur le terrain ne s’améliore pas. L’Union européenne envisage aujourd’hui des procédures de réaction conjointe sur la question. Mais les réticences de l’Allemagne et des Pays-Bas rendent difficile une action commune. Les éventuelles démarches seront donc sans doute davantage conduites par les différentes représentations des États membres que par celle de l’UE. La Belgique compterait parmi les chancelleries qui veulent agir. Par ailleurs, les dernières déclarations de Federica Mogherini, la nouvelle Haute Représentante de l'Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, laissent penser que l’UE entend jouer un rôle plus important sur la scène moyen-orientale. La remplaçante de Catherine Ashton a en effet affirmé vouloir la reconnaissance et l’établissement d’un État palestinien d’ici à la fin de son mandat. La reconnaissance internationale de l’État de Palestine peut en tout cas changer la donne dans la problématique des destructions de projets de développement en zone C. Cela permettrait d’affirmer la souveraineté du peuple palestinien sur l’ensemble du territoire occupé, y compris la zone C, et enlèverait par la même occasion sa légitimité à toute argumentation israélienne liée à l’obtention de permis. Le sort de la zone C est symptomatique de l’occupation israélienne en elle-même. Une occupation motivée par de prétendus besoins de maintien de l’ordre mais qui recouvre essentiellement l’accaparement récurrent et constant de territoire palestinien par Israël. Et sans une initiative forte de la communauté internationale vis-à-vis d’Israël, cette dépossession illégale des Palestiniens ne cessera pas.
palestine 14 COLONISATION
Colonisation
LE VÉRITABLE CREDO DU GOUVERNEMENT NETANYAHOU par Julien Masri
Ces confiscations se sont faites au bénéfice d’une dizaine de familles de colons qui vivent à Gvaot, où le ministère israélien du Logement prévoit la construction de 15 000 unités de logement. David Perl, président du conseil du Goush Etzion, a salué là « une décision historique » qui « va changer de façon fondamentale la démographie du Goush Etzion, qui n’abrite aujourd’hui que 22 000 habitants. » La colonisation, qui s’était poursuivie pendant l’agression contre Gaza, repassait au premier plan. Cette décision suscita de très vives critiques de la part tant des USA que du Royaume Uni. Le 10 septembre, c’était le Conseil national israélien pour la planification et la construction qui décidait, pour la réalisation d’un projet de parc national sur le mont Scopus, l’annexion d’environ 700 dunums de terres appartenant aux localités palestiniennes d’Al’Issawiya et At-Tur, à Jérusalem-Est. Toujours en septembre, l’association La Paix Maintenant dénonçait la transformation de la colonie agricole E2, près du village palestinien de Nahla (au sud de Bethléem) en colonie de peuplement : en 2011, Ehud Barak y avait autorisé l’installation d’une ferme. Comme ailleurs en Cisjordanie, les exploitations agricoles sont des colonies de fait qui préparent souvent une colonisation de peuplement : la future colonie de Givat Eitam devrait compter 2 500 logements sur 1 700 dunums de terres palestiniennes, majoritairement déclarés terres d’État en 2004. À terme, cela signifie la suppression, pour un hypothétique État palestinien, de tout axe de communication entre Bethléem et tout le sud de la Cisjordanie. Fin septembre, le gouvernement israélien a autorisé la construction de 2500 logements pour des colons israéliens à Jérusalem-Est. Le 30 septembre, 25 appartements privés étaient investis et occupés de force dans le quartier de Silwan, au sud de la vieille ville. Elad,
un organisme colonial très actif dans le quartier, a prétendu que ces appartements avaient été régulièrement achetés, ce que conteste l’avocat représentant les familles spoliées. Le 11 octobre, c’était au tour de 58 logements privés d’être investis et occupés de force dans la colonie de Pisgat Ze’ev, toujours à Jérusalem-Est. Dans la nuit du 19 au 20 octobre, plusieurs dizaines de colons se sont installés dans le quartier palestinien de Silwan, au sud de la vieille ville, faisant doubler le nombre de colons israéliens dans cette partie de Jérusalem-Est. L’opération s’est déroulée grâce au soutien financier et logistique de l’organisation coloniale Ateret Cohanim, très active dans la vieille ville et au nord de celle-ci, dans le quartier palestinien de Sheikh Jarrah. Les deux immeubles auraient été achetés à un intermédiaire palestinien, relançant le débat sur les collaborateurs. Le 27 octobre, Benyamin Netanyahou annonçait la construction de 1060 nouvelles unités de logement, 660 dans la colonie de Ramat Shlomo et 400 à Har Homa. Cette activité intense de colonisation s’accompagne d’une violence tout aussi intense de la part des colons. Le 14 novembre, dans le village de Aqraba (près de Naplouse) les colons, venant probablement de la colonie d’Itamar, incendient une mosquée. Le même jour, un groupe de colons venant de la colonie de Avnei Hefets s’est livré à un pillage en règle sur les terres d’un habitant de Tulkarem : 10 grands sacs remplis d’olives, un âne et des outils agricoles ont disparu. Deux jours plus tôt, le propriétaire, Abdulrahman Rajab, sa femme et ses trois fils avaient dû quitter précipitamment l’oliveraie, pour se protéger d’une agression de ces mêmes colons. Comme tous les ans, la saison de la récolte des olives a été l’occasion de nombreux actes de vandalisme, de harcèlement, d’agressions contre les personnes, de vols. Selon l’ONG israélienne Yesh Din, sur les 246 dossiers traités par la police israélienne et sui-
Moins d’une semaine après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza et toujours en représailles à l’assassinat des trois jeunes colons qui avait déjà servi de prétexte au déclenchement de l'agression contre Gaza, le gouvernement israélien annonçait, le 31 août, l'annexion de 400 dunums de terres dans le Goush Etzion, le bloc de colonies entre Bethléem et la Ligne Verte. Plusieurs familles de Bethléem et des villages environnants de Surif, Jaba’, Husan et Wadi Fukin ont fait l’objet de ces confiscations de terres.
vis par Yesh Din, il y eut seulement quatre inculpations. 223 dossiers furent classés sans suite. Le 15 octobre, plusieurs dizaines de colons ont saccagé des puits près du village de Khirbet Samra, dans la vallée du Jourdain. De plus, les violences perpétrées contre des Palestiniens par des colons au volant de leur voiture, violences régulières à Jérusalem-Est, ont commencé à faire également des victimes dans le reste de la Cisjordanie. Le 20 octobre, au retour de l’école dans le village de Sinjil, Inas Khalil, 5 ans, et Nilin Asfour, 8 ans, ont été percutées par un colon au volant de sa voiture. La plus jeune des fillettes devait décéder deux heures plus tard. C’est dans ce contexte qu’a commencé ce que certains appellent maintenant la bataille de Jérusalem. Pendant la fête juive de Soukkot, des centaines de nationalistes religieux ont effectué des visites de l’esplanade d’Al Aqsa, encadrés par les forces d’occupation. Ces visites et les fermetures consécutives de l’esplanade ont contribué à l’installation durable d’une ambiance de colère à Jérusalem, explosant parfois violemment. Le 15 octobre, une grande manifestation de protestation contre ces fermetures eut lieu, avec la participation de plusieurs députés palestino-israéliens, pendant que l’esplanade était fermée. Un groupe de femmes ayant réussi à entrer sur l’esplanade, elles en furent expulsées violemment par les forces d’occupation. Après la décision des autorités israéliennes de fermer l’esplanade d’Al Aqsa le 30 octobre, le député palestino-israélien Masoud Ghanayim a annoncé qu’un projet de loi préparé par un comité parlementaire devrait être débattu au Parlement israélien en novembre. Son objectif : diviser l’esplanade entre musulmans et juifs, sous prétexte d’« égalité des droits, d’accès et d’utilisation du Lieu saint ». Alors que la loi rabbinique et la loi israélienne actuelle interdisent aux juifs de prier sur l’esplanade, la proposition fait irrésistiblement penser à la division, à Hébron, de
la mosquée des Patriarches après le massacre perpétré par un colon raciste en 1994. Un projet se dessine : l’hébronisation de Jérusalem, c’est-à-dire la délégitimation de la présence historique, culturelle et religieuse du peuple palestinien dans la ville, prélude au nettoyage ethnique. Lors de l’inauguration de Leshem, la première colonie officiellement créée depuis une vingtaine d’années, le 24 août 2014, le ministre du Logement Uri Ariel (du parti xénophobe Foyer Juif) a déclaré : « il n’y a pas deux États à l’ouest du Jourdain et il n’y aura pas deux États. Même si les négociations ont lieu, ce n’est pas sur la table ». Les événements de ces derniers mois n’ont fait que confirmer les déclarations et les actes du gouvernement dirigé par Benyamin Netanyahou depuis son entrée en fonction. Un gouvernement totalement ouvert aux thèses les plus extrémistes, reposant d’un côté sur un racisme anti-palestinien primaire et totalement décomplexé et de l’autre sur un fanatisme religieux totalement délirant dont Charles Enderlin a très bien dépeint la montée en puissance depuis 1967. Son propos est clair : pas d’arrêt de la colonisation, pas de négociations sur Jérusalem, pas d’État palestinien à l’ouest du Jourdain.
Selon le droit international, un État occupant n’a pas le droit de confisquer des terres occupées au profit de sa population. Très souvent, Israël fait usage d’une loi ottomane de 1858 qui prévoit que, si une terre n’est pas cultivée pendant plusieurs années consécutives, elle devient propriété de l’Empire. Plus de 900 000 dunums, soit 16% de la Cisjordanie, ont ainsi été confisqués via cette loi et déclarés « terre d’État », bien que, selon la loi israélienne elle-même, la Cisjordanie ne fasse pas partie de l’État d’Israël.
palestine 16 SOULÈVEMENTS À JÉRUSALEM-EST
POURQUOI LES 300 000 ARABES DE JÉRUSALEM
se soulèvent-ils à nouveau ? par Rashid I. Khalidi Source : Reuters, 13 novembre 2013 Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Une fois encore, des troubles populaires généralisés ont éclaté à Jérusalem. Depuis juillet, des affrontements ont lieu entre de jeunes Arabes et les forces de sécurité israéliennes utilisant des grenades lacrymogènes, des balles d’acier enrobées de caoutchouc, des balles réelles et des matraques.
POURQUOI LES HABITANTS ARABES DE JÉRUSALEM SONT-ILS DESCENDUS DANS LA RUE ? Beaucoup se sont sentis provoqués par les tentatives toujours plus nombreuses des fanatiques religieux juifs de s’emparer du troisième site le plus saint de l’Islam, le Haram al-Sharif, le Mont du Temple pour les juifs. Les activistes religieux, représentés par des groupes de tutelle comme les organisations du Mont du Temple, ont souvent manifesté leur intention d’instaurer un culte juif sur le lieu saint musulman, de détruire ses magnifiques structures du VIIe siècle – la mosquée AlAqsa et le Dôme du Rocher – et de les remplacer par un nouveau temple juif. Le grand rabbin d’Israël a fustigé les juifs qui tentent de prier sur le site, suggérant que cela devrait être « passible de la peine de mort », car cela peut profaner le « Saint des Saints » – lieu où les juifs pensent que l’Arche d’alliance était gardée autrefois. Le ministre de la Défense israélien, Moshe Ya’alon, a déclaré de son côté que les venues de ministres et de législateurs israéliens sur le site étaient «provocatrices » et qu’elles pouvaient avoir des « effets déstabilisants ». Pourtant, les partis sionistes religieux extrémistes, comme le Habayit Hayehudi (Foyer juif), qui soutiennent le culte juif sur le site ne sont pas marginaux dans la société israélienne – ils sont même largement représentés au gouvernement, au parlement, dans les services de sécurité et dans l’armée d’Israël. Nombre d’Arabes parlent aussi d’un précédent de mauvais augure. Depuis la guerre de 1967, Israël contrôle la mosquée Ibrahimi à Hébron, qui abrite le Tombeau des patriarches, site juif vénéré. C’est une mosquée depuis près de 14 siècles, avec une interruption durant les Croisades, mais le culte musulman ici a été progressivement restreint et certaines parties de la mosquée ont été accaparées pour un culte exclusivement juif.
Cette prise de contrôle progressive n’a fait que s’accélérer après le massacre de dizaines de fidèles musulmans à l’intérieur de la mosquée par un colon israélo-américain durant le Ramadan en 1994. Pour comprendre la récente vague de violence, il faut cependant regarder au-delà du seul Haram al-Sharif. Les tentatives de changer le statu quo de ce site religieux unique sont venues après des décennies d’occupation par Israël de Jérusalem-Est, occupation qui a commencé en 1967. En tant que non-juifs, les habitants arabes de Jérusalem sont soumis à des lois, règles, règlements et modes de répartition des fonds municipaux et nationaux ouvertement discriminatoires, notamment pour ce qui concerne les permis de construire, l’enseignement, les parcs publics, le ramassage des ordures et tout autre équipement urbain. Ceci s’intègre dans une politique cohérente israélienne qui a pour but de restreindre la croissance de la population arabe de la ville et de privilégier et développer sa composante juive. Les habitants arabes autochtones de Jérusalem ont, pendant plus de quatre décennies et demie, été soumis à un barrage inexorable de tentatives pour les isoler dans des zones strictement limitées de la ville, certaines entourées de murs et clôturées. Alors que dans le même temps, l’expansion de la population juive au sein des colonies dans toute la Jérusalem-Est occupée – des colonies qui sont une violation du droit international – est subventionnée et soutenue à grands frais par l’État israélien, et appuyée par des services de sécurité oppressifs.
© Kashfi Halford
Les Palestiniens de Jérusalem considèrent que la ville est dirigée par l’État israélien au profit exclusif de sa population juive.
Les Palestiniens à Jérusalem se considèrent eux-mêmes comme vivant sous occupation, considération partagée par les Nations Unies d’ailleurs. Les États-Unis eux-mêmes ont voté en faveur de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies de 1969, laquelle résolution condamne les actions d’Israël dans la ville. L’occupation est attestée par l’omniprésence de gardes-frontières paramilitaires puissamment armés dans les quartiers arabes, par les démolitions sélectives de structures appartenant à des Arabes accusés de violer le code de la construction, par l’utilisation de fouilles archéologiques à des fins politiques afin de s’emparer des sites stratégiques, et par une myriade d’autres harcèlements et désagréments quotidiens. Les Palestiniens de Jérusalem, qui constituent 38 % de la population totale de la ville, estiment que Jérusalem n’est pas gérée pour eux et par eux. Ils considèrent qu’elle est dirigée par l’État israélien et au profit exclusif de sa population juive, avec l’objectif d’établir une hégémonie juive absolue sur la ville. Avant 1967, Jérusalem était divisée entre l’Ouest, sous contrôle israélien, et l’Est, sous contrôle jordanien. Après la guerre de 1967, Israël a annexé toute la ville et s’est maintenu en tant que force occupante à Jérusalem-Est. Depuis lors, ces politiques discriminatoires israéliennes ont systématiquement cherché à démembrer le cœur géographique et spirituel de la Palestine arabe. Ces provocations ont créé les conditions d’une explosion de troubles majeurs dans Jérusalem, et peut-être bien au-delà, dans le reste de la Palestine occupée et plus largement dans le monde
arabe et musulman. Les gouvernements des États-Unis et des pays européens portent une lourde responsabilité pour avoir abandonné les Jérusalémites à leur sort entre les mains des extrémistes de l’intérieur et de l’extérieur du gouvernement israélien – d’énormes montants en dons charitables défiscalisés venant des États-Unis soutiennent les colonies dans Jérusalem-Est. Des extrémistes nationalistes religieux au plus haut niveau du gouvernement israélien, comme le ministre de l’Économie Naftali Bennet, chef du parti Habayit Hayehudi, et le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, chef du parti Yisrael Beiteinu (Israël notre maison), y sont allés de leur propre voix pour manifester leur hostilité envers les Palestiniens, qu’ils soient citoyens d’Israël ou habitants de Jérusalem. Bennet est allé jusqu’à dire qu’on devrait appliquer une « tolérance zéro » à une identité nationale non juive, et qu’Israël devrait empêcher que Jérusalem devienne jamais la capitale d’un futur État palestinien. Pour toutes ces raisons, les développements préoccupants dans et autour du Haram al-Sharif sont considérés par les Palestiniens, et par beaucoup dans le monde, comme une nouvelle tentative des fanatiques religieux de débarrasser cette ville antique de sa riche histoire culturelle arabe et musulmane – qui fait aussi partie intégrante de son patrimoine mondial. Si aucune mesure n’est prise pour intervenir par ailleurs, alors les manifestants à Jérusalem-Est n’auront d’autre alternative que de défendre leur dignité, et leurs Lieux saints, par eux-mêmes.
palestine 18 LIVRES/FILM
MANIFESTE POUR LES PALESTINIENS
par Rony Brauman et ses invités, Éditions Autrement, 2014, photographies d’Anne Paq, illustrations de Guy Delisle
livres
ISRAËL ENTRE QUATRE MURS
LA POLITIQUE SÉCURITAIRE DANS L’IMPASSE par Sébastien Boussois, Éditions GRIP, 2014
La sécurité de son territoire est la préoccupation primordiale de l’État d’Israël, depuis sa création. Pour mieux se protéger de ses voisins, il a développé une stratégie qui l’amène à vivre enfermé entre quatre murs : le premier constitué contre les roquettes tirées depuis le Liban (1 km), le deuxième, la barrière de sécurité édifiée en Cisjordanie (900 km), le troisième, la clôture métallique montée dans le Golan et jouxtant la frontière avec la Syrie (120 km) et enfin le mur érigé à sa frontière avec l’Égypte (250 km). À cela, il faut encore ajouter le dôme anti-missiles au nord et au sud du pays. Dangers de l’extérieur mais aussi de l’intérieur où des protestations sociales se font entendre contre l’augmentation des prix de denrées de base, contre les
privilèges accordés aux ultra-orthodoxes, pour dénoncer la pénurie de logements et le coût exorbitant de la politique de défense, etc. Malgré leurs difficultés, les Israéliens continuent cependant à privilégier leur sécurité et à soutenir des gouvernements toujours plus sensibles à la question. L’auteur analyse toutes ces problématiques et dégage des pistes de réflexion sur la manière d’appréhender la société israélienne dans sa complexité.
Sébastien Boussois est chercheur associé à l’ULB, président du Cercle des Chercheurs du Moyen-Orient (CCMO), conseiller scientifique à l’Institut MEDEA et auteur de nombreux ouvrages. C.S.
Le processus de paix israélo-palestinien n’est plus, depuis longtemps, que le nom de code d’une politique du mensonge et de la violence. L’histoire, le déséquilibre des forces en présence, les enjeux mondiaux : tout concourt à polariser le débat. Loin du prêt-à-penser médiatique, dans un souci constant de clarté et de pondération, Rony Brauman met en lumière la complaisance française vis-àvis du gouvernement israélien et dénonce la préoccupante situation d’apartheid vécue par les Palestiniens. À ses côtés, neuf personnalités non palestiniennes témoignent de la réalité concrète de l’occupation et de l’espoir qui, malgré tout, persiste : ce sont Frank Eskenazi, Gilbert Achcar, Shlomo Sand, Caroline Abu-Sa’da, Guy Delisle, René Backmann, Eyal Weizman, Anne Paq et Jean-Paul Chagnollaud. « Israël est assurément un État démocratique pour les juifs, mais tout aussi assurément un État juif pour les Arabes ».
Rony Brauman est professeur à Sciences Po (Paris) et à l’Université de Manchester ; il a dirigé MSF de 1982 à 1994. Lecture vivement recommandée par C.S.
THE IDEA OF ISRAEL
A HISTORY OF POWER AND KNOWLEDGE Ilan Pappé, Verso/New Left Books Londres, 2014
film AL-MANARA ATLAS DES PALESTINIENS UN PEUPLE EN QUÊTE D'UN ÉTAT
Coffret CD-DVD en vente sur le site www.almanara.be et bientôt dans les Magasins du Monde-Oxfam, au prix de 20 €
Jean-Paul Chagnollaud, Pierre Blanc et Sid-Ahmed Souiah, Éditions Autrement, 2011, cartographie de Madeleine Benoît-Guyod
Depuis sa création en 1948, Israël a puisé dans le sionisme la structure de l’organisation de sa société civile et l’orientation de sa direction politique. Dans ce nouvel ouvrage, Ilan Pappé s’intéresse à la permanence du rôle de l’idéologie sioniste; il y analyse la manière dont celle-ci, opérant à l’extérieur du gouvernement et de l’armée, s’est immiscée partout et notamment dans les mondes de l’éducation nationale, des médias et du cinéma et a nourri et conforté, par sa référence constante à l’Holocauste, les structures idéologiques de l’État. L’auteur examine la manière dont plusieurs générations successives d’historiens ont présenté le conflit de 1948 comme une guerre d’Indépendance devenue mythe fondateur incontesté dans la société israélienne jusqu’à l’apparition, dans les années 90, de ceux que l’on a nommés les nouveaux historiens: Pappé fut l’un d’entre eux. Il fut violemment attaqué et reçut même des menaces de mort pour avoir énoncé la vérité historique sur les traitements réservés aux Palestiniens et sur la structure occulte chargée de mettre le récit historique au service du pouvoir. L’Idée d’Israël apporte des éléments essentiels au débat sur le passé et le futur du conflit israélo-palestinien.
Ilan Pappé est professeur d’Histoire à l’Université d’Exeter ; il est l’auteur de nombreux ouvrages dont « Le nettoyage C.S. ethnique de la Palestine ».
Atlas des Palestiniens et non de la Palestine puisque l’État de Palestine n’existe toujours pas, cet atlas comporte plus de 120 cartes et infographies qui permettent de comprendre non seulement l’histoire, la géographie mais encore les réalités du terrain et les raisons du blocage diplomatique actuel. Tous les problèmes essentiels sont traités mais, particularité de cet atlas atypique, les auteurs ne se contentent pas d’un état des lieux. Ainsi, concernant la reconnaissance d’un État palestinien, ils donnent des pistes pour sortir de l’impasse. « Faute d’une initiative internationale d'envergure, il ne se passera rien... plus le temps passe et plus l'espace palestinien se réduit. » M.B.
Al Manara est une création qui associe des musiciens belges et palestiniens, autour de Ramzi Aburedwan et d'Éloi Baudimont. Le répertoire se construit comme un dialogue dans lequel les propositions traditionnelles ou originales de Ramzi trouvent dans les réponses d’Éloi le complément indispensable à la naissance d’un métissage riche en émotions. Aux mélodies poignantes palestiniennes fait écho la polyphonie européenne ; à la douceur du chant, des cordes, du nay et des percussions arabes, fait écho la puissance des cuivres européens. Les textes sont choisis dans l’œuvre du poète palestinien Mahmoud Darwich. Un superbe coffret a été réalisé suite à un concert exceptionnel qui s’est tenu dans la cathédrale de Tournai en août 2013. Produit par PAC, il comprend le CD & DVD de la soirée captée par No télé, deux interventions d’Edgard Morin, un livret présentant le projet, les textes du spectacle et les photos de Véronique Vercheval.
éditeur responsable Pierre Galand – rue Stévin 115 à 1000 Bruxelles / © Anne Paq/Activestills