palestine
Belgique/België P.P. Bruxelles X 1/1624
BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL TRIMESTRIEL N°51 – JANVIER/FÉVRIER/MARS 2012 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130
SOMMAIRE
© Fredo Bahd
Israël : le tournant à droite s’accélère > 3 Témoignage > 5 Dossier : Normalisation vs Coopération > 6 Relations commerciales UE-Israël > 11 Tentative de sociocide (suite) > 16 Après Khader Adnan, Hana Shalabi > 20
Dossier spécial : Normalisation vs Coopération
Omniprésent dans la société palestinienne et souvent incompris par les Israéliens et les internationaux, le débat sur la normalisation, à distinguer de la coopération réelle entre Israéliens et Palestiniens, est analysé dans un dossier spécial.
palestine 02 ÉDITO
L’INDISPENSABLE ACTION
des citoyens
par Pierre Galand, Président
Passer quelques heures de contacts avec les hauts fonctionnaires du Conseil ou de la Commission européenne, ou avec les parlementaires européens en dit long sur l’aptitude réelle de l’Union à jouer un rôle quelconque pour empêcher Israël de poursuivre la colonisation et l’occupation de la Palestine. Au Parlement, hormis deux groupes politiques – la GUE et les Verts – tous les autres partis sont divisés sur la question palestinienne. Certes, cela permet parfois l’adoption des résolutions conformes à la légalité internationale et aux droits des Palestiniens, notamment de geler encore aujourd’hui, après la guerre « cast lead » contre Gaza, l’« upgrading » de l’accord d’association avec Israël. Il est toutefois frappant de constater combien de parlementaires, pourtant proches du dossier par leur appartenance à telle ou telle commission, sont ignorants ou mal informés des contenus des dossiers traités, notamment en ce qui concerne l’ACAA, un accord sur l’évaluation de la conformité et l’acceptation des produits industriels, qui importe particulièrement à Israël en ce qu’il faciliterait l’exportation de ses produits pharmaceutiques sur les marchés européens. Il y a aussi les cyniques, tel ce président de la Commission des Relations extérieures qui, pour vous clarifier ses positions d’entrée de jeu vous annonce que juste avant vous, c’était l’ambassadeur d’Israël qui occupait votre siège. Il a conclu l’entretien en déclarant : « en tant qu’Allemand, jamais je n’accepterai de sanction à l’égard d’Israël ». Je croyais pourtant être à l’Europe ! Dans les couloirs du Conseil, c’est un ambassadeur qui nous confiait : « avec Israël nous pratiquons la politique du bâton et de la carotte… Sauf que lorsqu’Israël rejette nos timides recommandations, on ajoute une carotte ! »
La Commission, quant à elle, vous aborde avec commisération. «Nous vous comprenons mais voilà, au-dessus, il y a Mme Ashton qui s’arrange toujours pour être en retard dans ses prises de position ». Ou encore, « parmi les 27 pays européens, il y en a 9 qui soutiennent des positions conformes aux droits des Palestiniens, 9 qui s’abstiennent et 9 qui sont pro-Israéliens. Alors, nous, le mieux que nous puissions faire est de traîner les pieds face aux requêtes toujours plus pressantes des Israéliens. » Est-ce à dire que le travail de pression sur les institutions européennes est inutile ? Je ne le pense pas. Car, fort heureusement, il y a des parlementaires engagés qui se battent pour une Europe plus cohérente dans ses valeurs proclamées et ses engagements politiques. Cette même Europe fut capable, suite à l’action citoyenne de soutien à la lutte du peuple sud-africain, d’adopter des sanctions contre l’apartheid. Aujourd’hui, l’action BDS renforcée et la résistance palestinienne peuvent constituer une étape significative dans le rapport de force citoyen à établir avec nos gouvernements et les institutions européennes.
palestine n o 51
Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche, Nadia Farkh, Pierre Galand, Katarzyna Lemanska, Julien Masri, Christiane Schomblond, Gabrielle Lefèvre, Hocine Ouazraf, Nathalie Janne d’Othée. Ont contribué : Michael Warschawski, Bahia Amro, Myriam De Ly. Association belgo-palestnienne / Wallonie-Bruxelles asbl Siège social rue Stévin, 115 à 1000 Bruxelles Secrétariat quai du Commerce 9 à 1000 Bruxelles tél. 02 223 07 56 / fax 02 250 12 63 / abp.eccp@skynet.be www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 / BIC GE BABE BB Graphisme Dominique Hambye & Élise Debouny
palestine 03 ISRAËL. LE TOURNANT À DROITE
Israël
LE TOURNANT À DROITE S’ACCÉLÈRE
Une certaine image d’Israël refuse de mourir : celle d’un État géré par une social-démocratie, politiquement modérée et socialement antilibérale. Certes, la droite est au pouvoir, mais ce ne serait qu’une malheureuse parenthèse qui bientôt se refermerait. Cette image est partagée par les anciennes élites travaillistes qui considèrent la victoire de la droite en 1977 comme un accident de parcours et leur (improbable) retour au pouvoir comme une nécessité historique. Or, même d’un point de vue purement mathématique, cette image est fausse : alors qu’Israël existe depuis 64 ans, la droite tient les rênes du pouvoir depuis 35 ans (avec un court intermède de 3 ans) et tout indique qu’elle y restera pour de nombreuses années encore. par Michael Warschawski
En fait, les travaillistes ont dominé tout le processus de constitution de l’État juif ainsi que sa stabilisation, jusqu’en 1967. La victoire militaire écrasante de l’État d’Israël en 1967 et l’occupation de la Cisjordanie, de la bande de Gaza, de la péninsule du Sinaï et du plateau du Golan marquent le début de la fin de cette hégémonie travailliste, d’un point de vue à la fois politique et idéologique. Il s’agit d’un quadruple tournant : politique, idéologique, économique et sociétal.
POLITIQUE > la guerre de 1967 fait d’Israël une puissance militaire régionale; David est devenu Goliath et se conduit ouvertement comme un « État sûr de soi et dominateur » (Charles de Gaulle). IDÉOLOGIQUE > avec la conquête de la Cisjordanie, l’idéologie modérée des travaillistes laisse petit à petit, et y compris dans ses propres rangs, la place à un discours ultranationaliste imprégné de messianisme guerrier. ÉCONOMIQUE > grâce à l’occupation et à un afflux de capital étranger, le capitalisme israélien se développe avec un taux de croissance sans précédent et Israël devient progressivement une puissance industrielle qui exporte à travers le monde marchandises mais aussi capitaux; une nouvelle bourgeoisie privée est mise en selle par les travaillistes, dont le poids ne va cesser de grandir au détriment du capital national. En trente ans, Israël est devenu un modèle de capita-
lisme néolibéral dont les performances et le désastre social qui les a rendues possibles auraient fait pâlir d’envie Margaret Thatcher ellemême. La privatisation et la dérégulation néolibérales vont entrainer le démantèlement de la Confédération/Histadrouth – véritable État dans l’État – et la fin de l’hégémonie travailliste dans l’économie israélienne.
SOCIÉTAL > les couches sociales dominées et marginalisées, les Juifs arabes (Sépharades) et les religieux, s’organisent, s’unifient et font tomber les travaillistes qui les avaient toujours maintenus dans un état de soumission sociale, culturelle et idéologique. Faisant bloc avec la droite nationaliste, ils mettent fin, en 1977, à 70 ans d’hégémonie travailliste. Le basculement du pouvoir politique n’eut pas été possible sans le renversement d’alliance des partis religieux, qui avaient été les alliés historiques du mouvement travailliste, et leur choix de s’allier, sous la pression de leur base populaire, à la droite dont cette dernière partage de plus en plus les valeurs. C’est ainsi que depuis 1977, la droite est majoritaire au parlement et dirige, presque sans interruption depuis, le gouvernement israélien. Pourtant, ce sont encore les anciennes classes hégémoniques qui détiennent les véritables centres de pouvoir : la haute administration, le système judiciaire et surtout la finance et une grande partie du capital industriel. Si la première révolution Netanyahou (1996-1999) se caractérise par la dérégulation, le démantèlement de l’Etat social et la mise en place d’un capitalisme néolibéral, l’objectif du second gouvernement
palestine 04 ISRAËL. LE TOURNANT À DROITE
Des dizaines de nouvelles lois anti-démocratiques, voire pour certaines ouvertement racistes, ont été votées.
DES COLONS AUX POSTES CLEFS POUR DÉPOSSÉDER LES PALESTINIENS Netanyahou (à partir de 2009) est de parachever la contre-réforme conservatrice ainsi que conquérir les centres de pouvoir qui échappent encore à la droite. Des dizaines de nouvelles lois anti-démocratiques, voire pour certaines ouvertement racistes, ont été votées, entre autres une loi qui interdit la célébration de la Nakba ou encore une autre qui exige l’allégeance à Israël comme État juif et démocratique pour obtenir la réunification familiale à Jérusalem-Est ou cet amendement à la loi sur la citoyenneté qui interdit la réunification familiale à des conjoints résidant dans les territoires occupés; des décrets qui visent à limiter la liberté d’expression des députés arabes; des attaques contre la Cour Suprême, considérée comme trop libérale, donc « pas assez juive ». Toutes ces mesures, qui se trouvaient il n’y a pas si longtemps uniquement dans le programme de l’extrême droite fascisante, sont aujourd’hui des éléments constitutifs du régime israélien, qui se débarrasse à une vitesse éclair de ses oripeaux libéraux. Cette contre-réforme s’accompagne d’une politique de changement du personnel politique, à tous les niveaux : de plus en plus de juges religieux, de plus en plus d’officiers supérieurs d’extrême droite et de plus en plus de colons dans l’appareil d’État, en particulier dans l’administration de l’occupation coloniale. Le renforcement de tels éléments dans les différents rouages de l’État est à la fois le résultat du tournant à droite de la société israélienne – confirmé aux dernières élections par la victoire écrasante de l’extrême droite et l’écroulement du centre gauche – et la cause d’une détérioration rapide de ce qui permettait encore à l’État hébreu de s’afficher, à tort, comme un État démocratique. Les rabbins ne sont pas en reste dans cette évolution à droite, qui décrètent de plus en plus souvent des « fatwas » racistes, comme le Grand Rabbin de Safed qui a interdit à ses coreligionnaires de louer des appartements à des étudiants arabes. Certes, Israël n’est pas une théocratie et c’est le parlement qui décrète les lois; mais nul ne peut sous-estimer le poids accru des autorités religieuses, par le biais des partis religieux et la collaboration des partis de droite, sur l’identité et le système politique de l’État d’Israël. En ce sens, quand Beny Katsover, le porte-parole des colons d’extrême droite, propose de changer l’autodéfinition d’Israël d’« État juif et démocratique » en « État juif »… sans démocratie, il exprime fidèlement l’air du temps et celui-ci sent très mauvais.
Posez-vous la question : « Voulez-vous vraiment vivre dans un pays où ce sont les dirigeants d’une entreprise coloniale qui attribuent les terres du pays, créent ses sites naturels, se prononcent sur ses lois et contrôlent de plus en plus ses modes de vie ? » Gideon Levy ALAN BAKER, membre du comité « chargé des questions de l’immobilier en Cisjordanie ». Ce comité est chargé de trouver une solution légale à l’existence des « avant-postes » (=colonies) illégaux pour Israël. Lui-même réside dans une colonie, Har Adar, près d’Abu Gosh. Par ailleurs, il est l’avocat d’une organisation de colons qui demandent la légalisation de ces mêmes avant-postes. Avec un autre avocat, il a donné un avis favorable à la construction de colonies sur des « terres abandonnées », protégeant ainsi la colonie de Migron. BENTZI LIEBERMAN, colon religieux du Gush Katif (Gaza). Il a été président du Yesha (=conseil des colonies) de 1997 à 2007 et ensuite, de Tenufah, qui s’occupe des colons évacués de Gaza. En 2011, il est nommé à la tête de l’Israel Land Administration (ILA) qui administre 93% des terres. Cet organisme met notamment en adjudication les lots de terres pour les colonies. Pour lui, l’université d’Ariel et la zone industrielle de Barkan sont « des exemples d’un bon marketing (des colonies) qui efface les limites, les roadblocks, la Ligne verte, des projets qui traversent les frontières… et relient un large public israélien à ici. » SHAUL GOLDSTEIN, colon religieux vivant dans la colonie de Neve Daniel. Il est président du conseil régional du Gush Etzion (= administre les colonies sur un territoire qui s’étend de la périphérie Est de Jérusalem aux périphéries de la banlieue Nord d’Hébron, Halhoul et de la Ligne Verte jusqu’au désert de Judée.). En 2011, il a été nommé au poste de directeur-général de l’Office de la Nature et des Parcs nationaux, sur décision du ministre de l’Environnement, Gilad Erdan. Ce poste est stratégiquement important puisque la création de réserves naturelles est un dispositif qui permet de voler la terre aux Palestiniens. Dans une interview, il déclare que tout est légal dans les colonies et que ce sont les villages palestiniens qui construisent illégalement. Un détail : Shaul Goldstein est entrepreneur et il a participé en tant que tel à la construction des colonies en Cisjordanie.
palestine 05 TÉMOIGNAGE
Y A-T-IL QUELQU’UN
pour écouter le peuple ? par Bahia Amro
Aussi loin que je me souvienne, la division politique a toujours clairement structuré la société palestinienne. Les effets de cette division politique affectent non seulement ma vie, mais aussi celle de tous les Palestiniens et des générations futures.
Depuis des années, la politique en Palestine évolue parallèlement à l’occupation continue du territoire par des armées et des pays étrangers. Les mouvements politiques incarnaient la résistance et se positionnaient clairement contre l’occupation illégale de nos maisons et de nos terres. Par ailleurs, malgré leurs divergences, ils avaient tous un seul message avec un seul objectif : la libération de la Palestine. Leur vision unifiée et leur constance leur a permis de résister à l’occupation de manière non violente. Après la Première Intifada et la création de l’Autorité palestinienne suite aux Accords d’Oslo, les politiques palestiniens ont commencé à jouer un plus grand rôle. Et, malheureusement, plusieurs partis politiques ont contribué à la désunion, facilitant ainsi la confiscation et l’expropriation croissantes de terres. Le Fatah et le Hamas sont des organisations politiques connues en Palestine. Ils représentent deux courants et mouvements de pensée politique différents mais ont pour but commun l’unification de la nation palestinienne. Alors que le Fatah a adhéré depuis longtemps à la constitution d’un État palestinien via des moyens politiques et diplomatiques, le Hamas, lui, a clairement fait état de son refus de reconnaître Israël au nom de l’occupation persistante. Ces approches divergentes ont entrainé la division en Palestine dans la mesure où l’Occident et Israël soutiennent l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas et isolent le Hamas, malgré sa victoire aux élections législatives palestiniennes de 2006. Qui plus est, la division interne a neutralisé les deux factions et a en conséquence
Plusieurs partis politiques ont contribué à la désunion, facilitant ainsi la confiscation et l’expropriation croissantes de terres. affaibli leur pouvoir de négociation dans les pourparlers – stériles – avec Israël. À mes yeux, il n’y a pas de résultats substantiels qui auraient une incidence positive sur la population palestinienne. Nous avons été affectés par la division politique depuis des décennies, ce qui a inévitablement entravé le processus de création d’un véritable système démocratique. Depuis l’accord d’union nationale signé en mai suite à la pression populaire, nous n’avons toujours pas vu d’actions concrètes sur le terrain. Aujourd’hui, les discussions sur la restructuration du gouvernement, l’unité nationale et les élections à venir semblent n’être qu’une autre tactique pour retarder le processus de concrétisation d’un véritable accord. Tandis que la politique palestinienne est dans l’immobilisme et, en définitive, anéantit les espoirs des Palestiniens, Israël crée des faits accomplis sur le terrain dont le résultat est l’apartheid, une réalité actuelle et un problème collectif dans la vie quotidienne des Palestiniens. Combien de temps faudra-t-il avant que des politiques palestiniens indépendants se rendent compte que c’est la division interne et les conflits d’intérêts qui affectent la vie de millions de Palestiniens, qu’ils soient en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, dans la zone C, à Jérusalem, réfugiés ou dans les territoires palestiniens occupés depuis 1948? C’est la résistance au changement et l’absence d’écoute à l’égard des demandes du peuple qui sont la raison pour laquelle les politiques ne bénéficient d’aucune crédibilité ni de la confiance des citoyens.
palestine 06 DOSSIER
NORMALISATION VS COOPÉRATION
© Yossi Gurvitz
Normalisation vs Coopération
Qu’est-ce que la normalisation ? Quels en sont les types et les caractéristiques ? Quelles en sont les implications respectives sur les sociétés palestinienne et israélienne ? La normalisation est au cœur des débats aujourd’hui en Palestine. Sujet de polémique par excellence, son rejet est souvent mal compris, à commencer par le « camp de la paix » israélien ou les tiers internationaux.
EN FINIR AVEC
l’industrie de la paix par Nathalie Janne d’Othée
Le terme normalisation a ses origines dans le vocabulaire diplomatique où il signifie l’établissement de relations diplomatiques normales entre deux États dans le contexte d’un conflit. Suite à la création d’Israël, les États arabes refusèrent toute normalisation avec le nouvel État et cela, jusqu’à ce que beaucoup considèrent comme la trahison de Sadate lors de son voyage à Jérusalem en 1977 et les accords de Camp David qui s’en sont suivis. Mais lorsque le terme est aujourd’hui évoqué dans le contexte israélopalestinien, c’est à une autre réalité qu’il réfère. D’une normalisation d’État à État, la signification a glissé au niveau du « people to people », des rencontres entre individus. La Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI) définit la
La mise en place de projets de normalisation revient à encourager les Palestiniens à accepter progressivement l’occupation. normalisation « comme la participation à tout projet, initiative ou activité, en Palestine ou à l’étranger, qui vise (implicitement ou explicitement) à rassembler des Palestiniens (et/ou des Arabes) et des Israéliens (personnes ou institutions) sans mettre en exergue la résistance à ou la dénonciation de l’occupation israélienne et de toutes les formes de discrimination et d’oppression commises contre le peuple palestinien ».
NORMALISATION DE L’OCCUPATION Ce genre d’initiative s’est développé dans les années 90, dans la période post-Oslo. L’idée était de premièrement renforcer les relations entre les deux peuples dans la perspective de la coexistence future entre deux États, palestinien et israélien. Mais l’État palestinien n’a jamais vu le jour depuis. Les négociations en sont toujours au même point tandis que parallèlement, l’occupation israélienne se perpétue et que le phénomène de colonisation prend de plus en plus d’ampleur. Dans un tel contexte, la mise en place de projets de normalisation revient à encourager les Palestiniens à se résigner et accepter progressivement l’occupation et la colonisation comme une réalité intangible. Les jeunes Palestiniens qui participent à ces programmes de rencontres en sortent avec, en plus, quelques amis israéliens mais rentrent chez eux pour retrouver la réalité quotidienne de l’occupation inchangée. Ces programmes permettent souvent à des jeunes, qui n’ont pas souvent l’occasion de voyager, de partir pour quelques semaines à l’étranger. Mais ceux qui, en Palestine, osent parler de leur expérience à leur retour sont de moins en moins nombreux. La répression violente de la seconde Intifada, la construction du Mur, le massacre de la population gazaouie durant l’hiver 2008-2009, chacun de ces événements et bien d’autres encore rendent ces projets de normalisation de moins en moins acceptables aux yeux de la population palestinienne. De leur côté, les participants israéliens s’offrent en quelque sorte une bonne conscience en rencontrant des Palestiniens et aiment à répéter à leur retour en Israël qu’ils « ont des amis palestiniens ». Ce genre de rencontre n’apporte rien puisqu’il se base essentiellement sur un échange des discours respectifs, toujours en opposition. Pour illustrer légèrement cela par un cliché – mais pas tant que ça – la discussion se conclut généralement par la préparation commune d’un hoummous, point commun entre les deux cultures (pour autant que l’on n’estime pas que le hoummous a été « emprunté » par les Israéliens à la culture palestinienne). Bref, rien qui fasse avancer d’un iota la situation sur le terrain.
du Moyen-Orient dans le but de « construire la paix par la coopération socio-économique et le développement, par l’interaction d’individu à individu ». Un bien joli programme aussitôt applaudi par tous les naïfs. Mais une arme de guerre de propagande insidieuse pour Israël. À l’occasion du 10e anniversaire du Centre en 2008, Meron Benvenisti écrivait déjà dans Haaretz : « Dans l’activité du Peres Center for Peace, aucun effort manifeste n’est fait pour changer le statu quo politique et socio-économique dans les territoires occupés, tout au contraire : des efforts sont faits pour former la population palestinienne à accepter son infériorité et à la préparer pour survivre sous les contraintes arbitraires imposées par Israël, ainsi que pour garantir la supériorité ethnique des Juifs. Avec une condescendance colonialiste, le centre présente un oléiculteur qui découvre les avantages de la coopération commerciale, un pédiatre qui reçoit une formation professionnelle dans les hôpitaux israéliens et un importateur palestinien qui apprend les secrets du transport des marchandises via les ports israéliens, célèbres pour leur efficacité, et bien sûr des compétitions de football et des orchestres mixtes d’Israéliens et de Palestiniens, qui donnent une fausse image de la coexistence » (Haaretz.com, A monument to a lost time and lost hopes, 30/10/2008). Au paradigme d’oppresseur/opprimé, ces programmes préfèrent également celui de conflit, induisant implicitement que les parties au conflit sont sur pied d’égalité. Ainsi s’annonce l’Israel/Palestine Center for Research and Information (IPCRI) dirigé par le très médiatisé Gershon Baskin et qui se présente comme « l’unique think tank conjoint israélo-palestinien de politique publique dédié à la résolution du conflit israélo-palestinien sur la base de « deux États pour deux peuples ». Gershon Baskin est décrit par l’AIC comme l’un des plus grands professionnels de l’industrie de normalisation (AIC, The Israeli left as normalizers, 5/12/2012). Sur le site de l’IPCRI, il n’est jamais fait la moindre mention de l’occupation ou de la colonisation.
LE RÔLE DES INTERNATIONAUX Que ce soit via les programmes Euromed ou via le financement d’initiatives de dialogue « people to people », les Européens ont tendance à encourager ce genre de programme de normalisation. La raison de ce choix est que cela permet de montrer que des efforts sont entrepris sur place pour trouver une solution au conflit, sans pour autant devoir « prendre parti ». Les bailleurs de fonds semblent être aveugles au fait qu’en finançant ce type de programme, ils rendent avant tout service à Israël, qui profite avantageusement du statu quo ainsi préservé.
UNE CAMPAGNE ISRAÉLIENNE POUR SON IMAGE Si d’une part, elles ne visent en rien la fin de l’occupation, ces initiatives de normalisation sont par ailleurs une excellente vitrine pour Israël qui peut se targuer de coopérer à des projets qui œuvrent pour la paix avec les Palestiniens et/ou les Arabes. Le vocabulaire lié à la normalisation use et abuse en effet du mot paix. Ainsi est-ce le cas, par exemple, du Peres Center for Peace, créé en 1996 par l’actuel président israélien, Shimon Peres, pour promouvoir la rencontre entre les peuples
Dans un document intitulé « l’Union complice – un guide sur les financements UE de l’apartheid », le mouvement BDS cible la façon dont l’UE aide ainsi à « normaliser » les agressions israéliennes en soutenant ce que les Palestiniens appellent « l’industrie de la paix ». L’UE finance en effet régulièrement des événements et des projets culturels ou autres qui promeuvent la fiction de l’« équilibre » entre les deux parties (BDSmovement.net, février 2011).
palestine 08 DOSSIER NORMALISATION VS COOPÉRATION
Des Israéliens HORS DU COMMUN
par Nathalie Janne d’Othée
© Edo Medicks
Ils ne sont pas très nombreux mais leur conviction compense leur petit nombre. Que ce soient les Anarchists against the Wall, l’Israeli Committee Against House Demolition (ICAHD), la Coalition of Women for Peace, l’Alternative Information Center (AIC) ou quelques autres encore, ils se joignent tous à la lutte contre l’occupation israélienne et pour l’autodétermination du peuple palestinien.
Pour rappel, la Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel appelle clairement les internationaux qui soutiennent le BDS à ne participer à aucun programme qui « met moralement et politiquement l’oppresseur et l’opprimé sur le même pied et qui présente la relation entre Palestiniens et Israéliens comme symétrique » (PACBI, Israel’s Exceptionalism: Normalizing the Abnormal, 31/10/2011).
LA COOPÉRATION ET NON LA NORMALISATION L’Alternative Information Center résume bien les principes qui doivent sous-tendre toute collaboration entre Israéliens et Palestiniens (Michael Warschawski, Cooperation not normalization, AIC, 10/1/2012). Tout d’abord, et comme souligné précédemment, il ne s’agit pas d’une « lutte commune pour la paix » mais d’une « lutte nationale palestinienne contre le colonialisme israélien ». Les programmes promouvant l’« équilibre » entre les deux camps et la « symétrie » sont à exclure. Si des Israéliens participent à des programmes communs avec les Palestiniens, c’est donc sous le leadership et sur la base des principes édictés par les Palestiniens. Or, les revendications du programme de libération nationale palestinien comportent trois dimensions dont aucune ne doit être négligée : la fin de l’occupation coloniale, des droits collectifs et individuels entiers pour la minorité palestinienne d’Israël et le droit au retour pour les réfugiés palestiniens. Ce dernier point est systématiquement rejeté par la gauche sioniste, même si elle se déclare par ailleurs pacifiste. L’AIC relève également deux tests utiles pour juger de la sincérité de l’implication dans la lutte palestinienne : d’une part, il faut qu’il s’agisse d’une coopération par l’action et non par d’interminables et inutiles dialogues; d’autre part, il faut que cela inclue l’adhésion au programme BDS, posé aujourd’hui comme priorité par le mouvement national palestinien.
Et ce genre de position exige du courage dans une société israélienne qui vire de plus en plus à droite et où la gauche dite « pacifiste » elle-même a un agenda bien différent de l’agenda palestinien. Qu’estce qui les distingue de la gauche « mainstream » ? Quelles sont les caractéristiques de ces mouvements ? Quel est leur rôle dans la résistance palestinienne et au sein de la société israélienne ?
LE TEST BDS En Israël, ils sont traités d’« activistes pro-palestiniens » tandis que les membres de Peace Now ou des travaillistes seront, quant à eux, qualifiés de « pacifistes ». Jamais, n’est mis en avant le caractère bénéfique pour Israël de leurs actions ou le fait qu’une paix durable, basée sur la justice, ne peut venir que de ce type de coopération avec les Palestiniens. Comme le soulignait l’Alternative Information Center dans son dernier article sur la normalisation (voir article « En finir avec l’« industrie de la paix » dans ce même bulletin), la coopération véritable avec les Palestiniens peut être soumise au test BDS. En effet, ce qui distingue ces mouvements du reste de la société civile israélienne, c’est leur adhésion à la campagne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre Israël, une position rarement adoptée vu les risques qu’encourt en Israël toute personne appelant au boycott de l’État ou de ses colonies. En juillet 2011, la Knesset votait en effet une loi interdisant tout appel au boycott économique, culturel ou académique d’Israël, de ses institutions ou de toute zone sous son contrôle, une référence claire aux territoires occupés. Malgré les risques occasionnés, les organisations engagées dans la campagne BDS ne se sont pas laissé impressionner. La Coalition of Women for Peace continue à alimenter le site « Who profits » (from occupation) avec des informations sur les entreprises qui investissent dans les colonies et la campagne « Boycott from within » n’a pas cessé pour autant son activité non plus.
LE DROIT AU RETOUR Outre le fait de l’interdiction du boycott, l’adhésion à la campagne BDS est restreinte par les revendications de l’appel de 2005 contenant « la protection et la promotion du droit au retour pour tous les réfugiés palestiniens en vertu de la résolution 194 de l’AGNU ». Le soutien au droit au retour reste une ligne rouge que peu franchissent.
La crainte de voir un jour se profiler une majorité démographique arabe en Israël, alimentée par les argumentaires sur l’antisémitisme, contribue en effet à dresser du droit au retour une image fantasmagorique de danger absolu. Sur la question du droit au retour, il faut souligner l’intérêt du travail entrepris par Zochrot. Cette organisation s’est donné pour mission de sensibiliser l’opinion publique israélienne à la mémoire de la Nakba et au caractère bénéfique de l’application du droit au retour pour l’avenir commun des deux peuples. Récemment, dans leurs locaux, étaient exposées des œuvres imaginant la réalisation concrète du droit au retour et cela, dans le but de le démystifier. Des initiatives qui sont encore loin d’atteindre un large public mais qui ont le mérite d’exister.
COOPÉRATION PAR L’ACTION SUR LE TERRAIN La coopération entre les comités populaires palestiniens contre le Mur et les Israéliens des Anarchists against the Wall commence dès les premières manifestations hebdomadaires contre le Mur et contre l’occupation. Et ces derniers sont toujours présents aujourd’hui, que ce soit à Beit Umar, Nilin, Nabi Saleh, Qaryout, Bilin, Maasara, Kufer al-Dik, Kufer Qaddum, Al Walaje, publiant régulièrement sur leur site des rapports sur le déroulement des différentes manifestations. Leur présence a du poids parce qu’elle apporte un regard extérieur sur la répression subie par les manifestants palestiniens. Les militants israéliens peuvent ainsi témoigner sur les manifestations dans les médias israéliens. Ils remplissent également une fonction d’interposition en empêchant les soldats israéliens de s’en prendre aux Palestiniens. Les Israéliens ne sont pas pour autant immunisés contre des arrestations et les Anarchists against the Wall doivent prévoir une assistance juridique pour défendre tous ceux qui terminent les manifestations en détention.
POIDS POLITIQUE RELATIF Michel Warschawski explique le rôle de ces mouvements en Israël via la métaphore d’une bicyclette avec une grande roue et une petite roue. La grande roue, représentée par «La Paix maintenant» et le mouvement travailliste, a été capable de mobiliser quelque 400000 personnes lors de la guerre contre le Liban en 1982. La petite roue, représentée par les forces plus radicales, mobilise entre 5000 et 10000 personnes selon les périodes. (Cf. En Israël, le soutien massif à l’opération a commencé à s’éroder, Interview de M. Warschawski dans le Monde, 7.1.2009). Seule la grande roue est à même de jouer un rôle politique significatif en Israël. La petite roue ne doit donc pas négliger la grande et doit continuer à agir afin de mobiliser un plus grand nombre. Mais le problème est que le camp de la paix, cette « grande roue », ne s’est plus mobilisé depuis des années. Face à l’opinion publique israélienne largement favorable à l’attaque de Gaza en 2008-2009, Michel Warschawski déclarait même que le camp de la paix avait disparu. Bref, le bilan de ces initiatives sur la société israélienne dans son ensemble n’est pas considérable. Mais le rôle de ces Israéliens hors du commun est d’autant plus indispensable qu’ils sont peu nombreux.
RÉSISTANCE POPULAIRE : LA RÉPRESSION S’INTENSIFIE Le 10 décembre dernier, Mustafa Tamimi, du village de Nabi Saleh, meurt des suites de ses blessures après avoir été la cible d’un tir de canette de gaz lacrymogène à l’arrière de la tête. Il avait 28 ans. Il est la 13e victime de la répression israélienne des manifestations hebdomadaires contre le Mur et l’occupation. Ce chiffre est une estimation minimale apportée par l’organisation palestinienne des droits de l’homme, Al Haq, dans un rapport sur Nabi Saleh, paru ce même 10 décembre (Repression of non-violent protest in the occupied palestinian territory. Case study on the village of Nabi Saleh). Ce village est en effet un exemple de l’intensification de la répression contre la résistance populaire ces dernières années. Depuis le 15 décembre 2009, les habitants de Nabi Saleh manifestent contre la construction d’un avant-poste par les colons de la colonie voisine d’Halamish. Déjà, lors de la construction de cette dernière, les habitants de Nabi Saleh avaient introduit et gagné une requête auprès de la Cour suprême israélienne. Mais, comme de nombreuses autres décisions concernant l’appropriation illégale de terre dans les territoires occupés, la décision de la Cour ne fut jamais appliquée. En décembre 2009, des colons d’Halamish prirent possession des terres autour de la source Ayn al Qaws, y installant un parc. Les habitants de Nabi Saleh introduisirent à nouveau une plainte auprès de la Cour suprême israélienne. Mais cela importe peu pour l’armée qui empêche désormais les Palestiniens d’accéder à leurs terres dans la zone d’Ayn al Qaws. Depuis lors, les habitants manifestent en se rendant tous les vendredis sur les terres volées. La répression israélienne est brutale et disproportionnée. Le rapport d’Al Haq pointe la façon dont la liberté d’expression des Palestiniens est restreinte par l’Ordre Militaire n°101 « Ordre concernant la prohibition de l’incitation et d’action de propagande hostile » paru en 1967 et qui interdit tout rassemblement de type politique de plus de dix personnes sans autorisation du Commandant militaire de la région. Cet ordre laisse le champ large aux soldats pour empêcher les manifestations et emprisonner les participants pour des périodes allant jusqu’à 10 ans d’incarcération. Au-delà de la liberté d’expression, c’est également le droit à la vie qui est ici violé. Les habitants de Nabi Saleh sont désormais menacés jusqu’à l’intérieur de leurs maisons. La mort de Mustafa Tamimi le 10 décembre n’est donc que la suite logique de l’intensification de la répression contre les mouvements de contestation dans le territoire palestinien occupé. Les hommages au jeune résistant furent nombreux en Palestine, mais aussi en Israël et dans le monde entier.
palestine 10 DOSSIER NORMALISATION VS COOPÉRATION
Jcall,
UN APPEL À LA RAISON ? par Hocine Ouazraf
Lundi 24 janvier 2012, JCall se réunissait pour la deuxième fois dans l’enceinte du Parlement européen. Lancé le 3 mai 2010 à Bruxelles à l’initiative de personnalités européennes se réclamant toutes du judaïsme et militant pour la paix, « JCall/un appel à la raison » se veut avant tout un projet qui vise à protéger Israël de ses propres démons. L’ÉQUIDISTANCE OU LA MISE À ÉGALITÉ DE LA CHÈVRE ET DU CHOU En effet, le deuxième paragraphe de cet « appel à la raison » stipule : « (…). Loin de sous-estimer la menace de ses ennemis extérieurs, nous savons que ce danger se trouve aussi dans l’occupation et la poursuite ininterrompue des implantations en Cisjordanie et dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est, qui sont une erreur politique et une faute morale. Et qui alimentent, en outre, un processus de délégitimation inacceptable d’Israël en tant qu’État ». Si d’aucuns – notamment les médias – considèrent cette initiative comme avant-gardiste, d’autres en soulignent, en revanche, les faiblesses. Ainsi, même si JCall se présente comme un mouvement pluriel, on ne peut que s’étonner de la présence incongrue de certains signataires de l’appel. En effet, si l’on y trouve des personnalités telles que Daniel Cohn-Bendit ou Zeev Sternhell, qui ont un certain crédit dans l’opinion publique, on note à leur côté la présence de soutiens inconditionnels à la politique israélienne tel Bernard-Henri Levy qui n’a pas hésité à appuyer l’opération « Plomb durci » en décembre 2008/janvier 2009 ou bien encore Eli Barnavi qui fut l’un des ambassadeurs d’Ariel Sharon. Au-delà de cet aspect, ce qui frappe le plus le lecteur de cet appel, ce sont ses silences ou ses non-dits.
SAUVER ISRAËL AVANT TOUT Si les porteurs de cette déclaration soulignent que « l’avenir d’Israël passe par l’établissement d’une paix avec le peuple palestinien selon le principe « deux peuples, deux États », à leurs yeux, c’est la sécurité de l’État d’Israël qui prime avant tout. Il est en effet fait peu de cas de l’insécurité permanente dans laquelle les Palestiniens vivent depuis des décennies et des revendications légitimes du peuple palestinien. L’isolement des Palestiniens de Gaza n’est même pas mentionné et le texte n’aborde aucune des questions qui fâchent, dont l’épineux dossier des réfugiés. Les partisans de JCall ont à cœur de lutter contre la délégitimation qui menace l’État d’Israël. Comme si seule, cette conséquence de la politique israélienne sur l’État d’ Israël importait et non le sort fait aux Palestiniens. Ainsi, plusieurs intervenants à la conférence JCall du 24 janvier 2012 au Parlement européen ont souligné le rôle négatif joué par l’actuel gouvernement israélien dans la détérioration de l’image d’Israël, notamment en raison de ses attaques répétées contre les ONG israéliennes qui militent en faveur des droits des Palestiniens.
Le texte renvoie dos à dos et met sur pied d’égalité l’occupant surarmé et l’occupé désarmé. Les signataires de l’appel soulignent qu’il importe que l’Union européenne, comme les États-Unis, fassent pression sur les deux parties et les aident à parvenir à un règlement raisonnable et rapide du conflit israélo-palestinien. Ils feignent d’ignorer que l’une comme les autres n’ont cessé de faire pression sur la partie palestinienne et ne sont quasi jamais parvenus à engager la moindre pression sur Israël. Le texte reprend à son compte et avalise la vieille antienne de l’État d’Israël sur sa nature juive ET démocratique : « Ce mouvement se veut au-dessus des clivages partisans. Il a pour ambition d’œuvrer à la survie d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique, laquelle est conditionnée par la création d’un Etat palestinien et souverain ». Or, comme le note, à juste titre, un représentant de l’Union juive française pour la paix (UJFP) : « Le point essentiel de l’appel est le renvoi à l’État juif et démocratique, leitmotiv du discours sioniste de gauche. Quand bien même la solution : “deux peuples, deux États” serait encore possible, on ne peut que rappeler que 20% de la population de l’Etat d’Israël dans ses frontières de 1949 définies par ce que l’on appelle la Ligne verte est palestinienne et n’a aucune raison de devenir juive si on donne à ce terme la définition nationale de la doctrine sioniste. Dans ces conditions, demander que l’État d’Israël soit un État juif et démocratique revient à refuser la citoyenneté à une partie de sa population, conduisant à une politique de discrimination, sauf à réaliser l’expulsion de la partie non juive de la population, ce que certains appellent pudiquement le transfert. En soutenant le principe d’un État juif et démocratique, l’appel se situe dans un sionisme intransigeant, oubliant que l’État d’Israël s’est construit au détriment des habitants de la terre sur laquelle il s’est constitué.» Comme on le voit, J Call s’apparente davantage à un effet d’annonce fracassant sans véritable contenu concret. Dans un contexte international où l’image d’Israël semble de plus en plus mise à mal, notamment en raison de la brutalité de ses interventions militaires sur terre, sur mer et dans les airs, l’initiative JCall apparaît clairement pour ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire une « opération cosmétique » destinée à redorer le blason terni d’Israël.
palestine 11 UE – ISRAËL
Nous l’avons vu dans les précédents numéros, l’Accord d’association régit les relations contractuelles entre l’UE et Israël. Il vient remplacer l’accord de libéralisation conclu en 1975 et prévoit, entre autres, l’intensification du commerce des biens et services. Une série d’accords spécifiques ont été ou sont en passe
Les relations commerciales
ENTRE L’UE ET ISRAËL : UN OUTIL POTENTIEL DE PRESSION par Katarzyna Lemanska
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d’être adoptés afin de répondre à cet objectif. Mais que représentent actuellement les échanges commerciaux entre l’UE et Israël ? Des sanctions commerciales seraient-elles efficaces ? Finalement, comment justifier le recours aux sanctions en s’appuyant sur le droit primaire de l’Union européenne ? Éléments de réponse.
palestine 12 UE – ISRAËL
DONNÉES SUR LES ÉCHANGES COMMERCIAUX 1 – Perspective européenne. Les importations de produits israéliens représentent moins de 1% des importations totales 2 de l’Union européenne, ce qui relègue Israël à la 26e position sur la liste de ses partenaires. Du côté des exportations, Israël occupe la 23 e place des pays partenaires (1,1% des exportations de l’UE en 2010), derrière la Corée du Sud, les Émirats Arabes Unis ou l’Égypte par exemple. Malgré une croissance des importations de 2,7% et des exportations de 0,9% ces quatre dernières années, Israël reste donc un partenaire mineur de l’UE. – Perspective israélienne. À l’inverse, l’UE est un partenaire bien plus important pour Israël : un tiers des produits qu’il importe sont d’origine européenne et environ un quart des produits qu’il exporte se retrouve sur les marchés européens (26,6% en 2010). Les données statistiques montrent que l’UE est le premier partenaire commercial d’Israël en termes de produits importés, avec une croissance de 1,9% entre 2006 et 2010 et le second partenaire le plus important en termes de débouchés pour les produits israéliens (après les États-Unis, avec une croissance de 2,3% sur la même période). Toutes données commerciales confondues, l’UE est le premier partenaire commercial d’Israël. – Les trois secteurs les plus importants dans lesquels se réalisent les échanges commerciaux (importations et exportations) sont ceux des machines, appareils mécaniques et équipements électroniques; des perles et des pierres précieuses ou semi-précieuses; et des véhicules, avions, navires et autres engins de transport. En ce qui concerne les produits agricoles, les fruits et légumes israéliens représentent 0,9% des importations totales de l’UE (les données plus précises sur ce qui provient respectivement des colonies ou d’Israël ne sont pas disponibles) et 1,3% de ses exportations. Seulement 0,8% des échanges entre l’UE et Israël se rapporte au secteur des armes, munitions et autres accessoires. Néanmoins, 8,5% des importations totales de l’UE dans ce secteur proviennent d’Israël. Les exportations européennes sont moins importantes : 0,1% des échanges avec Israël sont concernés, ce qui ne représente que 0,8% des exportations totales de l’UE. Si l’on observe les données statistiques, il est évident que les échanges commerciaux sont caractérisés par une asymétrie et que l’Union européenne, pourrait, à priori, facilement se passer d’Israël. À l’inverse, Israël est dépendant du marché interne, ce qui offre à l’UE un outil potentiel de pression. Cependant, il n’est pas rare que des officiels européens qualifient Israël de « partenaire indispensable ». Ceci nous renvoie à l’article paru dans le numéro précédent sur les performances d’Israël en recherche et développement. Au-delà des données économiques brutes sur le volume des échanges, il convient donc de s’intéresser à leur valeur ajoutée. Dans le domaine des technologies de pointe, la domination israélienne est établie et par conséquent, tend à renverser la relation de dépendance. Cependant, il faut
rappeler que l’Union européenne, en associant Israël à ses programmes de recherche, a contribué à créer cette situation dont elle peut donc, en faisant les choix politiques nécessaires, se sortir. Du côté israélien, afin de réduire la vulnérabilité induite par l’asymétrie, le gouvernement renforce ses relations commerciales avec des partenaires situés en dehors de l’Union européenne : les exportations israéliennes vers l’UE ont certes connu une croissance de 2,3% ces quatre dernières années, mais cette croissance s’est montée à 4,2% pour ses exportations avec le reste du monde.
LE TRAITÉ DE LISBONNE L’UE a inscrit l’obligation de cohérence dans le Traité de Lisbonne qui stipule que l’Union « veille à la cohérence entre les différents domaines de son action extérieure et entre ceux-ci et ses autres politiques ». Cela concerne donc évidemment sa politique commerciale. Il semblerait dès lors inconcevable que la politique économique ou commerciale de l’UE l’emporte sur le respect des droits de l’homme et du droit international et des positions politiques de l’UE qui en découlent. Et pourtant, au lieu de conditionner ses accords de libre-échange avec Israël à des avancées dans le processus de paix, l’UE négocie, dans le cadre de l’Accord d’association, des mesures qui vont libéraliser davantage leurs échanges (accord de libéralisation sur l’agriculture et la pêche, en 2009), rapprochement des législations (ACAA, en cours), échange des données personnelles des consommateurs (février 2011) et différents programmes de jumelage visant à faciliter l’introduction de l’acquis communautaire par Israël. En conclusion, Israël est tributaire, pour au moins un quart de ses exportations, de l’UE. Les sanctions commerciales constituent donc un outil de pression efficace mais devraient s’inscrire dans une politique de sanctions globale. Elles sont dûment justifiées, non seulement par le droit international mais également par les dispositions adoptées par l’UE elle-même. Encore une fois, ce qui est en jeu, c’est la cohérence même de l’UE et son aptitude à se positionner en tant qu’acteur politique réellement influent en dépassant sa politique simplement déclaratoire qu’elle s’évertue pourtant à renforcer par l’adoption de nouveaux instruments venant s’ajouter aux déclarations, positions, résolutions, dispositions, documents de référence,… adoptés. En inscrivant dans ses Traités l’obligation de cohérence, tout en poursuivant des politiques en contradiction manifeste avec celle-ci, l’UE se décrédibilise à la fois auprès des citoyens européens dont elle prétend vouloir être proche et des sociétés civiles de l’autre côté de la Méditerranée qu’elle prétend soutenir dans leur lutte pour plus de justice et de démocratie. 1/ Toutes les données proviennent de la Commission européenne et sont disponibles sur http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2006/september/tradoc_113402.pdf 2/ Les données « totales » portent sur les échanges de l’UE avec le reste du monde. Les données d’échanges intra-UE sont exclues.
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palestine 13 UE – ISRAËL
L’Union européenne
CHANGE DE TON, VRAIMENT ?
par Katarzyna Lemanska
Ces derniers mois, pas moins de trois rapports des chefs de mission de l’Union européenne dans le territoire palestinien occupé, un communiqué de presse des ambassadeurs européens auprès des Nations Unies, des déclarations d’officiels européens et un rapport de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, tous critiquant vertement la politique israélienne ou ses dirigeants, ont fait les titres de la presse. Parallèlement, et contrairement à la décision prise en 2006 de suspendre son aide directe au gouvernement palestinien suite à la victoire du Hamas aux élections, l’UE a déclaré qu’elle continuerait d’apporter son soutien au nouveau gouvernement d’unité palestinien. Pour autant, cela présage-t-il d’un réel changement de politique de la part de l’Union européenne ?
palestine 14 UE – ISRAËL
LES RAPPORTS DES CHEFS DE MISSION : PROPOS SÉVÈRES ET RECOMMANDATIONS INCISIVES Depuis 2005, des rapports confidentiels sont rédigés annuellement par les chefs de mission diplomatique de l’UE dans les territoires occupés. Également appelés « rapports des consuls », ils décrivent de manière détaillée et objective la politique israélienne et contiennent des recommandations. S’ils se limitaient jusqu’à présent à JérusalemEst, deux thématiques nouvelles ont été abordées en 2011 : la zone C en Cisjordanie et les Palestiniens d’Israël. Ces rapports atterrissent souvent dans la presse, soit du fait de fuites des diplomates euxmêmes, frustrés de rédiger des comptes rendus circonstanciés qui croupissent dans des tiroirs, soit des Israéliens, qui les tuent ainsi dans l’œuf avant qu’une discussion sérieuse ait pu avoir lieu à leur sujet. Le rapport sur Jérusalem-Est accuse la politique de colonisation israélienne de mettre en péril la solution à deux États. Il ajoute que « sans Jérusalem comme future capitale de ces deux États, un accord de paix durable (…) ne sera pas possible ». Les stratégies déployées par les Israéliens afin d’affaiblir la présence palestinienne à Jérusalem sont minutieusement décrites : annexions, déplacements forcés et démolitions, difficultés d’obtenir un permis de construction et/ou de rénovation, risque de transfert qui pèse sur les Bédouins, statut fragile lié à la « résidence » par opposition à la « citoyenneté », utilisation du prétexte archéologique pour expulser la population de certains quartiers,... Sont également exposés les problèmes induits par le sous-financement des écoles et transports publics utilisés par les Palestiniens, les restrictions aux mouvements et leur impact sur le commerce et l’accès aux soins de santé, la fermeture prolongée des institutions politiques palestiniennes et les difficultés d’accès des musulmans et des chrétiens aux sites religieux. Le rapport recommande, entre autres, que soit réinstaurée une représentation de l’OLP à Jérusalem et que les délégués européens rencontrent leurs homologues palestiniens à Jérusalem-Est. Les recommandations portent également sur les droits économiques et sociaux des Palestiniens et la dimension culturelle et religieuse de la ville. Plus spécifiquement, le rapport suggère que les États membres demandent à la Commission européenne de prendre des mesures législatives visant à décourager les transactions financières qui soutiennent les colonies israéliennes et de sensibiliser les citoyens sur les produits qui en sont issus. Si les rapports précédents contenaient également des recommandations, c’est la première fois que les chefs de mission vont jusqu’à suggérer que la Commission légifère sur les transactions avec les colonies. La formulation, vague, permet une interprétation large : tous les flux financiers qui participent à la pérennisation des colonies sont potentiellement concernés. Le rapport sur la zone C en Cisjordanie (juillet 2011) dresse le même constat : la perspective d’une solution à deux Etats s’éloigne à mesure qu’Israël continue d’y ériger de nouvelles colonies ou d’étendre celles qui y existent déjà, de s’approprier ses ressources naturelles, de restreindre la liberté de circulation des Palestiniens et de détruire les infrastructures qu’ils y ont bâties. Région riche en eau
et en terres fertiles, la zone C est « cruciale pour la viabilité d’un futur État palestinien » mais aussi, par sa position, pour sa continuité, dit le rapport. Il donne pour exemple le cas de la Vallée du Jourdain (classée à 90% en zone C) où la présence palestinienne a été divisée par cinq depuis 1967 alors que la présence israélienne a été multipliée par 258. Sont également décrits l’impact de l’administration militaire israélienne sur les conditions humanitaires, sécuritaires et psychologiques dans lesquelles vivent les Palestiniens, les mesures de planification urbaine mises en place par Israël pour empêcher le développement des communautés palestiniennes et les problèmes induits par l’absence de l’Autorité palestinienne. Une série de recommandations sont proposées afin d’« encourager » Israël à changer ses politiques dans la région et à engager davantage les communautés palestiniennes, à réduire la vulnérabilité de ces dernières, à y promouvoir le développement économique et y accroitre la responsabilité des autorités israéliennes conformément au droit international humanitaire. Le rapport sur les Palestiniens d’Israël (novembre 2011) fait état des discriminations dont ils sont victimes. Cette fois, c’est la politique d’Israël en Israël qui est pointée du doigt. Contrairement aux deux autres rapports, peu d’informations ont filtré sur son contenu.
AUTRES RAPPORTS QUI ÉGRATIGNENT ISRAËL En novembre 2011, le président français, Nicolas Sarkozy, s’en est pris au premier ministre Netanyahou, le qualifiant, lors d’une discussion privée avec Barack Obama, de « menteur ». Nick Clegg, vice-premier ministre britannique, a quant à lui dénoncé la politique coloniale israélienne qu’il a qualifiée d’« acte de vandalisme délibéré ». Le mois suivant, le rapport d’information de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale (France – décembre 2011) sur la géopolitique de l’eau a fait grand bruit. Faisant référence à la politique israélienne à l’égard de la Palestine sur la question de l’eau, il affirme que « tout démontre, même si bien peu nombreux sont ceux qui osent employer le mot, que le Moyen-Orient est le théâtre d’un nouvel apartheid ». Cinq jours plus tard, dans un communiqué conjoint, les ambassadeurs auprès des Nations Unies des quatre pays européens du Conseil de Sécurité se sont dit consternés par la décision d’Israël d’accélérer la construction de logements dans les colonies qui « envoie un message accablant ». Ils ont appelé le gouvernement israélien à revenir là-dessus, estimant que « la viabilité de l’État palestinien et la solution à deux États, qui est essentielle pour la sécurité à long terme d’Israël, sont menacées par l’expansion systématique et délibérée des colonies ». Ils ont aussi condamné les attaques des colons. Si le vocabulaire utilisé n’est pas particulièrement sévère, le fait que trois des quatre membres européens du Conseil de Sécurité (Allemagne, France, RoyaumeUni) soient les États membres les plus influents de l’UE est plus significatif. L’Allemagne a, par ailleurs, récemment décidé de rehausser le niveau de la représentation diplomatique palestinienne et de lui conférer le statut d’ambassade.
Certains Etats européens se réfugient derrière la position européenne dont ils savent pourtant qu’elle sera vide de sens. UN RÉAJUSTEMENT DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE Lorsque le Hamas, qui est toujours sur la liste des organisations terroristes de l’UE, a gagné les élections en 2006 et a pris la tête du nouveau gouvernement, l’UE a adopté des mesures de rétorsion et a cessé les aides financières normalement consenties au gouvernement palestinien. Début février, au Qatar, le Hamas et le Fatah ont conclu un accord sur un gouvernement technocratique d’unité nationale. L’Union européenne a cette fois annoncé que le versement de son aide continuerait, comme à l’accoutumée. Qu’est-ce qui explique ce changement ? D’une part, la décision de 2006 avait été désavouée par de nombreux diplomates et parlementaires qui s’étaient rendu compte que l’UE, en s’ingérant de la sorte, avait contribué à la division intra-palestinienne. D’autre part, le « printemps arabe » a forcé l’Union européenne à revoir sa politique à l’égard des voisins du sud de la Méditerranée : l’UE semble enfin prendre conscience que le respect des aspirations démocratiques des peuples signifie aussi accepter le résultat des élections, quel qu’il soit.
QUEL IMPACT ? Concrètement, si le ras-le-bol des diplomates est perceptible et que le ton est plus radical, les blocages persistent. Par exemple, les recommandations initialement contenues dans le rapport sur les Palestiniens d’Israël ont été supprimées et certaines formulations adoucies. Il était également prévu que le rapport sur la zone C soit discuté par les chefs d’États et de gouvernements et qu’il fasse l’objet d’un communiqué officiel. Or, il n’y en a pas eu, ce qui suggère que le rapport a été étouffé. Et à moins d’être endossé par le Conseil européen, il n’a que peu de valeur. Ces blocages sont le fait d’États de l’UE alliés inébranlables d’Israël (la République tchèque et les Pays-Bas en tête) mais également d’États, certes plus modérés, mais qui s’opposent systématiquement à toute critique sérieuse d’Israël (Italie et Pologne par exemple). Critique pourtant facilement balayée étant donné que les positions du Conseil et du Service d’Action Extérieure de l’UE doivent être le résultat d’un consensus. Cela n’empêche que les autres États européens pourraient adopter une position plus ferme. Mais, par couardise, pour des raisons de politique intérieure ou historiques, ils se réfugient derrière la position européenne dont ils savent pourtant qu’elle sera vide de sens. Comme souligné précédemment, le premier rapport des consuls sur Jérusalem-Est date de 2005; or, force est de constater que la situation sur le terrain ne s’est pas améliorée, au contraire. Dès lors, cette affluence de documents et déclarations critiques donne l’impression – fausse – du « réveil » d’une UE qui prendrait enfin ses responsabilités.
Pourtant, s’il ne faut pas être dupe et si les rapports et les recommandations sont étouffés, ils ont le mérite d’exister. Ces rapports produits par les consuls remontent aux ministères des Affaires étrangères nationaux, qui disposent donc d’une information de première main sur ce qui se passe sur le terrain. Par ailleurs, ils facilitent dans une certaine mesure le travail de la société civile, qui peut renvoyer aux responsables européens une information qu’ils ont eux-mêmes produite et dont ils peuvent difficilement contester l’objectivité. Le même raisonnement s’applique aux recommandations : lorsque les diplomates en poste dans les territoires occupés proposent à la Commission de prendre des mesures afin de décourager les transactions financières avec les colonies, cela conforte nos campagnes de boycott. Quant au rapport de travail de la commission des Affaires étrangères sur l’eau, quel qu’en soit le résultat, il aura au moins servi à faire avancer la qualification d’apartheid pour désigner la politique de l’État d’Israël. Finalement, il faudra attendre les élections palestiniennes et la réaction de l’UE qui s’ensuivra pour juger de la réalité du réajustement de la politique européenne vis-à-vis du Hamas.
VERS UNE CRISE DIPLOMATIQUE AVEC ISRAËL ? Le gouvernement israélien a rejeté les rapports des consuls, sans pour autant les démentir. Une certaine irritation, teintée d’arrogance, était perceptible : le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a qualifié le rapport sur Jérusalem de « bruit de fond désagréable » et de « tentative désespérée de recevoir de l’attention ». Le rapport sur l’eau a fait l’objet d’une réponse officielle qui nie toute discrimination. Le porte-parole cité plus haut a commenté le rapport, disant qu’il était « rempli d’un verbe empreint de propagande vicieuse, bien éloignée de l’esprit critique professionnel ». La France, la Grande-Bretagne, le Portugal et l’Allemagne ont été accusés par le ministre des Affaires étrangères israélien Avigor Liberman de « perdre leur crédibilité » et de se rendre « insignifiants » après avoir publié leur communiqué. Le porte-parole d’Israël aux Nations Unies a, quant à lui, réagi en déclarant que ce ne sont pas les colonies qui sont un obstacle à la paix mais bien « le droit au retour des réfugiés exigé par les Palestiniens et leur refus de reconnaitre Israël comme État juif ». On ne peut pas parler pour autant de crise diplomatique : du côté européen, les déclarations ne sont pas suivies de sanctions et le « business as usual » continue; du côté israélien, le besoin du soutien européen dans le dossier iranien suffit à calmer leur irritation. Le partenariat UE-Israël a donc encore de beaux jours devant lui.
POLITIQUE D’ISRAËL À L’ENCONTRE DES PALESTINIENS :
tentative de sociocide (suite)
par Marianne Blume
Dans le précédent numéro (Palestine n°50), j’ai évoqué différents aspects de la guerre totale menée contre les Palestiniens que j’ai – après d’autres – appelée « sociocide ». J’y ai évoqué la destruction du territoire (A), le nettoyage ethnique (B), la destruction sociale (C), politique (D) et économique (E). Deux points moins souvent abordés sont l’objet de cette deuxième partie. F. DESTRUCTION CULTURELLE ET HISTORIQUE L’histoire, la culture et l’éducation cimentent une société et témoignent de sa vitalité. Or comme l’écrit Suleiman Mansour (M. Hallaj, Palestine – The Suppression of an Idea sur www.syria-wide.com), un artiste palestinien : « …Les Israéliens disent qu’il n’y a pas de peuple palestinien, qu’ils sont venus sur une terre sans peuple. Les arts, la littérature et la culture en général leur montrent qu’ils mentent, qu’il y a un peuple et que ce peuple a une culture prolifique. » L’acharnement à détruire ou empêcher toutes ces manifestations de l’existence d’un peuple vise non seulement à éliminer ce qui contredit la narration officielle mais encore à tenter de tuer de l’intérieur la société palestinienne.
© Fré dé ric Tilquin
Depuis 1948, Israël s’attelle au démantèlement des preuves. En 47-49, les troupes détruisent les bibliothèques privées et publiques, les archives; des journaux politiques ou littéraires sont fermés, plus de 440 villages sont rasés (après la guerre); des mosquées, des monuments historiques sont endommagés ou démolis. Un but : rendre les Palestiniens invisibles sur leur sol. Pour parfaire cet effacement du fait palestinien, sur ordre de Ben Gourion, la toponymie des lieux est changée : les noms de lieu sont hébraïsés quand ils ne sont pas totalement changés (reprise de noms bibliques sans égard pour leur localisation exacte). Après 1967, cette politique se poursuit à coup d’ordres militaires et de censure. Les publications, écrites/audio/vidéo politiques sont interdites (y compris la publication des résolutions de l’ONU sur la Palestine), même la littérature est soumise à censure : en 1981, 3000 livres étaient interdits dont ceux de Mahmoud Darwish. Ni radio ni TV palestiniennes ne sont autorisées et le cinéma palestinien ne peut se développer qu’à l’extérieur. Israël décide des programmes scolaires, censure les manuels et ferme les écoles et universités pendant des mois, voire des années (comme l’université de Birzeit). Le drapeau palestinien et toute référence à lui est interdit, etc.
palestine 17 TENTATIVE DE SOCIOCIDE
Depuis les accords d’Oslo, dans la relative autonomie accordée, films, pièces de théâtre, littérature, peinture, danse, chants vont fleurir de plus belle. De leur côté, les radios et TV se multiplient dans une grande liberté à côté de la PBC, télévision officielle de l’AP. Dès lors, la politique va virer à la rage destructrice. On peut rappeler, lors de l’opération « Bouclier défensif » en 2002, le vol des archives du ministère de l’Education à Ramallah, la destruction du matériel informatique ou la destruction d’une partie du centre historique de Naplouse, sans oublier les destructions à Bethléem, Hébron, Gaza, etc. En avril 2002, à Ramallah, le centre Sakakini, doté d’une excellente bibliothèque, est en partie dynamité. En 2008, la bibliothèque de l’Université islamique, la plus riche de la bande de Gaza, a été visée par un bombardement et est partie en fumée. À Silwan, actuellement, les colons de l’association Elad détruisent, sous prétexte de fouilles, non seulement des maisons mais aussi les évidences historiques de l’habitat non juif. On expulse les habitants palestiniens pour judaïser le quartier. De surcroît, d’après le ministère palestinien du Tourisme et des Antiquités, de 1967 à 1992, 200 000 artefacts ont été volés et transférés en Israël. En 2010, Israël a même tenté – sans succès, fort heureusement – de faire inscrire, à l’UNESCO, en son nom, au titre de patrimoine mondial de l’humanité, la tombe de Rachel qui se trouve à Bethléem et le tombeau des Patriarches situé à Hébron. Cette volonté de tuer la mémoire et l’existence des Palestiniens ancrée dans le paysage est continuellement à l’œuvre : l’un des derniers villages palestiniens toujours debout, Lifta, est menacé aujourd’hui de destruction pour développer un projet immobilier. À Jérusalem, un Musée de la Tolérance se bâtit sur un cimetière musulman… Enfin, dans les foires internationales, Israël présente les falafels et le houmous comme des produits nationaux. La broderie palestinienne est utilisée en confection ou en décoration : la plupart du temps, il s’agit de broderies découpées dans des vêtements anciens et recyclées par le design israélien.
L’attaque de 2008-2009 contre Gaza a montré clairement que l’ennemi, c’est toute la population, toute la société et tous les signes de son organisation politique, civile, sanitaire, économique, éducative, religieuse. Un général avait annoncé qu’Israël allait ramener la bande de Gaza à des dizaines d’années dans le passé. Des amis gazaouis décrivaient la situation comme comparable à celle de 1948, sauf qu’il n’y avait plus nulle part où aller. Ce que l’ONU-et d’autres- appellent « utilisation d’une force disproportionnée » est en réalité une guerre totale pour tuer la société et toute résistance de sa part à l’effacement, à la résignation et la forcer à l’abandon de toute velléité de résistance. Cette violence est présente depuis les débuts de l’État d’Israël. Elle prend pour cible tous les Palestiniens et tout spécialement les enfants et les jeunes. Les arrestations massives et quotidiennes constituent un type particulier de violence visant à déstabiliser la société. Il y a aujourd’hui quelques 6000 détenus dans les prisons israéliennes, dont des enfants (164 en septembre 2011 et jusqu’à 391 en avril 2009, DCI). Plus de 700 000 Palestiniens ont été détenus en Israël depuis 1967, ce qui représente plus de 20% de la totalité de la population qui vit sous occupation israélienne. Pratiquement, chaque famille palestinienne a été affectée. La violence est habituelle lors des arrestations; la torture est pratiquée à grande échelle lors des interrogatoires et les conditions de détention sont pénibles. Les enfants prisonniers sont marqués à vie. Le retour à la vie normale est souvent difficile. Cette stratégie donne des résultats sans aucun doute. Mais les manifestations contre le Mur et les dépossessions comme toutes les nouvelles formes de résistance civile qui fleurissent montrent qu’elle a ses limites. Acculée, la société palestinienne continue néanmoins de se défendre. Mais au risque aussi d’une violence intrasociale et d’une mentalité mortifère. Beaucoup de jeunes disent que la vie et la mort, c’est la même chose.
G. DESTRUCTION PSYCHOLOGIQUE
CONCLUSION PROVISOIRE
À la question de savoir quel était le but de la politique israélienne, Yehuda Shaul, Breaking the silence, répond : « Il est clairement défini : c’est de montrer la présence permanente de l’armée, de produire le sentiment d’être traqué, contrôlé, bref, il s’agit d’imposer la peur à tous dans la société palestinienne. On opère de façon irrationnelle, imprévisible, créant un sentiment d’insécurité qui casse la routine. » La routine de l’utilisation de la force, voire de la terreur, de l’humiliation et des arrestations arbitraires, la manifestation d’une violence ordinaire qui se traduit par des blessés et des morts, est conçue comme une méthode de contrôle et de domination de la population palestinienne. Celle-ci devrait se résigner à disparaître dans le silence, à s’aplatir pour ne plus exister.
Comment appeler une politique dont le but est d’éliminer un peuple non pas physiquement – même si l’élimination physique n’est pas exclue – mais dans son identité et son existence organisée en société ? Sociocide. De fait, en excluant l’aspect de destruction physique totale ou partielle, on peut donner une définition de sociocide/politicide très proche de celle de génocide, à savoir : un acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux notamment par le meurtre de membres du groupe, par l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe et par la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction.
palestine 18 LA JEUNESSE PALESTINIENNE Dès les premières semaines de la seconde Intifada, des mineurs d’âge ont été victimes de violences de l’armée israélienne. Une des premières images de la répression du soulèvement à avoir fait le tour du monde est d’ailleurs celle de l’assassinat du petit Mohamed Al Dura dans les bras de son père, ce que l’armée israélienne a toujours nié être le moins du monde responsable.
LA JEUNESSE PALESTINIENNE
dans le collimateur de l’o ccupation par Julien Masri
Israël a établi officiellement que des mineurs pouvaient représenter un danger à partir de l’âge de 15 ans, autorisant de ce fait l’armée à s’en prendre à eux. Pourtant, les forces armées de l’Autorité palestinienne ne recrutent qu’à partir de 18 ans, les mineurs ne peuvent donc être considérés comme combattants par l’armée israélienne. Aucun mineur n’est jamais armé lors des confrontations qui mettent aux prises des soldats à l’intérieur de véhicules blindés ou des snipers postés dans des tours et des adolescents qui, à la sortie de l’école, se regroupent pour en regarder quelques-uns d’entre eux jeter des pierres sur le blindage des Jeeps. Plus tard, les assassinats d’autres enfants comme Iman al-Hams, jeune fille de 13 ans, dont le corps fut criblé d’une vingtaine de balles, près de Rafah, en 2004 ou Abir Aramin, 10 ans, tuée à la sortie de son école en 2007, ont longtemps défrayé la chronique. Pourtant, jusqu’aujourd’hui, quasiment aucun soldat n’a été inculpé ni reconnu coupable d’homicide. L’armée se contente généralement de désapprouver le « comportement inadéquat » du soldat ou invoque une erreur de jugement de sa part, le soldat se croyant à tort menacé.
supérieur était qu’«à partir de 12 ans, vous êtes autorisés à tirer ». Puisqu’il est raisonnablement impossible d’évaluer l’âge exact d’un enfant, qui plus est à distance, cette consigne n’était manifestement qu’une carte blanche donnée pour blesser ou abattre de jeunes adolescents ne représentant aucun danger pour les soldats. Il était donc clair dès le début que les mineurs étaient une cible déjà toute désignée de la répression israélienne contre le soulèvement palestinien.
« À PARTIR DE 12 ANS, VOUS ÊTES AUTORISÉS À TIRER »
MINEURS DEVANT LES TRIBUNAUX MILITAIRES ET EN DÉTENTION
Mais il y a plus. Selon le témoignage d’un soldat, rapporté en novembre 2000 par la journaliste israélienne Amira Hass, la consigne de son
Entre début 2005 et fin 2010, 835 mineurs palestiniens ont été arrêtés et jugés par des tribunaux militaires israéliens, pour jet de pierres.
Aujourd’hui encore, à Jérusalem-Est comme à Hébron et dans certains villages du nord de la Cisjordanie, les enfants sont la cible du harcèlement des forces d’occupation. Ainsi, dans des villages comme Ni’lin, Qusra ou Nabi Saleh, l’armée organise parfois des descentes, au beau milieu de la nuit, afin de photographier des mineurs, parfois des enfants de 10 ans, une pratique qui, selon elle « contribue au maintien de l’ordre et de la sécurité ». Pour l’armée, en effet, cette « cartographie » sert à construire une base de données en vue d’identifications ultérieures et vise donc les mineurs en dehors de toute suspicion particulière.
ENTRAVES AUX DÉPLACEMENTS Parmi eux, 34 adolescents âgés de 12 à 13 ans, 255 de 14 à 15 ans et 546 de 16 à 17 ans. Un seul a été acquitté, tous les autres ont été condamnés. Les condamnations sont souvent obtenues sous le coup d’aveux signés sous la contrainte, après des actes de brutalité ou de torture. Le peu de droits qui leur sont accordés en tant que mineurs, lors de l’arrestation, des interrogatoires ou pendant l’incarcération (comme le droit de ne pas être emprisonné avec des adultes) ne sont parfois pas appliqués. Quoi qu’il en soit, le droit militaire israélien est en violation flagrante du droit international, qui reconnaît le cas particulier des mineurs en termes de responsabilité pénale ainsi que le fait que les conditions d’arrestation, l’interrogatoire d’incarcération peuvent porter préjudice à leur développement ultérieur, justifiant des procédures adaptées.
AGRESSIONS PHYSIQUES Les mineurs sont aussi victimes d’agressions physiques. Le 27 décembre 2011, la brigade Golani débarque à Hébron. Toutes les organisations présentes sur le terrain ont constaté, à partir de cette date, une augmentation des agressions contre la population civile en général, contre les enfants en particulier, de l’arrestation arbitraire jusqu’aux coups. À Silwan, l’armée poursuit depuis des années une politique de harcèlement des habitants, ciblant particulièrement les mineurs. Les jeunes enfants ne sont pas épargnés : en novembre 2010, Adam Mansour Rishq, un enfant de 7 ans, est battu par des soldats israéliens qui l’accusent d’avoir jeté une pierre sur une de leurs Jeeps. Un policier, témoin de la scène, n’a rien fait pour défendre l’enfant. En mars 2011, Mohammed Ashwah, un enfant de 11 ans, a révélé avoir été approché par un homme inconnu qui lui a proposé 200 shekels contre des informations sur des enfants qui jetteraient des pierres. L’enfant, effrayé, fut ensuite l’objet de menaces s’il ne collaborait pas. Une grande partie des incidents entre les colons et les Palestiniens se situent à Hébron, à Jérusalem et dans la région de Naplouse. Dans les quartiers de Silwan et de Sheikh Jarrah, les colons, soutenus par les associations d’Elad et Ateret Cohanim, ont un comportement verbalement et physiquement violent à l’encontre de leurs voisins palestiniens. En septembre 2009, un colon de Silwan tira une balle dans chacune des jambes d’un adolescent de 15 ans. Les adolescents qui gardent des troupeaux aux alentours des villages de la région de Naplouse sont régulièrement les victimes de « ratonnades » organisées depuis les colonies de la région, dont celle de Yithzar. C’est le cas du jeune Mohamed Abdelkader Ibrahim Qadous, qui a été violemment agressé par des colons, en octobre 2009 et, en mars 2010, tué d’une balle dans la poitrine par un soldat israélien. Les incidents continus avec les colons ont instauré un réel climat de terreur dans la population palestinienne, allant parfois jusqu’à pousser des familles à quitter leurs habitations et abandonner leurs terres. De leur côté, les forces israéliennes ne font strictement rien pour protéger la population palestinienne. L’impunité des colons est donc totale.
Les enfants, comme tous les autres Palestiniens, sont soumis au régime des permis pour passer le Mur. Les difficultés commencent dès leur naissance. De nombreuses femmes accouchent en effet dans des conditions inacceptables, mettant en péril leur existence ainsi que celle de leur bébé, du fait des entraves mises à leurs déplacements. Au cours des six premiers mois de l’année 2007, dans le village d’Azzun Atma, totalement encerclé par le Mur, sur 33 naissances, cinq ont eu lieu à l’extérieur de l’enclave, les futures mères préférant quitter le village avant la date prévue de l’accouchement afin d’éviter les risques de complications. Les humiliations aux points de passage n’épargnent pas non plus les enfants qui sont parfois l’objet de brutalités de la part des soldats. À Gaza comme en Cisjordanie, il arrive que des centaines d’enfants ne puissent rejoindre leurs écoles suite à la fermeture des points de passage ou à cause d’incursions de l’armée.
CONDITIONS DE VIE AGGRAVÉES À Gaza, suite à la suppression brutale des permis de travail en Israël, le chômage a fait des ravages dès le début de la seconde Intifada. Dans ces conditions, les parents doivent parfois contracter des emprunts ou vendre le peu qu’ils possèdent afin de financer la scolarité de leurs enfants. En Cisjordanie, la destruction des oliviers porte de plus gravement atteinte aux ressources des familles. Si on ajoute à cela les incursions, les bombardements, on comprend qu’il est difficile pour les enfants de se concentrer à l’école, dans des classes qui dépassent souvent la cinquantaine d’élèves. L’environnement immédiat de ces enfants est parfois directement touché lorsque les forces israéliennes détruisent le domicile familial. Ces dernières années, les démolitions de maisons sont en augmentation constante dans les différents quartiers palestiniens de Jérusalem. Le 13 février 2012, à Silwan, dans un quartier particulièrement visé par ces destructions, le Madaa Creative Center, seul centre d’animation destiné aux enfants, est détruit par les forces israéliennes. Depuis septembre 2000, 1 472 mineurs palestiniens ont trouvé la mort, assassinés par l’armée ou par des colons israéliens. Chez les autres enfants, soumis à des conditions de vie aussi extrêmes, les désordres psychologiques sont fréquents : cauchemars, énurésie, problèmes de concentration, hyperactivité, agressivité. Certains enfants ont vu des personnes se faire blesser ou se faire tuer sous leurs yeux; ils ont parfois perdu des camarades de leur âge. La plupart d’entre eux ont connu des incursions et les bombardements. L’absence totale de mesures destinées à protéger les mineurs palestiniens ainsi que l’impunité totale dont jouissent les soldats ou les colons coupables d’agressions à leur encontre est la signature d’une politique délibérée destinée à hypothéquer l’avenir de ces jeunes et donc de la société palestinienne elle-même.
palestine 20 UNE PRISONNIÈRE PALESTINIENNE
Les prisons israéliennes sont à nouveau remplies de quasiment le même nombre de Palestiniens que ceux libérés en octobre.
UNE PRISONNIÈRE PALESTINIENNE PREND LA RELÈVE
de Khader Adnan
par Myriam De Ly / Source : www.pourlapalestine.be
Alors que le prisonnier Khader Adnan en grève de la faim pendant 66 jours a finalement obtenu sa libération, prévue le 17 avril prochain, Hana Shalabi, une prisonnière palestinienne, entame à son tour une grève de la faim afin de dénoncer la détention administrative dont elle est l’objet.
ISRAËL VIOLE L’ACCORD SHALIT Hana Yahia Al-Shalabi a 29 ans. Elle est originaire du village de Burqin, près de Jénine. Elle est issue d’une famille d’agriculteurs de neuf enfants. Le 29 septembre 2005, son frère Samer a été tué par l’armée israélienne lors d’une incursion dans le village. Arrêtée une première fois le 14 septembre 2009, elle a passé deux ans dans les prisons israéliennes sans inculpation ni procès. Elle a été libérée lors de l’échange de prisonniers palestiniens contre Gilad Shalit. Mais elle a de nouveau été arrêtée et emprisonnée ce 16 février. Elle a été incarcérée dans la prison pour femmes de Hasharon. Hana a commencé une grève de la faim illimitée dès le jour de son arrestation, afin de protester contre sa nouvelle détention administrative. Elle en est aujourd’hui à son septième jour. L’avocate Shirin Iraki, qui lui a rendu visite en prison, a rapporté que la santé de Hana s’est rapidement détériorée. Elle a été placée en isolement et menacée d’être transférée à la section criminelle de la prison de Ramleh, si elle poursuivait sa grève de la faim. L’avocate a déclaré que Hana avait été battue lors de son arrestation et qu’elle avait subi des humiliations de la part des soldats et des personnes chargées de l’interroger. Hana avait déjà beaucoup souffert lors de sa précédente détention. Elle avait été victime de violences et de harcèlement sexuel, et avait été enfermée pendant tout un temps en compagnie de détenues de droit commun israéliennes. Elle avait souffert de conditions de détention très difficiles : la surpopulation, l’humidité, le manque de lumière naturelle et de normes d’hygiène suffisantes.
Cette semaine, l’armée israélienne a arrêté trois autres anciens prisonniers qui avaient été libérés lors de l’échange avec Shalit. Majday al-Ajouly, 48 ans a été arrêté, en même temps que sa femme et sa fille de 18 ans, lors d’un raid nocturne dans le village de Qaffin, près de Tulkarem. Lundi, Abdul Rahman Ischteiwi et Mahmoud Adnan Mahmoud Salim ont été arrêtés à Qalqiliya. Selon l’association de défense des prisonniers, Addameer, depuis la première libération de 477 prisonniers dans le deal Shalit le 18 octobre, l’armée israélienne a de nouveau arrêté 470 Palestiniens et « les prisons israéliennes sont à nouveau remplies de quasiment le même nombre de Palestiniens que ceux libérés en octobre ».
COMMENT SOUTENIR HANA SHALABI ? – diffuser l’info autour de vous, entre autres via les réseaux sociaux; – alerter les organisations féminines pour qu’elles prennent sa défense; – écrire au Comité international de la Croix-Rouge (jerusalem.jer@icrc.org) et d’autres organisations de droits de l’homme pour qu’ils interviennent; – organiser des rassemblements devant les ambassades israéliennes; – envoyer des fax aux responsables israéliens : le ministre de la Justice Yaakov Neeman, fax + 972 2 670 6357, au Premier ministre et ministre de la Défense Ehud Barak, fax + 972 3 691 6940 et au Commandant des Forces d’Occupation en Cisjordanie, le Général-Major, fax + 972 2 530 5724; – faire connaître, par la même occasion, la journée internationale en soutien à tous les prisonniers palestiniens le 17 avril, jour de la libération de Khader Adnan.
palestine 21 ÉVÉNEMENTS
RANDONNÉE À VÉLO DANS BRUXELLES
1er mai 2012 > Retenez dès à présent la date Pour – faire respecter le droit international par l’État d’Israël; – dénoncer la privation de liberté de circulation et l'apartheid subis par la population palestinienne; – promouvoir l’action Boycott – Désinvestissement – Sanctions (BDS); – appuyer la campagne contre Dexia. Départ à 10h au Rond-Point Schuman Arrivée à 13h à la Place Anneessens (manif FGTB) Les précisions sur le trajet suivront. Geneviève Frères 0475 533 276 – via.velo.palestina@gmail.com Pour louer un vélo 02 502 73 55 – www.provelo.org
RESTONS HUMAINS RESTIAMO UMANI
The Reading Movie d’après le livre Rester humain à Gaza de Vittorio Arrigoni
23 mars 2012 à 19h : Librairie « Les yeux gourmands » Av. Jean Volders, 64A à 1060 Bruxelles – www.lesyeuxgourmands.be
24 mars 2012, à partir de 17h : Espace Magh Rue du Poinçon 17 à 1000 Bruxelles – www.espacemagh.be Restiamo umani – The Reading Movie, hommage à Vittorio Arrigoni et au travail qu’il a réalisé, a pour objectif de réunir en une seule voix toutes les réalités associatives internationales œuvrant pour la recherche d’une solution définitive de la tragédie israélo-palestinienne. Le Reading Movie comporte les 19 chapitres du livre Rester humain à Gaza lus par 19 personnalités. Parmi elles : Huwaida Arraf, Massimo Arrigoni, Egidia Beretta Arrigoni, Stéphane Hessel, Mairead Corrigan-Maguire, Mon i Ovadia, Ilan Pappé. Les 23 et 24 mars, le Reading Movie sera présenté à Bruxelles par les réalisateurs du projet, Fulvio A.T. Renzi et Luca Incorvaia. www.restiamoumani.com
palestine 22 LIVRES/FILM
FROM PALESTINE TO ISRAEL
livres
A PHOTOGRAPHIC RECORD OF DESTRUCTION AND STATE FORMATION, 1947-1950. Ariella AZOULAY, Traduit par Charles S. Kamen, Pluto, London 2011, 255 p.
RAMALLAH DREAM, VOYAGE AU CŒUR DU MIRAGE PALESTINIEN
Benjamin BARTHE, La Découverte, 2011, 271 p. Benjamin Barthe a été correspondant du Monde à Ramallah de 2002 à 2009.
Benjamin Barthe fait ici le portrait d’une minimétropole cosmopolite, en plein boom économique, partagée entre modernité et tradition: d’un côté, les bars branchés, hôtels de luxe et résidences haut de gamme, servent de décors aux fêtes de la jet-set palestinienne; de l’autre, le souk avec son habituel « fatras d’articles [qui] déborde d’étagères en équilibre instable ». Deux mondes, deux populations, deux époques se côtoient. L’auteur nous invite « au cœur du mirage palestinien ». Il retrace les évolutions de cette ville/bantoustan depuis le départ de l’armée israélienne, fin 1995, l’installation, dans les beaux quartiers, des dirigeants de l’OLP revenus d’exil, jusqu’à la révolution néolibérale du Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, qui fait de Ramallah la
vitrine de sa politique économique. L’idée de ce dernier est de créer un « État de fait » susceptible de plaire aux capitales occidentales et aux institutions financières qui, en guise de soutien à sa « bonne gouvernance », lui versent, chaque année, des montagnes de dollars. Entre enquête et reportage, le récit de Benjamin Barthe est vivant, truffé d’anecdotes et de témoignages sur la vie quotidienne, les autorisations bloquées ou refusées, les vexations subies,… car la Cisjordanie vit toujours sous occupation israélienne et le vrai pouvoir est aux mains de l’administration civile, c’est-à-dire du ministère de la défense israélien. « Un livre à lire comme un avis de tempête ! ».
C.S.
PAS DE PANIQUE, le livre est en anglais mais les photos parlent d’elles-mêmes. Ariella Azoulay a cherché dans les archives les images qui illustrent la naissance de l’État d’Israël et la destruction qui en découle de ce qui était le lieu de vie d’un autre peuple, les Palestiniens. Ce faisant, elle s’inscrit d’emblée dans le discours antisioniste. Elle démontre clairement par l’image et ses commentaires que l’occupation est présente depuis les débuts d’Israël et pas seulement à partir de 1967. Ces photos en disent plus que les écrits. Tout y est : meurtres, humiliations, destructions, transfert et surtout planification de la disparition de la société civile palestinienne. Ariella Azoulay enseignait la philosophie politique et les arts visuels à l’Université Bar Ilan qui, en 2010, n’a pas renouvelé son mandat pour des raisons politiques. Elle dirige à l’université de Tel-Aviv le projet Photo-Lexic. Elle est, comme son mari, Adi Ofir, une militante des droits des Palestiniens : à lire sur son blog son excellent texte « Nous sommes tous des Palestiniens » (site d’information mediapart). M.B.
film
PALESTINIANS IN ISRAEL : SEGREGATION, DISCRIMINATION AND DEMOCRACY
UNE BOUTEILLE À LA MER
réalisé par : Thierry Binisti. Avec : Agathe Bonitzer, Hiam Abbass, Mahmoud Shalaby... D’après le roman de Valérie Zenatti, Une bouteille dans la mer de Gaza, L’École des Loisirs, 2005.
Ben WHITE, PlutoPress, 2011, 91 p. + 25 p. de notes et 6 p. de bibliographie (en anglais). Ben White est journaliste indépendant et écrivain, il est collaborateur du Guardian.
Le roman m’avait agacée par ses bons sentiments prétendument apolitiques, par ses inexactitudes sur la bande de Gaza. Le film, quant à lui, m’a carrément énervée. Bien sûr, on n’a pas tourné à Gaza car « on ne peut pas », dixit le dossier pédagogique, sans plus d’explication sur « qui » impose cette interdiction. Mais l’histoire, me direz-vous. Une jeune Française fraîchement arrivée en Israël, Tal, est témoin d’un attentat. Son frère va partir faire son service militaire à Gaza. Elle veut alors comprendre pourquoi et comment on peut ainsi se tuer et tuer des innocents. Elle écrit donc une lettre qu’elle demande à son frère de jeter dans la mer de Gaza. Un certain Gazaman lui répond et commence alors un long échange de mails.
Les Palestiniens, dont il est question dans ce livre, sont ceux que l’on nomme habituellement « les Palestiniens d’Israël » ou plutôt « les Arabes israéliens »; ils sont formellement « citoyens » israéliens mais ne bénéficient pas de la totalité des droits dont jouissent les citoyens juifs. Par exemple, le droit au retour est réservé aux seuls Juifs. Ces Palestiniens constituent environ 20% de la population de l’État d’Israël et sont, pour la plupart, des descendants de ceux qui n’ont pas été expulsés en 1948 ou qui ont pu entretemps rentrer chez eux, dans ce qui était devenu Israël. Ce petit livre constitue un puissant réquisitoire contre l’allégation mondialement admise « qu’Israël est la seule démocratie du Moyen Orient » : en analysant la manière dont Israël traite sa minorité palestinienne, l’auteur démontre que cet État est tout sauf une démocratie.
Les exemples ne manquent pas qui viennent étayer son propos : que ce soit dans la gestion de la propriété des terres, les déplacements de populations (les Bédouins,…), la vie dans les villages non reconnus, les démolitions de maisons,…mais aussi dans le racisme quotidien et routinier, les discriminations systématiques (relatives à l’éducation, notamment)… En prenant appui sur les textes de lois (souvent ségrégationnistes), il démontre de façon précise que, depuis sa création, l’État d’Israël a été pensé comme l’État des seuls Juifs, pour les seuls Juifs, dans lequel la « nationalité » juive est toujours privilégiée aux dépens de la « citoyenneté » des Palestiniens qui n’est jamais qu’une citoyenneté de seconde zone. C.S.
Dans ce film, les jeunes Palestiniens, leur société et leurs familles sont tous systématiquement présentés comme violents. Rien de tel du côté israélien où tout est « bien propre sur soi ».Valérie Zenatti croit et fait croire-ce qui est plus grave- que des Palestiniens ne peuvent communiquer sur internet avec des Israéliens sans risque. On a donc droit à une scène de brutalité où Gazaman est embarqué sans ménagement par des hommes à l’air très « islamiste » qui l’interrogent et le frappent. Quand l’armée israélienne bombarde Gaza (2008-2009), on évite le réalisme trop violent et on insiste seulement sur l’inquiétude de Tal. Il est vrai que le réalisateur dit clairement : « Il était essentiel que le conflit reste en arrière-plan… ». Ben, voyons… Et les acteurs ? Pour moi, peu convaincants. Même la superbe Hiam Abbas a du mal à s’imposer dans son rôle de mère. En un mot, comme en cent : un film bien-pensant qui plaira à tous les amateurs de contes naïfs. M.B.
palestine 24 XX