8 minute read

Somms et sol

Les sommeliers ont des opinions différentes sur le rôle que joue le sol dans les caractéristiques de leurs vins préférés. Nous avons demandé à trois sommeliers, originaires de différents continents et représentant des points de vue divers, de nous faire part de leur point de vue sur le sol.

Reeze Choi est le fondateur d’une société de services de sommellerie et de conseil en vin, connue sous le nom de Somm’s Philosophy. Il est titulaire du diplôme d’or de l’ASI, est un advanced sommelier de la Court of Master Sommeliers et un éducateur certifié du WSET. Reeze a terminé troisième au concours du Meilleur Sommelier du Monde 2023 de l’ASI à Paris, a été premier au concours du Meilleur Sommelier d’Asie & Océanie 2018 de l’ASI et a remporté quatre fois le titre de Meilleur Sommelier de Chine.

Romain Iltis a obtenu le titre de Meilleur Sommelier de France en 2012, et en 2015 celui de Meilleur Ouvrier de France, dans la catégorie sommellerie. Né en Alsace, il a été formé au lycée hôtelier Alexandre Dumas, à Illkirch-Graffenstaden, et a commencé sa carrière auprès du chef Alain Ducasse. Depuis 2015, il occupe le poste de chef sommelier à la Villa René Lalique, 2 étoiles Michelin à Wingen-sur-Moder.

Heather Rankin est cofondatrice et copropriétaire d’Obladee, un bar à vin qui met l’accent sur les vins naturels et durables à Halifax, en Nouvelle-Écosse, au Canada. Certifiée par l’Association Canadienne des Sommeliers Professionnels, elle est régulièrement juge pour les National Wine Awards of Canada et participe à de nombreux concours et jurys provinciaux.

ASI : Selon vous, comment le terroir s’exprime-t-il dans un vin ? Reeze Choi (RC) : C’est l’une des questions les plus délicates dans le monde du vin. En œnologie, deux opinions prévalent. Certains affirment que les vignes absorbent certains minéraux présents dans le sol et que ces minéraux déterminent le caractère du vin. L’autre opinion veut que le sol influence la façon dont les raisins poussent, ce qui à son tour façonne le caractère du vin. N’étant pas un spécialiste du vin, je ne vais pas m’étendre sur l’influence du sol sur le vin. Mais si l’on observe les nuances de caractère et de style des vins issus du même raisin et cultivés dans deux régions voisines, on peut être sûr que le sol a un impact considérable sur la façon dont un vin naît. Le Barolo et le Barbaresco se trouvent tous deux dans le nordouest de l’Italie. Les vins de ces deux régions sont produits à partir de 100 % de Nebbiolo et ont tendance à être moins influencés par le chêne. Nous savons que le Barolo et le Barbaresco ont des combinaisons de sols différentes et que cette différence contribue aux caractéristiques dissemblables de leurs vins. Le Barolo a un sol beaucoup plus ancien, d’où un vin plus structuré, tandis que le sol du Barbaresco contient plus de nutriments, ce qui donne au vin un arôme plus floral et un style plus facile et plus accessible, avec moins de tannins. Le sol peut s’exprimer de manière plus directe dans d’autres cas. Par exemple, le caractère fumé et salé du Koshu et du Carricante est dû à l’influence d’un sol volcanique ; le silex et la note de roche du Riesling cultivé sur de l’ardoise sont également présents.

Romain Iltis (RI) : J’ai la chance d’habiter en Alsace où il y a toutes sortes de sols différents, ce qui me permet de faire des comparaisons. Personnellement, je pense que le terroir s’exprime en bouche par la texture de l’acidité sur la langue. Pourquoi l’acidité est-elle importante ? Parce que l’acidité est présente pendant toute la durée de vie d’un vin. Elle est comme le squelette du vin, sa structure, et elle est présente pendant toute l’existence du vin. En outre, l’acidité est principalement responsable de l’élévation du goût du vin... c’est comme lorsque vous ajoutez un acide à une sauce, il en rehausse la salinité. Lorsque vous vous concentrez sur l’acidité d’un vin, vous vous apercevez qu’il a une texture qui reflète le sol. Par exemple, elle sera vive si les vignes sont cultivées sur du granit et tendre si elles sont cultivées sur du calcaire. Elle constitue un point commun lorsque l’on essaie des vins issus d’un même terroir, mais élaborés par des producteurs différents ou de millésimes différents.

Heather Rankin (HR) : Je pense que le sol s’exprime dans le vin à travers la réponse de la vigne à ce sol. Par exemple, une vigne vigoureuse plantée dans un sol limoneux très fertile peut produire un vin plus léger et légèrement dilué, alors qu’une vigne plantée dans un sol qui retient la chaleur, comme le granit, peut donner des raisins plus mûrs et un vin plus corsé. Je ne suis pas sûre que nous “goûtions” le calcaire (ou le gravier ou l’ardoise) dans un vin, mais nous goûtons plutôt les résultats de l’effet que le sol a eu sur les raisins et, en fin de compte, sur le vin. Le sol est très complexe et va au-delà de simples types d’argile, de sable ou de craie, par exemple. Il englobe des éléments tels que la structure, la profondeur, le pH, la température, le contenu microbien, la fertilité, etc. Toutes ces facettes se combinent pour déterminer les types de raisins qui peuvent pousser, leur qualité et l’expression ou les caractéristiques uniques que prendront ces raisins (et, en fin de compte, le vin).

ASI : Le sol est-il le principal facteur contribuant au goût du lieu ou l’un des nombreux facteurs contribuant au caractère “terroir” d’un vin ?

RC : Le sol est un facteur important pour le goût d’un lieu, certes, mais tout aussi important pour la survie de la vigne. En plus de donner certaines caractéristiques au vin, le type de sol détermine également si la culture de la vigne est possible dans certains climats plus rudes. Par exemple, l’ardoise de la Moselle retient et libère la chaleur pendant les nuits froides pour permettre la maturation ; la craie aide à retenir l’eau dans les régions plus sèches comme la Champagne ; un sol mieux drainé, comme le gravier, facilite la concentration du vin dans le Médoc.

RI : Le sol est important, mais ce n’est pas le seul facteur. Le climat, c’est-àdire la quantité de pluie et de soleil, est tout aussi important car il définit le potentiel agronomique de la vigne. Le viticulteur joue également un rôle important dans ce jeu. Il est le chef d’orchestre tandis que le raisin est l’instrument de musique. C’est à lui de décider quel raisin il va planter, de déterminer le niveau de maturité auquel il va récolter, la maturation du vin et bien d’autres choses encore. Toutes ces décisions leur permettent d’exprimer le terroir. Un vigneron m’a dit un jour que les choix faits par le vigneron ne changeaient pas le sol, mais son expression dans le vin.

HR : Le sol n’est qu’un élément de l’environnement naturel dans lequel un vin est produit. La topographie et le climat sont également des éléments clés qui contribuent au sentiment d’appartenance d’un vin. Ces trois éléments travaillent souvent ensemble (plutôt qu’indépendamment) pour soutenir la vigne et transmettre le terroir. Par exemple, les célèbres sols ardoisiers de la Moselle sont connus pour leur excellent drainage et leur capacité à retenir la chaleur - deux éléments essentiels pour un Riesling de haut niveau, mais les sols seuls ne garantissent pas le succès de la vigne ou la capacité du vin à exprimer le terroir. Les vignobles en pente raide de la région placent les vignes dans une position optimale pour une exposition maximale au soleil, et la proximité de la rivière apporte une lumière réfléchie supplémentaire ainsi qu’un climat tempéré. Ces trois éléments - sol, topographie, climatcontribuent à l’expression du terroir du vin.

ASI : Quel est le rôle de la méthode de production ? L’influence du sol et du terroir ne peut-elle être exprimée que par des méthodes naturelles ou les vins conventionnels peuvent-ils également exprimer le caractère du sol et du terroir ?

RC : À mon avis, “exprimer le caractère du sol” et “exprimer le terroir” sont deux choses différentes. Si le terroir est défini par le climat, le sol, la topographie - des caractéristiques de l’environnement naturel -, je considère que l’intervention humaine est également un facteur important. La façon dont les hommes cultivent le sol a également une incidence sur le terroir. Ainsi, le terroir ne reflète pas seulement les caractéristiques du sol en soi, mais aussi la culture. Certains vins conventionnels bien connus l’illustrent bien : par exemple, les arômes “classiques” de Bordeaux sont plus marqués dans les vins conventionnels que dans les vins naturels. En ce sens, on peut dire que les vins conventionnels expriment encore mieux le terroir. Je pense que les méthodes naturelles et les vins conventionnels représentent des philosophies différentes de la nature et de la culture, et donc des manières différentes de présenter les caractéristiques du sol et du terroir. Pour le sommelier que je suis, la méthode de production importe moins que la qualité gustative du vin. RI : Il est difficile de donner un avis tranché. Certains vins conventionnels sont merveilleux, ils expriment vraiment le terroir, mais la plupart du temps ils ont besoin de vieillir pour que le terroir se révèle. Cela dit, je pense que l’on a une expression moins filtrée du terroir quand on utilise des méthodes bio ou biodynamiques.

HR : Je pense qu’il est généralement admis que l’agriculture conventionnelle et non durable limite la capacité du sol à se régénérer et à rester en bonne santé au fil du temps. Je ne pense pas qu’il soit exagéré de suggérer qu’un sol moins sain aurait plus de mal à soutenir la vigne et que le vin aurait plus de mal à exprimer le caractère du terroir. Les méthodes d’agriculture durable qui favorisent la santé microbienne des sols sont susceptibles de mieux soutenir la vigne et, de la même manière, de permettre une expression plus claire du terroir. Dans le chai, on pourrait affirmer qu’un vin fermenté avec des levures indigènes provenant de l’environnement local exprime mieux le terroir qu’un vin fermenté avec des levures cultivées, et que tout ce qui est ajouté (ou enlevé) au vin peut “masquer” ou déformer le caractère original du terroir. Mais les méthodes naturelles ne garantissent pas l’expression du terroir. Si le vin est trop volatil ou trop oxydé (par exemple), l’expression du terroir peut également être bloquée. En général, je pense qu’un vin fait intentionnellement et avec soin par un entraîneur compétent intéressé par la communication du terroir est ce qui est important - plutôt que de savoir si le vin a été fait complètement “naturellement” ou non.

ASI : Avez-vous un sol préféré ou une combinaison de sol et de cépage préférée ?

RC : J’ai découvert que j’aimais beaucoup la sensation que le sol calcaire donne à certains vins blancs. Il confère aux vins, en particulier à ceux qui sont produits dans le cadre d’une vinification réductrice, un joli ton rocailleux, fumé et savoureux. Le Domaine Follin-Arbelet, Corton Clos Blanche 2014 et le Domaine Leflaive Bourgogne Blanc 2004 sont deux des vins qui illustrent le mieux ces caractéristiques et que j’ai appréciés récemment.

RI : J’avoue que j’aime le riesling cultivé sur un sol gréseux. C’est une combinaison qui apporte de la linéarité, une pureté d’acidité et une texture granuleuse qui se traduit plus par une expression dans les gencives qu’au nez. Je trouve aussi qu’il apporte un caractère salin en fin de bouche et des arômes de pierre chaude. En ce qui concerne les vins rouges, j’aime le grenache cultivé sur un sol schisteux. Le schiste apporte au vin des tanins raffinés, une texture veloutée, de la fraîcheur, mais avec un caractère brûlé en fin de bouche. Un accord parfait avec les viandes rôties.

HR : Le Teroldego, cultivé sur les contreforts des Dolomites dans la région alpine du Trentin HautAdige, à l’extrême nord de l’Italie, est l’un de mes préférés. Le sol est une composition unique de dolomite (carbonate de calcium et de magnésium, également connu sous le nom de calcaire magnésien) qui donne aux montagnes une couleur rose-corail cristalline qui réfracte la lumière du soleil sur les vignes. Le Teroldego est originaire de la région du Trentin et est apparenté à la Syrah. Comme la Syrah, il est très coloré, avec des tanins fermes, une acidité vive, et des arômes de mûre, de poivre et de terre. Ces vins sont d’une intensité et d’une fraîcheur peu communes, probablement dues à la combinaison unique du sol, de l’altitude et du climat de la région.

This article is from: