Hors série #4 - saison 5 - Mars 2014

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Le magazine des Blogtrotteurs

Sciences Po Rennes

Hors SĂŠrie GRATUIT

Saison 5


Bibliothèque

À VOUS DE JOUER !

Illustrations du cycle : médiapilote

DE JANVIER À MAI 2014

WWW.LESCHAMPSLIBRES.FR


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l était une fois près de deux cent jeunes gens avides de dépaysement. Un beau jour, ils partirent s’exiler pour une année dans les contrées lointaines d’Orient et des Amériques et dans celles, plus proches mais non moins exotiques, du Vieux Continent. Bravant tous les climats, allant par monts et par vaux et mettant bien des fois leurs estomacs à l’épreuve de mets nouveaux, ils firent au long de leurs périples des rencontres extraordinaires. Qui oserait s’aventurer seul, par exemple, dans les cimetières hantés de Valparaíso? C’est le genre d’aventure qui vaut la peine d’être vécue, mais qu’on préfère expérimenter bien entouré ! Tout comme les héros ont besoin de compagnons de route, nous avons nous-mêmes besoin de héros. Ainsi, après le passage du cyclone Haiyan qui a bouleversé les Philippines en Novembre 2013, c’est le boxeur Pacman qui a redonné l’espoir et l’envie de se battre aux Philippins. Au Royaume-Uni, loin des situations d’urgence humanitaire, le célèbre Doctor Who fait vibrer les Britanniques depuis cinquante ans maintenant! Enfants, nous avons été berçés par bien des contes, du plus effrayant (les Trois petits cochons, évidemment) au plus réconfortant : celui du rondouillet vêtu de rouge, grand-père éternel et bienveillant. Qui aurait pu imaginer qu’aujourd’hui en Scandinavie, les Pères Noël en mal de monopole s’envoient des noms d’oiseaux tout en distribuant leurs cadeaux ? Sans aller jusqu’à dire qu’un mythe s’effondre (ils restent le Père Noël, tout de même), c’est peut-être à une part de notre enfance que l’aventure nous contraint de dire adieu. Dans des contrées plus chaudes et à un océan de là, les histoires d’une famille franco-argentine n’ont pas fini de se raconter et de s’écrire, laissant rêveuses les dernières générations qui remontent patiemment l’arbre généalogique et ses multiples ramifications.

EDITO L’histoire ne dit pas si nos héros eurent beaucoup d’enfants, cela viendra peutêtre... Nul doute en tout cas qu’ils vécurent très heureux. Nous vous souhaitons, au nom des Décloîtrés, une merveilleuse lecture et, à vous aussi, de très belles histoires !

À Décloîtrés aussi, on vit de belles histoires ! Tandis que les membres de l’équipe expatriée accumulent aventures et anecdotes rapportées des quatre coins du globe par tous nos auteurs, l’équipe rennaise lance des passerelles vers de nouvelles terres : pour ce nouveau numéro, nous faisons route avec des étudiants graphistes de LISAA – merci à eux !

Delphine Laurore Alice Quistrebert Rédactrices en chef

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Décloitrés #4

à la loupe

SOMMAIRE

p. 5 ¿ Querés bailar ? p. 7 Quand le Gulâbî Gang passe

à l’action p. 10 Petite philosophie du voyage p. 12 Love stories contrariées à Belfast p. 15 Quand le retour pèse p. 17 La corrida portugaise à cheval sur l’histoire

VIS MA VIlle p. 21 Seattle, cité pluvieuse, cité heureuse p. 23 Une bière s’il vous plaît ! p. 25 Un soir dans les quartiers est de Londres p. 27 Kronik d’une journée francophone à Istanbul

dossier p. 32 La guerre des pères Noël p. 34 Atatürk 4EVER p. 36 Les amants de l’AASEE p. 38 Écoutez les cimetières chuchotent

insolite

des histoires

p. 40 Doctor…qui ? p. 42 Mes racines au bout du monde p. 44 Edimbourg, ses fantômes et moi 2

p. 57 Mingas. Les maisons ambulantes de Chiloé

p. 59 Voyage en платзкарт


PORTRAITS p. 63 Mon maire, ce toxico p. 65 Ali Abou Ouissam, dernier

luthier de Palestine p. 68 Pacman, la fierté d’un peuple p. 70 Toronto, carrefour du monde

KESAKO p. 75 Kesako p. 76 Inch’allah

RECETTE p. 73 Chimichurri

À

l’ occasion de la réalisation de ce nouveau numéro des Décloîtrés, nous avons travaillé avec les étudiants de dernière année en graphisme de l’Institut Supérieur des Arts Appliqués de Rennes. Par binôme, ils ont proposé des maquettes originales et créatives autour des valeurs qui font l’esprit des Décloîtrés : ouverture, curiosité, originalité. L’équipe du magazine a, après délibération, choisi le travail d’Aude Rouaux et de Jordan Le Cointre qui ont ensuite assuré tout le travail graphique du numéro que vous avez entre les mains. Nous sommes fiers de vous présenter le fruit de ce projet 100% étudiant et d’avoir pu créer un pont entre nos deux écoles – Sciences Po Rennes et LISAA Rennes. Une collaboration riche qui ne demande qu’à être renouvelée !


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Maxime Jaglin Buenos Aires Argentine

En Argentine, la danse est le reflet artistique d’une culture hybride, aux accents divers et aux influences multiples. Des villas miserias (bidonvilles) aux dancefloors les plus branchés, le pays entier renoue à travers elle avec une part de son histoire et de sa tradition. Le tango : une histoire argentine Fin XIXe, dans l'estuaire du Rio de La Plata, l’immigration bat son plein. Les ports de Buenos Aires et de Montevideo, Eldorados des temps modernes, ont des faux airs de Tour de Babel. C'est dans les bordels des quartiers populaires que naît à cette époque le tango, une danse de couple inspirée à la fois des danses africaines et des danses de salon européennes singées par les marins et les dockers. Le terme « tango » est né au sein de la communauté noire issue de l'esclavage et désignait à l'origine le lieu dans lequel étaient parqués les esclaves avant d'être embarqués sur les bateaux. De la danse tribale à la danse de salon, le tango suit une évolution chaotique. Il sort progressivement des ports pour envahir les rues, au rythme de l'expansion urbaine. Perçu à ses origines comme étant la danse des pauvres, le tango souffre d'une mauvaise réputation dans les quartiers huppés de la capitale. Mais la jeune élite argentine expatriée de l'autre côté de l’Atlantique y trouve rapidement le moyen de dévergonder une bourgeoisie parisienne en quête d'exotisme. Par mimétisme social, le tango revient plus tard en Argentine pour y acquérir, enfin, ses lettres de noblesse.

Le Maradona du tango, c'est Carlos Gardel. Il a été le premier à le chanter et reste aujourd'hui le personnage mythique de l'âge d'or du tango porteño (de Buenos Aires). L'homme au chapeau a fait entrer l'art dans une nouvelle ère, devenant la figure de proue d'une musique connue internationalement. L'arrivée au pouvoir des militaires plongea le tango, comme toute forme d'expression culturelle ou artistique, dans un état de mort cérébrale. Si le bruit des bottes est parvenu un temps à mater celui des talons, le silence radio du tango prend fin dans les années 90, au moment où la jeunesse argentine se le réapproprie dans une optique de revalorisation de la culture nationale.

Derrière la carte postale, l'Argentine danse toujours ! Le tango a pris une nouvelle dimension au début des années 2000 en entrant dans l'ère de la musique électronique. Il est aujourd'hui tendance, à la fois vintage et futuriste, on ne sait plus ! Assurément vitrine de l'Argentine, il est cependant loin d'être une simple attraction à touristes. Aujourd'hui, le pays tout entier vit de nouveau au rythme du tango. Les milongas (lieux où l’on se retrouve pour danser le tango) sont devenus des lieux d'une intense activité culturelle et artistique où se côtoient de jour comme de nuit toutes les générations et toutes les classes sociales. On y cultive la tradition : les plus belles tenues sont de sortie et les bouteilles de Malbec de Mendoza, un vin argentin, se sirotent jusqu'au petit matin en regardant les chaussures de bal frôler le parquet. Mais refermez la porte de la milonga, et vous verrez que le tango continuera de vous suivre. Il est aujourd’hui redevenu populaire : on l’aperçoit au coin de la rue, derrière la vitrine d'un bar de quartier ou à travers la fenêtre de l'appartement du papi de l'étage d'en-dessous. ►

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► Partie intégrante de la culture urbaine, il pose sa marque colorée sur tous les murs de la ville, car le tango en Argentine se vit en son comme en image. À la fois intimiste dans les milongas des quartiers de San Telmo ou de Recoleta, il s'exporte et se commercialise sans pour autant se vider de son sens. Le tango, à travers ses codes comme le cabeceo (la manière d'inviter à danser par un discret jeu de regard), évoque le charme, la séduction et le raffinement qui font toute la fierté des Argentins. Il est à l'image de la société argentine : si c'est bien l'homme qui mène, la femme ne joue pas les seconds rôles.

Le tango n’est pas seul ... Clemenceau ne voyait dans le tango « que des figures qui s'ennuient et des derrières qui s'amusent ». Pourtant les sceptiques peu amateurs de tango n'ont qu'à ouvrir les yeux : la danse est reine en Argentine ! Elle est partout, à toute heure : du boliche (boîte de nuit) de quartier un peu sale qui jette son stroboscope sur une jeunesse bougeant au rythme de la Cumbia et du Reggaetón, au salon des papys et mamies qui profitent de la mi-temps du match de River Plate pour retrouver une seconde jeunesse, il y a un monde… et pourtant ! Si chaque Argentin a sa danse favorite, les danses folkloriques d'origine indigène font aujourd'hui tourner toutes les têtes, notamment lors des ferias (fêtes populaires). C'est alors l'Argentine qui descend dans la rue pour discuter, manger quelques empanadas (feuilletés locaux), partager un maté (infusion traditionnelle)… et danser ! La danse et la musique sont au cœur de la transmission de la culture du pays et de la défense de sa diversité. Chacarera, Zamba, Gato, Cielito ou Carnavalito sont autant de danses folkloriques qui participent à l'intégration culturelle (tardive et toujours partielle) des populations indiennes minoritaires longtemps marginalisées. Le folklore a également permis une revalorisation des populations gauchos, éleveurs vivant dans l'intérieur du pays, longtemps exclus d'un pays au développement ultra-centralisateur.

Danser pour dénoncer Mais au delà de la défense d'une société aux identités multiples, danser en Argentine est devenu un acte politique. Après des années sombres où toute manifestation ou regroupement spontané de personnes était réprimé dans la violence, danser dans la rue est aujourd'hui le moyen de défendre une liberté retrouvée. La culture n'est plus une cible, mais une arme politique et sociale et le folklore argentin se fait la voix d'une population exclue et confrontée à la pauvreté. Les paroles des chansons évoquent la révolte, la faim, la misère, la violence, mais se dansent dans une effusion de joie et de couleurs.

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La musique s'écoute aujourd'hui en continu et remplace le silence. Vivre en Argentine, c'est se rendre compte que les casseroles accompagnent toujours les manifestations, que les clameurs résonnent plus que jamais aux stades Monumental ou de la Bombonera, que les voix fébriles des mères de la Plaza de Mayo font toujours trembler les murs du pouvoir de la Casa Rosada. Le bandoneon, la guitare, la flûte ou les tambours résonnent en écho dans un pays où l'on danse sa joie comme sa colère, et où faire du bruit sert à ne pas oublier le vieux refrain : « ¡ El pueblo no se va ! » (Le peuple restera).


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Sarah Masson Delhi Inde

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ais contrairement aux caricatures qu'on a pu faire des femmes de ce gang, elles ne détestent pas les hommes et ne s'amusent pas à les frapper sans raison. « Nous ne sommes pas contre les hommes. Nous sommes pour l'égalité des droits pour tout le monde et contre ceux qui la refusent » précise Sampat Pal. Cela ne les empêche tout de même pas d'avoir des positions radicales concernant par exemple la punition à infliger aux violeurs : la castration chimique.

Quand la lutte pour l'égalité des sexes rejoint la lutte des castes Les femmes qui appartiennent aux basses castes, voire au groupe des Intouchables, sont particulièrement touchées par les violences sexuelles, souvent commises par des hommes brahmanes, les membres de la plus haute caste indienne. Le Gulabi Gang s'est donc rapidement donné un autre objectif : celui de la défense de tous les opprimés, aussi bien des femmes et ce, quelle que soit leur caste, que les hommes des castes jugées inférieures. La lutte des castes recoupe ainsi leur combat pour l'égalité des genres, dans un objectif de justice sociale pour toutes et tous. C'est ainsi que le gang attire la sympathie d'un nombre croissant d'hommes, qui acceptent leur combat féministe tout en leur demandant de l'aide en cas d'injustice subie en tant qu'opprimés.

Fondé en 2006 par Sampat Pal, le Gulabi Gang, aussi nommé le Gang des Saris roses, regroupe aujourd'hui près de 20 000 femmes du district de Banda, dans l'Uttar Pradesh - situé au nord-est de l'Inde - s'unissant pour le respect et la justice. Dans un contexte de pauvreté généralisée, de mépris traditionnel des femmes et de quasi-ségrégation selon le critère de caste, l'objectif fondateur du gang est l'élargissement des droits des femmes. Cette volonté d'égalité et de justice a émergé spontanément chez Sampat Pal qui depuis son plus jeune âge, se bat contre les privilèges accordés aux hommes.

Faire justice quand la justice n'agit pas Si leur objectif d'égalité suffit à faire la légitimité des femmes de ce gang, ce sont leurs moyens d'action qui ont fait leur renommée. Elles sont connues pour leur vêtement, un sari rose, et surtout pour leur bâton de berger en bambou – le lathi – qu'elles utilisent contre ceux qui refusent de les écouter ou qui rechignent à obéir à leurs demandes de justice. ►

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contre des lois établies. En 2008, il a pris d'assaut une usine d'approvisionnement d'électricité pour obliger les fonctionnaires à remettre le courant dans les foyers, alors qu'ils l'avaient coupé pour le monnayer contre des pots-de-vin et des faveurs sexuelles. Une heure plus tard, l'électricité était revenue dans le village.

Des actions peu appréciées par les groupes dont les intérêts sont menacés Cette forme de justice, que l'on peut qualifier de privée, fait débat. Au niveau local, la plupart des fonctionnaires ne portent pas le Gulabi Gang dans leur cœur et font tout pour empêcher le succès de leurs actions. Ils ont même mis en péril la pérennité du groupe en l'accusant de financer les naxalites, la guérilla maoïste que le gouvernement indien qualifie de première menace terroriste intérieure. Les policiers ont, de leur côté, multiplié les attaques en justice contre certaines membres du groupe, et en particulier contre Sampat Pal. Cette dernière est d'ailleurs accusée de rassemblements illégaux, de dégâts matériels ou encore d'attaque à l'encontre d'un employé du gouvernement. Mais les pires détracteurs de Sampat Pal appartiennent à la société civile. Certaines ONG locales l'ont accusée de corruption et d'exploitation des pauvres, car Sampat Pal fait payer une dizaine de roupies (soit quelques dizaines de centimes d'euro) l'entrée dans le groupe aux nouvelles recrues. Sa belle-famille a même payé des tueurs à gages pour en finir avec sa désobéissance.

Une justice vengeresse ? ► Avant d'avoir recours à ce bâton, le Gulabi Gang essaie d'entrer dans le système de la justice publique, leur but premier restant de gagner l'attention des fonctionnaires afin de promouvoir un changement. Ainsi, pour chaque problème, elles vont d'abord s'adresser à l'administration et la police locales pour leur demander d'intervenir, aussi bien dans des affaires familiales que dans des affaires professionnelles. Face à une administration et une police corrompues et indifférentes aux pauvres, les femmes du Gulabi Gang doivent s'unir pour régler les litiges à leur manière. Quand il s'agit de différends ou de violences entre un mari et sa femme, le Gulabi Gang va voir le mari pour débattre de la situation. S'il refuse de coopérer, les femmes du gang lui infligent soit une humiliation publique, en criant dans le village ce qu'il fait à sa femme, soit des coups de bâtons. « Au final, nous n'utilisons que rarement notre bâton car il suffit de le sortir pour faire peur aux hommes » selon Kowsalya, membre du groupe depuis deux ans. En agissant de la sorte, le gang a réussi à réintégrer dans leurs familles onze femmes qui avaient été jetées dehors par leurs belles-mères en raison de leurs dots insuffisantes. Quand le gang combat la corruption de l'administration, il n'hésite pas à aller à l'en8

Plus largement, les modes d'action du groupe sont en tension entre l'exigence de réponse à la violence subie par les opprimés - une sorte de légitime défense - et le recours discutable, autant en termes de légitimité que d'efficacité, à la violence, voire à la vengeance. Cette tension n'enlève toutefois rien au travail accompli par le Gulabi Gang, à savoir la mise en lumière des violences faites aux femmes et la prise de conscience, chez les femmes ainsi que chez une partie des hommes, de l'existence légitime de droits pour les femmes. Dans les autres régions où les femmes ne sont pas unies, elles intériorisent les pressions qu'elles subissent de la part de la société, ce qui les mène parfois au suicide.

De la force de l'action directe à celle des votes Alors que plusieurs partis politiques ont tenté d'approcher Sampat Pal, elle a décidé de se présenter indépendamment aux élections locales dès 2007, sans grand succès puisqu'elle n'a recueilli que 2800 votes. Ce score a souligné la difficulté de convaincre les habitants, et même les membres du gang, à voter sans considération de religion ou de caste. En octobre 2010, la situation politique du Gulabi Gang s'est améliorée puisque 21 membres du gang ont gagné les élections panchayat, l'équivalent des élections municipales françaises. Grâce à ces postes, les membres du gang ont


pu impulser la construction de routes locales, assurer l'approvisionnement en eau potable, et enfin mettre en œuvre des programmes de développement pour l'agriculture. Sampat Pal espère que ce dernier succès aux élections marque le début d'un avenir politique pour le gang, ce qui légitimerait démocratiquement son existence et ses actions. En attendant les potentiels postes électoraux, le Gulabi Gang entraîne ses militantes à se battre avec un lathi, donne des cours aux petites filles et montre aux femmes comment être économiquement indépendantes. Dans tous les cas, Sampat Pal assure qu'elle « ne restera pas tranquille tant que les choses ne se seront pas améliorées pour les femmes de la région ».


Décloitrés #4

Claudia Romero Toluca Mexique

Cet article a été écrit par Claudia, étudiante en échange dans le cloître rennais il y a quelques années. Sa vision unique du voyage, riche d'enseignements, a été l'occasion pour elle de reprendre contact avec les Décloîtrés. Parce que d'où qu'on vienne et où qu'on aille, une partie de nous reste attachée à chaque lieu connu... Vous en trouverez une version plus longue sur le site http://decloitres.fr

C

’est bien la curiosité du voyageur, et non la distance parcourue, qui fait le voyage. C´est pourquoi ceux qui, leur passeport à la main, descendent du bateau, du train ou de l’avion, ne voyagent pas forcément. La plupart des agences de transport devraient d’ailleurs se présenter comme telles, et pas comme des agences de voyage, car tout corps en mouvement ne voyage pas. Voyage, celui qui, devant les vitrines des Champs Elysées, sous la cloche de Westminster, ou au bord des chutes du Niagara, même au bout de la treizième rue, se permet d'expérimenter des rencontres mémorables.

Parler du voyage n’a rien de nouveau. Pour des centaines de cultures à travers les âges, voyager a toujours été une façon de s´aventurer vers l’inconnu. Cela consiste à explorer, à découvrir, à emprunter des voies nouvelles. La dynamique a été à tel point répétée et décrite que tout passant, n'importe quel passant à qui on le demanderait, serait capable d´énumérer les pré-requis basiques du voyage. Rocío, par exemple, affirme que pour voyager il faut fixer un point de départ et un point d´arrivée, puis établir un itinéraire – ou au moins essayer – et choisir son équipage. Puis, on construit sa voie en avançant. Certains affirmeront que pour voyager il faut avoir une destination préétablie, alors que d’autres pensent que voyager consiste précisément à ne pas savoir où l’on va, à s’abandonner à l'inconnu. Mais quoi qu’il en soit, il convient d’établir un distinguo entre la destination et les péripéties auxquelles on est confronté pour l'atteindre. Quelle que soit la destination, lorsqu’on voyage on expérimente toujours la séparation et on bouscule les frontières. On débute un voyage tel que l’on est ou du moins tel que l’on croit être, avec nos préjugés et nos a priori. On emporte aussi ce que Saint Exupery nommait « l´invisible ». On voyage avec nos expériences, vers l’avenir.

Aller à la rencontre des autres et de soi-même Voyager permet la rencontre. Peut-être l´exemple le plus évident se trouve-t-il dans la langue. Ceux qui s´enchaînent à leur langue maternelle se privent de la richesse de s’exprimer avec tous les sons possibles, de composer en fa mineur et d’être capable de s’endormir chez soi et de se réveiller à l´autre bout du monde. Et qui sait, si avec les sons « ch », « ts, « je », « no », « ag » on ne dit pas « merci », « très malade » ou « à bientôt », autant d'expressions utiles pour tisser des liens ! Le voyage est le fait de se rencontrer. C´est la recherche d´une compréhension partagée dans un processus où chacun apprend de l’autre. En ce sens,

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chaque mot appris est un nouveau voyage et chaque nouvelle personne est un voyage potentiel. Certains affirmeront que le voyageur solitaire est celui qui ira le plus loin et de là nous prétendons pouvoir voyager seuls, alors que ceux qui nous aiment ne nous quittent jamais. Si bien que quand la décision de voyager est prise, la personne concernée n’est plus la même qu'une minute auparavant. Une partie de notre être demeure à chaque endroit qu’elle a effleuré tandis que l´autre n'est jamais réellement partie. Le touriste routinier recherche l'identité dans les similitudes et rejette ce qui n'a pas sa place dans le schéma de ses connaissances. C´est pour ça que parfois, emprisonné dans un faux sentiment de proximité, malgré avoir tant transité, il ne voyage pas. Au final, voyager est un verbe rendu vivant uniquement par la volonté du voyageur, car le voyage n’est rien sans ses choix. Il existe différentes manières d´interpréter le voyage. Dès lors, il ne peut y avoir de métaphore unique, car elle dépend de chaque voyageur.

Sortir de sa « zone de confort » Pour ceux qui cherchent à s’échapper du confort du quotidien, le style de vie nomade imposé par le voyage est tout à fait attrayant. Cependant, la philosophie du voyage comme absence totale d'attaches peut être illusoire car on peut finir par s’attacher au voyage et ne jamais s’arrêter de bouger. Pourtant, vivre sous le diktat du voyager a ses risques. Il faut savoir quand voyager et il faut savoir pourquoi l'on voyage : afin de ne pas finir « like a complete unknown, like a rolling stone » pour reprendre Bob Dylan. Comme un inconnu, sans attache… Ne nous laissons pas persuader que voyager est une tâche facile. On ne voyage que quand on apprend à juger les actes et non plus les personnes. D’un autre côté, le voyage est une affaire simple – on peut voyager assis – vu que la seule chose nécessaire pour l'entreprendre est en nous-mêmes. Chaque nouveau voyage est une petite révolution personnelle qui requiert adaptation, patience, et habileté pour pouvoir dire "je crois " plutôt que « je sais ». Il revient à chacun de reconnaître les limites du voyage et d'aider les autres pour qu'ils puissent voyager, tout en leur reconnaissant, comme à soi-même, la capacité d’être perfectible…« Nimitsnekilia kuajli xuiya* », je te souhaite un bon voyage ! *Traduit du náhuatl, une langue aztèque encore parlée au Mexique et en Amérique centrale.)

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Décloitrés #4

Alessandra Le Roux Belfast Irlande du Nord

Ce titre pourrait être celui d’une mauvaise comédie romantique qu’on regarde un jour de pluie : une femme rencontre un homme, ils tombent amoureux et finissent par se marier après quelques aventures plus ou moins drôles. Un classique ? Pas forcément. Imaginez que cette femme soit catholique, que cet homme soit protestant, et que l’histoire se déroule à Belfast. Voici que la comédie romantique se transforme en film politique, sur fond de conflit communautaire. Irlande du Nord : les conséquences de la division communautaire En 1921, l’Irlande obtient son indépendance et l’île est divisée en deux : au sud la République d’Irlande, historiquement catholique, au nord le Royaume-Uni, à majorité protestante. En Irlande du Nord, les communautés catholique et protestante s’affrontent durant de longues décennies (notamment entre 1960 et 1998, période des troubles) jusqu’à la signature en 1998 du « Good Friday Agreement ». Par cet accord, la République d’Irlande abandonne toute revendication territoriale sur le Nord, des institutions de coopération sont créées et le processus de désarmement des groupes paramilitaires est engagé. Si la paix s’installe dans la région entre les quelques 48% de protestants et 43% de catholiques, les divisions communautaires et la ségrégation persistent : de nombreux quartiers abritent plus de 90% de ménages issus d’une même communauté, et les écoles protestantes ou catholiques empêchent la mixité sociale et reproduisent ce schéma sur les générations suivantes.

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Mais les divisions ne sont pas uniquement religieuses. Si en 2001, 86% de la population d’Irlande du Nord revendiquait une affiliation religieuse, la foi n’est pas la raison principale de l’appartenance à une religion. Pour beaucoup, le principal avantage d’être catholique, c’est de ne pas être protestant. La différence ne se trouve pas dans les croyances ou dans les pratiques religieuses, mais dans ce que ces mots impliquent historiquement, politiquement et culturellement. La phrase « Je suis catholique» en Irlande du Nord n’a pas la même signification qu’en France. Il faut entendre les mots qu’on ne dit pas : « je suis Irlandais et nationaliste». Parallèlement « je suis protestant » doit se comprendre comme une appartenance à la communauté protestante, unioniste et britannique. Cette vision binaire est évidemment à nuancer de plus en plus, mais reste la grille d’analyse majoritaire en Irlande du Nord.

Coup de foudre à Belfast Important lieu d’affrontements lors des troubles, Belfast est aujourd’hui, grâce au développement de son centre ville et à son université, un lieu de socialisation possible entre les deux communautés. De nombreux couples mixtes se sont formés à la Queen’s University lors des premières années d’indépendance des étudiants, à l’abri de toute influence familiale. Le nombre de mariages mixtes célébrés en Irlande du Nord est estimé à 10% du nombre total de mariages. Il n’y a pas d’obligation légale de déclarer un mariage comme « mixte », c’est pourquoi il n’existe pas de données précises, de même qu’on ignore le nombre de couples mixtes non-mariés. Cette estimation et l’existence même du terme mariage mixte « mixed marriage » (terme controversé car perçu négativement par certains couples mixtes) est symptomatique de la profonde division communautaire. Créée en 1974, l’association NIMMA (Northern Ireland Mixed Marriage Association) aide ces couples à surmonter ces divisions et agit directement auprès des églises. Les couples mixtes peuvent trouver sur internet ou sur les


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brochures de l’association une quantité très importante d’informations concernant le mariage, les familles, le baptême et la scolarisation des enfants, le choix du lieu de vie… Un guide de 45 pages publié par l’association donne une idée de la complexité d’un tel mariage et remet en perspective les disputes quotidiennes pour savoir qui n’a pas racheté de jus d’orange.

David et Nuala

Cheesecake ou apple pie ? L’heure des (vrais) choix

Nuala : David était en vacances avec sa famille, moi avec une amie de l’université. Nous avons fait connaissance au village vacances et échangé nos numéros de téléphone avant de rentrer à Belfast.

Malheureusement, le choix du gâteau de mariage ne sera pas le plus difficile pour un couple mixte, car des décisions plus importantes sont à prendre concernant la célébration du mariage et l’éducation des enfants. Traditionnellement en Irlande, le mariage est célébré dans l’église de la femme. De plus en plus, notamment grâce à l’action d’associations comme NIMMA, un pasteur de l’église du futur époux peut assister à la cérémonie et y participer par une prière. On pourrait penser que pour éviter de reproduire le schéma communautaire les couples mixtes choisissent de ne pas baptiser leurs enfants. Mais la religion étant un facteur d’identité, ne pas être baptisé peut être source de problèmes, à commencer par l’inscription dans une école catholique ou protestante. Bien qu’il existe des écoles mixtes, elles sont très peu nombreuses et difficiles d’accès ; seuls 5% des écoliers d’Irlande du Nord y sont scolarisés. Un enfant non-baptisé peut être perçu par les autres élèves d’une école religieuse comme appartenant à l’autre communauté.

Mariage mixte : une voie vers la réconciliation ? Responsable du développement de l’association NIMMA depuis 5 ans, Paul McLaughlin a fréquenté et aidé de nombreux couples mixtes, notamment à l’occasion de l’écriture du livre « Mixed emotions », recueil de témoignages de ces couples. Il a assisté à des discussions, des disputes et surtout à l’élaboration de compromis, élément important pour qu’un couple fonctionne, fondamental dans le cas d’un couple mixte. De son expérience, il retient l’importance de la communication au sein de ces couples : « Si certains de nos politiciens ou de nos leaders communautaires pouvaient suivre cet exemple avant de réagir aux événements de façon démesurée, si de chaque côté ils pouvaient commencer par s’asseoir et parler, ils découvriraient qu’ils ont bien plus d’intérêts en commun que de sujets de divisions ».

Elle étudie le français et le commerce, il termine le lycée. Elle vit au Nord de Belfast, lui au Sud. Elle est catholique, il est protestant. Ils sont aujourd’hui mariés et ont quatre enfants.

« The Holiday »

David : Nous nous sommes rencontrés pendant des vacances en Espagne en 1987. Cela peut sembler être une incroyable coïncidence pour deux habitants de Belfast de se rencontrer pendant des vacances au soleil. En réalité nous ne nous serions probablement jamais rencontrés dans notre ville : je vivais au sud de la ville, Nuala au nord.

« Love Actually » N : De retour à Belfast, David me téléphone et nous sortons rapidement ensemble. Je suis déjà à Queen’s University, il est en dernière année de lycée. Tout de suite nous savons que nous voulons nous marier mais qu’il faudra patienter 5 ans, jusqu’à la fin de nos études. D : Nous commençons à nous voir. En attendant la fin de nos études nous continuons à vivre chez nos parents, à chaque extrémité de la ville. La religion n’a jamais été un problème entre nous, mais traverser Belfast à la fin des années 80 était vraiment dangereux à cause des nombreux meurtres entre communautés.

« Mariage à l’Irlandaise » N : Nous avons quatre enfants, nous les avons baptisés et leur avons fait faire leur communion dans une église catholique, mais nous sommes avant tout une famille chrétienne, sans appartenance particulière à une église. La religion ne doit pas entrer en compte lorsqu’ils rencontrent quelqu’un, il faut s’intéresser à la personne. Nos enfants sont à l’école avec des catholiques et des protestants, bien que ce ne soient pas officiellement des « integrated schools » D : Comme nous vivons dans la banlieue sud de Belfast il est facile de mettre en pratique la tolérance que nous enseignons à nos enfants, c’est plus difficile pour des personnes vivant dans des zones où la ségrégation est forte. Il y a toujours beaucoup de sectarisme et de haine, nous n’avons pas de temps à perdre avec cela. À la place nous avons appris à nos enfants à accepter l’autre tel qu’il est et à respecter leurs différences. ■

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d’infos,

Votre site mais pas que... Chaque jour, des actus, des bons plans pour s’informer et bouger.


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Elise Troël Rennes France

I

l était 21h et le jour était encore clair. Il était 21h. L’histoire d’une enfance, ses murs et ses fenêtres, ses arbres et ses étendues verdoyantes, tous ensembles éclairés par cette lumière troublante. Il était 21h. Après un an à vivre au rythme imperturbable d’un lever de soleil à 6h et d’une nuit tombant à 18h, ce soleil nocturne d’août me fascinait. Cette luminosité était anormale. Vingt ans d’habitudes, en un an bouleversées : le souvenir douillet de mes jeunes années ne cesse de renaître de ces détails négligés. Le retour a quelque chose de révolutionnaire, sans qu’on puisse y échapper.

Désarmée

Habituellement, les pages du magazine sont réservées à ceux qui voyagent, qui sont loin. Mais ceux qui sont revenus ont souvent encore des choses à dire sur leur expérience à l’étranger, sur les habitudes à reprendre en France et sur la nostalgie du retour. Nous avons proposé à ceux qui le voulaient de témoigner. Elise revient d’un an au Pérou.

Quelques pas dans une rue où des murmures de passants choquent mon oreille, malgré moi. La compréhension involontaire de ma propre langue est soudainement désarmante, me voilà vulnérable, incapable de faire abstraction de ce qui me parvient si nettement. Où ont disparu le chaos rassurant, la confusion des bruits des villes du Sud ? Où sont leurs vendeurs ambulants, leurs excès chaleureux de politesse, d’affection dans le langage ? Leur brusquerie indisciplinée, la musique qui ne cesse de rythmer la vie, le désordre qui est leur ordre et qui rend par contraste l’existence morne ici ? Le mouvement est double. On s’ouvre sur notre monde familier qui a pourtant intrinsèquement changé, d’abord. Mais on se réfugie aussi en soi, dans une fuite sans fin face à ce dont on avait appris à se protéger mais qui désormais nous touche sans qu’on puisse l’empêcher. Et dans ce mouvement-là, il y a l’élan renouvelé vers « là-bas ». Le refuge s’est délocalisé.

Des frontières étriquées Parfois lorsque mes yeux se ferment, je sens sur mon visage le vent du désert et son soleil brûlant. Il semblerait qu’il me suffise de tendre l’oreille pour que me parviennent la musique et Eduardo qui chante. Maintenant, il n’y a plus seulement « ici » : il y a là-bas, aussi. Ce que nous vivons, ils l’imaginent, et ce qu’ils vivent, nous ne pouvons plus faire comme si nous l’ignorions. Le voyage au « Sud » aura eu cette vertu extraordinaire de nous avoir fait naître au monde, nous qui avons ► 15


► grandi dans une nation dont l’horizon est avant tout européen. La voilà éventrée, l’idée européenne : les limites ne sont pas celles que nous croyons ! Elles nous enferment dans l’esprit, nous enferment dans la chair. Forgeron d’un quotidien bien amer, le retour nous échauffe, avant de nous plonger dans l’eau froide de la désillusion. Tristesse des barrières qui se dressent et dont on saisit la matérialité, la puissance et l’arbitraire à mesure que l’on revient dans cette forteresse dont on s’était évadé. Tristesse au visage grave comme celle de Jorge lorsque son regard se perd dans ses pensées. Je me rappelle le gris précoce de ses cheveux, le bleu de ses yeux et son corps élancé, inversion du stéréotype péruvien qui prêtait à sourire lorsque je l’ai rencontré. La guitare qu’il gratte en rythme, ses analyses politiques défendues avec ferveur. Ce sont ces mêmes beaux yeux clairs qui ne contempleront jamais les décors des œuvres qui le passionnent. Bercé par la musique, il a le fatalisme et la sagacité d'un poète maudit qui ne quittera jamais son pays ; ils sont légions à vrai dire. Il y avait Paco. Il y avait Carlos. Il y avait Santiago. Tous épris de musique, de littérature et de cinéma. Avais-je jamais senti aussi puissamment ce sentiment d’injustice ? Avais-je jamais eu aussi honte d’être ostentatoirement libre devant ceux qui ne l’étaient pas ? Il y a des rêveurs que l’on cantonne au rêve et d’autres auxquels on ouvre les portes pour les entreprendre ; aux deux on apprend que cela va de soi.

Le retour, un nouveau point de départ Retour constructeur d’identité, retour faiseur de révoltés. Le sens du « retour » ne s’épuisera jamais et il nous restera désormais toujours un espace où revenir – où nous sommes attendus. Nous sommes rentrés en France, mais nous venons désormais d’ailleurs. L’ailleurs que d’autres connaissent, ambassadeurs attentifs dont les regards complices prennent ici une valeur inestimable, un caractère unique : celui du fragile fragment de réel qui nous relie encore, tant bien que mal, à ce qui fut une année de vie. Une parenthèse ou un point de départ ? Déjà les pages des livres semblent bruisser plus fort que la voix d’Eduardo, à mesure qu’elle s’estompe, que l’avion m’emporte et que le silence sur la ville reprend ses droits. De nouvelles images s’entassent sur ma mémoire qui s’assèche, elle autrefois vivante de mes exploits aventuriers fraîchement accomplis, de ces rêves s’y inscrivant à mesure qu’ils prenaient vie. Les mots qu’il me reste à poser sont ceux que mon âge ne permet pas de dire. Il n’y a pas deux mondes, il n’y en a qu’un, et il importe que nous les réconcilions pour l’avenir.


à la loupe

Gwénaëlle Gonzalez Azambuja Portugal

Une corrida sans mise à mort En effet, lorsqu’on évoque la corrida, littéralement « course de taureaux », c’est l’Espagne qui surgit dans nos esprits. Pourtant, il existe un autre type de corrida que seuls quelques aficionados* du monde du cheval connaissent. Oubliez la mise à mort de l’animal et le combat à pied : la tourada (autre nom pour la corrida portugaise), moins violente et moins sanglante, consacre une forme presque absolue de l’art équestre. Car, au risque de mettre à mal les idées reçues, la corrida originelle ne se pratique pas à pied mais bien à cheval. Résultat des traditions perpétuées dans toute la péninsule ibérique, elle se verra bouleversée par l’histoire de la guerre. La seule véritable corrida sera maintenue au Portugal, dans les rênes de la noblesse et sur le dos d’un lusitanien…

Pays du pied droit de Ronaldo, du Porto, des olives, et qui arbore Lisbonne comme fer de lance, le Portugal est aussi, au-delà des clichés, riche de sa culture, de ses magnifiques paysages, et de son histoire. Sur la terre des toros bravos, des chevaux lusitaniens, et des ganaderias*, les Portugais cultivent l’art de la tauromachie. Cette tradition portugaise reste encore largement méconnue.

Dans leurs costumes Louis XV, les toreros aux tenues éblouissantes combattent le taureau noir ébène, montagne de muscles saillants. Les chevaux tressés, parés d’or et de couleurs, paradent fièrement au galop, couvrant leurs cavaliers d’un prestige princier. La foule applaudit les esquives rapides et précises du cavalier et de sa monture au rythme des pasodobles des bandas… Si aujourd’hui la tourada connaît autant de succès au Portugal, c’est qu’elle propose un spectacle populaire, où bravoure rime avec exploit équestre. En effet, elle doit sa destinée aux hasards de l’Histoire qui ont scellé la destinée du cheval lusitanien à l’art d’évoluer autour du taureau.

Taureaux et chevaux : une longue histoire Leur rencontre remonte aux environs du Moyen-Âge. Le cheval ibérique, cheval de cour, a durant des siècles paré la noblesse de prestige et de gloire. Cheval de guerre avant tout, apprécié pour sa générosité, son courage et sa beauté, il a accompagné les seigneurs de toute l’Europe dans leurs batailles jusqu’à l’arrivée de Napoléon. En péninsule ibérique s’invitera face à lui comme coach, adversaire, ou ennemi, le temps des ► 17



à la loupe

► entraînements, le taureau de combat. En coulisses, les chevaux travaillent avec les taureaux pour répéter les exercices de guerre qu’ils devront effectuer plus tard sur le front. Ésquiver, intimider, aller au devant de l’adversaire… Les techniques d’affrontement sont très similaires, puisqu’il s’agit de combats rapprochés. L’art de la tauromachie devient une discipline mineure de l’art de la guerre. À la fin du XVIIIe siècle, les guerres napoléoniennes marquent un tournant dans le devenir du cheval ibérique et du taureau de combat. L’Europe est un champ de batailles permanent, conduisant les armées à la parcourir du nord au sud, d’est en ouest. Napoléon Ier équipe alors toutes ses cavaleries de chevaux pur-sang arabe importés d’Orient, chevaux endurants et résistants, croisés dès lors avec des chevaux « de pays », porteurs et épais. Les chevaux ibériques tombent en désuétude en quelques années, d’autant plus vite que la création du pur-sang anglais et l’engouement qu’il provoque sur les tout récents hippodromes accélère son déclin. Pour sauver leur cheval, les noblesses portugaise et espagnole trouvent une parade : ériger l’entraînement à la guerre et aux combats rapprochés, qui se pratique avec des taureaux, en un art. Prouesse équestre avant tout, il ne nécessite pas la mise à mort du taureau, qui sera vite interdite au Portugal. Animal incarnant le symbole d’une culture autant que d’une nation, le taureau se doit de sortir du combat digne et fier.

L’interdiction de la corrida En Espagne, un accident de l’Histoire change le cours du récit et creuse les différences entre elle et son voisin. L’arrivée sur le trône d’Espagne du petit-fils de Louis XIV marque un tournant : choqué par les traditions de sa nouvelle Cour, Philippe V d’Espagne fait purement et simplement interdire à la noblesse la pratique de la corrida. Au fin fond des campagnes, les paysans reprennent les traditions à leur compte, et se mettent à combattre les taureaux à pied, leur condition ne leur permettant pas de monter à cheval. Rituels brutaux, sang, violence, tout est bon pour se faire remarquer et sortir de leur condition misérable. La tauromachie à pied naît de là, tandis que côté portugais, les traditions équestres se perpétuent entre les mains de la noblesse.

Deux siècles durant, la corrida est restée entre les mains de l’aristocratie terrienne propriétaire d’immenses domaines où le taureau roi est élevé aux côtés de son meilleur ennemi, le cheval lusitanien. Les toreros d’aujourd’hui sont, pour quelques-uns, issus de ces grandes familles nobles. Citons par exemple le clan Ribeiro Telles ou la dynastie Salgueiro. Cependant, suivant les mêmes règles de professionnalisation que tous les sports, la corrida à cheval voit ses rangs se gonfler de cavaliers « roturiers » qui n’ont pas d’appui financier derrière eux, et qui mettent la barre chaque fois plus haut dans les arènes… Luís Rouxinol, Vítor Ribeiro, ou Rui Fernandes, pour ne citer qu’eux. Qu’ils soient issus de grande famille ou qu’ils se soient faits à la force du poignet, les toreros portugais offrent un spectacle toujours plus impressionnant en matière de technicité, de prise de risques et de dressage équestre. À une époque où la modernité prend le pas sur les traditions, le Portugal témoigne encore et toujours de son attachement à la corrida. Les arènes pleines de début mars à fin octobre, l’ambiance de fête, les combats entre torero et taureau s’enchaînant à un rythme effréné plantent chaque année le décor d’un pays tout entier.

LEXIQUE Aficionado : passionné de corridas Bandas : formations musicales d’instruments à vent jouant pendant les corridas Ganaderia : élevage de taureaux de combat Praça de toros : en portugais littéralement « place des taureaux », soit l’arène Toros bravos : en portugais littéralement « taureaux braves », soit les taureaux de combat Tourada : autre nom portugais pour nommer la corrida à cheval

L’âge d’or du cheval lusitanien Conséquence, et non des moindres, le cheval ibérique perd toute utilité. Cheval d’apparat et de paseo, il promène les jeunes filles en croupe lors des ferias de Séville et de Cordoue. En face, le cheval lusitanien conserve intacte sa destinée, celle de cheval de combat et de dressage, et se doit de rester athlétique, agile, et courageux. La tauromachie portugaise prend alors de plus en plus d’importance, des places (praças dos toros*) sont alors dédiées aux combats : des arènes sont construites dans tout le Portugal, du plus petit village à sa capitale Lisbonne. 19


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Camille Devy Seattle États-Unis

Eclipsée par les métropoles californiennes plus ensoleillées et même par sa voisine canadienne Vancouver, Seattle reste une ville largement méconnue à nos yeux d’Européens. Pourtant, elle recèle de nombreux trésors et est aujourd’hui l’une des aires urbaines les plus attractives des États-Unis. Tour d’horizon d’une ville irrésistible où il fait bon vivre. Les remèdes contre la pluie : le café et le grunge !

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i vous cherchez bien, quelques noms vous viendront à l’esprit à l’évocation de cette ville dominée par le Space Needle : Microsoft, Starbucks, Nirvana (ou Macklemore & Ryan Lewis, question de génération), Boeing, Amazon, Grey’s Anatomy, et surtout, la pluie. Evacuons cette question tout de suite : oui, il pleut beaucoup à Seattle, mais pas plus qu’en Bretagne, rassurez-vous. Les Seattleites ont développé une certaine fierté qui les amène à refuser obstinément d’investir dans un parapluie, sous prétexte qu’il ne pleut jamais torrentiellement. Les plus audacieux affirment même aimer profondément le doux crachin qui tombe continuellement sur la ville. Mais si les habitants ont le béguin pour la pluie, c’est uniquement parce qu’ils ont trouvé deux solutions pour faire face aux longs hivers gris : le café et la bière. La ville compte le plus grand nombre de « coffee shop » par habitant aux Etats-Unis. Bien sûr, on trouve un Starbucks à chaque coin de rue, la chaîne étant née ici. Mais les cafés indépendants sont aussi nombreux et n’ont rien à envier à la multinationale : ils donnent lieu à un intense débat afin de savoir où boire le meilleur café

de la ville. Passé midi, la bière prend le relais. Produite localement dans l’une des nombreuses brasseries de la ville, la bière devient ludique et se décline en une multitude de saveurs, de la citrouille au gingembre. Ce que les hivers pluvieux ont également apporté à la ville, c’est le « Seattle Sound » des années 90. Le grunge, ce son souillon, n’aurait pu naître qu’à Seattle, ville portuaire alors sordide. Mais plus de vingt ans après la sortie de Nevermind chez le label local Sub Pop, la scène musicale de la ville ne regarde plus dans le rétro et est bien décidée à se réinventer. La créativité est encouragée par la présence de nombreuses petites salles de concert prêtes à accueillir les groupes locaux.

Douceur de vivre & énergie créative Douceur de vivre et énergie créative, deux attributs de la West Coast, héritages de la ruée vers l’Or, qui semblent particulièrement bien définir Seattle. Ville innovante, notamment parce qu’elle attire des multinationales en pleine explosion, Seattle encourage la création à toutes les échelles. Il n’est pas rare pour les jeunes Seattleites sortant de l’université de se consacrer à leur groupe de musique, à l’écriture d’un essai sur l’exploitation des animaux, au montage d’une exposition de leurs photos ou à la réalisation d’un court-métrage. La culture est bouillonnante et surtout très accessible : les galeries poussent à chaque coin de rue, au même titre que le street art, à l’instar du gigantesque Troll qui hante Frémont aux petits pas numérotés qui vous initient à un mouvement de danse dans les rues de Capitol Hill. Seattle est indéniablement une ville casual : détendue et sympa. Les chemises en flanelle, les Doc Martens et autres Converse restent des classiques dans une ville où la plupart des gens semblent avoir du mal à renoncer à leur garde-robe des années lycée. ►

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Décloitrés #4

► Les colorations capillaires viennent illuminer le gris du ciel, au même titre que les innombrables tatouages des jeunes hipsters de Capitol Hill. Il flotte ici un esprit « hippie » qui pousse le plus classique des Seattleites à pratiquer le yoga, faire ses courses à l’un des nombreux « Farmer Market » hebdomadaire, arpenter les rues vallonnées de la ville à vélo, ou encore à fumer une herbe désormais légale.

Une métropole définitivement verte Verte d’abord parce que Seattle, « Rainy City » située au cœur de l’ « Evergreen State » (l’Etat verdoyant de Washington, ndlr) a une proximité avec la nature assez incroyable. La ville est entourée par l’eau, Seattle s’étendant sur une étroite bande de terre entre les eaux salées du Pudget Sound et celles du Lac Washington. Mais la ville est aussi proche des montagnes : la chaîne des Cascades à l’est, les Olympic Mountains à l’ouest et l’impressionnant volcan du Mont Rainier au sud. Quand le ciel est dégagé, il n’est pas rare d’apercevoir les sommets enneigés depuis le cœur même de la ville. Impossible donc de se sentir prisonnier de la métropole quand les pistes de ski ne sont qu’à quelques minutes de route.

Mais verte surtout parce que Seattle est une pionnière en matière de protection de l’environnement aux Etats-Unis. Ayant ratifié le protocole de Kyoto, la ville annonce en 2008 avoir atteint les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre avant même l’entrée en vigueur du protocole. Le tri des déchets s’est également ancré dans les mœurs au fil des années et les résidents se voient menacés d’une amende en cas de tri négligé. Les jardins communautaires sont présents dans les différents quartiers de la ville et le « locavorisme » est un sujet de préoccupation majeur pour beaucoup de Seattleites.

Un léger penchant pour la gauche Lieu de naissance du mouvement altermondialiste, Seattle a toujours penché du côté gauche du spectre politique. « Il y a quarante-sept états dans l’Union, plus le Soviet de l’Etat de Washington », plaisantait déjà James Farley, ministre des Postes, en 1936. En se baladant dans le quartier de Fremont, on peut se retrouver nez à nez avec la gigantesque statue en bronze d’un certain Lénine qui nous amène à nous demander si l’on se trouve toujours aux Etats-Unis. Aujourd’hui encore, le cœur de Seattle bat pour les Démocrates : plus de 80% de la population a voté pour Obama aux dernières élections. En novembre, les Seattleites ont été jusqu’à élire une conseillère municipale socialiste en la personne de Kshama Sawant, ex-leader du mouvement « Occupy », qui se bat désormais pour imposer un salaire minimum à 15 dollars l’heure. Voilà Seattle un peu moins inconnue à vos yeux d’Européens ! Innovante, progressiste, entourée de magnifiques paysages, baignée dans la caféine et la musique, Seattle a su conserver un côté excentrique et décalé. Le quartier arty de Fremont illustre sûrement le mieux ce dernier trait : sur le pont qui y conduit se trouve une pancarte « Welcome to Fremont, Center of the Universe » qui invite chacun à retarder sa montre de cinq minutes.

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Léopold Vermeulen Prague République Tchèque

« Dans certains débits réputés de la Vieille Ville, noyés dans la fumée et dans la confusion des voix, les gens se tiennent debout, près des hautes tablettes étroites, coude à coude, comme dans les soutes de quelque arche traversant une mer de néant. » Petr Král, Prague (1987) Binouse, bibine, cervoise, binche, mousse, roteuse,… La liste est longue (libre à vous de la compléter) quand il s’agit de trouver des synonymes de cette boisson divine qu’est la bière. Ô combien appréciée en terre bretonne, il s’agit d’une véritable institution en République Tchèque. Les habitants vouent en effet à ce breuvage un culte immodéré et en particulier dans sa capitale.

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Décloitrés #4

La cervoise, cœur « spiritueux » du peuple tchèque La dégustation de la bière est un élément incontournable de la visite de Prague. Vous l’apprécierez de préférence dans l’un de ces petits restaurants où le serveur apparaît, armé de chopes, dès que l’on s’assoit, ou dans l’un de ces bars souterrains où les pintes s’entrechoquent au rythme des chansons traditionnelles. Outre sa qualité, l’avantage incontestable de la bière tchèque réside dans son prix : en moyenne à Prague il faut dépenser 20-30Kč, soit environ un euro, pour une velké, c’est-à-dire une pinte. Et il est important de souligner que les demis n’existent pas… La plus célèbre bière tchèque est la Pilsner Urquell, à laquelle s’ajoutent la Gambrinus, la Staropramen, ou encore la Budweiser, mais une centaine d’autres brasseurs existent aussi. Avec 15O litres ingurgités chaque année, on comprend aisément pourquoi les Tchèques sont les plus grands consommateurs de bière en Europe. Le nombre de bedaines bien arrondies se baladant dans la capitale tend à confirmer ce chiffre.

À consommer avec modération ? Cette très forte consommation entraîne de nombreux problèmes de santé dans la société tchèque. En effet, la bière est moins chère que l’eau et finit par la remplacer : chaque repas se voit accompagner d’une mousse que l’on surnomme d’ailleurs ici « le pain liquide ». Les murs de Prague sont recouverts de publicités de bières et d’autres alcools dont les marques sponsorisent tous les événements ayant lieu dans la capitale, et ce, sans jamais appeler à la modération ou à la prévention. Tout le monde boit, à n’importe quel âge, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Ainsi il n’est pas rare de croiser des mères de famille, une main sur la poussette et une cervoise dans l’autre. Néanmoins, selon une étude publiée récemment par le Times, les consommateurs modérés (un verre par jour pour une femme, un à deux pour un homme) auraient 25 à 45% de risques de moins de faire une attaque cardiaque, 23% de risques en moins de développer la maladie d’Alzheimer et d’autres troubles de la mémoire, et verraient également se renforcer leur densité osseuse. La bière serait donc bonne pour la santé ? Cette affirmation doit sans doute être nuancée... Toutefois, que ce cela ne vous empêche pas de faire honneur à la culture tchèque. Je n’aurais donc qu’un seul mot à ajouter : « Nazdravi ! » (« Santé ! »)

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Mathilde David Londres Royaume-Uni

I

l suffit en général de s’inscrire sur un évènement Facebook quelques temps en avance, et d’attendre que les organisateurs envoient par mail l’adresse où la warehouse party (fête organisée dans un entrepôt) aura lieu.

Le jour J, souvent après minuit, il faut alors s’enfoncer dans les tréfonds des quartiers de l’Est pour trouver l’endroit secret. Une fois arrivé il faut frapper à une porte en métal pour qu’un vigile vous autorise l’accès à la soirée. Il ne s’agit pas de « clubbing » à proprement parler : l’endroit a été tenu secret jusqu’à la veille, et les soirées ont donc souvent lieu dans un immeuble désaffecté ou dans un squat aménagé pour l’occasion. À l’intérieur, tout le monde danse. Hypnotisés par la musique, l’alcool et parfois la drogue, les gens sont là pour la musique. Même le DJ, habituellement perché sur sa plateforme, se trouve au milieu de la salle et danse au milieu du public comme pour mieux l’inviter à se laisser aller.

S’oublier dans la musique Pour être honnête, il faut admettre que la drogue s’invite souvent à ce type de soirées. Il n’est pas rare de voir quelqu’un consommer de la cocaïne ou autres pilules aux formes et aux couleurs surprenantes sans pour le moins du monde se cacher, et sans sembler se rendre compte que cela n’est pas aussi anodin que de siroter une bière. Polis, les consommateurs proposent des pilules roses en forme de cœur à leurs voisins, comme si il s’agissait de vulgaires chewing-gums. Les vigiles qui fouillent les sacs à l’entrée demandent parfois à examiner les pochettes qui contiennent les titres de transport, vous glissant à l’oreille d’un air complice que c’est là que, personnellement, ils cachent leurs propres marchandises ! ►

Loin des cocktails, de la musique commerciale et des touristes des clubs de Leicester Square, centre touristique des soirées londoniennes, celles organisées dans les quartiers Est de la capitale sont souvent qualifiées d’underground. Qu’il s’agisse de clubs à proprement parler ou d’évènements plus secrets, Shoreditch, Hackney et Dalston sont «the places to be» des vraies soirées londoniennes.

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Décloitrés #4

► Mais si la drogue est un élément inévitable de ces soirées, la sympathie et l’esprit bon enfant le sont avant tout. Ici pas de disputes ou de débats politiques : les gens viennent pour s’amuser, pour s’oublier au rythme des basses et laisser derrière eux la folie de la vie londonienne. Les DJs s’enchaînent jusqu’au petit matin, voire jusqu’au midi. Les Anglais sont loin d’être les seuls à investir ces soirées et les étrangers ne sont pas en reste : on retrouve beaucoup d’Italiens et de Français.

« Venez comme vous êtes » Ici on ne retrouve pas le cliché des Anglaises aux jupes courtes voire inexistantes, aux talons vertigineux et aux décolletés plongeants - les gens viennent comme ils sont sans juger les autres. La mode est au vintage, certains diraient même au style hipster. En effet l’Est de Londres est connu pour son excentricité vestimentaire. Des marchés, comme celui de Bricklane, permettent de se ravitailler en vêtements de seconde main et autres accessoires rétro.

Des concepts à importer Malheureusement ce qui faisait le charme de ce quartier particulier est en train de se perdre, l’esprit underground ne serait plus ce qu’il était ! Les touristes affluent en masse et les babioles bon marché made in China peuplent les étals… Ne reste plus qu’à compter sur les touristes français pour ramener au pays ces concepts originaux, découverts au cœur du London underground.

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Apolline Vernay Istanbul Turquie

Les premiers jours d’une francophone à Istanbul ne manquent en général pas de surprises. Alors que je me promenais en quête des détails qui allaient rythmer mon quotidien, et que je commençais à déchiffrer les inscriptions en turc autour de moi, certains mots me semblèrent étrangement familiers. Et pour cause ! Kuaför, promosyon, asansör, pour ne citer qu’eux, sont tout simplement les versions turques de nos coiffeur, promotion et ascenseur. Quelques mois plus tard, je dois bien avouer que j’en perds mon français. Je vais donc vous faire le récit d’une journée stambouliote « alaturka » !

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Décloitrés #4

P

etite aide a la lecture : ş se prononce ch, e se prononce é, ö se prononce eu, ü se prononce u et u se prononce ou.

Une nouvelle journée se lève sur le Bosphore. Après une duş rapide, j’enfile négligemment un pantolon et un triko. Les petits déjeuners turcs sont sensasyonel mais aujourd’hui un kruvasan suffira, car j’ai randevu au sekretarya de la polis pour récupérer mon permis de résidence. J’attrape mon palto et une eşarp dans ma garderop et me mets en route. La decorasyon austère du büro ne se compose que d’un portrait d’Atatürk éclairé par une ampül vacillante. Un agent de resepsiyon peu reaktif me réclame mon pasaport, visiblement plus concerné par sa fiştepe* que par la raison de ma présence. Le précieux sertifika enfin en poche, je peux rejoindre une amie au restoran. La route est comme toujours encombrée du fameux trafik d’Istanbul et je préfère donc le fünicüler à l’otobüs. Mon amie m’attend en jetant quelques coups d’œil à la televizyon, qui diffuse un feuilleton santimantal. Malgré le choix de gastronomi turque au menü, ce sera aujourd’hui une omlet pleine de garnitür, une eskalop puis des profiterol (la kültür culinaire turque est délicieuse mais peu pratik pour placer des mots français dans mon senaryo). Sur la table, en plus du sel et poivre, on trouve du piment doux et des kurdan. À la fin du repas le garson nous offre le « cay », le thé traditionnel que l’on boit à longueur de journée. En sortant nous empruntons un petit pasaj sous un tünel encombré de vendeurs de pièces détachées d’appareils elektrik, de ferforje, de

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tekstil estampillé « süper kalite » et autres kompleks assortiments d’objets. Craignant de finir chez le doktör, je rentre chez moi en taksi pour éviter les kurander. En rentrant je me souviens que j’ai encore oublié d’acheter un tirbuşon. Je ne suis pas şampiyon de l’organizasyon mais pas de panik : j’en emprunterai un. Je m’étends par refleks sur une şezlong en écoutant la müsik grésillante de la radyo. Pas de turizm pour aujourd’hui, j’attends la visite de quelques amis… juste la krem dö la krem !

Mais que viennent donc faire ces mots et expressions dans la langue turque, qui n’a dans sa grammaire quasiment rien à voir avec le français ? La réponse nous vient (comme souvent en Turquie) de Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la république turque. Atatürk considérait que la rupture avec l’Empire Ottoman devait passer entre autres par une «révolution linguistique », et la langue fut donc épurée de ses éléments arabo-persans caractéristiques du turc ottoman. C’est alors le français qui a fourni pour une grande part les nouveaux mots servant à décrire les inventions, concepts ou imports de la culture occidentale. 7500 mots sont ainsi venus enrichir le patrimoine du turc actuel. PS : Chers futurs professeurs, si vous retrouvez des mots étrangement orthographiés dans mes copies de quatrième année, soyez indulgents ! * Celui la est un peu plus dur, je vous le donne : fiche de paie !


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On nous en a raconté, des histoires. On nous en raconte toujours, et on nous en racontera encore. Depuis tout petits, contes et légendes nourrissent nos nuits, nos imaginaires, nos vies. Qu’on y croit ou non, on ne peut nier que bien des récits nous habitent et, peu à peu, nous transforment. Si l’on devait faire un inventaire, on commencerait bien sûr par les histoires écoutées un pouce calé dans la bouche et les paupières luttant contre le sommeil. Tous, nous avons été bercés - et bernés - plus ou moins longtemps par la magie de Noël et son éternel grand-père à la figure irradiant de bonhomie. Les repas de fêtes partagés en famille sont généralement l’occasion d’entendre, de la bouche des anciens, notre propre histoire : qu’elle soit ancienne ou récente, elle nous définit. Et puis viennent les images, les premiers frissons transmis par le grand et le petit écran: elles laissent un souvenir indélébile dans nos mémoires, accompagnées d’un générique qu’on se surprend parfois encore à siffloter. Avec nos cousins, nos copains de colo ou lors de nos premières soirées pyjama, on se fait peur les uns les autres et l’on apprend à aimer ça; des fantômes s’invitent lors de ces nuits qui sont parfois les plus belles! Raconter une histoire, une belle histoire, avec son pesant de magie, d’émotions et de personnages inoubliables, n’est-ce pas là l’un des exercices les plus beaux qui soient ? C’est ce que nous voulons encore croire et c’est ce que nous voulons vous offrir avec ce dossier...



Décloitrés #4

Alix Le Guyader Turku Finlande

Grand Nord, décembre 2013. L’hiver est finalement arrivé. Le thermomètre est descendu en dessous de -20°c et la neige tombe à gros flocons. Le jour a progressivement laissé place à une nuit permanente illuminée d’étoiles brillantes. Lové au coin du feu, vous goûtez le doux nectar du vin chaud accompagné de pâtisseries au goût de Noël.

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’esprit des fêtes s’est peu à peu emparé des cœurs et l’attente impatiente va bientôt être récompensée ! Une fois de plus, le Père Noël aidé de ses fidèles lutins devrait répandre la joie dans les foyers. Pourtant derrière cette image idyllique, le mystère demeure. Mais qui se cache réellement derrière la longue barbe blanche ? Envoyée spéciale en direct de la Finlande, j’ai décidé d’enquêter et j’ai découvert une réalité bien troublante. L’heure est venue de révéler la vérité sur l’homme au-delà du mythe. Âmes sensibles s’abstenir.

Santa Claus, un vieux mythe indétrônable Petit rappel préalable pour ceux qui auraient été absents les 2000 dernières années. La légende de Santa Claus est bien plus ancienne que la publicité Coca Cola des années 30. Le personnage est connu en Europe sous différentes formes depuis le IVe siècle. Sous l’influence du christianisme, les anciens cultes païens célébrant l’hiver sont transformés par l’apparition de figures saintes. C’est ainsi que naquit Saint Nicolas, cet évêque turc qui aurait lancé la tradition d’offrir anonymement des cadeaux aux familles pauvres. Dans les siècles qui suivent, le mythe évolue selon les régions et les religions. Dans certaines contrées encore 32

et toujours résistantes (la France, pour ne pas la citer), le personnage du petit Jésus va longtemps persister en lieu et place de Père Noël. Finalement c’est au XIXe siècle que le mythe va s’étoffer et adopter la forme que l’on connaît actuellement. Sous l’influence d’auteurs et de dessinateurs anglophones, le vieux monsieur rondouillard, fumant sa pipe et distribuant des cadeaux, escorté de ses loyaux rennes, va naître pour ne plus jamais disparaître. Au début du XXe siècle, de grandes enseignes publicitaires comme Coca-Cola mais aussi Colgate vont utiliser son image et imposer définitivement le Père Noël emmitouflé de rouge et blanc. Un siècle plus tard, le vieux bonhomme a étendu sa tournée aux six continents et distribue des cadeaux aux enfants indifféremment de leurs origines ou religion. Ceci étant dit, des questions cruciales restent sans réponse et continuent d’interroger la communauté mondiale. Mais où habite réellement le Père Noël ? Et qui est-il ?

La Finlande, terre d’accueil originelle du Père Noël ? Étant en Finlande, c’est par là que j’ai commencé mes recherches. La Finlande, ce territoire intriguant aux frontières de l’Europe, à mi-chemin entre l’Est et l’Ouest et définitivement au Nord ! Le froid ici n’est pas une plaisanterie. Le thermomètre atteint les -40°c en Laponie durant l’hiver et le pays est recouvert de neige cinq à six mois dans l’année. Les Finlandais, peu nombreux et portés sur la solitude, aiment à jouir de la tranquillité des grands espaces boisés de leur territoire national. Avouez que le lieu est parfait pour qui voudrait abriter disons... un troupeau de rennes magiques, un village entier de lutins et une immense fabrique à cadeaux. La légende dit que le Père Noël s’est installé à Rovaniemi, porte d’entrée sur le grand froid lapon. Une petite cabane perchée à plus de 400 mètres d’altitude lui sert officiellement de résidence. Mais la vraie magie s’opère sous la colline Syväsenvaara : le Santa Park qui fait la fierté des Finlandais est effectivement venu s’y


IL était une fois

(mais pas gratuitement !) à les rejoindre. Pour 140 SEK (le prix de l’entrée, soit 15€40) vous pourrez rendre vos enfants heureux jusqu’au prochain Noël et permettre à l’homme en rouge de mettre de l’argent de côté pour investir dans de nouveaux lutins.

loger il y a peu. Pour la modique somme de 25 euros, vous repartirez porteur d’une magnifique photo de vous aux côtés du grand homme en rouge. Entre attractions fantasques et usine à touristes, le lieu accueille une très sérieuse Poste du Père Noël, qui reçoit plus de 500 000 lettres par an. En outre, depuis 1998, le syndicat du Père Noël, très engagé et protecteur des droits de ses employés, a limité le temps de travail. Désormais une école de formation au métier de Père Noël permet donc d’assurer des remplacements. Le curriculum requis est impressionnant : n’est pas Père Noël qui veut ! Il faut parler couramment plusieurs langues et connaître notamment des rudiments de chinois et de japonais. Si vous correspondez au profil, n’hésitez pas, un nouveau plan de carrière s’offre peut-être à vous ! À défaut d’occuper le sommet de la hiérarchie, peut-être vous serat-il possible de devenir lutin. Ce job étudiant, apprécié et respecté, requiert malice et bonne humeur, mais attention : vous serez pour tout l’hiver aux ordres du Père Noël ! Après tout ça, je ne sais plus trop quoi penser. Et si Santa Claus n’était finalement qu’un salarié comme les autres ? J’ose espérer que l’erreur n’est dûe qu’à l’enthousiasme excessif des Finlandais.

La guerre commerciale des Pères Noël De l’autre côté de la Mer Baltique, des protestations s’élèvent face à l’appropriation du personnage par le peuple finlandais. En Suède, Jumtolten, la représentation nationale du Santa Claus, n’est clairement pas d’accord avec l’imposteur Lapon. Ici le Père Noël est réputé habiter la charmante petite ville de Gesunda, près de Stockholm. Tomteland, parc d’attraction du Père Noël, vous entraîne donc toute l’année dans l’univers enchanteur d’un Noël à la suédoise. Vous plongerez la tête la première dans un monde extravagant de neige artificielle et de fausses étoiles scintillantes. Au milieu des terres glacées de l’hiver suédois, Santa Claus côtoie trolls, elfes et reine des glaces ; ensemble, ils célèbrent les fêtes de fin d’année, et vous invitent généreusement

Le Danemark, fort de sa souveraineté sur le Groënland, revendique clairement la présence du Père Noël sur ses terres et moque les initiatives de ses voisins scandinaves, bien trop au sud pour être crédibles. Et la Norvège n’est pas en reste ! À quelques kilomètres d’Oslo, la petite communauté de Drobak accueillerait parmi les siens, le fameux Julenissen. Né sous une pierre à Vindfangerbukta, le Père Noël norvégien aurait depuis décidé de s’installer définitivement en ville. Vous pourrez donc visiter « l’authentique vraie » maison du Père Noël, toute de bois construite, et fleurant bon le feu de cheminée et l’odeur du sapin. Été comme hiver, elfes et lutins assurent le show et accueillent des touristes du monde entier. Si vous êtes chanceux, le Père en rouge sera là au moment de votre visite et vous pourrez lui donner votre liste de cadeaux en main propre. À défaut, il vous sera toujours possible de vous rabattre sur la boutique de Noël pour acheter chandelles, nappes et vaisselle, authentifiées « création Lutin ». Mon enquête touche à sa fin. Un peu désappointée, je retourne en Finlande, désespérée de n’avoir pu trouver nulle part le vrai Père Noël. Au-delà de l’image bienveillante et généreuse du vieil homme à la barbe blanche, semble se cacher une compétition commerciale bien trop cynique à mon goût. Où sont passées les valeurs de famille et de bonté, essence même de nos meilleurs souvenirs d’enfants innocents ? À quel moment le monde économique des adultes a-t-il pris le pas sur la pureté des rêves et de l’imaginaire ? Enfin, parce que je suis moi aussi devenue une adulte ironique et que malgré tout, je veux encore ressentir le frisson de l’excitation magique du 24 décembre, je fais mes bagages. Je pars en Laponie passer les fêtes et, qui sait, peut être qu’au détour d’une route enneigée rencontrerais-je l’authentique esprit de Noël.

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Décloitrés #4

Pauline Lamand Istanbul Turquie

De Kemal Pacha à Kemal Atatürk Le 10 novembre dernier, à 9h05 précises, la Turquie a semblé s’arrêter. Dans les rues d’Istanbul, des klaxons éparpillés ont commencé à résonner en chœur. Car au même moment en 1938, Mustafa Kemal Atatürk s’éteignait au Palais de Dolmabahçe. Dans sa chambre, l’horloge est restée arrêtée à l’heure fatidique et son lit de mort a été recouvert d’un épais drapeau turc… La Turquie, Atatürk l’a portée à bout de bras pendant toute sa vie.

Si la Turquie avait un visage, ce serait le sien : Mustafa Kemal Pacha, devenu Atatürk en 1934. Ce nouveau patronyme, littéralement « l’ancêtre des Turcs », illustre le profond respect teinté d’amour qui caractérise le culte consacré au fondateur de la Turquie moderne. La légende d’Atatürk n’est certes pas la plus poétique que la région ait à raconter, mais elle continue de faire rêver les Turcs et de fasciner l’étranger. Son portrait, souvent accolé au drapeau national rouge vif, orne aussi bien les vitrines des boutiques que les balcons des grands immeubles. Et ce, plus de 75 ans après sa mort.

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Pour la petite histoire, Kemal naît en 1881 à Salonique, au cœur d’un Empire Ottoman à la dérive. Il prend rapidement la tête de la guerre d’indépendance menée jusqu’en 1922 contre les occupants occidentaux et grecs qui avaient décidé de se partager les ruines de l’Empire. Une fois le traité de paix signé et le sultanat aboli, Mustafa Kemal est en mesure de créer la République de Turquie. C’est chose faite le 29 octobre 1923, date à laquelle sa personne se lie définitivement à l’histoire du pays : inspiré par la Révolution française, il engage sa propre « révolution kémaliste ». L’idée est de créer une Turquie homogène et moderne, donc laïque : le code civil suisse et le code pénal italien sont adoptés en 1926, l’alphabet latin remplace les lettres arabes en 1928, et les femmes obtiennent le droit de vote dès 1934. L’opération de « turquification » du pays façonne peu à peu l’image d’un Turc idéal, dont Kemal se fait le meilleur ambassadeur : il parcourt le pays, son chapeau à l’européenne sous le bras, pour aller enseigner la nouvelle langue turque dans les écoles. Plus que le héros de la guerre d’indépendance et le fondateur de la République, il est désormais le gardien de la nation turque. Cela lui vaut l’adoration de toutes les générations : aujourd’hui comme hier, les enfants sortent de l’école admiratifs d’Atatürk comme ils le seraient d’un demi-dieu, à la fois père et dirigeant visionnaire de leur pays. Grâce à lui, la Turquie s’est débarrassée des chaînes du vieil Empire Ottoman pour enfin marcher vers la modernité.


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Et 75 ans plus tard... Intriguée par cette dévotion sans cesse renouvelée, j’ai été demander son sentiment à mon colocataire turc Eren, âgé d’une vingtaine d’années. Cette attitude est en fait si naturelle pour lui qu’il pensait que les Français vouaient eux aussi un culte à Napoléon... J’ai dû lui avouer qu’afficher à sa fenêtre le portrait grandeur nature d’un dirigeant n’était pas très courant par chez nous. Dans nos bâtiments publics, la photo officielle du Président se renouvelle tous les cinq ans ; ici, elle n’a pour ainsi dire jamais changé. D’un point de vue extérieur, l’hommage constamment rendu à Mustafa Kemal peut donc apparaître quelque peu déconcertant : tout ce qui se rapporte à lui prend des allures mythiques. Le nom même de Kemal - « perfection » - appartient à la légende : son professeur de mathématiques le lui aurait donné car il jugeait le jeune garçon meilleur que tous les autres… y compris lui-même. Le remarquable charisme dont il a faire preuve dès ses premiers exploits militaires n’enlève évidemment rien au véritable culte de la personnalité dont il fait l’objet, entretenu depuis par ses successeurs au pouvoir.

De l’autre côté du mythe Rares sont ceux qui ont osé critiquer l’éternel Atatürk. Et l’admiration traditionnelle n’explique pas tout, quand on sait qu’une loi de 1951 punit toute atteinte à sa mémoire ! La journaliste Ipek Calislar a par exemple comparu devant les tribunaux en 2006 pour avoir soutenu qu’en 1923, Mustafa Kemal aurait fui le palais présidentiel déguisé en femme voilée afin d’échapper à un complot organisé contre lui. Même si l’hypothèse n’a pas été vérifiée, et bien que la journaliste ait été acquittée, ce procès dévoile l’un des tabous sur lesquels s’est bâtie la société turque : hors de question de toucher à la légende d’Atatürk, de le considérer comme un être humain capable de faire des erreurs. Mais Kemal était pourtant bien un être humain, et il a évidemment fait des erreurs. La plus évidente étant que la nation unifiée qu’il chérissait tant n’existait que dans ses rêves : sa politique nationaliste lui a particulièrement mis à dos les Kurdes du pays, laissant émerger les prémices d’un conflit qui peine encore aujourd’hui à être résolu. C’est par la force et sous l’égide de son parti unique, le parti républicain du peuple (CHP), qu’Atatürk a en fait opéré la modernisation du pays. Ses réformes, aussi colossales que rapides, ont heurté les traditions d’une population qui n’était pas toujours prête à être transformée. L’appel à la prière, un temps traduit en turc, est d’ailleurs vite revenu à sa version arabe originelle. Le laïcisme imposé envers et contre tout dans le pays a évidemment choqué les sphères les plus religieuses, au point d’être constamment débattu et déformé au fil des gouvernements plus ou moins conservateurs qui ont suivi.

En dépit des controverses, les « six flèches » définies par Kemal que sont le nationalisme, le républicanisme, le populisme, l’étatisme, le révolutionnarisme, et la laïcité, continuent de former une boussole essentielle dans le jeu politique turc. Malgré son autoritarisme qui pourrait lui donner des airs de dictateur, il reste en effet légitime aux yeux de la majorité des Turcs. Pendant notre discussion, Eren m’a répété à plusieurs reprises : « Il est notre Che Guevara, il nous a sauvé ». Dans l’imaginaire collectif, Mustafa Kemal est synonyme d’un âge d’or idéalisé. L’ « Ancêtre des Turcs » fait désormais corps avec la Turquie, voilà pourquoi égratigner son mythe reviendrait à s’en prendre au pays tout entier. À travers sa légende, Atatürk a atteint l’immortalité.


Décloitrés #4

Adrien Le Duc Eichtsätt Allemagne

Il était une fois, dans une ville enchantée par les carillons des vélos, une histoire d’amour. Attention, nous ne parlons pas ici de cette attirance physique propre à l’humain ! Non, il s’agit d’un amour vrai, pur et désespérément platonique.

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ans cette cité appelée Münster donc, se trouvait un beau lac : l’Aasee. Si toute baignade dans ses eaux assurait une mort certaine, il demeurait le lieu de prédilection des habitants pour respirer l’air pur et profiter du soleil. Plus résistants que leurs amis humains, les volatiles, eux, osaient sans crainte se plonger dans l’étendue bleue. Les hommes, pour s’adonner aux plaisirs aquatiques sans sacrifier leur santé à la pollution des eaux, décidèrent d’y mettre des bateaux. Ainsi, voiliers et pédalos sillonnaient-ils régulièrement le lac. Parmi ces frêles esquifs, il en était un qui, par sa forme et sa couleur, sortait de l’ordinaire. Blanc et majestueux, ainsi se dressait le vaisseau-cygne. Nul ne le savait encore, mais il allait bientôt entrer dans l’Histoire.

Un cygne noir Un jour, ou une nuit, nul ne saurait le dire, un oiseau un peu spécial allait venir bouleverser le train-train quotidien des Münsteranais. Alors que les badauds se promenaient le long des berges, poussant leurs vélos ou leurs grands-parents en chaise roulante et tandis que les joggers tentaient, avec des airs d’athlètes, de perdre leurs abdominaux Kronenbourg, certains remarquèrent un cygne noir rôdant près des pédalos. Ce curieux animal contredisant l’adage «tous les cygnes sont blancs», nageait sans jamais s’éloigner du bateau en forme de cygne. Si d’aventure quelqu’un empruntait l’embarcation, le cygne noir le suivait pendant toute la promenade, protégeant son congénère en plastique. 36

Lorsque ce dernier rentrait au quai, son sombre amoureux restait à veiller sur lui. Rapidement, ce sujet de conversation gagna les lèvres de tous les habitants. Tous allaient à Aasee pour y admirer les deux amoureux, tous voulaient promener le navire et avoir le cygne noir dans leur sillage. L’amour de cet oiseau pour le bateau devint légendaire. Nul dans la ville ne fut jamais autant photographié que lui, et chaque nouvel arrivant se voyait conter son histoire avant même celle de la cité.

En plume et en os Mais le temps coule inexorablement, et même le plus pur des amours, fut-il porté par des ailes, finit par se faner. Après avoir suivi son ou sa partenaire de plastique des mois durant, l’oiseau s’en fut, et l’attraction favorite de la ville fut perdue avec lui. Les habitants décidèrent alors de rechercher l’amant disparu. Ils se renseignèrent auprès des autres localités, afin de savoir si nul ne l’avait vu. Des mois passèrent sans qu’aucun signe ne parvienne à Aasee, mais un jour, le cygne réapparut dans une autre cité. Il avait trouvé une nouvelle partenaire, toute blanche, « en plume et en os » cette fois-ci, prête à lui rendre son amour. Peut être vécurent ils-heureux et eurent ils beaucoup d’enfants, mais au fond peu importe. Ce qui compte, c’est que la légende de ce cygne amoureux restera gravée dans les esprits tant qu’il y aura un Aasee à Münster.



Décloitrés #4

Pauline Joly Valparaiso Chili

Si vous voulez découvrir certaines des légendes les plus fameuses de Valparaiso, je vous invite à une petite promenade dans ses cimetières. Certains d’entre vous vont assurément se sentir hostiles face à une proposition aussi lugubre, mais même si vous êtes hermétiques aux histoires de fantômes, je vous garantis que vous ne le regretterez pas. Les cimetières sont en effet situés dans les cerros, collines très caractéristiques à Valparaiso, sur lesquelles s’amoncellent d’innombrables maisons colorées. Loin d’être effrayants, ils offrent donc également une vue plongeante sur la ville et sur l’océan Pacifique.

L

a ville compte aujourd’hui quatre cimetières : les cimetières n°1 et 2 du Cerro Panthéon (construits respectivement en 1827 et 1845), le cimetière des dissidents qui de 1825 à 1855 a été l’unique lieu autorisé aux sépultures non-catholiques, ainsi que le cimetière n°3. Celui-ci est sûrement le plus intéressant, car c’est selon les dires, le plus « hanté » de la ville...

Une petite visite nocturne ? Tous les vendredis et samedis il est en effet possible, moyennant 3500 pesos (environ 5 euros), de pénétrer dans l’enceinte interdite des cimetières avec deux guides qui se feront un plaisir de vous accompagner. Vous n’échapperez évidemment pas à quelques histoires macabres, peut-être à quelques frissons, et bien sûr à la traditionnelle sicofonia : l’enregistrement de 38


IL était une fois

Martin Busca et le pacte diabolique

la « voix » d’un esprit qui rôderait dans le cimetière. Mais c’est surtout une partie du patrimoine intangible de Valparaiso, de ses légendes et histoires, qui vous sera transmise. Je vous propose une mise en bouche en vous racontant immédiatement deux des plus célèbres d’entre elles.

Le « Robin-hood de Valparaiso » La grande mascotte du cimetière n°3 de Playa Ancha, c’est le Français Emile Dubois, aussi connu sous le nom du « Robin-Hood de Valparaiso ». Quand j’ai expliqué à mon colocataire chilien le sujet de mon article, il m’a immédiatement répondu : « Il faut que tu parles d’Emile Dubois, c’est le plus important ! ». Considéré comme le premier assassin en série du pays, Emile Dubois aurait, selon la légende, choisi exclusivement pour cible de riches usuriers, ce qui l’a converti dans l’imaginaire populaire en véritable justicier et en symbole de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie. Fusillé en 1907, on dit que sa dernière phrase fut « Sachez que vous assassinez un innocent et soyez sûrs que le peuple me rendra immortel ». Et pour cause, cette condamnation à mort considérée comme injuste par la population, a contribué à ancrer son histoire dans celle de la ville et à l’élever au rang de Saint populaire. Les porteños (habitants de Valparaiso) auraient exigé après sa mort la construction d’un lieu de recueillement autour de sa tombe où ils ont alors commencé à se réunir pour lui demander de réaliser des faveurs, la convertissant en véritable Animita. Les Animitas sont un véritable phénomène au Chili. Ces petits sanctuaires édifiés en mémoire d’un évènement tragique (accidents de la route par exemple), deviennent des lieux de vénération où s’accumulent bougies et cartes adressées à l’esprit des morts, dont l’âme continuerait à rôder autour du lieu du drame.

On raconte que Martin Busca, homme misérable, se serait converti en millionnaire à la suite d’un pacte avec le diable. Seulement, la contrepartie (son âme) devait être livrée au moment de la mort, lorsque son corps rejoindrait la terre. C’est pourquoi il aurait fait construire sa tombe en hauteur, posée sur quatre pattes de dragon, chacune pourvue de six doigts (le chiffre du diable...). On dit que le diable tourne toujours autour de la tombe, en attente de pouvoir récupérer son dû. Les sorcières s’y réuniraient régulièrement, pour y pratiquer de la magie noire. Preuves en seraient les nombreuses croix gravées dans le marbre de la tombe. Des pièces y sont aussi déposées par les promeneurs, dans l’espoir de profiter de l’enrichissement de Martin Busca, mais attention ! Les gardiens vous déconseilleront de tenter votre chance, car « cela reviendrait à accepter de participer au Pacte ».

Histoires à dormir debout ou réalité enchantée ? Si comme moi vous cherchez une explication rationnelle à toute sorte de phénomènes, vous serez certainement confrontés à une toute autre perception de la réalité en discutant avec des Chiliens. En effet, à la question « Et vous, vous croyez aux esprits ? », la majorité m’a répondu sans la moindre hésitation que oui, et presque tous les autres ont laissé échapper un petit « bueno… », qui en réalité signifie exactement la même chose. Souvent, la conversation s’est emplie des souvenirs d’expériences mystérieuses, souvent plus poétiques qu’effrayantes, comme celle de la musique d’une guitare jouant seule, d’objets soudainement animés par une vie propre, d’apparitions inexplicables... Lorsqu’ils m’ont demandé « et toi ? » et que je leur ai répondu, presque désolée, que je ne croyais rien de tout cela, certains ont réagi avec surprise, et d’autres m’ont parlé, navrés, du « rationalisme français », du « manque de fantaisie », et même de « la civilisation technologique et désenchantée ». Un ami m’a même achevée avec un « Vous les Français, vous êtes barbants avec votre scepticisme ».

Au fil des années se sont alors accumulées autour de ce petit sanctuaire de nombreuses plaques de remerciement en marbre avec pour formule « Gracias Emile Dubois por el favor concedido » (« Merci Emile Dubois, pour les faveurs accordées »), des fleurs, et toutes sortes d’autres petits objets. Patricio, un gardien du cimetière, m’a assuré qu’aujourd’hui encore certains porteños continuent à observer cette pratique. 39


Décloitrés #4

Axel Azoulay Leeds Angleterre

Grâce à cinquante ans d’aventures dans l’espace-temps, la série britannique Doctor Who est officiellement la plus longue série de science-fiction à ce jour. Découvrez l’histoire d’une success story encore méconnue du public français. Séance de rattrapage Avant de commencer, il convient de présenter quelque peu le personnage principal aux néophytes. Mettons pour cela à jour la définition donnée par l’intéressé lors de l’épisode de Noël 2007. Le Docteur est un Seigneur du Temps, un extraterrestre venant de la planète Gallifrey. Il a désormais plus de 1500 ans et voyage à travers le temps et l’espace dans son vaisseau, le TARDIS (abréviation de Time And Relative Dimension In Space), pour sauver des mondes en danger. Récemment, le Docteur a découvert que sa planète d’origine, qu’il pensait avoir détruite, a en réalité été sauvée. Son objectif est donc de pouvoir « enfin rentrer à la maison ».

Un élément du patrimoine culturel britannique Le 23 novembre 1963, les télévisions du monde entier diffusent les images de la mort de J.F. Kennedy, assassiné la veille. Coïncidence malheureuse pour une série britannique lancée le jour même et dont les débuts passent relativement inaperçus. Pourtant, il s’agit là du premier épisode d’une série de science-fiction aux multiples records : Doctor Who. Très rapidement, la série phare de la BBC (la chaîne britannique qui la diffuse) s’est ancrée dans le quotidien des insulaires, des caricatures de politiciens, grimés en « daleks » (les plus célèbres ennemis du Docteur) aux références constantes dans les émissions de variété. Doctor Who est aujourd’hui un élément de la culture britannique au même titre que les membres de la famille royale. Preuve en est, le banquet organisé en novembre dernier à Buckingham Palace en l’honneur des acteurs ayant 40

incarné le Docteur, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la série. Pourtant, le succès n’a pas toujours été au rendez-vous.

D’un studio miteux... Disons-le franchement, la série a failli ne pas voir le jour. Les dirigeants de la BBC étaient sceptiques sur l’idée d’une série de science-fiction. En conséquence, le budget et les moyens techniques alloués aux producteurs de Doctor Who étaient faméliques. Cela a créé une contrainte technique qui est à l’origine du célèbre TARDIS cité plus haut. En effet, le studio était de petite taille et les moyens de l’époque ne permettaient pas de créer un vaisseau de type Star Trek. La solution a donc été le TARDIS : un vaisseau normalement capable de s’adapter à son environnement, mais resté bloqué sous la forme d’une police box (une cabine de téléphone pour contacter la police britannique dans les années 1950). Autre contrainte : en 1966, William Hartnell, le premier à avoir incarné le Docteur, doit quitter la série. Il faut trouver un moyen d’éviter de mettre fin à une série alors en plein essor. C’est ainsi qu’est né le concept de la régénération : le Docteur est un Seigneur du Temps, un extraterrestre qui peut tromper la mort par douze fois en changeant d’apparence. Cela permit de prolonger la série jusqu’en 1989, avec six autres acteurs. Cependant, cette année là, la série atteint un niveau d’audience extrêmement bas et doit être suspendue pour une durée indéterminée. Une tentative de relancer le phénomène par un téléfilm en 1996 (avec Paul McGann dans le rôle titre) échoue et seules les œuvres littéraires et radiophoniques dérivées permettent de prolonger l’héritage de la série pendant près de seize ans.


IL était une fois

...à une diffusion mondiale

Le cinquantenaire d’un succès

En 2005, Russell T. Davies parvient à remettre à flot la franchise en la modernisant, ce qui fonctionne parfaitement auprès du public anglais. L’interprète du neuvième Docteur, Christopher Eccleston, une sommité du panorama audiovisuel britannique, est en grande partie à remercier pour ce succès. De même, Billie Piper, qui joua le rôle du « compagnon » censé accompagner le Docteur dans ses aventures jouit pendant son temps à l’écran, entre 2005 et 2007, d’une grande popularité. Arrivé en 2006, David Tennant, le dixième Docteur, lance la série à un niveau international. Deux autres acteurs lui ont succédé, portant ainsi le compte à douze Docteurs « officiels ». Il faut ajouter à cette somme un Docteur qui a « déshonoré » son titre en « détruisant » sa propre planète : le Docteur de la Guerre du Temps, incarné par John Hurt. Preuve du succès de la série, les produits dérivés s’écoulent en masse, et les « whoviens » (whovians en version originale) sont désormais l’une des communautés de fans les plus actives du monde. Hommage à la réussite de la série « régénérée », Doctor Who a reçu de nombreux prix et trophées, dont les prestigieux BAFTA qui récompensent les séries télévisées britanniques.

Cet apparent succès international paraît difficile à croire quand on sait que la série était inconnue de la quasi-totalité des Français jusqu’à son retour en 2005. Cependant, les chiffres ne trompent pas et l’épisode spécial diffusé à l’occasion de son cinquantième anniversaire en est la preuve. L’épisode (qui constitue la plus grande diffusion en simultané pour une série à ce jour) a été projeté dans les salles de cinéma et à la télévision. Résultat : plus de vingt millions de téléspectateurs au Royaume-Uni ainsi qu’aux États-Unis, auxquels il faut ajouter ceux des quatre-vingt douze autres pays qui ont pu visionner l’épisode en seize langues différentes. Pourtant en France, peu de personnes sont vraiment capables de dire qui est le Docteur, personnage éponyme de la série. La définition fournie en début d’article constitue tout un programme, bien loin pourtant des séries de science-fiction plus « techniques » et réservées à un public d’initiés, comme Star Trek ou le précédent détenteur du record de longévité, la franchise Stargate. Ainsi, cette série, conçue à la base pour des enfants, a su produire des récits riches en rebondissements et des personnages attachants, ce qui lui a permis de perdurer et d’élargir son audience à un public plus mûr. La combinaison des épisodes télévisés, des quelques films, mais aussi et surtout des aventures au format papier et audio, a permis de toucher un large public et a fait voyager un peu plus le Docteur et sa curieuse boîte bleue à travers le temps et l’espace. Pour résumer cette série cinquantenaire, la phrase favorite du neuvième Docteur s’impose d’elle-même : « Fantastique ! ». Oh, et si vous n’avez pas vu l’épisode de Noël dernier, un indice : le Docteur est censé avoir épuisé son quota de régénération. Alors fin de la série ou nouveau départ... ?

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Décloitrés #4

Emeline Mélion Buenos Aires Argentine

1881. Trois frères français quittent tout et partent chercher une vie meilleure à Buenos Aires. Ils s’établissent dans ce pays jusqu’alors étranger et y fondent une famille. Le contact avec la famille restée en France se perd peu à peu. 114 ans plus tard, le petit-petit neveu d’un de ces frères débarque de France dans cette même ville et part à la recherche de sa famille argentine. Une histoire ordinaire en Argentine, pays d’immigration mais extraordinaire pour moi, puisque c’est celle de ma famille.

U

n bel après-midi d’été 1988, tranquillement assis sur la terrasse de la maison familiale pyrénéenne, mon père épluche les photos et les souvenirs de ses ancêtres… Soudain il tombe sur une vieille photo de mariage et interroge mon grand-père sur l’identité de trois grands gaillards. Mon grand-père, tiré de sa sieste quotidienne, grommelle vaguement qu’il s’agit « des trois Américains ». Mon père est surpris par l’identité de ces hommes, qui seraient donc – accrochons-nous - mes arrières-arrières grands oncles et qui vivaient selon la légende familiale en Amérique. Il commence donc à s’enfermer dans les obscures salles d’archives, se plonge dans les registres de naissances des mairies du coin et découvre après des mois de recherches généalogiques qu’il s’agit de trois frères nés au sein d’une fratrie de onze enfants. Ils sont issus d’une famille d’agriculteurs du sud de la France mais le travail à la ferme n’étant pas suffisant pour tout ce petit monde, trois d’entre eux (ceux de la photo) prirent la décision d’émigrer, comme cela se faisait beaucoup à l’époque, en quête de cieux plus cléments. En 1881, voilà donc les trois frères, Pierre, Jean et David, qui embarquent avec en tout et pour tout une petite valise sur le bateau Lutécia direction ….l’Argentine !

L’Argentine, un pays d’immigration Si cette histoire de trois frères qui quittent tout pour aller faire fortune dans un pays inconnu situé à plus de 11 000 km de leur terre natale peut sembler rocambolesque aujourd’hui, elle est banale dans l’Argentine du XIXe. Entre 1852 et 1920 plus de 350 000 français débarquent sur le sol argentin. À cette époque, le pays fait en effet face à un fort besoin de main d’œuvre. Indépendant depuis 1816, le nouvel Etat souhaite se moderniser pour obtenir une place dans l’échiquier mondial. Mais la faible démographie du pays, un million d’habitants en 1850, rend difficile l’exploitation d’un territoire représentant cinq fois la France. Dès lors, des mesures législatives sont prises pour encourager l’immigration, comme par exemple la mise en place de billets 42


IL était une fois

de transport subventionnés, qui attirent en masse les européens en quête d’un nouvel eldorado.

Du port de Buenos Aires aux terres de la Pampa … Comme beaucoup d’autres Français à l’époque, mes arrières grands oncles partent avec pour seul repère le nom d’une connaissance lointaine. À Buenos Aires ils retrouvent une famille de Béarnais « les Portalés », qui les embauchent dans l’exploitation de leur domaine agricole. Quelques années plus tard, deux des frères, Jean et David, prennent la décision de tenter leur chance ailleurs et partent dans la Pampa argentine pour acquérir leurs propres terres. Le troisième, Pierre, choisit lui de rester à Buenos Aires sur l’exploitation des Portalés, famille au sein de laquelle il parviendra à s’intégrer au-delà de ses espérances puisqu’il en épousera la fille. La légende familiale raconte que ce dernier n’avait pas le courage et la force nécessaires, qui caractérisaient souvent les immigrés de l’époque, pour tout quitter et s’élancer à la conquête de nouveaux territoires !

Les deux autres frères ont prospéré très rapidement, grâce aux nombreuses terres qui leurs furent accordées. Encore aujourd’hui, la différence de situation entre la famille de ses deux frères partis acquérir leurs propres terres et celle de l’aîné est visible. La famille de Pierre, le frère resté à Buenos Aires, est beaucoup plus pauvre que les deux autres…

Les retrouvailles, cent ans après L’immigration permet aujourd’hui encore de créer de belles histoires, à l’instar de celle de mon père qui, un siècle plus tard, a repris contact avec notre famille expatriée. Après des courriers aux ambassades, des lettres puis des mails échangés avec la famille, mon père, mon grand père et ma grand-mère partirent à leur rencontre en terres argentines en 1995. Ce fut l’occasion de découvrir tous ces parents inconnus et disséminés aux quatre coins du pays : Buenos Aires, Junin, Rufino, General Villegas… Les deux semaines que dura leur périple furent riches en émotions ! Cent ans après, des souvenirs se racontent, des ressemblances se décèlent, et les signes remplacent les mots quand la barrière de la langue devient trop grande… Puis quelques années plus tard, ce fut au tour des cousins et cousines argentins de venir en France. Aujourd’hui c’est à moi de faire le voyage ! Je ne suis que depuis cinq mois à Buenos Aires et j’ai déjà rencontré une vingtaine de cousins et cousines qui m’ont toujours accueillie les bras ouverts, sans me connaître. Et je réalise qu’au final, la distance et les différences culturelles importent peu car comme le dit Martin Fierro, le personnage du roman éponyme de José Hernandez : « Que les frères restent unis, c'est la première des lois. »

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Décloitrés #4

Alice Quistrebert Edimbourg Royaume-Uni

Surnommée tour à tour « Athènes du Nord » et « Auld Reekie » (vieille enfumée), Edimbourg et ses murs noircis par le temps ne cessent d’intriguer. Des milliers de touristes se pressent chaque année pour découvrir la capitale écossaise. Face à l’affluence, un business particulier s’est développé, celui des « ghost tours ». Ces visites guidées entraînent les curieux amateurs de frissons dans les cimetières, les ruelles sombres et les sous-sols hantés de Old Town. Entretien (para)normal avec Frances Mann, historienne et guide à Edimbourg depuis vingt ans. Attention : cartésiens s’abstenir !

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Je m’appelle Frances et je travaille en tant que guide depuis près de vingt ans. Je suis aujourd’hui responsable du recrutement et de la formation des guides ; un métier passionnant !

Les« ghost tours » représentent un business important à Edimbourg ; combien de visites guidées ont lieu chaque jour ? Ma compagnie propose jusqu’à vingt visites par jour en haute saison, c’est-à-dire de mai à fin octobre. Mais nous sommes sept entreprises sur le marché des ghost tours et de nouvelles apparaissent chaque année : je vous laisse imaginer la demande ...

Quel est justement le profil idéal d‘un guide ? Notre premier impératif dans une candidature, c’est le cursus historique. : on recrute uniquement les étudiants en histoire, les professeurs, etc. Tout ce que l’on raconte en visite repose sur des sources écrites et officielles : registres judiciaires, de police, déclaration des médecins … Car être guide, ce n’est pas seulement raconter des histoires : c’est aussi s’assurer qu’elles sont vraies ! Mais ce qui fait la différence, c’est la personnalité, l’étincelle qui me fait me dire : « celui-là saura bien raconter les histoires ».

Guide de visites « fantômes », ça n’est pas rien ! À quel genre de questions bizarres doit-on s’attendre lors de l’entretien d’embauche ? Haha, vous faites bien de poser la question ! J’aime prendre les candidats de court en leur demandant quelle serait leur réaction s’ils voyaient un fantôme lors d’une visite ; ça en surprend plus d’un. Bon, les fantômes ne sont malheureusement pas les seuls à s’inviter lors des visites, alors je m’assure aussi que nos futurs guides sauront gérer les personnes qui ont un peu trop apprécié le whisky écossais ...

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Décloitrés #4

Des centaines d’histoires courent dans les rues d’Edimbourg. Comment faire le tri et reconnaître « la » bonne ? Edimbourg est effectivement riche, qu’il s’agisse de la grande Histoire ou des petites. On s’efforce toujours de choisir des histoires ayant un lien avec l’itinéraire de la visite, ça donne corps à ce que l’on raconte. Et puis le public est le meilleur juge : on sait tout de suite quand une histoire est « bonne » !

Une bonne histoire n’est donc pas simplement une histoire qui fait peur ? C’est drôle que vous en parliez : pendant des années, notre entreprise se vantait de proposer des visites « effrayantes ». Pourtant aujourd’hui, vous ne verrez le mot « peur » écrit nulle part sur notre site ou dans notre boutique. Pourquoi ? Eh bien nous avons reçu de nombreuses remarques de visiteurs qui se plaignaient de ne pas avoir eu assez peur ! La peur est subjective : on n’a donc pas encore de visite qui effraie assurément tout le monde, mais on y travaille.

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Quelle est votre histoire préférée ? J’aime beaucoup l’histoire du fantôme de Maggie. Margareth était une jeune femme très fortunée, morte à Edimbourg au XIXe. Pour prouver sa richesse, on l'avait enterrée avec tous ses bijoux. Mais en Ecosse sévissaient à l'époque les « bodysnatchers » : ces « récupérateurs de cadavres » étaient des malfrats qui déterraient les cadavres fraîchement enterrés pour aller les vendre à des professeurs de médecine peu scrupuleux qui les utiliseraient dans leurs cours d’anatomie. Sitôt enterré, le cadavre de Maggie a été déterré par des bodysnatchers qui en ont au passage profité pour récupérer ses bijoux. Seulement voilà : impossible d’enlever les bagues des doigts du cadavre ! Ni une ni deux, ils n’hésitèrent pas à lui couper quelques doigts, avant de ramener le corps à un professeur. Malheureusement pour eux, et cela arrivait parfois à l’époque, Margareth avait été enterrée vivante. Probablement plongée dans un coma profond pendant son enterrement, elle n’avait repris conscience qu’une fois sur la table de dissection du médecin – à temps heureusement. En découvrant ses mutilations, elle jura de se venger. L’histoire dit qu’elle réussit à retrouver ses bourreaux et à les faire sombrer dans la folie en se faisant passer pour un fantôme.


IL était une fois

Les fantômes tiennent en effet une place essentielle dans les « ghost tours ». En tant qu’historienne, vous devez pourtant admettre qu’il est plutôt difficile de prouver leur existence ! Oui. Et pourtant… Il faut savoir que les sous-sols de Blair Street dans lesquels nous emmenons nos visiteurs sont réputés être les plus hantés de Grande-Bretagne. Ces souterrains sont des « vaults », c’est-à-dire les voutes d’un ancien pont qui traversait la ville. Les vaults sont creux et ont abrité pendant des années des commerces et habitations avant de devenir le repère des malfrats et des criminels. Ils ont alors été fermés par la ville et n’ont été redécouverts qu’en 1985 lors de travaux de voirie. Depuis près de vingt ans, des visites s’y déroulent et de nombreux touristes ont déclaré avoir vu ou perçu des choses.

À partir de quand un fantôme devient donc « officiel » ? L’autosuggestion et l’atmosphère oppressante des vaults jouent à l’évidence un rôle important – nous ne sommes pas dupes. Nous tenons néanmoins des registres et des cartes qui permettent de recenser les apparitions dont les visiteurs disent avoir été victimes ; certains donnent des détails très précis.

En deux décennies, des occurrences troublantes ont eu lieu. L’imagination peut-elle tout expliquer ? Même les plus cartésiens d’entre-nous ont parfois des doutes…

Alors : qui hante vos souterrains ? À en croire nos visiteurs et certains de nos guides, un petit garçon, un cordonnier et un vieux majordome plutôt antipathique celui-là - se promènent régulièrement dans les vaults de Blair Street.

Avez-vous déjà vu un fantôme vous-même ? Non ! Voilà bientôt vingt ans que je travaille comme guide et je n’ai jamais rien vu.

Et vous êtes déçue j’imagine… Mon Dieu non ! Qu‘ils me fichent la paix surtout, j‘aurais bien trop peur de retourner dans les souterrains après ça ! ■


Décloitrés #4

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Vapur sur le départ pour rejoindre la rive européenne

Contemplations turques, sur les rives du Bosphore. par Marine Litou Entre Europe et Asie, le Bosphore - Istanbul Boğazı - lie les deux continents qui se rencontrent et s’entremêlent, dans la ville empreinte de diversité qu’est Istanbul. La vie s’organise autour du détroit qui, au-delà d’être une séparation entre les deux continents, joint les deux rives pour ne former qu’une seule et même ville. Deux ponts, ainsi que le Marmaray - un tunnel immergé inauguré récemment, non sans doutes et controverses – et de nombreux vapur (bateau) sont autant de passerelles entre les divers quartiers qui bordent le Bosphore.

Alors que les Stambouliotes vivent au rythme effréné des sons d’Istanbul, mis en scène par Fatih Akin dans le film Crossing the Bridge, le Bosphore semble, derrière sa fonction économique essentielle, demeurer l’objet des contemplations turques. Autour du Bosphore, on peut… Boire un çay (thé) à Bebek. Admirer le coucher du soleil en fumant le narguilé à Üsküdar. Converser dans un bar sur la rive de Kadıköy. Manger un kumpir (une pomme de terre au four) à Ortaköy. Courir sur la rive de Kabataş. Observer les pêcheurs à Eminönü ou bien les skateurs sur le port de Beşiktaş. 49


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Moment d’accalmie sur le port agité de Kadıköy ▲ Beşiktaş ► Entre Europe et Asie ▼

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Conversations sur le port de Beşiktaş ▲ Les ombres de Sultanahmet apparaissent au-delà du Bosphore au coucher du soleil ► Les ombres des minarets se dessinent au coucher du soleil sur Eminönü ▼

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Port de Kadıköy ◄ Üsküdar ► Vue sur Karaköy au coucher du soleil, moment idéal pour un balık-ekmek (un sandwich au poisson) ▼

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Camille Dornier Valparaiso Chili

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ors d'une entrevue, Amanda, étudiante en Histoire à l'Université de Valparaiso, nous en apprend plus sur la tradition de la minga et la véritable signification du terme. Née à Chiloé, Amanda vient d'une famille qui vit dans l'archipel depuis des décennies. Ses parents ont vécu les changements à l’œuvre dans les îles et lui ont conté cette expérience. Elle-même porte un regard très critique sur l'état actuel des traditions chilotas.

Que signifie exactement le terme « minga »? Les mingas ont encore lieu dans les petites îles qui n'ont toujours pas accès à la technologie. Les habitants n'ont ni l'eau ni l'électricité ou ne l'ont que pour un temps limité. La minga est un travail communautaire, elle vient du terme inca « mingako ». Il peut s'agir d'un déplacement de maison, des semailles de pommes de terres... cela peut être beaucoup de choses. La communauté travaille [pour une famille de l’île] et reçoit de la nourriture en échange. Et surtout, l'usage veut que les familles qui participent au travail soient ensuite aidées à leur tour.

Les mingas sont-elles une spécificité de Chiloé ?

Son nom évoque des paysages verdoyants, un temps capricieux et très humide, et des maisons de bois multicolores. Situé dans la région des lacs, au Sud du Chili, l'archipel de Chiloé fut longtemps coupé du continent, ce qui favorisa la conservation de ses plus antiques coutumes. L'une d'entre elles, connue sous le nom de « minga », est réputée dans tout le Chili. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'un déménagement au sein de l’île, sauf que ce n'est pas seulement le contenu de la maison qui est déplacé mais l'édifice tout entier. L'opération nécessite la mobilisation de tout le voisinage et la minga est un symbole de la solidarité au sein de l’île.

Je dirais que cela fait partie de la culture rurale. Par exemple à Constitucion, un lieu rural également, il y aussi des mingas mais on les nomme « mingako ». Les noms changent mais pas le sens. Les mingas de Chiloé sont plus connues pour des raisons touristiques. Les mingakos qui se font dans d'autres lieux ruraux ne sont pas des déplacements de maison (« tiraduras de casa »), c'est la caractéristique de Chiloé. 57


Décloitrés #4

Ainsi les nouvelles générations n'ont pas ce sens de la communauté ?

Photo de Alessandro Caproni

Non... J'ai peut-être une vision plus critique parce que j’étudie, mais j’ai l’impression que la majorité des enfants sont déjà aliénés par la télévision ou l'ordinateur. Donc cela ne les intéresse pas de connaître leur culture, et ils vont encore moins la préserver s'ils ne la connaissent pas. J'ai une vision différente grâce à l'héritage de ma mère, elle a vécu tout le changement sur l'île de Chiloé, le passage d’une vie en communauté à une sorte de « modernité », durant l'époque de la dictature.

Peux-tu nous en dire plus sur cet aspect « déménagement » des mingas ? En règle générale la minga suit un processus. Pour commencer, la famille qui a besoin d'aide va voir les voisins, ce qui s'appelle « supplier » (« suplicar »). Ensuite, les autres familles disent « ok je vais t'aider » puisqu'elles ont elles-mêmes reçu de l'aide de cette famille auparavant. C'est un processus réciproque, circulaire. Ensuite ils disent « on se réunit tel jour », ils se réunissent et commencent à travailler. En ce qui concerne les déménagements, cela peut se faire en passant par la terre ou par la mer. Dans le cas de la terre, cela se fait avec des bœufs : ils remorquent la maison. La maison est soulevée et on met des troncs de bois en dessous. Dans l'autre cas, cela se fait avec des bateaux.

As-tu déjà vu personnellement des mingas, dans le sens général du terme ? Dans le cas des semailles pas beaucoup... Surtout parce que les mingas d’aujourd’hui ne se font pas pour conserver les traditions mais pour vendre. Donc les mingas que j'ai vues étaient destinées aux touristes. Avant, cela se faisait de manière plus authentique. Tous les voisins s'entre-aidaient, pas seulement pour les déménagements. [...]

Quel est ton point de vue quant à la perpétuation de ces traditions ? Je crois qu'en réalité cela va continuer à être une tradition destinée aux touristes, parce que ce n'est pas seulement une question de tradition mais une question de logique, comment fonctionne la communauté. Chiloé a déjà été absorbée par la télévision et par les erreurs provenant du Chili et de sa culture. En réalité la culture chilota a déjà changé au profit de l'individualisme. Avec l'individualisme, la culture communautaire ne peut pas exister. On n’attend pas l'aide d'autrui.

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Durant la dictature ? Oui, avec l'introduction de l'élevage de saumon à Chiloé. La vie des paysans ne se résume plus à la subsistance et la vie en communauté mais au travail rémunéré. Ainsi les paysans se prolétarisent, c'est quelque chose qui est valable dans tout le Chili, mais Chiloé était en retard, avait une culture bien enracinée. Ce changement, ma mère l'a vécu et me l'a raconté. Évidemment elle préférait la vie avant. Elle a toujours cette nostalgie. Enfin la manière de vivre d'avant existe toujours dans les petites îles, où, comme je te l'ai dit, ils n'y a ni l'électricité ni l'eau. Je fais donc le lien entre la télévision et la transformation de la communauté. Cet accès à la technologie t'amène ensuite à consommer, à acheter plus de vêtements, à vouloir avoir les dernières technologies, etc... Par exemple dans les petites îles qui n'ont toujours pas accès à ces choses, le sens de la communauté reste très fort.

Mais dans ces petites îles vivent surtout des personnes âgées non ? J'imagine que les jeunes générations ne veulent pas vivre là-bas... Oui, de fait, ces îles vieillissent. Les jeunes partent, ils vont à Castro par exemple [capitale de l'île principale], qui est une ville, petite certes, mais c'est une ville […] La plupart des jeunes doivent partir pour aller étudier parce que le collège rural ne va que jusqu'au niveau basique. Cela change toute leur perception et ils veulent rester là-bas. Les vieux meurent et la culture se perd parce que les jeunes ne restent pas. ■


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PLATZKART Samson Dodeller Moscou Russie

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eulement voilà : la Russie c’est 500 fois notre belle petite Bretagne, alors quand vient l’heure de concrétiser ses rêves d’escapades, on saisit rapidement que le transport constituera la majeure partie du périple. Cela est d’autant plus vrai qu’ici, on voyage en train, en train, et en train. Forcément, ça prend du temps. Quelle raison pousse les Russes à s’imposer plusieurs journées enfermés dans un wagon ? Les paysages sont beaux, certes, mais trop vite monotones. La crainte des crashs d’avions ? Sans doute. Mais la vraie réponse, je vais vous la donner.

Le système ferroviaire russe : clefs des portes de la vraie Russie.

Avant même de me décloîtrer en Russie, je regardais mon planisphère et laissais mon esprit parcourir ce vaste pays. Je rêvais déjà de crapahuter dans ces contrées éloignées (celles dont vous avez oublié le nom dès que le bac de géographie est passé) : Pskov, Arkhangelsk, et autres Novocheboksarsk.

À ce stade, je pourrais déjà conclure l’article armé d’un simple argument : le prix. Mais un voyage en Platzkart, c’est bien plus que ça. Le train est une institution en Russie, un élément indéboulonnable de sa culture. À titre indicatif, la société russe des chemins de fer pèse 3,6% du PIB national et emploie 1,3 millions de personnes. De son rôle clé dans la révolution d’Octobre à son importance dans la littérature russe, en passant par le succès récent de la ligne reliant Moscou à sa nouvelle périphérie, Nice, le rail a façonné le visage de la Russie et en révèle l’âme. Je dois préciser qu’il existe plusieurs types de trains et notamment le SAPSAN, l’équivalent du TGV, entre Saint-Pétersbourg et Moscou. Mais le préférer au train basique, c’est comme passer à l’Ouest ou acheter du beurre doux. Une trahison. Niet. Le vrai train russe n’a pas grand chose à voir avec le nôtre, puisqu’il voyage généralement de nuit et arrive à l’heure. Pour bien marquer la différence, nous l’appellerons par son petit nom russe « Поезд » (Paezd). C’est un ensemble de vieux wagons soviétiques rouges et gris divisé en trois classes : Лух (Luxe), Купе (coupe), et Плацкарт (Platzkart).►

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Voyager en Platzkart, c’est déjà un voyage en soi. Ce wagon dortoir ouvert, sans porte ni mur, contient 36 couchettes superposées, réparties en bloc de 4 et raccordées aux 18 couchettes latérales par le couloir. Lors de la réservation, chacun a ses préférences. Certains préfèrent les lits du bas afin d’éviter une chute fatale, d’autres le haut pour s’épargner un coup de tibia contre leur nuque endormie dépassant dans le couloir. D’autres encore privilégient les couchettes latérales pour ronfler dans le sens de la marche. Néanmoins, tous les passagers sont finalement logés à la même enseigne, avec une vue sur le paysage et l’autre sur le voisin. Un havre de promiscuité. Mais c’est ici que réside tout l’intérêt du Platzkart. Entassés à six dans un compartiment de 6 m², les voyageurs créent des liens. Pour aider à les tisser, la tradition impose d’embarquer avec des закуски : poissons ou fromages fumés accompagnés de bières, autour desquels la conversation se construira d’elle-même. Étudiants, travailleurs, immigrants, familles, babouchkas, chacun raconte alors son chemin de vie jusqu’au carrefour de cette rencontre. Clairement, le Platzkart ne vise pas à satisfaire notre besoin de confort. Son charme surgit de ces rencontres délicieusement captivantes et étonnamment enrichissantes. Les Russes se montrent alors très ouverts et passionnés, à fortiori envers les étrangers. Bien souvent, on poursuit la conversation en allant fumer une

cigarette entre les deux wagons, troquant en un claquement de porte l’air suffoquant à 25°C de la rame contre une délicieuse brise a -15°C. On trouve cependant du réconfort auprès du samovar commun qui fournit le train en eau bouillante durant tout le trajet, afin de déguster un thé brûlant. Les heures défilant comme le train, il faut enfin se faire une raison et après une dernière partie de Дурак (la bataille russe), il est déjà temps de grimper dans sa couchette. La première fois, on m’avait confié « Tu verras, avec les secousses du train c’est comme un berceau ». Sauf que la comparaison ne vaut que pour les dimensions du lit. Tête rentrée, position fœtale, en diagonale, avec les jambes en quinconce, rien n’y fait : il y a toujours une partie de soi qui dépasse du lit. Comprenez maintenant que la forte ressemblance entre « platzkart » et « placard » n’est pas fortuite. Le secret pour cheminer sur la voie du repos toute la nuit durant est, parait-il, de se faire aiguiller par un petit verre d’eau-de-vie. Mais le train de ces inconforts glisse sur les rails de notre tolérance, et dès votre deuxième voyage, vous l’élirez comme votre mode de transhumance préféré. Vous vous endormirez paisiblement, le sourire aux lèvres, rêvant du Graal ferroviaire, cette locomotive de l’imaginaire, le Transsibérien. 10000 kilomètres, 150 heures hors du temps avant de flirter avec l’Amour en Russie. Mais c’est déjà une autre histoire.


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PORTRAITS

CE TOXICO Julie Delamotte Toronto Canada

Photo de Shaun Merritt

Alors que les Français s’apprêtent à renouveller leurs conseils municipaux, un maire ne cesse de faire parler de lui au Canada. Accusé de consommation de drogue et de harcèlement sexuel, Rob Ford, le ventripotent maire de Toronto défraie la chronique. Portrait de l’homme politique le plus déjanté de la planète.

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oronto, capitale économique du Canada, 4e ville d’Amérique du Nord, néanmoins paisible et connue pour son caractère multiculturel, est actuellement sous les feux des projecteurs du monde entier. La raison de cet engouement : Rob Ford, maire de Toronto depuis 2010, et personnage haut en couleur. Cet homme joufflu et corpulent est devenu une véritable star après la diffusion d’une vidéo le montrant en train de fumer du crack (drogue dérivée de la cocaïne). Et pour cause, le Petit Journal de Canal + ou le très populaire Saturday Night Live aux États-Unis ont fait de Ford leur coqueluche.

Superstar malgré lui Dès le printemps 2013, des rumeurs ont bruissé dans les médias sur l’existence de cette fameuse vidéo, confirmée à l’automne par la police torontoise. Depuis, les révélations se sont accumulées sur les problèmes d’addiction de Rob Ford, mais aussi sur certaines de ses mœurs comme la fréquentation de prostituées. Ses déclarations souvent grossières n’ont fait qu’amplifier le scandale et ont fait de Rob Ford une superstar mondiale à ses dépends.

Malgré le vote par le conseil municipal d’une motion de censure, Rob Ford refuse toujours de démissionner et restera à la tête de la mairie tant qu’aucune décision de justice ne le forcera à quitter ses fonctions. La Première Ministre de l’Ontario a même engagé une action en justice devant les tribunaux de la province pour débouter le maire, en vain.

Portrait du maire fumeur de crack Si tout le monde le connaît pour ses frasques et ses phrases désormais cultes, qu’en est-il de son parcours ? Rob Ford est né dans une famille aisée et puissante. Son père, Douglas Bruce Ford, était un entrepreneur fortuné et ancien député de l’Ontario. Rob Ford est donc familier depuis son enfance avec le monde politique. En accompagnant et en observant son père, il a appris tous les rouages de ce milieu. La famille Ford est un clan très lié : Doug Ford, le frère de Rob, est lui aussi homme politique et membre du conseil municipal de Toronto. Il est un proche conseiller du maire et est parfois présenté comme étant le « cerveau » du duo Ford.► 63


Décloitrés #4

►En 2010, après plusieurs mandats de conseiller municipal, Rob Ford est élu maire de Toronto. Présenté comme conservateur, il fait de la défense des contribuables son cheval de bataille. Il s’est par exemple engagé à réduire de façon conséquente le train de vie de la mairie. Par ailleurs, lors de la campagne électorale de 2010, il s’est présenté comme un homme comme les autres, simple et proche des gens. Volontiers populiste, il aime être vu comme un citoyen lambda qui « mange au McDonald’s et prend son café à Tim Hortons » d’après les propos d’un ancien membre de son équipe. Depuis fin 2012, les deux frères animent une émission de radio hebdomadaire au ton volontiers démagogue sur une radio locale. La chaîne d’information canadienne Sun News a même proposé aux deux frères d’adapter leur show à la télévision. Mais finalement, un seul épisode de Ford Nation sera diffusé par la chaîne face à l’avalanche de critiques en provenance des téléspectateurs.

2014 : quels atouts ? Au printemps 2014 auront lieu de nouvelles élections municipales auxquelles Rob Ford entend bien briguer un second mandat. Peine perdue ou succès probable ? Rob Ford est un personnage très controversé au sein de la population torontoise : qu’on l’adore ou qu’on le haïsse, aucun Torontois ne reste indifférent face au premier magistrat de la cité ! Depuis le début de sa carrière politique, le maire de Toronto s’est fait remarquer par ses sorties provocatrices, voire homophobes ou racistes. En 2007, il avait par exemple affirmé que « c’est de la faute des cyclistes s’ils se font tuer » mais aussi que les Asiatiques « travaillent comme des chiens, ils bossent sans arrêt, ils dorment devant leur machine, c’est pour ça qu’ils réussissent si bien, et moi je vous le dis, ces Orientaux, ils sont en train de prendre le pouvoir ». Malgré tout, l’édile conserve une popularité conséquente au sein de la population avec près de 45% d’opinions favorables. En effet, la réduction des dépenses de la mairie ou de certains impôts sont des mesures qui ont été appréciées par la population. En outre, cette popularité s’explique par son image d’homme simple et proche du peuple ainsi que par sa réputation de combattant. Elle s’est améliorée depuis qu’il a reconnu ses torts, en expliquant tout de même que la seule fois où il a effectivement consommé du crack, il était ivre. Il s’était excusé publiquement en promettant qu’on ne l’y reprendrait plus. Rob Ford est un redoutable politicien qui évolue dans ce milieu depuis son plus jeune âge et en connaît tous les rouages. Il est donc loin d’avoir dit son dernier mot et rien n’est joué pour 2014. Soyez donc prêts, Rob Ford mandat 2 arrive bientôt sur vos écrans !

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PORTRAITS

Ali Abu Ouissam, dernier luthier de Palestine Adrien Scanga, Naplouse, Palestine

Ali Hassanein, dit Abu Ouissam, est luthier et musicien dans la ville de Naplouse, au nord des territoires occupés palestiniens. Avant, pendant ou après un cours, il reçoit souvent des voisins et des amis dans son atelier. Les gens y boivent du thé, du café à la cardamone et discutent. Les Palestiniens sont connus pour être très accueillants. Ali est un artisan passionné et attaché à son métier. Il est une figure connue de la vieille ville de Naplouse où il tient son magasin et son atelier. C’est entre des murs vieux de presque deux mille ans et souvent entouré de musiciens, d’élèves et d’amis qu’il passe la plupart de son temps à donner des cours gracieusement à ceux qui lui demandent, internationaux comme Palestiniens, et à soigner ses instruments.

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Décloitrés #4

Quelles sont les origines du oud* ? En recoupant des preuves provenant de plusieurs sites archéologiques, la première apparition d’un instrument proche du oud aurait été en Mésopotamie, pendant l’Âge du fer, entre 2350 et 2170 av. J.C.

Pouvez-vous nous donner quelques particularités de la musique arabe ? La musique est un langage universel mais les cultures ont leurs particularités. Dans la culture arabe, les instruments majeurs sont le oud, le kanoun1, les percussions et le violon. La musique arabe peut prendre différentes « formes » qui portent des noms différents comme Samaï, Longa, Bashraf entre autres. Dans chaque région du monde arabe, on trouve une façon unique de jouer ou de chanter mais toute la musique arabe respecte une règle commune : celle des gammes arabes. On en compte plus d’une centaine. Elles ont toutes un nom et se différencient parfois rien que par la variation d’un quart de ton sur une seule note. Pour citer quelques noms, parmi les plus courantes il y a les gammes Hijaz, Bayat, Kurde, Nahawand, Ajam…

À quand remonte votre première rencontre avec un oud ? Je suis né, et depuis il y a un oud devant mes yeux. Mon père était musicien et j’ai appris à jouer à l’âge de 13 ans.

Comment avez-vous appris à fabriquer des ouds et comment avez-vous décidé d’en vivre ? Je ne m’attendais pas à devenir luthier. L’explication, c’est que j’avais acheté un vieux oud qui avait besoin d’une réparation et je ne trouvais personne pour le faire dans ma ville. J’ai donc décidé de me faire ma propre expérience et j’ai réussi. Ensuite j’ai commencé à demander à des amis s’ils avaient besoin de réparer leur oud gratuitement : en tant que joueur de oud c’est facile de trouver la source du problème sur un instrument cassé et de le résoudre.

J’ai entendu dire que vous êtes le dernier en Palestine à fabriquer des ouds à la main, c’est vrai ? Je ne pense pas. J’ai entendu parler de gens qui fabriquaient des ouds en Palestine mais ils sont très peu et on peut les compter sur les doigts d’une main. Je n’en ai rencontré aucun et je ne peux pas dire si leurs ouds sont bons ou mauvais. Mais vous savez, pour vous peut-être que la Palestine ce ne sont que les territoires occupés, mais pour moi c’est tout cela plus ce que l’on appelle Israël. Haïfa, Akka (Saint Jean d’Acre), Jaffa, Gaza, toutes ces villes sont pour moi en Palestine. Il y a donc certainement d’autres luthiers artisans en Palestine mais je ne peux pas les rencontrer.

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PORTRAITS

Comment vont les affaires ? À cause de la situation économique dans les territoires palestiniens occupés, la fabrication de ouds n’est pas suffisante pour vivre. Mais je garderai ce magnifique métier que j’aime de tout mon cœur.

Avez-vous des problèmes (commerciaux) avec Israël ? Non, aucun. Traverser la frontière2 me prend juste plus de temps.

Quels sont vos projets, votre vœu le plus cher ? Continuer mon métier dans la fabrication de ouds et ouvrir une école pour apprendre à jouer de cet instrument, particulièrement en Europe. J’ai remarqué que les Européens adorent le oud et s’y intéressent. Je voudrais également fonder une école pour enseigner aux jeunes de ma ville à jouer. Ali est une personne très bienveillante et sensible à la situation de son pays. Il est curieux des autres cultures et s’intéresse aux gens qu’il reçoit. Il est probablement un des derniers artisans luthiers de la région, une légende à son échelle. Il part parfois partager son savoir-faire à l’étranger où il est invité pour enseigner la fabrication artisanale du oud. Propos recueillis le Dimanche 27 octobre 2013, dans le magasin d’Ali Abu Ouissam.

1. Instrument ressemblant à une harpe ou un piano, posé sur les genoux du musicien jouant assis à l’aide d’un coussin. Les cordes de l’instrument sont pincées à l’aide de lamelles de plastique coincées dans des bagues que le musicien porte aux index des deux mains.

*vous avez dit ouD ? Le Oud est un instrument traditionnel arabe, d’origine perse très ancienne. Il se joue en pinçant les cordes (qui sont doublées) à l’aide d’une sorte de médiator en plus long et souple, qui se tient dans la main. L’instrument a une forme particulière : le manche est court, le cordier fait un angle avec le manche et la caisse de résonnance est arrondie et très ample. Son nom vient de l’arabe al-oud : le bois. Parmi les virtuoses palestiniens du Oud, les plus célèbres sont les frères du Trio Joubran. Le Oud a également fait son entrée dans des genres plus modernes comme le Jazz. Le groupe tunisien Anouar Brahem Trio propose une excellente expérience musicale et est à écouter pour ceux qui souhaitent découvrir la sonorité de cet instrument.

2. Pour se rendre en Jordanie. Ali n’a pas le droit d’aller en Israël.

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Décloitrés #4

Pac man,

la fierté d'un peuple Victor Tanguy Manille Philippines

Aux Philippines, il est coutume de dire que « quand Manny Pacquiao se bat, plus aucun crime n’est commis », délinquants et criminels étant scotchés à leurs écrans. Le 24 novembre dernier, celui que l’on surnomme « Pacman » a remporté une nouvelle victoire à Macao, une victoire au goût un peu spécial, car il l’a dédicacée aux victimes du typhon Haiyan qui avait balayé une grande partie du centre du pays lors de son passage le 8 novembre 2013, causant la mort de plusieurs milliers de personnes. Une superstar de la boxe, mais pas que...

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PORTRAITS

N

é en 1978 sur l’île de Mindanao au Sud des Philippines, l’une des régions les plus pauvres de l’archipel, Manny Pacquiao s’est sorti de la misère ‘’grâce à ses poings’’. Sa carrière est jalonnée de succès : il a accumulé six titres de champion du monde dans six catégories différentes, ce que seul un boxeur avait réussi avant lui. Il a été nommé boxeur de la décennie 2000-2009 et il est considéré comme le meilleur boxeur ‘pound for pound’ (toutes catégories confondues). Le 24 novembre dernier il s’est imposé face au boxeur américain Brandon Rios. Mais Pacquiao n’est pas seulement un sportif : il est aussi chanteur, acteur et homme politique. Après avoir sorti deux albums, ‘Laban Nating Lahat Ito’ en 2006 et ‘Pac-man Punch’ en 2007, il a fait son entrée en politique en 2010 en se faisant élire membre du Congrès sur son île natale. Il est aussi propriétaire d’une équipe de basketball dans un pays qui vît au rythme de ce sport. Aux Philippines, impossible de passer à côté du boxeur. Il est partout présent : bouteilles de soda, panneaux publicitaires géants à Manille, magazines, journaux, etc. Pacquiao est une incroyable machine commerciale.

Pacman et le supertyphon Haiyan Le météorologue américain Jeff Masters l’avait qualifié comme étant ‘’le plus puissant cyclone à toucher terre dans l’Histoire’’. Les faits l’ont démontré. Dans la nuit du 7 au 8 novembre le typhon a touché la région des Visayas au centre des Philippines, apportant des pluies violentes et des vents de plus de 315 km par heure. Les dégâts sont considérables : certaines provinces, comme celle de Leyte, sont dévastées de 70% à 80%. Sa capitale Tacloban est devenue le symbole des ravages de ce typhon meurtrier. Les autorités avancent le chiffre de 5200 morts. La victoire de Pacquiao le 24 novembre a redonné une bouffée d’espoir à un peuple meurtri ; une victoire qu’il a dédié « au peuple philippin ». À Tacloban, quatre écrans géants avaient été installés pour l’occasion. Les habitants ont pu oublier l’espace de quelques heures le désespoir laissé par le typhon. En visite le 2 décembre à Tacloban pour remplir sa promesse de visiter les régions sinistrées après sa victoire, Pacquiao a distribué de l’argent et des bibles aux habitants et a déclaré :’’Ne perdez pas espoir. Aussi longtemps que nous sommes vivants, il y a encore de l’espoir. Nous pouvons nous battre pour retrouver une vie normale comme avant. N’oubliez jamais Dieu. Il ne nous quittera jamais’’. Des paroles fortes venant d’un homme considéré comme un dieu vivant par les siens. 69


Décloitrés #4

Toronto, carrefour du monde Yulizh Bouillard Toronto Canada

Près de la moitié de la population torontoise est née à l’extérieur du Canada. Environ 150 langues différentes y sont parlées tous les jours. Environ 200 ethnies résident à Toronto. Grâce à l’apport des multiples vagues d’immigration, la plus grande ville du Canada est aujourd’hui considérée comme la ville la plus cosmopolite de la planète. Flâner dans les quartiers de Toronto revient à faire un tour de la planète en miniature.

S

tagiaire en communication au Centre francophone de Toronto, organisme à but non lucratif qui offre des services gratuits et en français aux nouveaux arrivants, j’ai la chance de faire l’expérience de cette diversité tous les jours, tant auprès des clients du Centre qu’auprès de mes collègues, qui ont eux-mêmes connu le processus d’immigration. Petit retour en arrière pour quatre de mes collègues qui ont accepté de me raconter leur histoire : Monique, Peter, Careen et Assiatou.

Monique Quand et pourquoi es-tu partie du Vietnam ? En 1978. Je faisais partie des Boat-people, j’ai quitté clandestinement le Vietnam car le Nord a envahi le Sud, donc tout le pays est devenu communiste. Moi, je faisais partie de la classe des « privilégiés » donc on était les premières cibles. Les communistes ont tout récupéré chez moi, on cohabitait avec des soldats, c’était invivable, ça ne mène nulle part. Plus rien n’est à toi, tu n’as plus de biens, on ne voit plus l’avenir. Mes parents ont donc décidé de me faire voyager clandestinement, avec mon mari et sa famille.

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Pourquoi Toronto ? Après des jours passés dans le bateau en Indonésie et en Malaisie, grâce à deux journalistes français qui sont venus nous interroger, l’ONU s’est occupé de nous et on est venu nous chercher. Nous sommes arrivés à Montréal. À ce moment-là le Québec voulait se séparer du reste du Canada. La première question qu’on m’a posée c’est « êtes-vous pour le Québec libre ? ». Tu te rends compte ? Ça fout la frousse, je ne savais pas de quoi ce journaliste me parlait. On venait d’un pays qui se sépare, on n’était pas prêt à revivre un autre pays qui se sépare. J’avais une parenté à Toronto, mon oncle et ma tante, alors on a pris la décision d’aller vivre à Toronto.

Quel bilan tires-tu de ton parcours ? Je n’ai jamais regretté car le Canada est vraiment fantastique. C’est la liberté ici, on peut dire ce que l’on veut. Ça vaut de l’or. La page est tournée, on ne peut plus aller au Vietnam. Beaucoup de mes compatriotes sont retournés car le système a changé, mais mon mari est tellement traumatisé qu’il ne veut plus jamais aller là-bas. Moi j’ai envie, car je sais que le problème c’est le système politique, pas les gens.


PORTRAITS

Careen Quand et pourquoi es-tu partie d’Haïti ? En octobre 1979, à 21 ans, je suis partie toute seule. J’étais fière. Je voulais apprendre l’anglais, le pratiquer, en voulant rester 5 ans au maximum. Je suis venue pour travailler comme diplomate au consulat haïtien. Le consul était un très bon ami de la famille.

Quelles ont été les principales difficultés que tu as rencontrées ? Le plus difficile c’était la situation avec le consul, car une fois arrivée à Toronto j’ai été déçue, il avait d’autres idées pour moi, je subissais une sorte de harcèlement. Alors je suis partie à Montréal chez mes cousins, mais c’était aussi difficile, parce que je ne me sentais pas libre, la communauté haïtienne était très refermée sur elle-même. Je n’étais pas heureuse. Par contre je n’ai jamais eu de difficultés d’adaptation à Toronto, je ne sais pas pourquoi. J’étais bilingue alors ça m’a aidée. Je me suis toujours occupée.

Assiatou Quand et pourquoi es-tu partie de la Guinée ? Je me suis mariée en 2002. En 2003 je suis allée en Allemagne, pour des soins médicaux, pendant 2 ans, puis j’ai vécu un an à Paris. Je prévoyais de m’inscrire à la Sorbonne, mais je faisais en même temps des soins pour avoir un enfant, et je suis tombée enceinte au moment où j’allais commencer mes études (mon mari était en Afrique mais il faisait des va-et-vient pour venir me voir). Je suis venue au Canada parce qu’on voulait donner l’opportunité à notre enfant de ne pas vivre ce que nous avions vécu, les conditions de vie, l’éducation. On voulait lui ouvrir des portes, le faire naitre en tant que Canadien.

Quelles ont été les principales difficultés que tu as rencontrées ? Quel bilan tires-tu de ton parcours ? En arrivant à Toronto, je suis allée dans un shelter (abris) avec mon fils, parce que je me suis dit que je n’avais aucun intérêt d’être toute seule. C’était un programme de deux ans, je suis restée mais c’était très difficile de vivre avec une vingtaine de mamans et une quarantaine d’enfants. Par contre, je ne regrette pas du tout d’être passée par là : avant j’avais honte, mais maintenant j’en parle avec fierté, ça m’a beaucoup aidée. Je n’étais pas fière d’avoir abandonné mes cours à Montréal, mais je n’avais pas le choix, car c’était ma santé et mon bien être avant tout. Il n’est jamais trop tard, je retournerai à l’école et finirai mes cours de ressources humaines. Je suis très heureuse d’être là aujourd’hui.

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Décloitrés #4

Peter Quand et pourquoi es-tu parti de Cuba ? Je suis parti de Cuba en 2007. C’était avec le programme d’immigration du gouvernement canadien « travailleur qualifié ». J’étais avocat, alors j’ai candidaté en 2005 à la Havane. Cuba était une dictature communiste, pour moi ça ne marchait plus. Je n’aime pas les dictatures de droite ou de gauche. Je savais que je partirai un jour.

Pourquoi Toronto ? J’avais entendu des choses positives sur le Canada, sa réputation au niveau des services sociaux, la santé publique, le respect du multiculturalisme, un pays d’opportunités, et surtout c’est un pays démocratique. Et puis j’avais un ami à Toronto.

Quel bilan tires-tu de ton parcours ? Je n’ai jamais regretté non plus d’avoir quitté le pays, je savais que pour moi c’était une nouvelle possibilité. Quand on me demande mon âge, parfois je dis que j’ai six ans. J’ai recommencé une nouvelle vie, c’est une renaissance en liberté. Je ne suis pas prêt à retourner à Cuba. Tout ce qui m’attire de mon pays, ma culture, je l’ai apporté avec moi : dans ma valise j’avais mes livres, mes CD et les photos de la famille. Monique et Careen travaillent au Centre francophone de Toronto depuis 34 et 25 ans. Peter et Assiatou s’étaient d’abord inscrits au CFT à une formation sur la recherche d’emploi, et ont finalement trouvé un travail au sein même du Centre. Tous les quatre œuvrent chaque jour au service des nouveaux arrivants francophones, pour venir en aide à tous ceux qui, comme eux il y a quelques années, arrivent sur une terre inconnue et ont juste besoin que l’on s’occupe d’eux.

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RECETTE

Liza Guillaume Mendoza Argentine

L’asado est la tradition argentine : pas un dimanche où on ne sent pas l’odeur de la viande grillée. À chaque Argentin sa parilla (grille de barbecue) ! Une fois la viande bien cuite, on y verse le chimichurri, cette sauce pimentée typique préparée avant l’arrivée des invités. Ingrédients : • une botte de persil • 3 à 4 gousses d’ail • piment rouge moulu • ail sec moulu • vinaigre d’alcool • huile d’olive • origan • sel

Préparation : 1. Emincer finement le persil avec l’ail. 2. Les mettre dans une boîte, et y ajouter une cuillère à café d’ail sec moulu, cinq cuillères à café d’origan, une cuillère à café de piment rouge moulu et deux cuillères à café de sel. 3. Diluer deux cuillères à café de piment rouge moulu dans un demi-verre d’eau chaude 4. Ajouter cela à la mixture, et y verser un autre demiverre d’eau chaude 5. Réserver 6. Avant de servir, y ajouter un demi-verre de vinaigre d’alcool et ¾ d’un verre d’huile d’olive. 7. Servir sur la viande quand elle est prête. 8. Accompagnez le tout d’un bon vin rouge de la région, un Malbec par exemple.

¡ Buen provecho ! Et surtout n’oubliez pas d’applaudir l’asador (celui qui prépare l’asado) sous peine de créer une gêne… L’asado est tout un art et son auteur doit être remercié !

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KESAKO


KESAKO

KESA KØ Pauline Joly Valparaiso Chili

JOTE, FANCHOP, PISCOLA, TERREMOTO !

Autant de mots qu’il faut s’empresser d’apprendre quand on arrive au Chili si l’on ne veut pas se retrouver avec un verre rempli de mélanges étranges... Petite leçon de vocabulaire !

JOTE

PISCOLA

Certainement l’une des pratiques chiliennes les plus difficiles à accepter et à comprendre pour un expatrié français. Je l’ai découverte pour la première fois lorsqu’invitée à un asado (sorte de barbecue géant), j’avais apporté une bouteille de vin en guise de remerciement. J’ai difficilement caché ma consternation quand j’ai vu l’une des tantes de la famille verser nonchalemment dans son demi-verre de vin une autre moitié de Coca... Inadmissible, non ? Cette fois-là je n’ai pas osé poser de questions et j’ai vite oublié l’histoire. Seulement, quelques semaine plus tard, j’ai vu ma colocataire faire exactement la même chose. Ce n’était plus possible : il me fallait une explication ! Et c’est tout naturellement qu’elle m’a expliqué que mélanger coca et vin rouge était tout a fait courant au Chili. Devant mon effroi, elle s’est empressée de préciser que c’était le plus souvent pour dissimuler le goût d’un mauvais vin. Malgré tout, je ne peux pas m’empêcher de rester sceptique...

Cette fois, l’insolite pour un Français ne réside pas dans le mélange, mais dans l’alcool utilisé : le Pisco ! Vous ne connaissez pas, n’est-ce-pas ? Le Pisco est l’alcool national du Chili, un peu comme la Sangria en Espagne, la Tequila au Mexique, ou encore le Rhum à Cuba. Le Pisco est en fait une eau de vie de raisin, titrant jusqu’à 45° d’alcool. Il est produit principalement dans la Vallée de l’Elqui, au Nord du Chili. Il se consomme souvent avec du Coca (« Piscola »), mais aussi sous forme de coktail (« Pisco sour »).

Vin rouge + Coca Cola

FANCHOP Fanta + bière

Ce mélange est particulièrement apprécié par les Chiliens dès lors qu’il s’agit de se rafraîchir. Vous l’avez compris, les sodas sont rois au Chili ! Ils accompagnent tous les repas : au restaurant ou en famille, il y a toujours une ou plusieurs bouteilles de Coca, de Fanta ou de Sprite sur la table. Et autant vous prévenir : si vous demandez de l’eau, vous allez à coup sûr provoquer des réactions de surprise.

Pisco + Coca Cola

TERREMOTO

Liqueur de vin blanc + fernet + glace à l’ananas + grenadine Si les « terremotos » (ou « tremblement de terre » en français) sont un phénomène sismique habituel au Chili (les Chiliens, surtout au Sud du pays, parlent toujours avec beaucoup d’émotion du tremblement de terre de 2010), nous parlons ici bel et bien d’alcool ! La semaine de mon arrivée, j’ai commandé pour la première fois un Terremoto, me laissant convaincre par des amis Chiliens qui m’assuraient que je pouvais pas prétendre découvrir le Chili sans tester son fameux Terremoto. C’est avec une certaine méfiance que j’ai vu arriver un verre rose bonbon, avec une sorte de mousse flottant à la surface (c’était en fait la glace), et une odeur très sucrée qui m’a interpellée. Après expérimentation, je peux vous assurer que ce coktail porte parfaitement son nom, et il contribue largement à l’animation qui envahit les villes chiliennes lors des « fiestas patrias » de septembre. Il devient alors incontournable, au même titre que les empanadas.

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Décloitrés #4

Inch’

Alizée Dufau Ramallah Palestine

In Chaâ Allah, « si Dieu le veut » : Expression religieuse stricto sensus, In Chaa Allah est une des expressions les plus courantes dans le monde arabe. En effet, tout ne peut se faire que par la volonté de Dieu, car c’est lui qui décide de demain. Impossible donc de parler du futur sans ajouter « Inch’Allah » à notre phrase.

Mais lorsque l’on commence à connaître la société palestinienne, on se rend vite compte que l’emploi de « Inch’Allah » peut souvent être compris dans un sens contraire, pour rendre l’éventualité encore plus incertaine : j’ai rapidement appris à comprendre un « je viendrai demain oui… Inch’Allah !» comme un « probablement pas ». Et de plus en plus, cette expression est employée ironiquement, une sorte de « cours toujours » en français. À sa mère qui l’encourage à bien travailler en lui démontrant l’importance de finir ses études pour ensuite se marier et fonder une belle famille, mon amie Wala’ répond un « Inch’Allah » malicieux : « dans tes rêves ! »

Aujourd’hui, cette expression est passée dans le langage courant et est attachée à la réponse à toute question. Elle est devenue un réflexe, presque un tic linguistique, que l’on pourrait traduire en français par un « je l’espère ». Ici en Palestine, elle prend également un sens particulier si l’on pense au contexte, car on ne sait jamais ce qui peut arriver dans un futur proche ou lointain, un problème au checkpoint, une coupure d’eau ou d’électricité, une route fermée… Ou dans un registre plus heureux, nos dix cousines qui arrivent par surprise pour un café ou l’arrivée imprévue de la neige au début du mois de décembre : il vaut mieux ne pas trop s’avancer et ajouter un ou deux « Inch’Allah » à tout projet. Même lorsqu’il s’agit d’aller acheter du pain chez l’épicier du coin, mon « je reviens » a toujours le droit à son « Inch’Allah ! ».

À chacun son « Inch’Allah », pour ma part j’ai encore le temps jusqu’à l’été prochain pour m’imprégner davantage de cette magnifique langue qu’est l’arabe. Inch’Allah !

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Ensemble pour mieux soigner demain

Biotrial, Centre de Recherche agrée par le ministère de la santé, recherche toute l'année des volontaires de 18 à 80 ans pour participer à des études cliniques indémnisées de 100 à 4 500 €

Pour tout renseignement :

0 800 503 460

(appel gratuit depuis un poste fixe)

www.biotrial.fr

B I OT R I A L PA R I S - R E N N E S - N A N T E S *

*Centre d’accueil


Décloitrés #4

Les Décloîtrés ce sont… Des rédactrices en chef Delphine Laurore Alice Quistrebert

Des correspondants à l’étranger Alexandre David Amérique du Nord et responsable Radio Pauline Joly Amérique du Sud Pauline Lamand Moyen-Orient / Afrique Alix Le Guyader Europe de l’Est Alessandra Le Roux Europe de l’Ouest Victor Tanguy Asie / Océanie

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Adrien Scanga et Axel Azoulay Webmasters Armelle Debuc Chargée des partenariats

Alexandre Junier et Thomas Moysan Montage Radio – Forum des voyageurs

Une équipe à Rennes

Camille Rodriguez, Adrien Rondeau et Marie d'Ambra Club dessin

Marie Tarsiguel Directrice de publication

Claire Gérard Photo de couverture

Céline Dilasser & Jade Flinois avec Adrien Rondeau Trésorerie et relations commerciales

Aude Rouaux et Jordan Lecointre Conception graphique

Jessica Lemaire Chargée des partenariats et des relations publiques Camille Delbecq Communication Responsable Radio Aurélie Bondu Communication et Organisation du Forum des voyageurs

Richard Louvet - atelier Wunderbar Suivis pédagogique et technique


Pour la petite histoire La légende raconte que les Décloîtrés seraient nés au beau milieu d’une nuit du printemps 2009. Du rêve à la réalité, c’est entre le Canada et la Thaïlande, entre Manon et Virginie, que fut créé le premier numéro, le 30 octobre 2009. La revue est réalisée par des étudiants expatriés pendant un an, et rassemble des articles écrits aux quatre coins du monde. Décloîtrés, c’est un langage différent, par le regard de jeunes voyageurs, partis à la recherche du dépaysement. À travers leurs expériences et rencontres de voyage, ils offrent un point de vue original sur le monde. Au rythme d’un numéro par trimestre, les Décloîtrés ont déjà publié onze numéros sur Internet, ainsi que 3 hors-séries papier en 2011, 2012 et 2013, édités à 10 000 exemplaires chacun. L’aventure des Décloîtrés se poursuit cette année encore, grâce à une équipe voyageuse et déterminée et à des partenaires de confiance. Merci à eux et bonne lecture à tous !

Maquette et illustrations : © Jordan Le Cointre et Aude Rouaux Photo de couverture : © Claire Gérard Photos du porfolio : © Marine Litou Textes et images (sauf mention contraire) : © Association Décloîtrés, 2014 104 boulevard de la Duchesse Anne 35700 Rennes ISSN : 2116-6056 Imprimé en France Achevé d'imprimé sur les presses de l'imprimerie Media Graphic en mars 2014

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Décloîtrés, c'est aussi une radio, onze numéros inédits accessibles en ligne, des photos des quatre coins du monde et plus encore ! Pour prolonger le voyage, rendez-vous sur

www.decloitres.fr


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Avec près de 40% d’étudiants boursiers, Sciences Po Rennes est l’Institut d’Études Politiques qui obtient les meilleurs résultats en France en termes de démocratisation de son recrutement.

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Crédits photos : Getty Images, Shutterstock - LM Y&R 2013.

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L’énergie de créer, d’innover et de vivre ensemble www.rennes-novosphere.com

*La réalité augmentée, le premier projet labellisé par Rennes la Novosphère.


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