Magazine Décloitrés #2 - 2011/2012

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gratuit

le magazine des blog-trotteurs de Sciences Po rennes • Hors-série n°2 année 2012 •

DOSSIER : Á LA RENCONTRE DES HEROS DE CE MONDE PORTFOLIO : TINTIN EN THAÏLANDE

NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE MERCI

ÊTRE JUIF-ORTHODOXE ET GAY EN ISRAËL

PEUT-ON VOYAGER SANS ÊTRE UN TOURISTE ?



L’homme reste hacun d’entre nous, dans son imaginaire ou dans Crable, la réalité, possède un héros. Quelqu’un d’admiqui nous fait rêver, et que nous espérons un jour égaler. Qui peut-il être ? Une personne dotée d’une fine intelligence, capable de hauts faits, connue et reconnue par le plus grand nombre ou alors, plus simplement, l’anodine voisine de palier. Ces héros de l’ombre que nous côtoyons dans notre quotidien. elin t i t e Jo s s Juliet on Picher & Si m

’année à l’étranger est le moment pour Lnalités partir à la découverte de ces persond’envergure : des héros au centre d’une communauté, d’un pays, ceux qui militent pour une cause, jusqu’aux héros déchus ou controversés. Penserait-on qu’un jour Obama retomberait de son piédestal ou encore que le mythe bolivien Evo Morales s’effondrerait ? Car, oui, parfois, comme le raconte Rousseau, le masque tombe, l’homme reste et le héros s’évanouit.

le héroS s’évanouit

DÉPART 0 km 0 JOURS 0  HEURES

uisqu’à l’étranger nous sommes témoins d’une Pparler réalité tout autre, nous irons aussi en Grèce afin de des effets de la crise, en Israël pour découvrir comment la communauté juive orthodoxe homosexuelle s’organise et enfin en Egypte pour croiser le chemin de ces femmes qui ont fait la révolution. Attachée à l’esprit du magazine que l’on tient entre ses mains, l’équipe Décloîtrés souhaitait vivre l’expérience de la sortie papier une seconde fois. Ce numéro est une nouvelle étape, puisque la mise en page a été entièrement réalisée par des étudiants de l’École Européenne Supèrieure d’Art de Bretagne.

ussi, en janvier, c’est avec joie que Décloîtrés Al’Étudiant, a reçu la « mention spéciale » des Trophées de qui récompense les initiatives étudiantes de la ville de Rennes. Ce prix accentue davantage notre motivation dans le développement de notre projet et de cette aventure. Qu’elle soit en France ou à l’étranger, à Sciences Po Rennes ou à l’éesab, nous remercions toute l’équipe et ses rédacteurs, qui grâce à leurs plumes, ne cessent de nous faire traverser les frontières.

Couverture : Aux environs de Kars, à la frontière turco arménienne (Noémie Robert).

Bonne lecture !


A TH È NES C HRIST C HUR C H SÉOUL RIO D E J A NEIRO C R A C OVIE SU C RE 02

NE W - Y OR K S Y D NE Y UME Å BANGKOK MISSOUL A LE C A IRE W A SHIN G TON S A N F R A N C IS C O STO C K HOLM A TL A NT A J ERUS A LEM MEL B OURNE SH A N G H A ï

DÉCLOîTRÉS

www.decloîtres.fr hors-série nº2 année 2012


Au cœur des évÉnements 06 11

dossier

marcelo freixo , ou la dangereuse 15 vie d’un député au brésil la génération jean paul ii 19 bolivie : evo morales, la fin d’un mythe barack obama, le héros déchu 24 la baronne perchée de tasmanie 27

POINT DE VUE

22

comment voyager sans être un touriste

KESAKO ?!

lagom

32

tintin en thaïlande

34

PORTFOLIO

30

03

la réalité de la crise grecque shaky christchurch 09 corée du nord : kimjongeunia

PORTRAITS

jared, portrait d’un indien d’amérique 51 égypte : femmes en révolution 54 de la révolution iranienne au rêve américain ambassadeur, un titre mal connu 62

58

insolite

i say a little prayer for you new year’s swim in mullaghmore

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À LA LOUPE

dans l’ombre des géants pharmaceutiques être juif orthodoxe et gay

KESAKO ?! PIC’ ASSIETTES

être soûl comme un polonais

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australie : dîner à lentil as anything 76 cuisiner des raviolis chinois, les jiaozis

→→

77

?

70 72



05


La réalité de la crise grecque

06 / GRÈCE

af h di Z a e M r Pa ’aide avec l tia Isidor r de My salonique s é h àT

Les plans d’ausTÉriTÉ successivement appliqUÉs depuis mai 2010 À la demande de la troïka (FMI, Commission EuroPÉenne, Banque Centrale EuroPÉenne) ont consiDÉrablement DÉgraDÉ la situatioN Économique ainsi que les conditions de vie de la populatioN. À cause de la rigueur, la GRÈce est plonGée dans une RÉcession durable, sans pour autant RÉsorber un DÉficit toujours plus important. retour sur les conséquences de la cure d’austérité.

Une déflagration

économique

Les mesures de rigueur ont consisté en l’augmentation de la durée de travail et de l’âge légal de départ à la retraite, mais aussi en la réduction des salaires, ainsi qu’au licenciement de nombreux fonctionnaires. Les salaires ont été réduits dans des proportions parfois inhumaines. Pour les plus hauts salaires, les réductions ont parfois atteint plus de 70% ! On m’a raconté le cas d’un ingénieur qui gagnait 3 200 euros en 2009 et qui en perçoit aujourd’hui 1 100. Les tranches les plus basses n’ont pas été épargnées, certains n’obtenant aujourd’hui plus que 350 euros par mois, dans un pays où le coût de la vie avoisine, voire dépasse celui de la France.

2338 KM 24 JOURS 20 HEURES

En parallèle, 150 000 fonctionnaires pour obtenir un travail. Non déclaré, ont déjà été licenciés, tandis que il travaillait pour 30 euros par jour 30 000 autres sont placés en « mode (pour 8 heures de travail, soit 3,75 de travail de réserve ». Ce sont à peu euros l’heure) et s’est fait renvoyer près 20% de l’ensemble des fonction- du jour au lendemain, puisqu’un naires qui ont déjà été remerciés, sans ancien fonctionnaire qui avait perdu compter ceux qui ne sont plus payés son emploi était prêt à travailler pour depuis plusieurs mois. Le chômage 20 euros par jour. a donc grimpé en flèche (18% pour la population active, 40% chez les Logiquement, le pouvoir d’achat a moins de 25 ans), encourageant de lui aussi grandement été réduit. Cela fait le développement de l’économie induit une réduction importante de souterraine. Il était opportun, pour la consommation privée, alors que certains Grecs, de gagner plus en n’étant pas déclarés pour Le cHÔmage a aujourd’hui atteint un travail dans la restauration une telle ampleur que la population par exemple. Mais le chômage a aujourd’hui atteint une telle est parfois pRÊte à tout pour ampleur que la population est obtenir le moindre euro. parfois prête à tout pour obtenir le moindre euro. Un ami me ra- celle-ci était la principale source de conte comment se développe, dans la revenu d‘un pays assez peu indusrestauration, une compétition ardue trialisé. Pour l’année 2010, selon le


Une crise

sociale

et humanitaire Interrogé par le Washington Post, Dimitris Varnavas, président de la Fédération des syndicats des médecins hospitaliers, alerte : les conditions de vie se sont dégradées de manière si dramatique que les médecins estiment maintenant que la crise grecque n’est plus seulement une crise financière mais une crise humanitaire.  À cause d’une coupe budgétaire de près de 40% pour le secteur hospitalier, la qualité des soins a

radicalement diminué. Par ailleurs, les hôpitaux sont contraints de dé cl i ne r le s ad m i s sion s , pour les cas les « moins graves ». De 25 à 30% des personnes qui se présentent aujourd’hui à l’hôpital sont refusées. En parallèle, on constate une augmentation de 20% de l’usage d’héroïne. La prostitution, elle, a radicalement augmenté, certains médias rapportant même le dévelop-

Un rapport d’une ONG de charité, Klimaka, statue que plus de 60% des familles grecques réduisent drastiquement leurs dépenses alimentaires pour pouvoir payer leurs factures. Cette même ONG chiffre à 20 000 le nombre de Grecs sans domicile, soit 25% de plus qu’en 2008. Les journaux, eux, rapportent assez souvent des événements inouïs : des enfants s’évanouiraient dans certaines écoles faute d’avoir de quoi se nourrir, tandis que d’autres seraient même abandonnés par leurs parents. Le gouvernement a récemment publié les derniers chiffres du taux de suicide. La Grèce était, il y a 3 ans, le pays d’Europe où ce dernier était le plus bas. Avec une augmentation de 40% depuis 2010, c’est le pays où l’augmentation a été la plus forte en 2011. La majorité des suicides ont été commis par des hommes d’une cinquantaine d’années. Le quotidien grec Ekathimerini explique : dans une société patriarcale où on attend du père qu’il subvienne aux besoins de sa famille, le sentiment d’échec personnel et d’aliénation est profond.

pement de la prostitution de femmes mariées, ou d’étudiantes. Conséquence presque directe : le nombre de personnes atteintes du virus du SIDA a augmenté de 54% depuis 2010. Le Centre grec de documentation et surveillance des drogues rapporte, les conditions de vie se sont dÉgraDÉes de lui, que de plus en plus de personnes s’injecte- manIÈre si dramatique que les MÉdecins raient volontairement estiment maintenant que la crise grecque le virus, dans l’objectif n’est plus seulement une crise financIÈre de toucher les 700 euros mensuels (plus que le mais une crise humanitaire.

07 / GRÈCE

gouvernement, la production industrielle a chuté de 8%. La baisse de la consommation a d’ailleurs conduit à la fermeture de nombreuses entreprises et petits commerces (25% des petits commerces ont fermé à Athènes, 20% à Thessalonique). Il est difficile d’imaginer comment l’activité pourrait reprendre, alors même que les plans successifs ont endommagé les leviers d’une économie déjà assez fragile.

SMIC !) donnés aux séropositifs. C’est aussi la création de nouvelles taxes, ainsi que l’augmentation des impôts déjà existants qui a contribué à la dégradation des conditions de vie. La taxe sur le patrimoine, par exemple, imposée par le biais de la facture d’électricité entraîne une coupure d’électricité si impayée. Ce sont pourtant plusieurs centaines d’euros que la population doit payer à un moment où elle ne s’y attendait pas.


Des sacrifices

08 / GRÈCE

insuffisants

Et malgré la dégradation visible de la situation, les dirigeants européens ne sont pas satisfaits. Nicolas Sarkozy déclarait le 1er novembre à propos de la Grèce : « la solidarité de tous les pays de la zone euro ne saurait s’exercer sans que chacun consente aux efforts nécessaires » sous-entendant d’une certaine manière que les efforts déjà consentis n’avaient pas été suffisants. Cette attitude générale des dirigeants européens est très risquée. Elle attise un ressentiment très fort chez la population grecque, qui s’indigne un peu plus chaque jour de la domination européenne. Et cette domination prend la forme d’une humiliation sans précédent. On m’a fait part à plusieurs reprises d’une comparaison symbolique avec l’Allemagne d’après 1918, dont on estimait qu’on ne pouvait plus lui faire confiance, qu’elle devait payer à tout prix pour ce qu’elle avait fait. Le terme « diktat » revient d’ailleurs souvent dans la presse nationale grecque. Le discours commun des « sauveteurs » de la zone euro consiste la plupart du temps en une mise en accusation très forte de la Grèce, de ses gouvernants, et de son peuple. L’irresponsabilité dont la Grèce a fait preuve dans le passé, et la « mauvaise volonté » dont elle fait preuve aujourd’hui seraient les raisons pour lesquelles la zone euro est entrée dans une période d’instabilité à peine dix ans après sa création. L’Allemagne doit payer disaient-ils. La Grèce doit payer comprend-on lors de chaque discours des responsables de la « troïka » . À croire que l’on ne retient finalement jamais rien de l’histoire.

tout joué un rôle de révélateur d’une incapacité politique à prévenir ce qui se passe actuellement. Aujourd’hui , le danger tient plus à l’inaptitude de la classe politique à proposer des solutions concrètes. C’est inédit en Grèce : les sondages réalisés pour les élections à venir (prévues pour fin avril) donnent les 3% nécessaires pour siéger à l’assemblée à sept partis. Comment mener un projet politique ambitieux alors qu’aucune majorité solide ne pourra être constituée, d’autant plus qu’aucune marge de manœuvre n’est actuellement possible, la Grèce étant dépendante des aides qui lui sont apportées ? Le risque consiste alors en l’utilisation de ressentiments par des forces nationalistes dont le seul objectif sera d’affronter ouvertement des « ennemis ». En effet, une partie de la population se réfugie actuellement dans des animosités fortes envers l’Allemagne et la Turquie. Une pétition a été créée visant à demander à l’Allemagne de rembourser à la Grèce les prêts contractés durant la Seconde Guerre Mondiale. L’autre

Une crise politique

potentiellement

dangereuse

Il ne faut pas pour autant se méprendre en statuant que ce recul économique, social et sanitaire ne tient qu’à la crise. La crise a avant

« ennemi », c’est la Turquie. Les médias jouent énormément sur cette rivalité. Ils insistent par exemple sur le fait que l’espace aérien grec soit violé chaque jour par les avions turcs.

Se réfugier dans l’animosité détournerait finalement le peuple des vrais problèmes que rencontre le pays. A savoir une incapacité politique généralisée liée à un taux de corruption élevé, une fiscalité quasi inefficace et un système éducatif caduc. Dans la mythologie grecque, Sisyphe, qui avait affronté Zeus, s’était vu contraint à pousser une pierre immense jusqu’en haut d’une montagne. Arrivé au sommet, après tant d’efforts, la pierre retombait, le forçant à remonter continuellement la montagne. La situation de la Grèce ressemble bien à celle de Sisyphe. La seule différence réside finalement dans le fait qu’à force de redescendre, il y aura un moment où il sera impossible de remonter à nouveau. � Retrouvez le blog de Mehdi Zaaf sur http://blogs.mediapart.fr


NO ZÉ UVE LA LL ND E E

Un centre-ville

fantômE

Le soleil brille en cette chaude journée d’été. Le jardin botanique fourmille de familles venues profiter de leur dimanche et d’étudiants bruyants. Rien ne laisse penser qu’un an auparavant un séisme a détruit une grande partie du centre-ville. Pourtant, une fois entrée dans le parc, plusieurs choses

Shaky Christ church

suivent la catastrophe, des milliers de personnes abandonnent la ville, la plupart sans intention de retour. Pour les autres, il s’agit de s’organiser pour RÉparer les DÉGAts. Mais comment reconstruire une ville qui, depuis un an, n’en finit pas de trembler ?

qui n’en finit pas de trembler  ?

me sautent aux yeux. Tout d’abord ces immenses grilles qui entourent le centre, empêchant piétons comme automobilistes d’y accéder. Pour des raisons de sécurité, la zone a été déclarée interdite d’accès quelques jours après le drame. Elle a été réouverte pendant un bref moment, puis condamnée à nouveau après qu’un séisme de magnitude 5.8 ait frappé la ville en décembre dernier. En jetant un regard à travers la grille, on peut apercevoir, le long des rues désertes, les boutiques et les restaurants abandonnés. On s’attendrait presque à trouver des assiettes encore fumantes sur les tables de ces cafés désespéré-

ment vides. Me baladant autour de cette zone sinistrée, je m’étonne du nombre de parkings. « C’est temporaire »  m’explique Alena, une amie originaire de la ville. « Avant, il y avait des bâtiments mais ils ont été rasés car ils étaient trop instables. On a installé des parkings en attendant de reconstruire . »

En jetant un regard à travers la grille, on peut apercevoir, le long des rues dÉsertes, les boutiques et les restaurants abandonnés.

09 / NOUVELLE-ZÉLANDE

C à Wlém e ll e nce in Jo g t uf o n fe

KM S 4 UR 36 JO ES 19 1 EUR 16 H 08

Le 22 FÉVrier 2011 à 12h51, un SÉisme de magnitude 6,3 frappe Christchurch, deuxIÈme ville la plus peupLÉe de NouvelleZÉlande. 181 personnes PÉrissent. Le centre-ville ainsi que les banlieues Est sont DÉvasTÉs. Au cours des trois mois qui

comment reconstruire une ville


L’impact

psychologique

des répliques Des containers

10 / NOUVELLE-ZÉLANDE

en guise de boutiques Déterminée à me prouver que Christchurch n’est pas une ville fantôme, Alena m’entraîne deux rues plus loin. Là, sur une petite place très fleurie et animée, des dizaines de containers ont été aménagés pour abriter les commerces qui se trouvaient dans la zone sinistrée. Les containers sont peints de couleurs vives, la végétation a été brillamment incorporée aux aménagements

De nombreux habitants ont tout perdu lors du séisme : de la famille, des amis, leur maison, leur travail… D’autres sont dans la même situation que Jonathan et Mary. Ce couple de la soixantaine vit toujours dans la maison que Jonathan a construit de ses propres mains il y a de cela des années. Mais ils seront forcés de partir d’ici un an, car leur maison fait partie des 10 000 logements qui doivent être détruits pour des raisons de sécurité. Dans certaines zones il sera impossible de reconstruire quoi que ce soit à cause de la liquéfaction du sol, conséquence directe du séisme. Pour tous ces gens que plus rien ne rattache à la ville, partir apparaît comme la meilleure solution. Par ailleurs, depuis le séisme de février, la terre tremble presque

événement survenu en période de fêtes a convaincu plusieurs familles qu’il fallait s’en aller au plus vite. Le maire de Dunedin, capitale de la région voisine, a même publié un article dans lequel il invite à déserter petit à petit Christchurch pour construire un meilleur futur… à Dunedin.

Reconstruire une ville

meilleure

Malgré tout, certains habitants refusent de fuir et s’impliquent fortement dans les projets de reconstruction. « Je ne veux pas partir » explique Anna, une Allemande installée à Christchurch depuis une vingtaine d’années. « Cela fait des années que j’habite ici, je travaille ici, mes amis et ceux de mes enfants vivent ici. Je n’ai plus l’âge de tout recommencer. » Les autorités locales refusent également d ’a b a n d o n n e r Christchurch. Elles multiplient les projets pour en faire une ville meilleure, plus verte, plus dynamique, plus attractive. Plutôt que de reconstruire vite, il a été décidé de reconstruire mieux. Pour cela, la population a été invitée à donner son avis sur les transformations. Cela a permis de renforcer l’attachement de la communauté à la ville. Aujourd’hui, cette énergie et cette implication de la communauté dans les affaires municipales sont enviées par toutes les grandes villes du pays. A en croire les plus optimistes, la vague d’engagement provoquée par le séisme permettra bientôt à Christchurch de devenir une des villes les plus dynamiques du pays.

LÀ, sur une petite place très fleurie et aniMÉe, des dizaines de containers ont ÉTÉ aMÉnaGÉs pour abriter les commerces qui se trouvaient dans la zone sinistrée.

> Le centre ville de Christchurch reconstruit temporairement à partir de containers.

et quelques musiciens de rue se sont installés sur la place, créant une atmosphère joyeuse et chaleureuse. C’est très symbolique le fait d’utiliser des containers  m’explique Alena. Un container c’est à la fois solide et temporaire et c’est ce dont les gens ont besoin après le séisme.

en permanence dans la région. En une journée, on peut ressentir jusqu’à quatre, cinq, voi re si x t remblements de terre. Selon certains experts, cela pourrait durer encore plusieurs dizaines d’années. Beaucoup d’habitants ont été traumatisés par le drame du 22 février 2011 et ces séismes incessants renforcent leur sentiment d’insécurité. Le 23 décembre 2011 notamment, un séisme de magnitude 5.8 a secoué la ville sans faire aucune victime. Cependant, le stress provoqué par cet


Au Pays du Matin calme, on dit qu’aucune fleur ne fleurit dix jours et qu’aucun pouvoir ne dure dix ans. Si ce proverbe convient parfaitement à la partie sud de la péninsule coréenne, il semble qu’au Nord les Kim soient parvenus à arrêter le temps. Car n’en doutez pas, cette Corée est un bastion de la guerre froide.

�  Champ de mine à la frontière.

�  Soldat sud-coréen à la frontière (ses lunettes noires lui permettent d’être le moins expressif possible lorsqu’il fait face à un garde frontière nord-coréen).

ndre Al e x a Se hi e r l à S é ou

11 / CORÉE DU NORD

Kimjon geunia

AUCUNE DONNÉE...


Les Kim :

une dynastie

12 / CORÉE DU NORD

communiste

L’histoire est ainsi faite, il ne reste aujourd’hui plus que cinq pays dont la constitution se réfère explicitement au communisme. Mais quel communisme  ? Deng Xiaoping a permis à la Chine « socialiste » de faire son autocritique et de s’engager sur la voie d’une économie capitaliste extravertie. Un pragmatisme souvent résumé par cette citation : Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape la souris, c’est un bon chat  . « L’économie socialiste de marché »  a ainsi été la route empruntée par la Chine dès 1978, le Viêt-Nam en 1986 et le Laos en 1989... En revanche, le cas de la Corée du Nord est bien différent et l’on s’interroge aujourd’hui sur l’avenir de cette « monarchie socialiste », insaisissable et apparemment inébranlable. Kim Il-sung a veillé de la création du régime en 1948 à sa mort en 1994, au respect d’une stricte orthodoxie socialiste héritée du stalinisme. La mort de Kim Jong-II, loin de susciter une hypothétique ouverture, entraînera vraisemblablement un renforcement du statu quo souhaité par de nombreux apparatchiks du régime. En effet, Kim Jong-II avait eu l’autorité nécessaire pour promouvoir des réformes économiques inspirées par le voisin chinois contre les idées d’une partie de la nomenklatura nord-coréenne, gardienne de l’orthodoxie communiste (légalisation des marchés libres pour les produits de base, réforme monétaire et création de zones économiques spéciales ouvertes aux investissements étrangers). Kim Jong-il avait de plus prévu sa succession dans la perspective d’assurer la pérennité du régime. Ceci explique sans doute ce nonévènement politique qu’a été son décès. Se sachant condamné, celuici avait établi une « régence ». Kim Jong-eun est en effet sous la tutelle de sa tante, de son oncle ou encore du général Ri Yong-ho, chef d’étatmajor des armées. Les deux premiers

sont des cadres importants du parti, le dernier de l’armée. Kim Jong-eun est comme son père un héritier, mais trop jeune pour régner, trop inexpérimenté pour diriger et trop parvenu pour rassembler. Le sang divinisé d’un Kim, le parti guidant le peuple et l’armée l’encadrant, voici le triptyque politique caractérisant cet étrange pays.

pouvoir de Kim Jong-il au Nord en 1994 et surtout celle de Kim Daejung au Sud en 1998, avaient permis un réchauffement des relations entre les deux États. Le dirigeant sud-coréen, opposant historique aux dictateurs successifs de ce pays, avait en effet lancé sa « politique du rayon de soleil ». L’apogée de la « détente » est symbolisée par la visite de Kim Dae-jung à Pyongyang le 15 juin 2000 et la signature d ’une déclaration Kim Jong-eun est comme c om mu ne v i s a nt son père un héritier, mais trop jeune à la normalisation des rapports Nord-Sud pour régner, trop inexpérimenté et à la réunif ication de la Corée. pour diriger et trop parvenu Roh Moh-hyun, le pour rassembler. successeur de Kim Dae-jung, visita à son tour Pyongyang en 2007. De 1998 à 2008, le rapprochement intercoréen s’est concrétisé par la réalisation de deux projets. Il y eut tout d’abord l’ouverture du complexe touristique de Kumgangsan. Depuis la fin de la guerre de Corée Ces « montagnes de diamant » se en 1953, la péninsule coréenne est trouvent au nord mais l’idée était de divisée par une zone démilitarisée créer un complexe pour les touristes (DMZ) de près de 240 km de long sur sud-coréens et étrangers. Aucun environ 4 km de large. Cette balafre échange entre les populations n’était issue de la guerre défigure un pays envisagé puisque même le personnel et coupe un peuple en deux. Elle est du site était sud-coréen. Cependant, infranchissable. Pourtant, l’idée de la réalisation de ce projet entre les dépasser cette ligne pour surmonter deux États a constitué une avancée la division a toujours été au centre majeure dans les relations intercodes politiques de coopération entre réennes. Pour la première fois des les deux États. En effet, l’arrivée au citoyens sud-coréens ont pu accéder

La politique

du rayon de soleil


Le rapprochement

Intercoréen

au point mort Le bouleversement géopolitique mondial issu des attentats du 11 septembre a eu des conséquences désastreuses sur ces politiques de rapprochement. En classant la Corée du Nord parmi les « pays de l’axe du mal », en rompant brutalement avec la politique de compromis de Bill Clinton, l’administration Bush a encouragé Pyongyang sur la voie de l’autarcie et du militarisme. L’invasion de l’Irak par les États-Unis en mars 2003 achève de convaincre le régime nord-coréen de la nécessité de se doter au plus vite de l’arme nucléaire, afin d’assurer sa sécurité. Un premier essai nucléaire fut effectué en 2006 et un second en 2009. L’année 2010 constitua le point culminant de cette nouvelle guerre froide entre les deux États avec le naufrage « mystérieux » d’une corvette sudcoréenne entraînant la mort de 50 marins et le bombardement de l’île sud-coréenne de Yeonpyeong par l’artillerie nord-coréenne. Les questions de succession inhérentes à la

maladie de Kim Jong-il et l’arrivée au pouvoir des conservateurs au Sud en 2008, n’ont fait que renforcer cette défiance entre les deux États. Kumgangsan et Gaesong étaient les symboles du renouveau des relations entre les deux frères ennemis, ils sont aujourd’hui ceux d’un échec. En effet, en 2008 une touriste sudcoréenne a été abattue par un soldat nord-coréen près du complexe touristique de Kumgangsan. Selon les autorités nord-coréennes, celleci était illégalement entrée sur un site militaire et aurait été prise pour une espionne... Après cet incident, les voyages à Kumgangsan ont été interdits par le gouvernement sudcoréen. Quant au site industriel de Gaesong, le projet est loin d’avoir tenu toutes ses promesses. Voilà à quoi est réduite la coopération

l’administration Bush a encouragé Pyongyang sur la voie de l’autarcie et du militarisme.

�  À la frontière entre les deux Corées à Panmunjon. Dans les baraquements en bleu, l’armistice de 1953 fut signée. La ligne de démarcation passe au milieu de ces constructions.

intercoréenne aujourd’hui : un site industriel sous la menace permanente d’une fermeture, quelques échanges commerciaux et des compétitions sportives…

2012 : L’année

du renouveau ? La passation de pouvoir au Nord ainsi que les élections présidentielles et législatives au Sud laissent entrevoir la possibilité d’un nouveau cycle dans les relations intercoréennes. Endossant les habits de son père et de son grand-père, Kim Jong-eun ne va pas « révolutionner » la politique

nord-coréenne. Il n’en a de toute façon pas la possibilité. Un effondrement de la monarchie nord-coréenne n’est pas non plus à exclure dans les années qui viennent, tant la situation intérieure du pays est critique. Son grand-père a une orchidée à son nom, la « Kimilsungia » ; son père a un bégonia à son nom, « la Kimjongilia » ; ce n’est qu’une question de temps pour que soit créée la « Kimjongeunia ». Ainsi, le troisième Kim aura acquis son statut de demi-dieu, en digne héritier de son grand-père. Reste à déterminer quelle fleur sera le symbole du troisième Kim. Pourquoi pas le lys ou le chrysanthème .

Reste à déterminer quelle fleur sera le symbole du troisième Kim.

QUELQUES DATES 1950-1953 Guerre de Corée. Signature en 1953 de l’Armistice de Panmunjeom . 1987-1988 Fin de la dictature militaire en Corée du Sud et début de la démocratisation du pays. 1994

Mort du dictateur Kim Ilsung, son fils, Kim Jong-il, lui succède.

1998-2003 Présidence de Kim Dae-jung en Corée du Sud qui engage une politique de dialogue avec la Corée du Nord. Cette politique est poursuivie par son successeur Roh Moh-hyun (2003-2008). décembre 2011 Mort de Kim Jong-il. Son fils, Kim Jong-un, lui succède à la tête du parti et de l’armée.

13 / CORÉE DU NORD

au nord, passer de l’autre côté de la DMZ. La seconde concrétisation du rapprochement intercoréen fut l’ouverture du site industriel de Gaesong. Il s’agit d’une zone économique spéciale située au nord, juste de l’autre côté de la DMZ, réservée aux entreprises étrangères (de fait, toutes sont sud-coréennes). L’accord relatif à la création de cette zone fut signé en 2002 et une route traversant la DMZ fut créée, de même qu’une ligne de train reliant Séoul à Pyongyang (et passant par Gaesong).


LES HÉROS Pendant notre année à l’étranger, nous découvrons qu’au-delà des frontières, des êtres humains peuvent mener un combat, pour leur communauté ou leur pays.

14

Qui sont alors les héros d’aujourd’hui ? Un pape devenu une icône pour les polonais, un député brésilien combatant les milices, des présidents des États-Unis et de Bolivie choisis en héros, mais actuellement controversés... ou une militante écolo vivant dans un eucalyptus en Tasmanie.

À vous lecteurS, de decouvrir à présent ces portraits et d’y voir ce qu’est faire preuve d’héroïsme aujourd’hui.


u a e é d déput

!

rit Piche Simonde Janeiro. à Rio

Lui, c’est Marcelo. Ancien professeur de faculté d’histoire, la quarantaine, député de l’Etat de Rio depuis 2007 et candidat putatif à la mairie de Rio. « Marcelo » est unique dans le paysage politique carioca*. Un homme, un, qui réussit en politique à l’écart de la corruption. Dépeint par la presse de « député droits-de-l’hommiste », cet homme veut croire en une égalité des droits entre habitants des favelas et des zones riches et se bat pour que l’on respecte la présomption d’innocence, inexistante au Brésil.

8924 KM 92 JOURS 22 HEURES

De fait, au Brésil, quand la police « pacifie » une favela, elle tue sans impunité. La population, dans la majorité, soutient cette politique. Par ailleurs, la coutume est de dire qu’au Brésil, seul un homme, un, qui le corrompu réussit en politique. réussit en politique Devant les révélations de la presse, à l'écart de la Dilma Roussef, la présidente fraîcorruption. chement élue, a déjà dû faire face à sept démissions de ministres depuis son accession au pouvoir en janvier 2011. Toute la société reste gangrénée par ce fléau. Pourtant le Brésil change et Marcelo souhaite se porter en pourfendeur de cet état de fait, qui régit encore les connexions économiques et humaines. *Les cariocas sont les habitants de Rio de Janeiro.

15 / BRÉSIL

Marcelo

Freixo OU LA

e e i s u e v r e g n a d Brésil


Pendant une manifestation anti-corruption à Copabana. « Nous sommes tous Marcel Freixo. »

Marcelo

et Moi

Au milieu de ces bouleversements, se dresse Marcelo, plein d’audace et de courage, il veut que ces changements aillent dans le bon sens. C’est en octobre que j’avais failli l’interviewer grâce à une amie brésilienne de mon cours de journalisme, Leticia. Mais la chaleur a tué l’affaire car, en bermuda, l’accès au Parlement me fut refusé. Il n’empêche. Ce personnage m’intrigue déjà.

Portrait

à 360°

Un matin, le site du journal « Le Monde » titre sur lui. « Menacé de mort, un député de Rio de Janeiro quitte le Brésil pour l’Europe ». Menacé de mort ? Par qui ? Par quoi ? Les questions fusent. En cours de journalisme, « Menacé de mort, un Fabio Mario Iorio, mon député de Rio de Janeiro prof, nous explique : ce quitte le Brésil pour sont les milices, ces exl’Europe » policiers sans aucune morale, qui contrôlent toute la zone Ouest de Rio, qui veulent assassiner Marcelo, car nombre d’entre eux sont en prison à cause de lui, et de son action, à la tête de la Commission antimilice de l’Assemblée de l’Etat de Rio.

En Espagne, Marcelo réorganise sa sécurité durant le mois Rio de Janeiro est la vitrine de ce Brésil en pleine muta- de novembre. Il ne veut pas finir comme la juge anti-milices, tion. Assis au huitième étage de la bibliothèque de ma Patricia Acioli, tuée par ces faculté, j’observe. Je regarde à gauche. A travers la vitre, à « policiers » en août dernier, 100 mètres à vol d’oiseau, se dresse la favela « Manguei- au crépuscule, en pleine rue. ra ». Il y a plus d’un an, il était impossible pour les étudiants Au Brésil, les manifestations d’aller boire un café sur les terrasses de notre « facul »* par de soutien s’organisent, nopeur de recevoir une balle. Aujourd’hui, depuis que la police tamment à Copacabana. Des militaire de Rio de Janeiro a investi la favela, nous pouvons rencontres, des Brésiliens en profiter du soleil en toute colère, contre ce système d’un autre tranquillité. A droite, j’aperRio de Janeiro est la vitrine âge, de mafias poliçois le mythique stade de de ce Brésil en pleine mutation. cières, soutenues Maracaña, qui accueillera la finale de la prochaine coupe du monde de football en 2014, indirectement par le maire, et la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 2016. En de gauche, et le gouverneur, travaux depuis le début de l’année, il démontre le dynamisme de droite. J’en apprends plus, de cette région de Rio, qui a reçu le plus d’investissements au mais je reste surpris qu’à la vue de cette manifestation, les monde en 2011. joggeurs du dimanche matin ne s’arrêtent pas pour en savoir plus. Nous restons peu nombreux. Alors, le combat est-il perdu d’avance ? * Diminutif de « faculté » en portugais. Ici un manifestant avec le symbole anti-coruption: « le balais vert », pour faire le ménage parmis les décideurs corrompus.


Tombe sur la plage de Copacabana qui rend hommage à tous ceux qui se sont fait tuer par les milices.

Danger !

Police !

Felipe Mota, son ancien élève et leader des manifestations, le décrit comme un « héros en sursis », capable de hauts faits, mais menacé en permanence par ces milices qui sont, selon Marcelo, « le pire problème de Rio ». Armées et organisées, ce sont les mafias italiennes à la sauce brésilienne. Depuis 2005, ces ex-flics, extaulards flics, en quête d’argent et d’un salaire plus décent que celui des policiers de Rio, ont pris le contrôle de plus de 41,5 % des favelas de Rio, selon le Centre de recherche des violences de l’Assemblée de l’Etat de Rio. Un prétexte pour s’imposer ? Nous sommes là pour assurer votre sécurité face aux trafiquants . La réalité pour les habitants ? Se voir imposer des lieux pour acheter sa nourriture ou réparer sa voiture (des commerçants à l’Assemblée, et après de nombreuses enquêtes, il réussit à qui ont acheté ce monopole aux milices), payer une taxe spé- mettre en prison de nombreux miliciens. En 2010, il est l’un ciale milice sur le gaz, l’électricité, le transport. Le mobile ? des députés les mieux réélus de l’Etat... Récupérer une manne d’argent impressionnante qui sert à financer les soutiens en politique, mais surtout à se financer Son combat et sa popularité lui ont créé des inimisoi-même. tiés certaines au sein de l’Assemblée. Le maire de Le problème est que ces milices s’imposent, et ne se proposent Rio, Eduardo Paes, qui se représente cette année, a pas. De plus, elles ne tolèrent pas l’indignation et tuent ceux prévenu : « La fuite de Marcelo Freixo en Europe, a été qui veulent protester. Enfin, le trafic de drogue orchestrée par l’intéressé pour se faire continue mais sous couvert de la protection « héros en sursis » connaître du grand public, en vue des des milices, qui ramassent toujours une petite prochaines élections municipales  ». commission. Pourtant, les menaces de mort sont bien réelles, et la A Rio, les milices sont décriées, mais les politiques ne font rien probable candidature de Marcelo Freixo à la mairie ou presque, car ils sont arrosés par l’argent du trafic. En 2008, de Rio ne va certainement pas arranger la situation. Marcelo Freixo prend la tête de la Commission anti-milice


« MARCELO EST UN

POLITICIEN UNIQUE,

18 / BRÉSIL

UN HOMME INTÈGRE. » C'est lors des manifestations anti-milices à Copacabana que j’ai rencontré Felipe. Micro à la main, c’est lui qui menait la danse au rythme de « Marcelo Freixo, estou com você ! Essa batalha e a milicia vai parar !* ». J’ai appris plus tard que ce rassemblement avait été préparé par Felipe et ses amis de promo, et que grâce aux réseaux sociaux, leurs revendications avaient eu de l’écho. À l’assemblée, on ne parlait plus que de cela et ce débat cristallisait l’opinion publique. La mission était réussie : imposer à l’agenda public des revendications que les gouvernants ne voulaient pas entendre. Comment as-tu rencontré Marcelo Freixo ? Marcelo fut mon professeur d’histoire à la faculté de Niteroi, en 2009, et à cette époque, il était déjà député de l’État de Rio et en charge de la Commission anti-milices.

Selon toi, pourquoi Marcelo est un politicien unique, ici, au Brésil ? Marcelo Freixo est un politicien unique car il a des qualités qu’il est difficile de rencontrer dans la plupart des gens communs de la rue. Marcelo Freixo est un politicien unique, car au-delà du courage qu’il lui faut pour combattre les milices, c’est une personne intègre qui ne pense pas à son propre bénéfice. Ce qu’il fait est pour le peuple, et comme il le dit lui-même, il n’est pas une sorte de héros, car il ne fait que son rôle en tant que parlementaire (ce que tout le monde devrait faire).

Penses-tu qu’il pourrait devenir maire de Rio ? Marcelo a de grandes chances d’arriver au second tour de l’élection. Sachant que l’actuel maire de Rio, Eduardo Paes, pratique la politique du « maquillage » (« pacification » de la Zone Sud, qui se révèle être un simple transfert des trafiquants dans la Zone Nord, plus pauvre), Marcelo a des chances de gagner car les habitants de Rio dénoncent cette politique. L’actuel maire abandonne la Zone Ouest aux milices, et la Zone Nord est « *Marcelo Freixo, je suis encore très pauvre. Eduardo Paes avec toi ! Si l’on se bat, favorise les riches en pacifiant les les milices vont s’arrêter ! » favelas de la Zone Sud et en laissant ses amis, les miliciens, dans la Zone Ouest. Marcelo a des chances. Oui ! Il propose de gouverner pour tous, et pas seulement pour les plus riches.

Etait-il un bon professeur ? Un très bon prof ! Ses cours étaient assez synthétiques, car il n’avait pas beaucoup de temps pour lui entre son travail de prof et de député. Il était toujours accompagné par des gardes du corps. Cependant, il était extrêmement dynamique, et passionné, et ses cours, étaient toujours écrits sous le prisme de la question sociale brésilienne.


Paul II t

oî n Be n Trista ovie à Crac

1585 KM 16 JOURS 12 HEURES

Même s’il n'en est pas l'unique raison, Jean Paul II a permis de conserver l'attractivité de l’Église catholique en Pologne, surtout auprès des jeunes. Deux tiers d'entre eux se déclarent Dans une célèbre blague polonaise un curé annonce à guidés dans la vie par ses enseignements. une jeune femme : bien sûr ma fille, vous pouvez quitter  Ses paroles sont puissantes et sont toujours vivantes. Je m'en l’Église, mais nous sommes en Pologne, elle est partout. En effet, inspire tous les jours et elles m'aident à trouver ma voie dans ce impossible de ne pas croiser, au détour d'une rue à Cracovie, monde. Il nous a montré, à nous les jeunes, comment affronter une soutane, un habit de moine ou une coiffe de nonne. 93% les évènements difficiles de la vie et conserver notre foi, dans des Polonais se déclarent catholiques, les « racines des temps où la religion perd son chrétiennes » restent plus vivaces qu'en France. La La Pologne fait figure d’ovni authenticité. Il nous a dit de regarPologne fait figure d’ovni dans une Europe de plus der profondément dans notre cœur, dans une Europe de plus en plus séculaire, et les chiffres restent constants. comme il le faisait , me confient en plus séculaire Au plein cœur de la ville, les monastères dominiSylwia et Anna, deux jeunes cacains et franciscains se côtoient. La cathédrale du château de tholiques polonaises de 19 et 20 ans. Le héros de toute une Wawel, jonchée sur une colline, surveille les environs. Plus de Nation n'est pas chanteur, acteur ou homme politique, mais 50% des habitants vont encore à la messe au moins une fois bien pape. Lors de la visite d'une vieille église, le prêtre n'a par semaine. Cette prégnance est intrigante, et parfois même pas voulu me laisser partir sans me donner une carte postale déroutante pour qui à l'habitude de vivre dans un monde de Jean Paul II. sécularisé.

19 / POLOGNE

« Je me rappelle de ce soir là, j'étais avec ma famille. Dès qu'on a entendu la nouvelle, nous avons commencé à prier, toute la nuit », témoigne Sylwia. Le 2 avril 2005, la Pologne vient de perdre son héros national, mais les milliers de chandelles qui s'accumulent alors dans Cracovie gardent son esprit en vie, une lumière pour les Polonais.

LA génération

Jean


L’opposant

héroïque face au communisme.

L’ Église catholique a toujours été la gardienne de l'identité polonaise à travers les crises politiques successives. Pendant la période communiste, les églises deviennent des lieux de rendez-vous et de protestation pour les opposants. La doctrine morale de l’Église sape l'idéologie marxiste. Elle remporte la bataille du pouvoir spirituel aux dépens du gouvernement. Lorsque Karol Wojtyla, évêque de Cracovie, est élu pape en 1978, c'est un véritable affront pour le pouvoir du parti central. En 1979, il fait un pèlerinage sur Dans la Pologne contemporaine, religion et politique ses terres natales, rassemblant près de 13 millions de perse mélangent. Le pontificat de Jean Paul II a donné sonnes dans la rue, et prêchant pour la foi catholique et la une place de choix à l’Église polonaise, qui s'est sentie « non-conformité ». Dans un pays où tout est censé demeuinvestie d'un destin : servir d'exemple en rer sous contrôle, une telle mobilisation La séparation officielle matière de valeurs chrétiennes. Tous les fait désordre. Tout au long des années partis politiques intègrent cette dimension 80, les manifestations du parti d'oppoet officieuse de l’État en Pologne, à échelle plus ou moins grande. sition, Solidarnosc, revêtent une double et de l’Église reste un mythe. dimension politique et religieuse. Les Il en résulte une influence conséquente sur images du pape trônent dans les cortèges, Jean Paul II est plusieurs sujets, tels que l'avortement. La Pologne dispose de le fédérateur des Polonais et le porte-parole des Droits de la législation la plus répressive d'Europe en la matière. Les l'Homme, comme me l'assure Anna :  C'est quelqu'un qui s'est médias religieux conservateurs, tel que Radio Maryja, accenbattu pour notre liberté. La Pologne a commencé à signifier tuent cet ancrage dans la société. Au programme : des déraquelque chose. Il nous a dit de nous battre pour ce que nous pages antisémites, anti-européen et anti-avortement, qui sont aimons et de ne jamais perdre notre foi. récurrents lors des émissions du fondateur, le Père Rydzyk.

20 / POLOGNE

La société

polonaise face au pouvoir de l’Église.


Une société

de contrastes

Cracovie, ville de Jean Paul II, résonne de ce croisement dans lequel se trouve la société polonaise. La sécularisation de l'environnement social semble difficile. La société reste conservatrice à propos des mœurs ou du droit à l'avortement. Mais les langues se délient, la position de certains membres du clergé est plus permissive et les mœurs se libèrent. Le samedi soir, la vodka aidant, les discussions fusent sur tous les sujets, sensibles ou non, tout en sachant que certains participants iront à la messe le lendemain matin, mal de tête ou non. Les bars, clubs de jazz, discothèques ne désemplissent jamais. Les badauds titubent sur la place du marché à toute heure de la nuit, malgré le regard désapprobateur de la basilique Sainte-Marie qui les surveille. Comble des contradictions dans une société qui reste religieuse, les magasins ne ferment jamais le dimanche, pourtant jour du Seigneur !

Les chiffres sont issus du CBOS (Centre d'étude sur de l'Opinion Publique en Pologne). La basilique Sainte Marie dans laquelle prêchait Jean Paul II alors qu'il était archevèque.

Jean Paul II a marqué les esprits durablement pour les Polonais, qui le voient comme un exemple pour la promotion de la paix et de la dignité humaine. Son enseignement est simple. Il était proche de nous, des gens, même s’ils étaient de confessions différentes. Pour lui, il n'y avait pas de division entre les croyants, affirme Anna. Un culte s'installe peu à peu autour c'est le socle fondateur d'une de sa personnalité. Ce n'est pas un pape, c'est LE Pape génération religieuse, mais polonais, celui qui a donné cependant plus progressiste sa grandeur et sa dignité au pays. Les icônes fleurissent dans la ville et sa célébration semble faire consensus dans toute la population. Mieux vaut ne pas trop le critiquer lors d'une conversation avec un Cracovien, ou la discussion risque de tourner court (expérience testée !). C'est un héros national, intouchable depuis sa béatification en 2011 ; c'est le socle fondateur d'une génération religieuse, mais cependant plus progressiste et méfiante sur le rôle de l’Église. Anna conclut : Oui, Jean Paul II était et sera toujours un grand Homme. Il est toujours dans nos cœurs et nos esprits, et il y restera pour très, très longtemps .

21 / POLOGNE

Une voie plus radicale se dessine aussi, totalement anticléricale, menée par le parti de Palikot aux dernières élections parlementaires de novembre, qui est devenu la troisième formation politique du pays avec 10% des voix. Paradoxe suprême dans cette société, alors que l'acceptation des minorités sexuelles est difficile, le succès du parti a permis à un gay et un transexuel de siéger à l'Assemblée en tant que député.

de la personnalité ?

Un Culte

En tant qu'observateur extérieur, on peut ressentir une polarisation de la société polonaise, entre ceux qui suivent la voie plus conservatrice de l’Église polonaise, entamée depuis 2005, et une majorité, qui se situe dans un mouvement plus progressiste, suivant la politique d'ouverture de Jean Paul II, pour qui la religion est un phénomène qui doit rester privé. Je pense que l’Église ne devrait pas être si proche de l’État. Je réalise que c'est important, qu'il ne faut pas confondre la religion, les institutions religieuses et la politique qui sont des choses différentes. Mais la Pologne ne semble pas voir ces différences  selon Anna, pourtant pratiquante régulière. La séparation officielle et officieuse de l’État et de l’Église reste un mythe.


Morales,

Evo

la fin

sur Evo

En Europe ainsi qu’au sein des pays développés, deux images se détachent. D’abord, un président opposé au système des multinationales et qui possède l'ambition de s'émanciper de l’influence des États-Unis ; ensuite, une image romantique d’un homme qui représente enfin son peuple après des décennies de pouvoir d’une élite blanche cumulant le pouvoir économique et politique. Depuis quelques années, la presse européenne se fait l´écho d’un intérêt grandissant pour la figure d’Evo Morales, premier président bolivien d’origine indigène élu à la tête de ce pays où plus de 60% de la population se déclare effectivement indigène. Le symbole de cette élection datant de 2005 a été renforcé par la nouvelle Constitution ratifiée par référendum en 2009, qui érige la Bolivie en État plurinational.

t

on e Osm Hélèn e à Suc r

du populisme à la bolivienne

Les déboires

Evo Morales est pour beaucoup l'exemple même de l’homme venant d’un milieu social et ethnique défavorisé et symbolisant un idéal politique entre socialisme et indigénisme. Pourtant, quand je suis arrivée en Bolivie, j’ai vite compris que la réalité était bien plus complexe.

Des clichés

22 / BOLIVIE

d’un my tHE ?

L'Est du pays qui représente le pouvoir économique bolivien s'est toujours opposé à lui par peur des discours qui condamnent les entreprises transnationales et revendiquent les nationalisations, mais aussi par la subsistance d’un racisme latent envers la majorité indigène. Cette élite économique ne semble plus être la seule opposition : les communautés indigènes repréles communautés indigènes sentent désormais représentent désormais son plus son plus puissant puissant ennemi politique. ennemi politique. Ceci s’explique par le populisme du discours du Mouvement vers le Socialisme (MAS, parti de Morales), qui a mis en place de nombreuses mesures de façade comme la création d’un ministère de la « décolonisation », censé aider les Boliviens à se défaire de leur complexe d’infériorité, ou encore la création d’un quatrième pouvoir régalien : le pouvoir électoral, qui organise le plus possible de référendums sur tous types de sujets afin de montrer les progrès de la démocratie. Tout cela reste vide de sens sachant que 14% de la population est analphabète et ne possède aucune culture politique. De plus, derrière ce discours socialisant et ouvriériste, Evo Morales n’a pas développé le secteur industriel et continue de céder à bas prix les ressources naturelles aux entreprises transnationales, sans que les populations locales n’en profitent. Il l’a fait récemment pour le lithium qui se trouve dans le désert de sel d’Uyuni.


La Bolivie

est à vendre

Le TIPNIS (Parc National Isiboro Secure) a été le conflit le plus marquant de l’année 2011. Il a opposé les indigènes à Evo Morales à propos du projet de construction d’une route traversant ce parc naturel, situé en plein milieu de la forêt amazonienne. La route allait détruire le lieu de vie de communautés indigènes entières et détruire l’environnement dans cette zone protégée. Alors que Morales avait promis, dans sa nouvelle Constitution, de consulter les organisations indigènes quand un projet menaçait leur mode de vie, il a commencé EVO MORALES A mis en la construction de cette route sans en avertir personne. En place de nombreuses outre, la route n’  allait rien mesures de façade. apporter aux Boliviens euxmêmes car elle reliait des zones très peu peuplées et permettait seulement d’améliorer l’acheminement des matières premières jusqu’au Brésil. Elle n’apportait donc pas d’espoir de développement économique aux communautés autochtones. Ce projet est apparu d’autant plus inapproprié que le pays nécessite réellement des infrastructures routières, puisqu'il ne compte qu'à peine 3 routes asphaltées. Les communautés du TIPNIS se sont donc rassemblées pour lancer une marche jusqu’ à La Paz. Le projet a finalement été abandonné après des affrontements violents avec les forces de l’ordre

et des manifestations dans tout le pays. Ce conflit a fini d’opposer le MAS aux populations indigènes, qui étaient à la base son plus grand soutien électoral. Même s'il reste à Morales un large soutien populaire car il véhicule toujours une image de rupture très importante, il déil a commencé la çoit beaucoup de ceux qui l’ont construction de cette soutenu depuis 2005. Il suit la route sans en avertir tradition latino-américaine très personne. répandue de populisme sans pour autant être capable de donner des résultats concrets et de rompre avec un système corrompu depuis des décennies. Ainsi, lorsque l’on voit des photos de foules entières acclamant Evo Morales lors des meetings, aucun journaliste ne va dire que les « militants » qui y assistent sont payés par le MAS, même si c’est une vérité connue de tous les Boliviens. La Constitution de janvier 2009 : Par le biais d’un référendum impulsé par Morales, la République bolivienne a été déclarée État plurinational en janvier 2009. Cette dernière reconnaît pour la première fois dans l’histoire du pays l’existence des nations indigènes ainsi que leurs droits spécifiques au sein de l’État bolivien. Cette Constitution met donc l’accent sur la multiculturalité et la pluriethnicité de la Bolivie, en déclarant notamment 37 langues officielles.

23 / BOLOVIE

8031 KM 83 JOURS 15 HEURES


Obama

Barack

le héros

déchu

Pla ne D e Johan York à New

ce

5592 KM 58 JOURS 6 HEURES

Lorsque je suis arrivée aux États-Unis en septembre dernier, j’étais encore marquée comme beaucoup d’Européens par l’image de sauveur dont jouit Barack Obama sur notre continent depuis son élection.

« Yes we can...

24 / ÉTATS-UNIS

de l’Amérique ? but»

En discutant avec des New-Yorkais, je me suis tout de suite aperçue que le « mythe Obama » a perdu de son éclat aux États-Unis. L’ euphorie de l’élection évaporée, on lui reproche d’abord son manque d’expérience en politique. Sénateur de l’Illinois pendant seuon lui reproche d’abord lement 3 ans, l’expéson manque d’expérience rience qui lui a le plus servi en politique. est certainement celle de En 2008, c’est en effet en véritable héros qu'il est porté au « community organizer » (qu’on pourrait traduire par travailpouvoir par une nation désillusionnée, déchirée par deux leur social) des quartiers chauds de Chicago dans les années guerres, touchée en plein cœur par le terrorisme et ruinée par 1980. Mais arrivé au sommet de ­l’État, Obama doit reprendre les dépenses faramineuses de l’ère en main le bilan désastreux de Georges W. Bush, Bush. Pendant toute la campagne une nation désillusionnée, et faire face à un contexte international très difélectorale, il impose un style nouficile. Il enchaîne alors les gestes symboliques déchirée par deux guerres, veau avec de grands discours qui forts pour garder la dynamique du changement touchée en plein cœur par galvanisent les foules, leur redonentamée lors de sa campagne, « Change, we can le terrorisme et ruinée par nant espoir dans le destin mondial believe in » : fermeture de Guantanamo, abroles dépenses faramineuses de l’Amérique que l’on disait alors gation du principe « Don’t Ask, Don’t Tell » dans de l’ère Bush. sur le déclin. Il mobilise les jeunes, l’armée, nomination de la première femme d’oriles femmes, les Noirs, les Hispaniques, tous ceux qui se sont gine hispanique à siéger à la Cour Suprême, etc. Oui mais sentis laissés de côté sous Bush, au nom de ce qu’on pourrait voilà, si Barack Obama ne peut pas faire pire que Bush, il presque appeler « l’effort de guerre ». doit quand même trouver les moyens de mettre en place sa politique ambitieuse de redressement du pays.


alors de ses réelles chances de réélection en novembre 2012 ?

Qu’en est-il

Du point de vue économique, la réaction rapide du gouvernement Obama face à la crise semble commencer à porter ses fruits d’après les dernières statistiques du chômage, plutôt encourageantes. La mesure phare du président, la réforme du système de santé, finalement adoptée de justesse par la Chambre des représentants en mars 2010, restera dans les annales comme l’aboutissement d’un projet qu’aucun préLe risque de démobilisation de sa base électorale semble sident américain n’avait osé tenter. Mais lorsque l’on discute élevé. Certaines analyses montrent en effet que ceux qui de la réforme avec les Américains, on se rend cependant vite avaient voté contre Barack Obama en 2008 seront de noucompte qu’ils n’ont strictement aucune idée du fonctionne- veau très prompts à empêcher ment d’une assurance maladie comme on la connaît en France. sa réélection, alors que ceux qui Le risque de démobilisation Il faudra de plus attendre encore 3 ans pour qu’elle soit étendue l’avaient élu se rendront aux de sa base électorale à 95% de la population. On peut aussi noter des déceptions urnes avec un intérêt pour les semble élevé. dans ce bilan : les soldats ont quitté l’Irak bien plus tard que élections largement moindre promis par le candidat Obama. Celui qui a obtenu le prix No- qu’il y a 4 ans. S’ils se disent opposés à sa politique, on note bel de la paix en 2009 « pour ses efforts extraordinaires en fa- un racisme encore très présent envers le président chez les veur […] de la coopération internationales entre les peuples », proches du Tea Party, ceux-là même qui n’hésitent pas à n’hésitait pas en 2011 à se prononcer contre la création d’un affirmer devant les caméras du monde entier qu’Obama est État Palestinien, à renforcer la présence américaine en Afgha- un marxiste entraînant le pays sur la voie d’un socialisme à nistan et à mener une la soviétique. On peut aussi évoquer les expédition commando la réforme du système de santé, finalement birthers, persuadés qu’Obama n’est pas né dont l’objectif affirmé sur le territoire américain. Une polémique adoptée de justesse par la Chambre des était la mort de Ben tournée en dérision par Barack lors d’un représentants en mars 2010, restera dans Laden. Barack Obama discours en 2011 où il annonçait diffuser les annales comme l'aboutissement d'un projet n’a pas non plus réussi en exclusivité la vidéo de sa naissance qu'aucun président américain n'avait osé tenter. à distancier sa polipour faire taire les rumeurs ; sur l’écran tique des milieux financiers et des multinationales (l’avait-il défile la fameuse scène du Roi Lion où l’héritier est brandi seulement envisagé ?), en particulier pétrolières, comme l’a au grand jour. illustré son inaction face aux innombrables dommages causés par BP dans le Golfe du Mexique.

25

Son bilan :

atout ou faiblesse ?


2 6

Enfin, un autre type d’opposition a également vu le jour : Ainsi malgré un bilan en demi-teinte, Barack Obama peut se le mouvement Occupy Wall Street, qui exprime cepen- targuer de n’ avoir pas cédé sur les points cruciaux de son prodant plus le ras-le-bol d’une génération face au diktat gramme. Mais pourra-t-il susciter la même passion et le même de la finance qu’une opposition au président, comme le dévouement qu’il y a quatre ans chez ses supporters, dont une prouve sa dimension internationale. Il faudra compter sur grande partie a finalement été déçue par son mandat ? Rien n’est moins sûr. On lui reproche son impact dans les médias en 2012. de ne plus être assez proche du Les cafouillages de l’opposition pourMais pourra-t-il susciter la même passion peuple et des petits donateurs. raient cependant bénéficier à Barack et le même dévouement qu'il y a Ainsi lorsqu’aujourd’hui les Obama. Les barrissements des éléquatre ans chez ses tsupporters, Obama se rendent à Harlem, phants républicains se terminent en dont une grande partie a finalement c’est enfermé dans un théâtre effet souvent en couac : abandons suite été déçue par son mandat ? à des scandales et gaffes à répétition (la avec les grands mécènes d’Obameilleure peut-être : Michele Bachmann attribuant la grippe ma 2012 que le charme opère de nouveau. Barack esquisse A aux démocrates). L’investiture semble finalement se jouer quelques notes de « Let’s stay together » d’Al Green alors qu’il entre Mitt Romney et Newt Gingrich, mais tous deux pour- clôture son discours sur la scène du mythique Apollo Theatre, raient pâtir de leur vie privée (l’un est mormon et l’autre est épicentre culturel du quartier noir de New York. connu pour son infidélité). On sait en effet que la limite entre vie privée et vie publique des hommes politiques est presque Si le vote démocrate en 2012 sera donc probablement moins inexistante aux États-Unis. Cela m’a été confirmé lorsque les enthousiaste et plus désabusé, il me semble que Barack Obama personnes avec qui j’ai discuté, amis ou collègues, jeunes ou devrait encore bénéficier du soutien des électeurs face à des moins jeunes, m’ ont cité dans les points forts d’Obama son républicains désorganisés et qui ne parviennent pas à séduire. image de père de famille irréprochable, jouant à cache-cache Il devra pour cela avoir de nouveau recours à la magie des discours, des rassemblements, et de l’humour qui le caracavec ses filles dans les couloirs de la Maison Blanche. térisent toujours.

Retransmission sur un écran géant lors d'une discours officiel.


17285 KM 180 JOURS 12 HEURES

de Tasmanie

lard

Depuis le 14 décembre, Miranda a pour maison un Eucalyptus Delegatensis. Ce gigantesque arbre fait parti des forêts primaires du sud de la Tasmanie menacées par la déforestation. Situé en plein cœur de la forêt, près de la Stix Valley et face au Mont Mueller, il n’est accessible qu’après une heure et demie de marche depuis la piste la plus proche. Miranda l’a appelé l’Observer Tree. Depuis sa plate-forme perchée à 60 mètres de hauteur, elle pourra faire part au monde entier, si les bulldozers commencent leurs travaux d’abattage, de l’avancée de ce carnage écologique.

27 / TASMANIE

LA BARONNE perchée

Bo u i l Tifenn ey à Sydn


La déforestation provoque entre 20 et 25 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon les associations écologistes.

28 / TASMANIE

Et s’ils faisaient

tomber l’Observer-Tree

Miranda a trente ans et des années d’activisme environnemental derrière elle. A Brisbane, où elle a grandi, elle se battait contre les projets d’exploitation minière sur des terres aborigènes. Arrivée en Tasmanie il y a cinq ans, elle a mis de côté sa carrière d’enseignante pour se destiner à la protection des forêts primaires menacées de Tasmanie et y fait aujourd’hui partie des militants les plus impliqués. Membre du groupe d’activistes « Still wild, still threatened », elle a pendant longtemps participé à un blocus non-violent, le Camp Floz, dans la Upper Florentine Valley. Elle était l'une des deux militants pacifistes à s’ être fait attaquer par des membres de la compagnie d’abattage d’arbres : la violence des images filmées avait fait la une de la presse internationale. Miranda s’est attachée à sa nouvelle maison, son Observer Tree, aux odeurs et aux bruits qu’il renferme. Quand elle cherche le sommeil, une pensée l’obsède : quelqu’un d’autre, un jour, dormira peut-être dans cet arbre. Une fois qu'il aura fait un aller-retour jusqu’en Asie, après avoir été taillé en de multiples pièces. Une fois en magasin, il sera paré d’une étiquette « lit en bois de chêne de Tasmanie ». Alors quelqu’un dormira dans cet arbre sans savoir qu’il est l’Observer-Tree. Cette pensée, Miranda la trouve effrayante. C’est pourtant bien la tournure que semblent prendre les événements… En août dernier, un accord a été signé entre l’État de Tasmanie et le gouvernement fédéral, qui promettait que 430 000 hectares de forêt soient placés sous haute protection pour leur grande valeur écologique.

D’après le World Ressources Institute, 80% des forêts primaires de la planète ont déjà disparu : le sort de l’Humanité en est pourtant très clairement indissociable.

Mais une autre promesse a été faite, cette fois du côté de la compagnie malaisienne d’abattage, Ta-Nann, à qui il a été certifié que 265 000 mètres cubes de bois leur seraient approvisionnés chaque année. Et pour cela, Forestry Tasmania, l’organisation gouvernementale chargée de la gestion des forêts d’État, a avancé qu’il faudrait piocher parmi les 430 000 hectares de forêt primaire. Impossible donc de tenir les deux promesses. Et bien entendu, dans ce cas, ce sont alors ces milliers d’arbres pluricentenaires qui trinquent… Pour devenir des lattes de plancher ou des feuilles de papier.

« Quoi de plus seul qu’un héros ? »

Boris Vian

En signe de protestation contre ces promesses non tenues, Miranda a décidé de grimper et de voir de ses propres yeux ce qu’il en était, pour pouvoir témoigner. Pour cela, sa plateforme est équipée d’une connexion internet, histoire de garder contact avec le monde. Sur son blog, elle écrit chaque jour un article. Elle y parle des camions qu’elle entend au loin au petit matin et qui entament les études préliminaires, avant l’abattage. Elle y raconte la visite d’un ami venu la voir tout en haut, le 25 Décembre, habillé en Père-Noël, l’occasion aussi pour elle de se faire ravitailler en eau et en nourriture. Elle y parle de la faune qui vit dans cette forêt, véritable trésor écologique, et dont elle a filmé la vie nocturne avant de monter dans son eucalyptus. On y voit des chats marsupiaux à queue tachetée, ou bien encore des diables de Tasmanie, espèce extrêmement menacée. Elle décrit l’orage effrayant d’une nuit, et les araignées qu’elle côtoie tous les jours. Elle raconte la solitude et l’indignation, la peur et la colère. Aux yeux des employés de TaNann, Miranda n’est sans doute qu’une grosse hippie venue fumer des joints roulés dans des feuilles séchées d’eucalyptus. A mes yeux et Le blog de Miranda : http://www.observertree.org


Les forêts primaires constituent un fantastique réservoir de biodiversité : les études montrent que les nouvelles forêts comprennent dix fois moins d’espèces que les forêts primaires.

à ceux d’une majeure partie de la population ici, consciente des trésors écologiques dont regorge la Tasmanie, Miranda est une héroïne. Une jeune femme venue modestement faire part au monde d’un carnage sans précédent. Une citoyenne venue lancer une alerte.

La colère

et la détermination font la force du héros.

Notre rendez-vous sur Skype avait quelque chose d’irréel. J’étais à Sydney, dans ma chambre. Le temps était gris, la pièce sombre. Miranda était quelque part en plein cœur de la forêt, à 60 mètres de hauteur, seule. Le soleil illuminait son écran, la vue était splendide. J’entendais le vent qui soufflait dans les branchages depuis les hauteurs. Elle n’avait pas mis pied à terre depuis six semaines déjà. J’ai conclu notre entretien par une question qui me trottait dans la tête depuis un certain moment: Et, tu as une idée de combien de temps tu vas rester là-haut ? Elle a esquissé un sourire, levé les épaules, et sa réponse avait bien quelque chose d’héroïque : Je n’en ai aucune idée. Je me suis jurée que je descendrai de là seulement quand la forêt sera enfin protégée. Je ne peux pas dire quand ce sera. Peut-être dans un bon bout de temps.


VOYAGER 30 / PÉROU

Tous des touristes

Peut-0N P

asser inaperçu, ne

pas attirer les regards. Ne pas être un touriste. C’est tentant, mais est-ce possible ? Le personnage du « touriste », totalement étranger - voire hermétique - aux contrées qu’il visite, ne paraît pas être un modèle pour qui souhaite découvrir un lieu. Mais en quoi se différencie vraiment le touriste de l’authentique baroudeur  ? Et pourquoi le plus aventureux des voyageurs ne peut jamais complètement échapper à sa condition de touriste  ?

Passer une année en Amérique Latine, c’est être séduit par une multitude de voyages. Patagonie, Amazonie en passant par le Macchu Pichu, l’Européen de passage bouge beaucoup en dehors de son pays d’accueil. Et lors de ces voyages un constat amer parfois s’impose. Car le voyageur qui a à cœur de ne pas coller aux clichés de touriste lambda n’est souvent qu’un touriste parmi les autres. Avouez. Qui souhaiterait ressembler à un touriste  ? Bardé de son appareil photo et de ses coups de soleil, il passe aussi inaperçu qu’un éléphant dans le magasin d’artisanat qu’il visite. Le touriste est souvent

Le voyageur discret, aussitôt qu’il n’est pas seul à avoir eu l’idée d’aller quelque part, se transforme en touriste voyant, par ses habits, sa peau, ses manières. Il va là où les autres touristes vont, dans les mêmes lieux, touristiques car beaux, mais moins beaux car « trop touristiques »…

SANS Curiosité contagieuse et k-way fluo

Et qui saurait le blâmer ? Il n’y peut rien, le pauvre. Il voulait juste visiter les mêmes lieux que ses milliers d’autres congénères, et tous n’ont d’autre envie que de découvrir un pays, une culture. Sauf que, parfois, cette découverte passe forcément par la visite de lieux ultratouristiques. Passer par le Pérou sans aller voir le Macchu Pichu, temple du tourisme mondial, c’est quand même rater quelque chose. Mais, tous munis de la même volonté de passer inaperçu dans un lieu aussi mythique que le Macchu Pichu, on finit par mettre son k-way-poncho à cause de la pluie, et par se transformer collectivement en horde de touristes. Inéluctablement. Voilà comment le Macchu Pichu devient, chaque jour, une fourmilière peuplée d’étrangers en k-way-ponchos fluos, ce qui a le don d’énerver ces mêmes personnes, déçues qu’un endroit aussi beau soit autant délesté de son authenticité par cette foule de curieux… Le voyageur discret, aussitôt qu’il n’est pas seul à avoir eu l’idée d’aller quelque part, se transforme en touriste. Car, plus que le comportement, c’est le nombre qui rend celui-ci prisonnier de sa condition. Au final, on devient forcément touriste en déambulant dans une rue touristique car, vu de l’extérieur, on ne diffère en rien de la foule de visiteurs qui peuple cette même rue.


Le < quartier à touristes >

Ainsi, les quartiers d’intérêt ont vite fait de se transformer en quartiers à touristes, dès lors qu’un nombre suffisant de voyageurs y posent les pieds. Ils deviennent aussitôt des successions de ruelles commerçantes, où l’authenticité mimée d’une vie locale n’est souvent plus qu’un argument de vente. Il est ardu de débarquer dans un tel endroit sans être obligé de dormir dans une auberge à touristes, d’aller manger dans un restaurant à touristes et d’acheter les cadeaux pour la famille dans les échoppes à touristes. Difficile, en somme, de ne pas coller au modèle du touriste consommateur quand on est de passage pour quelques jours dans une ville touristique.

in

UN TOURISTE Au final, comment ne pas être un touriste dans un lieu qui s’est modelé par et pour le tourisme  ? Cette difficulté relève parfois de l’impossibilité physique, quand on souhaite visiter certains points d’intérêt parmi les plus isolés. Dans le cas de l’Amérique du Sud, ce sera, par exemple, les grands déserts de sel, inaccessibles mais qui attirent des cohortes d’étrangers. Ici, il est compliqué voire impensable de passer outre le fameux « tour ». Et, surtout, n’essayez pas d’y aller en stop. Il n’y a que les véhicules des compa-

Après tout, le Macchu Pichu et ses k-ways fluos, est-ce encore le Pérou  ? gnies de tourisme sur les routes qui y mènent. Ces mêmes véhicules où l’on parque les touristes, avec visite guidée en anglais en option, sont souvent l’unique option pour pouvoir voir certaines des plus belles choses qu’offre le monde. Loin de l’idéal des baroudeurs, la découverte des merveilles de ce monde se standardise de plus en plus.

?

Mais cette inéluctable transformation en touriste n’est pas seulement le fait desdits touristes. Car le tourisme, apportant son flux de riches étrangers chaque jour, est avant tout un commerce. Et les lieux d’intérêt pour les visiteurs à devises ont vite fait d’être transformés en rues à touristes, où se côtoient auberges, restaurants et magasins d’ « artisanat » tous plus semblables les uns aux autres. Ainsi, le « quartier à touristes » devient paradoxalement le quartier où cohabitent un patrimoine inestimable et un faible nombre de « locaux », essentiellement hôteliers, restaurateurs ou artisans. En effet, onéreux et inintéressant pour qui a déjà visité la ville, le « quartier à touristes » est seulement un passage quasi obligé pour les nouveaux arrivants, toujours plus nombreux.

bl ieu Ju Mat th araiso à Valp

La faute à qui ? À personne. Quelle responsabilité du touriste, simple curieux, ou du commerçant local, qui ne cherche qu’à gagner sa vie avec son restaurant, son auberge, sa boutique de souvenirs ? Aucun de ces deux là n’a d’intérêt à voir le tourisme se standardiser à un tel point qu’il en perde tout intérêt, jusqu’à ne plus attirer personne. Et pourtant, jusqu’ici, ces deux personnes ont toujours su se rencontrer, dans l’intérêt de chacun : la découverte et le commerce. Le touriste, simple baroudeur qui n’a pas d’autre choix, pour satisfaire sa curiosité, que de jouer au touriste dans des lieux pensés pour lui  ? C’est un peu lapidaire, certes. Et ce serait faire peu de cas de ceux qui réussissent, malgré tout, à se faire discret. Reste à savoir s’il est nécessaire de voir le côté touristique d’un pays pour le découvrir vraiment. Après tout, le Macchu Pichu et ses kways fluos, est-ce encore le Pérou ? À ceux qui pensent que non, on rétorquera néanmoins que, si les destinations à la mode changent, les pierres du Macchu Pichu, elles, ne bougeront pas.

31 / PÉROU

ÊTRE


S UÈ D E 2170 km 22 JOURS 14 HEURES

on t Huss Margo å à Umé

32 / SUÉDE

Tu veux du gâteau ? Une petite part ou une grande ? Lagom. Merci !

L

agom... Une expression suédoise qui s’emploie dans toutes sortes de situations, absolument intraduisible et tout à fait fascinante. Elle exprime une nuance, une quantité spécifique qui se situe quelque part entre « trop » et « pas assez ». Une sorte de « juste milieu » qui s’approche de la perfection. Mais pas exactement le milieu, plutôt un peu plus. Juste ce qu’il faut, m’a-t-on dit. Plutôt difficile à saisir...

C

ette notion que la communauté suédoise partage n’est en effet pas quantifiable, elle est en quelque sorte propre à chacun. Mon « lagom » n’est pas forcément le tien. Il désigne donc sa propre mesure de la perfection, et il faut que dans le même temps cette perception soit acceptée comme telle par la communauté. Une traduction possible pourrait être « à votre convenance et à la mienne aussi ». Très consensuel... Et c’est là où plus qu’un concept, le mot « lagom » est un véritable marqueur culturel. Il y a une idée de conformité, de convenances à respecter, utiliser l’expression « lagom », c’est la meilleure manière d’être poli tout en passant inaperçu en société.

M

ais derrière cette notion, il y a également une valeur suédoise essentielle : la modération. L’idée qu’il faut savoir apprécier les bonnes choses tout en étant raisonnable. Tandis que la tendance d’autres cultures est de vouloir toujours « plus », les Suédois eux veulent simplement « assez ».



34 / THAÏLANDE

LANDE

Q

THAÏ

uand je me remémore ce mois passé en Thaïlande, je ne peux m’empêcher de penser aux albums de Tintin. A chacun d’entre eux. Comme un long périple parsemé d’embûches et de déconvenues mais aussi de découvertes et d’émerveillement. En voulant explorer un seul pays, nous avons eu l’impression de parcourir mille continents. Notre périple commença dans les petites ruelles du quartier de la gare de Bangkok, où les couleurs et les odeurs ont enchantés nos sens. Dans le Golfe de la Thaïlande, nous étions ravis par la bienveillance des locaux, leur amour pour la vie et pour leur héritage. Dans le Sud du pays, nous avons été confrontés aux plus délicates et aux plus interdites des beautés. Après avoir foulé Koh Sichang, l’île qui retenait l’automne prisonnier des vestiges de ses temples, nous avons gravi les reliefs du Nord et rencontré les ethnies des montagnes. Enfin, nous avons couru le long de la frontière laotienne pour contempler, une dernière fois, le soleil de la Thaïlande, mourir au-delà des rives du Mékong...

Simon t ri Guillo

9618 km 100 JOURS 10  HEURES


1 > Aux environs de Chiang Mai


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2 > Prachuap Khiri Khan 3 > Chez les ethnies montagnardes, environ de Chiang Mai 4 > Quartier de Pathum Wan, Bangkok

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5 > Koh Sichang 6 > Un jardin où l’on restaurait des idoles, Chiang Mai 7 > Réparation de coques de bateaux, Prachuap Khiri Khan 8 > Quand je leur ai demandé l’autorisation de les prendre en photo, le gamin a voulu retirer ses écouteurs. Je lui ai dit que ce n’était pas la peine

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9 > « Temple des singes », Prachuap Khiri Khan


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10 > Wat Arun, « le Temple de l’aube », Bangkok 11 > La plage d’Ao Manao. Il faut traverser une base militaire pour s’y rendre. Prachuap Khiri Khan 12 > En scooter sur les routes thaïlandaises, quelque part au nord de Prachuap Khiri Khan

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13 > Décorations pour le Nouvel An chinois, Chinatown, Bangkok 14 & 15 > Wat Phrathat Doi Suthep, environs de Chiang Mai 16 > Huay Xai, Laos 17 > Le Mékong vu du Laos. La rive d’en face, c’est la Thaïlande

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NAPAPIJRI RENNES 3 rue Leperdit 35000 Rennesnes

NAPAPIJRI ST-MALO 1 rue G. de Beauchesne 35400 St-Malo


Jared

7601 KM 79 JOURS 4 HEURES

Portrait d’un

indien d’amerique

ère n e E lu i l u a P s ou l a à Mis

Jared Tsotsie est à demi Navajo. Sa mère faisait partie d’une tribu Navajo dans l’Arizona. Son père est Américain. Comme il le dit lui-même il est né d’une « rouge » et d’un « blanc » : aux États-Unis, on n'a pas vraiment peur de parler en termes de race et de couleur. Sur le campus de l’université,

tout le monde l’a déjà aperçu parce que ses longs cheveux noirs lui descendent jusqu’aux genoux. Jared a grandi majoritairement dans la culture américaine mais se raccroche à tout ce qui fait de lui un Amérindien. Sur son visage, au fond de lui, restera toujours gravée cette appartenance. à une autre culture.

51 / ÉTATS-UNIS

À la recherche de ses origines


52 / ÉTATS-UNIS

Est-ce que ton nom a une signification ? Tsotsie signifie « Celui qui tourne autour » en Navajo. Donc, ça veut dire, celui qui évite la confrontation directe. J’ai hérité de ce nom de famille par ma mère car, chez les Navajos, le mode de filiation est matrilinéaire. Tu parles toi-même Navajo ? Malheureusement non, je suis en train de le réapprendre. Je connais le peu que ma mère m’a enseigné, mais je ne pourrais pas avoir une conversation. Le Navajo est un dialecte très difficile, mais les tribus en sont très fières. Durant la Seconde Guerre Mondiale, le langage Navajo a même été utilisé lors de la Guerre du Pacifique. C’est une technique qui a empêché les services secrets japonais de casser le code américain ! Un film a été fait autour de cette histoire ! Tu peux m’en dire plus sur ta mère ? Ma mère est née dans une réserve entre l’Arizona et le Nouveau Mexique. A l’âge de 3 ans, elle a été arrachée à sa tribu pour être élevée dans un pensionnat. C’était la politique du « boarding school » créée à la fin du 19ème siècle par le gouvernement américain. L’idée était d’éduquer les jeunes Indiens à la culture occidentale pour mieux les intégrer à la société américaine. Leur nouvelle éducation était en contraste total avec celle des tribus indiennes, notamment la définition des rôles pour chaque sexe. Alors que, chez les Navajos, la femme est honorée et partage des tâches semblables aux hommes, dans le pensionnat, les filles étaient séparées des garçons et apprenaient à être de parfaites femmes au foyer. À 14 ans, elle a pu retourner dans sa tribu, mais ça a été un véritable choc, elle ne connaissait rien de la langue et des coutumes. Les membres de la tribu la rejetaient.

A quel moment a t-elle décidé de quitter sa tribu ? Elle a quitté la tribu quelques années plus tard. Elle s'était familiarisée avec la langue navajo et avait tenté de s’adapter, mais elle n’a jamais pu passer sa cérémonie de puberté : la Kinaalda. Cette cérémonie est capitale pour les filles Navajos. Après leurs premières menstruations, elles doivent réaliser des épreuves très symboliques pendant quatre jours. Entre autres, elles doivent courir beaucoup, creuser elles-mêmes un four pour y cuire leur gâteau de maïs, passer une nuit sans dormir dans le hogan (maison traditionnelle) pendant que les hommes prient pour elles. Il y a aussi cette étape intéressante, où la mère doit « mouler » la fille. Face à la tribu, la jeune fille est debout, et la mère se déplace autour d’elle, en la frôlant de ses mains, comme si elle façonnait une statue d’argile. Le plus grand regret de ma mère est de n’avoir pas pu participer à cette cérémonie et devenir officiellement femme.


Tu essaies de retourner à ces origines navajos ? Absolument. C’est un désir profond. Ma mère m’a emmené plusieurs fois à la réserve depuis que je suis tout petit, mais j’y étais intimidé. J’ai rencontré ma grand-mère, et je ne pouvais pas communiquer avec elle. Ma mère me tenait dans ses bras en me parlant ce langage indien qui m’effrayait à l’époque. La pauvreté était frappante. Je me souviens d’un jour où la tribu avait tué un mouton, et la tradition veut que chaque morceau soit mangé pour ne rien gaspiller de l’animal tué. Ma mère m’a mis dans la main un œil de mouton bouilli ! J’ai crié ! Indéniablement c’était un véritable contraste avec la vie que je menais chez mon père. J’ai une culture hybride. Je danse le Pow-wow depuis tout petit et en parallèle je suis un passionné de tennis. A l’université, j’étudie l’archéologie et l’histoire des Indiens d’Amérique. Une fois mes études terminées dans le Montana, je veux les poursuivre en intégrant « Diné College », une université tribale dans l’Arizona. Plus tard, je veux aider les tribus amérindiennes à être véritablement souveraines. Je le dois à cette part de culture qui m’appartient.

53 / ÉTATS-UNIS

Tu peux me parler de ton père et de ton enfance ? Mon père est américain d’origine écossaise. Il a une famille plutôt riche en Californie. Après avoir quitté sa tribu, ma mère a d’abord vécu avec un Sioux dans l’Arizona, puis elle a rencontré mon père qui était le propriétaire de l’immeuble dans lequel elle louait son appartement. Il se sont rapidement séparés parce qu’il ne voulait pas se marier, mais j’étais né, et mon père est tombé amoureux de moi. J’ai été plus éduqué par mon père, car ma mère avait déjà deux autres enfants à charge. Mais on habitait dans le même immeuble. Au deuxième étage, mon père m’apprenait la vie et me faisait à manger. Ma mère venait le soir me lire une histoire en me caressant les cheveux. A l’école, les autres enfants m’appelaient « la pomme », ça ne semble pas méchant comme ça, mais cela signifiait : « tu es marron à l’extérieur mais tout blanc à l’intérieur ». Autrement dit, « tu ressembles à un Indien mais ta culture est américaine ». Et c’était vrai, cette part indienne en moi sera gravée sur mon visage toute ma vie et j’en connais si peu de choses contrairement à ma part américaine.


mes en révolution

54 / ÉGYPTE

Fem

nn e Maria ré o d Ma ire au Ca

25 Janvier 2011 : Ouverture du premier acte de la révolution égyptienne. Les scènes s’enchainent. L’activiste Samira Ibrahim poursuit en justice un médecin militaire après avoir subi des « tests de virginité » le 9 mars 2011. Ballerines rouges, bas à pois noirs, fleur dans ses cheveux longs et surtout complètement nue, Aliaa El Mahdi, vingt ans, choque l’Egypte en publiant des photos d’elle sur son blog en Novembre. La vidéo de la 'blue bra woman' – manifestante surnommée ainsi après que des militaires l’aient battue et déshabillée dans la rue – a été vue des centaines de milliers de fois depuis le 18 décembre et son soutien-gorge bleu est devenu un symbole révolutionnaire.

Liberté, Justice et Oignons pour tous

Le rendez-vous était fixé à vingt-deux heures dans un café enfumé du centre-ville, QG officieux du Mouvement du 6 Avril. J’y retrouve Amal Sharaf, co-fondatrice de l’organisation. « J’ai rejoint le groupe facebook, enthousiasmée par l’idée. Et puis beaucoup de manifestants ont été arrêtés [le 6 avril 2008] et nous avons commencé à nous battre Elle travaille alors jour pour ces gens. Nous lan- et nuit, coordonnant une çons le Mouvement en dizaine d’activistes, pour Juillet 2008. Combattre encourager la mobilisation Moubarak était le rêve et veiller à la sécurité sur de ma vie ». Elle raconte la Place Tahrir. ensuite les arrestations Nous sommes en janvier 2012 et le corps des femmes incessantes, comprimés les uns contre les autres dans de miégyptiennes n’a jamais été aussi surexposé. En couver- nuscules cellules, battus, torturés, poussés à livrer de fausses ture des journaux égyptiens ou dans les ahwas* enfumés, cette confessions, humiliés. Karaama [dignité en arabe], deviendra intrusion des corps a été commentée, critiquée, encouragée un des maîtres-mots de la révolution. ou blâmée, donc débattue. Mais si les corps sont portés sur la Lorsque le Mouvement du 6 Avril lance les premiers appels à un rassemblement de protestation le 25 janplace publique, qu’en est-il des femmes qui les animent ? Elles Elles étaient des milliers vier 2011 - jour qui marquera le début de la étaient des milliers à prendre à prendre la tête des cortèges révolution - Amal Sharaf est en première ligne. la tête des cortèges de mani- de manifestants pendant les Elle travaille alors jour et nuit, coordonnant festants pendant les dix-huit dix-huit jours qui ont mené à la une dizaine d’activistes, pour encourager la jours qui ont mené à la chute de chute de Moubarak. Aujourd’hui mobilisation et veiller à la sécurité sur la Place Moubarak. Aujourd’hui moins moins d’une dizaine ont été élues Tahrir. Elle se souvient alors de l’emballement, d’une dizaine ont été élues au au Conseil du Peuple. les milliers de coups de fil par jour, les rangs Conseil du Peuple. J’ai renconqui s’épaississent et surtout l’engagement des tré trois Égyptiennes. Trois activistes dont les convictions et femmes qui ne fut jamais questionné. C’était nous tous le courage sont des sources intarissables d’optimisme en ces ensemble, affrontant les balles. Il n’y avait aucune différence temps d’incertitude voire de lassitude. Sentiment d’une révo- et beaucoup de bienveillance parmi les révolutionnaires. Les lution volée à quelques jours seulement de son premier anni- relations entre les hommes et les femmes étaient devenues des versaire. Les révolutionnaires auraient aussi perdu le soutien relations entre combattants solidaires. Je ne marchais souvent de la tellement convoitée « masse silencieuse des Égyptiens ». les yeux que semi-ouverts à cause des gaz et tous me propoQu’en pense la masse, plus si silencieuse, des Égyptiennes ? saient des oignons, du vinaigre ou du soda pour me protéger des vapeurs. *Cafés.


LE MOUVEMENT POUR LA JEUNESSE DU 6 AVRIL

*18 jours, le film

Un groupe est créé sur Facebook au printemps 2008 en soutien aux ouvriers de la ville industrielle d’El-Mahalla El-Kubra (dans la région du Delta). En lutte pour leurs conditions de travail et leur salaire, ils préparent une grève pour le 6 avril 2008. Suite à la forte mobilisation et aux arrestations qui ont suivi, le Mouvement du 6 Avril naît pendant l’été suivant. Le groupe lancera les premiers appels à manifester le 25 Janvier 2011...

Après la révolution, les courts métrages de Tamantashar Yom [ 18 jours ] avaient été tournés en deux semaines. Dans celui de Mariam Abuo Ouf, on cohabite avec une femme de baltagi [ les voyous payés pour disperser et frapper les manifestants ] au cœur des bidonvilles du Caire. Le film, projeté à Cannes l’année dernière, devrait sortir prochainement en Egypte.

Plusieurs fois, Amal Sharaf a vu la révolution mourir et elle avec : le jour de la bataille des chameaux, j’étais à Tahrir. Sur ma droite des voyous, la police, sur ma gauche les chameaux et les chevaux. J’essayais de m’ échapper, je courais sans m’arrêter. Après ça, je pensais que la révolution s’arrêterait. Le jour suivant, le centre depuis lequel Amal Sharaf coordonne la mobilisation est attaqué par l’armée. Il y avait beaucoup de femmes qui travaillaient avec moi, même plus que des hommes. Ils allaient nous tirer dessus mais elles sont restées assises, et aucune n’a essayé de s’enfuir. Toutes étaient très déterminées. Sa fille d’une dizaine d’année, pour laquelle Amal Sharaf a reçu plusieurs fois des menaces de mort, nous écoute distraitement. Quand l’explosion est arrivée, ça a été très fort pour les femmes. Et c’est quelque chose dont je suis très fière. C’est Mariam Abuo Ouf qui s’enthousiasme ici. Je l’ai rencontrée après la première projection au Caire du film Tamantashar Yom [18 jours] dont elle a Quand je regarde aujourd’hui réalisé un des dix des vidéos sur YouTube, courts-métrages*. j’entends des femmes Le film raconte qui chantaient même plus dix-huit jours de fort que les hommes. révolution, ou comment l’action collective est née de morceaux de vies ordinaires bousculées. Des vies de femmes aussi. Tout le monde a été surpris de voir comment les femmes s’impliquaient. Quand je regarde aujourd’hui des vidéos sur YouTube, j’entends des femmes qui chantaient même plus fort que les hommes. Peut-être qu’elles ressentaient plus l’étouffement et la répression : une répression politique mais aussi sociale. Toutes les photographies ont été prises sur le pont Kasr-el-Nil et la place Tahrir, le 25 janvier 2012, par Dagmar Nolden et Marianne Madoré.

Prise de conscience, prise de confiance Depuis les dix-huit jours, les blogs et la rue protestataire se féminisent. De plus en plus de femmes veulent partager leurs opinions et s’impliquer dans le processus de transition. Je ne sais pas si elles attendaient depuis longtemps un moment pour exploser, ou si c’est la révolution qui les a inspirées, La révolution fut également s’interroge Mariam Abou l’expérience par les femmes Ouf. Depuis un an, le de leur poids politique et de Caire a été témoin d'iné- l’impact de leur engagement. dites marches pour les droits des femmes. L’épisode révolutionnaire a-t-il pu déclencher chez les femmes un nouveau sentiment quant à l’importance de leur participation politique ? En discutant avec Amal Sharaf, cela ne fait aucun doute. Elles se sont littéralement battues, elles ont vu d’autres femmes mourir . Les conséquences du combat vont alors au-delà d’un seul changement de régime offrant à tous de nouveaux espaces de revendication. La révolution fut également l’expérience par les femmes de leur poids politique et de l’impact de leur engagement. Camper sur la place Tahrir, affronter gaz lacrymogènes devant caméras de télévision du monde entier jusqu’à la chute d’un dictateur que tous disaient immuable : l’initiation politique n’est pas banale. Triste ironie, les résultats des premières élections parlementaires de l’Égypte post-Moubarak semblent mettre à mal tous nos constats. Seulement huit femmes sur les 498 membres du Conseil du Peuple ont été élues.

55 / ÉGYPTE

« Femmes et hommes étaient sur les mêmes fronts, sur la même ligne »


3441 KM 35 JOURS 20 HEURES « Si vous ne donnez pas de pouvoir à la moitié de votre population, vous vous attendez à parvenir à la démocratie ?». Manifestement, le principe d’égalité entre les sexes ne guide pas le processus de transition. « Aux personnes réunies devant moi tout à l’heure, j’ai dit une chose ‘Il n’y a pas de Printemps Arabe sans fleurs et les femmes doivent être les fleurs de ce Printemps’ ». On peut contester la formule, toujours est-il que Dalia Ziada vous harponne par son énergique répartie et maîtrise l’art de convaincre. Démonstration.

Débauchées et incompétentes

JF, 29 ans, déterminée, propose solutions pour transition en danger Entre le moment où je l’aperçois et celui où je parviens enfin à me glisser jusqu’à elle, une petite dizaine de personnes lui ont déjà serré la main. Elle porte un badge avec son nom : Dalia Ziada. Blogueuse précocement, révolutionnaire nécessairement, et puis candidate aux élections parlementaires de novembre 2011, courageusement. Elle n’a pas été élue. L’interroger sur cet échec, c’est ouvrir la porte à une analyse passionnée de la place des femmes en Égypte.

« Les Cairotes invoquent systématiquement ‘la mentalité égyptienne’ ,supposée incompatible avec l’accès des femmes au pouvoir » commence Dalia Ziada. L’immense majorité de la société égyptienne dénonce les femmes qui veulent s’engager en politique, certes. Débauchées et incompétentes, immorales, inconséquentes. Hubert Bonnisseur de la Bath* leur aurait sans doute conseillé de rentrer chez elles pour s’occuper de chausser leurs sept ou huit enfants. Toutes les candidates aux élections parlementaires ont pâti de cette conception sexiste : seuls 2% de sièges au Parlement sont occupés par des femmes aujourd’hui. La moyenne mondiale est autour de 19%, et 13% dans le monde arabe. Faut-il incriminer ‘Il n’y a pas de Printemps pour autant « la men- Arabe sans fleurs et les talité égyptienne » ? femmes doivent être les Cette explication en fleurs de ce Printemps’ forme de résignation, Dalia Ziada la combat farouchement. Loin d’être fataliste, elle maitrise l’équilibre entre lucidité et optimisme. « Les révolutions sont aussi faites pour remettre en question « la mentalité » d’un peuple. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser échapper cette opportunité d’ouvrir la sphère politique aux femmes. Il faut en profiter ou c’est inacceptable. » *Alias OSS 117.


Le controversé « Statut personnel » En Egypte, c’est El-Ahwel Shakhseyya [ou statut personnel] qui établit les droits des femmes. En 2001, sous l’influence de Suzanne Moubarak, ce statut personnel a été amendé pour introduire le divorce à l’initiative de l’épouse (dans des conditions qui restent malgré tout extrêmement strictes). Aujourd’hui, des personnalités islamiques élues au Parlement déclarent vouloir réviser la législation. Pour ne rien simplifier, les féministes se retrouvent à défendre une mesure tachée de la main moubarakienne. L’héritage de ce que l’on a pu appeler le « féminisme d’Etat » sera un autre défi des mouvements de femmes dans les années à venir. Selon Dalia Ziada, « divisées pendant l’ère Moubarak, une réconciliation s’amorce déjà entre les ‘anciennes’ [celles qui travaillaient au sein de l’appareil de l’Etat] et les militantes féministes issues d’associations indépendantes ».

Débouter un tabou

La recette Ziada pour changer une société est presque déce- Et puis on découvre ce qu’il y a derrière le troisième volet de vante de banalité. Fini l’héroïsme révolutionnaire. Il n’est pas Dalia Ziada : son combat contre l’excision, mené obstinément (encore) prévu de prendre d’assaut le Parlement sur Kasr- depuis l’adolescence. En Égypte, plus de neuf femmes sur dix El-Ainy en minijupe. Elle veut jouer le jeu des institutions. ayant entre 15 et 49 ans ont subi une excision totale ou parPremier volet : lobbying parmi les nouveaux élus chargés de tielle du clitoris. D’abord on bondit. Et puis on mobilise à rédiger la Constitution égyptienne. « Nous allons faire nouveau les conceptions du pression pour y voir les droits des femmes inscrits mais Il n’est pas (encore) prévu de corps féminin dans la soaussi pour défendre les lois amendées en faveur des prendre d’assaut le Parlement ciété égyptienne. Un corps femmes avant la révolution et menacées aujourd’hui sur Kasr-El-Ainy en minijupe. Haraam [illicite, interdit par la majorité islamiste du Parlement ». En décembre par la religion] à contrôler dernier, Manal Abul Hassan, en charge de la condition fé- pour atteindre l’harmonie sociale. Un corps qui a valu à Aliaa minine pour le Parti de la Liberté et de la Justice [le parti El Mahdi de recevoir des menaces de mort après la publicades Frères Musulmans] et élue au Parlement, réagissait aux tion d’une photo d'elle nue. Au centre-ville du Caire, depuis marches des femmes. « Lorsque une femme descend dans la la fenêtre d’un taxi, on peut désormais apercevoir sur un pan rue pour défendre ses droits, c’est contre sa propre dignité de mur un graffiti reprenant la photo devenue emblématique. qu’elle agit. N’a-t-elle pas un mari, un frère ou un fils pour la défendre ? ». On ouvre un deuxième volet. Soleil hivernal. Les quotas. Au sein même des mouvements libéraux, beaucoup dénoncent le coup de pied dans l’eau ou la discrimination entérinée. Dalia Ziada y voit surtout un moyen « pour que de jeunes femmes surtout, de jeunes activistes, puissent rentrer au Parlement. Nous étions En Égypte, plus de neuf femmes sur contre le système des quotas avant la dix ayant entre 15 et 49 ans ont subi révolution car c’était juste un moyen une excision totale ou partielle du pour le NDP [Parti Démocratique clitoris. National de Moubarak] d’augmenter le nombre de députés pro-régime au Parlement. Mais ces 64 sièges réservés aux femmes n’auraient pas dû être supprimés après la révolution ».

57 / ÉGYPTE

Féminisme rime avec vigilance


De la

Révolution Iranienne au

rêve Américain.

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Portrait d’un réfugié politique aux États-Unis Farshid Rezvani a tout du père de famille américain classique. Businessman accompli, patriote modéré et champion de billard local. Mais à y regarder de plus près, sa peau est un peu trop basanée pour qu’il

ère n e E lu Pauli soula à Mis

soit né dans le Nord des Etats-Unis, et lorsqu’il vous invite chez lui, il parle Persan à son chien en vous offrant du thé au safran…


Ma famille américano-perse Au début de mon semestre aux États-Unis, j’ai décidé de signer un programme me permettant d’être assignée à une famille américaine. J’ai reçu un papier cartonné m’indiquant que ma famille serait les « Rezvani ». Le nom sonnait drôlement mafioso italien et lorsque je les ai rencontrés, le père avait un faux air de De Niro. Cependant, Farshid Rezvani n’ était pas un Sicilien venu vivre aux États-Unis de trafics douteux comme dans Le Parrain, mais un Iranien-Américain qui avait fuit l’Iran pour ne pas être exécuté pendant la révolution. Au fil de mes rencontres avec eux et des questions posées, j’ai pu reconstituer sa fuite d’Iran, son arrivée aux États-Unis et son parcours de self-made man.

Retour historique : la chute du Shah En 1979, la révolution éclate en Iran mettant fin à la dynastie du Shah. L’État impérial d’Iran devient République islamique d’Iran. Farshid, vous pouvez me raconter votre fuite d’Iran, et comment vous avez senti les tensions politiques arriver avant 1979 ? Donc, comme tu le sais, je suis de foi bahaïe*. Sous le règne du Shah, la religion bahaïe était à peu près respectée. Je t’avoue qu’on ne parlait pas beaucoup politique chez moi, premièrement parce que c’est un principe de la religion bahaïe, deuxièmement parce que la police secrète du Shah, la SAVAK, était omniprésente et qu’il valait mieux se taire. Le régime du Shah était autoritaire mais voyant l’opposition grandir, il a tenté de faire quelques efforts (une série de réformes connues sous le nom de « Révolution blanche »). *Religion fondée en 1863 en Perse, joyeux mélange des révélations d'Abraham, de Moïse, de Buddha, de Krishna, de Zarathoustra, du Christ et de Mahomet.

Khomeiny monte en puissance et renie les Iraniens « infidèles » A ce moment, la propagande de Khomeiny, chef religieux chiite forcé à l’exil par le Shah en 1964, a commencé à grandir. J’avais des amis musulmans qui me sont toujours restés fidèles. D’individu à individu, je n’ai rien à dire, mais c’est lorsque Farshid Rezvani, n’était certains musulmans étaient en pas un Sicilien venu vivre groupe qu’une haine contre les aux États-Unis de trafics Bahaïs à commencer à se former. douteux comme dans Le Les Mullah* créaient de toute Parrain. pièce des histoires négatives sur les Bahaïs. Par exemple, les Mullah diffusaient l’idée que les Bahaïs couchaient avec leurs filles et leurs sœurs. Les Bahaïs commençaient à perdre tout respect. Certains, dont mon grand-père se sont faits battre et ont vu leur maison pillée par des groupes de musulmans. J’ai su qu’il était temps de partir quand le nom de mon père et de ma mère est apparu dans le journal national. Une histoire toute faite les accusant d’être des espions pour Israël et les États-Unis, concluant qu’ils devaient se présenter à la Cour pour être jugés. Autant dire que c’était un arrêt de mort. J’étais à l’armée à ce moment. J’ai appris plus tard que mes parents avaient fui notre ville de Birjand en traversant la frontière pakistanaise et s’étaient rendus en Autriche puis aux États-Unis. Mon père m’a envoyé une lettre qui aurait paru anodine pour quiconque aurait pu l’intercepter, mais il y parlait d’un homme habitant à Hamadān qui était un ami proche. Je ne connaissais pas cet homme, mais je savais que mon père me donnait un signal pour que j’aille à sa rencontre. J’ai déserté. A partir de ce moment, j’aurais été mis à mort si l’on m’avait découvert. *Érudits musulmans appelés aussi Oulémas.

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7601 KM 79 JOURS 4 HEURES


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Fuite à dos d’âne Je n’avais qu’un nom et une ville. Je suis arrivé dans cette ville glaciale qu’est Hamadān et ce gentleman iranien m’a accueilli. J’ai eu beau tenter de parler avec lui, il était impossible de lui arracher le moindre mot. Au bout de quatre longs mois, il a ouvert la bouche pour me dire que quelqu’un allait venir, et que je devais le suivre quoiqu’il dise. Son fils est arrivé et je suis monté dans sa voiture. Deux ânes, deux guides, Il m’a dit que chaque fois trois jours pour traverser que la police nous inspecla frontière turque. terait, je devrais répondre que j’étais là pour visiter des hôpitaux. Étonnament, cette phrase fonctionnait à tous les coups. On est arrivé jusqu’au village de Bahlu, au nord-ouest de l’Iran. J’ai appris que le gentleman muet était le chef de ce village. Deux ânes, deux guides, trois jours pour traverser la frontière turque. Le gentleman avait tout prévu. Il avait des contacts en Croatie, où j’ai pu loger quelques temps. J’ai rejoint mon oncle en Autriche qui faisait dans le commerce du tapis persan. J’ai travaillé pour lui jusqu’à ce que j’obtienne une greencard* et un visa étudiant pour les États-Unis.

Premiers pas aux États-Unis Les États-Unis allaient être le commencement d’une nouvelle vie, et j’étais plein d’espoir. J’avais entendu parler d’une famille américaine dans le Montana qui était prête à recevoir un réfugié comme moi. Le père était très impliqué dans Amnesty International. Leur fils, Peter, m’a accueilli. Tout était nouveau, mais les gens étaient chaleureux. Deux mois après que je sois arrivé, Peter a appelé sa sœur au téléphone car elle allait bientôt rendre visite à sa famille. « Kate, l’homme que tu vas épouser est ici ! » lui a dit Peter en riant. J’ai ri aussi, mais ça s’est avéré vrai. J’allais l’épouser quatre ans plus tard. Je suis allé chercher avec lui à l’aéroport une jeune blonde américaine d’un mètre quatre-vingt dont je suis rapidement tombé amoureux. Elle est retournée étudier, et moi j’ai obtenu une bourse d’étude pour l'UCLA (Université de Californie à Los Angeles). On s’est échangé des lettres pendant des mois. On s’est marié à Seattle, sur un bateau, c’était son idée. *Carte de résident permanent aux États-Unis.

Le rêve américain Je ne retournerai pas habiter en Iran, même si je le pouvais, je me sens plus Américain que Persan. J’ai de bons souvenirs d’Iran, j’y ai eu une enfance heureuse. On avait un grand jardin où l'on se réunissait avec toute la famille. Je jouais au football dans la rue. La dernière fois (il sourit) Ashley et Jake, J’avais entendu parler sa fille et son deuxième fils d’une famille américaine m’ ont demandé si je jouais dans le Montana qui au football pieds nus avec était prête à recevoir un un ballon en peau quand réfugié comme moi. j’étais petit en Iran. Je leur ai demandé en peau de quoi ? Et ils m’ont répondu « en peau de carcasse de chèvre morte ! »… C’est ça d’avoir des enfants américains, ils vous prennent pour un barbare ! Je crois que ces deux cultures les ont enrichis tout de même. Avec Kate nous avons eu peu de conflits sur leur éducation. J’ai insisté pour faire circoncire nos fils comme le veut la tradition persane, mais elle était contre. On a joué à pile ou face, et j’ai gagné. Au fond, oui, je crois avoir vécu le rêve américain. Je m’ étais dit que je gagnerais plus de 10 000 dollars par mois, et j’ai réussi. Aujourd'hui les Bahaïs résidant encore en Iran sont considérés infidèles et ne reçoivent ni droits ni protection.



Hello ieu Le Le Moing h t t a e M ll aum & Gui hing ton à Was

5924 KM 58 JOURS 13 HEURES

Ambassadeur,

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un titre prestigieux derrière lequel se cache souvent un

personnage mal connu. François Delattre, Ambassadeur de France aux États-Unis, nous livre ses impressions sur sa fonction et les relations franco-américaines. Pourriez-vous nous décrire en quelques mots la fonction d’ambassadeur ? L’ ambassadeur représente la France dans toute la diversité du pays : nous défendons des intérêts politiques, économiques, financiers, culturels, commerciaux, scientifiques et militaires.  Mon rôle au quotidien est d’ être présent sur tous ces fronts, en même temps et partout : être à Chicago pour soutenir la Chambre de commerce, à San Francisco pour promouvoir un industriel français, à Miami pour développer des échanges entre des collectivités territoriales… Représentation, promotion et coopération sont donc nos trois principales missions.

Getty Images


Quel est votre regard sur l’état actuel des relations franco-américaines ? Les relations franco-américaines n’ont jamais été aussi étroites qu’aujourd’hui et connaissent une dynamique exceptionnelle. Sur le terrain politique et diplomatique, le leadership français pendant la crise libyenne a été largement salué aux États-Unis. Les médias américains n’ont jamais, depuis la crise irakienne, autant parlé de la France, mais cette fois de manière positive. A partir de cette relation restaurée entre la France et les États-Unis, nous sommes repartis sur des bases solides, tant au niveau politique qu’économique. C’est une bonne période pour renforcer nos relations dans la durée. Les États-Unis ne doutent-ils pas aujourd’hui du projet de construction européenne ? Les États-Unis ont toujours eu un regard général positif sur l’Europe – ils sont en partie à l’origine du projet européen à travers le plan Marshall. En revanche, ils ont toujours eu un regard ambivalent sur l’euro, craignant qu’il ne devienne un compétiteur pour le dollar ou au contraire une monnaie faible qui n’ affaiblisse l’ensemble du système monétaire international. À nous de les convaincre que l’euro reste une monnaie solide. Mon défi est de leur dire que nous sortirons de la crise de l’euro plus forts, même si cela prendra du temps. Les Américains semblent plus prêts aujourd’hui à entendre ce discours qu’il y a un ou deux mois, lorsqu’ils étaient vraiment très inquiets.

Quel regard portez-vous sur les élections américaines en général ? Ce que je retiens, c’est la vitalité démocratique de ce pays. Pendant les douze mois qui précèdent les élections, et sur l’ensemble du territoire américain, les débats au sein des partis et entre eux témoignent de cette extraordinaire vitalité démocratique. Toutefois, la complexité du système des caucus, des primaires, des délégués peut parfois rebuter le regard étranger. Cette année, ce sont les dossiers économiques, et notamment le chômage, qui tiennent le haut du pavé pendant les débats actuels, alors que les questions de politique étrangère et de sécurité nationale seront relativement peu évoquées. Qu’est ce qui vous a le plus surpris en arrivant aux États-Unis ? Ce qui m’a le plus frappé, c’est le sentiment de fragilité, de doute qui s’est emparé de l’Amérique au cours de ces dernières années. Ce sentiment est lié à la crise financière, à la montée en puissance du chômage ou encore à l’essor de la Chine. Mais d’un autre côté, les États-Unis conservent leur vitalité, leur capacité à se réinventer, leur énergie. Je suis donc assez confiant sur les capacités de l’Amérique à rebondir.

63 / ÉTATS-UNIS

Quels sont vos principaux interlocuteurs aux États-Unis ? Le métier a beaucoup évolué, notamment aux États-Unis. Il y a toujours des interlocuteurs traditionnels comme la Maison Blanche, le Département d’État ou le Pentagone... C’est le monde du pouvoir politique et plus seulement celui de l’administration. Mais à côté, il y aussi l’ensemble de la société civile : les entreprises, Wall Street, le monde des ONG et de la culture, les associations, les think tanks, les universités… Tous les acteurs qui relaient également les intérêts de la France. C’est donc une évolution significative. Certains disent que la fonction d’ambassadeur a moins d’intérêt qu’avant parce que les chefs d’État se parlent directement au téléphone. Le raisonnement est faux, c’est exactement le contraire : le monde avec lequel nous parlons est devenu si large que le nombre de nos interlocuteurs a été multiplié par cent en quelques années. Aujourd’hui, un bon ambassadeur ne peut plus se contenter d’être bien introduit à la Maison Blanche, il doit connaître parfaitement la société civile américaine.


Le Bot -Anne rtinez o a i s H a ine M Carol e Jeune L Lucile n o t s o àB

I say a little prayer for 64 / ÉTATS-UNIS

you

If you’re going to San Francisco, be sure to... stop at the Glide Memorial Church

S

omeone has to be fabulous and it’s me ! claironne Ashley tout en se déhanchant à la sortie de l’église. Ashley, membre de la chorale de la Glide Memorial Church depuis de nombreuses années, est gay et fier de l’être. Plus qu’une simple institution, cette église située au cœur de San Francisco revendique sa tolérance envers les membres de sa communauté et leurs orientations sexuelles ou religieuses, quelles qu’elles soient : It’s no matter that you’re high, that you’re gay or a drag queen, no matter that you’re white, black or Chinese, you can be here explique Jane qui anime la messe ce matin.

À 10h45, les fidèles sont déjà au rendez-vous et font la queue pour rentrer dans l’église. Une fois installées, première surprise : les flyers sont distri-

Débarquées à San Francisco, nous nous attendions à la douce chaleur californienne, à son ambiance hippie et son style décalé, à contempler le Golden Gate bridge enveloppé de son célèbre « fog » ou encore à admirer ses maisons colorées… mais nous ne nous attendions certainement pas à nous retrouver sur les bancs d’une église méthodiste un dimanche matin à 11h.

La chorale est composée de gays, lesbiennes, blancs, noirs, handicapés mais aussi de drag queens. bués sous forme d’éventails colorés, et la population présente est plutôt hétéroclite. Sans code vestimentaire particulier, nous remarquons plusieurs couples gays ou lesbiens, des SDF, des retraités, des handicapés, des enfants courant dans les allées ou encore des personnes f leurant bon le parfum dont San Francisco a le secret. Quand l’office dominical se transforme en karaoké-concert

L

e chœur et les musiciens se mettent progressivement en place. D’un même mouvement, aux premières notes qui s’échappent de la basse, l’auditoire se lève et com-

9000 km 75 JOURS 08 HEURES

mence à frapper dans ses mains. La chorale entonne d’une voix Let it Shine, menée par une soliste plus que talentueuse. Au dessus d’elle, un écran géant où défilent les paroles : un véritable karaoké avec les meilleurs tubes sur Jésus entraîne alors le « public » au même rythme que la chorale. Tout le monde chante, danse, rit. Des mouchoirs sont même offerts par l’Eglise pour ceux qui pleurent de joie, submergés par l’émotion ! En effet, difficile de rester insensible devant tant d’énergie. La chorale est composée de gays, lesbiennes, blancs, noirs, handicapés mais aussi de drag queens. L’une d’entre elles vient d’ailleurs porter un premier témoignage à la fin de Let it shine : Thank you Lord, Thank you Lord, Thank you Lord... Tels furent ses mots d’introduction à l’office du jour, acueillis par les rires de nombreux fidèles. Le mot d’ordre est lancé : à Glide, chacun vient comme il est, avec ses talents et ses défauts, parce que


sement vers le pathos, à la manière des shows à l’américaine dans leur dimension qu’on apprécie moins.

The show must go on...

Nouvelles démarques sur Jésus

A

L

près plusieurs minutes consae sermon du prêtre nous coupe crées uniquement à chanter dans notre réflexion, apportant à tous en chœur, main dans la son tour son lot de surprises. Ici, main, à s’enlacer avec nos voisins nulle lecture de passages de la Bible, ou encore se faire applaudir en tant mais plutôt un récit qui mêle réque « nouvelles » de la commu- flexion personnelle et anecdotes conauté, nous commençons à nous miques concernant son propre vécu. demander si nous aurons droit à un Ici, les fidèles sont avant tout des seul « sermon » ou humains, des témoignage un peu individualités Chacun, au sein de plus traditionnel en qui viennent ce dimanche matin. chercher à cet auditoire aussi Ma i s f i na le me nt , l’église aide et hétéroclite, trouve ainsi retour à la réalité : conseil pour en Jésus, au-delà de nous sommes dans faire face à des l’image traditionnelle une église aux Étatsproblèmes très du Sauveur, la preuve Unis, pas question concrets et acque chaque humain donc de délaisser la tuels. Le prêtre peut puiser en lui la d i men sion mor atourne donc force d’aider les autres liste, spectaculaire et rapidement hyper-émotionnelle s on s er mon de ce rassemblement. en critique de C’est ainsi que nous assistons au té- la société matérialiste et consumémoignage d’une jeune fille ayant eu riste dans laquelle nous vivons : on un cancer lorsqu’elle était enfant. Le condamne l’instrumentalisation discours se veut poignant et plein de de Noël par les industriels, qui ont reconnaissance envers Dieu, mais de depuis bien longtemps oublié la l’émouvant, cela penche dangereu- dimension spirituelle et modeste de

cette célébration de la naissance de Jésus, pour n’en garder qu’un simple prétexte à l’incitation à la consommation via des soldes exceptionnels lancés à l’occasion. 65

toute contribution personnelle fera quoiqu’il en soit grandir la communauté en même temps que sa diversité. Pour l’anecdote, quelques uns des membres du Conseil d’Administration de cette structure sont de confession judaïque. On vient donc ici autant pour se sentir membre d’un groupe, entouré, que pour véritablement réfléchir sur sa spiritualité. Des considérations qui peuvent sembler bien terre à terre au royaume du céleste, mais aussi plus susceptibles certainement de s’approcher des réels besoins de la société...

Les références à Jésus sont effectivement nombreuses, et on comprend rapidement que c’est pour cette branche de l’Église protestante LE personnage qui incarne leur message de tolérance, d’ouverture et d’espoir. Chacun, au sein de cet auditoire aussi hétéroclite, trouve ainsi en Jésus, audelà de l’image traditionnelle du Sauveur, la preuve que chaque humain peut puiser en lui la force d’aider les autres et de surmonter les épreuves du quotidien. La Glide Memorial Church, c’est pour tous ses fidèles la porte d’entrée vers le cheminement spirituel et la réalisation individuelle de chacun de ses membres.


66 / ÉTATS-UNIS

N

ous étions rentrées dans cette église par pure curiosité, intriguées par notre guide de voyage attribuant la mention « à ne pas manquer » à ce rendez-vous de la vie saint franciscaine ; amusées de consacrer une matinée de nos vacances à « aller à la messe » chose qui ne nous était pas arrivé depuis des années... Nous ne sommes pas ressorties convaincues, changées ni converties. Simplement heureuses d’avoir fait face pendant deux petites heures à une autre image de la religion et du rôle qu’elle pouvait avoir dans la vie de ces gens que nous venions de rencontrer. Le message que nous retiendrons de cet office à la Glide Memorial Church est un message de tolérance, d’intégration et de soutien à qui en a besoin ; dont la crédibilité était renforcée par l’étonnante diversité des fidèles de cette église méthodiste ; une ambiance qui nous semblait bien loin de toutes les controverses qui secouent régulièrement l’Église en France. La Glide Memorial Church donne de l’espoir sur la capacité de la religion à résoudre les problèmes du quotidien. Pour autant, Jane, pilier de cette communauté, rencontrée à la fin de la cérémonie, nous a bien spécifié que cette institution était unique en son

genre pour sa tolérance et sa diversité, y compris à San Francisco. Glide est également devenue une véritable entreprise, récoltant vos dons par sms en plein milieu de l’office, par message publicitaire projeté sur le mur de

QUELQUES DATES

1993 Le Lesbian and Gay Center est créé à San Francisco qui vise à souder et aider la communauté gay notamment face aux ravages du sida. La population gay représente environ 25% de la population de SF.

1970 / 1980 La communauté gay connait un grand développement. 1972 San Francisco est la première ville des Etats-Unis à publier une loi interdisant toute discrimination dans l’emploi et le logement sur les bases de l’orientation sexuelle.

1973 L’association psychiatrique américaine supprime l’homosexualité de sa liste des maladies mentales.

On peut au choix, se réjouir qu’une église soit aussi ouverte et en capacité d’apporter cette aide à la population, ou bien regretter qu’elle soit la seule à le faire, dernier recours de nombreuses personnes face à des problèmes de pauvreté, d’extrême précarité et de continuelle expansion de l’épidémie de Sida, que les pouvoirs publics semblent avoir peu à peu délaissés.

La religion à la portée de tous : Tapez spiritualité au 20222 l’église pendant que la chorale chante la spiritualité... Parce qu’évidemment, toute l’aide déployée par cette organisation a un coût : 10000 plateaux repas distribués aux sans-abris pour Thanksgiving, tests de VIH gratuits, distributions de jouets pour Noël aux familles les plus démunies (au nombre de 8000 chaque hiver), et autre soutien autant psychologique que matériel.

mai 2004 Les mariages homosexuels qui étaient autorisés en Californie sont interdits avec l’élection de Bush, ce qui annule les 4 000 mariages qui avaient été célébrés à SF.

mai 2008 Les 4 000 mariages sont revalidés.

novembre 2008 Après l’élection d’Obama, le mariage homosexuel est de nouveau interdit jusqu’à nouvel ordre du fait des opposants au mariage gay qui ont interpellé la Cour d’appel fédérale qui étudie la situation. La Glide Memorial Church est une église méthodiste de quartier très active dans l’aide aux sans-abris, et célèbre pour son atmosphère gay friendly. Elle fut à l’affiche de « A la poursuite du bonheur » (2005) avec Will Smith.


SWIM IN MULLAGHMORE

C

ertains Irlandais, pour exprimer leur joie de voir une année se terminer et une nouvelle commencer, se doivent de faire plus qu’un bon repas,au chaud. Tu aurais dû te douter que les Irlandais sont du genre à respecter les traditions et qu’ils ne sont pas faits du même bois que nous, pauvres Français… Le calme avant la tempête…

T

out commence la veille, sur le ton de la plaisanterie. Ready for tomorrow guys  ? (Prêts pour demain les gars ?). Toi et ton ami brésilien, Marcelo, qui a eu le courage de passer une semaine en Irlande, loin du soleil de Brasilia, vous n’y croyez pas trop à cette tradition… Surtout qu’il pleut à torrents, sans discontinuer, depuis deux jours. Mais tout doucement, insidieusement et à mesure que le dernier jour de l’année avance, tu commences à jeter des regards mi-complices, mi-nerveux au Sud-Américain. Lui, est complètement horrifié par le concept même d’une eau à moins de 20°C... Le point de non-retour arrive dans la soirée. Tu passes le Nouvel An dans un pub rempli à ras-bord. De toute façon, c’est le seul bar ouvert en hiver et tout le village est là ! Grisé par cette année 2012 qui se profile à l’horizon, tu t’engages un peu vite à suivre tes potes irlandais au bout du monde parce que tu as fini par comprendre que eux, ils vont le faire pour de vrai. Mais bon, ça

pourrait être pire, tu te dis qu’après tout, ce n’est jamais que l’Atlantique et que tu pourrais être brésilien…

C’est à ce moment précis que le soleil apparaît pour la première (et unique) fois de la semaine : ton sort est scellé.

Premier janvier, 14h00, tu te réveilles tout doucement. C’est le jour J. Il pleut tellement dehors que tu penses encore être sauvé. Pourtant, tout le monde semble confiant et cherche son maillot de bain d’un air décontracté : l’Irlandais sait prévoir l’éclaircie au milieu de l’ouragan. Tu maudis ce « on sait jamais » qui t’a fait mettre ton short de bain dans ton sac à la dernière minute. À leur grand dam, Marcelo et ses inénarrables claquettes se font prêter un maillot.

You did it ! Vous l’avez fait !

L’un des meilleurs moments, c’est sans doute quand un étudiant irlandais (en géographie !) demande à Marcelo s’il s’est déjà baigné dans l’Atlantique : parce que ça va changer du Brésil…

D

ifficile de définir le pire dans tout ça… Le moment où tu te déshabilles en plein vent par 3-4 degrés ? Celui où tu te jettes dans l’eau à 3-4 degrés en courant (et hurlant) ? Ou celui où tu ressors trempé en pensant que tu ne sentiras plus jamais tes pieds ?

Mais c’est à coup sûr plus difficile encore de choisir le meilleur moment ! Celui où tu rentres frigorifié dans une voiture surchauffée pour l’occasion ? Celui où tu bois un délicieux vin chaud près de la cheminée en te remémorant tes « exploits » ? Ou celui ou tu t’assois à table, une assiette de « stew » (ragoût, le plat national irlandais) fumante sous le nez ? Comme quoi l’Irlande, ce n’est pas que les pubs, la Guinness, la pluie et les moutons… C’est aussi être assez fou pour se baigner dans une eau que nous, pauvres Français, ne daignerions pas même en été effleurer. ornon Paul M holm k à Stoc

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NEW YEAR’S

On voit toujours ces mêmes images, chaque année au premier de l’An : sur la Côte d’Azur, de fameux « courageux » vont mettre un orteil dans la Méditerranée, une coupe de champagne à la main. Au moment où tu prends tes billets d’avion pour passer le Nouvel An dans un petit village perdu de la campagne irlandaise, tu as fait mine d’oublier que ton pote t’avais parlé de cette tradition du « New Year’s Swim » (Bain du Nouvel An).


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dans l’ombre des

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géantS pharmaceutiques Atlanta, un des bastions de l’industrie pharmaceutique américaine, siège du célèbre CDC (Center for Disease Control). Partez à la rencontre de hommes en blouse blanche qui sauvent des vies en s’activant du matin au soir dans leurs laboratoires et rencontrez Franck, qui vous donnera un éclairage sur ce business à la fois salvateur et florissant.

À CHACUN SON COMBAT Neuf heures du matin. Comme d’habitude, je zigzague entre des fauteuils roulants estampillés VA veterans administration, des hommes couverts de tatouages louant leur pays, portant des casquettes « vétérans du Vietnam » pour les plus âgés, des badges « j’ai fait l’Irak » pour les plus jeunes. Alors que je parviens enfin à me glisser dans l’ascenseur, un homme, silencieux jusque là, se retourne pour nous souhaiter une bonne journée et je découvre alors

un profil totalement défiguré. Ces héros n’arborent pas de capes mais les stigmates qu’ils portent sont tout aussi évidents. Cinquième étage. Les hommes avec qui je travaille sont engagés dans une autre guerre, contre un ennemi vicieux qui tue des milliers de personnes tous les jours. Je m’arrête dans le couloir pour saluer un collègue. Celui-ci, visiblement absorbé dans ses pensées, s’arrête brusquement et commence à écrire des formules sur un des tableaux blancs du couloir. La plupart de mes collègues sont déjà dans leurs laboratoires à manier des éprouvettes, recueillir des données, en vue de la réunion de cette après-midi. Le virus du Sida n’attend pas. Ce laboratoire de biochimie pharmaceutique est mené d’une main de fer par son créateur, Dr. Raymond Schinazi, depuis 1983. Spécialisé dans la recherche sur l’éradication

6796 KM 79 JOURS 18 HEURES

e Hélèn u a e r t o B nt a à Atla

du virus du Sida, le champ d’étude s’étend maintenant à différents types de virus tels que l’hépatite B et C et la Dengue. Hébergé dans les locaux de l’hôpital pour les vétérans d’Atlanta, le laboratoire de Dr. Schinazi dépend de la prestigieuse université d’Emory dont il a largement contribué au succès et à la richesse.

De l’espoir en pilule Retour sur cette montée au sommet de la découverte pharmaceutique. Au début des années 1990, Raymond Schinazi, en collaboration avec Dennis Liotta et Woo-Baeg Choi, docteurs de l’université d’Emory, développe les molécules 3TC et FTC qui ont pour but de d’empêcher la réplication et l’infection d’autres cellules par le virus du VIH. Les


Actuellement 94% de la population contaminée par le Sida est traitée avec un médicament créé dans ce laboratoire, et on estime que ces inventions ont sauvé plus de 3 millions de vie à travers le monde.

Un business lucratif 540 millions de dollars. C’est le montant des royalties qu’a remportées Emory sur les droits de ces médicaments anti-VIH, le plus gros marché de la propriété intellectuelle jamais conclu par une université. Les inventions de Dr. Schinazi et son équipe de scientifiques rapportent plus de 2 milliards de dollars chaque année. Un pactole qui lui a permis de fonder quatre compagnies pharmaceutiques

INTERVIEW § Pourrais-tu me décrire ton parcours et les raisons qui t’ont motivé à travailler aux États-Unis ? J’ai suivis un parcours universitaire classique et ai obtenu ma thèse fin 2004. Il faut savoir que le post-doctorat à l’étranger reste une condition sine qua non pour trouver un poste de chercheur (notamment académique) en France. Je suis donc parti à Atlanta en 2005 pour travailler dans l’équipe du Dr. Raymond Schinazi (Emory University). Après un ou deux ans et quelques tentatives infructueuses pour trouver un job en France, différentes opportunités se sont présentées ici à Atlanta et je suis depuis 2010 Professeur Assistant rattaché à l’école de médecine de l’Université d’Emory.

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chimiste participant à l’aventure depuis un peu plus de 6 ans. � � � � � � � � � � � � � � � � �

valant plusieurs milliards de dollars. Bien sûr, la question de l’éthique surgit lorsqu’on parle de montants aussi astronomiques qui proviennent de la vente de médicaments combattant un virus touchant les populations des pays les plus défavorisés de ce monde. D’un autre côté, ces fonds permettent une technologie à la pointe du progrès, le regroupement des meilleurs cerveaux mondiaux, unis pour combattre cette épidémie vicieuse. L’entreprise pharmaceutique est un business comme les autres aux États-Unis, et est soumise aux mêmes dérives.

§ Est-ce que la recherche est plus valorisée aux États-Unis ? La passerelle entre recherche académique et le monde industriel est-elle plus aisée à franchir ? Les gens semblent plus avoir la culture d’entreprendre ici qu’en France et il n’est pas rare de voir un chercheur « académique » démarrer sa propre « start-up » afin de valoriser sa recherche (Dr. Schinazi en est un bon exemple). Cette situation est peut-être également due aux

difficultés administratives que rencontrent les gens en France, lorsqu’ils essaient de démarrer ce type d’entreprises. En termes financiers, je pense que les chercheurs en milieu académique sont mieux payés ici. On accède à davantage de moyens grâce à l’université ou aux différentes demandes de financement qui existent. La différence majeure vient aussi des sommes allouées. Quand les chercheurs bataillent en France pour avoir des financements de quelques dizaines de millier d’euros, on parle aux ÉtatsUnis de financements en centaines de milliers, voire millions de dollars. § Que penses-tu de l’industrie pharmaceutique aux États-Unis en tant que business et lobby ? Si tu veux dire que l’industrie pharmaceutique est un gros méchant loup qui cherche uniquement à faire de l’argent sur le dos des gens, eh bien oui, l’industrie pharmaceutique n’est pas une association à but non lucrative type loi 1901 ! Comme toute industrie elle est là pour faire de l’argent. Oui c’est un business. Il est cependant bon de rappeler que la recherche nécessaire avant la mise sur le marché d’un médicament est longue et coûteuse et qu’il y a également de nombreux projets financés à perte et/ou qui n’aboutissent pas.

71 / ÉTATS-UNIS

médicaments dérivés de ces molécules ont révolutionné l’histoire de la recherche contre le Sida et la vie de toutes les personnes infectées par le virus. Actuellement, 94% de la population contaminée par le Sida est traitée avec un médicament créé dans ce laboratoire, et on estime que ces inventions ont sauvé plus de 3 millions de vie à travers le monde.


Être juif orthodoxe

et gay

L’ambassadeur de France en Israël, Christophe Bigot, et les représentants des associations Bat Kol et Havrouta lors de la remise du prix des Droits de l’Homme 2011 décerné par la France.

UN DÉFI

QUOTIDIEN

crédit  : Ambassade de France en Israël

72 / ISRAËL

s Nicola ul o b Tou alem s à Jéru

Tel-Aviv vient d’être élue « meilleure ville gay » au monde, recueillant 43% des voix, loin devant sa première rivale New-York (14%). L’image de ville ouverte, attirant des touristes venus du monde entier par sa vie nocturne au milieu d’une Terre Sainte, ne date pas d’hier. La différence d’acceptation entre Tel-Aviv et Jérusalem est aussi devenue un poncif. Mais, à moins d’une heure de voiture, Jérusalem est le centre d’une communauté homosexuelle d’un genre particulier, inattendu. Peut-on être gay, juif et orthodoxe ?

Tu ne coucheras pas avec un homme comme tu coucheras avec une femme. C’est une abomination (Lévitique, 18 :22) La Torah semble a priori laisser peu ou pas d’espace à une identité homosexuelle, en interdisant la relation sexuelle à proprement parler et en enjoignant l’individu à procréer. La position des rabbins orthodoxes n’a jamais transigé. Pourtant, en 2001, le documentaire « Trembling before G-d » de Sandi Simkha DuBowski (un réalisateur américain lui-même gay et juif réformé) explorait la vie de ces juifs orthodoxes refusant de faire

un choix entre conviction religieuse et orientation sexuelle. La plupart des protagonistes avaient rompu avec leur famille, étaient plus ou moins

La Torah semble a priori laisser peu ou pas d’espace à une identité homosexuelle coupés de leur communauté d’origine, une situation d’autant plus difficile à supporter qu’ils souhaitaient conserver une certaine religiosité.

� À VOIR : LE DOCUMENTAIRE « Trembling before G-d » de Sandi Simkha DuBowski


1 > Haver signifie compagnon, ami en hébreu. Le concept de havrouta désigne à l’origine l’étude en duo.

HOMOSEXUEL, VERSUS JÉRUSALEM

PRISE DE CONSCIENCE

Une décennie plus tard, en Israël comme au x Etats-Unis, cet te communauté homosexuelle d’un genre particulier s’organise afin de pourvoir à ses membres un espace d’écoute. Parmi les organisations apparues ces dernières années, Havrouta pour les gays 1 > et Bat Kol 2 > pour les lesbiennes sont les plus connues.

Si le phénomène ne date pas d’hier, niques prennent conscience d’une la vague actuelle de coming-out de nécessaire distinction entre prescripjuifs souhaitant malgré tout rester tion morale et relations humaines. La dans l’orthodoxie ne peut plus être chance des juifs gays c’est que, face à ignorée. Et on observe de grands l’ampleur des exigences de la loi juive progrès dans l’acceptation par les pour l’individu, les rabbins ont toucommunautés . Même jours dû faire preuve De leur côté, les si beaucoup limitent leur de pragmat i sme , coming-out à leurs amis ou autorités rabbiniques pense Jonas. Mais ce leur famille, j’ai personnel- prennent conscience pragmatisme ne va lement entendu très peu de pas toujours de soi cas de rejet depuis que nous d’une nécessaire distinc- et la signature d’une avons ouvert Havrouta  : la tion entre prescription « Déclaration de Prinmorale et relations cipes » en 2010 par les grande majorité n’a aucun problème à continuer à plus éminents repréhumaines. participer à la vie religieuse sentants du judaïsme à part entière continue Jonas. Si l’ho- « modern orthodox » en faveur de mosexualité ne sera jamais perçue l’acceptation des homosexuels (plus comme normale dans ces commu- que de l’homosexualité) en est d’aunautés, le sujet n’est plus tabou. La tant plus remarquable. célèbre série télévisée Srougim, où Ro’i, un jeune religieux, se révèle homosexuel dans la saison 2 (et même s’il finit par changer d’orientation et se marier), a notamment contribué à faire entrer le sujet dans les foyers. De leur côté, les autorités rabbi-

Nous avons deux niveaux d’actions m’explique Daniel Jonas, étudiant en histoire juive à Jérusalem et président de Havrouta, dans son appartement d’un quartier chic du sud de la capitale. Nous nous tournons d’un côté vers la communauté homosexuelle par des activités thématiques en commun tous les mois ou des excursions, des shabbat organisés. Il ne s’agit pas de faire du conseil mais de permettre à chacun de savoir qu’il n’est pas seul dans ce cas. Parallèlement, nous venons de mettre en place un programme de rencontres et de dialogues avec des rabbins, des éducateurs et leurs élèves.

3534 KM 40 JOURS 02 HEURES

73 / ISRAËL

2 > Fille de voix , terme qui fait référence à la mystique juive.


74 / ISRAËL

VOUS AVEZ DIT ORTHODOXE ?

Nous voulons surtout éviter d’être jugés par nos proches. Le monde juif doit comprendre, j’espère qu’il est en train de comprendre, qu’être homosexuel ne se résume pas à la sexualité.

Ironiquement, les homosexuels orthodoxes sont aussi en décalage par rapport au courant principal du monde gay. Parmi les points de divergence  : la participation à la Gay Pride annuelle de Tel-Aviv. L’exubérance visuelle qui y règne choque certains, de même que le discours virulemment antireligieux qui y est tenu. Par ailleurs, l’identification orthodoxe est exceptionnellement large  : nous sommes ouverts à tous, nous n’allons pas commencer à vérifier qui porte les tsitsit 3 >, mange strictement casher ou a des relations sexuelles avec son partenaire, explique Jonas.

UN DILEMME INSURMONTABLE Quel futur pour les gays orthodoxes ? Changer la halakha 4 > n’est dans le pouvoir de personne, et ils le savent. Nous ne nous en prenons pas à l’autorité, explique anonymement une des membres de Bat Kol. Nous voulons surtout éviter d’être jugés par nos proches. Le monde juif doit comprendre - j’espère qu’il est en train de comprendre – qu’être homosexuel ne se résume pas à la sexualité. Tout le monde sait que les lois de pureté familiale [qui régissent les relations sexuelles entre juifs] ne sont pas toujours respectées mais on n’en fait pas un tabou pour autant, se concentrant sur les relations hu-

maines. L’acceptation est une chose, elle n’empêche pas pour autant l’incitation à changer d’orientation sexuelle. La plupart des membres sont passés par des phases de « traitement » auprès de psychothérapeutes, sans « succès » dans beaucoup de cas. Pire, les cas de « conditionnement » (s’affliger une forme de souffrance au moindre désir) n’étaient pas rares jusqu’à ce que rabbins et psychologues interviennent pour mettre fin au phénomène.

3 > Tsitsit, franges portées aux coins des habits. 4 > Halakha, loi juive.

GAY RECHERCHE LESBIENNE Les couples homosexuels sont désormais en bataille pour la légalisation des mères porteuses à leur bénéfice. Début janvier, leurs représentants rencontraient le ministre de la santé (ultra-orthodoxe) à la « Knesset ». L’objet est de contourner l’autre obstacle religieux que constitue l’obligation de procréer. C’est ce même obstacle mais aussi la question de l’homosexualité en général qu’Areleh Harel tente d’intégrer. Rabbin à Shilo, au nord de Jérusalem, l’homme s’est fait connaître début 2011 pour son initiative originale  : permettre à des gays et des lesbiennes de se rencontrer et de fonder un foyer juif dans lequel ils pourront avoir des enfants.

Le projet n’est pas idéal, répond Harel à ses critiques. Mais c’est une option qui doit être offerte aux homosexuels religieux qui ne souhaitent pas se révéler parce qu’ils considèrent eux-mêmes qu’il vaut mieux fonder une famille traditionnelle.


1640 km 17 JOURS 48 HEURES

oît n Be n Trista ovie c à Cra

U

ne autre version raconte que lors d’une cérémonie, en l’honneur de la cavalerie polonaise héroïque, des officiers français tentèrent de dénigrer l’exploit en affirmant que les cavaliers étaient ivres lors de la bataille. Loin de donner caution aux officiers mal intentionnés, Napoléon se serait exclamé  : il faut être soûl comme un Polonais pour réussir cela  !

Où s’arrête donc cette légende  ? Le fait est que l’origine de cette expression est plutôt élogieuse pour les Polonais et bien moins pour les Français  !

PO

L O G NE

75 / POLOGNE

oûl tre ssoûl ÊÊtre un omme un ccomme olonais ppolonais

C

ette expression remonterait à l’époque napoléonienne, où une armée polonaise luttait aux côtés des Français. Un soir, Napoléon donna quartier libre à ses troupes. Le lendemain, les soldats français, en piteux état, furent bien incapables de se préparer au combat. Seuls les Polonais semblaient tenir le choc ! Napoléon annonça alors aux troupes françaises : Soyez soûls messieurs, mais soyez soûls comme des Polonais  !


Dîner À Lentil as Anything no n Dré F l av i e c B on n e a u r & Ma ourne b l e M à

ça n’a pas de prix !

76 / AUSTRALIE

il est de ces endroits qu’on nous fait découvrir un jour et qu’on souhaite ensuite faire partager. C’est le cas de ce restaurant australien qui peut être décrit par quelques mots simples : bio, végétarien, désintéressé, social.

Un village dans la ville

S

itué dans les quartiers Est de Melbourne, le lieu surprend le visiteur qui s’y rend pour la première fois. Pour y parvenir, il faut s’éloigner du cœur de la capitale culturelle de l’Australie. Une fois passé l’imposant mur d’enceinte de cet ancien couvent, on découvre un autre monde. Nos yeux s’arrêtent sur une grande pancarte en français d’un autre âge, vantant un charbon de qualité ; et la voix de Jacques Brel s’échappe d’une des fenêtres du bâtiment jouxtant le restaurant. Aucun panneau de signalisation ne vous indiquera le chemin à suivre pour accéder à ce village dans la ville, et vous ne pourrez guère compter que sur le bouche-à-oreille pour vous guider. Comme si cet endroit n’était pas à la portée de tous et méritait que l’on manifeste une réelle envie de s’y rendre.

Ici pas de prix affichés, juste une participation libre

B

ien que le lieu soit à l’écart des rues animées de la ville, il n’en est pas moins plébiscité. La terrasse

est toujours remplie, et il est fréquent petite scène sonorisée ouverte à tous de devoir faire la queue un bon quart les musiciens qui souhaitent partager d’heure avant de pouvoir accéder au leurs talents. Le restaurant accueille une population hétésaint du saint : le selfservice ! Mais avant Aucun panneau de si- roclite, mixant les âges et les commude prendre ses couverts et de remplir gnalisation ne vous nautés et n’est réservé son assiette comme indiquera le chemin ni au x personnes bon vous semble, une à suivre pour accé- dans le besoin, ni à une f lopée de doux urne en bois vous attend à l’entrée. Aucun der à ce village dans illuminés, beatniks, et autres hippies ne prix. Aucune carte. La la ville rêvant que d’un nouparticipation est complètement libre comme l’indique la veau Woodstock. Tout le monde est pancarte qui l’accompagne : « Pay as le bienvenu et tous les convives n’ont you feel we are worth ». C’est l’une en commun que cette envie de pardes trois grandes idées motrices du tager et d’échanger. Nul besoin de projet : le restaurant est désintéressé. s’encombrer de quelque timidité que ce soit. Engager la conversation avec t qu’y mange-t-on ? Les plats pro- son voisin est ici chose aisée, puisque posés sont relativement variés, ce qui différencie habituellement les et influencés par diverses cultures individus s’est envolé. culinaires : omelette japonaise, ragoût marocain, curry de légumes Un pari risqué mais réussi qui sent bon l’Inde, salade vietnamienne, spaghettis aux légumes... entil as Anything fut créé en 2000. L’ingrédient de base reste souvent le Depuis douze ans, son ambition riz, à vous de choisir ensuite l’accom- n’a pas varié : proposer des plats bios pagnement qui vous convient. Mais et végétariens dans un restaurant où toujours sans viande. C’est la seconde le tiroir-caisse a été remplacé par une idée motrice : le restaurant est végé- urne qui récolte les dons. L’argent tarien et bio. Certains jours, nos collecté est ensuite utilisé en priorité oreilles ont la chance de se régaler en pour faire tourner le restaurant. Le même temps que nos papilles. Lentil surplus finance ensuite des actions à as Anything dispose en effet d’une caractère social, telles que l’accom-

E

L


pagnement des réfugiés dont certains se sont d’ailleurs vu offrir un emploi au sein du restaurant. C’est la troisième idée forte de ce beau projet. Ainsi, la monnaie qui traditionnellement divise les individus devient ici un instrument parmi d’autres pour les rassembler. Preuve du succès de l’initiative : 6,5 millions de repas ont été servis entre 2000 et 2011 dans ce restaurant et dans les deux autres que l’association gère également à l’ouest et au sud de la ville.

Le projet avait été salué en 2007 puisque Shanaka Fernando, fondateur des restaur ants, avait remporté le titre d’Australien de l’année dans la catégorie « Héros local ». Lentil as Anything privilégie l’humain, c’est pourquoi y manger cela n’a pas de prix.

11394 km 118 JOURS 14 HEURES

ET MAINTENANT

in De lj a n Sarah ghaï n à Sh a

CUISINEZ DES

La préparation de la pâte. Eau et farine seront tout ce dont vous aurez besoin. Vous les mélangez, vous étalez la pâte de manière à la rendre très très très fine (mais pas trop non plus, c’est tout l’art de la juste mesure) et vous la découpez en petits cercles.

JiaoziS Vous avez dit Jiaozis ? Les raviolis chinois ou « jiaozi » sont une spécialité culinaire chinoise particulièrement appréciée durant le nouvel an chinois. A cette occasion, la tradition veut que la famille se réunisse pour les préparer. Ces raviolis qui prennent la forme de croissants de lune sont symbole de richesse et sont ainsi censés apporter fortune à ceux qui en mangent. Un délicieux moyen de commencer l’année.

L’étape n°2

L’étape n°3

Pour des jiaozis végétariens, saisissezvous de légumes en tous genres, de préférence chou chinois, champignons shiitake, ail, carottes et un peu de gingembre, le tout finement haché. Mélangez. Votre garniture est prête.

Mettez un peu de farce au centre de chaque rond que vous avez découpé dans la pâte et fermez le ravioli. Pour le sceller, repliez la pâte pour former un demi-cercle. Saisissez-le avec votre main droite et à l’aide de votre index et de votre pouce, exercez une pression sur les bords du ravioli afin de le fermer complètement et pliez-les un peu afin de renforcer le jiaozi. Cette étape est appelée en Chine « modelage du bonheur »  : il est donc particulièrement important de s’appliquer. Mettez-y votre cœur  !

L’étape n°5

L’étape n°4

La dégustation. Un peu de sauce soja avec vos jiaozis et ce sera «  hen haochi* »  !

La cuisson. Ici, plusieurs options s’offrent à vous : les jiaozis peuvent être frits, bouillis ou cuits à la vapeur. Le plus simple étant tout de même la cuisson à la vapeur qui est la moins risquée si vos jiaozis sont fragiles.

(délicieux*)

77 / AUSTRALIE

L’étape n°1


78


RÉDACTEURS

Caroline Martinez à Montréal, Canada

Hsiao-Anne Le Bot

à New York, États-Unis

Lucile Le Jeune

à Boston, États-Unis

Matthieu Le Hello & Guillaume Le Moing

L

a légende raconte que Décloîtrés serait né au beau milieu d’une nuit au  printemps 2009. Du rêve à la réalité, c’est entre le Canada et la Thaïlande, entre Manon et Virginie, que fut créé le premier numéro le 30 octobre 2009. La revue est réalisée par des étudiants expatriés pendant un an et rassemble des articles écrits aux quatre coins du monde. Décloîtrés, c’est un langage différent, porté par ce regard de jeunes voyageurs partis à la recherche du dépaysement. À travers leurs expériences et rencontres de voyage, ils offrent un point de vue original sur l’actualité dans le monde. Au rythme d’un numéro par trimestre, Décloîtrés a déjà publié près de huit magazines sur Internet, mais également un hors-série papier en avril 2011, édité à plus de dix mille exemplaires.

à Washington, États-Unis

Matthieu Jublin

à Valparaiso, Chili

En mars 2012, nous retentons l’expérience du hors-série. Avec tout de même une nouveauté ! Pour ce numéro, trois étudiants en graphisme des Beaux-Arts de Rennes ont rejoint l’équipe afin de concevoir la nouvelle identité visuelle du magazine.

Tristan Benoît

Paul Mornon

à Stockholm, Suède

Simon Picherit

à Rio de Janeiro, Brésil

RÉDACTION EN CHEF

DIRECTEUR DE PUBLICATION

Simon Picherit

Géraud Beaudonnet

à Rio de Janeiro, Brésil (correspondant pour l’Amérique Latine)

DIRECTRICES COMMERCIALES

Juliette Josselin

Noémie Robert Marte Tarsiguel

à Saint-Pétersbourg, Russie (correspondante pour l’Europe)

CHARGÉE DE LA COORDINATION AVEC L’ÉESAB

LES CORRESPONDANTS

Clotilde De Swarte

à Sucre, Bolivie

Amérique du Nord

CHARGÉE DE COMMUNICATION ET DE DISTRIBUTION

Nicolas Touboul

à Toronto, Canada

Pauline Calvez

Moyen-0rient / Afrique

CONCEPTION GRAPHIQUE

Margot Husson à Uméå, Suède

Sarah Deljanin

à Shanghaï, Chine

Mehdi Zaaf

à Théssalonique, Grèce

Hélène Osmont

Sophie Garcia

à Jérusalem, Israël

Marianne Madoré au Caire, Egypte

Clémence Jouffe

à Wellington, Nouvelle Zélande

Alexandre Sehier

à Séoul, Corée du Sud

Tifenn Bouillard à Sydney, Australie

Flavien Dréno & Marc Bonneau

Marianne Madore au Caire, Egypte

Juliette Hœfler Olivier Gardera

Asie et Océanie

étudiants à l’éesab

à Shanghai, Chine

ILLUSTRATIONS

Portfolio

Mikaela Giry Gonzalez

Sarah Deljanin

Simon Guillorit

étudiante à l’éesab

à Shanghai, Chine

à Melbourne, Australie

Hélène Botreau

à Atlanta, États-Unis

Johanne De Place

à New York, États-unis

Pauline Eluère

à Missoula, États Unis

Les Décloitrés est une association loi 1901 104 Bd de la Duchesse Anne 35700 Rennes n°ISSN 2116-6056 Dépôt légal : mars 2012 Imprimé aux Compagnons du Sagittaires à Rennes Toutes les photographies de ce numéro sont la propriété de leurs auteurs (exceptées celles signalées par le logo Creative Commons et Getty Images).

79

à Cracovie, Pologne


Voyager à dos d’escargot pour prendre le temps d’observer le monde qui nous entoure.




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