Magazaine Décloîtrés #6

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LE MAGAZINE DES BLOGTROTTEURS SCIENCES PO RENNES

#6 saison 2015 / 2016 Gratuit


Photo ©J. Mignot - Dircom Rennes Ville et Métropole

SOIRÉES GRATUITES

LA ND4J À RENNES, TU CONNAIS ? PROPOSE TOI AUSSI TES IDÉES DE SOIRÉES ! Programmation sur la page Facebook ND4J


À nos lecteurs. S'il appartient au sens commun de nous enseigner par sa maxime que « voyager forme la jeunesse », comprenons aujourd'hui qu'existent maintes manières de voyager, et qu'il appartient à chacun de trouver la sienne. Par ces lignes, entendez ainsi l'invitation au voyage que vous proposent les Décloîtrés, une invitation au voyage des autres, une invitation à l’introspection, une invitation au rêve éveillé. Pages après pages, les étudiants de troisième année de l'Institut de Sciences Politiques de Rennes vous proposent de vivre avec eux leurs rencontres, leurs expériences, leurs surprises, tout ce qui les aura rendus plus grands après une année d'expatriation. Maintenant, c'est par la lecture qu'il vous appartient de les faire vôtres, de vous emparer de ce nouveau regard qu'ils ont appris à jeter sur le monde.

ÉDITO

Prenons de la distance. Prenons de l’altitude. Allons ailleurs. Dans une autre ville. Dans un autre pays, où tout est encore inconnu, où tout est encore à construire. C'est par la confrontation à l'altérité et la remise en question que se forment l'humilité et la tolérance, nécessaires à la formation d'une pensée juste, claire et objective, plus que jamais en ces heures troubles. Nous avons donc choisi comme thème pour la présente édition l'enrichissement personnel que procurent le dépaysement et le déracinement. Alors plongez dans les récits colorés de nos rédacteurs des quatre coins du monde. Ils sont le fruit d'une volonté de partage ; parfois drôles, parfois révoltants, toujours éclairants, toujours touchants.

« Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »

Découvrir par les yeux des autres les multiples facettes de ce monde où les bonheurs sont toujours pluriels et changeants, c'est l'objet du portfolio « Where can I buy happiness?» Nos photographes en herbe ont capturé pour vous des instants, qui, sous bien des formes, nous montrent à quel point la recherche du bonheur est subjective, personnelle, sans méthode, ni règle.

Charles Baudelaire, Invitation au voyage.

Alors que vous soyez fraîchement de retour ou sans cesse en partance, avec ou sans escale, faîtes le premier pas, tournez la page, et maintenez le cap ! Veuillez agréer, chers Lecteurs, nos salutations du bout du monde.

Chloé Mecqinion Maxence Dubar.

♣Argentine ♣Argentine

Les rédacteurs en chef

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SOMMAIRE

FOCUS

HOme sweet home

Sommaire >

7 États-Unis, Sans pain, sans beurre, être français aux

21 Royaume-Uni Londres, Ville de tous les (im)possibles 24 Canada Vi[ll]e au rythme des saisons

États-Unis

9 Chine Voyage temporel en Chine 12 Grèce Are you syrious ? 14 Ecosse In or Out ? 16 Bolivie Les Boliviens et la mer 18 Allemagne Le petit Pegida pour débutant

DES VISAGES AU HASARD

INSOLITE

45 Costa Rica Le péril des frontières 48 Chili La cohésion, c’est dans la boîte 50 République tchèque Climate change, Késako ? 52 France « J’ai eu beaucoup de mal à voyager pour rien.

55 Royaume-Uni Echec & Droite 57 Allemagne Végétarisme & végétalisme à l’allemande 60 Chili Crever la bulle Erasmus

Mais je me soigne. »

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Dossier Where can I buy happiness?

Portfolio 36 Portfolio

28 Hongrie Hongrie des villes, Hongrie des champs 30 Chili L’aventure a dedo qui change la donne 32 Pérou A la recherche du trésor perdu 34 France Chronique d’une renaissance annoncée

PAPILL’ON THE ROAD

Planispher’

65 Allemagne Alhao à la brais 66 Costa Rica Le gallo pinto 67 Canada Les pancakes à la canadienne 68 Espagne Crêpes Lasagnes 69 Allemagne Les Zimt Schnecken

70 Où sont les Décloîtrés ?

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Homeland >

Décloîtrés N°6

HOME LAND

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Merci pour ce voyage Il ne saurait y avoir de voyage qui admette une fin, seulement des étapes. Et aussi belle soit celle de l’année passée, jamais nous n’aurions admis qu’elle se termine ainsi. Aussi, à peine revenus de nos contrés respectives, nous décidions de reprendre la route et de poursuivre l’écrit. Rennes nous servant une nouvelle fois de base arrière et nos correspondants à peine envolés vers des contrées lointaines, la conquête de ce sixième numéro pouvait démarrer.

pour draper nos écrits, achevant une dernière fois de les teinter d’ailleurs… Une page se tourne, un chapitre se termine. Mais comme dans tout ouvrage, un nouveau s’ouvre inévitablement. Lisaa laisse aux Décloîtrés un bel héritage que nous aurons à cœur de perpétuer. De billets en articles, on ne bourlingue pas non plus sans un bon imprimeur ! Mais avec Cloître à la barre, nous ne pouvions dériver. Imprimeur engagé et partenaire clef, il nous a toujours soutenus et accompagnés pour vous proposer ce nouveau magazine. Vous vous souveniez certainement de cette couverture pelliculée « Soft Touch » qui enrobait notre précédent Décloîtrés d’un agréable toucher. Et bien, une fois encore Cloître nous permet de vous la présenter. Nous ne pouvons que les remercier pour leur confiance et leur ténacité.

Il paraît qu’il n’est pas dans l’air du temps de faire voyager par le papier. Mais qu’importe ! Vos Décloîtrés sont têtus. Un trait d’humeur ramené de l’étranger sans doute. Mais ce fut surtout un trait d’humeur partagé. En effet si vents et marées devaient nous empêcher d’arriver à bon port, nous savions nos partenaires et amis prêts à nous épauler. Car jamais sans la pugnacité de Cloître, notre imprimeur, et de Lisaa, nos complices graphistes, nous n’aurions pu présenter ce nouveau numéro des Décloîtrés.

Cette année enfin fût celle d’une inattendue et agréable rencontre, celle du Festival Étonnants Voyageurs. Nous rejoignant dans l’amour de l’évasion et des mots, il nous permet d’ouvrir une nouvelle voie aux Décloîtrés, d’ouvrir nos pages à des écrivains engagés et faire connaître notre magazine préféré. Qui a dit que voyage ne rimait pas avec générosité ?

Remercions tout d’abord Lisaa, ses apprentis artistes et ses professeurs passionnés, ainsi que tous ceux qui ont permis aux Décloîtrés de voyager. Ce numéro #6 cèle le terme de trois ans de collaboration, d’amitié et de création, trois ans aux termes desquels le magazine de vos blogtrotteurs favoris s’est doté d’un sacré look ! Cette année, ce sont Claire et Clarisse qui ont œuvré

Vous souhaitant, comme nos rédacteurs en chef, bonne lecture et bon vent !

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L’équipe rennaise des Décloîtrés


Focus >

Décloîtrés N°6

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Marion Prudhomme

♣États-Unis

Sans pain, sans beurre,

être français aux États-Unis × Depuis 3 mois désormais, j’étudie à Lincoln, une petite ville pourtant capitale du Nebraska. Le Nebraska, à ne pas confondre avec l’Alaska, est en plein centre des États-Unis. Cet État spécialisé dans la culture du maïs est républicain, conservateur, religieux et réputé pour son "pur" accent américain. Autant dire que s’offre aux étrangers la vraie culture américaine.

l’impossible. Rien n’est accessible à pied. Les 4x4 et les trucks sont indispensables, même pour les petites distances. Autant dire que les transports en commun sont assez rares et réservés aux plus pauvres. L’air conditionné est vital dans tous les bâtiments et il faut parfois se sur-habiller lorsqu’il fait 30°C dehors. J’ose en déduire que les Américains aiment avoir froid puisque l’eau est bue glacée en toute circonstance. Illusion quant aux relations sociales. Aux États-Unis tout le monde est chaleureux. Les Américains sont tout à fait accueillants mais les relations restent superficielles et se traduisent par des « Hi » en cas de rencontres fortuites ; ce qui conduit certains à payer pour entrer dans des « sororités » ou des « fraternités ». Cela signifie littéralement : payer pour avoir des amis. Au début de l’année scolaire, les sororités et les fraternités organisent une semaine de recrutement. Chacun est invité à porter un tee-shirt indiquant qu’il désire être intégré au sein d’une sororité et après une semaine d’activités variées (dont le coût varie entre 30 et 120 dollars), de distribution de teeshirts et de self-marketing, la soirée ultime arrive. En voyant arriver toutes ces filles très apprêtées à la cafétéria, je reste un instant interdite. On m'annonce alors que c'est le soir du choix des candidates par les membres des sororités, un choix cornélien réunissant finalement les trois préférées de chaque membre. En ce qui concerne les garçons, l’entrée dans la fraternité est moins superficielle. Néanmoins, les candidats ont le plaisir de passer une soirée à détruire une voiture, ce qui rend les activités plus chères. Une fois au sein des sororités et fraternités, chaque membre prend une photo avec son meilleur ami, ses deux meilleurs amis et ses trois meilleurs amis et est intégré au sein de son groupe avec lequel il exerce des activités diverses et variées. Il peut même avoir le luxe, en échange du paiement du loyer, de vivre dans une des gigantesques maisons.

Ne vous y trompez pas ! Les Américains sont agréables. Les paysages sont variés et grandioses. La culture américaine est tout à fait intéressante et vivre aux États-Unis constitue une opportunité unique d'apprentissage, de découverte et d’opportunité professionnelle. Cependant, il existe quelques contradictions au pays de l’oncle Sam qu’il conviendrait de souligner.

Illusions Illusion quant à l’ethnocentrisme américain. Le patriotisme est tellement présent que devant les maisons se dressent, impassibles, de nombreux Stars and Stripes et que les tee-shirts à l’effigie de la nation « number one » sont fièrement portés. « Spell me Freedom » me demande-t-on un jour. Je commence à répondre « F-R… ». L’Américain se met à rire. « No ! U.S.A. ». Illusion quant au réchauffement climatique. Bien que les Américains soient conscients du « global warming », selon eux : "it is a natural cycle, there is nothing you can really do". Et pour cause, vivre sans voiture aux États Unis, spécialement dans les petites villes, relève de 9


D’abord quant à la législation. Si tout le monde condamne les fusillades de masse, personne ne souhaite encore abolir l’autorisation du port d’armes. À l’université, des pancartes indiquent que le port d’armes au sein des bâtiments est interdit. De nombreux étudiants en possèdent une cependant. Lors de mes cours de justice criminelle, le professeur donne des exemples d’armes utilisées lors de crime et demande ensuite aux élèves s’il la possède. « My gun? Yes, in my car » me dit-on. Porter des armes pour se protéger d’autres individus, eux-mêmes armés, chacun se méfiant de son concitoyen, c’est tout l’esprit capitaliste-individualiste des États-Unis qui est traduit ici.

Désillusion surtout à propos de la loi interdisant l’alcool au moins de 21 ans. Les publicités pour sa vente sont bien présentes dans les magazines ou à la télévision, et même si les conditions pour acheter l’alcool sont très strictes (interdiction d’être accompagné d’un moins de 21 ans lors de l’achat et présentation d’une pièce d’identité pour tout individu de moins de 40 ans), de nombreux mineurs boivent de l’alcool. Lorsque les américains boivent, ils boivent beaucoup et parfois à l’excès, d’où des posters sur les murs de l’université rappelant ce qu’est une intoxication et qu’une loi interdit l’appréhension des mineurs alcoolisés s’ils appellent les urgences lorsque leur ami est inconscient. Le harcèlement sexuel est aussi un énorme sujet de préoccupation dans les campus américains. De nombreuses conférences, conseillers et prospectus donnent des conseils en cas de harcèlement alors que dans le même temps, parce que l’État est religieux et conservateur, de nombreux américains prônent la chasteté et l’abstinence avant le mariage. Enfin, le corps est l’objet d’un culte qui se pratique à la salle de sport. Les étudiants y vont une fois par jour. Des conseils pour rester « healthy » sont affichés sur les murs. À la cafétéria une silhouette grandeur nature invite à manger équilibré. Inutile de préciser qu’en réalité, la nourriture proposée est trop grasse, trop sucrée ou trop salée, que les proportions sont importantes et que la nourriture est à volonté. Mon université est un lieu de victoire pour les fameux kilos de l’année à l’étranger. En somme, pouvoir conduire une voiture dès 16 ans en portant une arme tout en restant sobre et pur (sexuellement), c’est l’image quelque peu contradictoire du jeune Américain moyen. ■

© Erna Bouillon

Désillusion


Chloé Quintin

♣Chine

Voyage tempŎrel en

Chine

Jules Verne a eu beau se casser la tête sur sa machine à remonter le temps, la Chine de 2015 est probablement une version améliorée de son invention. Forte de ses vingt-trois provinces, de son 1,4 milliard d’habitants, de sa superficie de 9 600 000 km2 et de ses différences de vitesse de développement, de ses déserts et de ses montagnes, la République Populaire de Chine offre un véritable voyage à travers les âges.

les unes que les autres. Ici, c’est Dior qui habille. Tout le gratin de la ville est réuni pour se montrer. C’est “the place to be”. Dans mon film, on était à New-York dans les années 30, peut-être juste avant la fin de la Prohibition dans un club secret et illégal. Dans ma réalité, je suis en Chine. Plus précisément à Shanghai, où tout se décide aujourd’hui. Surtout ne pas louper le train. C’est maintenant ou jamais l’occasion de devenir un self-made-man. « Je suis riche, mais je veux devenir millionnaire » ai-je entendu de la bouche d’un Français expatrié. Ce Shanghai de tous les possibles semble à la portée de tous. Il suffit de voir le flux d’arrivants qui frappent aux portes de la ville en réclamant leur part du gâteau.Chacun veut tenter l’aventure : Français, Kazakhs, Cambodgiens, États-Uniens et j’en passe, mais aussi migrants de l’intérieur, ceux qui n’ont pas le bon Hukou*.

Première étape du voyage : Xi’an. En se baladant entre les souks, les mosquées, en chinant sur les étals de marchandises, en dégustant moult brochettes d’agneau et autres « baozi » : me voilà dans la série « Marco Polo ». Et pour cause : de Xi’an à Urumqi, au Nord-Ouest de la Chine, à la frontière du Kazakhstan, on marche sur l’ancienne route de la soie qu’en ce moment les autorités remettent au goût du jour. Même les centres commerciaux de Xi’an ont ainsi adopté un concept marketing axé sur l’héritage des caravaniers. Voyager entre Xi’an et Urumqi, c’est remonter l’histoire certes, mais c’est aussi et surtout comprendre le présent et notamment les enjeux géopolitiques liés à cette route séculaire en quête d’un nouvel Âge d’Or.

Tout le monde sent que l’avenir et le présent se jouent ici, que c’est la ville où vivre pour être dans le coup. Cette impression me submerge chaque fois que je me rends au Bar Rouge, cet endroit ultra huppé avec vue sur un quartier financier aux gratte-ciels futuristes. Je m’y rends rarement car je sens que ce dynamisme ne me concerne pas. Ma carte de visite n’est pas prête à être dégainée à la moindre opportunité. D’ailleurs, je n’en n’ai pas. Laissez-moi juste boire un verre en vous observant, vous, expatriés, qui pensez avoir trouvé la vérité. Vous qui pensez avoir décroché le Saint Graal en trouvant là un bon emploi. Vous qui vivez dans des quartiers d’occidentaux, qui ne sortez que dans des lieux fréquentés par des occidentaux, qui n’avez pour seule ambition que de devenir riches. Je ne vous aime pas. Tout le monde s’en fout.

Quittons maintenant le Xian du XIVe siècle animé par les marchands ambulants, et rendons-nous au Bar Rouge, on the Bund, à Shanghai. Disons vers 23h. N’importe quel soir de semaine. Et préparez-vous pour une immersion dans un vieux film américain. Scène de cabaret jazz. Véritable défilé de tenues de soirée plus belles

*Passeport intérieur utilisé en Chine, il confirme l'enregistrement à l'état civil.

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Nom Prénom

♣Ville, Pays

Focus >

qualité insuffisante

reposant dans sa tombe de verre. Surtout ne trainez pas trop, sinon vous pourriez vous rendre compte qu’un corps aussi bien conservé ce n’est pas possible. Mais on s’en fiche. L’essentiel, c’est que tout le monde puisse le voir et prendre en photo le mausolée pour raconter cet immense honneur. Durant ces cinq minutes de visite (les gardes m’ont pressée de sortir vite, je n’avais pas de fleur pour Mao, mea culpa), j’avais l’impression d’être dans un film russe, peut-être un Eisenstein. Un bon film de propagande en noir et blanc.

Mais cela me dérange presque désormais de voir trop d’occidentaux. Voir ces grandes femmes blondes se faire manucurer les ongles et masser les pieds par des chinoises dans le quartier de l’ex-concession française me fait toujours un drôle d’effet. C’est dans ce quartier que vivent d’ailleurs tous les expatriés. Quartier qu’ici tout le monde appelle la « concession ». Bien plus simple. Mais pourquoi préciser qu’il s’agit d’une ancienne concession ? Ah qu’il est beau le néo-colonialisme ! Il vous suffit de rajouter des pipes et des chapeaux sur les têtes de ces messieurs vivants dans les bâtisses coloniales, et vous voilà dans un film sur l’Inde du début du XXe siècle

Le cinéma russe des années 30 n’est toutefois pas le seul bon exemple d’autoritarisme. Parce qu’ici Big Brother is watching you. Et Monsieur Orwell aurait trouvé un bon décor pour l’adaptation en film de son célèbre roman. Il faut utiliser un VPN pour se connecter sur des serveurs étrangers pour accéder aux sites interdits et changer d’adresse IP très régulièrement. D’ailleurs, les bouches d’égout de mon université sont toutes datées de 1984. Coïncidence ? Je ne crois pas.

Certains voyages dans le temps sont agréables cependant. Rendez-vous par exemple au Barbarossa, un bar sur un lac au cœur d’un parc dans le centre de Shanghai. Vous penserez être entré dans une tente mongole avec un plafond recouvert de lampions. Ou alors empruntez le Maglev, ce train à suspension magnétique filant à plus de 350 km/h. Vous aurez l’impression d’être assis dans le taxi de Bruce Willis dans le 5ème Elément. Oh, et puis si un voyage dans un régime autoritaire vous tente… rendez-vous sur la place Tian An Men, à Pékin (un jour pluvieux de préférence). Après avoir été fouillé trois fois, suivez le flot de chinois qui marchent, sinon courent, vers le mausolée de Mao. Achetez une fleur blanche pour la déposer sur l’autel si vous voulez avoir plus de temps devant le portrait du Grand Timonier. Autrement, les gardes vous presseront de reprendre votre chemin. N’oubliez pas de tourner la tête pour admirer Mao lui-même, tout beau tout frais

Oh pardon, la lecture des livres d’Orwell n’est peut-être pas votre dada ? Alors si vous n’êtes toujours pas lassés de voyager, allons regarder « Mulan ». N’importe quel parc traditionnel zen fera l’affaire. Attention cependant car l’effet sera d’autant plus saisissant au printemps, lorsque les arbres seront en fleurs et le ciel bleu. Un enchantement, vraiment ! Et ce sera l’occasion de laisser les oreilles se reposer du bruit ambiant. Ah non, je n'ai rien dit. On entend un marteau-piqueur en fond sonore.

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© Solange B

Décloitrés N°6


Mulan ne vous a peut-être pas convaincu ? Si vous n’êtes pas Disney alors peut-être préférerez-vous la compagnie de Robert Pattinson et Christoph Waltz donnant de l’eau aux éléphants. Pour ce voyage dans le monde du cirque des années 20, il suffit de se rendre au Zoo de Shanghai. Accrochez vos estomacs au cas où vous ne vous laisseriez pas berner longtemps par l’illusion. Paquets de chips qui flottent dans l’eau des hippopotames, lama plongé dans le noir dans une salle plus petite qu’un palier au dernier étage d’un immeuble parisien (même pas la place de cracher), et j’en passe. Ah, nous allions oublier les éléphants. Avez-vous pensé aux éléphants ? Ces pachydermes qui ne voient jamais la lumière du jour et sont parqués comme des porcs d’élevage. Oui, l’illusion n’est pas longue comparée au

cirque Benzini, mais les conditions de vie des animaux sont similaires. Les initiés insisteraient pour qu’on leur donne au moins de l’eau.

© Marcel Coppet

De flash-back en ellipses, notre retour vers le futur s’achève ici. En espérant que ce tour d’horizons puisse contribuer à changer la vision de la Chine que nous avons traditionnellement en Europe : un pays triste, gris, pollué, bruyant, sale et corrompu. Détrompez-vous camarades ! Que ce soit en bien ou en mal, ce pays vous surprendra toujours. À mon avis, c’est ainsi qu’on peut mieux définir l’Empire du Milieu : un pays surprenant, déroutant, troublant, mais jamais ennuyeux. Jules Verne n’aurait pas hésité une seconde avant de prendre son billet d’avion. ■

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Sophie Verdon & Alice Cléry

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SYRIOUS*

Thessalonique, décembre 2015. Il fait à peine froid le long du golfe Thermaïque, à la pointe de la péninsule balkanique. Thessalonique est la deuxième plus grande ville de Grèce après Athènes, mais c’est aussi et surtout une véritable porte d’entrée sur les Balkans. À un peu moins de 200 kilomètres se dresse la frontière macédonienne (ou devrait-on dire le « mur » ?).

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Focus >

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♣Grèce

chaque jour aux confins de l’Europe Orientale, et qui n’est pas sans lien avec le conflit syrien. Les Thessaloniciens sont directement concernés par ce qui se passe. En effet, la situation est devenue encore plus tendue fin-novembre lorsque la Macédoine a décidé de fermer sa frontière. Le piège se refermait alors, condamnant les migrants à s’entasser toujours plus nombreux dans un des camps bordant ce point de passage obligé pour continuer leur route vers l’Europe de l’Ouest et du Nord. Aussi, les associations et les ONG humanitaires ont tenté de loger provisoirement ces personnes dans les habitations vides de Thessalonique, mais cela n’a pas été sans exacerber les tensions et les sentiments de défiance d’une partie de la population frappée par la crise. Comment donc peut-on reloger des Syriens et des Afghans quand les Grecs se retrouvent à la rue, expropriés car ils ne peuvent plus régler leurs factures ? Et la pente savonneuse de la xénophobie sur fond d’exclusion sociale fait le jeu de l’extrême droite grecque (incarnée par le parti Aube Dorée).

La frontière entre la Macédoine et la Grèce demeure un vrai objet de discorde. N’allez pas parler de Macédoine à un Grec, il ne vous comprendrait pas ! Pour la majorité d’entre eux, la Macédoine est grecque, et le pays que nous autre connaissons sous le nom de « Macédoine » se réduit à la ville de Skopje… Mais nous ne voulons pas ici revenir sur d’anciennes tensions géopolitiques (même si de vieilles résurgences ne sont jamais anodines…). Ce qui rend tristement connue cette frontière, c’est bien la crise migratoire qui secoue l’Union européenne.

Cependant il serait faux de penser que la vaste majorité des Thessaloniciens réagisse de la sorte. Au contraire, si la crise a pu produire quelque chose de positif, c’est peut-être du côté de la recomposition des liens sociaux et des solidarités. Que faire quand on n’a plus rien, sinon se tourner vers son voisin et se dire qu’en coopérant on s’en sortira mieux que tout seul ? La société civile grecque apparaît mobilisée sur la question migratoire. Jamais nous n’avons constaté en France de telles mobilisations spontanées et citoyennes pour répondre à la crise des migrants.

Bien des lecteurs auront déjà entendu parler de la petite île de Lesbos au large de la Turquie, qui a accueilli et continue d’accueillir des réfugiés de Syrie, et plus généralement de tout le Moyen-Orient, depuis l’été dernier… En revanche moins nombreux sont ceux qui sont conscients de la situation à la frontière macédonienne. Il faut dire que les médias dominants restent muets à ce sujet, la question migratoire ayant été supplantée par les événements du 13 novembre dernier. Et pourtant c’est un drame humain qui se joue 14


© Lies Van Rompeyt

Ainsi des associations, mais aussi des citoyens lambda collectent des denrées et du matériel afin de les acheminer vers la frontière macédonienne et en particulier dans le camp d’Eidomeni. Les Thessaloniciens ont en effet mis en place toute une organisation basée sur des dons et le volontariat, afin d’apporter leur aide et de contribuer, de près ou de loin, à l’amélioration des conditions dans lesquelles se trouvent les migrants en attente. Une dizaine de points de collecte ont été mis en place dans différents lieux de la ville, afin de récolter nourriture, vêtements, produits hygiéniques. Une générosité et une solidarité auxquelles nous n’avons que rarement assisté et ce, pourtant, dans un pays gravement affecté par la crise économique et financière.

Lors de notre retour d’un voyage à Istanbul, nous avons vu une famille de migrants qui attendait, comme nous, le bus pour la Grèce. Savaient-ils ce qui les attendait ? Un père, une mère et deux enfants, ou plutôt un enfant et un bébé, avec leurs affaires réparties dans trois sacs plastiques, seulement. Et, cerise sur le gâteau, rajoutons un peu de piquant à la situation en excluant la Grèce de l’espace Schengen (la zone de libre circulation). Punissons donc encore ce mauvais élève récalcitrant qui, non content de mal gérer ses finances publiques, ferait preuve d’un laxisme indécent en laissant la porte ouverte aux migrants et aux djihadistes. La menace a été proférée le 29 novembre dernier par Jean-Claude Junker : ou bien la Grèce « fait un effort » pour renforcer le contrôle de ses frontières ou bien elle sera exclue de l’espace Schengen. La question sera sur la table du prochain sommet Européen qui doit se tenir le 17 et 18 décembre. Lorsqu’on lit tout ceci dans les journaux et qu’on se rend le dimanche matin dans les docks du port de Thessalonique pour empaqueter vêtements et nourriture pour le camp d’Eidomeni, ce sont les mots de Claudel, prononcés juste avant la Seconde Guerre mondiale, qui nous viennent à l’esprit : « Si l’on demandait à l’un de ses voisins d’omnibus que nous voyons lire d’un sourcil contracté quelques-uns de ces journaux qu’on dirait chaque jour daté de Charenton ‘Qu’avez-vous mon ami ? Où souffrez-vous ?’, il vous répondrait s’il était sincère : ‘j’ai mal à l’Europe !' ». ■

Il faut bien être conscient que chaque jour, ce sont des cars entiers de réfugiés qui débarquent dans ce petit bout de terre afin de pouvoir continuer leur odyssée migratoire. Des milliers et des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qu’il faut nourrir, vêtir, informer et faire patienter… Faire patienter ou laisser mourir de désespoir, de froid et de faim ? Il semble que l’Union européenne hésite encore… Car oui maintenant il faudra différencier les migrants fuyant la guerre, des « simples » migrants économiques. Alors, passera ou passera pas ? Quoi de mieux pour attiser les tensions au sein d’un groupe que de discriminer ! Les heurts violents entre les groupes de migrants et avec les forces de maintien de l’ordre se sont ainsi ajoutés à la détresse de l’attente. Aussi, s’il fallait déjà au début de l’automne patienter de longues heures entre les tentes et les rails de chemin de fer pour franchir la frontière, maintenant il n’est même plus certain de pouvoir la franchir. Certains choisissent de venir par la mer, d’autres par la terre.

* nom d’un groupe Facebook d’informations et d’actions citoyennes et solidaires à propos de la crise des migrants dans les Balkans.

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Marie Le Mée

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♣Écosse

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Focus >

Plus d’un an après le référendum sur l’indépendance, perspectives pour l’Écosse.

nistes, et à la fin d’un rêve porté depuis près d’un siècle par le Scottish National Party (SNP). Or, à la suite de cette défaite, l’adhésion au SNP n’a fait qu’augmenter, jusqu’à quadrupler. Le parti a rapidement fait preuve d’un très fort soutien populaire, à l’encontre de ce que l’on aurait pu attendre suite à l’échec du projet indépendantiste lors de ce passage aux urnes.

Lors de mon arrivée en Écosse, j’avais évidemment connaissance du contexte politique dans lequel se trouvait cette nation. Je ne savais pas si je devais m’attendre à une population résignée ou, au contraire, encore plus vindicative qu’auparavant. Dans le milieu étudiant, on rencontre assez peu d’Écossais et les seuls que j’ai pu croiser ne semblaient pas spécialement partisans de l’indépendance. Dans la vie de tous les jours, on retrouve tous les signes de l’appartenance au Royaume-Uni : conduite à gauche, livre sterling, magasins ouverts le dimanche, bus à double étage, prédominance du pain de mie au grand dam des Français… mais rapidement quelques détails soulignent la singularité de cette nation. On aperçoit par exemple très peu de signes de la monarchie. Les billets de banque ne comportent même pas une représentation de la reine. L’accent est très marqué, et l’on oublie toute prétention en matière de capacité linguistique. Tout semble à refaire lorsqu’il s’agit de communiquer avec un "local". Irn Bru, le soda local, bat Coca-Cola et les Écossais se vantent que ce soit le seul cas au monde. Le drapeau de l’Écosse est fièrement arboré en lieu et place de l’Union Jack, finalement très peu représenté… Et enfin, chose peu commune en France, on remarque souvent aux fenêtres des maisons des affiches pour ou contre l’indépendance, ce qui montre que le débat reste bien présent au sein de la population.

Ce succès a posteriori s’est confirmé aux élections générales de 2015 lors desquelles le SNP a remporté 56 des 59 sièges alloués à l’Écosse (contre seulement 6 en 2010). Ce véritable raz-de-marée a également vu l’arrivée à Westminster d’un groupe rompu aux mœurs écossaises de la vie politique. On a dû faire la remarque, au bout d’une semaine, qu’il leur fallait cesser de manifester leur approbation ou désapprobation par divers applaudissements et remue-ménages, pratique très courante à Holyrood (ndlr : lieu où siège le Parlement Écossais) mais proscrite à Londres. Au-delà de cette anecdote sur les rites politiques à travers le Royaume-Uni, une réalité s’impose : le SNP est bel et bien installé en Écosse. Il y possède un solide soutien populaire, ainsi qu’une importante marge d’expression au sein de la House of Commons, et enfin, il tente de mettre en œuvre le programme sur lequel il a été élu, à l’encontre de la politique des Tories. De manière générale l’Écosse applique en effet une politique davantage progressiste et tente de maintenir ce cap face aux mesures d’austérité annoncées par Westminster : gratuité de l’université jusqu’au Master, système de sécurité sociale très développé, etc.

Le SNP ? Après les résultats du référendum de septembre 2014, on aurait pu croire à une victoire définitive de la campagne du "Better Together" menée par les partis unio-

Mais difficile pour le SNP ne serait-ce que de « tenter », car le Parlement Écossais n’a que les pouvoirs qui lui ont été délégués et ne peut donc pas légiférer sur

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certains secteurs clés tels que le système fiscal ou la sécurité sociale. En outre, les promesses d’une plus large "Devolution" du camp unioniste en cas d’échec du référendum ne semblent pas se concrétiser.

Ainsi, face à la prédominance incontestable d’un parti indépendantiste, les divergences quant au maintien dans l’UE, quant à la gestion des finances publiques, et tant d’autres aspects politiques, l’organisation d’un second référendum semble inévitable. Toutefois, malgré le succès du SNP et l’éventuel ressentiment de la population vis-à-vis du pouvoir central qui en découle, le résultat peut être négatif une seconde fois. Certains paramètres capitaux restent en défaveur d’une sortie du Royaume-Uni, comme celui des réserves pétrolifères de l’Écosse, utilisé par les partisans de l’indépendance pour attester de la viabilité économique d’une Ecosse indépendante. Mais face à la baisse mondiale des prix du pétrole, les recettes liées à cette activité ont brutalement chuté, remettant en cause cet élément clé de l’argumentaire indépendantiste… ■

Suite à la victoire des conservateurs aux élections générales de mai 2015, un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne est désormais prévu avant 2017. Sur ce point, les positions divergent fortement, notamment entre une Angleterre majoritairement eurosceptique et une Écosse très europhile. Ce débat revient parfois dans les discussions, et on remarque notamment que les jeunes anglais adoptent une position très conservatrice sur le sujet, contre le maintien dans l’UE. De toute évidence, si le résultat du référendum appelait à une sortie de l’UE, à cette crise de souveraineté externe succédera un problème de souveraineté interne latent. L’Écosse votera probablement en faveur du maintien dans l’UE, et la décision de quitter l’UE impliquerait l’organisation d’un second référendum en Écosse. Nicola Sturgeon, la First Minister du gouvernement Écossais, a d’ailleurs appelé à ce qu’une sortie de l’Union européenne ne soit actée qu’à la seule condition que les quatre nations votent en ce sens, ce que Westminster n’est pour l’instant pas près de concéder.

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© Marie le Mée

Enfin, les élections du Parlement Écossais se tiendront en mai prochain et les sondages prévoient déjà une large victoire du SNP, face à un Labour en déperdition et des Conservateurs trop associés à la tutelle de Londres.


Adrien Mével

♣Bolivie

Boliviens et la Mer •

Les

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Des élèves en uniforme défilant au son de fanfares, des prises de paroles enflammées de divers officiels, une foule en liesse agitant des drapeaux spécialement conçus à cette occasion… Quand nous fûmes confrontés le 25 septembre dernier à ces démonstrations de joie exubérantes sur la place centrale de Sucre, capitale de la Bolivie, il nous fallut du temps pour bien comprendre à quelle occasion elle pouvait bien avoir lieu. Il s’agissait d’une décision de la Cour Internationale de Justice s’estimant compétente dans le règlement d’un vieux contentieux entre le Chili et la Bolivie : l’accès à la mer de cette dernière.

province au nord de la Bolivie. Enfin, bien plus tard la guerre du Chaco contre le Paraguay de 1932 à 1935, se solda, outre par une centaine de milliers de morts, par la perte d’une large portion de territoire au SudOuest. Ce rapide historique est nécessaire pour saisir l’importance symbolique de cette perte, la première d’une longue série de défaites militaires et de cession de territoires, qui n’a pas été acceptée par les Boliviens, et dont la guerre du Pacifique est en quelque sorte devenue le symbole. Au vu de l’impressionnante campagne organisée par le président Morales, on pourrait être enclin à suspecter une sorte de supercherie politique : la résurrection d’un sujet de discorde vieux de quatre-vingts ans pour ressouder une nation divisée sur la politique intérieure menée par le gouvernement en place. En réalité ce thème est souvent mobilisé, tant par les instances gouvernantes dans une optique d’exacerbation nationaliste que par le mouvement social sur un mode contestataire. En 1975, le Général putschiste Hugo Banzer déclarait ainsi : « La mer nous appartient de droit. La récupérer est un devoir. » Cette déclaration aux accents bellicistes ne laissait cependant pas penser à une politique extérieure agressive, ni même à une guerre entre les dictatures (étroitement liées au sein du Plan Condor), mais plutôt à des tractations secrètes entre deux pays alliés. Il s'agissait déjà néanmoins d'un thème puissamment fédérateur reposant sur un vieux ressort dictatorial : la négation des tensions intérieures par l’exacerbation des conflits extérieurs.

Vous avez certainement au moins eu des échos de cet évènement, qui a été traité par les grands quotidiens français. Mais pour comprendre pourquoi ce sujet déchaîne autant les passions en Bolivie, il faut remonter loin dans l’histoire du pays. La Bolivie, dont la superficie est encore aujourd’hui égale à un peu moins du double de celle de la France, était au XIXe siècle encore bien plus étendue ; mais les guerres successives contre ses voisins lui arrachèrent de larges parties de son territoire. De 1879 à 1884, la guerre du Pacifique opposant le Pérou et la Bolivie au Chili conduisit à l’annexion par ce dernier du territoire côtier bolivien. Lors de la guerre de l’Acre, ce fut au tour du Brésil d’arracher une large 18


© Katel Andréani

Mais le thème de l’accès à la mer ne fut pas qu’une ressource employée à des fins de confortation du pouvoir. Il s’est également révélé un thème de contestation populaire mobilisé par des opposants au gouvernement. Concrètement, cela c’est très bien vu lors de ce que l’on a appelé la guerre du gaz. En 2000, sous la présidence de Banzer - le Général putchiste, évoqué plus haut, revenu au pouvoir par désignation parlementaire en 1997 - un important gisement de gaz est découvert dans le sud de la Bolivie. L’exploitation du gisement est cédée à un consortium de trois entreprises étrangères. Mais demeure la question de l’acheminement. La solution alors avancée est celle d’un oléoduc jusqu’à un port chilien, moyennant un cinquième des recettes dégagées par l’exploitation gazière.

spoliations dont sont responsables certes les rivaux extérieurs, mais également ceux désignés comme leurs complices : les tenants d’une politique néolibérale et pro états-unienne, ceux-là mêmes qui favorisaient les multinationales étrangères au détriment des entreprises national comme le vieux MNR* (Mouvement National Révolutionnaire), mais aussi l’ADN (parti de droite créé par l’ex-dictateur Hugo Banzer).

C’est alors un gigantesque tollé, car les Boliviens se sentent spoliés une deuxième fois par le Chili vis-àvis de l’accès à la mer. Le refus de ce plan est massif : ruraux et urbains, classes populaires et moyennes, même une partie de la police le rejette et marchent sur La Paz pour organiser un gigantesque blocage. Le président élu en 2002, Sanchez de Lozada, ordonne à l’armée de réprimer le mouvement : une décision qui conduira à la mort de près de quatre-vingts manifestants, mais qui ne permettra pas pour autant d’enrayer la protestation. Finalement le président démissionnera et s’enfuira aux États-Unis.

La question de l’accès à la mer est sans doute cruciale en elle-même, notamment dans une perspective d’intensification des échanges marchands, censés développer un des pays le plus pauvre d’Amérique latine. Mais elle recoupe depuis une décennie d’autres enjeux, notamment celui du renouveau de la politique bolivienne. D’abord porté par le MAS (Movimiento Al Socialismo) avec l’élection d’Evo Morales, ce dernier cherche désormais à réactiver cette question pour contrarier la relative usure du pouvoir à laquelle il doit faire face. ■

Le thème de l’accès côtier n’est pas à lui seul responsable de ce coup de tonnerre dans la vie politique bolivienne. La guerre du gaz intervint à la fin d’une ère de politique néolibérale et de très nombreuses privatisations ayant déjà provoqué d’importants conflits sociaux qui restent marqués dans les mémoires. Mais il est un sujet qui parle aux Boliviens, et qui correctement mobilisé peut apporter beaucoup aux entrepreneurs politiques. C’est en effet un certain Evo Morales qui a en grande partie organisé la contestation du projet d’oléoduc, pour ensuite en récolter les fruits en 2006 par les urnes.

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Mouvement national révolutionnaire, parti central dans la vie politique

bolivienne depuis la révolution de 1952, qui connaît une éclipse lors de la période dictatoriale mais qui fournit de nouveau des présidents à partir du retour à la démocratie représentative dans les années 1980.

C’est aussi que la revendication maritime a été investie de différents sens. Elle symbolisait d’abord une nation bolivienne bataillant contre un ennemi extérieur puissant et multiple, à savoir ses nombreux voisins sud-américains. La position centrale de la Bolivie n’est pas anodine à cet égard. Mais dans un second temps, cette revendication s’est muée en combat contre les 19


Adèle Jaffredo

Le

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Pegida

petit

pour

♣Allemagne

Débutant

Vous savez, vous, ce qu’est PEGIDA ? Celui qui a suivi avec assiduité les cours d’allemand de Science Po le sait. S’il a oublié honte à lui. Si vous n’avez jamais été en cours d’allemand, vous pourriez ne pas le connaître. Pegida, je le vis tous les jours, et chaque jour cela me sidère un peu plus. Alors, pour vous, lecteurs qui aimeraient en savoir plus sur le quotidien allemand, reprenons depuis le commencement.

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l’afflux massif des réfugiés en Allemagne, des jeunes qui ont peur pour leur travail, des gens qui s’inquiètent, qui se posent des questions, et qui ne comprennent pas que ces manifestations ne sont pas le meilleur canal pour véhiculer leurs interrogations. En fait quand on regarde les participants un à un, cela pourrait (presque) être chacun de nous. Vivre à Leipzig, c’est donc rompre avec les préjugés qui entourent Pegida. Oui, ils chantent des chansons nationalistes. Oui, ils affichent avec fierté le drapeau allemand, devenu symbole d’exclusion et non plus d’unité. Non ce ne sont pas tous des nazis. Et non tous les Leipzigois ne font pas partis de LEGIDA (Pas Pegida mais LEGIDA parce qu’à Leipzig, ils ont leur propre nom tellement ils sont swags). C’est un cliché à la vie dure. Comme le mouvement a plus ou moins commencé à Leipzig : « ils sont tous LEGIDA là-bas ». Alors parler de LEGIDA en cours d’allemand c’est bien, mais s’il vous plaît, n’oubliez pas les manifs contre-LEGIDA. Elles rassemblent le triple de manifestants !

Je suis étudiante à Leipzig, dans l’ex-RDA. (En Allemagne il y a les Allemands, les Bavarois et les Allemands de l’Est. On ne confond pas tout s’il vous plaît !) On m’avait prévenu avant d’y aller que c’était le berceau du mouvement anti-islam PEGIDA, que l’on prend toujours plus ou moins pour une réminiscence nazie. J’avais été en cours d’allemand et j’avais trouvé ça scandaleux. Mais ça ne m’avait pas plus inquiétée que ça. Surtout que Leipzig, on ne va pas se mentir, ça a l’air petit, et très tranquille. Dès la première semaine pourtant, j’ai compris que j’avais tout faux, et qu’il allait y avoir du muscle.

Malheureusement, Pegida, c’est aussi le quotidien de chaque Allemand. C’est l’habitude. C’est le banal. Un groupe d’une centaine de personnes au maximum qui monopolise une ville de 600 000 habitants une fois par mois. J’ai dit « par mois » ? Je plaisante bien sûr. Pas de panique ! Si vous, visiteur inespéré, vous avez loupé une manif LEGIDA et vous ne vous en remettez pas, ne vous inquiétez pas. Il y en a une autre la semaine prochaine !

Donc PEGIDA, c’est quoi ? C’est à l’origine un mouvement de manifestation « anti-islamisation de l’Occident »... Autant le dire tout de suite, c’est en fait un gros fourre-tout. On y trouve des racistes, des vrais de vrais, des conservateurs qui trouvent les décisions du gouvernement beaucoup trop progressistes, des coléreux qui ne savent même plus pourquoi ils sont en colère, mais aussi des mères et pères de familles qui s’inquiètent de

Et oui ! LEGIDA, c’est tous les lundis depuis plus d’un an. Plus de tram, plus de bus, plus de possibilité de rentrer chez soi parce que le quartier est bloqué… Plus de voiture non plus. C’est tous les lundis des chants nationalistes et haineux qui résonnent dans les rues, des barrages de police, des hélicoptères qui sillonnent 20


la ville, et qui instaurent un climat de méfiance, de tristesse, de haine, et de guerre de tous contre tous… Parce qu’il faut que vous compreniez qu’à Leipzig, c’est une guerre. Il n’y a qu’à observer la Karli (petit nom donné à la « Karl-Liebknecht Strasse »), la plus grande rue de Leipzig, sur laquelle vous pouvez trouver tout ce qu’il faut pour étouffer votre soif et vous sustenter, qu’il soit midi ou 3 h du matin ! Des devantures éventrées, brisées, éparpillées par terre, des arrêts de bus détruits, des tronçons à reconstruire... Cette guerre, c’est la guerre des extrêmes. Vous croiriez bien sûr que tout ce bazar est de LEGIDA. Et bien non. Il est d’un groupe d’extrême gauche qui a profité d’une manifestation d’extrême droite pour affirmer sa colère contre le système, et envoyer cinquante policiers à l’hôpital. Il y a cinq jours, c’était reparti. Mais c’est LEGIDA cette fois, qui a monopolisé toutes les forces de polices pendant trois heures. LEGIDA : Entre chars, canons à eau et lancers de pierre, ou quand ta « tranquille et petite ville » se transforme en champ de bataille.

Donc oui, LEGIDA ou PEGIDA, que vous soyez pour ou contre, est un phénomène réel et quotidien, un déjà-vu qui se revoit tous les lundis, et qui en devient d’une banalité exaspérante. C’est brutal, c’est agressif, c’est partout. C’est dans les journaux, c’est dans la rue, c’est dans ta fac, dans tes cours, et c’est dans ta vie. Vous pouvez faire avec, mais vous ne pouvez pas vivre sans. Tout le monde a beau se mobiliser, organiser des contre-manifestations, des conférences, des « Lichtkette », ça reste accroché aux rues, aux immeubles et aux gens comme des filaments de brouillard, qui s’estompent peu à peu, mais brouillent toujours le beau paysage ! Mais maintenant que vous avez les bases pour comprendre ce qu’est PEGIDA, vous pouvez aussi tenter quelque chose ! Il faut que vous aussi, vous commenciez à en parler, que ceux qui ne vivent pas ici savent quand même ce que c’est ! Qu’il y ait des conférences, des discussions, des reportages…, et que l’on n’en parle pas seulement dans les cours d’allemand ! Parce qu’en parler, c’est y réfléchir, y réfléchir, c’est comprendre, comprendre, c’est y exercer sa critique et ça, c’est déjà, un peu, les affaiblir. ■

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Décloîtrés N°6

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Erwann Mingant

♣Royaume-Uni

Ville de tous les impossibles donc. Affronter les difficultés administratives ici, malgré le multipass qu’est l’espace Schengen, est un défi quotidien. Pour un Français, trouver un appartement à prix réduit est ainsi peu aisé. En définitive, le prix n’est que l’une des contraintes. Présenter des références solides relève au mieux du fantasme : ma propriétaire actuelle a ainsi confirmé mes références en appelant mon ancien propriétaire français, qui ne parle pas un mot d’anglais. La conversation était apparemment digne d’un grand Guignol. Passées ces difficultés du début, on apprend qu’obtenir une « Oyster card » (carte de métro locale) à prix étudiant nécessite une lettre manuscrite de l’université. Et ce, uniquement à partir de mi-septembre, ce qui correspondait à la moitié de mon stage. Ce ne sont que quelques exemples des joyeusetés que l’on découvre à Londres.

cycliste. Stagiaire dans une entreprise de taxis, il m’est facile d’attester qu’arriver à l’heure dans cette ville relève du surnaturel. Il est arrivé nombre de fois qu’un client se retrouve pris dans des embouteillages pendant plus de trois heures. Prendre le métro se révèle facile, tant que la ligne n’est pas concernée par une manifestation, un accident, une panne de signalisation, une réparation inopinée, une grève (oui, il y en a aussi en perfide Albion) et cætera. Bref, ce sont les joies du transport dans une métropole européenne. Ville des relations impossibles aussi. Il est facile de participer à des soirées Erasmus, ou dans un cas de stage, des soirées avec des collègues. La notion « d’afterwork » est une institution du vendredi soir à la City : jamais je n’ai vu autant de pubs remplis à ce point (même après deux ans à Rennes !). Néanmoins, un stagiaire français, encore étudiant, a un statut hybride dans un monde professionnel anglais partagé entre les

Ville du transport impossible également. Après tout, la « cab city » ne se préoccupe guère du piéton ou du 23

© Erwann Mingant

En arrivant à Londres, la première impression n’est pas réellement celle attendue en début d’année à l’étranger : on se demande directement dans quelle succursale française on se trouve. Cinquième ville française au regard de la population, le dépaysement met du temps à venir. « C'est dingue, y a trop de Français ici ! » entend-on souvent les premiers jours. Ironie, quand tu nous tiens.


Nom Prénom

♣Ville, Pays

© Erwann Mingant

Décloitrés N°6

Mais ville de tous les possibles surtout ! Confronté à ces difficultés, la tendance est parfois à la fatigue ou à l’incompréhension face à des soucis imprévus. On oublierait presque que l’on est dans la plus belle et la plus active des villes d’Europe, dans un mélange de cultures incroyable. Après six mois, non seulement nous réalisons que cette ville nous a changé, mais en plus, nous en redemandons. Vivre à Londres est une épreuve, mais qu’est-ce que c’est bon !

États-Unis, l’Angleterre et dans une certaine mesure, l’Allemagne. Si l’on a la chance de travailler dans une entreprise relativement internationale, il est facile d’avoir des relations sociales. En étant dans une entreprise purement british, c’est moins réaliste. Ville du budget impossible enfin. Tenir un budget se révèle également très ardu, la variation livre sterling/ euro étant pour cette année défavorable à l’euro. La colocation permet de limiter pas mal de coûts (notamment en Wifi et autres factures) : habiter en appartement se révèle considérablement plus compliqué. Malgré les avantages, ce type de logement devient assez vite une source d’ennuis. Prendre un train devient un luxe et ne parlons pas d’un repas chaud à midi, ce genre de plaisir sera réservé au retour en France.

Londres est une ville fantastique mais il reste très compliqué d’y vivre au quotidien ! Au final, pour paraphraser un ami londonien, si vous voulez un endroit sympa pour apprendre l’anglais, pour se faire des amis et le tout à un prix raisonnable, je connais un endroit. On l’appelle l’Écosse. ■

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♣Ville, Pays

Chaque jour, des actus, des bons plans pour s’informer et bouger.

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Développement durable

d’infos,

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Juliette Le Ruyet

Un œil jeté à la CN Tower, toute de bleu éclairée. Une foule bleue et blanche envahit le métro, casquette vissée sur la tête. Les bus, bars et unes de journaux affichent tous la même phrase «Go Jays Go!». Pas de doute, les Blue Jays, équipe de baseball torontoise, jouent ce soir !

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♣Canada


La beauté d’une ville nord-américaine, telle Toronto, pour une Française fraîchement débarquée, passionnée de sport et quelque peu lassée d’une France et de ses médias footballo-centrés, tient dans l’engouement des habitants pour n’importe quelle équipe sportive, pourvu qu’elle soit torontoise. Ici, on ne supporte pas un sport, on supporte une ville ! Farouchement. Chaque Torontois qui se respecte a savamment posé, à côté de sa casquette des Blue Jays, un maillot des Raptors et un bonnet des Maple Leafs, ou autres goodies.

Centre, célèbre salle des basketteurs et hockeyeurs torontois. Mais qu’il s’agisse de sports d’été ou bien d’hiver, la ville ne cesse jamais de vibrer. Pas question de laisser une équipe à l’abandon ! Presse-toi d’acheter ta place, petit expatrié, si tu veux pouvoir savourer pleinement la folie sportive torontoise, goûter à l’euphorie d’une victoire ou endurer une défaite avec des supporters conquis malgré tout ! Supporters dont on manque parfois sur nos terres rennaises.

Les championnats sportifs rythment le pouls de la ville. À Toronto, les stations de vélib’ ferment en novembre pour laisser s’ouvrir le path, des kilomètres de galeries souterraines permettant de se déplacer en plein hiver. Au même moment, le Rogers Centre, stade de la populaire équipe de baseball, laisse sa place à l’Air Canada

Le sport, à Toronto, ne peut pas être relégué ou mis de côté. Il est partie intégrante de ton adaptation. De ton américanisation ? En plein cours de politique canadienne, ton professeur pourra t’expliquer que les résultats des élections fédérales pourraient être minorés dans l’actualité torontoise si les Blue Jays remportaient le même soir leur troisième match des play-offs (auxquels ils n'avaient pas participé depuis plus de quinze ans). Tu ne pourras que lui donner raison quelques heures plus tard en te promenant dans la ville. Le bleu y est à l’honneur en ce 19 octobre et non le rouge du parti libéral, vainqueur des élections fédérales. Il est d’ailleurs plus difficile d’avoir des nouvelles des élections que de la remontée spectaculaire des Jays pour ce match. Mais c’est ainsi. Voir une ville si proche de ses sportifs réchauffe le cœur. Et plus encore alors que les thermomètres descendent lentement et qu’ils ne tarderont plus à flirter avec les négatifs. Bientôt, le nouveau bleu à arborer sera celui plus foncé des Maple Leafs. L’engouement ne faiblira pas pour autant. Les scores des Leafs et des Raptors feront alors partie des sujets de conversation à savoir mener pour continuer ta lente intégration au cœur du peuple torontois. Il te faudra attendre de remettre au placard, bottes, bonnet et doudoune, pour voir doucement disparaître de l’actualité sportive, ballon orange et cross, afin de retrouver l’équipe de baseball qui a accompagné tes débuts à Toronto. Mais alors, tu auras pris goût à voir la ville évoluer au rythme des saisons.

© Juliette Le Ruyet

Une file s’allongeant devant l’entrée du Air Canada Centre. Les noms de Lowry, DeRozan et Valanciunas portés au dos des maillots. Un nouveau logo fièrement arboré. Le slogan «We The North» affiché et scandé. Pas de doute, les Raptors jouent leur premier match, ce soir, en saison régulière, annonçant avec eux, l’arrivée de l’hiver. ■

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Décloîtrés N°6

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Pas toujours facile de se sentir chez soi en tant qu’étranger. Entre ces codes culturels décalés qui nous mettent parfois dans des situations délicates, ces mets qui nous déplaisent parce que nos papilles les trouvent trop « différents », ces variations d’altitude qui mettent nos corps à rude épreuve, il serait légitime de craquer et de chercher à se procurer un petit bout de paix intérieure, de « bonheur », qui nous rappellerait notre chez nous. Mais non ! Vous avez tous trouvé dans vos voyages de quoi vous rendre heureux. Chacun de vous, amis voyageurs, a choisi de détourner la portée mercantiliste du thème proposé par les Décloitres : ''Where can I buy happiness?'' Mais dîtes-nous, comment faire alors si l'argent ne fait pas le bonheur ? Laissez-nous voir ces trésors que vous avez trouvés en vous et autour de vous dans vos voyages autour du globe. Puis nous irons à vos photos comme autant d'illustrations de vos différentes conceptions du bonheur, de ces instants de joie qui n'ont pas de prix.

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Jérôme Cardinal

Hongrie

♣Hongrie

des

villes,

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Hongrie des champs

En stage à Budapest pour organiser la prochaine conférence internationale sur la Décroissance, je prends goût à observer les rythmes de vie. Entre Budapest et sa campagne, petite expérience personnelle d’un contraste vécu.

en mal d'exotisme : les locaux désertent, encore. Les grands malls, non-lieux des métropoles contemporaines, pullulent et changent l'urbanité. Des quartiers se gentrifient, les prix des loyers explosent, ceux de la bière aussi. Sur les rotules parfois, on cherche à s’en éloigner. Mais pour s'extraire de la torpeur, pas besoin de traverser le pays. Pour les aventuriers qui rêvent de ces terres presque inexplorées, que Budapest incarnait avant son entrée dans l'Union européenne, les quais de la gare routière sont le début du vrai voyage.

La première fois à Budapest contraste avec l'image fantasmée que l'actualité récente a tâché de construire. Ici, pas d’État policier ou autoritaire. On prend vite goût à la vie dans la capitale, on y aime les vieilles bâtisses, son dynamisme culturel, son tramway brinquebalant, et surtout le sentiment de liberté qui s’en dégage. La vie nocturne en est un indicateur de choix. Pest la dynamique ne dort jamais : dans les bons bars hongrois faits de bric et de broc, l'heure officielle de fermeture est celle où le dernier client fermera la porte, au petit matin. Et quand le tourisme de masse qui se dessine commence à se faire trop pressant, les Hongrois s'en vont, et les lieux alternatifs bourgeonnent ailleurs. On les suit, on erre dans les bars en ruine, baragouinant quelques mots avec des natifs délaissant leur réserve au fil de la soirée, jusqu'à traverser à nouveau ce pont, titubant en admirant le bleu du Danube.

Départ vers Zsambok, à 50 kilomètres à l'est de Budapest, pour deux jours à la ferme. En sortant du car, on est saisis par le calme. Il est 8h et les voitures se font rares dans le village. Les habitants se déplacent sur des vieilles carcasses de vélos. Pas grisés par la vitesse de Budapest pour deux sous, les cyclistes se meuvent au ralenti. On rejoint la ferme. Les paysans sont sortis de leur torpeur depuis longtemps, les poules cocottent, la cafetière italienne chante, le jour se lève lentement. À perte de vue, la grande plaine hongroise s'étire jusqu’aux Carpates. Je vais aider Csaba, paysan roumain exilé. On ramasse des légumes ensemble : ma carrure frêle et ma gestuelle hésitante contrastent avec son physique de déménageur et sa chorégraphie minutieuse.

Mais Budapest reste une grande capitale moderne. Ses grandes avenues polluées et encombrées mugissent sans répit. Les rues de son centre-ville se vident aussi de leur spontanéité originelle et se muséifient tristement. On rajoute a posteriori un folklore local à grandes doses de costumes traditionnels saupoudrés de paprika d’importation pour satisfaire des touristes

On ne se comprend pas. Quelques mots d'espagnol nous rapprochent un peu, les gestes font le reste. Il mime, la cigarette, la cage, la course folle. Csaba a fait de la prison en Roumanie et a fini par immigrer en Hongrie. Il a atterri là, un peu par hasard, paumé au 30


milieu de nulle part. Il finit par dégainer de sa poche son vieux téléphone et lance une mélodie folklorique roumaine. On retourne à nos betteraves.

© Jérôme Cardinal

Quand je lui parle de Zsambok, Csaba fronce les sourcils. Il tourne en rond dans le village de 2000 âmes. Il me mime son âge d'or perdu, la musique, l'alcool, les jupons. Avec femme et enfants ici, sa routine est bien réglée, et le troquet du village fait office de repaire pour tuer l'ennui. Ses yeux s'illuminent comme le pont des Chaînes quand je lui parle de Budapest. Face à la grande Ville, pleine de vie, la campagne comme mort sociale. Le soir, je rejoins les collègues. On va ramasser quelques patates, paprikas, oignons pour improviser un repas. Le jour se couche doucement, on cuisine à la lueur de la Lune, et on écoule quelques bières en discutant. La nuit est tombée. À peine le temps de voir les mails qui nous assaillent, les yeux s'engourdissent. On décroche.

pas est moins pressant, on oublie de se serrer à droite dans l'escalator. Dans la rame, les gens font la gueule.

Le jour se lève lentement sur Zsambok, la cafetière italienne chante, les poules cocottent. On change des bâches, on ramasse des légumes, on discute, on mime. Quand 3 heures sonnent, on renfile les sacs à dos pour aller attraper le bus vers la capitale, revigorés.

La transition ne dure qu’un temps. Deux jours plus tard, je serai à nouveau dans la fourmilière, et quand même bien content de retrouver le dynamisme de Pest. Je grillerai de nouveau les feux rouges sur mon vélo, je doublerai sans même m'en rendre compte les ruraux en transit dans le métro, qui pesteront en rentrant contre la folie citadine. Je me forcerai parfois à ralentir en pensant à Zsambok. Je philosopherai minablement dans ces troquets alternatifs sur nos existences menées à 100 à l'heure, sur l’accélération urbaine qui nous aliène. Je croiserai même peut-être Csaba dans un bar de Budapest, un peu perdu, entre sa routine qui l'enferme et un temps passé qu'il mystifie. On se boira une nouvelle bière en faisant des grands gestes et en dégainant des onomatopées. Si on se comprenait, Il se moquerait bien de cet urbain qui voit un coin paumé comme un prétexte au questionnement métaphysique sur la fuite du temps dans une perspective post-moderne. Tant que le chant des sirènes de l'écran géant de son troquet restera allumé, tant que les lumières de Budapest continueront à scintiller, il ne me comprendra sûrement pas du tout. Les ghettos ruraux continueront à fleurir, les campagnes se videront encore. Le grand chassé-croisé des perceptions en gagnera d'autres : les ruraux afflueront pour mener la grande vie promise, les citadins déracinés iront chercher des repères en mettant deux jours les mains dans la terre. Un jour, l’heure sera peut-être à la recherche d’équilibres, d’ouvertures de chemins vers des horizons souhaitables et soutenables. Comme beaucoup, Budapest s’y attelle. Lentement, cette fois. ■

Au bourg, on s'arrête au fameux repaire-troquet de Csaba. Les quelques habitués sont déjà là depuis longtemps. Le fond sonore est saturé par l'écran au fond de la pièce, qui captive les vieux abonnés du comptoir. Il y a quelques semaines, la télé du bar du village de Zsambok ne diffusait pas les clips de pop US de MTV, mais des images de la ferme de Csaba. Un des programmes phare de la télé publique magyare avait accordé un sujet à cette exploitation atypique, pratiquant la biodynamie et la traction animale. Avant au village, on se moquait gentiment des salariés de la ferme et de leurs méthodes archaïques : les chevaux et la charrette, c'est le refus de la modernité, le symbole d'un passé récent qu'on veut effacer au plus vite pour ne plus penser qu'à l'horizon idéalisé du Progrès. Aujourd'hui, tous les yeux se braquent sur les nouvelles célébrités locales. Csaba et les autres en rigolent, mais garderont sûrement quand même une cassette du reportage quelque part, au cas où. La terrasse du bar donne sur l'artère centrale de Zsambok, qui a repris le même refrain lancinant. Les vélos, la grand-mère sur la route avec son fauteuil, les chiens qui aboient. Le car nous embarque très loin. On descend au terminus de la gare routière : ça grouille de partout, frénétiquement. Ça téléphone, ça braille, ça se bouscule. On se sent las, déphasés par ce gouffre entre deux mondes. Notre

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Chloé Mecqinion

A

♣Chili

DEDO

qui

Dossier >

change la donne

Candides ou insensés, notre premier projet était d’aller a dedo (en STOP) jusqu’au désert d’Atacama en passant par le Chili, soit à plus de 1500 km de Mendoza, notre point de départ. Défiant ainsi la paranoïa argentine de l’insécurité, nous avons décidé de ne planifier qu’au minimum notre voyage pour rester ouverts aux conseils des gens sur place. Le goût de l’aventure a éliminé toute peur et nous a mis dans un nouvel état d’esprit où tout ce que nous voyions, faisions, mangions était fantastique.

Levant déjà le pouce à la sortie de Mendoza, un homme voyageant dans la direction opposée s’arrêtait pour nous conseiller d’aller un peu plus loin, au niveau de la voie rapide, si nous voulions être emmenés au Chili. À peine cinq minutes plus tard, c’est Cristian qui nous faisait de grands signes de bras - nous ne l’avions pas vu ralentir et il n’était pas très grand - pour nous proposer de faire la route avec lui. Nous aurions pu passer la frontière dans la journée et même arriver à Valparaiso, notre première étape, le soir même, mais c’était sans compter sur los temporales. La neige et le vent poussèrent les autorités à fermer le Paso de los Libertadores quelques minutes avant que nous nous présentions à la frontière. Malchance ? Cette fermeture retardait notre voyage que nous trouvions déjà trop court, mais nous avons su la transformer tout de suite en une opportunité unique de découvrir Uspallata, la dernière ville argentine avant le Chili. Là, nous plantons la tente au milieu de ses montagnes, et avons à peine le temps d’entamer un asado de churizo (grillade de saucisses) que la terre se met à trembler… Etre seuls dans un camping désert au milieu des aboiements incessants des chiens et voir les arbres autour de la tente danser le houla houp nous aurait sûrement tétanisés si l’excitation de découvrir quelque chose de nouveau et unique n’avait pas immédiatement pris le dessus. Nous pensons à la formidable expérience que nous sommes en train de vivre et enregistrons nos « testaments » sous la tente morts… de rire. Mais le lendemain, l’incertitude sur l’état de la route des Andes, sur l’ouverture ou non du Paso, sur la possibilité de répliques une fois au Chili ont bien failli nous faire faire demi-tour.

À mon arrivée à Mendoza, côté argentin de la Cordillère des Andes, je n’ai pu m’empêcher de ressentir un peu d’anxiété face aux barreaux qui « sécurisaient » portes et fenêtres. Inconscients que nous étions, la dueña (propriétaire) et mère poule de mes amis, Mathilde et Victor, a voulu nous ouvrir les yeux sur le danger omniprésent en Argentine et la sauvagerie de ses habitants. Elle nous a installés devant le film Relatos Salvajes de Damian Szifron, ce film génial où du chauffeur argentin qui fait demi-tour pour écraser son compère au père de famille ingénieur qui fait exploser le service de contravention de la police, les récits ne manquent pas de violence. La méfiance ambiante et permanente des Argentins envers eux-mêmes a bien failli nous gagner aussi mais nous avons été sauvés tous les trois par un voyage des plus riches humainement.

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© Chloé Mecqinion

Nous traversons la frontière dans la voiture de Pablo, où nous devons jurer ne transporter aucune pomme, ni mandarine ou autre arme de destruction massive de ce type. À Los Andes, nous sommes pris en stop successivement par un vieux monsieur nostalgique de la Marseillaise, qu’il chantait à tue-tête lors de la victoire d’Allende en 1970, et un camionneur un peu dérangé qui ne fait que klaxonner. Finalement, c’est Ivan qui nous amène jusqu’à Valparaiso dans son 4x4 et nous offre des pesos chiliens et nous donne quelques paltas (avocats) des cageots qu’il apportait à sa famille; c’est pour dire: sa générosité est sans limite! Cette première journée de STOP non-stop nous procure une certaine assurance et une impression durable de confiance. S’ils se chamaillent sans cesse, les Argentins et les Chiliens ont bien un point commun : leur bienveillance.

Et nos aventures continuent ! En minibus, une famille nous fait découvrir l’île de Chiloé à travers sa virée hebdomadaire du dimanche. Le lendemain, ce sont deux gardes du parc national qui nous prennent à l’arrière de leur pick-up jusqu’à la plage de Cucao donnant sur le Pacifique. Le soir même, alors que la nuit était déjà tombée, nous tentons de nouveau le stop. Candides ou inconscients ? À ce stade du voyage, notre confiance en la bonté des gens était inébranlable. Cependant, voyager a dedo implique une dose impressionnante d’incertitude et mon anxiété naturelle est revenue au galop quand nous nous sommes retrouvés la nuit dans la montagne, au niveau de la frontière entre l’Argentine et le Chili : « Va-t-on dormir sous la tente malgré ce froid et la pluie ? Mais, nous n’avons plus de vivres ! ». Trêve d’inquiétudes, une voiture s’arrête devant nous et un couple nous invite à boire le maté avec eux sur la route.

À Valparaiso, les fortes répliques que nous sentons tous n’empêchent personne de fêter la Nation comme il se doit. Tout nous semble normal jusqu’au moment de partir vers le Nord, nous prenons conscience aux informations des dégâts causés sur la route par le tremblement de terre. Mieux valait dès lors changer d’itinéraire pour ne pas se retrouver au milieu du chaos. Dans un autre état d’esprit, nous aurions sûrement été déçus que nos plans ne se réalisent pas mais nous avons immédiatement imaginé des dizaines d’autres destinations pour notre voyage. Nous nous trouvions d’autant plus disposés à changer du tout au tout notre programme que nous avions déjà vécu notre aventure jusqu’à Atacama « en pensée », et que tout bouleverser nous permettait d’en vivre une autre ! Direction donc : l’Ile de Chiloé !

Le voyage nous pousse à nous adapter sans cesse aux imprévus qui le constituent. Il remet en question nos choix premiers, nous fait changer de chemin, d’idée. Mon voyage a dedo entre l’Argentine et le Chili n’est qu’un échantillon de ce que m’apporte mon année à l’étranger mais l’essence est là, dans la Buena Onda. La « bonne disposition » face à l’inconnu, à l’imprévu est plus qu’une attitude, c’est un état d’esprit qui doit anéantir les peurs pour laisser place aux surprises ! ■

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Justine Carnec

♣Pérou

recherche trésor perdu

À la

Dossier >

du

Le cargo volant traverse l’atmosphère. À toute allure, il fuse vers le crépuscule. Énorme machine de métal, son nez audacieux résolument pointé vers l’avant, il file. Ce n’est pourtant qu’un minuscule grain de sable perdu au cœur de l’écume des nuages. Les vagues blanches caressent son ventre sous le ciel infini. Terrible d’insignifiance. Un clin d’œil de l’univers, histoire de nous inculquer un peu d’humilité. Destination : Arequipa, Pérou. Autant dire l’autre bout du monde.

Toi, être humain ordinaire, qu’as-tu à me conter ? Raconte-moi ton histoire. Ce qui t’a fait. Ceux que tu aimes, et pourquoi tu les aimes. Je voudrais t’entendre. T’écouter, surtout. Ce n’est pas la différence en ellemême, que je recherche. La naïveté qui m’a un jour poussée – inconsciemment, certes – à croire qu’on ne trouve la différence que loin de chez soi m’a quittée depuis longtemps. L’important. Ce qui, chez nous, est devenu insignifiant, futile, et à qui trop peu de gens prêtent encore attention. Qui, pourtant, est essentiel. Je pars à la recherche de gens pour qui l’important porte encore un nom qui ait un sens. La routine teintée d’angoisse sourde qui nous traîne, et dans laquelle on se laisse entraîner, efface cet essentiel. La vie a ses raisons, et les gens n’osent pas lui rétorquer qu’elle a tort. Et que, d’ailleurs, ses raisons n’en sont pas. C’est juste un bandeau sur les yeux. L’esprit accaparé par le quotidien terne et gris, on se laisse facilement oublier. Les couleurs disparaissent ; et l’essentiel de réalité, devient histoire ; d’histoire devient légende, puis mythe, avant de n’être plus que des histoires de bonnes femmes.

Imaginant que les étoiles me coiffent d’un fier couvre-chef, du haut de mes 60 000 pieds d’altitude, je me fais aventurière. Ou chasseuse de trésors, même si le terme « chercheuse » conviendrait mieux – car je n’ai aucune envie de m’approprier ce trésor. Mais c’en est bien un que je suis partie chercher. Le trésor dont je parle, c’est l’humanité, l’altérité. Partir à la recherche – et à la découverte, je l’espère – de l’Autre. Ce que j’espère trouver, je l’appelle « l’important »

Alors, vous allez peut-être me rire au nez, si je vous dis que l’important n’est pas qu’une vague idée balancée au hasard, mais il faut parfois savoir s’arrêter, faire une pause. S’écouter, se retrouver. Croyezmoi, ça a du bon. Surtout que l’important ne se cache pas. Il est là, tous les jours, devant nos yeux. L’important, c’est le sourire innocent d’un enfant, et son rire cristallin.

Je veux retrouver ce qu’on a perdu, chez nous. Et qui compte. Ce qui fait des êtres humains à la fois ce qu’ils sont, la raison pour laquelle ils le sont et la manière dont ils le deviennent. La trace qu’on veut laisser derrière nous, ce qui reste lorsque tout a disparu.

C’est la beauté inégalée de l’aurore et du crépuscule, avec qui nous avons rendez-vous chaque jour, mais

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© Justine Carnec

qui, pourtant, n’attire plus une once de notre attention. C’est la rosée du matin, qui étincelle sous le soleil. C’est la chaleur des rires lors d’un repas en famille, et peu importe qu’ils résonnent – laissons la joie faire du bruit, elle est bien trop silencieuse. Ce sont les conseils d’une grand-mère murmurés à l’oreille de sa petite fille. C’est la voix d’un garçon qui chante au beau milieu des siens. C’est le crépitement du feu et les mains qui frappent en rythme, lorsque tout le monde danse autour. Le scintillement des étoiles, et la clarté d’un premier amour. La fierté d’un père pour ses enfants, et les sourires sur des visages ridés. Les vêtements tissés de couleurs vives, et la caresse d’une brise d’été. La douceur de l’inconnu, le fracas des certitudes qui se brisent, la lumière dans le regard de celui qui comprend, et les milles teintes de la peau humaine. C’est la capacité à nous émerveiller, que nous perdons trop souvent. C’est la beauté du partage, et celle de l’échange. La volonté de s’ouvrir à l’autre et d’apprendre de lui. Sans juger. J’ai soif de tout cela. J’ai soif de l’essentiel, et c’est lui que je suis partie chercher. J’espère que, vous aussi, quand vous le rencontrerez, vous saurez le reconnaître. ■

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Carl DaunaR

♣France

Chronique d'une

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renaissance

Au cœur de tout retour, il y a la déchirure. Celle du départ, de la fin d’une époque… Et puis il y a le renouveau, l’apaisement, la temporisation. Le voyage, c’est l’intensité des émotions et le frisson de l’inconnu. Sa fin, c’est le temps de la maturité, où se mêlent une nostalgie rebelle, une mélancolie apaisante, un spleen implacable… dans un jeu poétique tout au fond de l’être. Tous ces passages, l’ensemble de ces émois, ce sont les jalons essentiels qui tressent et construisent l’âme voyageuse. Ils s’entrecroisent subtilement pour forger en profondeur la nécessité de l’exploration, et pour ancrer dans chaque existence vagabonde le besoin du voyage.

annoncée

Le sursaut ultime emporte dans sa folie tout un pan de ville, cette masse de passages qui se débat et l’on regrette déjà la torpeur d’une vie d’éphémère. Désormais ne comptent plus que les jours… qui s’égrènent par pleines poignées pour bientôt ne plus se compter que sur quelques doigts fébriles. Ces temps d’humeur se gorgent de l’essence de toute une odyssée : les lieux sont détestés, les coutumes vomies et la raison s’égare. Hier choyés, la discutable gastronomie ou le chaos de la rue sont aujourd’hui abhorrés. Ils continuent de peser sur le ventre en peine. Et en réponse, l’insignifiance jamais relevée se fait madeleine. La rue escarpée et poisseuse est chérie. Le miteux d’une place défoncée s’impose au cœur et à l’âme. L’on devient esclave d’une insatiable soif de vie et d’envies, et ces mêmes derniers moments construits à la hâte s’avalent comme les biseaux acérés d’une implacable réalité : la fin est là, battant sourdement.

Le temps du sursaut Lorsque l’ultime procession s’enclenche, c’est dans un drôle ballet d’adieux. Accolades, larmes, pensées de circonstances et promesses incertaines, toute une mise en scène répétée et préparée depuis une paire de mois qui dévoile désormais sa trame grandiose : l’œil s’accroche à tout, comme pour se convaincre d’un attachement viscéral, d’une indéfectible loyauté au creuset de notre nouvel être. La mâchoire se serre, face à l’effervescence ambiante, face à l’effervescence ignorante du feu qui nous dévore. Tout prend une saveur terreuse et le mélange des ressentis atteint son paroxysme.

Le temps de la colère La construction de l’épopée commence quand point, un matin plus sec, plus difficile qu’à l’accoutumée, l’imperceptible souffle de la fin d’une aventure. La graine de la frustration et de la mélancolie s’installe au creux du ventre, croît dans un joyeux chaos et s’impose durablement. Elle se nourrit du décompte final, de l’irrésistible élan qui porte au-devant de ces mille inconnues, celles que l’on devait explorer après, plus loin, pas déjà, cellesci qui effrayaient, celles-là encore que l’on s’inventait.

C’est en magnifique émissaire que l’on est alors convaincu du retour, et désormais trépignant de partager avec le monde l’ampleur de son propre épanouissement, l’incroyable de la nation d’accueil. Un 36


néo-patriotisme culturel prend le pas sur la dépossession physique. Là commence la construction d‘un mythe apaisant, entre vécu marqué dans les chairs et puissance de la conviction.

tions et de sensations consolidées, la désormais certitude de ce qui a été expérimenté, assimilé, partagé, savouré, donné, dansé, célébré ou pleuré, comme une part indissociable de l’être.

Le temps de l’abandon

Le temps de l’espoir

À terme, toutes ces luttes jamais abandonnées prennent enfin sens. La boulimie sensorielle des derniers instants là-bas révèle ici toute sa richesse. On n’a pas seulement tout vécu, tout vu, ni alimenté sa gibecière des anecdotes les plus belles ou de folles aventures à rejouer avec fierté. On s’est offert, dans un état de grâce absolu où l’âme courageuse s’écharpe au contact de ce monde nouveau, dans la débandade des habitudes exotiques. En récompense, l’intensité du vécu est d’une rare force, ressenti et absorbé avant même d’être réfléchi.

Au terme du processus, il reste l’esprit, qui se perd déjà dans les méandres des projections, noyé du souvenir, ivre d’un futur prometteur mais incertain. Elle se love sans doute là, la beauté de cette longue construction : elle gonfle l’être d’un espoir féroce et inédit. Feu dedans, joie dehors, on replonge sans ciller dans un bonheur certain et parfois tendrement fantasmé. Aujourd’hui que reste-t-il ? Une mélancolie souvent douce, c’est indéniable, mais surtout une formidable rage de voyage, de découverte, et la certitude au fond de l’être qu’aucun chemin ne disparaît ou ne s’interrompt jamais. Et s’il fallait ce processus entier pour me convaincre jusqu’au bout des baskets usées de la beauté du passage, c’est sans hésitation aucune que je me projetterais à nouveau dans ce bouillonnement d’émotions et d’évasion. ■

© Carl Daunar

Là s’entame le second processus, plus long, plus dur. Se conformer à l’inacceptable, la fin d’une année de fulgurance, l’équivalent d’une vie. Et c’est la lutte, la déliquescence infâme de blocs entiers de souvenirs, de noms, de visages, de saveurs et d’odeurs. Ne reste plus qu’un magma informe et flou, désespérément mobilisé pour convaincre du bien-fondé de ce nouveau pan d’identité, de son appartenance éternelle à la terre d’outre-mer. Au creux de cette frustration, une once d’espoir émerge, le concentré d’un ensemble d’émo-

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Portfolio >

Décloîtrés N°6

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â–˛ - Australie, Anais Rigaudeau Pensec

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▼ - Edimbourg (Holyrood Park), Ecosse, Marie Le Mée



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▲ - Argentine, Chloé Mecqinion

▲ - Séville, Espagne, Héléna Tataruch

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▲ - Thaïlande, Bastien Le Bars

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â–˛ - Costa Rica, Margot Besson

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▲ - Seville, Espagne, Helena Tataruch

▲ - Canada, Juliette Le Ruyet

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Des visages au hasard >

Décloîtrés N°6

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Valentin AsselAin

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♣Costa Rica

Le péril des

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frontièr es Depuis début 2015, près de 30 000 Cubains sont arrivés aux États-Unis, soit une augmentation de presque 80 % par rapport à 2014. Cette explosion migratoire tient au relâchement des tensions entre les États-Unis et Cuba depuis fin 2014. Sur l’île, on craint un durcissement de la politique migratoire états-unienne en signe de bonne volonté de la part de Washington. De fait, les migrants cubains sont bloqués à la frontière entre le Nicaragua et le Costa Rica.

les États-Unis, déclare « le Nicaragua a reçu beaucoup d’aide de Cuba, pour la révolution, pour avoir des médicaments ! ». Le pays est soutenu par Cuba depuis la révolution, il y a 36 ans. Le premier vice-président de Cuba, Miguel Diaz Canel, l’a rappelé en juillet dernier : « le peuple héroïque et noble du Nicaragua pourra recevoir tout l’appui solidaire et engagé de la part du peuple cubain ».

« Mes enfants à Cuba n’ont pas de futur »

Et les choses se compliquèrent au Nicaragua… Depuis le 15 novembre, le Nicaragua a fermé ses frontières aux migrants cubains, et accuse le Costa Rica de provoquer une crise humanitaire en leur accordant des visas de sept jours. Le Costa Rica, lui, accuse le Nicaragua de « servir sur un plateau d’argent la tête des migrants aux trafiquants ». Résultat, le Nicaragua déploie l’armée et la police anti-émeute et n’hésite pas à lancer du gaz lacrymogène, en parlant de « mise en péril du territoire et de sa souveraineté ». Les migrants sont amers. Luis déclare : « Aucun de nous ne veut rester au Nicaragua, au Honduras ou au Mexique ! Notre but, ce sont les États-Unis ». Il ajoute : « Nous les avons aidés des années ! Les nôtres ont donné leurs vies pour leur révolution, nous sommes les fils de ces personnes, et rien ». Henry, 20 ans, qui a préféré partir du Chili où il aurait pu obtenir la résidence pour rejoindre 47

Chacun a une histoire différente, mais tous font le même voyage. Qu’ils aient travaillé pour le gouvernement ou pas, le constat est le même : pas d’avenir sur l’île. Pas de reconnaissance de la part d’un régime castriste au pouvoir depuis 1959. Il faut faire vivre les siens, quitte à se séparer d’eux. Pour une durée indéterminée… Idania, 50 ans, est infirmière, spécialisée en chirurgie. Elle incarne l’excellente formation médicale cubaine et raconte : « J’ai travaillé en Bolivie, au Pakistan, en Haïti. Le gouvernement ne m’a jamais rien donné, jamais je ne reviendrai à Cuba ». Hanoi, 40 ans, dans une chemise impeccable, lunettes sur le nez, était réparateur en horlogerie et électronique, à son compte : « J’ai réuni 3 500 dollars pour faire le voyage. J’ai laissé ma famille, mon épouse, mes trois enfants. Mes enfants à Cuba n’ont


pas de futur ». Il gagnait pourtant trois, quatre fois plus qu’un médecin ou un ingénieur du gouvernement. Ana était professeure d’espagnol. Elle parle couramment français, et nous raconte qu’elle fait le voyage pour sa mère, qui a un cancer depuis sept ans : « Je pourrai lui envoyer de l’argent pour acheter les médicaments. […] La morphine qu’on lui donne attaque le cœur, et moi je veux la garder plus longtemps avec moi ». Derlis, 30 ans, était avocat sur l’île. Il nous montre une page de journal, protégée comme une relique, qui titre « Des migrants rescapés ». Il a échappé à une mort certaine sur une île entre la Colombie et le Panamá, abandonné avec ses compatriotes par les trafiquants, début novembre : « Je cherche la libre expression, la liberté… des choses que nous n’avons pas à Cuba ».

Un Cubain qui souhaite préserver l’anonymat (sa famille ne sait pas qu’il fait le trajet) affirme d’emblée : « c’est la police la plus corrompue du monde ». Des dizaines de migrants témoignent de l’administration corrompue au possible, par des demandes de pots-de-vin, des intimidations, des liaisons avec les trafiquants locaux. Hanoi fera partie des victimes de ce système : « À tout moment ils t’arnaquent, te menacent de t’envoyer au poste ». Il a parfois dû payer jusqu’à 400 dollars aux policiers, pour ne pas être arrêté. Henry raconte des vols de portables et des délits de sales gueules : « Nous n’avons été arrêtés que deux fois, d’autres le sont cinq ou six. Il faut, à chaque arrestation payer 50 ou 75 dollars par personne… il faut savoir se défendre ! ». Chaque migrant en connaît un autre qui a trouvé la mort dans la traversée maritime. Henry poursuit « c’est une rumeur, mais on m’a parlé de lanchas (embarcations) qui sortaient… et qui n’arrivaient jamais. On tue les migrants et on leur prend leur argent ». Il reste encore le Honduras, le Guatemala et le Mexique à traverser.

Les Cubains profitent de particularités juridiques afin d’atteindre les États-Unis. En 1966, le président américain Lyndon Johnson promulgue le Cuban Adjustment Act, véritable pied-de-nez à l’ennemi cubain, qui facilite l’immigration pour les « réfugiés politiques » de l’île. En 1995, nouvel avantage : l’accès par la terre aux ÉtatsUnis, et non par la mer, permet d’entrer plus facilement sur le territoire états-unien. Enfin, l’Équateur est le seul pays d’Amérique qui ne demande pas de visa aux Cubains. D’où tout ce voyage à travers les Amériques, et ce qu’il implique.

Malgré un élan d’optimisme pour les migrants, avec la réunion des États concernés par le problème le 24 novembre, la situation n’a pas évolué. Il a été décidé que chaque pays devait « décider souverainement » du passage ou non des migrants sur son territoire. Et logiquement, le Nicaragua a maintenu sa position. Le gouvernement du Costa Rica cherche maintenant une solution qui exclut le Nicaragua, en dialoguant avec le Guatemala et le Mexique. L’Equateur, de son côté, commence depuis le 1er décembre à demander des visas aux Cubains. Ils seront très bientôt cinq mille à attendre à la frontière costaricienne. ■

Interrogés sur ces différents pays qu’ils traversent, les migrants sont univoques : la Colombie est l’étape la plus difficile. Les conditions de vie précaires du Costa Rica, dans des logements transitoires ouverts par le gouvernement, ne sont rien en comparaison des épreuves endurées là-bas.

© Valentin Asselin

Des visages au hasard >

La Colombie, le pays de toutes les galères

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Š Valentin Asselin

Š Valentin Asselin


Maxence Dubar

♣Argentine

la cohésion,

Des visages au hasard >

c'est dans

la boîte

Voyager est une occasion unique de faire des rencontres. Des plus anodines aux plus bouleversantes, elles ont toujours quelque chose à nous enseigner. Après quelques mois passés en Argentine, c'est à Buenos Aires que, par le plus grand des hasards ou presque, j'ai rencontré Jorge. Ce Colombien, expatrié au cœur de la capitale argentine, travaille pour Fiestas Colombianas, une organisation qui propose de faire découvrir la culture colombienne. Il en profite pour dresser un petit portrait des différences culturelles entre ces deux sociétés, différences qui apparaissent au grand jour dans ces espaces de mixité.

la découverte de cette part de la culture colombienne, connue et reconnue, que propose Fiestas Colombianas aux « bonaerenses » (habitants de B.A.) Chaque week-end, les rassemblements peuvent attirer jusqu'à 400 personnes par jour. Et c'est sans compter les fêtes spéciales, proposées pour des occasions particulières ou autour de thèmes spécifiques. On en fait environ une fois par mois. Elles peuvent rassembler jusqu'à 1500 âmes. Tu te rends compte ? » Comment expliques-tu cet engouement pour ce genre de soirées ? « Il faut dire que la migration colombienne est très dynamique. Elle est loin d'être aussi importante que celle des Boliviens, des Péruviens ou des Paraguayens, mais elle est très spécifique. Premièrement parce qu'elle est très localisée. Elle vise essentiellement le centre de la capitale, les quartiers de Palermo, de Recoleta, ou de Santelmo en plein cœur de la ville. Les Colombiens sont ainsi bien plus mélangés à la population argentine que les autres minorités. Leur présence est très remarquée. C'est pour cela que beaucoup de personnes s'intéressent à la culture colombienne. Les Colombiens ont toujours attisé une certaine curiosité de la part des Argentins. C'est aussi pour cela que les fêtes que nous organisons ne sont pas seulement destinées à la population colombienne de Buenos Aires, mais aussi aux Argentins qui sont intéressés par cette opportunité de se plonger dans notre culture natale. Aujourd'hui encore, 90 % des participants demeurent issus de la migration colombienne, mais cela fait quand même une personne sur dix qui a l'opportunité de vivre une expérience vraiment différente. Ce n'est pas négligeable.

Jorge, pourrais-tu nous parler de l'association pour laquelle tu travailles ? Nous en dire plus sur sa création, sur sa raison d'être, son fonctionnement ? « Fiestas Colombianas est née il y a 13 ans de cela à Buenos Aires (B.A.). Mais cela fait quelques années maintenant qu'elle gagne vraiment en rayonnement. Initialement, son but était de permettre la diffusion de la culture colombienne en Argentine en proposant à des chanteurs colombiens de se produire sur les scènes de la capitale. C'est amusant de voir à quel point des artistes connus dans toute la Colombie peuvent chanter ici les chansons qui ont fait leur succès de façon presque anonyme. C'est ainsi 50


Et, en reprenant tes mots, comment se passe ce plongeon dans la culture de l'autre ? « Je ne te cache pas qu'on peut parler d'un véritable choc culturel. Les différences sont notables entre Argentins et Colombiens, ne serait-ce qu’au niveau de la musique et de la danse. Dans une fête colombienne, on danse presque toujours en couple. Que ce soit la salsa, le merengue, le reggaeton ou la bachata, toutes ces musiques se dansent par deux. Ça n'a l'air de rien, mais cela change du tout au tout face au fêtard argentin qui écoutera plus volontiers de la Cumbia, très différente d’ailleurs de la Cumbia colombienne. Elle a certes des racines colombiennes, mais a été en grande partie transformée, surtout sous l'influence de la musique électronique. Les Argentins dansent majoritairement au sein de petits groupes, toujours assez distants les uns des autres, par coutume. Les espaces de confort à respecter ne sont pas les mêmes, et ils ne sont pas habitués au même type de musique. Leur rapport même à la danse est différent. Leur façon de danser est plus chorégraphiée, plus formelle. C'est presque une question de performance. La danse colombienne, elle, est plus libre, moins réglée et beaucoup plus proche de la manière de danser des Vénézuéliens. C'est une approche beaucoup plus instinctive et en cela bien plus accessible. Il est tout à fait possible de parler en dansant, de s'arrêter pour rire, de communiquer avec des gestes. C'est beaucoup plus vivant. Tu peux faire tout ce que tu veux, tant que tu le fais en rythme. Aussi, les Colombiens dansent proches les uns des autres, non sans une certaine « tension ». Pour autant, en Colombie, la danse est un objectif en soi, un espace de détente, de convivialité, et pas nécessairement un outil de séduction. » Ces différences de code social doivent être à l'origine de nombreux quiproquos, je me trompe ? « Un Argentin, bien qu'il soit dans son pays, est souvent désemparé en passant la porte d'une fête colombienne. Il faut généralement un petit moment pour qu'un non-Colombien ou qu'une non-Colombienne comprenne que ce lieu n'est pas un terrain de chasse, mais bel et bien une piste de danse. Il l'apprendra bien souvent à ses dépens. Ce sont des codes tout à fait différents. Les approches trop cavalières sont à bannir.

Ici, en Argentine, il est possible qu'un homme passe la main dans les cheveux d'une femme pour lui témoigner son intérêt. Dans les soirées colombiennes, c'est impensable. Un tel geste peut être un motif concret de discorde, de mésentente, ou considéré comme un profond manque de respect. » Et comment vois-tu l'évolution de l'organisation Fiestas Colombianas à moyen terme ? « L'objectif est de valoriser la culture colombienne et de la faire découvrir aux Argentins de Buenos Aires. Ces dernières années, on a aussi essayé de créer une association pour les Colombiens en Argentine, pour solidariser et organiser une communauté, comme c’est le cas pour les Paraguayens et les Péruviens, et pour faire en sorte que de nombreux droits qui leur sont accordés le soient aussi à la communauté colombienne. Les Colombiens restent désorganisés. Ils n'arrivent pas à se faire entendre, notamment au niveau du droit du travail. Les Colombiens ne connaissent pas les lois relatives au travail. Il faut donc créer du lien et faire circuler les informations. Il faut que les gens sachent, en tant que travailleurs, quels sont leurs droits et leurs devoirs. En fin de compte, ce que nous désirons, à moyen terme, c'est jouer plus ou moins le même rôle de soutien que les syndicats, mais pour la communauté colombienne. » Et voilà ! Ils me restent quelques lignes pour remercier Jorge de m'avoir accordé un peu de son temps, de m'avoir témoigné tant de sympathie, de « Buena Onda ». Il est maintenant temps de reprendre l’entraînement de salsa, parce qu'à les voir ça à l'air simple, mais… ■

© Katel Andréani

Et puis il ne faut pas oublier que la majorité des Colombiens qui viennent ici ne s'installent pas définitivement. Ce sont souvent des jeunes, parfois étudiants, parfois travailleurs, qui viennent se former un capital avant de retourner en Colombie. Je trouvais aussi important de leur proposer un lieu pour chasser la nostalgie et le mal du pays. Ces fêtes, au-delà d'un lieu de détente, sont d'un grand réconfort pour toute cette communauté expatriée pour plusieurs années. »


Romain Mangattale

♣République Tchèque

Cl mate CHANGE

Des visages au hasard >

? Durant nos pérégrinations estudiantines, il est d’ordre commun de rencontrer d’autres expatriés de tout horizon. Au-delà des rencontres autour d’une bière et des visites de discothèque, les sujets de discussion se tournent vers l’actualité et, en temps de COP21, vers le climat. Un point important revient sur la table : le problème de la perception du changement climatique.

des personnes de ma génération, qui ont essayé de prendre davantage en considération leur impact environnemental, mais c’est difficile de mettre en place des actions significatives quand les responsables refusent de reconnaître que le changement climatique est un problème réel. » Atakan, Istanbul/Sinop, Turquie, 21 ans : « Je suis originaire de Sinop, une ville au nord-est de la Turquie. Je vis à Istanbul depuis 2012 mais je continue de passer l’essentiel de mes étés à Sinop. Je vis dans ces deux villes et j’y ai observé des altérations climatiques ces dernières années. La Turquie vit normalement quatre saisons dans une année. Mais depuis deux-trois ans, nous en vivons seulement deux, l’été et l’hiver. Les températures sont soit très chaudes, soit très froides. L’automne et le printemps ont disparu. Fin octobre, les pluies automnales étaient supposées arriver mais ce fut de la neige qui les remplaça et les pluies n’ont toujours pas commencé. Inversement, nous sommes à la fin de décembre et le temps est étonnement chaud à Istanbul et Sinop. L’ordre des saisons a considérablement changé et les prévisions pour les prochains jours sont particulièrement pessimistes… »

Au-delà de nos latitudes et longitudes françaises, les manifestations et effets du changement climatique sont drastiquement différents, autant que les points de vue que les jeunes étudiants ont dessus. J’ai alors posé cette question à plusieurs de mes camarades : De ton point de vue personnel et de ton pays, comment perçois-tu le changement climatique dans ta vie de tous les jours ? Cela a-t-il changé ta routine quotidienne ? Michelle, Chicago, USA, 21 ans : « J’ai bien pris conscience du changement climatique même si je ne suis pas à la maison en ce moment. Ici à Prague, il fait maintenant 50 degré Fahrenheit (10° Celsius) alors que nous sommes en plein milieu de l’hiver. Je me souviens encore quand il commençait à neiger dès octobre il y a quelques années, et que cela ne s’arrêtait jamais. À New York, la neige n’a pas été encore aperçue cette année ! Alors qu’elle s’amoncelle ordinairement jusqu’en haut des fenêtres.

Vittoria, République Dominicaine, 21 ans : « Je dirais que le changement climatique est vraiment visible ici (en République Dominicaine, Ndlr). J’ai toujours voulu retourner dans ma ville d’origine en décembre pour apprécier le doux mais frais hiver dominicain. Mais en seulement une année, le climat a complètement évolué. Il fait extrêmement chaud et les soirées ne sont point différentes du reste de l’année. Personnellement, ça n’a pas d’effet signifiant sur ma vie quotidienne. Je veux dire, je n’ai pas à porter de pull le soir. Et durant la journée, il est impossible de se promener sans suer. Mais je suis sûr que d’autres secteurs de

Tout le monde le remarque. Personne ne fait rien à ce sujet. Cela fait un bail que ça continue ainsi. Je connais 52


mon pays sont bien plus dramatiquement affectés. On peut voir clairement une mutation de la végétation et des plages. Et je pense que cela continuera à évoluer et que beaucoup de pays seront de plus en plus touchés. Dans mon pays, il y a un dicton qui dit « Mieux vaut prévenir que souffrir ». Je pense que nous devrions le suivre, au lieu d’observer passivement le changement sans agir dessus. »

augmentent de manière importante. Si tu es en ville, il est impossible de sortir le jour et tu dois rester auprès de l’air conditionné. » Vasili, Bashkortostan, Russie, 21 ans : « La Fédération de Russie possède une importante fondation industrielle laissée comme héritage par l’URSS. Mais la technologie et les équipements utilisés dans ces usines sont obsolètes et ne prennent pas du tout en compte le réchauffement climatique. Je viens d’un des territoires sujets de la Russie appelée République du Bashkortostan. Dans notre région, nous disposons de plusieurs usines stratégiques qui produisent des produits chimiques pour le reste du pays. Chaque centre de production est un complexe gigantesque demandant l’allocation d’un vaste territoire. Ils furent construits durant le milieu des années 60 et devaient comprendre des systèmes de réduction de pollution. Malheureusement, à cause du coût de ces systèmes, l’administration de la ville ainsi que la direction des usines décidèrent de creuser un gigantesque trou dans le sol et d’y enterrer toute les déchets polluants… Cet endroit ressemble à une gigantesque piscine couleur bleu acide. Les gens qui y travaillaient mourraient généralement à l’âge de 50 ans d’un cancer des poumons. Ils recevaient un salaire double pour cela. Le bureau administratif avait prévu que cette piscine serait un lieu de stockage de court terme, un endroit où tous les produits toxiques seraient gardés en attendant d’être envoyés à une usine de recyclage. Celle-ci n’a toujours pas été construite… »

Benjamin, Sarajevo, Bosnie, 20 ans : « Concernant mon pays d’origine, le changement climatique n’a pas été mis en avant comme un problème majeur. D’autres sont considérés plus importants comme la corruption, la nécessité de transparence ou obtenir la candidature pour entrer dans l’Union européenne, etc… Néanmoins, depuis quelques années, l’attention à cet égard s’est accrue, surtout avec des étés dépassant des records de températures, des hivers particulièrement doux, de la neige en mai et le brouillard de pollution au-dessus de Sarajevo. Maintenant que les citoyens sont concernés par le problème, ils commencent à lancer quelques initiatives individuelles pour en combattre les effets. » Xoha, Lahore (Pakistan), 25 ans : « Au cours des dernières années, nous avons tous expérimenté un changement climatique et de conditions météorologiques massif. De plus en plus, le temps ne connait plus que les extrêmes, que ce soit l’hiver ou l’été. Je viens du Pakistan, un pays à quatre saisons : été, automne, hiver et printemps et je me souviens vivement chérir chacune de celles-ci, étant jeune, à leur apogée. Maintenant, la transition entre elles est minime chaque année et les conditions météorologiques deviennent de plus en plus extrêmes. La pluie est précoce et sa durée s’étend de façon imprévisible. Les inondations deviennent communes. Le Pakistan est une économie majoritairement agricole et le climat joue un rôle majeur pour les récoltes. Les systèmes d’irrigation sont sollicités, ce qui rajoute de plus en plus de pression sur les ressources en eau. Les effets du changement climatique dû au réchauffement mondial sont ainsi ressentis aussi bien à un niveau individuel qu’à un niveau plus large. »

Conclusion ?

Malgré le caractère mondial du changement climatique, sa perception (ou son absence de perception) est loin d’être unanime. Si la cause semble s’effacer derrière une responsabilité mutuelle, ses effets se ressentent partout de façon individuelle, ou collective. La problématique n’est plus simplement écologique, ou météorologique, elle interroge désormais aussi et avant tout le contexte socio-économique dans lequel les individus évoluent, qu’ils soient plus ou moins bouleversés par les changements en cours. Ces témoignages, succession de points de vue personnels, restent démonstratifs de la nécessité d’une action globale pour le climat, qu’elle vienne du bas, de la société civile, ou du haut, au travers d’une nouvelle réglementation sur les rejets polluants de nos sociétés mondialisées et interconnectées. ■

Michele, Bologne (Italie), 22 ans : « Je viens d’Italie et il est évident que le climat a changé ces dernières années. La neige n’arrive plus en décembre mais plutôt janvier-février et elle est très drue. Cela affecte mon quotidien car j’habite en Emilie-Romagne et je prends le train tous les jours pour rejoindre mon université. Ma région (et je pense qu’il en va de même pour tout le pays sauf dans les montagnes) n’est pas préparée à autant de neige en si peu de temps. La même chose arrive durant l’été où les températures 53


sorj Chalandon

♣France

"J'ai eu beaucoup de mal à voyager pour rien.

Partenaires du Festival International du Livre & du Film Étonnants Voyageurs, les Décloîtrés ont pu interviewer Sorj Chalandon, qui y présente son dernier ouvrage « Profession du père ». Grand reporter pour Libération, il a couvert les conflits en Irlande du Nord, au Liban, en Irak avant de destiner sa plume à des écrits et romans plus intimes. Retour sur un parcours engagé.

se créer. À part un journaliste sportif, aucun des premiers rédacteurs de Libération n’était professionnel. Et aucun n’avait une carte de presse. Je suis entré à Libération comme militant politique, puis comme dessinateur, avant de devenir monteur en pages, journaliste judiciaire, reporter puis grand reporter puis d’intégrer la rédaction en chef. Le choix de reporter est né de deux besoins : comprendre et rapporter. Seul le terrain permet de comprendre. Seul le journalisme permet de rapporter. Outre votre statut de journaliste, vous êtes également auteur d’ouvrages autobiographiques. Ainsi, est-il plus aisé de passer par le registre de la fiction pour raconter les expériences vécues sur le terrain ? Si vous lisez mes sept ouvrages, vous verrez qu’aucun n’est autobiographique. J’écris des romans. Dans « Profession du père », le narrateur s’appelle Emile. Il est restaurateur de tableau. Dans « Le Quatrième mur », Georges est metteur en scène de théâtre et souhaite monter l’Antigone d’Anouilh à Beyrouth. Mes deux livres sur l’Irlande racontent l’histoire d’Antoine, jeune luthier parisien tombé amoureux de la cause irlandaise grâce à un combattant, qui s’est avéré être un traître. Je ne suis pas Emile, ni Georges, ni Antoine. Mais c’est parce que mon père est mort fou, parce que je suis entré dans Sabra et Chatila massacrés, parce que mon ami

Vous avez été grand-reporter pendant plusieurs années pour le quotidien national Libération. Comment expliquez-vous ce choix de carrière ? Une envie de voyager, d’être sur le terrain ? D’être témoin puis messager de l’ensemble des actions menées à l’étranger et faire ainsi prendre conscience de ce qu’il se passe ailleurs ? En fait, je suis devenu journaliste par hasard, rejoignant, en septembre 1973, « Libération » qui venait de

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© G. Le Ny

Des visages au hasard >

Mais je me soigne "


Denis était un traître, que j’ai écrit ces livres. Chacun de mes romans est né d’une blessure. Mais aucun n’est autobiographique. Ces textes ne sont pas faits pour « raconter » les expériences vécues sur le terrain mais pour rendre compte de désarrois intimes. La fiction permet de me réapproprier le « Je », un pronom très personnel interdit au reporter. Même si ce « Je » est celui d’Antoine, de Georges ou d’Emile.

un mot. Je n’ai jamais eu l’impression d’être reporter en Irlande. Au Liban, en Irak, partout ailleurs, oui. Mais en Irlande, j’étais simplement chez moi. Ces amis étaient prisonniers lorsque nous étions jeunes. Certains sont aujourd’hui ministres ou maires de ville. Ils œuvrent – aujourd’hui pacifiquement – pour une seule Irlande de 32 comtés. Et ce n’est pas une soit disant « Real Ira » qui bouleversera leur agenda. Ou qui me dictera le mien.

Vos premiers grands reportages comme deux de vos livres portent sur le conflit en Irlande du Nord. Pourquoi ce choix de spécialisation sur le conflit irlandais ? Ce n’est pas une « spécialisation » mais un coup de cœur. Ma seconde vie. L’Irlande, son peuple et son combat font partie de mon intimité, pas d’un quelconque choix journalistique.

L’engagement occupe une grande place dans vos écrits. Est-ce parce que la notion de combat est omniprésente dans votre carrière que vous avez décidé de travailler pour le Canard Enchainé ? J’ai 63 ans. Mes colères sont intactes. Combat contre le mépris, la haine des différences et la violence sociale. Je suis un chien des rues, pas un enfant qui offre des fleurs aux fusils. Depuis l’adolescence, la violence politique fait partie de ma géographie. Guerre à mort contre le racisme et l’antisémitisme. Jusqu’à mon dernier jour, je ferai en sorte que la peur change de camp. Au « Canard », après 34 ans passé dans un journal où je n’avais plus de place, j’apprends que l’humour et la légèreté sont des armes redoutables au service de la rigueur journalistique. Grâce au palmipède, mon arsenal humain s’embellit. Je suis fier d’être de cette liberté centenaire.

Par la suite, vous avez couvert les conflits au Liban, entre l'Iran et l'Irak, ou encore en Afghanistan. Qu'est-ce qui vous a poussé à voyager de conflit en conflit ? Un reporter de guerre va à la guerre. Mais pas seulement. Entre deux conflits, je travaillais sur des grèves ouvrières, Les mineurs du Yorkshire, la catastrophe de Bophal, l’esclavage en Mauritanie, les marins pêcheurs, la justice, les faits-divers les plus minuscules. Chaque fois que je cherchais à comprendre, je devais aller sur place, persuadé que le terrain ne mentait pas.

Y-a-t-il des conflits ou des endroits du monde que vous auriez voulu ou que vous désireriez encore couvrir? J’irai jusqu’en enfer, pour tenter de comprendre de quoi l’enfer est fait. Et le raconter. ■

Le voyage est-il encore pour vous associé aux violences et aux tragédies de la guerre ? J’ai eu beaucoup de mal à voyager pour « rien ». Mais je me soigne.

Depuis 1990, le festival Étonnants Voyageurs réunit chaque année à Saint-Malo 250 écrivains, cinéastes, photographes, musiciens du monde entier. Avec ses 60 000 visiteurs, il est devenu le plus important festival du livre de France. De Bamako à Port-au-Prince, de Brazzaville à Rabat-Salé… le festival voyage à travers le monde. Un formidable laboratoire, Michel Le Bris à la barre, où découvrir et penser le monde qui vient.

Au titre d’ancien reporter de guerre, peut-on s’imaginer retourner sur les lieux de ses reportages plusieurs années après ? Envisagez-vous de retourner en Irlande, surtout au vu de la récente actualité avec l’émergence d’une « nouvelle IRA » ? Ou ailleurs, maintenant que vous n'êtes plus reporter ? Le journalisme n’a rien à voir avec mon attachement pour ce pays. J’y vais pour y voir mes amis et sans écrire

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Insolite >

Décloîtrés N°6

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Valentin Rocheteau

♣Royaume-Uni

Échec & Droite

« Celui qui est lassé de Londres, l’est de la vie, car Londres a tout ce que la vie peut offrir », disait le Dr Samuel Johnson. Oui, Londres est une ville bien curieuse et chaque week-end, elle me donne l’occasion d’en faire le constat. Ce samedi 28 novembre, je jette ainsi mon dévolu sur York Hall, mythique salle de Londres située à deux pas de la station Bethnal Green, réputée être le palais du noble art.

quelques milliers de licenciés à travers le monde, surtout en Allemagne, Royaume-Uni, Hollande et Russie.

Mais, ce soir, ce n’est pas un combat de boxe comme les autres que je viens voir. Pas de show à l’américaine, de places à 800 $, de bookmakers aux quatre coins de la salle… pas non plus de ceintures serties de diamants ou de projecteurs illuminant l’entrée des combattants. Non ici c’est plutôt pompoms un peu grassouillettes, arbitre rastarockets, boxeurs parfois en pré-retraite avec l’embonpoint qui va avec - et surtout au milieu du ring… un jeu d’échec ! Bienvenue au London Chessboxing Evening ! Le principe : 11 rounds, 4 minutes d’échecs puis 3 minutes de boxe, victoire par KO ou par échec et mat (c’est du blitz, 12 minutes max par joueur). Révélée par le dessinateur français Enki Bilal dans son album Froid Equateur en 1992, cette idée saugrenue de mêler ces deux activités qu’on aurait plutôt l’habitude d’opposer, serait née à Londres à la fin des années 70, de l’imagination fertile de deux frangins, James et Stuart Robinson, qui ont un jour décidé de s’asseoir autour d’un jeu d’échecs entre deux beignes. Aujourd’hui, ce sport a 12 ans et compte 57

Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’on est rapidement séduit. Les entrées rock’n’roll des athlètes, c’était déjà sympa, mais lorsque la cloche retentit, tout le monde est véritablement absorbé par les premiers mouvements de pièces, visibles sur écran géant et commentés en direct live par le speaker. Ennuyeux de mater une partie d’échecs ? Pas le temps de se poser la question, les joueurs enchaînent les coups à vitesse grand V, jusqu’au gong que l’on n’a pas eu le temps de voir arriver. C’est alors que les chessboxers enfilent leurs gants pour en découdre sur le ring. Là, l’intensité monte d’un cran. Les sautillements, le souffle saccadé, les droites, crochets, uppercuts, rien n’échappe aux 1 000 spectateurs amassés tout autour du ring. Et après quelques mandales encaissées, il devient plus difficile de briller sur l’échiquier.

Du rythme, du suspens et de l’amour Quatre rencontres sont à l’affiche et toutes se sont révélées excitantes. D’abord, on a eu le match décomplexant des boxeurs qui ont du bide. Le sosie de Cyril Eldin domine sereinement et avec nonchalance la boxe mais son adversaire fantasque lui résiste et triomphe par échec et mat dès le cinquième round. Le second match oppose le gigantesque Crazy Arms à « Yogi », affublé de son kilt. Mais l’Ecossais ne fait pas le poids et prend une rouste dans le quatrième round. Sonné mais pas encore K.O., il se relève avant de couler aux échecs au cinquième round et de jeter l’éponge, incapable d’affronter à nouveau la furie du vétéran de la compétition. Le troisième match offre le combat le plus spectaculaire entre Roberts, sosie officiel de Hitman, trapu et carré, et Sean Mooney, l’armoire à glace de la soirée. D’abord équilibré, le match bascule au quatrième round


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lorsque Mooney assène plusieurs coups virulents dans la caboche de Roberts, qui se relève sonné mais surtout le nez ensanglanté. Le match est interrompu le temps que la paroi nasale du blessé se résorbe, mais avec force et honneur, Hitman fait son come-back. Néanmoins, le Roi de Roberts est isolé et piégé dans le neuvième round et la situation est inextricable. C’est alors que le public scande « Boxe, Boxe, Boxe ». D’un coup d’œil complice, Mooney qui sait sa victoire acquise sur l’échiquier, ne se défile pas et accepte de laisser son adversaire lui disputer la victoire à la boxe, d’homme à homme. Mais, malgré une lutte acharnée et quelques escarmouches inspirées de part et d’autre, les deux boxeurs se neutralisent dans ce dizième round et Mooney scelle sa victoire aux échecs dans la manche finale. Enfin, le dernier combat est dominé en cinq rounds par l’Arménien Agasaryan, « The Beast of Peace », plus vif à la boxe et plus tranchant aux échecs. Son adversaire qui le dominait pourtant de 10 kg (certes pas que du muscle) ne lui en tient pas rancune, et le félicite avec un gros câlin et un tendre baiser. Parce que c’est ça aussi le Chessboxing, du fair-play et de l’amour ! Finalement, mêler le « brain & brawn » (cerveau et muscle), comme ils disent ici, s’avère être une brillante idée. Pourtant ni amateur de boxe, ni adepte des échecs, je repars conquis par ce sport passionnant qui allie force physique, mentale et cérébrale. Mais par-dessus tout, le Chessboxing ne se prend pas pour ce qu’il n’est pas et n’a pas d’autre ambition que de donner du spectacle au public. Pas de gloire, d’argent ou de haine, le Chessboxing nous ramène à l’essence du sport : le plaisir de jouer. Alors à quelle heure la première soirée Chessboxing du BDS* ? ■ *Bureau Des Sports de Sciences Po Rennes

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Clémence Landeau

♣Allemagne

Végé

tarisme tali s me

à l'allemande

Voyager : Découvrir de nouvelles matières, des coupes de cheveux, des marques de vêtements, des codes sociaux, un autre état d'esprit. Se laisser surprendre par des mets épicés, sucrés ou délicats en bouche. Questionner son propre rapport au monde. À l’étranger, les nouveautés se déploient à chaque coin de rue, dans des manières de se tenir, d’entrer dans une maison et d’enlever automatiquement ses chaussures, d’apprendre à se connaître et de... Manger.

extension dans un pays généralement jugé comme celui de la charcuterie et de la bière. Les magasins vegans (Goodies, Loveco, Veganz…) pour l’alimentation ou l’habillement ne se localisent pas en centre-ville. Ils existent, néanmoins, et sont parsemés dans divers quartiers de Berlin. Ils proposent des brunchs ou des cours de cuisine vegan pour que se rencontrent des communautés d’intérêts et de valeurs communes. Des wraps, des fallafels de légumes, des smoothies de fruits et légumes frais, mais aussi des bagel au tofu ou au seitan grillé, des cheesecakes vegans ou des desserts « raw » [crus] s'étalent sur le comptoir. De quoi laisser une alternative vegan, en matière de consommation, pour tous ceux qui souhaitent appliquer leurs valeurs dans leur vie quotidienne. Le principe de base du véganisme n’est pas seulement applicable dans l’assiette, c’est une éthique de vie : affirmer que tous les êtres vivants disposent des mêmes droits, y compris celui de vivre librement. Que le spécisme*, devenu presque invisible dans la société contemporaine, doit être abandonné. Que l’on peut tous vivre sans exploiter un autre être vivant. Dès lors, le véganisme pose des questions éthiques quant à nos relations aux animaux, à la nature, mais aussi à notre mode de consommation et notre modèle de société. Des spécificités qui ne sont donc pas seulement laissées aux restaurants. Des magazines (Vegan Magazin, Noveaux), des rencontres et des foires font également connaître davantage le mouvement, les principes, les applications, les alternatives.

En Allemagne, le végétarisme et le végétalisme sont bien plus répandus qu’en France. Une particularité allemande (ou française peut-être, de ne pas proposer « suffisamment » de produits appartenant à cette catégorie) qui tient sans nul doute à un héritage romantique et une relation particulière avec la nature. Une occasion pour s’initier à une alimentation, un mode de penser et un autre mode de vie. Alors que dans l’Hexagone, le végétarisme commence à faire parler de lui de manière conséquente, mais que le végétalisme et le véganisme restent perçus comme des tendances « extrêmes ». Le végétarisme est quelquefois une « première étape », qui en amène ensuite certains à devenir végétaliens (ne plus consommer de produits d’origine animale dans leur alimentation), voire vegan (ne plus consommer aucun produit d’origine animale, que ce soit dans l’alimentation ou dans l’habillement, l’ameublement, la cosmétique…). Une minorité, mais une minorité en

*Considération morale supérieure que les humains accordent à leur espèce, au détriment des animaux.

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à la réappropriation du savoir-faire (en plus du savoirvivre et du savoir-être), du travail des mains, en cuisine, dans l’atelier, dans la chambre. Satisfaire son estomac de manière éthique, certes, mais aussi consommer éthique, plus généralement. Revenue en France pour les vacances de Noël, je regrette simplement de ne pas voir davantage de produits vegans sur les étals. Non pas seulement pour une question de préférence alimentaire, mais aussi et surtout parce que ces produits préfèrent la qualité et l’éthique au consumérisme, qu’ils sont durables et respectueux de notre environnement, qu’ils affirment la tolérance et même l’acceptation de la différence.

Début novembre, la foire vegan de Berlin (« Berlin Vegan Messe »), constitue une fenêtre ouverte à la curiosité des visiteurs souhaitant s'initier à des produits alternatifs à ceux qui contiennent des éléments d'origine animale. Entre les boules d’énergie, les graines de chia, les yaourts glacés au lait de riz, les raviolis et autres pâtes fraîches vegans, le stand des plats vegans préparés et livrables au bureau, les variétés de viandesans-viande et de poudre pour remplacer les œufs, l’eau de coco, le chocolat vegan et les snacks à base de pomme ou de quinoa… La cuisine vegan mène une opération séduction digne de ce nom, combattant l’idée reçue qu’elle serait ennuyeuse et tout juste passable. On y trouve aussi des produits décoratifs et pragmatiques : des sacs équitables, des bougies à la cire de soja, une crème de jour composée de produits naturels biologiques et fabriquée en Allemagne... Mais aussi des workshops, pour apprendre à fabriquer son sac à partir de matériaux recyclés : cette tendance recyclés incite

De même, les restaurants ou magasins italiens, chinois, népalais ou russes, pour des citoyens issus d’une origine différente du pays dans lequel ils vivent, proposent une offre adaptée à leurs goûts. Des idées de cadeaux originales et responsables, une manière de contribuer, à son niveau, à la préservation de notre planète et une touche d’« exotisme de tous les jours ». Enfin, une offre qui concerne toute la société, qu’elle soit vegan ou non ! Où que l'on soit, ailleurs que dans son pays d'origine, la curiosité nous tient et nous guide vers les découvertes. Il faut nourrir cette curiosité, l’entretenir et la partager, c’est ce qui nous enrichit, nous permet de comprendre l’autre, d’apprécier la richesse d’une culture qui nous était méconnue. C’est ce qui nous rend plus humain et nous rapproche les uns des autres : ces différences, minimes ou majeures, n’expriment que d’autres manières de (sur)vivre et de penser. C’est ce qui nous construit et fait notre originalité, à chacun.

© Katel Andréani

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Le marché vert de Friedrichshain, organisé en décembre, est rempli de stands d’associations luttant pour les droits des animaux, de magasins proposant leur dernière collection épurée et éthique, de créateurs décorant des pavés de mosaïque, de vendeurs de cartes anciennes du monde et de planches, comme celles de nos murs d’école (avec les dinosaures, les insectes ou les champignons du monde).

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© Katel Andréani

Habitant Berlin depuis deux mois, et ayant auparavant résidé deux mois à Bonn, je tente de saisir cette chance, moi aussi, dès que l’occasion se présente. Une visite au Bundestag, une promenade le long du Mur de Berlin, des kilomètres de car le week-end pour se rendre à Trèves, Francfort ou Cologne, des entrées pour l’un ou l’autre des musées d’histoire de la capitale allemande, une immersion dans Kreuzberg et ses quartiers « alternatifs »… Mais aussi un passage parmi les marchés de Noël typiquement allemands, au cinéma, dans les magasins alimentaires, les lieux de la vie quotidienne, et toutes les observations qui fusent : « Il n’y a pas beaucoup de cinémas d’art et d’essais ici », « Ah oui ? Les animaux sont autorisés dans les transports en commun ? », « Interdiction de donner à manger aux oiseaux dans les gares », « Un lycéen du Brandebourg et un lycéen de Bavière n’ont pas forcément les mêmes programmes scolaires », « Difficile de payer en carte bleue dans une partie des commerces de centre-ville ». Risqué et compliqué, néanmoins, de trop généraliser, au risque d'homogénéiser une société par définition multiculturelle et riche de diversité. ■

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Julie Mercier

♣Chili

Crever la bUlle

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Erasmus Avant de partir au Chili, j’avais une vague idée de ce qu’était une année à l’étranger, de par ce que mes amis m’avaient raconté et à travers les images de « l’Auberge Espagnole », ce film de Cédric Klapisch, où l’on suit les pérégrinations de Xavier (alias Romain Duris) qui découvre la colocation à Barcelone lors de son année Erasmus. Au Chili, l’auberge espagnole, je suis bel et bien tombée dessus. Un peu comme dans le film, l’ambiance est délirante. De la musique toute la journée, du reggaeton aux tubes espagnols. Des crises de rire à n’en plus finir. Des enquêtes pour démasquer le voleur de spaghettis et des guerres internes pour ce qui est de la vaisselle ou du rangement du frigo. Bref, la vie en communauté. C’est une des meilleures expériences que j’ai vécues jusqu’ici. Mais elle a aussi un côté méconnu dont je voulais parler ici. J’habite dans une maison patrimoniale immense, dans le centre de Valparaíso, avec 15 autres étudiants : 5 Français, 7 Espagnols, 2 Allemandes et 1 Chilien. Alors que tous les étudiants de la maison sont en échange universitaire, j’ai choisi de réaliser un stage. Et je crois bien que c’est grâce à ça que je peux écrire cet article aujourd’hui. Car cela m’a permis de prendre du recul et de m’interroger sur ce que signifie vraiment découvrir un pays étranger quand on part y vivre quelques mois.

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Le déclic est venu le jour où mon maître de stage m’a dit : « Tu vas voir, la vie ici est très agréable, dans ce petit monde des étudiants étrangers. Mais tu vas très vite te rendre compte que c’est comme une bulle en dehors des réalités du pays ». Et j’ai ouvert les yeux. Je me suis rendue compte, en effet, que la plupart de mes colocs ne connaissaient pas de Chiliens, ou si peu. On reste dans sa zone de confort, on voyage et on fait la fête presque uniquement entre étudiants en échange universitaire. Finalement, si on reste dans cette bulle dans laquelle il est si facile de rentrer, on est très peu sensibilisé aux réalités du pays dans lequel on vit. Je pense à la question de l’avortement, interdit au Chili, et qui fait qu’un nombre important d’étudiantes doivent gérer simultanément leurs études et un enfant. Je pense aussi au poids - que je trouve encore si présent - des années de dictature sur la société. Ce n’est pas un sujet dont on parle avec quelqu’un qu’on connaît à

peine. Mais quand on apprend à connaître les Chiliens, les langues se délient peu à peu. Car le Chili, en l’occurrence, c’est aussi ça. Et je pense qu’on perd quelque chose en restant hors de ces réalités.

Les Mil Tambores, ce « joyeux désordre » Au début du mois d’octobre, à Valparaíso a lieu le carnaval des Mil Tambores (des Mille Tambours). Des festivités tout le week-end, partout dans la ville, et qui se terminent le dimanche par un défilé de percussionnistes et de danseurs le long de la mer. Pour la plupart des gens qui voient ça de l’extérieur, en tant qu’étrangers, les Mil Tambores ça ressemble à ça. Des costumes incroyables. Des couleurs. Des musiques. La fête dans les rues. Mais en sortant du petit monde des étudiants et en échangeant avec les habitants de Valparaíso, l’émerveillement initial retombe. En effet, pour beaucoup, c‘est une manifestation qui transforme la ville en poubelle et qui voit arriver, le temps d’un week-end, son lot de dérives liées à l’alcool. Pour eux, c’est devenu un «joyeux désordre » qui a beaucoup perdu de sa dimension identitaire et culturelle, tant la débauche a pris le dessus. Un exemple : la plage, envahie le temps d’un week-end, qui sera laissée pleine de détritus une fois les festivités terminées.

© Julie Mercier

Loin de moi la volonté de faire culpabiliser qui que ce soit, ou de caricaturer en disant que tous les étudiants étrangers sont des ignorants sectaires qui restent entre

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eux et se fichent pas mal du pays dans lequel ils sont. Je sais que ça dépend de la personnalité et des motivations qu’on a en partant en voyage, de la société dans laquelle on essaie de s’intégrer. Je sais aussi qu’il y a quelque chose de rassurant dans le fait de rester entre Européens à l’autre bout du monde, où tout est différent. Il y a certains jours plus difficiles - pas la majorité heureusement – où l’on subit les différences car il est impossible de se déraciner en si peu de temps. Ces jours-là, on est content de retrouver des gens qui nous ressemblent un peu. Mais les Européens ne sont pas non plus tous fait sur un même modèle, heureusement ! Et j’ai aussi énormément appris de mes colocataires européens.

Insolite >

© Julie Mercier

Cela fait un peu plus de trois mois que je suis arrivée ici. Tout n’est pas toujours rose mais en prenant du recul, il me semble qu’il se passe quelque chose de profondément enrichissant et grisant lorsque l’on décide de faire l’effort de sortir de sa zone de confort, de perdre ses repères momentanément pour se laisser aller à la rencontre de l’autre. Si vous voulez en savoir plus sur le Chili et tout ce que l’on peut y découvrir, je vous invite à aller jeter un œil au blog que j’alimente de photos et d’aventures en tout genre au minimum une fois par semaine : julieauchili. wordpress.com ■

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♣Ville, Pays

© Julie Mercier

Nom Prénom

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Décloîtrés N°6

Papill'on the road >

PAPILL' ON THE r AD

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Mathilde Wattecamp

♣Allemagne

Alhao à la brais

Un petit creux après toute cette lecture ? Les Décloîtrés ont pensé à vous ! Et si vous avez le courage de vous mettre aux fourneaux, voici un petit vrac de recettes du bout du monde. Buon’Appetito ! En tant qu’étudiante française, je suis sujette à tous les clichés autour de la gastronomie de notre pays. Cela ne me dérange pas, j’adore cuisiner ; et la magie du programme Erasmus, c’est qu’en rencontrant des Européens, on apprend autant de recettes différentes. C’est ainsi que mon ami Gonçalo, originaire de Lisbonne, m’a donné cette recette en échange de celle des crêpes bretonnes (des crêpes qui m’ont d’ailleurs permis de me faire des amis et de me mettre mes colocs dans la poche). Certes, il a dû l’adapter un peu car il ne trouvait pas d’écrevisses ici (les Allemands étant très « vegan friendly »), mais cela donne une touche d’autant plus allemande à ce plat typique portugais.

Ingrédients :

Préparation :

- Oignons - Poireaux - Olives noires - Fines herbes (Gonçalo a écrit « salsa » dans la recette, je n’ai pas la moindre idée du type d’herbes dont il s’agit) - 1 paquet de gâteaux apéritifs « frites » salées

Faites frire les oignons et les poireaux jusqu’à ce qu’ils blanchissent. Ajoutez les gâteaux apéros et les œufs brouillés, mélangez le tout. Ajoutez olives, herbes, mélangez de nouveau un peu et c’est prêt ! C’est délicieux, assez consistant, et facile à préparer (« lazy food » , ce qui plait pas mal à Gonçalo) . À servir avec du « vinho verde » très frais, un vin typique portugais fait avec des raisins pas tout à fait mûrs, qui pétille légèrement.

Les proportions en légumes et frites sont à adapter à votre goût, et on part sur la base de 2 œufs par personne.

Amour allemand ! ■

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Margot Besson

♣Costa Rica

LE

Préparation :

Mélange de riz et de frijoles (haricots noirs ou rouges), le gallo pinto constitue la base de la cuisine costaricienne. Avec un œuf au plat au petit déjeuner et des plantains frits, une salade de choux et de carottes au déjeuner, il est dans tous les restaurants et toutes les cuisines du pays ! Si le Nicaragua lui en dispute la paternité, c’est bien du Costa Rica dont il est le plat national.

Pour le riz : Dans une casserole, faire cuire les oignons et l’ail avec un peu d’huile d’olive. Ajouter le riz et remuer pendant 5 minutes. Recouvrir d’eau (1.5 volume de riz), couvrir la casserole et attendre que le riz ait tout absorbé.

Ingrédients (4 personnes environ) : - Du riz - Des haricots rouges ou noirs frais (moitié-moitié avec le riz) - De la coriandre fraîche - Des oignons, de l’ail, du sel et du poivre - De l’huile d’olive - Éventuellement une sauce piquante

Pour les haricots : Faire cuire les haricots dans une grande casserole avec du sel, du poivre et des herbes. Transvaser les haricots dans une poêle avec leur jus et un peu d’huile d’olive. Ajouter le riz. Mélanger jusqu’à ce que l’excédent d’humidité s’évapore. Ajouter la coriandre fraîche, l’âme de votre plat Finir d’assaisonner selon les goûts.

C’est prêt ! ■

© Melinda Banks

Papill' on the road >

Gallo-Pinto

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Juliette Le Ruyet

lES

Pa

♣Canada

ncakeS

CanadIenne à la

Préparation :

Recette des pancakes, un incontournable au Canada mais avec une petite variante.

Prévoir 1 h de repos (facultatif).

Ingrédients (4 personnes environ) :

Mettez la farine, la levure et le sucre dans un saladier. Rajoutez ensuite les œufs entiers et mélangez.

- 250 g de farine - 30 g de sucre - 2 œufs - 1 sachet de levure - 65 g de beurre - 1 pincée de sel - 30 cl de lait - une banane et/ou des framboises

Ajoutez ensuite le beurre que vous aurez préalablement fait fondre, puis délayez progressivement le mélange avec le lait afin d'éviter les grumeaux. Laissez reposer au minimum 1h au réfrigérateur (facultatif).

© Ryo Katsuma

Faîtes cuire comme des crêpes, mais en les faisant plus petites et plus épaisses. Rajoutez à la pâte des morceaux de banane et/ou de framboise. Mangez le tout avec un peu de sirop d'érable ! ■

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HélÉnA Tataruch

♣Espagne

Crêpes Lasagnes

Préparation :

À défaut d’une recette andalouse, une recette erasmus qui célèbre l’entente entre les peuples et l’amour de la boustifaille, j’ai nommé les crêpes/lasagnes !

Pour la pâte à crêpes, mélanger la farine, le lait, trois oeufs et du sel. Il ne reste plus qu’à touiller, en évitant les grumeaux, puis étaler la pâte dans une poêle beurrée au demi-sel, bien entendu.

Ingrédients : - 250 g de farine (de blé, blanche, mais n’hésitez pas à laisser libre cours à votre imagination, tentez la farine de sarrasin, de châtaigne, de pois chiche…) - 1/2 litre de lait - 5 œufs - Épinards - 400 g de Ricotta - Sel et poivre - 1 ou 2 oeufs - Tomate pelée/sauce tomate - Oignon, ail, huile d’olive

Puis, de nos belles crêpes, nous allons remplir le ventre avec les épinards, la ricotta, deux oeufs, du sel et du poivre. Mélanger avec gaieté, jusqu’à l’obtention d’une belle mixture verdâtre. L’étaler ensuite sur la crêpe, puis en faire de dodus rouleaux. Les disposer dans le plat. Pour la sauce, faire revenir dans une poêle la tomate pelée/sauce tomate et les oignons, l'ail et l'huile d'olive. Renverser le joyeux mélange sur les crêpes, et amener le fromage (un artifice de mozarella et de parmesan !!) Laisser cuire environ 40 minutes au four, à 200 degrés. En bref, une étreinte culinaire entre la Bretagne et l’Italie, qui, je l’espère, déposera de chauds baisers sur vos panses creuses. ■

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© Frédérique Voisin-Demery

Papill' on the road >

Rencontre des cuisines bretonnes et italiennes


Clémence Landeau

♣Allemagne

Les Zimt Schnecken

Les Zimt Schnecken sont des brioches à la cannelle et au sucre, proposées dans de nombreuses boulangeries allemandes. On les appelle aussi « Kanelbullar » (ou « Kanelbulle ») en Suède, où elles sont très répandues et populaires, servies à l’heure du thé à côté de la tasse. Déclinées avec plus ou moins de sucre, de cannelle, proposées simples ou sous forme de variantes (avec des éclats de noisettes, des fruits secs…), nous vous livrons aujourd’hui la recette classique, à adapter selon les goûts et le degré de gourmandise !

Préparation :

Ingrédients :

Préparer la garniture : faire fondre le beurre dans une casserole, ajouter la cassonade et la cannelle. Mélanger tout en évitant de faire noircir le beurre, ou de caraméliser le sucre. La « garniture » est prête. L’étaler de manière homogène sur toute la pâte, puis découper dans la pâte des lamelles de largeur égales, qui seront roulées pour former des « escargots ». Déposer ces escargots à plats sur une plaque et les laisser lever au minimum une heure. Il est possible de dorer les brioches avec un pinceau trempé dans un jaune d’œuf, puis de saupoudrer les brioches de cassonade. Enfourner pour environ 10 min de cuisson à 200°C. Les brioches sont cuites quand elles sont dorées et gonflées. ■

Diluer la levure dans le lait tiède (pas chaud ; sinon il annule l'effet de la levure), puis ajouter le beurre fondu. Mélanger et ajouter les autres ingrédients nécessaires à la réalisation de la pâte. Mélanger le tout, et pétrir 15 min (ne pas hésiter à ajouter un peu de farine dans la préparation si la pâte colle aux doigts). Couvrir avec un torchon et laisser reposer 1h. Étirer la pâte (5 mm d'épaisseur).

Pour la pâte : - 700 g de farine - 100 g de sucre - 100 g de beurre - 30cl de lait (ou de lait végétal) - 30 g de levure boulangère fraîche - Une cuillère à soupe de cannelle en poudre - Une pincée de sel - 1 oeuf

© Shutterstock

Pour la garniture : - 70 g de beurre fondu - 3 cuillères à soupe de cassonade - 2 cuillères à soupe de cannelle en poudre - Un jaune d'œuf

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Décloîtrés N°6

Dernière escale avant l’inconnu ! Sept ans déjà que les Décloîtrés ont pointé le bout de leur nez ! Les années passent, les voyages défilent et seul reste le mythe fondateur de cette belle aventure. On dit que c’est quelque part entre le Canada et la Thaïlande que les Décloîtrés furent conçus, dans les échanges passionnés de Manon et Virginie, toutes deux exploratrices, toutes deux parties de l’IEP de Rennes. Et voilà que le 30 octobre 2009, les Décloîtrés passent du rêve à la réalité, et qu’apparaît un nouveau spécimen, un premier numéro plein de témoignages étonnants, de photos épatantes et de récits enjoués. Ce sont désormais les éléments phares de notre magazine qui rassemble les articles des étudiants de Sciences Po Rennes expatriés à travers le monde entier.

Juliette Le Ruyet

Planisphère >

Aussi, les Décloîtrés se font ils chaque année les tribuns du voyage, les pèlerins des mots, et ouvrent leurs pages aux premières impressions, aux premiers ressentis, aux découvertes les plus extravagantes et au dépaysement garanti.

Marion Prudhomme

Sept ans plus tard, vos fidèles voyageurs n’ont pas chômé. Douze numéros sont déjà parus sur internet et cinq sur le papier. Des milliers d’exemplaires ont été distribués et un site internet entièrement rénové recueille histoires inédites et curieux clichés.

Margot Besson Valentin Asselain

Mais si les Décloîtrés courent toujours le monde, c’est aussi grâce à des globetrotteurs motivés, une équipe rennaise aguerrie et des partenaires de confiance, un joyeux cocktail sans lequel notre magazine ne serait pas le bel objet que vous tenez.

Justine Carnec

Merci à eux et bonne lecture à tous !

Adrien Mével

Chloé Mecqinion Maxence Dubar

où sont les Décloîtrés ? 72

Julie Mercier


Marie Le Mée Erwan Mingant & Valentin Rocheteau

Mathilde Wattecamp Clémence Landeau Adèle Jaffredo Romain Mangattale Carl Daunar Jérôme Cardinal

Héléna Tataruch

Sophie Verdon & Alice Cléry

Chloé Quintin

Des rédacteurs en chef à l’étranger

Richard Louvet, atelier Wunderbar / Suivi pédagogique et technique Patrice Guinche / Conseil & Suivi pédagogique © Clarisse Guillochon et Camille Le Treust / Graphisme, typographie et illustrations © Fanny Quilleré & Carmina Ricou / L’oiseau Décloîtrés © Chloé Mecquinion / Photo de couverture © Association Décloîtrés & ses auteurs, 2016, 104 Boulevard de la Duchesse Anne 35500 Rennes / Textes et images (sauf mention contraire)

Chloé Mecqinion & Maxence Dubar Envoyés spéciaux en Argentine

Une équipe rennaise Thomas Moysan / Directeur de publication Julie Gobillot / Responsable de publication Katel Andréani / Responsable distribution & communication Roxane Grolleau / Chargée des partenariats Florie Cotenceau / Responsable journalisme Auriane Loizeau / Secrétaire de rédaction Alexandre Junier / Trésorier et responsable commercial Jules Laguilhaumie / Webmaster Vincent Jacquet / Community Manager

ISSN : 2116-6056 - Imprimé en France Achevé d'imprimé sur les presses de l'imprimerie Cloître, Avril 2016

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www.decloitres.fr >

Décloîtrés, c'est aussi une radio, douze numéros inédits accessibles en ligne, des photos des quatre coins du mondE, et plus encore !

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Laïque et indépendante, la Ligue de l’enseignement en Ille-et-Vilaine accueille une centaine de jeunes âgés de 16 à 25 sur des missions d’intérêt général. Ils agissent au quotidien pour faire vivre la citoyenneté. Collaborer avec la Ligue, c’est se reconnaître et partager un projet d’éducation populaire qui repose sur des valeurs fortes : le vivre ensemble et le respect de l’autre. La Ligue de l’enseignement d’Ille-et-Vilaine 45, rue du Capitaine Maignan - 35000 RENNES 02 99 67 10 67 - fede35@ligue35.org


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