LE MAGAZINE DES BLOGTROTTEURS DE SCIENCES PO RENNES
Crédit photo : Paul Rubion
SAISON 4 • NUMÉRO 9
AYACUCHO BY NIGHT
1001 & NUITS AU CAIRE
PORTFOLIO : COLOMBIE AU DELÀ DES PRÉJUGÉS
LA NUIT
LES PIEDS DANS LE SABLE, LA TÊTE DANS LES ÉTOILES
CHICAGO, CAPITALE DÉMOCRATE
Edito
Ca y est, on y est de l´autre côté de la mappemonde ! Cer-
tains depuis quelques semaines seulement, d’autres depuis plusieurs mois déjà… Mais on se souvient tous du départ : de notre peur de rien, de notre regard fixé vers ces nouvelles contrées, le front fier, mais le dos plié par les bagages, du débarquement, de la valise posée dans un coin, du guide de voyage glissé sous le bras pour les débuts. Si nos premiers pas nous ont souvent amené à nous fondre dans le cliché du touriste, nous savons que petit à petit, nous apprivoisons un pays qui sera le nôtre pour un an... On commence par s´approprier les lieux, par s´acclimater. Et bien vite, au hasard d´une rencontre ou poussé par la curiosité, on décide d´aller découvrir l´envers du décor et de s´aventurer au coeur de la nuit étrangère. Les rares repères que l´on avait, les rues, les gens, les bruits, prennent alors une nouvelle dimension. Inquiétante, festive, magique, la nuit, c´est l´autre visage du voyage. Nos journalistes baroudeurs vous invitent à découvrir ce côté sombre de la planète : des fêtes du Pérou à l’étrange nuit kéralaise en Inde, d´une nuit enchanteresse qui redonne à Prague son vrai visage, aux Mille et Une nuits du Caire ou à la nuit aux mille visages de Shanghai, avant de terminer, au petit jour, par la rencontre avec un astronome qui nous livre sa vision poétique des longues nuits passées en compagnie des étoiles. Vous pourrez également retrouver les rubriques classiques du magazine et découvrir ainsi les villes de San Fransisco ou Valparaiso, le climat politique argentin et américain et bien sûr de l´insolite, des recettes, et le portfolio, toujours haut en couleurs! A l’occasion de ce premier édito de l’année 2012-2013, nous voulons souligner notre joie de voir des numéros en ligne qui rencontrent de plus en plus de succès, et d’entendre votre satisfaction face aux numéros papiers. Nous sommes aussi très fiers de pouvoir désormais être écoutés partout dans le monde grâce à la Radio Décloîtrés et comptons sur vous pour prendre part à ce projet que nous voulons participatif ! Mine de rien, les Décloitrés existent depuis 4 ans déjà. 4 générations d’étudiants rennais qui partagent aventures, témoignages et interviews venues des 4 coins du globe. Nos remerciements les plus sincères vont de ce fait à nos journalistes expatriés qui répondent présents, cette année encore, lorsqu’il s’agit de faire partager leur expérience ! L’équipe entière des Décloitrés se joint à nous pour vous souhaiter une très bonne lecture!
Pour l ’équipe, Marie Tarsiguel et Jean-Baptiste Derouault
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UNE VILLE BOHÈME ?
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LA NUIT À AYACUCHO
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LES PIEDS DANS LE SABLE, LA TÊTE DANS LES ÉTOILES
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LES DEUX VISAGES DE PRAGUE
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L’ÉTRANGE NUIT DU KÉRALA
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SHANGHAÏ, ENTRE OMBRES ET LUMIÈRES
par Brice Didier à San Francisco (Etats-Unis)
par Paul Rubion à Ayacucho (Pérou)
MILLE ET UNE NUITS AU CAIRE par Céline Dilasser au Caire (Egypte)
par Marie Tarsiguel à Mendoza (Argentine)
par Simon Gouget à Prague (République Tchèque)
par Jean-Baptiste Derouault à Kottayam (Inde)
par Anaël Quéau à Shanghaï (Chine)
SOMMAIRE
LES FACADES DE MA VILLE
par Stéphane Rogue, à Valparaiso (Chili)
PORTFOLIO : AU DELÀ DES PRÉJUGÉS
par Lucile Fontaine, à Bogota (Colombie)
CHICAGO, CAPITALE DÉMOCRATE
par Camille Bortolini, à Chcago (Etats-Unis)
CRISTINA, JE T’AIME MOI NON PLUS
par Maïwenn Bordron, à La Plata (Argentine)
KARAOKÉ : UNE NUIT EN ENFER par Glenn Beugnot, à Arica (Chili)
CUISINE : HAGGIS VÉGÉTARIEN & KARJALANPIIRAKKA par Alice Picard & Aurélia Boscher, à Edimbourg (Ecosse) & Türkü (Finlande)
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Vis i j a l c ma p ville ! Famousbuildn
Par Brice Didier à San Francisco (Etats-Unis)
On a souvent lu qu'il n'existait aux États-Unis que trois villes dignes de ce nom : New York, la Nouvelle Orléans, et San Francisco. C'est un contact continuel et direct avec le monde qui a contribué à faire de cette dernière une capitale du cosmopolitisme moderne. Fière de son libre éclectisme, de la saveur internationale de sa cuisine et des rythmes de sa musique, San Francisco a toujours été l'ultime destination des téméraires y cherchant or et fortune, ou encore une nouvelle vie de l'autre côté du continent américain.
UNE VILLE « BOHÈME » ? San Francisco est bien la capitale américaine de la tolérance. C'est là que la Charte des Nations Unies fut rédigée, une ville dont les Beatniks avaient fait leur siège, où les Black Panthers ont écrit leur programme, une ville connue aujourd'hui comme haut lieu de l'émancipation sexuelle. Ce sont
là autant de mouvements qui ont pris leur essor à San Francisco et nulle part ailleurs. Pour en retrouver une trace plus visible, il m'a fallu m'éloigner de Downtown (le centre-ville).
qu'Harvey Milk s'est fait élire au Conseil Municipal et a contribué à la reconnaissance de la communauté gay. Aujourd'hui encore promenez-vous dans ses rues et vous découvrez un monde de tolérance et d'émancipation. MalAu Sud s'étend le quartier du Cas- gré tout, elle est telle qu'elle tend tro. Dans les années 1970, c'est là désormais davantage à la provoca-
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tion, avec notamment ses individus sans complexes dévêtus que l'on a l'occasion d'apercevoir s'il ne fait pas trop froid. Plus qu'un lieu du rejet des préjugés, Castro est une attraction pour touristes, une rue où flotte un Rainbow flag symbole non plus tant d'une identité affirmée que d'une marque de fabrique. Il en est de même à l'Ouest, où s'étendent le Golden Gate Park et le quartier de Haight-Ashbury, C'est au cœur de ce dernier, à partir des années 1950, que deux célèbres mouvements prirent racine. Les premiers furent les Beats (to beat = battre), génération abattue privée de son combat pour l'indépendance. Ces poètes et écrivains de la route autour de Jack Kerouac, Allen Ginsberg et la désormais célèbre librairie City Lights de Laurence Ferlinghetti, quittèrent pour bonne partie North
Beach une fois leur mouvement devenu mode et les loyers au NordEst devenus trop élevés pour les cœurs bohèmes. Ils s'installèrent à Haight-Ashbury, où la situation immobilière était plus clémente pour les modestes bourses. L'esprit bohème des Beats inspira les premiers Hippies, qui en prirent la relève, de même que leur tendance à la consommation de certaines substances pour le moins douteuses. Pour les noninitiés, Haight-Ashbury évoque sans timidité le flower power et les lentes marches d'individus piedsnus, cheveux longs, se tenant par la main en mimant des signes de paix précédés des volutes d'une odeur suspecte. Mais ce quartier qui fut autrefois le refuge des mentors du rock psychédélique n'est plus aujourd'hui qu'un lieu où l'on rencontre surtout des touristes et quelques nostalgiques d'une époque révolue auxquels se mêlent
sans complexe une foule de toxicomanes. Loin des paradis perdus et des illusions multicolores que l'on peut retrouver en certains lieux, San Francisco fait déchanter les plus candides. On y retrouve comme ailleurs les empreintes d'un capitalisme surplombant la foule des artistes. S'installer à San Francisco n'est pas non-plus possible pour tout le monde : longtemps troisième au rang des villes les plus chères des États-Unis, « SF » est depuis peu passée première devant New York. Il y fait bon vivre, ni trop chaud ni trop froid et pour y habiter il s'agit d'une véritable compétition. La hausse des prix des loyers, qui plus est accentuée par le coût des normes anti-sismiques, y est phénoménale, et ce malgré une densité de population qui la place au second rang américain derrière la « Grosse Pomme » new-yorkaise.
Pourtant, lorsque l'on arrive à San Francisco, ce qui nous choque le plus ce n'est pas la richesse de ses quartiers, mais bien le nombre de sans-abris qui en jonchent les rues. Je dirais qu'ils sont aussi nombreux que les limousines qui en dévalent les collines. À la vue de leur nombre affolant, le touriste déchante vite. Conduit là par la force des choses ou bien attirés par
une ville sans saison, aucun d'eux ne se cache, semblant vouloir faire de leur détresse un spectacle. Que leur reste-t-il à perdre ?
consommée en possession d'une carte délivrée par un membre de la communauté médicale. Autant dire que le contrôle y est impossible. À chaque coin de rue, ce n'est La criminalité y est relativement pas l'odeur du gaz d'échappement plus faible que dans les autres mé- des véhicules qui est venu me tittropoles américaines, pourtant San iller les narines, mais un tout autre Francisco est aussi la capitale de la parfum … consommation de marijuana et de LSD. Ici, l'herbe y est légalement
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UNE VILLE « EUROPÉENNE » ? On a un jour dit de San Francisco qu'elle était la ville la plus « européenne » des États-Unis. Le propos a semble-t-il plu, et nombreux sont ceux qui l'ont repris sans même songer un instant qu'il puisse être outrageusement loin de la réalité qui est celle de la City by the Bay (la « Ville par la Baie », surnom de San Francisco). A ceux-là je réponds sans vergogne non. La population de San Francisco est méditerranéenne mais aussi et surtout sud-américaine et asiatique. Son architecture elle-même ne se limite pas aux quartiers victoriens, elle est parsemée de temples chinois et japonais, de Taquerias (restaurants de tacos) mexicaines et d'églises de toutes les confessions. Les balcons peints de Waverly, au cœur du
Chinatown authentique, qui n'est pas la rue Grant où les touristes viennent en masse sans savoir qu’ils ne voient de Chinatown que son tiroir-caisse, contrastent avec les gratte-ciels, où siègent parmi les plus grandes banques du pays. Non, San Francisco n'est pas une ville européenne. C'est sans doute par contre la moins américaine. Elle est la grande ville la plus à l'Ouest des États-Unis (si l'on oublie l'Alaska et Hawaï). Objectif ultime pour de nombreux intrépides en quête de l'Eldorado, San Francisco est un mythe autant qu'une réalité. Loin de l'Amérique étouffante, c'est une ville « à taille humaine ». Ce n'est qu'en marchant dans ses rues et sur le flanc de ses collines que j'ai pu en découvrir
vraiment tous les charmes. Inutile de posséder une voiture lorsqu'on y habite, à l'inverse de Los Angeles, puisqu'en plus de s'étendre sur une surface relativement faible, San Francisco, avec New York, possède le réseau de transports en commun le plus développé (mais toujours rien à voir avec l'Europe) et les embouteillages y sont rares. De plus, la municipalité mène depuis longtemps une politique environnementale ambitieuse : pas d'émission carbone pour les bus, un recyclage obligatoire, une qualité de vie qu'on ne trouve dans aucune autre de ses compatriotes. A cela s'ajoute une politique de santé à l'avant-garde de ce qu'on offre ailleurs.
San Francisco est un puzzle de quartiers aux frontières instables. Tous les genres s'y mêlent. Son âme se saisit lorsque l'on boit un café à North Beach, que l'on entend une mélodie asiatique trop haut-perchée dans Chinatown,
lorsque l'on respire le parfum de Marie-Jeanne au détour des rues couvertes de verdure d'HaightAshbury, au brouhaha des bourrasques envoyées par le Pacifique à la Baie par la Golden Gate (la « Porte d'Or » qu'enjambe un cer-
tain pont) telle une déclaration d'amour. Un vent de liberté y souffle plus qu'ailleurs. La ville respire, elle a une âme qui charme ceux qui en arpentent les rues. Elle n'est pas « Frisco », elle est San Francisco.
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DOSSIER
LA NUIT
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La nuit à Aya☾uCho Par Paul Rubion, à Ayacucho (Pérou)
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C’est de nuit, début Août, que je suis arrivé à Ayacucho. Difficile de décrire de façon précise la sensation qui vous envahit à ce moment-là. Vous apercevez en surplomb une immense flaque de lumière, un gigantesque amas de points lumineux s’offre à vous, vous ne pouvez y résister, vous
plongez au cœur. C’est peutêtre de nuit que l’on se rend mieux compte de l’immensité de la ville. Dès qu’on prend un peu de hauteur, on prend conscience de sa grandeur. L’imagination se met à travailler. On se représente la ville comme une gigantesque galaxie, avec ses nombreux
NUITS PRÉCISES Ici, on est en plein cœur des Andes Péruviennes mais on se croirait en Suisse. Et oui, la nuit à Ayacucho est réglée comme une horloge. Chaque matin, la nuit laisse la place au jour à 6 heures du matin et chaque soirée, la nuit reprend ses droits à 18 heures pré-
quartiers aux allures de systèmes solaires. En revanche, on plonge en plein trou noir lors des fréquentes coupures d’électricité qui paralysent la ville. C’est alors les lumières d’urgence, les lampes torches et les phares des voitures qui prennent le relais.
cises. C’est précis et c’est comme ça tous les jours. En revanche, c’est plutôt pratique lorsque l’on veut essayer de profiter d’un lever ou d’un coucher de soleil. Il suffit de partir vers 17H pour monter jusqu’en haut du mirador d’Ayacucho (après avoir affronté quelques centaines de marche et dé-
verser quelques litres de sueur) pour profiter d’un splendide coucher de soleil entre les sommets andins. Cette précision de la nuit, les habitants s’y sont habitués puisque les horaires des travailleuses et travailleuses sont fixées en fonction du lever et du coucher du soleil.
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FÊTES DE RUE Le Pérou a cela de fantastique qu’il y a dans chaque ville péruvienne quasiment une fête par jour. Celle-ci célébrant je ne sais quel saint, celle-là fêtant l’indépendance, cette autre encore fêtant les paysans. La nuit à Ayacucho est donc particulièrement animée. Les habitants sont en costumes de fête et ils dansent
en entrainant sur leurs passages tous les badauds attroupés à les regarder. Certains soirs, on a le droit aux feux d’artifice. Et, c’est là que ça se gâte parce qu’ici, au Pérou, la sécurité laisse un peu à désirer. D’immenses tours de bois situées à quelques mètres seulement des spectateurs médusés supportent des dizaines de feux d’artifices. Lorsque tout explose, il n’est pas rare de voir des feux qui partent en direction du public. D’autres fois, ce sont les fêtes religieuses
qui rassemblent la foule pendant toute une nuit de prières. En effet, la ferveur est très importante au Pérou, et encore plus à Ayacucho, la ville aux 36 églises. Des milliers de bougies illuminent alors la Place des Armes qui prend tout à coup un air très solennel et mystique. Au final, la nuit à Ayacucho, c’est véritablement un festival de lumières.
Par CĂŠline Dilasser au Caire (Egypte)
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Crédit : Serge Brunier/ ESO
Les pieds dans le sable La tête dans les étoiles Par Marie Tarsiguel à Mendoza (Argentine)
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Henri Boffin, astronome belge, appartient à la communauté internationale des scientifiques de l’ESO, l’Observatoire Européen Austral. Il est actuellement en poste à l´observatoire du Very Large Telescope (VLT), à Paranal au Chili. Cette structure, qui est l´un des outils d´observation du ciel les plus sophistiqués du monde à l’heure actuelle, est située à 2600 m d´altitude, au cœur du désert d´Atacama. Puisque la nuit est son domaine et son objet d´étude, nous avons voulu poser quelques questions à notre astronome expatrié.
L’Observatoire du Paranal et, au loin, le volcan Llullaillaco. Crédit : ESO/G.Hüdepohl
Pour commencer, pouvez-vous nous raconter ce qui vous a poussé à devenir astronome et à passer le plus clair de votre temps plongé dans la lecture du ciel ? J’ai voulu être astronome depuis que j’ai 12 ans. Pourtant vivant à Bruxelles, je ne peux pas dire que j’ai eu la chance de voir de splendides ciels étoilés. Mais par l’entremise d’un professeur à l’école, j’ai découvert l’astronomie, et je n’ai eu de cesse de vouloir en faire mon métier. Essayer de comprendre à distance des objets essentiellement inatteignables, se demander surtout le pourquoi de tout cela, et comment tout a commencé, n’est ce pas fascinant ? En effet, astronome, ça fait rêver ! Mais quelles sont concrètement vos conditions de travail ? A quoi ressemble une journée ordinaire pour vous ? Mon travail est essentiellement divisé en deux : d’une part, le travail à l’Observatoire de Paranal et d’autre part, mon travail de recherche, dans les bureaux de l’ESO, à Santiago. Je passe environ 10 nuits par mois à Paranal, comme astronome de support sur l’un des quatre télescopes de 8,20 m qui constituent le VLT. Là, soit je réalise des observations pour des astronomes restés en Europe – ce que l’on appelle le mode service, soit j’aide des astronomes visiteurs à exécuter de la meilleure façon possible leurs programmes d’observation. Et que concernent vos travaux de recherche au juste? Ma recherche concerne les interactions entre étoiles formant des couples. En rigolant, je dis souvent que je suis un conseiller conjugal pour les étoiles. La plupart des étoiles vivent en effet en couple – certaines formant même des ménages à trois ou quatre. Le Soleil, sans compagnon, est de ce point de vue plutôt l’exception que la règle. Et comme dans les couples d’humains, les étoiles interagissent et s’influent l’une, l’autre de nombreuses façons différentes. Aujourd´hui, quels sont les enjeux de la recherche astronomique ? A quelles grandes questions tente-t-elle de répondre ? Les téléscopes de la génération actuelle nous ont fait comprendre que l’on connaissait finalement que très peu de l’Univers et ont rendu les astronomes très modestes. Ainsi seuls 4 à 5 % des constituants de l’Univers nous sont connus : les 95% restants, ce que l’on appelle la matière noire (toute la matière invisible qui existe dans l’Univers) et l’énergie sombre (une force qui s’opposerait à la gravitation), sont pour l’instant un grand mystère. L’un des grands enjeux est donc de les comprendre. Depuis 1995, l’on a aussi découvert la première planète en dehors de notre système solaire – la première exoplanète. Depuis, on en connaît près de mille. Le but ultime est bien sûr de trouver une autre « Terre », ou en tout cas, une autre planète sur laquelle la vie pourrait exister.
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L’Observatoire du Paranal, peu après le coucher du soleil. Crédit : ESO/Y. Beletsky
Comment peut-on expliquer la concentration d´observatoires dans la région du désert d´Atacama (il y en a actuellement 3 pour l’ESO - La Silla, Paranal et Chajnantor - et plusieurs autres américains)? Le désert d’Atacama est sans doute l’endroit le plus aride sur Terre. Il ressemble d’ailleurs étonnement aux photos que nous renvoient les sondes sur Mars. Comme c’est aussi un endroit montagneux, il fournit des conditions idéales pour l’astronomie : ciels purs, sans vapeur d’eau, quasiment jamais de nuages, et une qualité d’image exceptionnelle. Voir la Voie Lactée depuis le désert d’Atacama est quelque chose d’inoubliable. Au-delà de votre travail de scientifique, vous êtes également journaliste (diplômé de l’école supérieure de journalisme de Lille, section « Scientifique et Journaliste »). Quels sont à vos yeux les enjeux de la vulgarisation scientifique et de la diffusion des informations concernant l’ESO ? L’astronomie nous a fait redécouvrir notre place dans l’Univers. Elle nous enseigne ainsi les dimensions gigantesques qui séparent la Terre de ses voisines, et qui indiquent clairement qu’il sera difficile de s’échapper du berceau de l’humanité. Il est donc impératif d’en prendre soin. D’un autre côté, elle nous apprend aussi l’existence de milliards de planètes dans notre seule Galaxie. La vie existe donc peut-être ailleurs. Ces révélations ont des portées philosophiques et religieuses indéniables. Etre astronome, c’est un privilège – être payé pour faire ce que l’on aime – et qui n’est possible, en Europe du moins, que grâce à l’argent public. C’est donc notre devoir de transmettre au plus grand nombre le savoir ainsi acquis. L’astronomie est aussi un formidable vecteur de rêves et une porte d’entrée pour les plus jeunes dans le monde de la Science. Le ciel a toujours fasciné les hommes et travailler au cœur des étoiles a quelque chose de très poétique. D´ailleurs, les 4 télescopes du VLT portent des noms d´origine mapuche (Antu, le Soleil, Kueyen, la Lune, Melipal, la Croix du Sud et Yepun, Vénus).
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Cette dimension un peu magique liée à la voûte céleste fait-elle toujours partie de votre quotidien de chercheur ? On ne peut être astronome sans être aussi poète. Les observations astronomiques se font par essence dans les endroits les plus reculés et la nuit, quand « l’honnête homme » dort. Voir chaque nuit l’insondable beauté de la voûte céleste est un spectacle puissant et irremplaçable. Mais la beauté de l’astronomie c’est aussi celle de la puissance intellectuelle de l’homme, capable de comprendre les objets les plus lointains, et la physique la plus complexe, en analysant uniquement leur lumière. Pour terminer, avez-vous une anecdote concernant votre travail que vous voudriez partager ? Dans la salle de contrôle du VLT, de nombreux sons – tirés de dessins animés ou de films – résonnent tout au long de la nuit. Ainsi, lorsque le télescope tourne, les haut-parleurs lâchent un « there is no cause for alarm… », jusqu’au moment où il s’immobilise, quand retentit le signal « but there probably will be ! » Les plus anciens reconnaitront sans doute le dessin animé d’où ces répliques sont extraites… (« Minus et Cortex », ndlr). Merci à vous ! Avec plaisir.
Le Very Large Telescope, l’un des outils de pointe de l’ESO. Credit: ESO/Y. Beletsky
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Les deux visages de Prague Par Simon Gouget à Prague (République Tchèque)
LES INSULTES DU JOUR Prague est à vomir le jour. C’est une ville triste et sale où le charme des siècles passés est souillé par le flux incessant de touristes peu cultivés dont le seul but semble être la prochaine photo « carte postale », espérant ainsi capturer l’esprit de la ville. Alors que ceci nécessite des semaines, peut-être même des années. Le jour, la capitale tchèque est semblable à Paris, Florence, ou Berlin. Elle est une ville musée, au charme aseptisé pour convenir
aux portefeuilles des étrangers. Les rues labyrinthiques de la Vieille Ville que Kafka abhorrait tout en y étant irrémédiablement lié, les rues du quartier juif et leurs légendes, le pont Charles et ses statues majestueuses, tous cèdent la place à l’atmosphère crasse du tourisme de masse. Les boutiques vendant des souvenirs-clichés de la ville, les harceleurs vous vantant les mérites des « pubs crawls » et les visites guidées aux prix prohibitifs
se succèdent et noient le passant dans une désagréable impression de trop-plein. Pour celui qui est venu à Prague pour s’imprégner de l’esprit de Kafka ou de Kundera, pour rechercher les ombres des innombrables légendes qui entourent ses murs, pour contempler la ville magique qui attira Rimbaud, Verlaine, Apollinaire, Casanova, Mozart ou Charlie Parker, la déconvenue est brutale.
LA MÉTAMORPHOSE Cependant, tout espoir n’est pas perdu. A la faveur du soleil couchant, Prague quitte son habit de prostituée touristique, pour devenir cette ensorceleuse, cette grande dame que louent de nombreux artistes, ce cœur de l’Europe qui a vu tant de siècles défiler. Comme le dit le peintre et écrivain tchèque Miloš Jiránek, la nuit, « Prague se transforme en une blonde et fabuleuse beauté, en un unique prodige de lumière et de fulgurance ». La nuit, Prague redevient cette capitale européenne du romantisme et de l’occulte qui se dérobe dans la journée aux yeux des crédules et des naïfs pressés. De la même manière que le personnage principal du film Minuit à Paris, de Woody Allen, remonte le temps lorsque sonnent les douze coups de minuit, quiconque arpente les rues de la cité tchèque la nuit retourne dans les siècles passés. A la faveur de la nuit, Prague retrouve ses légendes et ses mythes, loin des clichés des guides touristiques. Il n’est pas question ici de la nuit festive et alcoolisée qui perd le visiteur dans des considérations erronées. C’est plutôt une nuit litté-
raire, nimbée de nostalgie et de fascination. A cette heure bénie, vous rencontrerez les multiples visages d’une ville grotesque, à l’humeur changeante, propice à l’inattendu, à ces « coïncidences pétrifiantes » dont parle André Breton. Les anciennes rues sinueuses du quartier juif qui furent détruites au cours de l’assainissement de la ville à la fin du 19ème siècle réapparaissent le temps d’une vision nocturne. L’ombre du Golem, cette créature légendaire de la Kabbale faite d’argile et créée par le rabbin Löw au XVIème siècle pour protéger les juifs des pogroms, semble se profiler au détour d’une ruelle. Les façades des bâtiments de style baroque, gothique, renaissance, Art Nouveau, cubiste s’enchaînent et semblent vouloir aliéner le passant. Les multiples clochers de la ville sortent de la brume et percent le flanc d’un ciel sombre. Déserté par les touristes et les vendeurs à la sauvette, le pont Charles retrouve sa grandeur d’origine, les statues semblent s’animer et jettent sur le passant solitaire un regard inquisiteur. Plus rien ne semble avoir de prise
avec le réel. Les nuits praguoises se situent dans une brèche en dehors de tout, si bien qu’on ne serait pas surpris de croiser la silhouette courbée de Franz Kafka au détour d’une ruelle. Il suffit simplement d’y croire et de se laisser porter par l’atmosphère irréelle de la ville. Sous la lune, Prague respire la magie et le mystère. A travers ses rues et ses passages errent des légions extravagantes de fantômes, d’alchimistes, de rabbins, de poètes maudits, d’astrologues, ou de musiciens de Jazz, tous ceux que l’esprit de la ville a emprisonnés. « Prague ne nous lâchera pas. Ni l’un ni l’autre. Cette petite mère a des griffes. Nous devrions mettre le feu aux deux bouts, alors peut-être pourrions-nous partir… » écrivait Kafka à un ami. Lorsque l’aube pointe, on sait que le songe s’achève et que de nouveau, des hordes de touristes arrogants arpenteront Prague, avant la nuit suivante. Ce n’est qu’alors que les mots du linguiste italien Angelo Rippelino prennent tout leur sens : « Prague ne relâche aucun de ceux qu’elle a capturés».
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L’étrange nuit du Kérala Par Jean-Baptiste Derouault à Kottayam (Inde)
MESDAMES, RESTEZ CHEZ VOUS ! Il est 18h, déjà le paysage kéralais disparaît peu à peu dans la pénombre. Dans le bus qui nous emmène à Kottayam, ville de 100 000 habitants, les places de l’avant se vident peu à peu. Ceci a une certaine signification dans cette région du Sud de l’Inde : ici, les bus sont à de rares exceptions divisés entre hommes à l’arrière et femmes à l’avant. Cette séparation sexiste protège néanmoins les Keralaises des mains baladeuses aux heures de pointe, et leur assure des places assises. Le Kerala est, vous l’aurez compris, caractérisé par un conservatisme machiste, et la nuit
c’est le royaume de l’homme. La femme n’a rien à y faire, et généralement elle doit rentrer pour s’occuper de la maison, des enfants et du repas qui sera prêt quand son mari rentrera. Donc rationnellement la société exclue les bonnes mères de famille et celles en devenir de toute vie nocturne ; puisque son devoir de femme l’appelle au logis, que ferait-elle donc dehors à se pavaner ? Si un individu du « sexe faible » vient à s’aventurer seul pendant ces heures interdites, la frondeuse s’expose à des attouchements voire parfois risque le viol (ce qui est malheureusement
assez fréquent). Cette limite de 18h existe dans une moindre mesure dans les grandes villes proche du million d'habitants, espace d’émancipation en Inde tout spécialement pour la femme. Mais le Kerala n’a pas plus de 3 « grandes villes » et il est habituel que la population féminine déserte les rues bien avant la tombée de la nuit. Une de nos camarades de classe a gentiment décliné notre invitation pour prendre un goûter, nous expliquant que 17h allait la faire rentrer trop tard chez elle. Elle a 22 ans.
L’ALCOOLISME : UNE ACTIVITÉ NOCTURNE MASCULINE Et que font les hommes ? Eh bien pour beaucoup d’entre eux ils vont boire avec les copains, d’autres parfois se saoulent seuls à l'écart. Dans le début de soirée il n'est pas rare de voir plus d’une trentaine de personnes faire la queue à l’entrée des « liquor shops » pour pouvoir acheter une bouteille de whisky, de vodka... C’est la file du vice qui coûte cher, où les hommes sont rangés comme des dominos. Tous les alcools sans exception doivent être vendus dans ces magasins d’Etat ou dans des bars possédant une licence. Vous vous dites peut être que la scène doit ressembler à
un jeudi soir rue Saint Michel à Rennes, et que l’ambiance même si exclusivement masculine doit être festive. Au contraire, dans le centre même de Kottayam, l’atmosphère est oppressante, les gens marchent silencieusement en titubant, l’agitation de la journée disparaît pour ce spectacle inquiétant. Certes tout n’est pas dramatique pendant ces premières heures de la nuit, les marchands de beignets fleurissent sur les bords de route, et l’on peut acheter un cornet de cacahuètes en profitant d’une fraîcheur assez rare par ce climat. Mais le Kerala reste l’Etat indien avec le taux d’alcoolisme le plus élevé, et l’alcool n’est en rien joyeux : c’est celui du saoulard, celui qu’on boit dans des bars glauques sans lumière, accoudé au comptoir. D'ailleurs
quelque soit le standing de l'établissement l’ambiance est la même ; l’alcoolisme touche toutes les catégories sociales et le cocktail "moitié eau, moitié whisky" se pratique de manière généralisée. Il faut boire rapidement pour pouvoir rentrer à temps (les bus se font rares après 20h) retrouver sa femme qui est aux fourneaux. Autre règle traditionnelle indienne, on ne partage jamais un verre en famille. De toute manière la femme ne boit et ne fume pas si elle veut encore une fois paraître respectable. Encore une fois, si elle devait sortir son comportement paraîtrait suspect puisqu’elle ne s’adonne pas à ce genre de passe-temps. Ainsi sont les règles de la société kéralaise qui sont sensées s’appliquer à tous.
DES CHANGEMENTS À LA MARGE Bien sûr les mentalités et les scènes de nuit changent petit à petit mais cet Etat est reconnu pour demeurer un des plus conservateurs de toute l’Inde. De plus les taxes sur l’alcool sont la première recette des finances publiques kéralaises, ce qui explique le manque d’engouement pour la prévention contre l’alcoolisme qui donne à la nuit de Kottayam
cette ambiance si particulière. On est donc bien loin des clichés d’une vie étudiante Erasmus, certes, mais ne vous inquiétez pas ce n’est pas pour autant que nos soirées sont fades. On les occupe juste différemment, plus sagement que d’autres admettons le. Il arrive cependant que nous nous expatrions vers des destinations balnéaires très tour-
istiques pour que chacun(e) puisse faire la fête au-delà de 20h l'espace d'un week-end. C'est ici, dans ces lieux qui ne sont pas vraiment l'Inde, où tout le monde parle un anglais presque parfait, que nous pouvons nous libérer du poids de la tradition dans ces aspects les plus sombres.
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Shanghai Entre ombres
et lumières Par Anaël Quéau à Shanghai (Chine)
Crédit photo : Simon Guillorit
SOUS LES PROJECTEURS DU BUND
Crédit photo : Simon Guillorit
Parler de la nuit à Shanghai quand on y passe sa troisième année et qu’on est étudiant ou expatrié c’est avant tout parler de la vie nocturne agitée et séduisante de cette énorme mégalopole. Nombreux sont les étrangers qui perçoivent Shanghai comme un lieu où tous les excès sont possibles et comme un dance-floor gigantesque. La ville est en effet particulièrement occidentalisée sur cet aspect: boites de nuits, bars et open bar, happy hours et
soirées organisées fleurissent partout. Les plus connues sont surement les Ladies night mettant ces dames à l’honneur (comprendre entrée et boissons à volonté jusqu’à une certaine heure). Chose que l’on ne retrouve certes pas chez nous et qui donne souvent des aspects de jeunesse dorée, de même que de rentrer en taxi pour quelques euros. Nombreux Chinois ou Shanghaiens commencent d’ailleurs à sortir et à profiter de cette liberté innocente.
AU-DELÀ DES PAILLETTES Mais il faut bien préciser Shanghaien car la ville reste une exception nationale et pour la majorité des habitants, la vie ne ressemble pas du tout à cela. Les Ladies night et autres soirées enflammées ne concernent donc qu’un infime pourcentage de la population résidant à Shanghai, avant tout expatriés et riches Chinois. La nuit c’est donc aussi l’aperçu de nombreux Chinois à la barbe blanche et aux paupières fatiguées dont on ne peut deviner l’âge qui dorment dans la rue, au pied des devantures des magasins, sous de maigres couvertures ou qui mendient à la sortie des clubs. Shanghai rassemble ainsi les extrêmes
et beaucoup de personnes vivent dans une pauvreté absolue. Pour une grande partie de la population shanghaienne (ce qui représente tout de même plus de 23 millions d’habitants), la vie est donc bien différente. Les Chinois et les Shanghaiens continuent en effet de se coucher tôt et de manger tôt. Dès 18h, les restaurants se remplissent. Pour autant, de nombreux aspects divergent de l’Europe ou du moins de la France. Les magasins ferment ainsi assez tard : les centres commerciaux ne closent leurs portes qu’à 22h et très nombreuses sont les supérettes ouvertes 24h/24. Moment de socialisa-
Crédit photo : Stéphanie Conrad
tion après la journée de travail, pour une grande frange de la population le soir présente aussi l’occasion de se retrouver. Ainsi, plusieurs centaines de Chinois peuvent se réunir sur la place commerçante pour danser tous ensemble. De même en plein milieu de la rue Nanjing, le Time Square de Shanghai, il nous est arrivé de voir un défilé de mode improvisé, dans la plus grande simplicité. Ou un Chinois danser seul sur un air de saxophone devant une foule d’individus, sous l’œil curieux de non-expérimentés et de nombreux touristes ébahis.
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Crédit photo : Simon Guillorit
SHANGHAI AUX DEUX VISAGES Dans mon quartier, la vie est particulièrement différente la nuit de la journée. Dès que le soleil se lève (bien qu’on ne le voie pas en raison de la pollution et des nombreux gratte-ciel), une certain effusion est présente. Les gens se lèvent, font du taichi ou leur gymnastique matinale sur la place commerçante où sont rassemblés la station de métro et de nombreux restaurants et supermarchés, construits au pied des résidences et des tours les plus récentes. Bien qu’un certain apaisement règne encore jusque 6 ou 7 heures du matin, c’est ensuite un véritable tourbillon qui s’abat sur la ville toute la journée durant : il n’y
a pas d’heures pleines ni d’heures creuses, seul un éternel bouillonnement d’individus allant et venant, vaquant à leurs activités sur un fond sonore de klaxons qui jamais ne cesse. Toutefois, dès que le soleil commence à chuter, une multitude de petits vendeurs à la sauvette vient s’installer sur les trottoirs pour vendre de tout : cela va des brochettes aux chaussettes en passant par de la vaisselle, des parapluies et autres sacs. Sur la place commerçante, les mamies gymnastes du matin sont remplacées par les mamies nourrices du soir. Partout des petits bambins courent, font du vélo, et s’amusent aux pieds des tours. C’est
également le temps de la sortie des chiens, que l’on ne voit que très peu dans la journée et dans la rue en général (Il existe en effet une réglementation très stricte sur les animaux de compagnie en Chine). Mais le ciel a beau être peint d’un bleu profond, la ville est perpétuellement éclairée. Même à trois ou quatre heures du matin, les taxis et les touk-touks n’hésitent pas à utiliser leurs klaxons et les gens parlent toujours aussi fort. La nuit à Shanghai s'enveloppe donc d’un manteau d’ambiguïtés et de contradictions entre richesse et pauvreté, entre calme et animation qui lui donne tant de charme et de mystère.
n e m o Pr
t l u c e d a
e l l e r u
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Les façades de ma ville Par Stéphane Rogue, à Valparaiso (Chili)
Valparaiso, ville dont les quartiers centraux sont classés au patrimoine culturel de l'humanité depuis 2003, est connue pour ses milliers de maisons colorées, réparties anarchiquement sur une quarantaine de cerros ( quartiers). Mais les maisons de Valparaiso ne sont pas simplement colorées comme autrefois ; aujourd'hui c'est une ville qui fait le bonheur des graffeurs. Impossible de parcourir une des rues classées au patrimoine sans y voir au moins trois ou quatre graffitis.
Dès les premiers jours j'ai rencontré par hasard un graffeur français qui habite non loin de chez moi et qui nous a proposé de faire un tour pour partager ses connaissances sur l'art urbain. C'est une opportunité qui ne se refuse pas. En se baladant dans les rues, au détour de petits passages recouverts de peinture bombée, on parcourt l'essentiel des quartiers les plus touristiques de Valparaiso : les cerros Alegre et Concepcion. On distingue des techniques différentes : superpositions, pochoirs, collages... Certains graffeurs sont connus, on reconnaît facilement leur trait après quelques jours de promenade, d'autres le sont moins et surprennent
un peu plus. Le but de l'artiste est avant tout de graffer dans les endroits les plus insolites, les plus inaccessibles : sur le haut d'un immeuble, sur un toit. L'une des premières questions qui vous vient aux lèvres en faisant le tour de la ville est inévitablement : Mais... graffer sur des maisons répertoriées patrimoine culturel par l'Unesco, ça n'est pas interdit ? Pour ce qui est du tag : il paraît que oui, ça l'est. Un étranger pris par la police à taguer un mur pourrait se faire expulser avec interdiction de remettre les pieds au Chili. Mais pour les graffitis... légalement, je n'ai pas ré-
ussi à le savoir, dans les faits c'est plus ou moins autorisé. A priori il vaut mieux demander au propriétaire du bâtiment l'accord de principe. Certains propriétaires vont jusqu'à payer un certain graffeur pour ne pas se retrouver avec n'importe quel dessin sur leur mur. Si dans le monde du graf c'est une pratique très mal vue – si cela se sait l'œuvre peut être taguée par d'autres graffeurs – on peut facilement comprendre que tout le monde ne désire pas se lever un bon matin et découvrir sur sa façade un graffiti qui ne soit pas à son goût : trop morbide, trop cru, trop polémique.
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Car c'est le risque, quand on sait que le graffiti en tant que véritable street art serait né dans les années 80 aux Etats-Unis des peintures de Basquiat, enfant du Bronx qui montrait avec insolence sur les murs de NewYork l'angoisse et l'absurdité de la société de consommation blanche. Effectivement l'origine du graffiti viendrait avant tout du désir de rendre visible la marge, ce qu'au quotidien les gens préfèreraient oublier. Mais à Valparaiso au contraire, on peut se promener dans les cerros touristiques et bohèmes avec insouciance devant les murs dont les peintures égayent le
quartier avant d'interpeller le marcheur. Le touriste pourra même acheter des cartes postales des graffitis les plus connus en guise de souvenir... afin de ne pas les oublier. Ici les graffitis semblent avoir pris une autre tournure : celle de la signature de la ville, renforçant son côté libertaire et joyeux, qui la rend plus attrayante encore. Est-ce dû justement aux propriétaires qui choisissent le graffeur pour ne pas vivre derrière une façade qui les dérange ? Peut-être.
« APAGA LA TELE ; VIVE TU VIDA » (ÉTEINS LA TÉLÉ ; VIS TA VIE
Certains diront que j'exagère, qu'il y a aussi des graffitis très connus qui dénoncent Mac Donald et l'influence nord-américaine, qui s'inspirent de symboles indigènes, qui représentent le portrait d'Allende, qui scandent « apaga la tele ; vive tu vida » (éteins la télé ; vis ta vie), et ceux-là aussi sont imprimés sur de belles cartes postales. Ils auront raison. Mais toujours est-il que l’on peut très bien arpenter les rues
» E)
e s t , s e e s t s . n s
de Valpo sans être interpellé par des muraux dénonçant le malaise social. Pour une ville connue pour avoir rejeté Mac Donald et pour avoir des cours suspendus régulièrement pour cause de manifestation ou de grève, on peut y voir un léger décalage. Pourtant il suffit de se rapprocher des campus universitaires, d'entrer dans les bâtiments de la faculté, pour y trouver des murs recouverts de dessins ou inscriptions réclamant la gratuité de l'éducation, dénonçant une oligarchie politique qui déçoit toujours plus les Chil-
iens. Valparaiso reprend alors ses airs audacieux et répond à sa réputation de ville revendicative. Mais encore fautil que le touriste s'attarde vers ces cœurs de conscience politique, aille voir d'autres murs que les façades du joli Valparaiso. Car si l'engagement explicite ne se perçoit pas à première vue, il n'a pas disparu: il est ailleurs. Et comme l'a dit un de mes professeurs de sociologie ici : « Désormais, les murs sont sur Twitter », et dans un pays où près du tiers de la population utilise ce réseau social, on devine que les nouveaux murs sont nombreux.
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Colombie : au delà des préjugés... Par Lucile Fontaine
Portfolio
Guérillas, narcotrafic, enlèvements, paramilitaires, délinquance, attentats, violence, pauvreté... le pays de Botero et Gabriel Garcia Marquez fascine parfois, effraie souvent. Encore considéré comme l’un des pays les plus dangereux au monde, la Colombie a pourtant mille merveilles à offrir
à celui qui prendra le temps de dre. Loin des clichés relayés p la conscience collective, la Lo ») comme la surnomme ses h es hors du commun, une cult
Cabo de la Vela, département de la Guajira. Un lieu sacré pour les indiens Wayuu qui représentent 45% de la population de la Guajira, soit 500 000 personnes. Ils détiennent la double nationalité colombienne et vénézuélienne.
e la parcourir, de la comprenpar les médias occidentaux et ocombia (« la folle Colombie habitants, révèle des paysagture exceptionnelle, un peu-
ple généreux et passionné et une musique enivrante. Loin d’être exhaustive, cette série de photos n’a pour but que de présenter la Colombie comme elle est, et peut être qui sait, attirer de nouveaux voyageurs dans ses territoires encore si méconnus et pourtant si beaux.
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Taganga, village de pêcheurs sur la côte caraïbe, département Magdalena. Un havre de paix.
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Punta Gallinas, dĂŠpartement de la Guajira. Point le plus septentrional du continent sud amĂŠricain. Un air de bout du monde.
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Villa de Leyva, Ă 2h de Bogota, dĂŠpartement de Boyaca. Sortir de l'agitation bogotanaise pour (re)trouver le calme.
Manaure, mines de sel
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A la loupe.
CHICAGO
Capitale démocrate ?
Par Camille Bortolini à Chicago (Etats-Unis) Plusieurs fois par semaine, la South Shore Line me mène de l'Indiana rural à Chicago la citadine. Les deux destinations ne sont distantes que d'une petite trentaine de kilomètres, et pourtant, c'est un changement de décor total qui s'offre progressivement à mes yeux. Ce jour là, nous sommes le samedi 24 Août, deux mois et demi avant les élections de novembre. Le train est bondé de « provinciaux » avides de bronzer en bordure du Michigan, entre plages et gratte-ciels. Certains voyageurs évoquent l'ouragan qui menace la Floride. Ils affirment qu'il est question de déplacer le lieu d'accueil de la convention républicaine, initialement prévue à Tampa, à Chicago. Pour faire passer le temps, je jette un œil au Chicago Tribune, tout juste acheté à la gare. L'édito annonce la couleur: « Chicago ferait un site idéal pour la tenue de la convention... parce que la plupart de ses habitants n'ont jamais vu à quoi ressemble un vrai Républicain ! En voir juste un surprendrait et peut-être même terrifierait les Chicagoans. […] ''Maman, qu'est-ce que c'est, Maman ?'' demanderait un enfant ''Est-ce que ça mord ?'' ». Le train crisse, puis s'arrête. A la gare, comme à la station de métro la plus proche, plusieurs panneaux ont beau scander « Illinois, land of Lincoln », pas de doute, je mets les pieds en territoire « bleu ».
Bienvenue en bastion démocrate !
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Il est 11 heures et je refais surface dans le Loop, le centre économique de la « Windy City ». En ce week-end d'août, les costumes et les cravates ont laissé place aux tongs et aux lunettes de soleil. La foule est dense, toutefois. Il me faut un café pour aborder la journée du bon pied. Je me dirige donc naturellement vers le 7-Eleven le plus proche. J'ai le choix entre la cup Romney et le gobelet Obama. Inutile de préciser qu'il reste beaucoup plus de gobelets à l'effigie du champion républicain, lui qui s'est pourtant défait assez nettement de Rick Santorum et encore plus du
libertarien Ron Paul pendant les primaires républicaines organisées dans l'Illinois, en mars dernier. Il faut dire que l'Illinois est souvent dépeint comme l'État le plus démocrate de l'Union. Et pour cause, s'il constitue la terre d'élection d'Abraham Lincoln, premier président républicain, l'histoire récente prouve que l'État a toujours nettement accordé ses faveurs aux candidats démocrates, et ce, depuis la première élection de Bill Clinton, en 1992. L'explication va donc bien au-delà du phénomène Obama, pourtant considérable. La preuve: les Démocrates contrôlent le poste de
☆★☆★☆★☆★☆★☆★ gouverneur et sont majoritaires tant au Sénat qu'à la Chambre des Représentants depuis janvier 2003, un an avant l'éclosion politique du 44ème président des États-Unis. Non seulement les électeurs de l'Illinois accordent leurs voix aux Démocrates au niveau local, mais aussi au niveau national. L'État s'est même érigé en usine à fabriquer des Présidents en 2008. Et en 2012, une fois encore, la course semble courue d'avance. Là où Barack Obama est reçu comme un prince quand il organise
un dîner (20,000$ par tête) en compagnie de Michael Jordan pour soulever des fonds pour sa campagne, Mitt Romney ne perd pas son temps, son énergie et son argent à faire campagne dans un État où si peu de suspense réside. Les vingt-et-une voix des Grands Électeurs de l'Illinois iront dans l'escarcelle du Président sortant.
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COMMENT EXPLIQUER UNE TELLE CERTITUDE QUAND À L’ISSUE DU SCRUTIN ? Une petite ballade dans les rues de Chicago peut fournir un premier élément de réponse.
de télévision NBC. Celle-ci n'hésite pas à régulièrement qualifier, au fil de ses titres, l'Illinois de « Most Democratic State ». L'Illinois, ceMe dirigeant vers le nord de pendant, ne se résume pas la ville, je passe devant le à Chicago et lui accoler un building consacré à la chaîne tel qualificatif mérite pré-
caution. En réalité, l'Illinois se divise entre le Comté de Cook, entourant Chicago, et une myriade de territoires ruraux, situés dans le sud de l'État, traditionnellement plutôt acquis au Grand Old Party, le parti républicain.
Pourtant, lors du dernier scrutin, destiné à l'élection du gouverneur, le candidat républicain a eu beau remporter 99 des 102 comtés composant l'Illinois, il n'a pas réussi à s'imposer, tombant sur un os: Chicago. Aux États-Unis, peut-être encore plus qu'ailleurs, le clivage rural / urbain a des conséquences politiques très claires: les villes sont plutôt bleues, les campagnes plutôt rouges. Or, l'Illinois est l'un des seuls États à être autant dominé par une unique aire urbaine. CQFD. Au fur et à mesure que la journée avance, je multiplie les rencontres intéressantes. Attablés en terrasse, des étudiants se disent envieux du modèle social européen, certains s'avouent jaloux. D'autres, élevés dans des familles républicaines, se targuent d'être devenus sympathisants démocrates une fois établis dans la Windy City, comme s'il s'agissait d’une question d'atmosphère. Quelques jours plus tard, au même endroit les commentaires sarcastiques ne manqueront pas de fuser, raillant le déjà fameux discours de Clint Eastwood à une chaise vide. La plupart, en revanche, feront l'éloge du charisme émanant de Bill Clinton ou de la qualité de discours de Barack Obama.
BARACK OBAMA, L’ENFANT DU PAYS
Le Président a déçu, bien sûr, mais la question d'une éventuelle réélection ne se pose pas, et sa popularité demeure impressionnante. On me raconte combien tout le monde a encore en tête le mythique « Hello Chicago ! » prononcé au soir de son élection en 2008, et à quel point ses venues dans son fief sont à coup sûr un événement. S'il est bien à Chicago comme chez lui, l'enfant chéri est en fait un enfant adopté. Il ne s'est installé dans le quartier d'Hyde Park qu'à la fin de ses études, avant d'enseigner pendant 12 ans le droit constitutionnel à l'University of Chicago. C'est donc de manière très progressive que le couple Obama a peaufiné son implantation locale. Pendant que Michelle exerçait son influence au sein de think-tanks, Barack entamait son ascension fulgurante, et porteuse d'espoir pour toutes les minorités. Il suffit de déambuler dans le sud et l'ouest de la ville pour constater à quel point la diversité ethnique est importante. C'est le soutien inconditionnel de nombre de Latinos et
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d'Afro-Américains, qui explique en grande partie la mainmise démocrate sur l'Illinois depuis 2003. En 2008, comme en 2012. Et ce, contre vents et marées. Et ce, malgré la crise. Et ce, même si un nouveau scandale de corruption a encore secoué le parti démocrate en 2009, rappelant à Chicago ses heures sombres du tournant des XIX et XXème siècles. Certes, le score d'Obama dans l'Illinois ne sera certainement pas aussi stratosphérique qu'il y a 4 ans (62% - 37%), mais l'ancrage du Parti Démocrate et du Président est si fort que l'issue régionale est d'ores et déjà connue. Surtout, Romney n'enchante guère: nombreux seront ceux qui opteront pour le Président sortant, faute d'alternative crédible dans le camp d'en face. Une crédibilité encore plus entamée par la récente tempête autour de l'affaire des « 47% d'assistés » déclenchée par le candidat républicain. Ici cette assimilation scandalise et érige de manière encore plus flagrante l'ancien gouverneur du Massachusetts en « candidat des puissants ». Malgré tout, un récent sondage montrait que seulement 45% des électeurs américains connaissaient d'ores-et-déjà l'identité du candidat qui recueillerait leurs faveurs le 6 novembre. La vie quotidienne, à Chicago, mais de manière encore plus flagrante dans l'Indiana, ne manque pas de mettre en lumière le global désintérêt des Américains pour la politique. Dans ces conditions,
DÉSINTERÊT GLOBAL DES AMÉR POUR LA POLITIQUE ? ne nous trompons pas, la clef du scrutin réside dans les débats prévus pour opposer les deux principaux candidats au début du mois d'octobre. Alors que la lumière sera bientôt faite sur le résultat des élections que toute la planète scrute,
le soleil commence derrière les building Après avoir passé la un État « bleu vif », j avec le paysage d'un tains qualifient de sw en balance), dont l'is
RICAINS
e à disparaître gs de Chicago. a journée dans je vais renouer n État que cerwing state (État ssue semble un
petit peu plus incertaine. Construit économiquement à rebours de l'Illinois et traditionnellement bastion républicain, l'Indiana a accordé ses voix à Barack Obama en 2008. Cette année, Mitt Romney ferait la course en tête. Quoiqu'il en soit, je me précipite pour grimper dans mon train, sur le point de repartir. Je m'assois
et me rends bien vite compte qu'un sentiment chez moi prédomine: la hâte. J'attends le 6 novembre avec impatience, pour vivre, en vrai cette fois, un nouveau « Hello Chicago ! ».
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Cristina , je t’aime moi non plus Par Maïwenn Bordron à La Plata (Argentine)
Le jeudi 13 septembre, la Plaza Moreno à La Plata, comme beaucoup d’autres places à travers le pays, a été témoin de la plus grande vague de manifestations que le gouvernement de Cristina Fernandez de Kirchner n’avait jamais connue depuis son arrivée à la tête du pays en 2007. Alors que les journaux titraient le lendemain « El regreso de los cacerolazos » ( « Le retour des concerts de casseroles »), faisant allusion aux émeutes citoyennes apparues lors de la crise économique de 2001, la popularité de la présidente montre ses premiers signes de fatigue.
Qu’en est-il vraiment de la cote de popularité de Cristina Kirchner parmi les jeunes, un an après sa réélection en octobre 2011 où elle avait été réaffirmée à travers les 54% des suffrages exprimés en sa faveur? Enquête menée dans le cadre de l’Université Nationale de La Plata (UNLP) afin de rebondir sur la récente manifestation nationale menée contre son gouvernement. En entrant à l’UNLP, un pas suffit pour se rendre compte de l’ampleur du militantisme des étudiants. Ses murs sont tapissés d’affiches bariolées prônant des causes diverses, les étudiants y sont autorisés à interrompre les cours des profes-
seurs afin de faire passer une pétition quelconque à l’ensemble de la classe. Bref, les étudiants de l’UNLP exercent pleinement leur droit à la liberté d’expression et n’ont pas la langue dans la poche à l’heure de parler politique. Les langues d’une vingtaine d’entre eux se sont déliées, laissant apparaître une jeunesse argentine circonspecte face au gouvernement. Quelques uns n’ont pas voulu répondre aux questions qui leur étaient posées sur leur soutien ou rejet de la politique de Cristina Kirchner, comme s’ils n’attendaient plus rien du gouvernement ou que le jeu politique tout simplement n’en valait pas la chandelle. Cet air désabusé ne se lit pas pour autant sur tous les visages des jeunes Argentins. En effet, la plupart des étudiants interrogés ont désiré partager leur opinion quant à l’actuel gouvernement argentin ; opinion loin d’être uniforme, reflétant à la fois leur désarroi et leur conviction face à Cristina. Plusieurs thèmes sont récurrents quand il s’agit de critiquer le gouvernement : inflation, insécurité et rejet de la réforme constitutionnelle s’inscrivent dans la liste des motifs qui ont poussé une partie des Argentins à manifester le 13 septembre. Les Argentins sont las de voir les prix augmenter toutes les semaines dans les supermarchés, de voir constamment leur pouvoir
d’achat diminuer. Quant au thème de l’insécurité, il est devenu incontournable parmi les arguments contre le gouvernement. Agostina, 25 ans, licenciée en chimie et en recherche d’emploi à La Plata, décrit une « société marquée par la peur et l’insécurité » tandis que Manuela, 21 ans, en études d’anglais à l’UNLP, déplore le fait que le gouvernement considère l’insécurité comme un sentiment et non pas comme une réalité à part entière « Moi je n’ai pas peur mais il ne faut toutefois pas nier ce qui se passe car il y a des cambriolages, des assassinats et beaucoup de délinquance chez les jeunes ». Le projet de réforme de la constitution par Cristina, qui permettrait la réélection indéfinie du président et l’élargissement du corps électoral
argentin grâce à l’abaissement du droit de vote à 16 ans, est également très débattu parmi les étudiants interrogés. Javier, 21 ans, en études d’anglais à l’UNLP, revient dessus lorsqu’il s’agit de trouver des aspects négatifs à la présidence de Cristina Kirchner « Il ne faut pas mélanger inclusion et engagement politique avec manipulation électorale. Un citoyen responsable devrait être en mesure de distinguer un discours politique d’un autre et de pouvoir évaluer toutes les offres politiques disponibles sur le marché électoral ». Loin de faire l’unanimité, cette réforme du code électoral est pourtant défendue par d’autres étudiants comme Sabrina, 25 ans, en études de journalisme à l’UNLP « C’est une mesure qui concorde parfaitement avec
l’évolution de la jeunesse argentine vers le militantisme au cours de ces dernières. Les jeunes sont de plus en plus les protagonistes de leur présent, tout en essayant de prendre en main leur futur ». A l’heure de débattre sur la politique du gouvernement, un œil étranger au pays ne peut pas manquer de remarquer la division qui règne entre les jeunes Argentins quant à plusieurs mesures phares de Cristina. Le premier désaccord concerne le programme « Conectar-Igualdad » (égalité en matière de connexion) qui a permis le lancement d’une vaste distribution de netbooks aux étudiants en fin d’études secondaires afin de lutter contre la fracture numérique. La majorité des étudiants inter-
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rogés y voient le moyen de lutter contre les inégalités sociales dans le pays, via un égal accès aux nouvelles technologies. Mais certains, comme Manuela, s’opposent au manque de ciblage de cette mesure « Pour moi, ils ont donné des netbooks à des jeunes qui ont à peine de quoi s’acheter des chaussures et qui n’ont même pas l’eau courante ou le tout-à-l’égout dans leur maison». Autre mesure phare sujette à débat est l’allocation universelle par enfant, distribuée aux mères argentines sur critères de revenus et conditionnée par la scolarisation et par la surveillance médicale de l’enfant. Agostina s’insurge ainsi contre le « total manque de
contrôle » par lequel s’est traduite cette mesure, pourtant bonne au départ car elle visait à réduire le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. « Aujourd’hui, beaucoup de femmes ont des enfants afin de ne pas travailler grâce à l’attribution de cette allocation » ajoute-t-elle. C’est la gestion des aides de l’Etat dans leur ensemble qui semble être dénoncée comme étant source de la diffusion de la doctrine du moindre effort. Pour Manuela, « plutôt que d’offrir de l’argent, il faudrait générer de l’emploi ».
ner remis en cause, il ne faudrait toutefois pas généraliser le mécontentement à l’ensemble de la jeunesse argentine. En effet, parmi les étudiants interrogés, même si dans une moindre mesure, beaucoup adhèrent encore entièrement au modèle politique actuel. Ce qui saute aux yeux avant tout, c’est la différence d’appréhension de sa présidence entre ses opposants et ses partisans. Les Argentins en faveur du gouvernement insistent sur le fait que sa politique s’inscrit dans la lignée de celle de son mari, c’est-à-dire dans la mouvance du « kirchnerismo ». Ainsi, la poli Malgré le nombre d’aspects tique de Cristina tend à être analyde la politique de Cristina Kirch- sée sous l’angle de l’action globale
si ça n’avait pas été Cristina, ça no te lo decimos mas : si la tocan aurait tout aussi bien pu être une a Cristina que quilombo se va a autre personne ». armar ! »… (Littéralement : « Hey gorille, Malgré le mécontentement gran- c’est la dernière fois qu’on te le dissant d’une partie des jeunes dit : si vous touchez à Cristina, Argentins, qui transparaît claire- quel bordel vous allez foutre ! ») ment dans leurs réponses aux (ndlr Un des Argentins interroquestions posées, la jeunesse ar- gés m’a expliqué que le terme de gentine kirchnériste semble bien gorille était utilisé pour étiqueter déterminée à défendre la cause les gouvernements militaires et de leur leader jusqu’au-bout. Au les conservateurs puisque comme lendemain des manifestations du les gorilles, ces derniers ne se 13 septembre, on pouvait d’ores sont jamais servis de leur cerveau et déjà entendre dans les rues ar- mais ont toujours eu recours à la gentines ce slogan aux paroles force.) univoques « Che gorila che gorila
du couple présidentiel menée depuis 2003, avec l’arrivée au pouvoir de Nestor Kirchner, tandis que les opposants au gouvernement se focalisent sur l’actuelle présidente et ne voient pas au-delà de sa propre action. Selon Gabriel, kirchnériste invétéré de 23 ans, en études de journalisme à l’UNLP, l’action de Cristina ne peut se lire qu’à la lumière du kirchnérisme, puisque la continuité politique est indéniable entre le mari défunt et sa femme « Cette construction politique est collective : hier c’était Nestor, aujourd’hui Cristina et demain je ne sais pas qui sera celui qui conduira le pays, mais il s’appuiera sur le modèle national et populaire ;
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NSO OLITE ?
• KARAOKÉ Une nuit en enfer Par Glenn Beugnot à Arica (Chili)
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VERY BAD TRIP Dimanche matin, 9h07. Je me réveille brusquement d'un horrible cauchemar. Quelques images me reviennent à l'esprit : tout se déroule dans un endroit sombre, il y a beaucoup de gens, la musique est fort, trop forte, et quelques inconnus chantent ce qui semble être de la mauvaise variété. Mais j'ai beau chercher parmi les personnes présentes dans ce cauchemar, aucune trace de Nagui ou Pascal Sevran. Je ne vais pas me mentir plus longtemps, je me doute bien que ce qui s'est passé hier soir est tout à fait réel et n'a rien à voir avec mon inconscient ni avec quelconque émission de la chaîne publique. Et ce sms d'Eduardo reçu à 9h16 vient me le confirmer :
« Que tal el karaoké ayer ? Jajajaja ! ;-) » (Comment était le karaoké hier ? Hahahaha ! ;-))
Oui, vous avez bien lu : « karaoké »... Et ce diabolique « jajajaja » confère à ce mot quelque chose d'encore plus vicieux. Moi qui pensais que cette pratique était réservée à une 3A à Pékin et aux plateaux de France Télévisions, j'étais loin de me douter que les chiliens en avaient fait un de leur principaux divertissements. Je l'ai appris hier soir à mes dépends...
UN KARAOKÉ ? AINSI SOIT-IL La soirée avait pourtant bien démarré. Rendez-vous à 22h pour aller boire un verre de pisco (alcool local) avec d'autres étudiants étrangers et chiliens. Tout le monde arrive donc à 23h (ponctualité sudaméricaine oblige), puis direction un petit pub décontracté pour passer un moment tranquille et sympathique. Mais nos hôtes chiliens en ont décidé autrement : après une heure passée dans ce gentil pub, ils nous proposent de changer de lieu pour nous faire découvrir une de leur coutume locale : le karaoké! Pousser la chansonnette ne fait pas partie de mes habitudes, mais,
après un moment de réflexion, je décide de poursuivre la soirée avec notre joyeuse troupe. Après tout, la 3A est un moment de découverte et souvent de bonnes surprises si j'en crois les témoignages parus dans ce même magazine. C'est donc curieux, mais non sans craintes que je sors du premier bar. Bien malheureuse fut cette décision, comme je m'en rendrai compte un peu plus tard... Nous voilà donc au pub « Asi sea », équivalent en espagnol de « Ainsi soit-il », locution qui résume assez bien mon état d'esprit au moment d'entrer. Des écrans sont accrochés à tous les coins du bar, la musique est forte, très forte. À la
table voisine, un couple se partage le micro, entonnant les yeux fermés le refrain d'une chanson inconnue à mes oreilles. Toute la soirée, le micro va passer de table en table et les canciones de amor en espagnol vont s'enchainer non stop. Et ce pendant 5 heures... 5 heures à écouter des inconnus chanter du Carlos Baute, Enanitos Verdes, Luis Miguel et autre latino-crooners. Il faut cependant reconnaître une chose : le chilien est plutôt à l'aise avec un micro, et chante plus juste que la grande majorité des français. Comme pour la danse, on sent que c'est quelque chose de pratiqué dès le plus jeune âge.
VOYAGES, VOYAGES Autour de la table, tout le monde a eu droit à sa petite chanson : les chiliens s’en sont sortis à merveille, tout comme les péruviennes, et les espagnols se sont plutôt bien débrouillés. J’ai beau essayer de me faire le plus petit possible, je sais très bien que je ne pourrai y échapper. Comme prévu, on m’invite avec insistance à jeter un œil au livret contenant la liste des chansons disponibles. Cachées entre une infinité de noms à
consonances hispaniques, j’arrive quand même à repérer quelques artistes connus. Que vais-je choisir ? : Robbie Williams ? Inenvisageable. Lenny Kravitz ? Trop puissant. Shakira ? On m’obligerait à danser le waka. Justin Bieber ? Inutile d’argumenter. Soudain, mes yeux se posent sur un nom familier : Desireless. Allez savoir pourquoi, mais « Voyages, voyages » est la seule chan-
son française du répertoire. Je réfléchis un instant, me répète le refrain dans la tête : cela pourrait fonctionner, sans forcer sur le aigus bien sûr. Puis je me rappelle de ce passage périlleux : « Plus loiiiin, que la nuit et le jour », avec ce petit pic vocal sur le « loin ». Très sincèrement, chanter cette phrase tout en gardant un minimum de dignité relève de l’impossible.
J’AI TESTÉ POUR VOUS, ET JE N’AURAIS PAS DÛ Je décide donc de me rabattre sur les Beatles, « Love me do » : le choix de la raison, c’est du moins ce que je pense à ce moment là. Je saisis le micro et pose mon regard sur l’écran qui annonce le titre de la chanson sur fond de palmiers et de coucher de soleil. L’intro à l’harmonica débute, je prends mon souffle et c’est parti pour la chanson la plus longue de ma vie. J’ai beau
vouloir jouer la sécurité, j’enchaine les faux départs et les dérapages vocaux. 2 minutes et 19 secondes plus tard, les phrases cessent de défiler sur la télévision, et , essoufflé, je rejoins ma place. Mes camarades applaudissent et me félicitent, exactement comme l’aurait fait le public de « L’école des fans » même si le jeune candidat avait oublié la moitié des
paroles et chanté toute la chanson à contre temps : « Les enfants sont merveilleux ». 5 heures du matin, je rentre chez moi, maudissant le karaoké, pour m’offrir quelques heures de sommeil bien méritées. Qui se serait alors douté que, 2 mois plus tard, je commencerai à y prendre goût...
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Haggis
végétarien Par Alice Picard à Edimbourg (Ecosse) Une version végétarienne du célèbre plat traditionnel écossais, la panse de brebis farcie ! Ingrédients pour 10 personnes 1 cuillère à soupe d’huile végétale 1 oignon, finement émincé 1 petite carotte, finement émincée 5 champignons frais, coupés en petits dés 250ml vegetable stock 5 cuillères à soupe de lentilles rouges séchées 2 cuillères à soupe de flageolets en boite, écrasés 3 cuillères à soupe de cacahuètes finement moulues 2 cuillères à soupe de noisettes finement moulues 1 cuillère à soupe de sauce soja 1 cuillère à soupe de jus de citron 1 cuillère à café 1/2 de thym 1 cuillère à café de romarin Une pincée de poivre de cayenne 1 cuillère à café 1/2 d’épices variés 1 oeuf battu 250g de flocons d’avoine
Préparation : 20 minutes Cuisson : 1 heure 1. Faites chauffer l’huile végétale dans une casserole à feu moyen et faites revenir les oignons pendant 5 minutes, jusqu’à ce qu’il soit fondants. Y ajouter les carottes et les champignons et laisser cuire pendant 5 minutes. 2. Ajouter en remuant bien le stock, les lentilles, les flageolets, les cacahuètes, les noisettes, la sauce soja et le jus de citron. Assaisonnez avec le thym, le romarin, le poivre de Cayenne et le mélange d’épices. Portez à ébullition, réduisez la température sur feu doux et laissez cuire pendant encore 10 minutes. Rajoutez les flocons d’avoine, recouvrez et laissez réduire 20 minutes. 3. Préchauffez le four à 190°C (thermostat 5). Beurrez légèrement un moule à cake de 23x13 cm. 4. Faites chauffer l’oeuf battu dans une casserole. Versez le mélange dans un moule à cake préparé. Laissez cuire 30 minutes jusqu’à ce que le haggis soit bien ferme ! Bon appétit !
Le saviez vous ? Le haggis est également un animal légendaire en Ecosse qui alimente les légendes urbaines les plus farfelues !
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Karjalanpiirakka Par Aurélia Boscher à Türkü (Finlande) Les karjalanpiirakka - tartelettes caréliennes - sont un plat traditionnel carélien, qui se déguste à présent dans toute la Finlande. Ces tartelettes sont faites à base de farine de seigle, et fourrées au riz. Elles se mangent autant en apéritif qu'au petit-déjeuner et sont habituellement tartinées d'un mélange beurre-oeuf, qui ne rend le résultat qu'autant plus délicieux. Ingrédients pour 12 tartines : 120 gr. de riz blanc rond 250 ml d'eau ¾ L de lait 220 gr. de farine de seigle 140 grammes de farine de blé 150 gr. de beurre demi-sel 3 œufs cuits durs. sel, poivre
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Préparation des tartelettes 1ère étape : la préparation de la farce (riz) 1. Préchauffer le four à 300°C. 2. Faire porter à ébullition de l'eau. Ajouter le riz en pluie et laisser mijoter 10 minutes, en mélangeant régulièrement. 3. Faire porter à ébullition le lait. Y ajouter ensuite le riz, préalablement rincé à l'eau froide, ainsi qu'une pincée de sel. 4. Laisser mijoter environ 40 minutes à feu très doux. 2ème étape : la préparation de la pâte 1. Dans un plat, mélanger la farine de seigle, la farine de blé, 250 mL d'eau et y ajouter une pincée de sel. Pétrir la pâte jusqu'à l'obtention d'une pâte assez ferme. 2. Fariner le plan de travail et étaler la pâte finement à l'aide d'un rouleau afin d'avoir une épaisseur de 2mm. 3. Découper des disques d'environ 10 cm. 4. Farcir chaque pièce en disposant au centre le riz 5. Rabattre le pourtour de la pâte sur 1,5 cm, et pincer les extrémités. 6. Cuire au four à 300°C pendant 12-15min. 7. Pendant ce temps, cuire des œufs durs. Les écailler. Les écraser et mélanger au beurre jusqu'à l'obtention de la consistance d'une pâte à tartiner. Poivrer. 8. A la sortie du four, faire une glaçure en badigeonnant allègrement les tartines de lait chaud et laisser ramollir quelques minutes. Servir les tartelettes accompagnées de la pâte beurre-oeufs. Ne reste plus qu'à déguster. Hyvää ruokahalua ! (Bon appétit)
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BRICE DIDIER SAN FRANCISCO
KÉVIN TRUBLET BOGOTA
L'ÉQUIPE DÉCLOÎTRÉE AURÉLIE BONDU CARDIFF
MARIE TARSIGUEL MENDOZA
AUTOUR DU MONDE JNBXH CÉLINE DILASSER LE CAIRE
CAMILLE DELBECQ SÉOUL
JEAN-BAPTISTE DEROUAULT KOTTAYAM
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