Anthologies poétiques

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Anthologies poetiques prefacees par les secondes 1 et 6 du lycee Saint-Vincent, presentant les mouvements romantique, symboliste et surrealiste.

AurĂŠlie Stauder, professeur de lettres au lycĂŠe Saint-Vincent


ANTHOLOGIE

Dans cette préface je vous expliquerai mes choix de poèmes. Le mouvement littéraire du romantisme se développe au cour du XVIIIème en Grande Bretagne et en Allemagne pour débuter puis se répand en France, en Italie et en Espagne. Il se définit par la revendication des poètes du « je » et du « moi ». Ils veulent faire connaître leurs expériences personnelles et faire cesser cet aspect fictif attribué aux poèmes et aux romans. Le romantisme se caractérise par une volonté d'explorer toutes les possibilités de l'art afin d'exprimer ses états d'âme. Ses thématiques sont : la raison, le mystère, le fantastique, le rêve, le morbide, le sublime, le passé, la mélancolie, la passion. Dans « L’aube est moins clair » de Victor Hugo, celui-ci utilise le ton élégiaque qui consiste à exprimer sa tristesse. L’élégie est particulière aux romantiques qui expriment leurs états d’âme. Le poète trouve dans la nature un moyen de s'évader que la société ne lui permet pas, il rêve à travers la nature. Le rêve est une grande thématique du romantisme. Le poème « Les Chimères » de Gérard de Nerval, met en avant les thématiques du passé par « Prince d'aquitaine à la tour abolie » qui ici est un fait passé. Gérard de Nerval se prenait pour un descendant de l'empereur Othon. Dans le poème on retrouve aussi une forme de mélancolie, il regrette cette période. De Nerval a vécu durant cette période et la regrette, il veut faire connaitre ses états d’âmes. Le poème « Le Lac » de Lamartine lui met en avant un amour défunt, la présence du lac, qui est souvent utilisé par les romantiques, montre le calme de la scène. Le lac représente le calme. L’amour défunt de l’auteur est Julie Charles et le Lac est le lieu de leurs rendez vous, il est le témoin de leur amour, de la quiétude qui les habitaient lorsqu’ils étaient ensembles au bord de celui-ci.

Le symbolisme est un mouvement littéraire de la seconde partie du XIXème siècle. Il rejette l’excès de sensibilité du romantisme. Les symbolistes ont un gout prononcé pour l’art et leur poésie est une nouvelle manière de voir le monde. Ils établissent des correspondances entre les différents éléments du monde. Les sons, les mots, les couleurs et toutes les sensations ressenties. Les grands noms du symbolisme sont Rimbaud, Gautier, Verlaine et Malaimé. Le précurseur du symbolisme est Baudelaire, il l’a théorisé par son poème correspondances. Dans le poème « Le dormeur du val » d’Arthur Rimbaud on retrouve une correspondance entre la couleur rouge et la mort, le rouge est synonyme de blessure grave et ici c’est la mort. Rimbaud établit une correspondance entre la pluie et la lumière, il fait une comparaison, les symbolistes l’utilisent particulièrement, « sourit comme sourirait un enfant malade ».


Anthologie poétique

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Préface

Présentation de 3 mouvements :

Le romantisme

Le symbolisme

Le surréalisme

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Le romantisme

Le romantisme est un mouvement littéraire de la première moitié du XIXème siècle, qui réagit contre le rationalisme des philosophes des Lumières. En effet, selon les romantiques, la sensibilité, privilégiant l’introspection et la littérature du moi, prime sur la raison. Cette sensibilité nouvelle repose plus précisément sur l’exaltation du sentiment, représenté par la Nature et par les paysages état d’âme, ainsi que par le goût pour le passé et le rêve. Cependant, « le mal du siècle » est également un des thèmes les plus présents de la poésie romantique, exprimant la déception des romantiques face à la société dans laquelle ils vivent : en effet, de nombreux pays, tel que la France, sont, à cet époque, touchés par une instabilité politique forte ainsi que par de nombreuses instaurations de la République par le peuple échouées. A travers un de ses poèmes les plus célèbres, intitulé « Fantaisies », Gérard de Nerval mêle musique et souvenirs : en effet, les airs anciens, chers au poète, éveillent chez lui des rêveries nostalgiques, décrivant les images des temps jadis et le portrait de la femme idéale. Ainsi, il reprend un thème essentiel, le surgissement du passé dans le présent, par le biais duquel il exprime ses sentiments les plus intimes. Tout le poème est construit sur une forme musicale libre, les romantiques se libérant des règles strictes fixées par la tradition. « Fonction du poète », poème de Victor Hugo, provenant du recueil Les Rayons et les Ombres , présente la conception du rôle du poète face à la société et renouvelle ainsi la thématique du « mal du siècle ». En effet, sur un ton solennel et lyrique, Hugo expose un poète, intermédiaire entre Dieu et les Hommes, grâce à son caractère universel, mais aussi porteur de vérité. Le poète est ainsi caractérisé comme un visionnaire, comprenant grâce à sa poésie, les mystères du monde, mais aussi comme le gardien du passé, transmettant les trésors des anciens de génération en génération. Ainsi, Hugo écarte le caractère négatif de la réalité et ouvre de nouvelles perspectives. Musset, grand nom du romantisme, exprime, quant à lui, ses souffrances les plus profondes, que l’on peut généraliser à celle de tous les individus. En effet, ce poète, marqué par le « mal du siècle », mal être dont il ne peut remédier, dresse un constat pathétique de sa vie, reprenant tous les éléments qui lui ont échappé, dont fait partie son irrémédiable jeunesse. Il se sent également coupable de ne pas avoir pris en compte la Vérité, qu’il allégorise, erreur à l’origine de son dépit. Il conclut sur l’aveu de ses pleurs, qui sont en réalité sa source d’inspiration, vers en partie à l’origine de sa célébrité.

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Le symbolisme Le symbolisme est un mouvement littéraire de la seconde moitié et fin du XIXème siècle, qui rejette l’excès de sensibilité du romantisme et la littérature du moi, d’où l’utilisation du lyrisme impersonnelle et la quasi-absence de la première personne du singulier. Ce mouvement repose sur l’existence d’un univers supérieur et invisible dont le monde réel n’est que le reflet. Il s’oppose ainsi au réalisme et à l’idéologie de la science et du progrès. Les symbolistes ont pour objectifs de recréer les correspondances entre l’art ainsi qu’entre les différents éléments du monde. Chez les symbolistes, la poésie est également une nouvelle manière de voir le monde, exerçant un pouvoir évocateur et suggestif sur l’imaginaire du lecteur. Afin d’atteindre cette réalité supérieure, la poésie symboliste repose sur l’utilisation de symboles. S’agissant d’une poésie hermétique, le lecteur a également un rôle à jouer : il doit interpréter le poème pour mieux le comprendre. Prenons pour exemple « La Beauté », considérée comme une hymne à la Beauté, au chant et un appel vers un idéal artistique. Ainsi, par sa forme régulière, Baudelaire reproduit l’harmonie de la musique, procédé privilégié par les symbolistes, en adoptant des rimes et une forme régulières. De plus, la Beauté est représentée comme un symbole, étant la forme privilégiée de l’Idéal : en effet, elle est allégorisée en une femme éternelle, par opposition aux mortels. Cependant, cette Beauté est purement intellectuelle, appartenant au domaine de l’esprit. Rimbaud, poète symboliste exprime dans sa poésie la théorie suivante : le poète doit se faire voyant, et déchiffrer le monde avec un regard neuf et de nouveaux codes. Pour cela, un dérèglement de tous les sens est nécessaire, afin d’appréhender le monde et de pouvoir le restituer dans ses poèmes. Ainsi dans « Voyelles », le poète reprend l’essence du symbolisme, la poésie étant une nouvelle manière de voir le monde. En effet, chaque voyelle ouvre un univers mental et poétique nouveau. De plus, les images se succèdent sans logique, mais par le biais du pouvoir évocateur des voyelles, qui donne naissance à une imagination affranchie des contraintes. A travers son œuvre « l’Art Poétique », Paul Verlaine explique ses principes poétiques et esthétiques tout en intégrant de nombreuses thématiques chères aux symbolistes. En effet, celui-ci y marque sa préférence pour le vers impair, qui permet une grande musicalité dans le poème, s’inspirant des chansons et créant ainsi une correspondance avec la musique. Cependant, celui-ci accorde également un choix attentif aux mots, aux climats et aux couleurs. En effet, sa poésie est parfois qualifiée d’impressionniste, créant ainsi une seconde correspondance avec l’art, ici la peinture.

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Le surréalisme Le surréalisme est un mouvement littéraire de la première moitié du XXème, dont André Breton est le chef de file. Il fait suite à la première guerre mondiale, qui a choqué de nombreux artistes, ne voyant ainsi plus aucune logique dans le monde qui les entoure. Ce mouvement cherche donc à créer un langage poétique qui exprime la puissance du rêve et du désir. Il s’appuie sur les recherches de la psychanalyse, inventé par Freud, représentant la vision de l’être humain, pour revendiquer l’importance du hasard dans la création artistique. Ainsi, les auteurs surréalistes cherchent à explorer l’univers de la magie, du rêve et de la folie et combattre la censure exercée par la morale et par la raison en se libérant des conventions. Ce mouvement repose également sur la sexualité et l’intensité de l’amour, source de création. Ainsi, Apollinaire, dans son œuvre « Il y a », reprend la thématique de la guerre, qui nous informe sur le contexte et l’environnement où évolue le poète, ce dernier expliquant son profond bouleversement psychologique et son désarroi moral. Ce thème fait contraste au lyrisme amoureux, la femme étant au centre du mouvement surréaliste. En effet, le début du poème décrit le poète dans l’attente d’une lettre de sa bien-aimée. Ce dernier fait également preuve d’inventivité, en choisissant des vers libres, représentant l’imagination, une des thématiques du surréalisme. Cocteau, auteur surréaliste, reprend, quant à lui, la thématique du rêve et du sommeil, dans un grand nombre de ses œuvres. Ainsi, « Rien ne m’effraye plus… », du recueil Plain Chant, évoque l’état intermédiaire, où la conscience s’enfonce dans les songes. En effet, Cocteau dévoile, dans son poème, le caractère merveilleux du sommeil, en le comparant à un univers de contes. Le poète rappelle que le sommeil est le moment où se forment les histoires les plus extraordinaires, ainsi que leur incohérence. Cependant, ce poème exploite également la thématique de la fascination de la femme, en évoquant la Belle au bois dormant, qu’il contemple dans son sommeil, portrait élogieux d’une personne aimée. Cette tranquillité du poème s’oppose à l’idée de la mort, auquel fait référence le poète. En décrivant la transformation de la bien-aimée en cadavre, le poème se colore d’une teinte fantastique. Le poème « Un jour qu’il faisait nuit », reprend, quant à lui, une des applications de l’écriture automatique : « le cadavre exquis ». En effet, cet œuvre, de Robert Desnos, poète dont l’inspiration est à la fois grave et fantaisiste, est construit sur des paradoxes, des nonsens ainsi que l’alliance des contraires, rappelant ce système créatif. Ainsi, l’effet produit est comique mais aussi lyrique. Ce poème comporte donc tous les éléments de l’esthétique surréaliste : les mots sont employés dans un sens qui leur ait impropre, faisant appel au sens figuré. De plus, l’œuvre repose sur la provocation du langage mais aussi la recherche d’un nouveau langage. Dans son œuvre « Le Miroir d’un moment », Eluard reprend, une fois de plus, la thématique de la femme, le poème étant imprégné de sa vie amoureuse. Cependant, il cherche également à s’affranchir d’un modèle de poésie traditionnelle, en utilisant une forme libre et des vers libres, tout en inventant un langage nouveau. Il accorde aussi une place importante aux forces créatrices de l’inconscient, en créant une nouvelle forme de lyrisme. Ainsi, il nous présente une image neuve de la poésie.

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Corpus de poèmes - Le romantisme

FANTAISIE Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l’entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit : C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ; Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens, Que, dans une autre existence peut-être, J’ai déjà vue... — et dont je me souviens !

Gérard de Nerval, Odelettes (1853) La Fonction de poète Dieu le veut, dans les temps contraires, Chacun travaille et chacun sert. Malheur à qui dit à ses frères : Je retourne dans le désert ! Malheur à qui prend ses sandales Quand les haines et les scandales Tourmentent le peuple agité ! Honte au penseur qui se mutile Et s'en va, chanteur inutile, Par la porte de la cité ! Le poète en des jours impies Vient préparer des jours meilleurs. ll est l'homme des utopies, Les pieds ici, les yeux ailleurs. C'est lui qui sur toutes les têtes, En tout temps, pareil aux prophètes, Dans sa main, où tout peut tenir, Zaoui Inès

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Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue, Comme une torche qu'il secoue, Faire flamboyer l'avenir ! Il voit, quand les peuples végètent ! Ses rêves, toujours pleins d'amour, Sont faits des ombres que lui jettent Les choses qui seront un jour. On le raille. Qu'importe ! il pense. Plus d'une âme inscrit en silence Ce que la foule n'entend pas. Il plaint ses contempteurs frivoles ; Et maint faux sage à ses paroles Rit tout haut et songe tout bas ! Peuples! écoutez le poète ! Ecoutez le rêveur sacré ! Dans votre nuit, sans lui complète, Lui seul a le front éclairé. Des temps futurs perçant les ombres, Lui seul distingue en leurs flancs sombres Le germe qui n'est pas éclos. Homme, il est doux comme une femme. Dieu parle à voix basse à son âme Comme aux forêts et comme aux flots. C'est lui qui, malgré les épines, L'envie et la dérision, Marche, courbé dans vos ruines, Ramassant la tradition. De la tradition féconde Sort tout ce qui couvre le monde, Tout ce que le ciel peut bénir. Toute idée, humaine ou divine, Qui prend le passé pour racine, A pour feuillage l'avenir. Il rayonne! il jette sa flamme Sur l'éternelle vérité ! Il la fait resplendir pour l'âme D'une merveilleuse clarté. Il inonde de sa lumière Ville et désert, Louvre et chaumière, Et les plaines et les hauteurs ; A tous d'en haut il la dévoile; Car la poésie est l'étoile Qui mène à Dieu rois et pasteurs !

Victor Hugo, Les Rayons et les ombres (1840)

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Tristesse J’ai perdu ma force et ma vie, Et mes amis et ma gaîté ; J’ai perdu jusqu’à la fierté Qui faisait croire à mon génie. Quand j’ai connu la Vérité, J’ai cru que c’était une amie ; Quand je l’ai comprise et sentie, J’en étais déjà dégoûté. Et pourtant elle est éternelle, Et ceux qui se sont passés d’elle Ici-bas ont tout ignoré. Dieu parle, il faut qu’on lui réponde. — Le seul bien qui me reste au monde Est d’avoir quelquefois pleuré. Musset, Poésies Nouvelles (1850)

- Le symbolisme La Beauté Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre, Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Eternel et muet ainsi que la matière. Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris; J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes; Je hais le mouvement qui déplace les lignes, Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. Les poètes, devant mes grandes attitudes, Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments, Consumeront leurs jours en d'austères études; Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants, De purs miroirs qui font toutes choses plus belles: Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles! Baudelaire, Les Fleurs du mal, XVII (1857)

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Voyelles A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes9 : A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes, Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles, I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; U, cycles, vibrements divins des mers virides10, Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ; O, suprême Clairon plein des strideurs11 étranges, Silences traversés des Mondes et des Anges : O l’Oméga, rayon violet de ses yeux ! Arthur Rimbaud, Poésies (1871)

Art poétique De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l’Impair Plus vague et plus soluble dans l’air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Il faut aussi que tu n’ailles point Choisir tes mots sans quelque méprise : Rien de plus cher que la chanson grise Où l’Indécis au Précis se joint. C’est des beaux yeux derrière des voiles, C’est le grand jour tremblant de midi, C’est, par un ciel d’automne attiédi, Le bleu fouillis des claires étoiles ! Car nous voulons la Nuance encor, Pas la Couleur, rien que la nuance ! Oh ! la nuance seule fiance Le rêve au rêve et la flûte au cor ! Fuis du plus loin la Pointe assassine, L’Esprit cruel et le Rire impur, Qui font pleurer les yeux de l’Azur, Et tout cet ail de basse cuisine ! Prends l’éloquence et tords-lui son cou ! Tu feras bien, en train d’énergie, De rendre un peu la Rime assagie. Zaoui Inès

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Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ? Ô qui dira les torts de la Rime ? Quel enfant sourd ou quel nègre fou Nous a forgé ce bijou d’un sou Qui sonne creux et faux sous la lime ? De la musique encore et toujours ! Que ton vers soit la chose envolée Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée Vers d’autres cieux à d’autres amours. Que ton vers soit la bonne aventure Éparse au vent crispé du matin Qui va fleurant la menthe et le thym… Et tout le reste est littérature. Verlaine, Jadis et Naguère (1884)

- le surréalisme Il y a Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venant on dirait des asticots dont naîtraient les étoiles Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d’obus autour de moi Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Goethe et de Cologne Il y a que je languis après une lettre qui tarde Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète Il y a une batterie dont les servants s’agitent autour des pièces Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l’Arbre isolé Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme l’horizon dont il s’est indignement revêtu et avec quoi il se confond Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur l’Atlantique Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour les cercueils Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres Il y a des croix partout de-ci de-là Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie Il y a les longues mains souples de mon amour Il y a un encrier que j’avais fait dans une fusée de 15 centimètres et qu’on n’a pas laissé partir Il y a ma selle exposée à la pluie Zaoui Inès

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Il y a les fleuves qui ne remontent pas leur cours Il y a l’amour qui m’entraîne avec douceur Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos Il y a des hommes dans le monde qui n’ont jamais été à la guerre Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s’ils les reverront Car on a poussé très loin durant cette guerre l’art de l’invisibilité Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou (1956)

Rien ne m’effraye plus… Rien ne m’effraye plus que la fausse accalmie D’un visage qui dort Ton rêve est une Égypte et toi c’est la momie Avec son masque d’or Où ton regard va-t-il sous cette riche empreinte D’une reine qui meurt, Lorsque la nuit d’amour t’a défaite et repeinte Comme un noir embaumeur ? Abandonne ô ma reine, ô mon canard sauvage, Les siècles et les mers ; Reviens flotter dessus, regagne ton visage Qui s’enfonce à l’envers. Jean Cocteau, Plain-chant (1923) Un jour qu’il faisait nuit Il s’envola au fond de la rivière. Les pierres en bois d’ébène les fils de fer en or et la croix sans branche. Tout rien. Je la hais d’amour comme tout un chacun. Le mort respirait de grandes bouffées de vide. Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés. Après cela il descendit au grenier. Les étoiles de midi resplendissaient. Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons Sur la rive au milieu de la Seine. Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence. En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours. Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule. Quand la marche nous eut bien reposé nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et l’aube versa sur nous les réservoirs de la nuit. La pluie nous sécha. Robert Desnos, recueilli dans « Langage cuit », Corps et biens (1923) Zaoui Inès

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Le Miroir d’un moment Il dissipe le jour, Il montre aux hommes les images déliées de l’apparence, Il enlève aux hommes la possibilité de se distraire. Il est dur comme la pierre, La pierre informe, La pierre du mouvement et de la vue, Et son éclat est tel que toutes les armures, tous les masques en sont faussés. Ce que la main a pris dédaigne même de prendre la forme de la main, Ce qui a été compris n’existe plus, L’oiseau s’est confondu avec le vent, Le ciel avec sa vérité, L’homme avec sa réalité. Paul Éluard, Capitale de la douleur (1926)

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ANTHOLOGIE ROMANTISME-SYMBOLISME-SURREALISME

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Sommaire Préface Romantisme • Fantaisie, Gérard de Nerval • Tristesse, Alfred de Musset • Le souvenir, Marcelline Desbordes-Valmore

• • •

Symbolisme La Rose-thé, Théophile Gautier La Beauté, Charles Baudelaire Art poétique, Paul Verlaine

• • • •

Surréalisme Il y a, Guillaume Apollinaire Un jour qu'il faisait nuit, Robert Desnos Importé du Japon, Benjamin Péret Le Miroir d'un moment, Paul Eluart

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Préface Chers lecteurs, Voici une anthologie de dix poèmes dont trois issus du romantisme, trois du symbolisme et quatre du surréalisme. J'ai choisi ces poèmes car ce sont ceux que j'ai trouvé qui illustraient le mieux le genre auquel ils appartiennent. Je vais vous donner les éléments qui m'ont fait choisir ces poèmes parmi tant d'autres. Premièrement, pour le romantisme j'ai choisi Fantaisie de Gérard de Nerval car on sent sa mélancolie: il voudrai à tout prix retourner dans le temps. Il a le mal du siècle: il souhaite connaitre ce qu'il n'a jamais connu car il n'est pas satisfait du monde dans lequel il vit et cela est une des caractéristique commune à une grande partie des auteur romantique. Nerval plonge le lecteur dans le passé en donnant des détails musicaux et visuels: il dresse un tableau pour le lecteur. J'ai aussi choisi Tristesse d'Alfred de Musset car en faisant un triste résumé de sa vie, en accentuant le fait que sa jeunesse est irrémédiablement partie, il accentue la sensibilité, il ne croit pas à la raison évoquée pas les Lumières et il prône l'individu et son ressenti comme le font beaucoup d'auteur romantiques. Enfin, le troisième poème du romantisme que j'ai choisi est Le souvenir de Marcelline Desbordes-Valmore, dans lequel elle évoque aussi l'absence d'espoir pour l'avenir, l'envie de retourner ou de se souvenir du passé. Pour l'auteur, la seule chose qui importe est le souvenir d'un temps passé sans lequel elle ne pourrai vivre dans ce monde, ses sentiments rejoignent un peux ceux de Nerval. Dans un second temps, pour le symbolisme, j'ai choisi La Rose-thé de Théophile Gautier, dans lequel il fait une description d'une rose particulière qui suscite une sensation d'amour, mais fait aussi en parallèle un portrait d'une jeune femme, qui est très mélioratif pour la jeune personne. Ce poème illustre l'harmonie image-son que les symbolistes veulent mettre en place. J'ai également choisi La Beauté de Charles Baudelaire. Dans cette poésie, la beauté est identifiée à une sculpture, comme une déesse que les symbolistes adorent, ce qui donne une sorte de sacré au texte. La beauté semble dépourvue de sentiments, elle semble fascinante et cruelle cultivant le sens du mystère dont les poètes symbolistes font preuve. Le dernier poème issu du symbolisme que j'ai choisi est Art poétique de Paul Verlaine, car dans ce poème l'auteur parle du but et du sens de la poésie, selon lui la musicalité est une des choses les plus importantes en dépits des rimes, il pense que celles-ci ne doivent pas forcément être un pilier de la poésie. Verlaine encourage l'utilisation de mots plus rares pour que le poème soit “complet”. Il résume le mode d'écriture des symbolistes: écrire une poésie musicale et riche, sans que les mots à la rimes soit les plus importants. Finalement, j'ai choisi, pour illustrer le surréalisme Il y a de Guillaume Apollinaire, dans ce poème les vers sont irréguliers qui montre le souhait de l'auteur de sortir du modèle de la poésie classique. Toutefois les répétitions au début de chaque vers d'”Il y a” donne une sorte de lyrisme à ce texte. On peut y voir de nombreuses allusions à la première guerre mondiale qui est à l'origine du mouvement surréaliste. J'ai également choisi Un jour qu'il faisait nuit de Robert Desnos, les vers de ce poème ont un sens complexe qui rappelle le jeu du cadavre exquis auquel jouait certains auteur surréalistes. La recherche d'un nouveau langage est bien illustrée dans ce poème où il faut pendre les mots dans un sens plus figurés pour le comprendre. Certains pourraient y voir une provocation langagière. Le poème de Benjamin Péret: Importé du Japon manque de logique et de rationalité et le fait que l'auteur ai mentionné Nagasaki renvoie au traumatisme subit par la population et notamment par les surréalistes face au premier conflit mondial. Pour illustrer le surréalisme, j'ai choisi Le Miroir d'un moment de Paul Eluard, qui, comme Desnos et Péret, a écrit des poèmes aux vers libres et déstructurés pour se libérer des règle traditionnelles de la poésie et des formes fixes. Ils accordent une place assez importante à l'inconscient révélé par la psychanalyse à laquelle les surréalistes intéressent. Il y a dans leur poèmes une esthétique de la cruauté et de la violence, leur texte n'ont à la première lecture, aucune apparence logique. J’espère que l'anthologie vous plaira,

Bonne lecture! Victoria van de Put 2nd1


Romantisme •

Fantaisie

Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l’entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit : C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ; Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens, Que dans une autre existence peut-être, J’ai déjà vue... et dont je me souviens! Gérard de Nerval

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Tristesse

J’ai perdu ma force et ma vie, Et mes amis et ma gaîté ; J’ai perdu jusqu’à la fierté Qui faisait croire à mon génie. Quand j’ai connu la Vérité, J’ai cru que c’était une amie ; Quand je l’ai comprise et sentie, J’en étais déjà dégoûté. Et pourtant elle est éternelle, Et ceux qui se sont passés d’elle Ici-bas ont tout ignoré. Dieu parle, il faut qu’on lui réponde. Le seul bien qui me reste au monde Est d’avoir quelquefois pleuré. Alfred de Musset

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Le souvenir

Ô délire d'une heure auprès de lui passée, Reste dans ma pensée ! Par toi tout le bonheur que m'offre l'avenir Est dans mon souvenir. Je ne m'expose plus à le voir, à l'entendre, Je n'ose plus l'attendre, Et si je puis encor supporter l'avenir, C'est par le souvenir. Le temps ne viendra pas pour guérir ma souffrance, Je n'ai plus d'espérance ; Mais je ne voudrais pas, pour tout mon avenir, Perdre le souvenir ! Marceline Desbordes-Valmore

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Symbolisme •

La Rose-thé

La plus délicate des roses Est, à coup sûr, la rose-thé. Son bouton aux feuilles mi-closes De carmin à peine est teinté. On dirait une rose blanche Qu’aurait fait rougir de pudeur, En la lutinant sur la branche, Un papillon trop plein d’ardeur. Son tissu rose et diaphane De la chair a le velouté ; Auprès, tout incarnat se fane Ou prend de la vulgarité. Comme un teint aristocratique Noircit les fronts bruns de soleil, De ses sœurs elle rend rustique Le coloris chaud et vermeil. Mais, si votre main qui s’en joue, À quelque bal, pour son parfum, La rapproche de votre joue, Son frais éclat devient commun. Il n’est pas de rose assez tendre Sur la palette du printemps, Madame, pour oser prétendre Lutter contre vos dix-sept ans. La peau vaut mieux que le pétale, Et le sang pur d'un noble coeur Qui sur la jeunesse s'étale, De tous les roses est vainqueur! Théophile Gautier

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La Beauté

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre, Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Éternel et muet ainsi que la matière. Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ; J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ; Je hais le mouvement qui déplace les lignes, Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. Les poètes, devant mes grandes attitudes, Qu’on dirait que j’emprunte aux plus fiers monuments, Consumeront leurs jours en d’austères études ; Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants, De purs miroirs qui font les étoiles plus belles : Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles ! Charles Baudelaire

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Art poétique

De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l’Impair Plus vague et plus soluble dans l’air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Il faut aussi que tu n’ailles point Choisir tes mots sans quelque méprise : Rien de plus cher que la chanson grise Où l’Indécis au Précis se joint. C’est des beaux yeux derrière des voiles, C’est le grand jour tremblant de midi, C’est, par un ciel d’automne attiédi, Le bleu fouillis des claires étoiles ! Car nous voulons la Nuance encor, Pas la Couleur, rien que la nuance ! Oh ! la nuance seule fiance Le rêve au rêve et la flûte au cor ! Fuis du plus loin la Pointe assassine, L’Esprit cruel et le Rire impur, Qui font pleurer les yeux de l’Azur, Et tout cet ail de basse cuisine ! Prends l’éloquence et tords-lui son cou ! Tu feras bien, en train d’énergie, De rendre un peu la Rime assagie. Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ? Ô qui dira les torts de la Rime ? Quel enfant sourd ou quel nègre fou Nous a forgé ce bijou d’un sou Qui sonne creux et faux sous la lime ? De la musique encore et toujours ! Que ton vers soit la chose envolée Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée Vers d’autres cieux à d’autres amours. Que ton vers soit la bonne aventure Éparse au vent crispé du matin Qui va fleurant la menthe et le thym… Et tout le reste est littérature. Paul Verlaine

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Surréalisme •

Il y a

Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venant on dirait des asticots dont naîtraient les étoiles Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d’obus autour de moi Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Gœthe et de Cologne Il y a que je languis après une lettre qui tarde Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète Il y a une batterie dont les servants s’agitent autour des pièces Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l’Arbre isolé Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme l’horizon dont il s’est indignement revêtu et avec quoi il se confond Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur l’Atlantique Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour les cercueils Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres Il y a des croix partout de-ci de-là Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie Il y a les longues mains souples de mon amour Il y a un encrier que j’avais fait dans une fusée de 15 centimètres et qu’on n’a pas laissé partir Il y a ma selle exposée à la pluie Il y a les fleuves qui ne remontent pas leur cours Il y a l’amour qui m’entraîne avec douceur Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos Il y a des hommes dans le monde qui n’ont jamais été à la guerre Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s’ils les reverront Car on a poussé très loin durant cette guerre l’art de l’invisibilité Guillaume Apollinaire

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Un jour qu’il faisait nuit

Il s’envola au fond de la rivière. Les pierres en bois d’ébène les fils de fer en or et la croix sans branche. Tout rien. Je la hais d’amour comme tout un chacun. Le mort respirait de grandes bouffées de vide. Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés. Après cela il descendit au grenier. Les étoiles de midi resplendissaient. Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons Sur la rive au milieu de la Seine. Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence. En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours. Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule. Quand la marche nous eut bien reposé nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et l’aube versa sur nous les réservoirs de la nuit. La pluie nous sécha. Robert Desnos

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Importé du Japon Un papou qui fumait de l’opium chantait Grogne sur le parquet un chrysanthème blanc S’étirent des viandes saignantes Dans une coupe bleu de roi Dans la coupe bleu de roi le chrysanthème blanc D’un coup sec on déchire une soie Des taches rouges et de l’eau sur le parquet Demain matin le chiffonnier Avec les viandes à son chapeau Causera de Nagasaki Pleurera toute une soirée Des gâteaux qu’il n’aura pas Le chrysanthème blanc Qui a sali les viandes de Nagasaki Le vent perdit la fin de la chanson Le papou était un chimpanzé Benjamin Péret

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Le Miroir d’un moment

Il dissipe le jour, Il montre aux hommes les images déliées de l’apparence, Il enlève aux hommes la possibilité de se distraire. Il est dur comme la pierre, La pierre informe, La pierre du mouvement et de la vue, Et son éclat est tel que toutes les armures, tous les masques en sont faussés. Ce que la main a pris dédaigne même de prendre la forme de la main, Ce qui a été compris n’existe plus, L’oiseau s’est confondu avec le vent, Le ciel avec sa vérité, L’homme avec sa réalité. Paul Éluard

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PREFACE DE L'ANTHOLOGIE Chers lecteurs, Chères lectrices, Il n'est sans doute pas dans vos habitudes de parcourir des recueils de poésie datant des derniers siècles. C'est pourquoi nous avons ici composé une anthologie de dix poèmes plus grands poètes qui ont fait la grandeur et la gloire de notre patrimoine littéraire. Ces poèmes sont issus de trois mouvements littéraires : le romantisme, le symbolisme et le surréalisme, et les poèmes présents dans ce recueil ont été sélectionnés pour précisément représenter ces trois mouvements. Notre anthologie vous fera découvrir et apprécier et découvrir trois mouvements littéraires parmi lesquels se trouvent des monuments de la littérature française. Nous vous proposons donc de découvrir dans l'ordre chronologique, nous commencerons donc par le romantisme, nous enchaînerons ensuite sur le symbolisme, puis nous finirons par le surréalisme. Le romantisme est né au début du XIXe siècle et s'est "achevé" vers le milieu du XIXe siècle. Ce mouvement connaîtra deux révolutions, deux révolutions ratées : la révolution de 1830 et celle de 1848. L'écrasement de ces révolutions produira un effet appelé le "Mal du siècle", c'est l'état dépressif d'une jeunesse privée d'avenir dans une société bloquée à cause des deux révolutions ratées. Dans cette anthologie, le "Mal du siècle" est présent dans le poème "Nous verrons" de François-René de Chateaubriand, dans lequel il exprime l'idée d'un avenir triste et sans intérêt. La politique occupe également une place importante dans la poésie romantique, les écrivains romantiques sont en grande majorité pour l'établissement d'une république, ce qu'il n'y aura pas durant la période romantique. On remarque la prise de position d'Alphonse de Lamartine dans "Contre la peine de mort", il surnomme le peuple "Elément qu'aucun frein ne saurait dompter", on peut y voir un appel au soulèvement populaire, ce qui montre bien que Lamartine est pour la république. Cela se voit aussi dans le poème de Victor Hugo "Souvenir de la nuit du 4" où il parle de l'insurrection populaire à la suite du coup d'état de Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1852, celui-ci est d'ailleurs violemment critiqué et dépeint comme un être cruel. Enfin le romantisme marque un retour à la religion, du mysticisme et de la spiritualité dans la poésie, le romantisme fait réaction au mouvement du siècle précédent, le Siècle des Lumières, pendant lequel on ne prêtait plus foi aux dogmes de la religion. Ce retour de la spiritualité se remarque dans "La Plume de Satan" de Victor Hugo, où l'on constate sa ferveur religieuse, c'est d'ailleurs l'une des particularités du romantisme, où l'on s'intéresse à l'individu, et non plus à la collectivité, comme pendant le Siècle des Lumières. Passons maintenant au symbolisme ! Le mouvement symboliste puis dans l'imaginaire des symboles, et cherche à évoquer des objets, des éléments à travers toutes les sensations qu'ils provoquent. Le symbolisme est un mouvement où le mystère est très présent ; dans cette anthologie, vous pourrez le remarquer dans "Clair de lune" de Paul Verlaine, où on a du mal à déterminer l'état d'esprit du poète. Cela va entraîner l'hermétisme (concept obscur difficile à déchiffrer) que l'on retrouve dans l'anthologie dans "Brise marine" de Mallarmé. Le plus grand auteur symboliste est cependant Baudelaire, avec son recueil "Les Fleurs du Mal", dans l'un des poèmes de ce recueil, "L'ennemi", on retrouve de nombreuses "images" et évocations (métaphores et comparaisons), par exemple, Baudelaire compare sa jeunesse à un orage traversé de quelques éclaircies. On retrouve également le concept de l'analogie universelle dans ce poème, puisque tous les symboles et les mots de ce poème finissent par être mis en rapport. Le rêve est également un thème récurrent chez les écrivains symbolistes, on le retrouve dans "L'Ennemi". La fin du symbolisme appelle le mouvement suivant, le surréalisme. Le surréalisme est né au début du XXe siècle, et s'est considérablement amplifié après la fin de la Première Guerre Mondiale. Cette guerre n'ayant rien de "rationnel", les auteurs surréalistes ne croient plus en ce qui est rationnel et écrivent des textes contre les conventions logiques, morales et sociales. Cette tendance


est également visible dans la peinture. Par exemple, Paul Eluard a écrit "La Terre est bleue comme une orange". Les textes surréalistes sont en fait une dictée de la pensée en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ; dans l'anthologie vous la retrouverez dans "Puisqu'il le faut" où celui-ci supprime la ponctuation, et le poème est fait à partir de phrases que la main de Paul Eluard à écrites au hasard sans aucun contrôle. Il y a un autre procédé utilisé dans le surréalisme, c'est l'enjambement. Il a été introduit sous le symbolisme et a été largement utilisé pendant le surréalisme, il est présent dans "Il n'y a pas d'amour heureux" de Louis Aragon, qui est d'ailleurs un des plus grands auteurs surréalistes, avec André Breton. Cette anthologie vous présente trois mouvements littéraires en dix poèmes les plus représentatifs possibles des mouvements romantiques, symbolistes, et surréalistes. Nous espérons, amis lecteurs, que cette modeste anthologie vous procurera autant de plaisir que nous en avons éprouvé à la constituer. Bonne lecture !


Anthologie de la poĂŠsie des mouvements romantiques, symboliste et surrĂŠaliste


Sommaire Préface

• Sensations, Rimbaud

1. Le romantisme

• A Aimée D'Alton, De Musset et son analyse • Le ballet des heures, De Nerval

• La Branche d'amandier, Lamartine

2. Le symbolisme • L'albatros, Baudelaire

• Le rêve du jaguar, Leconte de Lisle

• Les conquerants, De Hérédia et son analyse

3. Le surréalisme • La rose et le réséda, Aragon

• Le cancre, Prévert et son analyse • Une brise de danses, Eluard


Préface Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud et Paul Eluard ; quelque-uns des plus grands représentants des mouvements romantique, symboliste et

surréaliste, font de la beauté de la poésie leur objectif premier. Cependant chacun sculpte la poésie à sa manière, à son envie, comme il pense

pouvoir la rendre la plus belle. De mouvements en mouvements, quels

changements se sont-ils opérés sur la poésie pour la rendre tour à tour pourvue d'une grande sensibilité, regorgeant de symboles et évoquant des sensations, ou encore constituée de rêves mystiques et débordante

d'imagination ? Cette anthologie, regoupant une infime partie de chaque mouvements, détient à travers les lignes des poèmes, la réponse.

Tout commence au début du XIXème siècle : la France, alors guidée par Napoléon Bonaparte, sort d'une période de révolution intellectuelle qui n'est autre que le siècle des lumières. Les « lumières », symboles de la Révolution Française, s'affranchissent d'une religion oppressante, et

mettent en avant la philosophie et la raison. Mais les artistes ; poètes,

écrivains, peintres n'entendent la chose de la même façon. Pour eux, l'art est guidé par les sentiments intérieurs, la sensibilité, et la spiritualité. Le s romantiques rejettent donc ,en oubliant la « raison » des lumières, le

classicisme et et prônent la beauté de la poésie par le lyrisme personnel. Un « drame romantique » s'instaure alors; Baudelaire parle de « peuple

océan », expliquant la mélancolie d'une jeunesse emprisonnée, présente

dans la poésie qui observe un rythme bien organisée, évoquant une réelle chanson avec ses refrains et ses couplets.

Toutefois, à partir de 1850, apparaît un nouveau mouvement nommé


symboliste, qui s'oppose au romantisme. Ces poètes souhaitent désacraliser la place du poète et des ses propres sentiments afin de faire place à une analogie universelle ; l'auteur n'occupe plus la place centrale dans sa

poésie. Pour les symbolistes, la poésie doit aussi être belle mais avoir un impact sur le lecteur plus poussé ; à travers divers symboles, les poètes expriment les sensations procurées par les objets, les éléments nous

entourant, ainsi chacun peut ressentir ces sensations. Cependant, les

correspondances que mettent en place les auteurs, ne sont pas facile à interpréter pour tous les lecteurs ; un certain hermétisme est donc présent. Les thèmes faisant référence au sacré, au secret sont très souvent évoqués. Une nouvelle harmonie lyrique , ayant toujours un même but : la beauté

de la poésie, est mise en place avec, la plupart du temps, une structure du poème qui est impaire, contrastant avec l'organisation du romantisme. La poésie symboliste devient une poésie impersonnelle.

Suite au traumatisme de la Première Guerre mondiale : révolution du combat avec des armes toujours plus terrifiantes, les artistes veulent

oublier. Tout oublier : les codes, la raison, la réalité. Ainsi, un sentiment de révolte naît qui donne le jour au surréalisme. Les auteurs ne font plus attention aux conventions imposées par la poésie traditionnelle : ils

désirent réveiller en eux leur inconscient. André Breton dit : « Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de

vous relire ». Le surréalisme est en fait la dictée de la pensée en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique. Les thèmes abordés sont souvent absurdes, jouant avec

l'inconscient des artistes : « La Terre est bleue comme une orange », Paul Eluard. L'amour fou et la femme, la magie des villes, le rêve et

l'imagination, le paranormal sont évoqués la plupart du temps.

Sensations, écrit par Arthur Rimbaud en 1870, est le poème liminaire de cette anthologie. Appartenant au mouvement symboliste, il évoque, comme


l'indique son titre, toutes les sensation éprouvées par un homme rêvant

d'un soir d'été pendant lequel, l'herbe, le vent, la lumière lui procureront des sensations magiques. Il se sentira libre « comme un bohémien » et

heureux « comme avec une femme ». Ici, malgré la présence du poète, on remarque que ce dernier n'est absolument pas mis en valeur

contrairement aux objets, éléments qui constituent son bonheur. Il suggère toutes ces sensations que pourraient lui procurer de la joie et du bien-être, notamment la femme. Rimbaud établi un lien avec la Nature très fort, il

met une majuscule pour le mot Nature. L'artiste fait des assonances pour combler le rythme du poème et donc renforcer son lyrisme.

Ce poème est au cœur du débat poétique abordé par cette anthologie, de par la place que Rimbaud accorde à l'auteur, son lyrisme, les sensations

provoquées par les éléments qui l'entourent et bien évidemment la place qu'occupe la dimension du rêve, car l'auteur imagine ces moments (utilisation du futur, champ lexical de la bohème « rêveur »,

« bohémien »). Dans son œuvre, Rimbaud respecte l'art, lui accorde une liberté, et joue avec la beauté des mots.

Ce poème serait-il le juste milieu entre trois mouvements littéraires ? A

chacun sa réponse, sa beauté de la poésie.


Sensations Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, Picoté par les blés, fouler l’herbe menue : Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue. Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : Mais l’amour infini me montera dans l’âme, Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien, Par la Nature, — heureux comme avec une femme. Arthur Rimbaud – Poésies


Le romantisme A Aimée d'Alton Déesse aux yeux d'azur, aux épaules d'albâtre, Belle muse païenne au sourire adoré, Viens, laisse-moi presser de ma lèvre idolâtre Ton front qui resplendit sous un pampre doré. Vois-tu ce vert sentier qui mène à la colline ? Là, je t'embrasserai sous le clair firmament, Et de la tiède nuit la lueur argentine Sur tes contours divins flottera mollement. Alfred de Musset


Analyse : Dans ce poème le thème premier est évidemment l'amour qu'Alfred de Musset traduit par une lettre à une certaine Aimée d'Alton qui n'est autre que son épouse. L'amour, source d'inspiration favorite des poètes romantiques, est à l'origine de toutes les sensations qu'éprouvent ces derniers, qui tiennent donc à faire ressentir aux lecteurs ces sentiments extraordinaires qu'ils ressentent ; la poésie romantique est donc une poésie focalisée sur le poète et ses sentiments. Ici, Aimée d'Alton est directement comparée à l'amour ; en effet de Musset la décrit comme une « déesse aux yeux d'azur », une « belle muse païenne », autrement dit sa source d'inspiration inépuisable. Les rimes sont croisées et imposent donc un rythme soutenu aux alexandrins : le lyrisme est maintenu afin de créer une poésie dont les romantiques aiment la beauté. Autre indice typiquement romantique : la description d'un paysage. En effet le poète écrit « Vois tu ce sentier qui mène à la colline? » ce qui nous laisse à penser qu'il compare cette fois l'amour à une colline dont il faut suivre le sentier pour arriver au sommet. Alfred de Musset semble vouloir profiter de ce moment rêvé,de pur bonheur ; il y a comme une notion d'intemporalité qui prône le « Carpe Diem » soit profiter du jour présent.


Le Ballet des Heures Les heures sont des fleurs l’une après l’autre écloses Dans l’éternel hymen de la nuit et du jour ;

Il faut donc les cueillir comme on cueille les roses Et ne les donner qu’à l’amour. Ainsi que de l’éclair, rien ne reste de l’heure, Qu’au néant destructeur le temps vient de donner ; Dans son rapide vol embrassez la meilleure, Toujours celle qui va sonner. Et retenez-la bien au gré de votre envie, Comme le seul instant que votre âme rêva ; Comme si le bonheur de la plus longue vie Était dans l’heure qui s’en va. Vous trouverez toujours, depuis l’heure première Jusqu’à l’heure de nuit qui parle douze fois,

Les vignes, sur les monts, inondés de lumière, Les myrtes à l’ombre des bois. Aimez, buvez, le reste est plein de choses vaines ; Le vin, ce sang nouveau, sur la lèvre versé,

Rajeunit l’autre sang qui vieillit dans vos veines Et donne l’oubli du passé. Que l’heure de l’amour d’une autre soit suivie, Savourez le regard qui vient de la beauté ;

Être seul, c’est la mort ! Être deux, c’est la vie ! L’amour c’est l’immortalité !

Gérard de Nerval


La branche d'amandier De l'amandier tige fleurie,

Symbole, hélas! de la beauté, Comme toi, la fleur de la vie Fleurit et tombe avant l'été. Qu'on la néglige ou qu'on la cueille, De nos fronts, des mains de l'Amour, Elle s'échappe feuille à feuille, Comme nos plaisirs jour à jour! Savourons ces courtes délices; Disputons-les même au zéphyr, Epuisons les riants calices De ces parfums qui vont mourir. Souvent la beauté fugitive Ressemble à la fleur du matin, Qui, du front glacé du convive, Tombe avant l'heure du festin. Un jour tombe, un autre se lève; Le printemps va s'évanouir; Chaque fleur que le vent enlève Nous dit : Hâtez-vous de jouir. Et, puisqu'il faut qu'elles périssent, Qu'elles périssent sans retour! Que ces roses ne se flétrissent Que sous les lèvres de l'amour!

Lamartine


Le symbolisme L'albatros Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. À peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d’eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid ! L’un agace son bec avec un brûle-gueule, L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait ! Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l’archer ; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. Charles Baudelaire , Les Fleurs du Mal (1857), II.


Le rêve du jaguar Sous les noirs acajous, les lianes en fleur, Dans l'air lourd, immobile et saturé de mouches, Pendent, et, s'enroulant en bas parmi les souches, Bercent le perroquet splendide et querelleur, L'araignée au dos jaune et les singes farouches. C'est là que le tueur de boeufs et de chevaux, Le long des vieux troncs morts à l'écorce moussue, Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.

Il va, frottant ses reins musculeux qu'il bossue ; Et, du mufle béant par la soif alourdi, Un souffle rauque et bref, d'une brusque secousse, Trouble les grands lézards, chauds des feux de midi, Dont la fuite étincelle à travers l'herbe rousse. En un creux du bois sombre interdit au soleil Il s'affaisse, allongé sur quelque roche plate ; D'un large coup de langue il se lustre la patte ; Il cligne ses yeux d'or hébétés de sommeil ; Et, dans l'illusion de ses forces inertes, Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs, Il rêve qu'au milieu des plantations vertes, Il enfonce d'un bond ses ongles ruisselants Dans la chair des taureaux effarés et beuglants. Leconte de Lisle - Poèmes barbares


Les conquérants Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, Fatigués de porter leurs misères hautaines, De Palos de Moguer, routiers et capitaines Partaient, ivres d'un rêve héroique et brutal. Ils allaient conquérir le fabuleux métal Que Cipango murit dans ses mines lointaines, Et les vents alizés inclinaient leurs antennes Aux bords mystérieux du monde occidental. Chaque soir, espérant des lendemains épiques, L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques Enchantait leur sommeil d'un mirage doré; Où, penchés à l'avant de blanches caravelles, Ils regardaient monter en un ciel ignoré Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles. José-Maria de Hérédia


Analyse: José Maria de Hérédia, dans son poème, raconte les conquêtes des marins (les conquistadores), leurs rêves et leurs expériences. Il y a un côté très mystérieux et épique dans cette poésie instauré par les paysages et les découvertes décrites (« fabuleux métal », « enchantait leur sommeil d'un mirage doré »); cet aspect du poème est typique du symbolisme. De plus la forme de la poésie est très esthétique. En effet le rythme constitué de rimes embrassées est finalement, à la fin, brisé par deux tercets de rimes suivies ; la musicalité est donc bouleversée mais peut être comparée à celle d'une chanson avec un changement de rythme ou de mélodie, c'est une structure impaire. Le poète est tout à fait absent de la poésie ; on observe aucun « je », il désire donc instaurer un notion de poésie impersonnelle afin de réduire la place du poète lui même. Ce poème est donc bien de style symboliste avec la présence de deux éléments essentiels soit un lyrisme impersonnel et une structure impaire.


Le surréalisme La Rose et le Réséda Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Tous deux adoraient la belle Prisonnière des soldats Lequel montait à l'échelle Et lequel guettait en bas

Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Qu'importe comment s'appelle Cette clarté sur leur pas Que l'un fût de la chapelle Et l'autre s'y dérobât Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Tous les deux étaient fidèles Des lèvres du coeur des bras Et tous les deux disaient qu'elle Vive et qui vivra verra Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Quand les blés sont sous la grêle Fou qui fait le délicat


Fou qui songe à ses querelles Au coeur du commun combat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Du haut de la citadelle La sentinelle tira Par deux fois et l'un chancelle L'autre tombe qui mourra Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Ils sont en prison Lequel A le plus triste grabat Lequel plus que l'autre gèle Lequel préfèrent les rats Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas

Un rebelle est un rebelle Nos sanglots font un seul glas Et quand vient l'aube cruelle Passent de vie à trépas Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Répétant le nom de celle Qu'aucun des deux ne trompa Et leur sang rouge ruisselle Même couleur même éclat


Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Il coule il coule il se mêle A la terre qu'il aima Pour qu'à la saison nouvelle Mûrisse un raisin muscat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas L'un court et l'autre a des ailes De Bretagne ou du Jura Et framboise ou mirabelle Le grillon rechantera Dites flûte ou violoncelle Le double amour qui brûla L'alouette et l'hirondelle La rose et le réséda

Louis Aragon


Le Cancre Il dit non avec la tête Mais il dit oui avec le coeur Il dit oui à ce qu'il aime Il dit non au professeur Il est debout On le questionne Et tous les problèmes sont posés Soudain le fou rire le prend Et il efface tout Les chiffres et les mots Les dates et les noms Les phrases et les pièges Et malgré les menaces du maître Sous les huées des enfants prodiges Avec des craies de toutes les couleurs Sur le tableau noir du malheur Il dessine le visage du bonheur. Jacques Prévert


Analyse: Dans ce poème, Jacques Prévert compare de manière évidente un élève fougueux aux artistes surréalistes. En effet ces derniers sont , en quelques sortes rejetés par la société pour leur envie d'oublier la Première Guerre mondiale et de renouveler totalement la poésie avec le surréalisme ; la révolution de l'art qui veut s'affranchir des manières de la société, la révolte du cancre qui s'affranchit de toute autorité.. Ici, différents éléments appartenant au surréalisme sont présents. Tout d'abord , Prévert supprime la ponctuation : on observe qu'un point final, afin de clore le poème. Ensuite, cet élève a comme un accès de folie ; un fou rire le prend (les surréalistes étaient connus pour leur humour) puis il efface tout : tous les codes de la société (ici représentés par des dates, des noms des phrases et des pièges) doivent être effacés, ce que l'on peut comparer au traumatisme que veulent finalement exprimer les surréalistes. Enfin , le « visage du bonheur » est dessiné par l'élève comme instinctivement : il n'est donc pas dicté par quelque raison. On peut conclure grâce à ces différents éléments que Prévert fait une description du surréalisme qu'il décline en cancre.


Une brise de danses Une brise de danses Par une route sans fin Les pas des feuilles plus rapides Les nuages cachent ton ombre. La bouche au feu d’hermine À belles dents le feu Caresse couleur de déluge Tes yeux chassent la lumière. La foudre rompt l’équilibre Les fuseaux de la peur Laissent tomber la nuit Au fond de ton image. Paul Eluard


F I N Hoarau Gabrielle 2nde 1


GROSSET Morgane 2nde6

4 février 2013

LECTURE CURSIVE

Sujet: Constituez une anthologie de dix poèmes au choix présentant les mouvements littéraires suivant: romantisme, symbolisme et surréalisme. Cette anthologie possédera une préface expliquant vos choix (60 lignes).

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SOMMAIRE

Présentation ................................................................................................. Page 1 Sommaire .................................................................................................... Page 2 Préface ................................................................................................... Page 3 à 4 Le romantisme ................................................................................... Page 5 à 16 L'Isolement .................................................................................... Page 5 à 6 La Mort du Loup ........................................................................... Page 6 à 8 Souvenir ...................................................................................... Page 9 à 14 Le Lac ........................................................................................ Page 14 à 16 Le symbolisme ................................................................................. Page 17 à 19 L'Amour par terre ............................................................................. Page 17 Voyelles ..................................................................................... Page 17 à 18 Dernier Vœu ...................................................................................... Page 18 Clair de lune ..................................................................................... Page 19 Le surréalisme .................................................................................. Page 20 à 22 L'Union libre ............................................................................. Page 20 à 21 Air du temps .............................................................................. Page 21 à 22

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PREFACE Platon a qualifié la poésie d'inutile puisque cette dernière éloigne l'homme de la vérité première. Vous, chers lecteurs, pensez-vous donc que la poésie est inutile? Quoi qu'il en soit, vous découvrirez, à travers cette anthologie constituée de dix poèmes, que la poésie tient un rôle très important dans la littérature. La poésie procure à la fois du plaisir avec la beauté qu'elle nous offre - ainsi nous pouvons prendre exemple sur les poèmes du Parnasse qui tendent à une perfection formelle - mais, permet aussi de mettre en avant l'émotion du lecteur - comme l'exprimait Hérédia dans Les Trophées. L'anthologie ci-contre, vous montrera que la poésie est un genre littéraire qui s'est déplacé dans le temps, à travers les siècles, parcourant de nombreux mouvements littéraires tels que le romantisme, le symbolisme ou encore le surréalisme. Le romantisme est un mouvement littéraire qui prime la sensibilité sur la raison. Il présente différentes caractéristiques telles que la libération du "moi" et la réflexion sur soimême, présentent notamment dans Le Lac d'Alphonse de Lamartine. Dans ce poème, l'auteur nous fait ressentir la mélancolie et la nostalgie que l'on peut éprouver quant à la perte d'un être cher ainsi que le sentiment de vouloir profiter du temps qui passe et du fait que la vie s'écoule, petit à petit, tandis que la nature, elle, reste éternelle. Alfred de Musset nous montre le même sentiment dans Souvenir. Dans ce poème, Musset nous montre que le temps passe, les moments vécus ne sont plus que des souvenirs, que personne n'est éternel et qu'il faut profiter de ces moments qui resteront des souvenirs gravés pour toujours dans nos mémoires. Musset nous fait ressentir l'amour qu'il a vécu autrefois, notamment dans la conclusion du poème : " Un jour, je fus aimé, j'aimais, elle était belle ". Ajoutons tout de même, que le romantisme est basé sur un thème bien précis, la nature. Dans L'Isolement d'Alphonse de Lamartine, l'auteur nous fait ressentir un mal-être profond - qui pourrait être mis en relation avec le mal du siècle qui fut reflété dans la poésie romantique, notamment avec Musset - qui est illustré par les différents éléments de la nature. Enfin, dans La Mort du Loup d'Alfred de Vigny, est reflété, encore une fois, le mal-être du siècle mais aussi, l'aspect révolutionnaire du siècle avec notamment la déception des auteurs quant à la société dans laquelle ils vivent. Ce poème peut être qualifié comme étant anti-chrétien. Vigny ne croit pas en Dieu, mais s'il existe, alors il est un chasseur qui persécute l'homme. Ainsi l'auteur joue sur le double registre de l'émotion et de la raison pour nous faire part d'une conception très élevée de la vie. Le symbolisme, à l'inverse du romantisme, est un mouvement littéraire qui vise à transfigurer le réel, c'est-à-dire d'en dégager la beauté, d'extraire les "fleurs" du "mal"- célèbre recueil de poèmes de Charles Baudelaire. La poésie est avant tout un art de suggestion avec lequel l'auteur nous communique des émotions. Dans l'Amour par Terre, Paul Verlaine refuse l'idéalisation du souvenir amoureux et symbolise donc l'amour par une statue qui finira par chuter. Ainsi, l'amour s'effondre tel une statue sous l'emprise du vent soufflant avec une très grande force. Ceci donne l'occasion à Verlaine de nous montrer la fragilité de l'amour et de la solitude. La chute de la statue et donc de l'amour, laisse place à la mélancolie et aux souvenirs teintés de tristesse. De plus, dans le symbolisme il est question d'utiliser les couleurs, les images, les sons et les symboles. Ainsi, Arthur Rimbaud nous offre à travers Voyelles un tableau très coloré dans lequel il joue avec les mots, les lettres, les couleurs et les sons. Les 3


couleurs ont une valeur symbolique: le noir représente la cruauté tandis que le blanc représente la pureté, le rouge représente la colère et l'excès alors que le vert évoque la paix. Enfin, tandis que le bleu évoque les cieux, le violet fait allusion aux yeux d'une femme. La poésie symboliste renoue avec le mystère, il s'agit de révéler l'invisible derrière le visible, l'inconnu derrière le connu. Mallarmé l'a exprimé dans la citation suivante, " La poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence ". Dans Clair de Lune, Paul Verlaine démontre bien cette idée de mystère notamment avec l'identité des masques. Cependant, le fait de révéler l'invisible derrière le visible est aussi présent dans ce poème notamment avec la vérité qui se dissimule sous une apparence mensongère. Notons tout de même que le poème est très représentatif du symbolisme esthétique notamment avec l'ambiance musicale et les descriptions réalistes qui sont très présentes. Enfin, Théophile Gautier mêle subtilité et mystère dans Dernier Vœu et utilise un des grand thème du symbolisme, le sacré - reflétant ainsi le thème de la mort. Théophile Gautier fait aussi allusion, dans son poème, aux lilas blancs qui sont un symbole de pureté. Le surréalisme est un mouvement littéraire qui cherche à créer un langage poétique qui permet d'exprimer la puissance du rêve et du désir. Il s'appuie notamment sur la psychanalyse pour revendiquer l'importance du hasard dans la création poétique. Les objectifs principaux de ce mouvement sont d'explorer l'univers de la magie, du rêve et de la folie, de combattre la censure exercée par la morale et la raison ainsi que de célébrer l'intensité de l'amour fou qui, est source de création. L'Air du temps de Louis Aragon est un poème qui fait appel à l'imaginaire et au rêve notamment avec la notion de cheval blanc et de nuage. On a donc clairement la notion de la puissance du rêve et du monde merveilleux. De plus, on sent un mal-être de la part de l'auteur qui est heureux de rejoindre la mort, ici on pourrait parallèlement parler de folie. Les écrivains surréalistes cherchent à libérer leur inconscient, à s’exprimer sans contrainte. Ainsi, on observe dans L'Union Libre une très grande liberté notamment au niveau du sens et de la forme. André Breton n'applique pas les contraintes de syntaxe puisqu'il ne met aucun signe de ponctuation et refuse les contraintes de bienséance puisqu'il n'hésite en aucun cas à mentionner les parties intimes du corps de la femme. De plus, les images que nous propose André Breton associent des réalités qui n'ont aucun rapport. Ainsi, la poésie permet l'expression des sentiments tel le démontre chacun des poèmes présents dans l'anthologie ci-contre. Nous espérons donc que ces poèmes vous permettrons d'apprécier la poésie à sa juste valeur et qu'ils vous permettrons de voir que la poésie fut importante au cours des siècles et qu'elle l'est encore aujourd'hui.

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LE ROMANTISME

L'Isolement Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne, Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ; Je promène au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds. Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ; Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ; Là le lac immobile étend ses eaux dormantes Où l'étoile du soir se lève dans l'azur. Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres, Le crépuscule encor jette un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon. Cependant, s'élançant de la flèche gothique, Un son religieux se répand dans les airs : Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts. Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente N'éprouve devant eux ni charme ni transports ; Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts. De colline en colline en vain portant ma vue, Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant, Je parcours tous les points de l'immense étendue, Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. " Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières, Vains objets dont pour moi le charme est envolé ? Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères, Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! Que le tour du soleil ou commence ou s'achève, D'un œil indifférent je le suis dans son cours ; En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève, Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.

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Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière, Mes yeux verraient partout le vide et les déserts : Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire; Je ne demande rien à l'immense univers. Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère, Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux, Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre, Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux ! Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ; Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour, Et ce bien idéal que toute âme désire, Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour ! Que ne puîs-je, porté sur le char de l'Aurore, Vague objet de mes vœux, m'élancer jusqu'à toi ! Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ? Il n'est rien de commun entre la terre et moi. Quand là feuille des bois tombe dans la prairie, Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ; Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons ! Alphonse de Lamartine, 1820 Méditations poétiques

La Mort du Loup I Les nuages couraient sur la lune enflammée Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée, Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon. Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon, Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes, Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes, Nous avons aperçu les grands ongles marqués Par les loups voyageurs que nous avions traqués. Nous avons écouté, retenant notre haleine

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Et le pas suspendu. -- Ni le bois, ni la plaine Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement La girouette en deuil criait au firmament ; Car le vent élevé bien au dessus des terres, N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires, Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés, Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés. Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête, Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête A regardé le sable en s'y couchant ; Bientôt, Lui que jamais ici on ne vit en défaut, A déclaré tout bas que ces marques récentes Annonçait la démarche et les griffes puissantes De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux. Nous avons tous alors préparé nos couteaux, Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches, Nous allions pas à pas en écartant les branches. Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient, J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient, Et je vois au delà quatre formes légères Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères, Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux, Quand le maître revient, les lévriers joyeux. Leur forme était semblable et semblable la danse ; Mais les enfants du loup se jouaient en silence, Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi, Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi. Le père était debout, et plus loin, contre un arbre, Sa louve reposait comme celle de marbre Qu'adorait les romains, et dont les flancs velus Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus. Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées. Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris, Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ; Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante, Du chien le plus hardi la gorge pantelante Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer, Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles, Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé, Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé. Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde. 7


Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde, Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ; Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant. Il nous regarde encore, ensuite il se recouche, Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche, Et, sans daigner savoir comment il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri. II J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre, Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois, Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois, Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ; Mais son devoir était de les sauver, afin De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim, A ne jamais entrer dans le pacte des villes Que l'homme a fait avec les animaux serviles Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher, Les premiers possesseurs du bois et du rocher. Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes, Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes ! Comment on doit quitter la vie et tous ses maux, C'est vous qui le savez, sublimes animaux ! A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse. - Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur, Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur ! Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive, A force de rester studieuse et pensive, Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté. Gémir, pleurer, prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler, Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. " Alfred de Vigny, 1843 Les Destinées

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Souvenir J'espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir En osant te revoir, place à jamais sacrée, O la plus chère tombe et la plus ignorée Où dorme un souvenir ! Que redoutiez-vous donc de cette solitude, Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main, Alors qu'une si douce et si vieille habitude Me montrait ce chemin ? Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries, Et ces pas argentins sur le sable muet, Ces sentiers amoureux, remplis de causeries, Où son bras m'enlaçait. Les voilà, ces sapins à la sombre verdure, Cette gorge profonde aux nonchalants détours, Ces sauvages amis, dont l'antique murmure A bercé mes beaux jours. Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse, Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas. Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse, Ne m'attendiez-vous pas ? Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères, Ces larmes que soulève un cœur encor blessé ! Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières Ce voile du passé ! Je ne viens point jeter un regret inutile Dans l'écho de ces bois témoins de mon bonheur. Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille, Et fier aussi mon cœur. Que celui-là se livre à des plaintes amères, Qui s'agenouille et prie au tombeau d'un ami. Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières Ne poussent point ici. Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages. Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ;

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Mais du sombre horizon déjà tu te dégages, Et tu t'épanouis. Ainsi de cette terre, humide encor de pluie, Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour : Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie Sort mon ancien amour. Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ? Tout ce qui m'a fait vieux est bien loin maintenant ; Et rien qu'en regardant cette vallée amie Je redeviens enfant. O puissance du temps ! ô légères années ! Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ; Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées Vous ne marchez jamais. Tout mon cœur te bénit, bonté consolatrice ! Je n'aurais jamais cru que l'on pût tant souffrir D'une telle blessure, et que sa cicatrice Fût si douce à sentir. Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées, Des vulgaires douleurs linceul accoutumé, Que viennent étaler sur leurs amours passées Ceux qui n'ont point aimé ! Dante, pourquoi dis-tu qu'il n'est pire misère Qu'un souvenir heureux dans les jours de douleur ? Quel chagrin t'a dicté cette parole amère, Cette offense au malheur ? En est-il donc moins vrai que la lumière existe, Et faut-il l'oublier du moment qu'il fait nuit ? Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste, Est-ce toi qui l'as dit ? Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m'éclaire, Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur. Un souvenir heureux est peut-être sur terre Plus vrai que le bonheur. Eh quoi ! l'infortuné qui trouve une étincelle 10


Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis, Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle Ses regards éblouis ; Dans ce passé perdu quand son âme se noie, Sur ce miroir brisé lorsqu'il rêve en pleurant, Tu lui dis qu'il se trompe, et que sa faible joie N'est qu'un affreux tourment ! Et c'est à ta Françoise, à ton ange de gloire, Que tu pouvais donner ces mots à prononcer, Elle qui s'interrompt, pour conter son histoire, D'un éternel baiser ! Qu'est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine, Et qui pourra jamais aimer la vérité, S'il n'est joie ou douleur si juste et si certaine Dont quelqu'un n'ait douté ? Comment vivez-vous donc, étranges créatures ? Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas ; Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures Ne vous dérangent pas ; Mais, lorsque par hasard le destin vous ramène Vers quelque monument d'un amour oublié, Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine Qu'il vous heurte le pied. Et vous criez alors que la vie est un songe ; Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant, Et vous trouvez fâcheux qu'un si joyeux mensonge Ne dure qu'un instant. Malheureux ! cet instant où votre âme engourdie A secoué les fers qu'elle traîne ici-bas, Ce fugitif instant fut toute votre vie ; Ne le regrettez pas ! Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre, Vos agitations dans la fange et le sang, Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière : C'est là qu'est le néant !

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Mais que vous revient-il de vos froides doctrines ? Que demandent au ciel ces regrets inconstants Que vous allez semant sur vos propres ruines, A chaque pas du Temps ? Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve, Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin, Nous n'avons pas plus tôt ce roseau dans la main, Que le vent nous l'enlève. Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments Que deux êtres mortels échangèrent sur terre, Ce fut au pied d'un arbre effeuillé par les vents, Sur un roc en poussière. Ils prirent à témoin de leur joie éphémère Un ciel toujours voilé qui change à tout moment, Et des astres sans nom que leur propre lumière Dévore incessamment. Tout mourait autour d'eux, l'oiseau dans le feuillage, La fleur entre leurs mains, l'insecte sous leurs pieds, La source desséchée où vacillait l'image De leurs traits oubliés ; Et sur tous ces débris joignant leurs mains d'argile, Etourdis des éclairs d'un instant de plaisir, Ils croyaient échapper à cet être immobile Qui regarde mourir ! Insensés ! dit le sage. Heureux dit le poète. Et quels tristes amours as-tu donc dans le cœur, Si le bruit du torrent te trouble et t'inquiète, Si le vent te fait peur? J'ai vu sous le soleil tomber bien d'autres choses Que les feuilles des bois et l'écume des eaux, Bien d'autres s'en aller que le parfum des roses Et le chant des oiseaux. Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres Que Juliette morte au fond de son tombeau, Plus affreux que le toast à l'ange des ténèbres Porté par Roméo. 12


J'ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère, Devenue elle-même un sépulcre blanchi, Une tombe vivante où flottait la poussière De notre mort chéri, De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde, Nous avions sur nos cœurs si doucement bercé ! C'était plus qu'une vie, hélas ! c'était un monde Qui s'était effacé ! Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire, Je l'ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois. Ses lèvres s'entr'ouvraient, et c'était un sourire, Et c'était une voix ; Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage, Ces regards adorés dans les miens confondus ; Mon cœur, encor plein d'elle, errait sur son visage, Et ne la trouvait plus. Et pourtant j'aurais pu marcher alors vers elle, Entourer de mes bras ce sein vide et glacé, Et j'aurais pu crier : " Qu'as-tu fait, infidèle, Qu'as-tu fait du passé? " Mais non : il me semblait qu'une femme inconnue Avait pris par hasard cette voix et ces yeux ; Et je laissai passer cette froide statue En regardant les cieux. Eh bien ! ce fut sans doute une horrible misère Que ce riant adieu d'un être inanimé. Eh bien ! qu'importe encore ? O nature! ô ma mère ! En ai-je moins aimé? La foudre maintenant peut tomber sur ma tête : Jamais ce souvenir ne peut m'être arraché ! Comme le matelot brisé par la tempête, Je m'y tiens attaché. Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent; Ni ce qu'il adviendra du simulacre humain, Ni si ces vastes cieux éclaireront demain 13


Ce qu'ils ensevelissent. Je me dis seulement : " À cette heure, en ce lieu, Un jour, je fus aimé, j'aimais, elle était belle. " J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle, Et je l'emporte à Dieu ! Alfred de Musset, 1841 Poésies nouvelles

Le Lac Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu'elle devait revoir, Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux. Tout à coup des accents inconnus à la terre Du rivage charmé frappèrent les échos ; Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère Laissa tomber ces mots : " Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours :

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Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours ! " Assez de malheureux ici-bas vous implorent, Coulez, coulez pour eux ; Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ; Oubliez les heureux. " Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m'échappe et fuit ; Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore Va dissiper la nuit. " Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ; Il coule, et nous passons ! " Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse, Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la même vitesse Que les jours de malheur ? Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ? Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus ! Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus ! Éternité, néant, passé, sombres abîmes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez ? Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez ? Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir ! Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages, Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux, Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent sur tes eaux. Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe, 15


Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés, Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface De ses molles clartés. Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire, Que les parfums légers de ton air embaumé, Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire, Tout dise : Ils ont aimé ! Alphonse de Lamartine, 1817 Méditations poétiques

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LE SYMBOLISME L'Amour par terre Le vent de l'autre nuit a jeté bas l'Amour Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc, Souriait en bandant malignement son arc, Et dont l'aspect nous fit tant songer tout un jour! Le vent de l'autre nuit l'a jeté bas! Le marbre Au souffle du matin tournoie, épars. C'est triste De voir le piédestal, où le nom de l'artiste Se lit péniblement parmi l'ombre d'un arbre. Oh! c'est triste de voir debout le piédestal Tout seul! et des pensers mélancoliques vont Et viennent dans mon rêve où le chagrin profond Évoque un avenir solitaire et fatal. Oh! c'est triste! - Et toi-même, est-ce pas? es touchée D'un si dolent tableau, bien que ton œil frivole S'amuse au papillon de pourpre et d'or qui vole Au-dessus des débris dont l'allée est jonchée. Paul Verlaine, 1874 Fêtes Galantes

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes : A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes, Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

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U, cycles, vibrements divins des mers virides, Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ; O, suprême Clairon plein des strideurs étranges, Silences traversés des Mondes et des Anges ; - O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! Arthur Rimbaud, 1872 Poésies

Dernier vœu Voilà longtemps que je vous aime : - L'aveu remonte à dix-huit ans ! Vous êtes rose, je suis blême ; J'ai les hivers, vous les printemps. Des lilas blancs de cimetière Prés de mes tempes ont fleuri ; J'aurai bientôt la touffe entière Pour ombrager mon front flétri. Mon soleil pâli qui décline Va disparaître à l'horizon, Et sur la funèbre colline Je vois ma dernière maison. Oh ! que de votre lèvre il tombe Sur ma lèvre un tardif baiser, Pour que je puisse dans ma tombe, Le cœur tranquille, reposer ! Théophile Gautier Emaux et Camées

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Clair de lune Votre âme est un paysage choisi Que vont charmant masques et bergamasques, Jouant du luth et dansant et quasi Tristes sous leurs déguisements fantasques. Tout en chantant sur le mode mineur L’amour vainqueur et la vie opportune, Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur Et leur chanson se mêle au clair de lune, Au calme clair de lune triste et beau, Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres Et sangloter d’extase les jets d’eau, Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres. Paul Verlaine, 1869 Fêtes galantes

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LE SURREALISME L'Union libre Ma femme à la chevelure de feu de bois Aux pensées d'éclairs de chaleur A la taille de sablier Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche A la langue d'ambre et de verre frottés Ma femme à la langue d'hostie poignardée A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux A la langue de pierre incroyable Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre Et de buée aux vitres Ma femme aux épaules de champagne Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace Ma femme aux poignets d'allumettes Ma femme aux doigts de hasard et d'as de cœur Aux doigts de foin coupé Ma femme aux aisselles de martre et de fênes De nuit de la Saint-Jean De troène et de nid de scalares Aux bras d'écume de mer et d'écluse Et de mélange du blé et du moulin Ma femme aux jambes de fusée Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir Ma femme aux mollets de moelle de sureau Ma femme aux pieds d'initiales Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent Ma femme au cou d'orge imperlé Ma femme à la gorge de Val d'or De rendez-vous dans le lit même du torrent Aux seins de nuit Ma femme aux seins de taupinière marine Ma femme aux seins de creuset du rubis Aux seins de spectre de la rose sous la rosée Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours Au ventre de griffe géante Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical Au dos de vif-argent 20


Au dos de lumière A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire Ma femme aux hanches de nacelle Aux hanches de lustre et de pennes de flèche Et de tiges de plumes de paon blanc De balance insensible Ma femme aux fesses de grès et d'amiante Ma femme aux fesses de dos de cygne Ma femme aux fesses de printemps Au sexe de glaïeul Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens Ma femme au sexe de miroir Ma femme aux yeux pleins de larmes Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée Ma femme aux yeux de savane Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu. André Breton, 1931 Clair de terre

Air du temps Nuage Un cheval blanc s'élève et c'est l'auberge à l'aube où s'éveillera le premier venu Vas-tu traîner toute ta vie au milieu du monde À demi-mort À demi-endormi Est-ce que tu n'as pas assez des lieux communs Les gens te regardent sans rire Ils ont des yeux de verre Tu passes Tu perds ton temps Tu passes Tu comptes jusqu'à cent et tu triches pour tuer dix secondes encore Tu étends le bras brusquement pour mourir

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N'aie pas peur Un jour ou l'autre Il n'y aura plus qu'un jour et puis un jour Et puis ça y est Plus besoin de voir les hommes ni ces bêtes à bon Dieu qu'ils caressent de temps en temps Plus besoin de parler tout seul la nuit pour ne pas entendre la plainte de la cheminée Plus besoin de soulever mes paupières Ni de lancer mon sang comme un disque ni de respirer malgré moi Pourtant je ne désire pas mourir La cloche de mon cœur chante à voix basse un espoir très ancien Cette musique Je sais bien Mais les paroles Que disaient au juste les paroles Imbécile Louis Aragon, 1925 Le mouvement perpétuel

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CLEMENT Laura 2nde 1

Anthologie de poèmes - mouvements romantiques, symbolistes et surrÊalistes-


Sommaire Préface.............................................................................................................................................................................................3 Poèmes romantiques.......................................................................................................................................................................4 Jamais, Alfred de Musset............................................................................................................................................................4 L'âge d'or de l'avenir, Alfred de Vigny.........................................................................................................................................4 L'automne, Alphonse De Lamartine............................................................................................................................................5 Poèmes symbolistes.........................................................................................................................................................................6 L’Albatros, Charles Baudelaire......................................................................................................................................................6 Sonnet en Yx, Alfred de Musset...................................................................................................................................................6 Jadis et Naguère, Paul Verlaine...................................................................................................................................................7 L'ennemi, Charles Baudelaire......................................................................................................................................................8 Poèmes surréalistes.........................................................................................................................................................................9 Un Jour qu'il Faisait Nuit, Robert Desnos....................................................................................................................................9 Les mots m'ont pris par la main, Louis Aragon..........................................................................................................................10 Le Miroir d'un moment , Paul Eluard.........................................................................................................................................11

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Préface Depuis l'Antiquité, nombreux sont ceux qui cherchent à exprimer ou à décrire leurs sentiments par l'art ou la littérature. Ce genre prend le nom de lyrisme, en référence à l'instrument de la lyre et au mythe antique d'Orphée et d'Eurydice. Il se définit par l'expression de sentiments grâce à la musicalité des mots de notre langue. Entre le XIXème et le XXème siècle, le lyrisme s'illustre majoritairement par trois grands mouvements que sont le romantisme, le symbolisme et le surréalisme. Nous nous proposons d'étudier ces mouvements à travers une série de poèmes. Au début du XIXème siècle, le mouvement du romantisme apparaît en réaction au classicisme : il se base sur la sensibilité du poète et exprime un état mélancolique dû au mal du siècle d'une jeunesse privée d'avenir dans une société verrouillée suite aux rapides bouleversements historiques. Le romantisme fait appel aux thèmes du mysticisme, du paysage état d'âme ou encore de l'exotisme et de la nature. Ainsi, dans le poème Automne d'Alphonse de Lamartine, nos cinq sens sont maintenus en éveil par les couleurs et la lumière si particulières à l'automne, par les parfums et le goût du miel... La mélancolie du poète nous est visible par la tristesse et le regret qu'éprouve le poète : Lamartine nous présente un paysage état d'âme, une vision de l'automne rappelant les souvenirs et émotions de l'auteur. De plus, les alexandrins et les rimes croisées rendent la lecture du poème fluide, comme un flot régulier de mots et sensations. Dans chacun des poèmes romantiques, l'expression du « moi » est omniprésente et nous donne une belle version des sentiments ressentis par les poètes. A contrario, les symbolistes, au milieu du XIXeme siècle, cherchent à atteindre un lyrisme impersonnel où le poète s'efface au profit du poème qui renvoie à luimême. Ils puisent dans l'imaginaire des symboles afin d'évoquer des objets à travers les sensations qu'ils suscitent. Ce principe est appelé correspondance, synesthésie ou analogie universelle. Les symbolistes cherchent alors à créer une nouvelle harmonie image/son et introduire le sens du mystère, ou l'hermétisme, dans leurs œuvres. Ils cherchent à s'affranchir de toute règle, notamment par l'utilisation de vers libres. De plus, les symbolistes abordent les thèmes du rêve et de la musique pour appuyer leurs pensées et retrouver des sensations. Dans cette anthologie de poèmes symbolistes, de nombreuses correspondances sont visibles mais rendent les œuvres plus difficiles à comprendre. Dans les poèmes Jadis et Naguère et L’Albatros, les auteurs font référence à la poésie, à la littérature, ou aux poètes en général. De plus, Alfred de Musset se libère de toute convention à travers Sonnet en Yx, dans lequel les rimes sont tout à fait atypiques. Il se livre alors à un vrai jeu dans la versification où il fait correspondre des objets et sensations à des syllabes en « ix ». Enfin, le poème Le Miroir d'un moment de Paul Eluard nous illustre un tout autre mouvement. En effet, complètement déstructuré, le poème ne respecte ni les rimes ni les règles de versifications. Il traduit une nouvelle vision du monde, où le miroir ne reflète pas directement la vérité de l'homme, mais une version déformée. Pour trouver la vérité, il faut révéler l'inconscient, ce que l'on ne voit pas. Ce principe revient à l'un de ceux fondamentaux du mouvement surréaliste, qui consistent à créer une nouvelle vision du monde et à révéler l'inconscient ou l'âme de l'homme. Le surréalisme s'appuie également sur la théorie de psychanalyse de Freud, qui se développe parallèlement à la même époque et qui tente d'expliquer le fonctionnement réel de la pensée. Le surréalisme est aussi marqué par un refus des convention et des catégories esthétiques traditionnelles. Les associations incongrues et oxymores, fréquentes dans le poème de Robert Desnos, illustrent bien les jeux littéraires que les surréalistes s'amusent à créer. 3


Poèmes Romantiques

Jamais, avez-vous dit, tandis qu’autour de nous Résonnait de Schubert la plaintive musique ; Jamais, avez-vous dit, tandis que, malgré vous, Brillait de vos grands yeux l’azur mélancolique. Jamais, répétiez-vous, pâle et d’un air si doux Qu’on eût cru voir sourire une médaille antique. Mais des trésors secrets l’instinct fier et pudique Vous couvrit de rougeur, comme un voile jaloux. Quel mot vous prononcez, marquise, et quel dommage ! Hélas ! je ne voyais ni ce charmant visage, Ni ce divin sourire, en vous parlant d’aimer. Vos yeux bleus sont moins doux que votre âme n’est belle. Même en les regardant, je ne regrettais qu’elle, Et de voir dans sa fleur un tel cœur se fermer.

Le rideau s'est levé devant mes yeux débiles, La lumière s'est faite et j'ai vu ses splendeurs ; J'ai compris nos destins par ces ombres mobiles Qui se peignaient en noir sur de vives couleurs. Ces feux, de ta pensée étaient les lueurs pures, Ces ombres, du passé les magiques figures, J'ai tressailli de joie en voyant nos grandeurs. Il est donc vrai que l'homme est monté par lui-même Jusqu'aux sommets glacés de sa vaste raison, Qu'il y peut vivre en paix sans plainte et sans blasphème, Et mesurer le monde et sonder l'horizon. Il sait que l'univers l'écrase et le dévore ; Plus grand que l'univers qu'il juge et qui l'ignore, Le Berger a lui-même éclairé sa maison.

L'âge d'or de l'avenir, Autres Poèmes, Alfred de Vigny Jamais, Alfred de Musset

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Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure ! Feuillages jaunissants sur les gazons épars ! Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature Convient à la douleur et plaît à mes regards !

Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie Ce calice mêlé de nectar et de fiel ! Au fond de cette coupe où je buvais la vie, Peut-être restait-il une goutte de miel ?

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire, J'aime à revoir encor, pour la dernière fois, Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !

Peut-être l'avenir me gardait-il encore Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ? Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ? ...

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire, A ses regards voilés, je trouve plus d'attraits, C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ; A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ; Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire, S'exhale comme un son triste et mélodieux.

Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie, Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui, Je me retourne encore, et d'un regard d'envie Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !

L'automne, Premières Méditations poétiques, Alphonse De Lamartine

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ; L'air est si parfumé ! la lumière est si pure ! Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !

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Poèmes Symbolistes

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait! Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx, L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore, Main rêve vespéral brûlé par le Phénix Que ne recueille pas de cinéraire amphore Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx, Aboli bibelot d'inanité sonore, (Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx Avec ce seul objet dont le Néant s'honore). Mais proche la croisée au nord vacante, un or Agonise selon peut-être le décor Des licornes ruant du feu contre une nixe, Elle, défunte nue en le miroir, encor Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixe De scintillations sitôt le septuor. Sonnet en Yx, Alfred de Musset

L’Albatros, Charles Baudelaire

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De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Il faut aussi que tu n'ailles point Choisir tes mots sans quelque méprise : Rien de plus cher que la chanson grise Où l'Indécis au Précis se joint. C'est des beaux yeux derrière des voiles, C'est le grand jour tremblant de midi, C'est, par un ciel d'automne attiédi, Le bleu fouillis des claires étoiles ! Car nous voulons la Nuance encor, Pas la Couleur, rien que la nuance ! Oh ! la nuance seule fiance Le rêve au rêve et la flûte au cor ! Fuis du plus loin la Pointe assassine, L' Esprit cruel et le Rire impur, Qui font pleurer les yeux de l'Azur, Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l'éloquence et tords-lui son cou ! Tu feras bien, en train d'énergie, De rendre un peu la Rime assagie. Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ? ô qui dira les torts de la Rime ? Quel enfant sourd ou quel nègre fou Nous a forgé ce bijou d'un sou Qui sonne creux et faux sous la lime ? De la musique encore et toujours ! Que ton vers soit la chose envolée Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée Vers d'autres cieux à d'autres amours. Que ton vers soit la bonne aventure Éparse au vent crispé du matin Qui va fleurant la menthe et le thym Et tout le reste est littérature. Jadis et Naguère, Art Poétique, Paul Verlaine

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Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. Voilà que j'ai touché l'automne des idées, Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées, Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux. Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur? - Ô douleur! ô douleur! Le temps mange la vie, Et l'obscur ennemi qui nous ronge le coeur Du sang que nous perdons croît et se fortifie!

L'ennemi, Charles Baudelaire

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Poèmes Surréalistes

Il s'envola au fond de la rivière. Les pierres en bois d'ébène les fils de fer en or et la croix sans branche. Tout rien. Je la hais d'amour comme tout un chacun. Le mort respirait de grandes bouffées de vide. Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés. Après cela il descendit au grenier. Les étoiles de midi resplendissaient. Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons sur la rive au milieu de la Seine. Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence. En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours. Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule. Quand la marche nous eut bien reposé nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et l'aube versa sur nous les réservoirs de la nuit. La pluie nous sécha. Un Jour qu'il Faisait Nuit, Corps et biens, Robert Desnos

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Je demeurai longtemps derrière un Vittel-menthe L’histoire quelque part poursuivait sa tourmente Ceux qui n’ont pas d’amour habitent les cafés La boule de nickel est leur conte de fées Si pauvre que l’on soit il y fait bon l’hiver On y traîne sans fin par la vertu d’un verre Moi j’aimais au Rocher boulevard Saint-Germain Trouver le noir et or usagé des sous-mains Garçon de quoi écrire Et sur la molesquine J’oubliais l’hôpital les démarches mesquines A raturer des vers sur papier quadrillé Tant que le réverbère au-dehors vînt briller Jaune et lilas de pluie au cœur du macadam J’épongeais à mon tour sur le buvard-réclame Mon rêve où l’encre des passants abandonna Les secrets de leur âme entre deux quinquinas J’aimais à Saint-Michel le Cluny pour l’équerre Qu’il offre ombre et rayons à nos matins précaires Sur le coin de la rue Bonaparte et du quai J’aimais ce haut Tabac où le soleil manquait Il y eut la saison de la Rotonde et celle D’un quelconque bistrot du côté de Courcelles Il y eut ce café du passage Jouffroy L’Excelsior Porte-Maillot Ce bar étroit Rue du Faubourg-Saint-Honoré mais bien plus tard J’entends siffler le percolateur dans un Biard

C’est un lieu trop bruyant et nous nous en allons Place du Théâtre-Français dans ce salon Au fond d’un lac d’où l’on Voit passer par les glaces Entre les poissons-chats les voitures de place Or d’autres profondeurs étaient notre souci Nous étions trois ou quatre au bout du jour Assis A marier les sons pour rebâtir les choses Sans cesse procédant à des métamorphoses Et nous faisions surgir d’étranges animaux Car l’un de nous avait inventé pour les mots Le piège à loup de la vitesse Garçon de quoi écrire Et naissaient à nos pas L’antilope-plaisir les mouettes compas Les tamanoirs de la tristesse Images à l’envers comme on peint les plafonds Hybrides du sommeil inconnus à Buffon Êtres de déraison Chimères Vaste alphabet d’oiseaux tracé sur l’horizon De coraux sur le fond des mers Hiéroglyphes aux murs cyniques des prisons N’attendez pas de moi que je les énumère Chasse à courre aux taillis épais Ténèbre-mère Cargaison de rébus devant les victimaires Louves de la rosée Élans des lunaisons Floraisons à rebours où Mesmer mime Homère Sur le marbre où les mots entre nos mains s’aimèrent

Voici le gibier mort voici la cargaison Voici le bestiaire et voici le blason Au soir on compte les têtes de venaison Nous nous grisons d’alcools amers O saisons Du langage ô conjugaison Des éphémères Nous traversons la toile et le toit des maisons Serait-ce la fin de ce vieux monde brumaire Les prodiges sont là qui frappent la cloison Et déjà nos cahiers s’en firent le sommaire Couverture illustrée où l’on voit Barbizon La mort du Grand Ferré Jason et la Toison Déjà le papier manque au temps mort du délire Garçon de quoi écrire

Les mots m'ont pris par la main, Le Roman Inachevé, Louis Aragon

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Il dissipe le jour, Il montre aux hommes les images déliées de l’apparence, Il enlève aux hommes la possibilité de se distraire. Il est dur comme la pierre, La pierre informe, La pierre du mouvement et de la vue, Et son éclat est tel que toutes les armures, tous les masques en sont faussés. Ce que la main a pris dédaigne même de prendre la forme de la main, Ce qui a été compris n’existe plus, L’oiseau s’est confondu avec le vent, Le ciel avec sa vérité, L’homme avec sa réalité.

Le Miroir d'un moment , Capitale de la douleur, Paul Eluard

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Anthologie de poèmes


Sommaire

Préface Poèmes romantiques -

Jeune fille, l'amour, c'est d'abord un miroir Victor Hugo Une allée du Luxembourg Gérard de Nerval A une fleur Alfred de Musset A deux beaux yeux Théophile Gautier

Poèmes symbolistes - Le mal d’Arthur Rimbaud - Tristesse d’été Stéphane Mallarmé - Green Verlaine

Poèmes surréalistes - Air du temps Aragon - A haute voix Paul Eluard - Art Poétique Eugène Guillevic


Préface Cette anthologie contient des poèmes qui ont un sens à mes yeux. Chaque poème est unique, de par son contenu, son auteur, son mouvement, l’époque à laquelle il a été écrit. Les poèmes dont je vais détailler le contenu par la suite ne sont pas forcément ceux que j’ai trouvé les plus beaux mais plutôt ceux qui m’ont le plus étonné. Prenons « une allée du Luxembourg » ; un titre qui m’a fait immédiatement penser au jardin du Luxembourg, avec ces longues allées bordées d’arbres qui protègent en été les passants du soleil et en automne tapissent le sol de feuilles mortes. Cette pensée, ce songe disparait au fur et à mesure que je lis le poème. Le regret d’un homme qui voit le temps s’écouler et qui n’y peut rien remplace la sensation de calme et de plénitude que peut évoquer le titre. Cette nostalgie m’intrigue. La femme passe « vive et preste » ; elle est comparée à un oiseau devant ce poète arrêté par le temps qui lui dit « adieu ». Cette image est touchante de par sa réalité et l’exactitude avec laquelle le poète arrive à retranscrire cette impression. Ce simple « adieu » ou encore cette phrase « Mais non, ma jeunesse est finie… » montre que Gérard de Nerval n’a pu rattraper cette jeunesse symbolisée par la « jeune fille » : il est trop tard. Le courant romantique est pour moi l’un des plus beaux mouvements de par sa sensibilité ainsi que par la vérité des sentiments que les poètes nous transmettent. Dans ce poème, on peut voir à la fois le regret du temps, mais aussi la peur d’une perte d’inspiration. Chez Victor Hugo, dans « Jeune fille, l’Amour c’est d’abord un miroir », le sentiment qu’est l’amour devient un précipice au fond duquel on est attiré, ce sentiment devient « charmant, pur, et mortel ». Chaque poète à sa manière exprime un sentiment à travers sa propre expérience, des images, des paysages, des fleurs mais leur mal du siècle fait que l’avenir parait vague et irréel ou impossible. Dans un autre registre, le poème « le Mal » de Rimbaud, est un petit film coloré où le champ de bataille, la souffrance des mères, la cruauté de Dieu sont décrits. Chaque objet est associé à un symbole, une odeur, une image, un bruit. Le symbolisme est un mouvement où les poèmes sont animés grâce aux objets qui ne sont plus représentés par leur nom mais par les sensations qu’ils suscitent : par exemple « les crachats rouges » symbolisent le sang. J’aime avoir l’impression de pouvoir toucher, entendre et voir les éléments que le poète décrit et pouvoir penser que c’est ainsi qu’il se les ait imaginé. Et réussir, moi aussi, à les reconstituer : qu’est-ce qui se cache derrière les symboles que nous donne l’auteur ? L’Homme n’est pas décrit : c’est un être déshumanisé que Rimbaud représente en pions « écarlates ou verts » et qu’il compare à « un tas fumant ». L’Eglise n’est pas citée mais en omniprésente grâce à de nombreuses antithèses où Rimbaud donne libre cour à son anticléricalisme : entre la pauvreté du peuple « vieux bonnet » et la richesse de l’Eglise « calice d’or », entre l’odeur des champs de bataille « un tas fumant » et celle des cathédrales « l’encens ». Je trouve, là aussi, ce poème touchant car Rimbaud y dénonce


de manière très engagée le mal de la guerre qui fait des hommes des pantins et le mal de la religion qui les abandonne. Contrairement au romantisme qui parle d’un monde connu, les symbolistes préfèrent l’inconnu, le sens du mystère, le rêve. Chez Mallarmé, le poème doit servir à révéler le mystère de l’univers qu’il décrit. « Tristesse d’été » est un poème publié posthume où Mallarmé raconte sous de nombreux symboles et images, dont la lumière crue du soleil, sa déception et rupture amoureuse. Puis vient le surréalisme, un mouvement qui bouscule toutes les règles et réinvente la poésie. « Art poétique », de Guillevic, est un poème aux phrases concises qui exprime le renouveau de la poésie et l’abandon du « moi » au profit « ce qui a forme et pas de forme ». Guillevic au fur et à mesure des vers fait disparaitre le « je » ; les phrases deviennent impersonnelles : « ne croyez pas entendre en vous les mots, la voix de Guillevic ». Sa voix s’efface devant la beauté de la création, devant l’universel. Il se met en arrière. Grace à l’enjambement « Je ne suis rien / Qu’un peu de vie beaucoup d’orgueil. », le poète exprime clairement qu’il n’est plus « rien ». La poésie est ainsi l’œuvre de tous et non l’expérience propre d’un être. Aragon dans « l’air du temps », utilise le pronom « tu » pour s’adresser au lecteur. Cela est à la fois troublant et impressionnant car après avoir lu ces poèmes, j’ai eu l’impression d’être la personne à qui étaient destinées ces phrases. Avec l’utilisation de nouveau mode d’écriture la poésie change de visage. Dans « A haute voix » de Paul Eluard, le poète dit « Que dans son grenier le cerveau/ Eut peur de tout avouer. ». Paul Eluard comme tous les surréalistes s’intéresse fortement au cerveau et plus exactement à la partie de l’inconscient. La poésie est un art au multiple facette qui se renouvelle sans cesse, comme ici du romantisme au surréalisme, pour donner des poèmes qui malgré de nombreuses évolutions conservent leurs musicalités et leurs mystères que seuls leurs auteurs connaissent véritablement mais qu’ils nous font partager en créant des sensations qui nous personnelles.


Poèmes Romantiques Jeune fille, l'amour, c'est d'abord un miroir Jeune fille, l'amour, c'est d'abord un miroir Où la femme coquette et belle aime à se voir, Et, gaie ou rêveuse, se penche ; Puis, comme la vertu, quand il a votre cœur, Il en chasse le mal et le vice moqueur, Et vous fait l'âme pure et blanche ; Puis on descend un peu, le pied vous glisse... - Alors C'est un abîme ! en vain la main s'attache aux bords, On s'en va dans l'eau qui tournoie ! L'amour est charmant, pur, et mortel. N'y crois pas ! Tel l'enfant, par un fleuve attiré pas à pas, S'y mire, s'y lave et s'y noie. Victor Hugo, Les voix intérieurs, 1837

Une allée du Luxembourg

Elle a passé la jeune fille Vive et preste comme un oiseau : A la main une fleur qui brille, A la bouche un refrain nouveau. C’est peut-être la seule au monde Dont le cœur au mien répondrait, Qui venant dans ma nuit profonde D’un seul regard l’éclaircirait ! Mais non, ma jeunesse est finie… Adieu, doux rayon qui m’a lui, Parfum, jeune fille, harmonie… Le bonheur passait, il a fui ! Gérard de Nerval, Odelettes, 1834


À une Fleur S’il en est ainsi, parle bas, Mystérieuse messagère ; S’il n’en est rien, ne réponds pas ; Dors sur mon cœur, fraîche et légère.

Que me veux-tu, chère fleurette, Aimable et charmant souvenir ? Demi-morte et demi-coquette, Jusqu’à moi qui te fait venir ?

Je connais trop bien cette main, Pleine de grâce et de caprice, Qui d’un brin de fil souple et fin A noué ton pâle calice.

Sous ce cachet enveloppée, Tu viens de faire un long chemin. Qu’as-tu vu ? que t’a dit la main Qui sur le buisson t’a coupée ?

Cette main-là, petite fleur, Ni Phidias ni Praxitèle N’en auraient pu trouver la sœur Qu’en prenant Vénus pour modèle.

N’es-tu qu’une herbe desséchée Qui vient achever de mourir ? Ou ton sein, prêt à refleurir, Renferme-t-il une pensée ?

Elle est blanche, elle est douce et belle, Franche, dit-on, et plus encor ; À qui saurait s’emparer d’elle Elle peut ouvrir un trésor.

Ta fleur, hélas ! a la blancheur De la désolante innocence ; Mais de la craintive espérance Ta feuille porte la couleur. As-tu pour moi quelque message ? Tu peux parler, je suis discret. Ta verdure est-elle un secret ? Ton parfum est-il un langage ?

Mais elle est sage, elle est sévère ; Quelque mal pourrait m’arriver. Fleurette, craignons sa colère. Ne dis rien, laisse-moi rêver. Alfred de Musset, poésies nouvelles, 1838

A deux beaux yeux Vous avez un regard singulier et charmant ; Comme la lune au fond du lac qui la reflète, Votre prunelle, où brille une humide paillette, Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;

Mille petits amours, à leur miroir de flamme, Se viennent regarder et s’y trouvent plus beaux, Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.

Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ; Ils sont de plus belle eau qu’une perle parfaite, Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète, Ne voilent qu’à demi leur vif rayonnement.

Ils sont si transparents, qu’ils laissent voir votre âme, Comme une fleur céleste au calice idéal Que l’on apercevrait à travers un cristal.

Théophile Gautier, La comédie de la mort


Poèmes Symbolistes Tristesse d'été Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie, En l'or de tes cheveux chauffe un bain langoureux Et, consumant l'encens sur ta joue ennemie, Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux. De ce blanc Flamboiement l'immuable accalmie T'a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux, « Nous ne serons jamais une seule momie Sous l'antique désert et les palmiers heureux! » Mais ta chevelure est une rivière tiède, Où noyer sans frissons l'âme qui nous obsède Et trouver ce Néant que tu ne connais pas. Je goûterai le fard pleuré par tes paupières, Pour voir s'il sait donner au cœur que tu frappas L'insensibilité de l'azur et des pierres. Stéphane Mallarmé

Green Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous. Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux. J'arrive tout couvert encore de rosée Que le vent du matin vient glacer à mon front. Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée Rêve des chers instants qui la délasseront. Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête Toute sonore encor de vos derniers baisers; Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête. Et que je dorme un peu puisque vous reposez. Paul Verlaine, Romances sans paroles


Le Mal

Tandis que les crachats rouges de la mitraille Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ; Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille, Croulent les bataillons en masse dans le feu ; Tandis qu'une folie épouvantable broie Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ; - Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie, Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !… – Il est un Dieu qui rit aux nappes damassées Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ; Qui dans le bercement des hosannah s'endort, Et se réveille, quand des mères, ramassées Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir, Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

Rimbaud, Poésie, 1870


Poèmes Surréalistes

Air du temps Nuage Un cheval blanc s'élève et c'est l'auberge à l'aube où s'éveillera le premier venu Vas-tu traîner toute la vie au milieu du monde À demi-mort À demi-endormi Est-ce que tu n'as pas assez des lieux communs Les gens te regardent sans rire Ils ont des yeux de verre Tu passes Tu perds ton temps Tu passes Tu comptes jusqu'à cent et tu triches pour tuer dix secondes encore Tu étends le bras brusquement pour mourir N'aie pas peur Un jour ou l'autre Il n'y aura plus qu'un jour et puis un jour Et puis ça y est Plus besoin de voir les hommes ni ces bêtes à bon Dieu qu'ils caressent de temps en temps Plus besoin de parler tout seul la nuit pour ne pas entendre la plainte de la cheminée Plus besoin de soulever mes paupières Ni de lancer mon sang comme un disque ni de respirer malgré moi Pourtant je ne désire pas mourir La cloche de mon coeur chante à voix basse un espoir très ancien Cette musique Je sais bien Mais les paroles Que disaient au juste les paroles Imbécile

L. Aragon, Le mouvement perpétuel, 1925


A haute voix À haute voix L’amour agile se leva Avec de si brillants éclats Que dans son grenier le cerveau Eut peur de tout avouer. À haute voix Tous les corbeaux du sang couvrirent La mémoire d’autres naissances Puis renversés dans la lumière L’avenir roué de baisers. Injustice impossible un seul être est au monde L’amour choisit l’amour sans changer de visage. Paul ÉLUARD, L’Amour la poésie

Art poétique Je ne parle pas pour moi, Je ne parle pas en mon nom, Ce n’est pas de moi qu’il s’agit. Je ne suis rien Qu’un peu de vie beaucoup d’orgueil. Je parle pour tout ce qui est, Au nom de ce qui a forme et pas de forme. Il s’agit de tout ce qui pèse, De tout ce qui n’a pas de poids. Je sais que tout a volonté autour de moi, D’aller plus loin, de vivre plus, De mieux mourir aussi longtemps Qu’il faut mourir. Ne croyez pas entendre en vous Les mots, la voix de Guillevic. C’est la voix du présent allant vers l’avenir Qui vient de lui sous votre peau. Guillevic, Gagner 1949


Dans « correspondances », Baudelaire théorise le symbolisme. Le deuxième tercet de son poème est un subtil mélange de chaque sens, l’hypallage « doux » rappelle la douceur du son provenant du hautbois ou bien de la chair d’enfant, l’avant dernier vers renvoit à des parfums forts (le musc, le benjoin, l’encens, l’ambre.). Grace aux parfums de l’encens et du benjoin on retrouve une certaine spiritualité, ils sont souvent utilisés lors des prières ou cérémonies religieuses ou bien tout simplement pour relaxer. Le dernier vers du sonnet se nomme la pointe, elle est l’essence du symbolisme qui est relié à la musicalité. Dans ce poème, la nature est un ensemble de symboles que l’homme doit déchiffrer. « L’amour par terre » de Verlaine est un poème décrivant une statue de cupidon au sol soit l’amour par terre et le nom de l’artiste ne lit plus, c’est donc l’abandon du lyrisme du moi. C’est une spécificité du symbolisme, le rejet de toute sensibilité, du « moi ». Théophile Gautier assimilait la poésie à la sculpture, Verlaine disait qu’il fallait travailler, sculpter son poème, il y a une correspondance entre la statue de cupidon et le poème de Verlaine. Apollinaire fut celui qui donna le du symbolisme, il en est un des majeurs précurseurs. « Consacrer sa vie à l’amour » est un poème appartenant au mouvement symboliste, on y retrouve plusieurs correspondances, « Il tremble en moi comme un grelot ; Ce lourd secret que tu quémandes » le comparant est le grelot et le comparé est le secret, « Ô ma jeunesse abandonnée ; Comme une guirlande fanée » ici le comparant est une guirlande fanée et le comparé est la jeunesse abandonnée d’Apollinaire. Il y a aussi une correspondance entre la poésie et la peinture, présence de : « tableau », « portrait », « cadre ». « Spleen » de Charles Baudelaire signifie ennui profond, il est le synonyme de la mélancolie, du dégout, de la dépression ou du mal du pays. Dans le poème on retrouve le mal du pays avec les vers « Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. » , l’auteur établie une correspondance entre la pluie et la sensation qu’elle procure, pour lui c’est une sensation d’emprisonnement « Quand la pluie étalant ses immenses traînées ;D'une vaste prison imite les barreaux », il y a aussi la présence de comparaisons qui sont « Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide » le comparé est l’espoir et le comparant est la chauve souris, il y a une perte d’espoir, c’est la dépression, il y a aussi une impression d’enferment avec la comparaison « quand le ciel lourd et bas pèse comme un couvercle », la présence de correspondances et de comparaisons montrent l’appartenance de ce poème au mouvement littéraire du symbolisme. « L’Adieu » de Guillaume Apollinaire est un poème où l’auteur s’adresse à un brin de bruyère, ce brin de bruyère représente probablement un amour perdu, il


associe l’odeur du brin de bruyère à celle du temps. Le brin de bruyère va faner et l’automne va passer. L’auteur associe l’odorat à la vue mais aussi à la sensation.

Le surréalisme est un mouvement littéraire né après la première guerre mondiale. Ce mouvement littéraire est caractérisé par son abandon de toute logique et de morale. L’auteur se défait de toute limite ou contrainte de l’irrationnel, il repose sur les valeurs de l’absurde, de l’irrationnel, du rêve, du désir et de la révolte, André Breton avait pour définition « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » Dans « Air du temps » de Louis Aragon, les trois premier vers du poème nous installe dans un monde imaginaire dans avec des phrases qui n'ont pas de suite logique. Le nuage fait probablement appel à l'imagination, certainement les jeux des enfants qui cherchent des formes familières dans les nuages, le cheval blanc lui fait certainement référence aux chevaux des comptes pour enfants ou bien ceux de la mythologie.

LES POEMES L’adieu J'ai cueilli ce brin de bruyère L'automne est morte souviens-t'en Nous ne nous verrons plus sur terre Odeur du temps Brin de bruyère Et souviens-toi que je t'attends

Guillaume Apollinaire


Spleen Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits; Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris; Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. - Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. Les Fleurs du Mal, 1857, Charles Baudelaire L'aube est moins claire... L'aube est moins claire, l'air moins chaud, le ciel moins pur ; Le soir brumeux ternit les astres de l'azur. Les longs jours sont passés ; les mois charmants finissent. Hélas ! voici déjà les arbres qui jaunissent ! Comme le temps s'en va d'un pas précipité ! Il semble que nos yeux, qu'éblouissait l'été, Ont à peine eu le temps de voir les feuilles vertes. Pour qui vit comme moi les fenêtres ouvertes, L'automne est triste avec sa bise et son brouillard, Et l'été qui s'enfuit est un ami qui part. Adieu, dit cette voix qui dans notre âme pleure, Adieu, ciel bleu ! beau ciel qu'un souffle tiède effleure ! Voluptés du grand air, bruit d'ailes dans les bois,


Promenades, ravins pleins de lointaines voix, Fleurs, bonheur innocent des âmes apaisées, Adieu, rayonnements ! aubes ! chansons ! rosées ! Puis tout bas on ajoute : ô jours bénis et doux ! Hélas ! vous reviendrez ! me retrouverez-vous ? Victor Hugo Correspondances La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, — Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l’expansion des choses infinies, Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens, Qui chantent les transports de l’esprit et des sens. Baudelaire, Les Fleurs du Mal, IV.

Le Dormeur du Val C'est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.


Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. Arthur Rimbaud

Consacrer sa vie à l’amour L'amour est mort entre tes bras Te souviens-tu de sa rencontre Il est mort tu la referas Il s'en revient à ta rencontre Encore un printemps de passé Je songe à ce qu'il eut de tendre Adieu saison qui finissez Vous nous reviendrez aussi tendre

Dans le crépuscule fané Où plusieurs amours se bousculent Ton souvenir gît enchaîné Loin de nos ombres qui reculent Ô mains qu'enchaîne la mémoire Et brûlantes comme un bûcher Où le dernier des phénix noire Perfection vient se jucher La chaîne s'use maille à maille Ton souvenir riant de nous S'enfuir l'entends-tu qui nous raille Et je retombe à tes genoux

Tu n'as pas surpris mon secret Déjà le cortège s'avance Mais il nous reste le regret De n'être pas de connivence


La rose flotte au fil de l'eau Les masques ont passé par bandes Il tremble en moi comme un grelot Ce lourd secret que tu quémandes

Le soir tombe et dans le jardin Elles racontent des histoires À la nuit qui non sans dédain Répand leurs chevelures noires Petits enfants petits enfants Vos ailes se sont envolées Mais rose toi qui te défends Perds tes odeurs inégalées Car voici l’heure du larcin De plumes de fleurs et de tresses Cueillez le jet d’eau du bassin Dont les roses sont les maîtresses

Tu descendais dans l'eau si claire Je me noyais dans ton regard Le soldat passe elle se penche Se détourne et casse une branche Tu flottes sur l'onde nocturne La flamme est mon cœur renversé Couleur de l'écaille du peigne Que reflète l'eau qui te baigne

Ô ma jeunesse abandonnée Comme une guirlande fanée Voici que s’en vient la saison Et des dédains et du soupçon Le paysage est fait de toiles Il coule un faux fleuve de sang Et sous l’arbre fleuri d’étoiles Un clown est l’unique passant


Un froid rayon poudroie et joue Sur les décors et sur ta joue Un coup de revolver un cri Dans l’ombre un portrait a souri La vitre du cadre est brisée Un air qu’on ne peut définir Hésite entre son et pensée Entre avenir et souvenir Ô ma jeunesse abandonnée Comme une guirlande fanée Voici que s’en vient la saison Des regrets et de la raison

Air du temps Nuage Un cheval blanc s'élève et c'est l'auberge à l'aube où s'éveillera le premier venu Vas-tu traîner toute la vie au milieu du monde À demi-mort À demi-endormi Est-ce que tu n'as pas assez des lieux communs Les gens te regardent sans rire Ils ont des yeux de verre Tu passes Tu perds ton temps Tu passes Tu comptes jusqu'à cent et tu triches pour tuer dix secondes encore Tu étends le bras brusquement pour mourir N'aie pas peur Un jour ou l'autre Il n'y aura plus qu'un jour et puis un jour Et puis ça y est Plus besoin de voir les hommes ni ces bêtes à bon Dieu qu'ils caressent de temps en temps Plus besoin de parler tout seul la nuit pour ne pas entendre la plainte de la cheminée Plus besoin de soulever mes paupières Ni de lancer mon sang comme un disque ni de respirer malgré moi Pourtant je ne désire pas mourir La cloche de mon coeur chante à voix basse un espoir très ancien Cette musique Je sais bien Mais les paroles Que disaient au juste les paroles Imbécile


Louis ARAGON, Le Mouvement perpétuel (1926) El desdichado Je suis le ténébreux,- le Veuf, - l'inconsolé, Le Prince d'Aquitaine à la tour abolie: Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé Porte le soleil noir de la Mélancolie. Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé, Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie, La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé, Et la treille où le Pampre à la rose s'allie. Suis-je Amour ou Phoebus ?.... Lusignan ou Biron ? Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ; J'ai rêvé dans la grotte où nage la Sirène... Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron : Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée. Les Chimères Gérard de Nerval Le Lac Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges Jeter l’ancre un seul jour ? Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu’elle devait revoir, Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre Où tu la vis s’asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux. Tout à coup des accents inconnus à la terre


Du rivage charmé frappèrent les échos ; Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère Laissa tomber ces mots : « Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours ! « Assez de malheureux ici-bas vous implorent, Coulez, coulez pour eux ; Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ; Oubliez les heureux. « Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m’échappe et fuit ; Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore Va dissiper la nuit. « Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ; Il coule, et nous passons ! » Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse, Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur, S’envolent loin de nous de la même vitesse Que les jours de malheur ? Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ? Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus ! Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus ! Éternité, néant, passé, sombres abîmes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez ? Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez ? Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir ! Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages, Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,


Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent sur tes eaux. Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe, Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés, Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface De ses molles clartés. Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire, Que les parfums légers de ton air embaumé, Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire, Tout dise : Ils ont aimé ! Alphonse de Lamartine L'amour par terre Le vent de l'autre nuit a jeté bas l'Amour Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc, Souriait en bandant malignement son arc, Et dont l'aspect nous fit tant songer tout un jour ! Le vent de l'autre nuit l'a jeté bas ! Le marbre Au souffle du matin tournoie, épars. C'est triste De voir le piédestal, où le nom de l'artiste Se lit péniblement parmi l'ombre d'un arbre, Oh ! c'est triste de voir debout le piédestal Tout seul ! Et des pensers mélancoliques vont Et viennent dans mon rêve où le chagrin profond Évoque un avenir solitaire et fatal. Oh ! c'est triste ! - Et toi-même, est-ce pas ! es touchée D'un si dolent tableau, bien que ton oeil frivole S'amuse au papillon de pourpre et d'or qui vole Au-dessus des débris dont l'allée est jonchée. Verlaine


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