Le Train vert par Monique Veuillot-Lebihan

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Le Train Vert

Mon ailleurs est ici, me dis- je,dans cette maison de Senlis, chaleureuse et confortable, tandis que la pluie bat les vitres et que le vent chante sa monotone ritournelle. Un livre aimé, un feu de bois,un grog brûlant : que demander de plus ? Mon ailleurs est ici…..Eh bien non ! Mon ailleurs est ailleurs, perdu. Pour en retrouver la trace il faut partir loin dans ma tête, retrouver l’enfance, la petite bulle protectrice, rassurante mais trop enfermante aussi, qui explosait magiquement chaque mois d’août.Cela commençait par la préparation de la malle, une imposante chapelière, dans laquelle s’entassaient robes d’été et maillots de bain, comme prémices de ciel bleu, de soleil, de mer écumeuse et profonde.Un gros camion de la SNCF venait la chercher et sa venue me mettait dans une excitation terrible.Puis c’était le soir du départ, enfin !La gare d’Austerlitz grouillait d’un monde affairé et joyeux à l’idée des vacances tant attendues dont on faisait partie, bien sûr, mais le bruit m’effrayait ainsi que les injonctions incessantes de mon père : marcher vite, ne pas lâcher la main de Maman,bien lire les tableaux (auxquels je ne comprenais rien)pour ne pas se tromper de train.« Attention au marchepied, voyons, tu veux tomber sous le train ? » Quelle horreur ! Enfin, le gros wagon vert nous abritait dans son ventre, ça démarrait doucement, les quais s’éloignaient,Paris tout gris,affreux sous la pluie, restait en arrière.Le rythme s’accélérait,les parents souriaient, l’angoisse tombait : on avait même le droit de claquer la porte du compartiment et de se balader dans le couloir! Le voyage durait toute la nuit, les étoiles apparaissaient tandis que les vitres se teintaient de bleu : demain ce serait le soleil, la chaleur, là-bas c’était toujours ainsi, un pays ou règne la splendeur de l’été, un Valparaiso, mot magique auquel je ne pouvais donner qu’un sens étymologique, c’était le val paradis dans ma tête de petite fille, et je le répétais avec gourmandise. Et puis on allait au wagon restaurant en traversant les différentes voitures, au milieu des soufflets qui les reliaient, cela faisait un boucan d’enfer, je me faisais peur exprès pour apprécier davantage la magie du wagon bleu, ses nappes blanches, ses couverts argentés, ses tasses de porcelaine bleue dans lesquelles on dégustait un délicieux potage. Après, il fallait éteindre les lumières et dormir….dormir ! Impossible. C’était une nuit haletante, une nuit de veille et d’espoir au rythme du train, dans la ferraille gigotante et les longs sifflements. Soudain, tout s’arrêtait et une voix ou chantait l’accent du Sud clamait «Briiive la Gaillarde», cin …in…inq minutes d’arrêt! » Ah, la promesse de cet accent! Le bonheur de vivre, la, bientôt, au bout des rails sur lesquels repartait la longue carcasse verte. Je soulevais doucement le coin du rideau qui obturait la vitre du compartiment, c’était défendu, mais ils dormaient tous et rien ne m’aurait fait renoncer à ce moment où se levait un jour tout rose et timide, puis la clarté s’accentuait jusqu’à l’apparition d’un soleil aveuglant qui faisait briller les étangs au ras desquels passait le train : j’avais peur qu’il y tombe!Le jour montait le long des roseaux, puis le train longeait le château de Salses de tout près, les échauguettes ocres se détachaient sur le ciel.Enfin,ce que je guettais par-dessus tout apparaissait au fond de l’horizon : le ruban bleu!Le ruban de la Méditerranée qui s’étirait voluptueusement, prometteur et complice. Le spectacle était pour moi seule dans ce wagon rempli de sommeil. Les cliquètements de la ferraille se faisaient de plus en 1


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