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2.4. Gouvernance nationale et territoriale
Alors que les projets de loi ont été déposés au Parlement58, le dialogue entre le Bureau et les auteurs semble à un tournant. En 2019, le Syndicat des Auteurs et Compositeurs Indépendants Marocains (SACIM) et le Syndicat Artistique des Producteurs et Auto Producteurs (SAPA) demandent à avoir une représentativité symbolique au sein du BMDA et un droit de regard sur son travail, tout en affirmant être prêts à travailler avec tous les acteurs et les institutions concernées.
Il est à noter que la loi qui bloquée actuellement dans le circuit parlementaire.
La même année, le Collectif des artistes marocains pour les droits d’auteur (CAMDA)59 , lance une campagne de sensibilisation “3tini 9anouni” (donne-moi ma loi) concernant la nécessité de réviser le cadre juridique relatif à la gestion collective des DADV.
Politique d’éducation culturelle et artistique : la grande absente des politiques nationales ?
En 1995, l’enseignement de l’éducation musicale est devenu obligatoire dans les établissements scolaires étatiques, et ce suite aux recommandations de l’UNESCO lors de la déclaration de la décennie 1988–1997 «Décennie mondiale du développement culture»60. L’objectif de cette réforme était de permettre l’éveil artistique et l’initiation aux pratiques culturelles (peinture, musique, théâtre), tel qu’indiqué sur le document stratégique du Ministère de l’Éducation nationale.
L’éducation artistique se cantonne aux cours de musique et de dessin dispensés dans les collèges publics, ces cours sont dispensés à raison de deux heures par semaine, et ce d’après le programme pédagogique de Ministère de la l’éducation nationale. Sur le plan pratique, les collégiens marocains au cours de l’année scolaire 2014-2015, sur un total de 2 496 728 élèves inscrits61 dans l’enseignement secondaire, seuls 557 288 ont bénéficié d’une séance d’une heure par semaine de dessin ou de musique, soit 22% des élèves. En effet, l’un des problèmes majeurs de l’échec de cette démarche est le corps professoral qui n’est pas suffisant sur le plan quantitatif (nombres de professeurs de musique) et limité sur le plan qualitatif (la diversité du répertoire musical enseigné).
D’après les statistiques du Ministère de la culture présentées en 2015, il apparaît que l’accès des marocains à l’apprentissage des expressions artistiques se manifeste par l’inscription aux conservatoires de musique, aux écoles d’art dramatique ou sur internet à travers le suivi des tutoriaux pour passionnés de cinéma. Les mélomanes désirant apprendre la musique dans les conservatoires publics représentaient en moyenne une dizaine de milliers d’inscrits par an,
58. Au moment de la publication de cette étude, ces projets sont encore en cours d’examen. 59. CAMDA : plateforme de concertation et d’échange de créateurs de la nouvelle scène (arts dramatiques et musique). 60. Rapport de la commission mondiale de la culture et du développement, « Notre diversité créatrice », UNESCO, Paris, 1996. 61. Revue statistique éducation 2014-2015. Ministère de l’Éducation nationale. 2016.
entre 2013 et 201562. La plupart de ces élèves sont inscrits au solfège, au piano et au luth. Le nombre de lauréats est égal à 508 personnes63 seulement par rapport aux 36 453 élèves64 qui ont suivi ces cours sur les trois années (2013–2015), soit 1,39% de l’ensemble des inscrits.
Le public n’est pas au cœur de la réflexion des opérateurs culturels et artistiques – privés ou publics, qui donnent plus de priorité à la création, à l’esthétique ou à la visibilité de leurs projets.65 De plus, et en l’absence d’éducation à l’art à l’école et du peu d’actions d’éducation populaire, le public marocain non initié n’est pas encouragé à accéder aux espaces culturels ni à assister aux événements artistiques. L’enquête sur les pratiques culturelles réalisée par l’association Racines66, nous révèle que plus de la moitié (58,21%) de la jeunesse marocaine (dont 65,09% de femmes) n’a pas assisté à un spectacle de musique entre 2015 et 2016 et que seulement 14,31% ont assisté à un spectacle de musique. En ce qui concerne le cinéma, 79,47% (dont 81,96% de femmes) de la même catégorie d’âge ont répondu ne pas avoir fréquenté de cinéma, alors que 6,39% seulement ont assisté une seule fois à une projection cinématographique.
FIG 19: Place de l’éducation artistique dans les politiques publiques de la culture au Maroc.
• Gouvernance territoriale
• Décentralisation de la culture
Le processus de décentralisation de l’action culturelle remonte à Mohammed Allal Sinaceur (Ministre des Affaires Culturelles, 1992-1995) au moment de la création des Directions Régionales de l’Action culturelle (DRAC).67 Le Maroc compte 12 Directions Régionales de la culture placées sous la tutelle du MCJS. Voici leurs principales attributions : gestion du patrimoine matériel et immatériel et sa valorisation,
l’animation des équipements culturels et artistique et la création, l’équipements et
la gestions des espaces culturels et artistiques68 . Le MCJS compte sous son autorité 15 directions provinciales (Tétouan, Al Hoceima, Figuig, Meknès, Taza, Khouribga, Ouarzazate, Tiznit, Taroudant, Kénitra, Safi, Essaouira, El Jadida, Settat et Smara).69 Celles-ci sont présentes dans 10 régions marocaines (exceptions: Guelmim Oued Noun et Dakhla Oued Eddahab).
62. Revue statistiques culturelles n°2 2013-2015. Ministère de la Culture. 2016. 63. Ibid. P.82. 64. Ibid. P.81. 65. Étude sur les filières créatives au Maroc conduite par les chercheuses : Marta Carrascosa et Sabrina Kamili (2021). 66. Enquête sur les pratiques culturelles des marocains. Association Racines, 2016. برغلما – طابرلا ,2012 ,قارقر بيأ راد صرانيس للاع دمحم ،1995 _ 1992 برغلماب فياقثلا نأشلا يربدت في تارظن .Cf .67 .ةفاقثلا ةرازول ةزكرمملالا حلاصلما ميظنتو تاصاصتخا ديدحتب (2016 وينوي 10) 1437 ناضمر 4 في رداص 1701-16 مقر ةفاقثلا ريزول رارق .68
69. Les politiques culturelles en régions, Association Racines, 2018. P.15.
Groupe Génération Taragalte. Crédits: Association Taragalte©.
La majorité des structures se situent dans les grandes villes
50%
des structures (association, syndicat, structure publique et privée...) et des espaces de création, formation et diffusion - toutes disciplines confondues - se situent sur l’axe :
TANGER- RABAT- SALÉ - KÉNITRA - CASABLANCA - MARRAKECH
31,6%
Livres, Edition et Lecture publique
31,6%
Musique
12,7% 12,4% 9%
Cinéma
Arts visuels
Théâtre Il y a largement plus de lieux culturels dédiés à la diffusion et à la création, qu’à la formation.
FIG 20-A : Concentration des structures culturelles dans les grands centres urbains
Source: données artmap.ma70
70. D’après le rapport Med Culture “Morocco Country Report - Etat des lieux de la culture et des arts”. Dounia Benslimane (Déc. 2018). wwwmedculture.eu.
878
586
309 457
275 251 302
131 2 118 70 100 27
TANGER-TETOUAN-AL HOCEIMARABAT-SALÉ-KÉNITRACASABLANCA-SETTATBÉNI MELLAL-KHÉNIFRASOUSS-MASSAFÈS-MEKNÈSMARRAKECH-SAFIORIENTAL DAKHLA-OUED EDDAHABDRÂA-TAFILALETLAÂYOUNE-SAKIA EL HAMRAGUELMIM-OUED NOUNArtistes à L’Étranger
FIG 20-B : Répartition des 3379 cartes professionnelles d’artistes du MCJS par région
Source: diagramme réalisé par l’équipe de recherche à partir de la liste des cartes professionnelles (MCJS- 2020)
En avril 2020, le Ministère a hérité du réseau des maisons de jeunes qui sont au nombre de 61071 (réf.FIG 21-Annexe 5). L’opportunité dont dispose le MCJS à travers ses trois départements - Culture, Communication, Jeunesse et sports - peut permettre plusieurs ouvertures sur les aspects d’une politique publique de proximité basée sur le partenariat avec les collectivités territoriales et le privé72. Et ce, à travers un appui sur les directions régionales et provinciales et le réseau des maisons de jeunes - 344 (urbain) et 266 (rural)73 - pour toucher le plus de citadins et de ruraux sur leur territoire.
• Conseils territoriaux élus et régionalisation avancée
Depuis 2016, la loi organique n°112-14, les conseils préfectoraux et provinciaux se donnent pour mission le diagnostic des besoins en matière de culture et de sports74 à l’intérieur de leur territoire. Et ce en rapport avec la proximité que les élus doivent avoir avec les citoyens dans le but d’identifier les besoins culturels et sportifs des publics locaux. Dans le cadre des compétences partagées entre l’Etat et les conseils communaux, la loi organique n°113.14 indique que ces derniers sont responsables de la création de maisons de jeunes, de centres de loisirs, de complexes culturels, de
71. www.mjs.gov.ma/sites/default/files/jeunesse/reseau_des_maisons_de_jeunes.pdf 72. Exemples de services de proximité: éveil artistique de la petite-enfance à travers les crèches privées. 73. www.mjs.gov.ma/sites/default/files/jeunesse/reseau_des_maisons_de_jeunes.pdf 74. Article 79 du Dahir n° 1-15-84 du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015) relatif aux préfectures et provinces. (BO n°6440 du 18
Février 2016)
bibliothèques communales, de musées, de théâtres et de conservatoires d’art et de musique75 .
Au niveau des compétences transférées de l’État à la commune, et selon l’article 90, celle-ci assure la protection et la restauration des monuments historiques, du patrimoine culturel et la préservation des sites naturels76. Les conseils régionaux considérés comme l’entité élue la plus importante à l’échelle territoriale et dont le nombre est de 12 conseils régionaux au Maroc sont missionnés à la contribution à la
préservation des sites archéologiques et leur promotion, l’organisation de festivals culturels et de divertissement77 .
Par la force des lois, l’ensemble des conseils territoriaux sont théoriquement engagés dans le développement des ICC selon divers niveaux de responsabilités : Gestion, construction, organisation, étude, diagnostic…etc. Sur le terrain, si l’infrastructure existe, l’aménagement territorial est peu équitable entre les régions et les programmations culturelles peu en phase avec les besoins et les attentes des publics locaux.
• Gestion déléguée des services et des équipements culturels (PPP)
Définit par la loi 86-1278, le partenariat public privé (PPP) est considéré comme une forme de coopération par laquelle l’Etat, les établissements publics de l’Etat et les entreprises publiques confient à des partenaires de droit privé - à travers des contrats PPP - la responsabilité de réaliser une mission globale de conception, de financement - de tout ou partie - de construction ou réhabilitation, de maintenance ou d’exploitation d’un ouvrage ou d’infrastructure ou la fourniture de services nécessaires à la fourniture d’un service public.
Les conseils de ville ont commencé depuis peu à déléguer les services publics à des sociétés privées créées par la collectivité territoriale, dotées d’un capital majoritairement public. En particulier, les Sociétés de Développement Local (SDL)79 ont un statut de société anonyme de droit privé et sont administrées par un conseil constitué d’élus, de représentants de l’État (Wali) et d’acteurs économiques.
A Casablanca, la gestion de l’animation culturelle de la ville est opérée par la SDL « Casa Event & Animation » (Organisation du Street Art Casa Mouja et du Festival de Casablanca, entre autres), tandis que la préservation et la valorisation du Patrimoine de la ville a été confiée à la SDL « Casa Patrimoine » (projets de réhabilitation de l’Ex-Eglise
75. Article 87 du Dahir n°1-15-85 du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015) portant promulgation de la loi organique n°113-14 relative aux communes (18 Février 2016) (Bulletin Offi ciel N° 6440 du 09 Joumada I 1437) 76. Les politiques culturelles en région, Association Racines, 2018. P. 33. 77. Article 82 du Dahir n° 1-15- 83 du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015) (BO n°6440-3 du 18 Février 2016) 78. Loi n° 86-12 relative aux contrats de partenariat public-privé promulguée par le Dahir n° 1-14-192 du 1 er rabii I 1436 (24 décembre 2014) (B.O. n° 6332 du 5 février 2015) 79. Nommées auparavant Société d’Économie Mixte (SEM, 2004)
du Sacré-Cœur, mise en valeur des sites archéologiques, inventaire et numérisation du Patrimoine culturel immatériel régional, etc). « Casa Aménagement » supervise les grands chantiers dont la construction du Grand théâtre de Casablanca.
En 2021, la région de Souss-Massa crée une première SDL “Agadir Tadbir” dotée d’un capital de 5 millions de dirhams80. En vertu de son statut, elle sera désormais chargée de la gestion des équipements communaux dont les espaces culturels entre autres.
Lors des entretiens, certaines entreprises créatives ont soulevé le fait qu’elles se sentaient concurrencées par des sociétés de développement local à Casablanca, qui organisent elles-mêmes des événements alors qu’elles bénéficient de fonds publics.
• Plans de développement régional et AREP
Depuis le lancement de la politique de la régionalisation avancée en 2015 et conformément aux dispositions de la Constitution du 1er juillet 2011 et de l’article 83 de la loi organique 111-14, les conseils régionaux ont l’obligation de définir une stratégie de développement régionale durant la première année de leur mandat. Ainsi, une fois le programme de développement régional (PDR) élaboré, le conseil régional doit créer l’Agence Régionale d’Exécution des projets (AREP). Ces programmes visent à mettre en place des stratégies et des plans d’action pour les années à venir (horizon 2021/2022) pour le développement du secteur social, économique, environnemental et culturel au niveau des régions. L’investissement total sur les douze régions avoisine les
400 milliards de dirhams81 .
Le développement du secteur culturel est occasionnellement présent dans les stratégies des Conseils régionaux. Le plus souvent, il est rattaché à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine régional. Nous pouvons citer à titre d’exemple la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima82 dont les projets visent la création de 600 emplois à travers la mise en place de circuits touristico-culturels en milieu rural dans la région. Le rôle des AREP est de mettre en pratique les projets élaborés dans le cadre des PDR, en engageant des budgets propres aux conseils régionaux ou à travers des partenariats avec des institutions étatiques ou avec le secteur privé.
80. https://leseco.ma/maroc/agadir-la-sdl-tadbir-prend-forme.html 81. Alami Youness Saad, Plans de développement régional: L’Intérieur rejette les propositions surréalistes, L’économiste, 04/07/2018 82. Les politiques culturelles en régions, Association Racines, 2018. P.45.
• Reconnaissance des ICC comme levier d’attractivité des investissements : le cas de la région Marrakech-Safi
Dans le cadre d’une action visant à renforcer l’attractivité de la région pour les investisseurs, le Centre Régional d’Investissement (CRI) de la région de MarrakechSafi lance une étude afin de renforcer le rôle des économies créatives83 dans le développement de la région. Le secteur jouit dans cette région d’une reconnaissance claire de son potentiel comme levier du développement territorial, capitalisant sur ses ressources culturelles, patrimoniales et sur l’inscription d’Essaouira dans le réseau des villes créatives de l’UNESCO.
PDR de la région : Marrakech - Safi84
Le volet culturel apparaı̂t sous l’axe « Croissance économique » puis sous l’axe « Valorisation du patrimoine culturel et naturel ». Pour la filière tourisme, culture et animation, 13 projets prioritaires sont planifiés pour un investissement de 2,9 milliards de dirhams et d’une valeur ajoutée de 9,2 milliards de dirhams, visant la création de 51 620 emplois. Au niveau de la formation, le document prévoit la création d’un Centre de formation des métiers du luxe combinant artisanat, cosmétique (produits du terroir), innovation et design d’emballage pour une enveloppe budgétaire de 40 millions de dirhams prévoyant la création de 3 700 emplois.
Le plan prévoit le développement de 3 plateformes pour la valorisation de l’artisanat (60 artisans / 600 millions de dirhams / 3 000 postes) ; et une plateforme dédiée au développement des métiers liés aux médias, cinéma, arts vivants et métiers de la scène. Pour ce faire, il a été planifié d’allouer un budget de 70 millions de dirhams pour 5 000 futurs emplois. Du côté de l’infrastructure, le PDR prévoit la construction d’un Parc d’expositions (40 événements par an) et d’un Palais des congrès pour un plafond de 1 milliard de dirhams et la création de 36 250 emplois. Ces projets relèvent des compétences propres de la région de Marrakech-Safi et sont affectés à l’axe « Croissance économique » de son PDR.
Dans le cadre de l’axe « Valorisation du patrimoine culturel et naturel », un projet de préservation du patrimoine historique est programmé. Il se base sur la numérisation du patrimoine de la région. L’investissement total dans ce projet est de 110 millions de dirhams, pour 20 emplois créés. Un comité de suivi a été mis en place pour la réalisation de l’ensemble de ces projets.
83. En juin 2021 se tenait la première édition du Marrakech Investment Week. Source: site web du CRI Marrakech-Safi 84. Les politiques culturelles en régions, Association Racines, 2018. P.41.