Quelles transformations pour les industries culturelles et créatives au Maroc ?
Étude de terrain Janvier 2022
propager la culture du livre, le nombre d’émissions dédiées au livre, tout comme le temps qui y est consacré, devient très limité, et celles emblématiques ont disparu (ex : Diwan, Madarat ...). L’encouragement à la lecture devient essentiellement porté par des associations en ville ou en ligne (Réseau de lecture au Maroc, Littératures itinérantes...) qui en organisant des rencontres avec les auteurs, des concours de lecture et autres manifestations à l’adresses des plus jeunes rendent un service public, laissé vacant par l’Etat. Celui-ci, au lieu de développer le livre dans la société, s’emploie à développer des sociétés productrices de livres. Au niveau de l’intermédiation et de l’organisation des relations Etat-secteur, il importe de noter l’existence au Maroc, depuis longtemps déjà d’une pratique de lobbying et de plaidoyer, initialement portée par l’Association Marocaine des Professionnels du livre (AMPL), aujourd’hui favorisée également par les acteurs du livre organisés autour de la Fédération des Industries Créatives et Culturelles au sein de la confédération des patrons (CGEM), qui sert d’interlocuteur pour les intérêts des professionnels, les représentations dans les salons internationaux et autres tractations sur les règles fiscales avec le gouvernement.
3.2. Un petit marché oligopolistique en progression lente Il importe à ce niveau d’apprécier l’état des lieux de la filière à partir de l’offre existante au Maroc, en termes de production, de types d’organisation et des pratiques en usage. A première vue, les chiffres semblent indiquer une tendance haussière, puisque la production livresque est passée entre 2014 et 2019 de 2448 à 3200 titres par an (selon le nombre de dépôts légaux), chiffres qui n’englobent pas les publications à compte d’auteurs. Or, à y voir de plus près, nous remarquons que ceci est l’effet cumulé de trois phénomènes concomitants qui aident à en saisir le sens. Le premier, relevé par le rapport annuel sur le livre et de l’édition (Fondation Al Saoud, 2020) est l’importance accrue de publications issues d’institutions, ministères, fondations et think tanks, dont le nombre a redoublé durant la même période. Il résulte ensuite du recours plus facile et plus “routinisé” à la publication en ligne, qui passe, selon le même rapport, durant ces cinq années de 3,4% à 20,3%. et est ainsi dû à un effet d’auto-publication produit par le numérique. La troisième donnée structurante expliquant ce bond, quoique ayant un effet à la marge, est la multiplication d’éditeurs, francophones entre autres (cinq nouvelles maisons créées durant cette période). Le marché du livre et de l’édition est marqué par une disparité de types d’acteurs, avec d’un côté une poignée de gros distributeurs ayant des chiffres d’affaires qui avoisinent les 56 Millions dhs, et des petits éditeurs qui ne dépassent pas les 0,4 millions dhs. Et entre les deux, des acteurs polyvalents, qui favorisent une concentration verticale, se dédoublent sur la chaîne des valeurs, limitent le rôle des intermédiaires, et dont les chiffres d’affaires tournent autour des 12 millions de dirhams.
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II. Analyse des données spécifiques aux quatre filières étudiées
D’un point de vue sociologique, il n’est pas inutile dans ce cadre de noter l’existence de structures familiales, qui font fleurir leurs entreprises dans la filière en occupant tous les maillons de la chaîne, permettant ainsi aux membres de la même famille chacun d’occuper un segment. C’est le cas de la famille Retnani (La Croisée des chemins, Carrefour des livres, Yanboua Al Kitab, etc.), de la famille Akidm (DSM, Librairie Préface, etc.), ou encore de la famille Boughaleb (Groupe Librairies des écoles). Contrairement aux apparences, les entreprises familiales dans la filière ne sont pas nécessairement les moins modernisées. Elles sont au contraire révélatrices d’un potentiel économique à développer. D’ailleurs, les entreprises installées au quartier Habous à Casablanca sous formes de librairies de livres arabes et patrimoniaux, sont historiquement le fait de familles qui perpétuent ce métier de génération en génération depuis 1956. Mis à part les acteurs fortement tournés vers la vente du scolaire et du préscolaire, la filière demeure au niveau de l’édition fortement subventionnée ou sponsorisée (essentiellement par des réseaux interpersonnels et pour des projets spécifiques) L’importance que revêt le beau livre, objet de préachats, commandes institutionnelles et autres formes de mécénat, dans le modèle économique des éditeurs montre à quel point la filière est moyennement portée par le lectorat. Il apparaît nettement qu’une minorité de libraires professionnels et indépendants, mais aussi des éditeurs et médiateurs développent des pratiques de diffusion et de valorisation novatrices. Il s’agit d’une nouvelle génération, d’éditeurs et de libraires, qui créent à la marge de la diversité dans la filière, multiplient les canaux possibles de collaboration, investissent des niches (l’essai, le livre de jeunesse ...) et dynamisent in fine le marché local. Côté distributeurs, notons malgré la présence imposante de grands acteurs, aux contrats exclusifs, l’émergence de nouveaux distributeurs, à la recherche de marchés francophones alternatifs, comme la PME (Action Distribution Directe qui diffuse de la production marocaine et des publications françaises). Ceci n’est pas la règle. Les gros diffuseurs (ex : Sochepress, Librairie des Ecoles et Librairie Nationale) comme les multinationales partiellement distributeurs (Fnac et Virgin) sont plutôt hésitants à valoriser la plupart des ouvrages édités au Maroc.
TYPOLOGIE DES ACTEURS
• Distributeurs • Grande société • (joint venture) • 3 PME • Deux libraires • distributeurs exclusifs • Diffuseurs • Occasionnels • Salons internationaux • Médiateurs • Associations pour la lecture • Auteurs • Majorité publiés au Maroc • Diaspora (France, Espagne, Pays Bas, Belgique, Canada …) • Stars publiés en France
Chercheurs • Intérêt grandissant pour publications académiques de qualité Producteurs
Institutions • Ministères • Fondations • Universités éditrices Editeurs • Sociétés privées • Imprimeurs • A compte d’auteurs • Photocopieurs
Vendeurs Librairies • Points de vente (kiosques) • Papeteries • Quelques librairies Ventes en ligne • 1 site-libraire • Editeurs (vente directe) • Médias-vente en ligne
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