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La Percée Urbaine

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Table des figures

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2.3. La Percée Urbaine

2.3.1. Définition et Perspectives

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Le terme est définit dans le dictionnaire de Larousse « Ouverture naturelle ou pratiquée dans une forêt, dans un ensemble compact pour y ouvrir un chemin ou une perspective », d’après Le Dictionnaire Historique de la Langue Française le terme est « Créé dans le langage technique, désigne concrètement une ouverture ménageant un passage et employé comme nom d’action pour le fait de pénétrer en un lieu, surtout dans un contexte militaire. (Rey, 2010, p. 1590).

Les premières percées ont vu le jour avec l’époque de la renaissance, en Italie on appréhendait l’espace en terme d’organisation idéaliste, la valorisation des monuments majeurs de la ville était donc accentuée par le dégagement des perspectives des percée.

Figure 22 : La percée haussmannienne, La rue Lafayette, Paris Source :https://www.mediapart.fr/journal /france/230608/depuishaussmann-comment-paris-sest-projete-vers-lavenir?onglet=full

Le modèle Parisien

« A l’époque d’Haussmann c’est le triomphe de la circulation physique, il faut faire circuler l’air, circuler les gens, circuler les capitaux », affirmait le spécialiste de l’histoire de l’architecture Pierre Pinon (France Culture, 1991).

Le projet est à l’origine de la volonté du roi Napoléon III à améliorer les conditions hygiéniques de la ville et de la classe populaire, George Eugene Haussmann a entreprit alors un plan sur le tissu de la ville médiévale, ce projet a relié les gares et a permis la communication des quartiers et de ses monuments, l’élargissement des voies, l’approvisionnement de réseaux d’assainissement, et le dédoublement de la superficie de la capitale avec l’annexion de 8 autres arrondissements.

Le modèle Cairote

Figure 23 : Le Caire avant la modernisation Source : Rashed Mohamed Mahmoud Mostafa, architectural identity in contemporary Cairo, 2015

Au Caire, l’urbanisme de remodelage n’était pas aussi fructueux, la modernité a été introduite au 19eme siècle avec le Khédive Mohammed Ali, ce dernier a entreprit l’assèchement des marais qui agrandiront le périmètre de la ville, Ismail Pacha son petit-fils et successeur reprendra les travaux dans la ville historique avec le percement long de deux kilomètres pour relier l’Azbakya à la Casbah, cette ouvrage a rasé 400 édifices parmi eux des monuments religieux. Son appétit pour une capitale vitrine l’a poussé par la suite à céder sans charges des terrains pour les notables de la ville. Avec la colonisation anglaise l’opération chirurgicale a été poursuive avec l’ouverture de deux brèches, Al-Azhar et Al-Gaych qui ont nécessité la démolition de 700 édifices.

Ces opérations extravagantes relèvent de la mauvaise gestion des ressources et de la nonplanification, insouciants des problèmes du logement, de la congestion et de l’infrastructure, seules les quartiers de la classe aisée ont profité de l’adduction de voiries convenables et de l’asservissement des

Figure 24: Les travaux d’Ismail Pacha Source : Rashed Mohamed Mahmoud Mostafa, architectural identity in contemporary Cairo, 2015

réseaux d’égouts.

Le modèle Algérois

L’établissement des colons en Algérie a remodelé l’espace vécu, des villes comme Alger et Tlemcen ont subis des reconfigurations urbaines qui sont la réponse systématique d’un marquage du territoire et de la volonté de s’apparenter des monuments influents29 . Perçue comme laide et inesthétique un ingénieur civile justifie les premiers percements d’Alger :

« Emprisonnée dans ces rues étroites, l’armée ne pouvait faire usage de son matériel qu’avec des difficultés et des lenteurs infinies. Il fallait donc se frayer promptement à travers ce labyrinthe de petites rues et des constructions accolés les unes aux autres des voies de communication, désormais indispensables. C’est ce qui fit ouvrir promptement les premières rues et places. »30

Aout 1832, les premières destructions heurtent la partie basse de la Casbah, obligeant les habitants à s’entasser dans ce qu’il reste de la ville haute.

Avec la visite de Napoléon III, la destruction complète de la Casbah sera abandonnée et l’ère de la bipolarité coloniale commencera, une ville française aux lignes droites, aux établissements attirants la population européenne à se sédentariser dans la ville.

« Même à Alger, on remarque deux sociétés, deux espaces qui cohabitent, qui s'imbriquent mais qui ne se mélangent pas pour autant. »31

Figure 25 : L’évolution de l’urbanisme algérois Source : Jean-Jacques Jordi, Alger 1830-1930

29 La conversion de la mosquée Ketchouane en la Cathédrale Saint-Philippe et la dénomination des rues d’Alger ont été les premières politiques militaire pour dénier l’identité ancienne 30 Auteur non listé (publié par le Service Historique de l’Armée de Terre (1833)), Archives du génie, art. 8, sect. 1, Algerie, Carton no.3 31 JORDI Jean-Jacques (1998), Alger 1830-1930, ou une certaine idée de la construction de la France, t. 89, no 2-3, p. 29-34

2.3.2. Les répercussions de la percée aux faubourgs de la médina de Tunis

Suite à l’Independence, l’instauration d’un nouvel Etat a aspiré le nouveau départ, le Parti Destourien à sa tête H. Bourghiba appelait à la modernité, la civilisation et le salut du système des mœurs. Dès lors une stratégie de reconfiguration de la capitale est mise en œuvre, certaines rues seront réappelées, statues et bas-reliefs orneront d’autres places publiques, ces éloges multipliés dans toutes les villes tunisiennes seront présentes pour glorifier « l’héro suprême » qui a vaincu à lui seul le colonialisme et a sauvé la nation.

Figure 26 : La Démolition du quartier de Sidi-el-Béchir Source : Collection privée

Leader politique et fin stratège, H. Bourghiba tentera pendant les années de son occupation du pouvoir de s’attaquer à la médina de Tunis qu’il jugerait d’hôte de saleté et de pauvreté. Soutenu par son architecte conseillé O.C.Cacoub, ils aboutiront après plusieurs tentatives (énumérés au chapitre précèdent) à défigurer le tissu patrimonial, des percés brutales s’abattront dans les deux faubourgs.

La percée du faubourg sud poussée par les idéaux Bourghibiennes, schématisée par l’équipe de De Carlo et Quaroni et réalisée par la municipalité de Tunis a vu le jour au début des années soixante. Les principales prétextes de cette intervention étaient :

 Un logement sain et vivable  Une connexion véhiculaire entre la médina et la ville nouvelle

Tout en sachant que détruire pour reconstruire n’est autre que perte de moyens et que le tissu médinal est incapable de recueillir le transport mécanique, les décideurs ne faisaient que proposer des solutions à de mauvaises problématiques.

L’exécution de ce projet a demandé la destruction de 6.12ha pour la construction de 4.44ha matérialisant 5 bâtiments d’habitat collectif et un marché de fruit et légumes. A Beb-Souika comme à Beb-Dzira ces nouvelles avenues auront des retombés sur la hiérarchie de l’espace et au rythme de ses occupants.

Batiments Démolis

Figure 27 : Le modernisme agressif Source : Coloriage de l’auteur sur fond U.S. Army Map Service, 942-1943 et cartes parcellaires, 1883

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Figure 28 : Bâtiments construits et vides dégagés 1-Medina, 2-Faubourg sud, 3-Ville coloniale, 4-Casbah, 5-Gare de Tunis, 6-Percée Source : Dessin de L’auteur sur fond P.A.U. et des cartes parcellaires,1883

L’Economie

Le percement de la rue Sidi-el-Béchir a bouleversé le caractère économique qui faisait la renommée du quartier, l’élargissement de cette rue a résulté de la démolition des ateliers, entrepôts et boucheries qui jonchaient la rue. Autres bâtiments éradiqués étaient les fondouks, la plupart d’eux étaient situés au faubourg sud32 , ils représentent une prouesse à la fois architecturale qu’urbaine pour l’adaptabilité de l’espace (la structure du fondouk peut faire office de souk comme d’hôtel) et aussi pour l’alternance entre privé (contexte médinois) et public (usagers du fondouk).

La rémunération des infortunés viendra sous forme de compensations matérielles, des taxi-bébés et des autorisations de vente des boissons alcooliques,

Figure 29 : Importation non contrôlée Source : Photo prise par l’auteur

une manœuvre qui traduit la volonté d’estomper l’identité au prix de la modernité.

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Fondouk

Boucher

Charcutier

Figure 30 : Bâtiments à caractère économique démolis 1-Medina, 2-Faubourg sud, 3-Ville coloniale, 4-Casbah, 5-Gare de Tunis, 6-Percée

Source : Dessin de L’auteur sur fond P.A.U. et des cartes parcellaires ,1883

32 Les Fondouks étaient presque tous à l'entrée de Bab Dzira extra-muros: Fondouk Ezzit (Huile), était à l'emplacement des Rues de Maroc et de Tripoli, Foundok El Halfa (Paille) entre la Rue d'Espagne et la Rue d'Angleterre, Fondouk El Lban (Lait) Fondouk Esman (Beurre salé), Fondouk Ech'ham (Graisse) pour la fabrication des cierges et bougies.. La Rue des Maltais avaient ses Foundouk aussi : Foundouk El Foul (Fèves) Ezzrar'iya (Epices) ...

Figure 31 Etalement anarchique des produits au souk de Beb-el-Fella Source : Photos prises par l’auteur

Certes, l’âme commerçante a subsisté pour donner forme à une opposition à cette décision totalitaire, aujourd’hui l’étalage anarchique s’est emparé de la rue, fruits et légumes, produits de contrebande, commerce de chiffon, tout pour satisfaire le plaisir des passagers.

La réponse des autorités face à cette situation mouvementée se développera en un marché commercial qui abritera bon nombre de commerçants et refoulera leurs pratiques fastidieuses. La conception et la réalisation à la hâte de cet équipement s’avérera un échec, aucune tenue en compte des dimensions requises pour l’étalage des produits vendus ni de la disposition d’ensemble allant de l’alimentation du souk jusqu’à l’acte de vente en détail passant par l’inadéquation des matériaux utilisés (tôle en acier et aluminium) qui accélère l’altération des produits Figure 32 Source : : Marché de Sidi-el-Béchir Photo prise par l’auteur agroalimentaires.

Le Culte et La Culture

Le quartier de Sidi-el-Béchir regroupait (avant la percée de 1964) un nombre important de mosquées, madresas, zaouias, (...), équipements religieux qui enseignaient les doctrines et pratiquaient la jurisprudence entre les citoyens, leur rôle s’étendait aussi à être des lieux de socialisation qui rassemblaient la localité autour des croyances et des rituels, et offraient le gite pour les passagers et les plus nécessiteux. Sans oublier que ces édifices ont joué un rôle important dans la lutte contre la colonisation en assurant la discrétion et le couvert pour les militants.

« Toutes ces pratiques, tous ces rites quelque soient les jugements que l’on puisse porter sur les croyances qui en étaient le support, ont constitué un patrimoine immatériel immense, à travers tout le pays avec une densité quasiment au kilomètre carré.33 »

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Mosquée Zaouïa 0 Madrasa Tourba0 Figure 33 : Bâtiments à caractère économique démolis Sbil0 1- 0 Medina, 2-Faubourg sud, 3 0 -Ville coloniale, 40 Casbah, 5-Gare de Tunis, 6-Percée Source : Dessin de L’auteur sur fond P.A.U. et des cartes parcellaires ,1883

33 Moncef Bouchrara ; descendant du saint qui porte le même nom de famille, et qui est toujours à la recherche de son arrière-grand-père auquel la trace du tombeau est perdue après les travaux de démolition de la rue Sidi-el-Béchir

Appuyés par la loi communale34, les autorités ont entrepris la démolition de ces monuments sans étude au préalable du sort de ce qu’ils contenaient (seul le saint Sidiel-Béchir sera ré-inhumé au Jallez en présence du Bey, le reste des tombeaux et des biens sera perdu pendant cette opération).

Pire encore l’histoire même du quartier sera défigurée avec la ré-appellation de la mosquée de Beb-el-Jazira el barrani35, cette mosquée connue aujourd’hui sous la mosquée de Sidi-el-Béchir, a été bâtie vers le treizième siècle par Cheikh el Maghrebi36, agrandie et rénovée ensuite par Youssef Dey et son ministre Ali Thabet qui l’a embelli d’un style andalou et l’a doté d’un Sbil (fontaine).

Figure 34 : Mosquée Beb el Jazira Source : Collection privée

Or le mausolée de Sidi-el-Béchir figurait á l’autre bout de la rue, comprenait la tourba du saint, une medersa coiffée de deux coupoles en tuile verte (langue de vache) et disposait de sept chambres et d’une mosquée. Le mat sert à y mettre le Sandjak (étendard) le jour des cérémonies rituelles. Ce mausolée ainsi que ses compartiments seront évidemment détruits lors des travaux de terrassement.

Figure 35 : Rue Sidi el Béchir, 1925 Source : Carte postale, correspondance d’Arthur Lett-Haines a Cedric Morris

34 Loi communale de 1963 : interdiction aux musulmans d’enterrer leurs défunts en dehors des cimetières el Jallez et Sidi-Yahia. 35 El barrani : celui de l’extérieur ; connotation avec l’extérieur des premiers remparts et pour le différencier de la mosquée intérieure de Beb Jazira ou la mosquée Harmel. 36 p. 129 , ةجوخلا نب دمحم )1985( , ديدجلا يفو ميدقلا يف ديحوتلا ملاعم خيرات

La Société et l’espace immédiat

Dès l’Independence, en raison des mutations politiques, le mécanisme de départ du beldi prend l’allure d’un abandon de la Medina tandis que la population rurale s’y engouffre. En 1968, au cours d’une enquête menée par l’A.U.A.S.M.37 on a constaté que 35% des beldis contre 65% d’habitants d’origine rurale demeuraient en Medina.

La famille patriarcale viendra à son bout avec la promulgation du code de statut personnel, les nouvelles possibilités d’emploi, la scolarisation, tous ces facteurs entrainent une évolution rapide de la famille élargie à la famille restreinte. Cette évolution traduit l’adoption de la villa au détriment de la maison traditionnelle, des banlieues au détriment de la médina.

En contrepartie les bâtiments érigés à l’issu de l’intervention à Sidiel-Béchir se voulaient moderniste a l’image d’un Tunis au mode d’emploi occidental, ces édifices de R+4 sont venus accentuer l’esprit du percement. On assiste à des blocs de plus de 16m d’hauteur qui coupent dans le tissu médinal et retourne du dos à son identité de part et d’autre.

Figure 36 : Construction des bâtiments de rapport modernistes Source : Municipalité de Tunis, num: 1963/1966

37 A.U.A.S.M. : Atelier d’Urbanisme de l’Association de Sauvegarde de la Medina.

Le croisement entre l’évolution sociale et l’intégration d’une nouvelle unité d’habitat s’est traduit sur les façades des bâtiments de rapport. Certains habitants ont exprimé l’incompatibilité de ce model moderniste et leur valeur d’intimité en élevant une paroi ou en optant a une menuiserie en aluminium dans les limites de leurs budgets. D’autres ont adopté des solutions statiques face à l’inadaptation des logements à la saison chaude. L’absence d’espaces pour les ménages domestiques s’est traduit en l’étalage des lingeries, peaux d’animaux ou de jardins suspendus qui renvoient au patio d’autrefois.

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Figure 37 : Evolution des façades des logements collectifs 1-Fenetre refoulée, 2- Jardins suspendus, 3-Balcon rempli par des parois opaques, 4-Sechoir a mouton, 5-Unité de climatisation, 6-Balcon rempli par une menuiserie en aluminium, 7-Menuiserie en bois annexée, 8-Séchoir à linge, 9-Fer forgé, 10- Modification des proportions des ouvertures originelles Source : Coloriage sur fonds prises par l’auteur

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