C A L D E R à La Gouacherie
De Calder, tout le monde connaît ces œuvres à la fois monumentales et légères, profondément ancrées au sol mais qu’un souffle d’air suffit à mettre en mouvement : les Mobiles. Sculpteur majeur du XXe siècle, c’est pourtant comme peintre que Calder avait également abordé son œuvre. Toute sa vie, il réalisa ainsi, le plus souvent sous forme de grandes gouaches ou de grandes estampes puissamment colorées, une sorte de contrepoint à son travail de sculpteur. Il est désormais temps de considérer avec autant d’attention que celle qu’il y portait – mais non sans humour pour autant – ce travail auquel il avait attribué une pièce spécifique de sa maison de Saché, une ancienne porcherie dès lors baptisée par lui La Gouacherie.
978-2-7572-1323-0
20 €
C A L D E R
à La Gouacherie
Cette exposition, rassemblant soixante-cinq œuvres sur papier d’Alexander Calder, n’a été possible à organiser que grâce aux prêts généreux de quelques collectionneurs et amis de l’artiste qui ont souhaité rester anonymes et que nous remercions chaleureusement. Parallèlement, au Centre Pompidou, le musée national d’Art moderne a consenti le prêt de quatre gouaches importantes, faisant partie d’un don de l’artiste, et nous en sommes particulièrement reconnaissants à son directeur Bernard Blistène et à ses services. Enfin, le plus spectaculaire de ces prêts, celui du « stabile-mobile » que l’artiste offrit à la Ville de Saché où il résida de 1953 à sa mort en 1976, nous a été accordé par le maire de Saché, M. Olivier Bouissou et le Conseil municipal que nous souhaitons tout particulièrement remercier pour cette exceptionnelle contribution. Dans le premier chapitre de La Colline inspirée, Maurice Barrès énumérait ces « lieux où souffle l’esprit » et y mentionnait d’évidence Vézelay. Face à l’admirable basilique, pour quelques mois, l’œuvre monumentale de Calder montrera ainsi à chacun, par son balancement à la moindre brise, comment, sous toutes ses formes, depuis le douzième siècle, l’esprit continue d’y souffler. DANIEL ABADIE
Projet d’affiche pour l’exposition à la galerie Maeght, 1976 Gouache sur papier, 110 × 74,5 cm
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Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition «Calder» organisée au musée Zervos de Vézelay par Daniel Abadie grâce au Conseil général de l’Yonne.
Couverture : Black Sun / Black Face, 1969 Lithographie (75 exemplaires), 70 × 110,5 cm 4e de couverture : Sans titre, non daté Gouache sur papier, 36,5 × 56,5 cm © Somogy éditions d’art, Paris, 2017 © Musée Zervos, Vézelay, 2017 Tous les œuvres et portraits © Calder Foundation, New York / ADAGP, Paris 2017 Le texte de Daniel Abadie « Calder, l’art de ne pas faire de l’art » a été publié pour la première fois dans Calder : Les années parisiennes au Centre Pompidou. Hors-série Beaux-Arts (mars 2009). Le texte de Daniel Lelong « Avec Calder » a été publié dans l’ouvrage Avec Calder, Paris, L’Échoppe, 2000.
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coédition et développement : Véronique Balmelle Conception graphique : Nelly Riedel Contribution éditoriale : Françoise Cordaro Fabrication : Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros ISBN 978-2-7572-1323-0 Dépôt légal : juillet 2017
CALDER Ã La Gouacherie gouaches et est ampes
Sans titre, 1971 6
Encre et acrylique sur papier, 78 × 29 cm
Il est des hérédités lourdes. Être fils et petit-fils de sculpteurs établis, figures reconnues de l’art statuaire officiel, ne peut conduire qu’à vouloir exercer un autre métier ou à tenter de faire tout autre chose de ce celui-ci. Alexander Calder, fils d’Alexander Stirling Calder, petit-fils d’Alexander Milne Calder, choisit donc, à dix-sept ans, de s’inscrire au Stevens Institute of Technology pour y faire des études d’ingénieur. Rien ne semblait plus éloigné des honorables carrières familiales d’artistes officiels, si ce n’est qu’en esprit curieux, ce technicien des moteurs vit en ceux-ci l’occasion de régler trivialement le problème auquel avaient de tout temps été confrontés ses parents et tous les sculpteurs : l’impossibilité de traduire de façon convaincante, c’est-à-dire non statique, le mouvement. Depuis L’Homme qui marche de Rodin jusqu’aux tentatives d’Archipenko ou au volume virtuel de Gabo, ce problème apparemment insoluble était devenu l’une des questions-clés de la modernité.
CALDER, L’ART DE NE PAS FAIRE DE L’ART Daniel Abadie
Mais pour s’attaquer à cette gageure, Calder devait d’abord régler le sort des matériaux « nobles » de la sculpture : bois, pierre et bronze. En utilisant le fil de fer, matérialisation dans l’espace du trait de crayon de l’habile dessinateur qu’il était, Calder tordait le cou à la notion de masse liée aux matériaux coutumiers du sculpteur. Par l’enroulement, l’ondulation, la torsion sur elle-même de la ligne, Calder obtenait une continuité du trait que seul Paul Klee avait jusqu’alors explorée. Avec lui, le trait se rêve non plus sur la feuille mais dans l’espace. Personnages, portraits, animaux en fil de fer, prennent parallèlement place, dès 1926, avec le petit bestiaire en bronze ou en bois, substituant l’humble grâce de l’objet bricolé du bout des doigts, son émouvante fragilité, au caractère classique du sujet taillé ou modelé, libérant définitivement de la masse le regard tendre et plein d’humour qui y était jusqu’alors enfermé. Le Cirque, en 1927, sera l’aboutissement de cette démarche. Si les matériaux dérisoires – bouchons, papier-crépon, bouts de tissus, fils de laine… –, les 7
Cibles variables, 1969 14
Lithographie (75 exemplaires), 74,6 Ă— 109,5 cm
J’ai rencontré Alexander Calder en 1961. Je travaillais depuis peu auprès d’Aimé Maeght afin de lui proposer – j’étais juriste à l’origine – un cadre statutaire approprié au musée qu’il souhaitait ouvrir à Saint-Paul-de-Vence et qui allait devenir en 1964 la Fondation Marguerite et Aimé Maeght. Un jour, Aimé Maeght m’a demandé : « Est-ce que vous voulez vous rapprocher d’un artiste ? Je vous propose de vous occuper de Calder. » Plus tard, dans le bureau voisin de celui où je travaillais, j’ai rencontré une sorte de colosse, vêtu d’une épaisse chemise de laine rouge, les cheveux très blancs, et l’œil bleu, portant des pantalons assez larges, retenus à la taille par une vague ceinture, de gros brodequins qui laissaient apparaître des chaussettes tricotées, blanches. Sa voix était puissante, entrecoupée de rires contagieux. Il parlait le français avec un fort accent américain, si bien qu’il était, du moins au début, difficile à comprendre. Mais il savait se faire entendre. Même si sa marche était lente, le dos un peu voûté et les bras ballants, ses gestes étaient délicats, précis, et j’ai très vite compris que sa meilleure manière d’établir une relation humaine passait par un humour intempestif et chaleureux. Avant de le rencontrer, je le connaissais de loin, je savais qui il était, ce qu’il faisait, mais dès le premier abord, la jovialité, la cordialité de cet homme m’ont complètement fasciné. Il n’a pas tardé à me proposer de lui rendre visite dans son atelier de Touraine, à Saché, qu’il avait acheté en 1953. Il habitait une maison au bord de l’Indre, baptisée « François Premier » qu’il avait aménagée de manière très personnelle. Une fois la grille d’entrée passée, on pénétrait dans une cour de gravier au milieu de laquelle se trouvait installé un mobile-stabile coloré qui tournait lentement, au gré du vent. À gauche, la maison ne laissait pas de surprendre : on entrait de plain-pied dans une grande salle qui donnait sur une ouverture, sorte de caverne pratiquée à même le rocher. C’était une maison à demi troglodyte, comme on en rencontre en Touraine.
AVEC CALDER Daniel Lelong
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ORTF à tous, 1970
Sans titre, non daté
Lithographie réalisée pour l’Expo 68, 1970, 57,5 × 77,5 cm
Encre sur papier, 23 × 18,5 cm
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Étude pour la couverture du catalogue Gouaches Totems à la galerie Maeght, 1966 26
Encre et aquarelle sur papier, 64,5 × 50 cm
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Sans titre, 1967 Gouache et acrylique sur papier, 75 × 110 cm
Soucoupes blanches, 1969 Lithographie (75 exemplaires), 75 × 110 cm
45
68
HĂŠlices, 1969 Lithographie (75 exemplaires), 75 Ă— 110 cm
The Red Nose, 1969 Lithographie (75 exemplaires), 73,4 × 106,5 cm
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76
Projet d’affiche pour l’exposition à la galerie Maeght, 1976 Gouache sur papier, 58 × 36,5 cm
22 août 1898 Naissance à Lawnton, près de Philadelphie, aux États-Unis. Son père (comme son grand-père) est sculpteur. Sa mère est peintre. 1915 Comme pour échapper à la tradition familiale, il entre au Stevens Institute of Technology à Hoboken dans le New Jersey où il obtient en 1919 un diplôme d’ingénieur. 1923 À New York où il vit alors, il suit pendant trois ans les cours de l’Art Studens League et travaille comme illustrateur pour des magazines. C’est ainsi qu’il reçoit la commande d’illustrations pour les spectacles de cirque du Rigling Bos et du cirque Barnum qui lui fourniront les éléments de sa première œuvre magistrale : Le Cirque Calder (dans la collection du Whitney Museum de New York). 1926 Alors que sa première exposition personnelle de peintures a lieu à New York, Calder arrive en juin à Paris et s’installe au 22, rue Daguerre. Il y réalise les premières figures – animaux et personnages du cirque – et son premier portrait réalisé en fil de fer : celui de Joséphine Baker. 1927 C’est en organisant jusqu’en 1931 chez des amis des « représentations » du Cirque (dont le magnifique film de Carlos Vilardebó réalisé en 1961 donne l’idée de ce qu’elles furent) que Calder attire sur lui l’attention du milieu de l’art et se lie d’amitié avec les artistes de Montparnasse.
QUELQUES REPÈRES DANS LA VIE D’ALEXANDER CALDER Janvier 1929 Première exposition personnelle à Paris à la galerie Billiet-Worms préfacée par Pascin. Calder fait la connaissance de Joan Miró. Entre les deux artistes débute une amitié qui durera jusqu’au décès de Calder. 1930 Calder rencontre Mondrian. La découverte de son œuvre et de son atelier sera capitale pour le sculpteur, impressionné par l’équilibre des formes géométriques auquel parvient le peintre néerlandais mais qui lui font imaginer, en contrepartie, l’introduction du mouvement dans son travail de sculpture. Réalisant ses premières sculptures abstraites, le peintre se rapprochera en 1931 des artistes qui vont fonder, à l’initiative de Vantongerloo, Herbin et Hélion, le groupe Abstraction-Création. 1931 Calder épouse Louisa James, petite-nièce de Henry James. À la galerie Percier, Calder présente, à côté des portraits en fil de fer, son premier ensemble d’œuvres abstraites. Le catalogue de l’exposition est préfacé par Fernand Léger. Dès lors, pour les sculptures incorporant le mouvement, Marcel Duchamp inventera l’appellation de « mobiles ». 77
C A L D E R à La Gouacherie
De Calder, tout le monde connaît ces œuvres à la fois monumentales et légères, profondément ancrées au sol mais qu’un souffle d’air suffit à mettre en mouvement : les Mobiles. Sculpteur majeur du XXe siècle, c’est pourtant comme peintre que Calder avait également abordé son œuvre. Toute sa vie, il réalisa ainsi, le plus souvent sous forme de grandes gouaches ou de grandes estampes puissamment colorées, une sorte de contrepoint à son travail de sculpteur. Il est désormais temps de considérer avec autant d’attention que celle qu’il y portait – mais non sans humour pour autant – ce travail auquel il avait attribué une pièce spécifique de sa maison de Saché, une ancienne porcherie dès lors baptisée par lui La Gouacherie.
978-2-7572-1323-0
20 €
C A L D E R
à La Gouacherie