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Daniel Dezeuze une rétrospective
Membre fondateur en 1970 du mouvement Supports/Surfaces, Daniel Dezeuze, né en 1942 à Alès, apparaît comme un des artistes français les plus passionnants de sa génération. Retraçant son parcours depuis 1962 jusqu’à aujourd’hui, cet ouvrage permet de saisir à la fois la complexité et la cohérence de sa démarche sur plus de cinq décennies. Il met notamment en évidence son originalité dans l’analyse du tableau comme objet en soi et support de la peinture. Il rend compte aussi des différentes voies qu’il emprunte, toujours à mi-chemin entre peinture et sculpture, pour renouveler son approche de la création artistique, tout en veillant à l’ancrer dans le réel. Ainsi, avec une liberté réjouissante, Daniel Dezeuze transforme les châssis en sculptures, crée des peintures avec des assemblages d’objets, quitte l’atelier pour musarder dans les jardins, en quête de motifs naturels mais aussi de constructions hybrides faites pour la cueillette et la chasse. Dans son œuvre, le Moyen Âge croise le XXIe siècle, et les études de balistique le taoïsme, avec une profusion de formes et de couleurs qui constitue une formidable démonstration de la capacité de l’art à émouvoir tout en enrichissant la vision et la compréhension du monde.
Daniel Dezeuze une rétrospective
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Ce catalogue est publié à l’occasion de l’exposition Daniel Dezeuze. Une rétrospective Musée de Grenoble, 28 octobre 2017 – 28 janvier 2018 EXPOSITION Commissariat : Guy Tosatto, conservateur en chef, directeur du musée de Grenoble Sophie Bernard, conservatrice, chargée des collections modernes et contemporaines CATALOGUE Coordination et suivi éditorial et iconographique : Sophie Bernard assistée pour la documentation d’Éléonore Harz et de Gérard Ponson pour la gestion des images et des campagnes photographiques de Cécile Brilloit et de Jean-Luc Lacroix Nous souhaitons souligner l’engagement du personnel du musée de Grenoble et tout particulièrement : Conservation : Sophie Bernard, Valérie Huss, Valérie Lagier Régie des œuvres : Isabelle Varloteaux Assistante d’exposition et médiatrice : Cécile Brilloit Assistantes de conservation : Marie Alsberghe, Marion Rochet Chargé des réserves : Georges Territorio Documentation : Estelle Favre-Taylaz, Anne Laffont Photographie : Jean-Luc Lacroix Bibliothèque : Gérard Ponson Communication : Marianne Taillibert, Christelle Giroud, Flore Ricoux Service des publics : Dany Philippe-Devaux, Naïma Ezzarouali, Audrey Pays, Pauline Millien Équipe des médiateurs : Pierre Bastien, Céline Carrier, Éric Chaloupy, Laurence Gervot-Rostaing, Loredana Gritti, Béatrice Mailloux, Olivier Marreau, Claire Moiroud, Marie-Laure Pequay, Reidunn Rugland, Frédérique Ryboloviecz Administration générale : Marie-Thérèse Barry, Cécile Mazet, Sylvie Mulassano, Nicolas de Moerloose Secrétariat : Nathalie Guittat, Sylvie Portz, Jeanine Scaringella Accueil : Carole Chabat, Evelyne Manin, Patricia Tarallo Comptabilité : Christine Poupart Service technique et sécurité : Robert Damato Équipe technique : Jean-Pol Bassuel, Mehdi Fahri, Michel Garcia, Chaouki Karmous, André Prats, Jean-Alain Ziegler
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Sommaire Les clairières de Daniel Dezeuze Guy Tosatto Daniel Dezeuze. Peinture nomade et œuvres buissonnières Romain Mathieu
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Les poèmes du dessin Henry-Claude Cousseau
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Daniel Dezeuze. Traversée (1962-2017)
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Catalogue des œuvres
Sophie Bernard
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Daniel Dezeuze. Chronologie Sophie Bernard
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Listes des œuvres Bibliographie Crédits photographiques
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Les clairières de Daniel Dezeuze Guy TOSATTO
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Daniel Dezeuze Diptyque pour Hsu Ti 2005 Bois, peinture, échelle noire Collection privée
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L’objet est là, simplement appuyé contre le mur, comme l’on en voit tant dans les ateliers de peintres. Un châssis, neuf, de taille moyenne, en attente de sa toile qui, une fois tendue, dissimulera cette armature de bois pour offrir sa surface immaculée aux formes et aux couleurs imaginées par l’artiste et, ce faisant, sera à son tour recouverte et cachée. Depuis des siècles, en Occident, la peinture, lorsqu’elle n’est pas réalisée à même les murs ou sur une plaque de bois, se déploie sur cet objet, composé d’une toile et de quelques liteaux assemblés. Il est le support de cette illusion magnifique, d’autant plus mensongère qu’elle laisse croire, grâce au subterfuge de la perspective, que par-delà sa surface elle creuse un espace, crée une profondeur. Dès la Renaissance, on associe le tableau à une fenêtre ouverte sur le visible et les peintres vont s’appliquer jusqu’à la fin du XIXe siècle à dissimuler sa réalité matérielle pour magnifier le leurre des images qu’ils créent. Cézanne, le premier, en promettant « la vérité en peinture », rompt cette logique, commence à disséquer ses composants, et dans ses œuvres, laisse sciemment apparaître des interstices de toile non peinte, de cette toile qui masque le châssis. Soudain, avec lui, la matérialité du tableau réapparaît et des générations d’artistes à sa suite vont s’employer à la mettre en évidence. Jusqu’à cet objet que Daniel Dezeuze conçoit en 1967 et expose peu après, tel quel, une feuille de plastique tendue en guise de toile ou ses seuls montants de bois passés au brou de noix. Le tableau, et à travers lui la peinture, est ainsi mis à nu, telle la Mariée de Duchamp. Il ne représente plus rien mais présente ce qu’il est, dans une crudité absolue, démystifiante et démythifiante. Cette mise à nu est comme une mise à mort. Elle en a la violence et le caractère définitif. Mais elle possède aussi la puissance de la tabula rasa qui, faisant le vide, permet, grâce à l’espace ainsi dégagé, l’avènement d’une nouvelle création. C’est sur ces décombres, dont l’aspect avant ce châssis n’avait jamais été aussi altier, que Daniel Dezeuze va construire son œuvre. De cet objet, il considère toutes les dimensions. Celle de sa réalité matérielle, avec sa structure géométrique en forme de grille qu’il va soumettre par la suite à d’infinies variations, son contrepoint de vides et de pleins qui lui permettra de jouer avec la surface du mur comme avec l’espace environnant, enfin la matière même du bois, dont la veinure et la teinte lui confèrent la douceur chaleureuse d’un matériau vivant. Mais il prend en compte aussi sa dimension iconique : le châssis comme métaphore de la peinture depuis la Renaissance avec l’affirmation du tableau comme écran bidimensionnel. Et c’est précisément à cela qu’il s’attaque en remplaçant la toile par une feuille de plastique transparent et en posant le châssis au sol. D’un coup, il opère une traversée des apparences : l’écran qu’il crée s’ouvre sur le réel, en l’occurrence le mur sur lequel il est appuyé, et s’inscrit, par sa position penchée, dans les trois dimensions. Ainsi défini, cet objet apparaît dans sa dualité, sa double nature de peinture virtuelle et de sculpture potentielle. Il constitue cet entre-deux, cette aire intermédiaire sur laquelle l’œuvre va se développer ; l’artiste, dans un premier temps, s’attachant à révéler ses virtualités et à éprouver ses potentialités. Le châssis, en définitive, loin d’être le point final iconoclaste et assassin de l’histoire de la peinture qu’il semblait être, se révèle plutôt un nouveau début, mieux, un recommencement.
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Daniel Dezeuze, peintre nomade et œuvres buissonnières (1964-1981) Romain MATHIEU
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Vue partielle de l’exposition « Dezeuze, Valensi, Saytour, Viallat » [Paris, galerie Jean Fournier, 1971] Archives Claude Viallat
1. Le groupe Supports/Surfaces se crée lors de l’exposition au musée d’Art moderne de la Ville de Paris à l’automne 1970. L’exposition regroupe Vincent Bioulès, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Patrick Saytour, André Valensi et Claude Viallat. Par la suite, André-Pierre Arnal, Louis Cane, Noël Dolla, Jean-Pierre Pincemin, Toni Grand, participeront aux différentes expositions, jusqu’à la scission du groupe en juin 1971, lors de l’exposition au théâtre municipal de Nice. 2. En 1974, l’exposition « Nouvelle tendance de la peinture en France – Pratiques/ Théories » à Saint-Étienne vient marquer la reconnaissance du mouvement et clôt une période d’appartenance revendiquée au champ de l’avant-garde. 3. Daniel Dezeuze suit une formation littéraire et, en 1962, il obtient une licence d’espagnol. Boursier à l’Université de Mexico, il achève en 1970 un doctorat de littérature comparée sur le poète chilien Vicente Huidobro, achevé en 1970. 4. Daniel Dezeuze, Louis Cane, « Pour un programme théorique pictural », diffusé sous forme ronéotée en mai 1970, in Peinture – cahiers théoriques, no 1, Montpellier, juin 1971, p. 67-80, rééd. in D. Dezeuze, Textes, entretiens, poèmes, 1967-2008, Paris, Beaux-Arts de Paris éditions, 2008, p. 66-78.
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En 1967, Daniel Dezeuze tend une feuille de plastique sur un châssis. L’œuvre est montrée dans une petite galerie associative de Montpellier, la galerie La Gerbe, en janvier de l’année suivante. Elle suscite de vives réactions dans une exposition qui réunit notamment André-Pierre Arnal, Vincent Bioulès et Claude Viallat. En 1969, l’artiste expose dans les rues du village de Coaraze, sur les hauteurs de Nice, en compagnie de Bernard Pagès, Patrick Saytour et Claude Viallat. Ces quelques expositions initient le regroupement qui prend le nom de Supports/Surfaces en 1970 1 et dont Daniel Dezeuze est incontestablement un des membres fondateurs. Le châssis apparaît intuitivement comme une œuvre dont la radicalité s’inscrit dans la geste des avant-gardes, un renouvellement du « dernier tableau » qui parcourt cette histoire du vingtième siècle, par une opération de réduction maximale de la peinture à la matérialité d’une structure qui supporte le plan. Sa simplicité est d’une remarquable efficacité. C’est aussi une des œuvres qui sera considérée comme exemplaire des démarches des artistes de Supports/Surfaces, avec la toile libre utilisée par Patrick Saytour et Claude Viallat, selon une analyse littérale des éléments de la peinture. Si ce rapport toile/châssis existe, il apparaît comme très réducteur et s’intègre tout au moins dans un mouvement beaucoup plus large de transformation des pratiques picturales. Il n’a finalement été qu’un point de départ pour un discours théorique rapprochant les démarches des artistes à partir d’une analyse des constituants matériels et idéologiques de la peinture. Le moment Supports/Surfaces, que l’on peut prolonger jusqu’en 1974 2, est en effet marqué par un processus de théorisation des pratiques et s’accompagne d’une radicalité politique qui se traduit également dans les textes. Daniel Dezeuze joue alors, de par sa formation littéraire et son intérêt pour la théorie 3, un rôle majeur dans le développement d’un discours par les artistes qui accompagne la présentation de leurs œuvres. Le texte écrit avec Louis Cane, « Pour un programme pictural » 4, prolonge les réflexions échangées par lettres avec Patrick Saytour et Claude Viallat entre 1967 et 1970. En même temps, il fait le lien avec les approches développées dans le champ littéraire par la revue Tel Quel qui publie notamment les écrits de Jacques Derrida et de Roland Barthes. Daniel Dezeuze relie ainsi la « déconstruction » du tableau et la philosophie derridienne, l’analyse des éléments constitutifs de la peinture et le structuralisme littéraire. Néanmoins, sans s’avancer dans une analyse détaillée de ces écrits, on peut observer que le terme même de « programme » est doté d’une visée englobante qui porte le discours vers l’univocité. Les artistes prendront soin de rejeter une telle dimension, Daniel Dezeuze en particulier, et de faire de ces textes de simples jalons de leurs démarches inscrites dans la pratique picturale. Apparaît néanmoins, au fil des écrits, un système qui a pu parfois recouvrir la complexité propre des œuvres. Pris dans une volonté d’affirmation d’une avant-garde et dans une radicalisation politique qui suit Mai 68, ces écrits laissent une faible part au flottement, à l’ambigu ou à l’indéfini. Or, le Châssis de Daniel Dezeuze se révèle nettement plus complexe et moins littéral qu’il peut le sembler au premier abord.
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Les poèmes du dessin Henry-Claude COUSSEAU « L’art est un voyage incessant. C’est une activité de cueillette comme au temps où les sociétés ne s’étaient pas encore stabilisées 1... » « Le dessin est une question philosophique dans la modernité, dans la mesure où c’est elle qui touche à la notion de langage et d’écriture 2. » DANIEL DEZEUZE 26
Sans titre 1984 Lavis, encre de Chine sur papier 48 x 33 cm Collection privée
En élaborant, dès 1967, son fameux Châssis, Daniel Dezeuze vouait la peinture à disparaître. Il programmait aussi implicitement l’extinction de la pratique qu’on lui associe de tout temps, à savoir celle du dessin, qui aurait dû logiquement pâtir du même sort et s’évanouir tout bonnement avec elle. Il n’en a heureusement rien été. Le dessin n’a cessé au contraire de perdurer, de proliférer et de constituer au sein de son travail un monde quelque peu à part, autonome, disposant de sa propre dynamique, devenu avec le temps le fil conducteur de sa pensée et le meilleur chemin pour en scruter les horizons les plus lointains. Chez Daniel Dezeuze, le dessin a toujours eu quelque chose de vif et d’aigu, servi par un don sismographique capable de rendre compte des aspects les plus subtils et les plus secrets de son langage. Sa manière est succincte, mais concise, rapide, véloce, légère, sèche en ses débuts, vaporeuse aujourd’hui. Un bon demi-siècle sépare les premiers paysages sur le motif, faits dans la vallée du Lez au début des années soixante, des récents papillons en train d’accomplir un dernier vol, aussi fragile et éphémère que leur vie, aussi précieux que la beauté de leurs ailes ; itinéraire à première vue insolite, semé d’imprévu, mais à leur image. Ce chemin capricieux permet en revanche d’entrer de plain-pied dans la singularité du propos, d’en saisir la continuité, d’en comprendre la syntaxe, d’en percevoir les variations et l’étincellement d’instantanés dont les poèmes sont, à courte distance, l’autre face. La primauté morale, la rigueur, prêtées traditionnellement au dessin, sont aujourd’hui incertaines et trompeuses. Car le dessin est aussi de l’ordre du familier, de l’intime et de la confidence. Il peut, plus que toute autre pratique, être celle de la transgression, et exercer indirectement d’autres pouvoirs, à commencer par celui de se suffire à lui-même. Lorsqu’il en vient par exemple à éclairer, et davantage, à modifier le regard sur les créations dont il est censé n’être que le laboratoire ou la formulation première, à s’imposer à leur place (ou à leur côté), il exerce une fascination singulière. C’est le cas pour l’œuvre de Daniel Dezeuze, au sein de laquelle il dispose d’un éclat propre, indice de l’aura énigmatique qu’il contribue à lui donner, et qui lui confère un ascendant dont il est lui-même la clé.
1. « Texte d’exposition », 1988, publié à l’occasion de l’exposition « Transit » [Artothèque de Montpellier, 1988-1989], in D. Dezeuze, Textes, entretiens, poèmes, 1967-2008, Paris, Beaux-Arts de Paris éditions, coll. Écrits d’artistes, 2008, p. 168. 2. Ibid., p. 179.
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Avec lui en effet, les deux éléments qui entrent en jeu, le geste et le regard, trouvent instantanément un accord dans la trace qui se dépose sur le support. Mais au cours de cet exercice, l’œil opère avec une sorte de préséance sur la main. Un processus d’anticipation guide la capture du motif sur lequel se portent l’attention ou la rêverie de l’artiste, sa manière de le regarder, de le percevoir et de le transposer. Les
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GAZE
DANIEL DEZEUZE. TRAVERSÉE
1980 Gaze découpée, peinture bleue, rose et verte vaporisée, ruban adhésif, 1980-1981 176 x 66 cm Collection Daniel Dezeuze Inv. DD 551
(1962-2017)* Catalogue des œuvres Sophie BERNARD 36
Objets de cueillette (détail) 1993-1995 Matériaux divers Collection privée
* Daniel Dezeuze en 1991 s’exprime ainsi : « Ce n’est pas tant l’œuvre qui compte que la trajectoire de l’individu, son exploration de différentes tentatives. L’œuvre est comme un repère, une balise ; ce qui m’a saisi [...] est cette dynamique d’une traversée plus que la constitution d’une œuvre qui nécessite un socle. » D. Dezeuze, « Dossier Support/Surfaces », Table ronde avec Catherine Millet, Art Press, no 154, Paris, janvier 1991, p. 18.
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Daniel Dezeuze, les premières années (1962-1967)
Né à Alès en 1942, Daniel Dezeuze passe son enfance et son adolescence dans le Sud de la France. Étudiant l’espagnol à l’université de Montpellier, il assiste en tant qu’auditeur libre aux cours de l’École des beaux-arts, où son père, le peintre Georges Dezeuze, enseigne le dessin. C’est là qu’il rencontre certains des futurs protagonistes de Supports/Surfaces, tels que Vincent Bioulès et Claude Viallat, et c’est dans la vallée du Lez qu’il réalise ses premières œuvres graphiques. Au début des années soixante, s’affirmant volontiers comme un « défenseur du nomadisme » 1, réfractaire à l’idée d’ancrage territorial, Daniel Dezeuze s’exile plusieurs années outre-Atlantique, au Mexique puis au Canada. Mais c’est en Espagne, alors qu’il dirige une alliance française dans les Asturies (1963-1964), que le jeune artiste inaugure ses premières expositions personnelles avec des peintures aux aplats de couleur matiéristes comme le Port d’Avilés (Les Asturies) (cat. 1) ou les Toits d’Avilés (cat. 2).
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Âgé de vingt-deux ans et détenteur d’une bourse de l’Université de Mexico, Dezeuze part séjourner de février 1964 à avril 1965 au Mexique. Alors très admiratif du travail de José Clemente Orozco, l’artiste se consacre à la réalisation de peintures très colorées d’inspiration expressionniste, souvent peintes sur des supports de récupération (sacs de toile de jute estampés), et qui reflètent sa sensibilité pour la culture mexicaine comme sa connaissance du territoire et des sites archéologiques qu’il arpente. Il est alors, semble-t-il, marqué par les courants picturaux prévalant à l’époque au Mexique (tellurisme, indigénisme, abstraction géométrique) (cat. 4-6).
Cat. 3 (détail)
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Au Canada, son style prend des accents plutôt hard edge et la couleur fait place à l’épure. Là-bas, ses assemblages – peintures abstraites tendant à la monochromie, toiles entaillées surmontées de fils métalliques, câbles électriques ou cordes tendues ou détendues (cat. 7-9) –, préfigurent l’intérêt qu’il portera à la physique des matériaux (tension/dé-tension) ainsi qu’au dessin dans l’espace. Cette première période est aussi celle des collages sur albums philatéliques, découpages de formes géométriques dans du papier aluminium et celle des collages d’esprit pop, conjuguant tous types de médiums (adhésifs, photographies, pastels, peintures, calque, papier argenté, agrafes), où transparaît notamment l’influence de Rauschenberg. Dans tous ces premiers travaux, on sent chez Daniel Dezeuze un goût affirmé pour la mixité des techniques venant battre en brèche les catégories artistiques habituellement admises. Comme de nombreux artistes des années soixante, Dezeuze aime, par l’interaction des éléments, à interroger l’histoire des formes. Attentif aux jeux de tension et de contraintes créés par différents fils de nylon et de fer tendus sur une toile, il se soustrait aux pratiques traditionnelles, rompant définitivement avec la surface-écran du tableau. À bien des égards, ces années soixante passées à l’écart de l’Europe, et plus particulièrement l’année 1965, seront fondatrices pour Daniel Dezeuze. Alors qu’il travaille au Consulat général de Toronto au Canada, et qu’il enseigne à l’université de la même ville, l’artiste part aux États-Unis, avide de découvrir l’art américain contemporain, le color field, et l’art minimal. Il approfondit dans le même temps sa connaissance des peuples améridiens : après ceux du Mexique, ce sont les Indiens Chippewas (près du lac
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Des toiles ajourées aux premiers châssis (1967-1968)
« Que montrer si ce n’est le théâtre fantasmatique de la peinture, désamorcé, rejeté sur une plage silencieuse ? » Daniel DEZEUZE, « Notes d’atelier », 1968 1
« Définir la spécificité de la peinture, ça n’est pas seulement la définir en tant qu’objet matériel, mais aussi en tant qu’objet idéologique et symbolique. »
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Catherine MILLET, préface de Nouvelle Peinture en France. Pratiques/Théories, 1974 2
« Sous son apparente austérité, cet objet [le châssis] pourrait bien être un condensé de possibilités, un concentré d’intelligence et de jubilation matériellement sensible, une porte pour entrer comme pour sortir. » Fabrice HERGOTT, « Jubilation », 2001 3
C’est en 1967, tel un « migrant-qui-recommence-tout-à-zéro » 4, que pour reprendre ses propres termes, Daniel Dezeuze revient en France après plusieurs années passées outre-Atlantique. Il partage alors les idées du critique d’art Marcelin Pleynet, futur exégète du groupe Supports/Surfaces, pourfendeur de l’illusionnisme pictural, qui va jusqu’à annoncer, dans un numéro de la revue Art international (no 8, octobre 1968), la disparition prochaine du tableau. Dezeuze anticipe, avec ses créations radicales – châssis bruts, toiles ajourées –, le programme des membres du mouvement, dont les idéaux s’exprimeront notamment lors de l’exposition fondatrice du musée du Havre en 1969 : « L’objet de la peinture, c’est la peinture elle-même [...]. La peinture est un fait en soi et c’est sur son terrain qu’on doit poser ses problèmes. [...] Il ne s’agit ni d’un “retour aux sources”, ni de la recherche de la pureté formelle, mais de la simple mise à nu des éléments picturaux qui constituent le fait pictural 5. » En réaction à l’École de Paris et à sa peinture « abstraite matériologique » (Déborah Laks), Supports/Surfaces veut en finir avec l’objet-tableau et, dans un contexte idéologique marqué par le structuralisme et le matérialisme dialectique, envisager l’œuvre d’art dans sa matérialité même. S’affichant comme la dernière des avant-gardes, le groupe s’érige en faux contre l’illusionnisme et la bidimensionnalité du tableau de chevalet, imaginant la déconstruction de la peinture comme un nouvel absolu. Si ces préoccupations matérialistes se fondent sur des présupposés marxistes et un refus de l’idéalisme, la réflexion engagée sur la peinture et ses composants se conjugue, tout particulièrement chez Dezeuze, avec une admiration pour les travaux des minimalistes américains, la peinture de Morris Louis et Rothko, les papiers découpés de Matisse, mais aussi la peinture d’Hantaï et les travaux systématiques de BMPT. Les premières Toiles ajourées (1967) (cat. 11) avec leurs découpes rectangulaires disent déjà la volonté de rompre avec la surface-écran du tableau et de se confronter à l’espace réel.
Cat. 11 (détail)
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C’est en janvier 1968, à l’exposition « Jeune peinture » organisée à Montpellier, que Daniel Dezeuze exposa pour la première fois ses châssis bruts, créations radicales qui annonçaient
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Échelles et Claies (1970-1977) « Les fenêtres qu’elles ouvrent ne donnent pas seulement à voir la mécanique du tableau, son châssis par exemple, ou l’envers de la toile. Ces grilles souples régulent le réel, l’espace, qu’elles dévoilent et découpent, en liant leur matérialité à la sienne. »
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Bernard CEYSSON, Supports/Surfaces : 1966-1974 1
« Avec Daniel Dezeuze, le regard traverse la toile pour découvrir le châssis. L’artiste appuie contre le mur, sans forcément les y accrocher, de simples châssis ou des claies passées au brou de noix. Ou encore, il pose sur le sol des sortes d’échelles souples fabriquées avec de fines lattes. » Catherine MILLET, L’Art contemporain en France, 1994 2
Poursuivant l’exploration des possibilités ouvertes par le châssis brut, Daniel Dezeuze commence par poser au sol des croisillonnages constitués de lattes de bois. De la Cannisse goudronnée de 1968 (cat. 14) jusqu’aux claies extensibles, l’artiste parachève la remise en question de la surface plane et de l’objet-tableau dans des travaux où priment l’aléatoire de la forme et les jeux de couleurs. De 1970 à 1977, Dezeuze crée ainsi d’impraticables échelles de bois souple (cat. 17) qui seront présentées notamment en 1976 au musée de Saint-Étienne. Ces constructions sont aussi partie prenante du démontage structuraliste de l’œuvre d’art amorcé au temps de Supports/Surfaces. Formé de minces lamelles de placage de bois, leur treillage vient transgresser la rigidité du châssis. La couleur toujours subtilement appliquée se fait discrète (brou de noix, marques de goudron, teinture pour celle de Grenoble réalisée en 1977, peinture de couleur) mais personnalise chacune d’entre elles. Ces créations révèlent les potentialités d’un geste inaugural qui, in fine, ne fut pas si iconoclaste qu’il s’affichait de prime abord, comme l’illustrent l’importance de la diversité des couleurs, le rapport changeant du mur au sol ainsi que les formats et positionnements variés (enroulement, déploiement, rapport sol-mur, etc.).
Cat. 16 (détail)
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Christian Prigent, non sans raison, y voyait un véritable « calembour plastique [...], la mise en scène parodique du bois du châssis (caractérisé par sa “rigidité”) ici, effondré et jeté, assoupli, au tapis » 3. Rompant avec la surface-écran du tableau traditionnel, Dezeuze s’affranchit de la perspective monocentrée, vecteur selon lui, comme pour de nombreux membres de Supports/Surfaces, d’une idéologie passéiste et « paternaliste » (Christian Prigent). En jouant avec l’espace complexe de la troisième dimension, l’artiste ne cesse de faire écho aux ambitions de Supports/Surfaces : « Travailler les refoulés de la peinture traditionnelle » et « considérer l’espace réel » 4. Les grilles souples des échelles de bois de placage, tantôt se déploient sur le mur pour échouer au sol en s’enroulant en cylindres de tailles variables, tantôt se contorsionnent pour se nicher dans l’angle d’une pièce. André
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Échelles de gaze et Quadrillages de ruban (1972-1973)
« Traverser, car ce verbe est sans doute le maître-mot de l’œuvre de Dezeuze, qui propose toujours l’ébauche, l’élan, le passage. » Olivier KAEPPELIN, « Un battement », 1989 1
« Il m’est arrivé d’évider avec des ciseaux des lanières de fibre de verre qui après ce traitement se trouvaient sensibilisées à la pesanteur ; il y avait là double dessin : l’un qui tranche (ciseaux) l’autre qui laisse flotter au gré du hasard (infime). »
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Daniel DEZEUZE, 1977 2
En contrepoint des échelles de bois souple, Daniel Dezeuze s’attache, à partir de 1972, à la réalisation d’échelles en fibre de verre communément appelées Échelles de gaze (cat. 19), conçues à l’aide d’un matériau léger et translucide, malléable et souple, lâche et déformable. Son parcours s’individualise alors, indépendamment du mouvement Supports/ Surfaces. La légèreté de ces pièces est un pas en avant dans le projet formel que l’on peut désormais attribuer rétrospectivement à Daniel Dezeuze, celui d’« alléger la peinture », de « fuir [sa] lourde matérialité » et d’atteindre un maximum de légèreté. On a souligné l’importance que revêtait pour les tenants de Supports/Surfaces la question du matériau. Daniel Abadie, dans sa tentative de classification des pratiques du groupe, se plaisait à distinguer entre autres « les pratiquants de la métonymie » : il citait volontiers Noël Dolla et André Valensi dont les travaux constitués de gaze et de filet faisaient alors délibérément allusion au tissage de la toile non préparée. Si Dolla utilise des rouleaux de gaze amidonnée, appelée aussi tarlatane, dès 1969, Dezeuze se met à exploiter au début des années soixante-dix les caractéristiques physiques d’un matériau synthétique, non organique, la fibre de verre, parfois utilisé dans l’ameublement (rideaux, moustiquaires) mais aussi dans le monde de la construction et de l’optique.
Cat. 19 (détail)
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Exposées en série, les échelles de gaze forment des ensembles graciles, occupant tant l’espace concret du mur que celui du sol avec leur base entortillée, négligemment enchevêtrée 3. Fines et légères, elles sont plus proches du dessin dans l’espace que du volume d’une sculpture ou d’une installation. Il s’agit définitivement d’en finir avec la peinture et la sculpture au sens classique du terme. Quelques années auparavant, l’exposition qui ouvrit ses portes en 1970 au Jewish Museum de New York, « Using Walls (Indoors) », affirmait l’usage du mur et la remise en cause de la peinture de chevalet. Dezeuze qui fut, parmi les membres de Supports/Surfaces, l’un des plus grands observateurs de l’art américain, avait certainement pu apprécier, lors de ses voyages aux États-Unis, les formes molles en feutre de Robert Morris qui venaient déstabiliser le mur même. C’est aussi par leur nombre que les échelles de gaze vont, aux dires de Marcelin Pleynet, le « mieux faire exploser la notion d’unité de l’œuvre d’art (unicité) et aboutir à un espace disséminé » 4. Elles interrogent enfin le corps du regardeur, en lui imposant l’élongation de leurs silhouettes verticales. Véritables arabesques en suspension, les échelles de gaze sont des constructions linéaires qui affirment le pouvoir de la ligne et du vide. Évanescentes et presque immatérielles, elles flottent, légères, sensibles à l’action de l’air. L’opposition entre les vides et les
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Triangulations (1975-1976) « En se resserrant en figures plus explicitement limitées dans les Triangulations de 1975, elles donnent à voir des viseurs plus ou moins complexes, qui distribuent l’attention le long de lignes de force constituées par la structure en bois de placage, concentrant le regard en certains endroits [...], puis le diffusant soit dans les directions centrifuges que suggèrent les pointes triangulaires de la figure, soit dans une sorte de prolongement virtuel. »
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Éric DE CHASSEY, « Alléger la peinture », 2009 1
« Dezeuze joue sur la contradiction entre plan et volume. L’objet qui tout au long de l’histoire de la peinture a garanti la planéité et la rigidité de la toile, fixant aussi ses limites, se déploie maintenant dans l’espace en figures éclatées sur le mur ou bien s’enroule et se déroule au sol. » Catherine MILLET, L’Art contemporain en France, 1987 2
Alors que les tenants de BMPT s’imposent un système formel dont ils tiennent à respecter les lois (les rayures de Daniel Buren, les cercles d’Olivier Mosset, les empreintes de Niele Toroni), Daniel Dezeuze, quant à lui, s’interdira toujours l’enfermement dans un mode structurel. Son châssis inaugural apparaît comme une œuvre définitivement « ouverte » à de multiples déploiements formels. L’année 1975 marque ainsi la naissance d’une nouvelle série liée à la déconstruction de l’objet-tableau, celle des Triangulations (cat. 20-23). Précédées de dessins géométriques, ces pièces construites comme les Échelles ou les Colombages en bois de placage, apparaissent comme des jeux de construction linéaire, de véritables dessins géométriques dans l’espace. Structures planes souvent teintées de couleurs différentes, elles se situent elles aussi à la croisée du dessin, de la peinture et de la sculpture. Avec leurs angles droits, leurs obliques ou leurs verticales, ces impossibles configurations géométriques désorientent le regard. Accrochées souvent à des hauteurs différentes, parfois aux quatre coins de l’espace, les Triangulations ont vocation à dissoudre l’espace euclidien tout en épinglant, pointant, cernant ou encadrant certaines portions du mur. Le nouvel espace engendré par ces pièces produit un double effet de réalité : « – réalité du mur qu’elle désigne comme tel et qui joue le rôle de support, ou plus exactement comme lieu supportant l’œuvre – réalité de surface que la pièce dessine sur le mur, surface géométrique » 3. Graphies énigmatiques, les Triangulations apparaissent aussi comme des signes ou des idéogrammes qui viennent, par l’alternance des pleins et des vides, rattacher le travail de Dezeuze à l’écriture.
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Une nouvelle fois, l’artiste interroge l’histoire de la perspective qu’il aime à qualifier de « science de l’organisation axiale de l’espace » 4. Il pose encore un regard « critique sur la condition de l’œil occidental » dominé selon lui par la convergence et la mesure 5. Avec
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Gazes (1977-1981) « Ce qui est en jeu, c’est l’impossibilité faite au regard de « faire prise ». » Daniel DEZEUZE, « Entretien avec Chantal Béret », 1978 1
« L’espace lui-même doit être disséminé, voire dissolu... » Marie-Hélène GRINFEDER, « Daniel Dezeuze », 1991 2
« La peinture est un fait en soi et c’est sur son terrain qu’on doit poser ses problèmes. » Daniel DEZEUZE, 1969 3
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Par sa transparence à la limite de l’invisibilité, la feuille de vinyle étendue sur un châssis brut en 1967, radical adieu à l’image traditionnelle, annonçait le projet des Gazes qui, une décennie plus tard, affirmeront encore et toujours le souhait de Daniel Dezeuze d’« alléger la peinture », autrement dit, de fuir sa trop encombrante matérialité. Remarquables par leur aspect diaphane, les gazes simplement épinglées au mur de l’espace, à la suite des Triangulations, créent, par leur positionnement éclaté, à des hauteurs variables, des formes de constellations. Christian Besson rappelait à juste titre que, « replacées dans l’évolution de l’œuvre de Dezeuze, les Gazes (cat. 24-33) incarnent un “pic de légèreté, de transparence et d’évanescence” » 4. Avec leurs fines découpes, tantôt rehaussées de surlignages de papier adhésif ou leurs tracés au feutre, leurs inscriptions de chiffres et de lettres, leurs maigres imprégnations de bitume de Judée ou au contraire leurs couleurs acidulées et pastel, les Gazes adoptent quantité de formes différentes. Le Fonds régional d’art contemporain de Bourgogne en a présenté un ensemble rétrospectif en 2003. On a ainsi pu distinguer la sobriété des premières, réalisées en 1977 et simplement effleurées de quelques traces de bitume de Judée, du caractère plus affirmé et imposant des Gazes les plus récentes (1979-1980), avec leurs lavis acidulés, où l’imprégnation de la tarlatane opère une forme de « gazéification » de la couleur. La capacité d’absorption de la teinture par un matériau léger avait intéressé plusieurs artistes de Supports/Surfaces, férus de techniques d’imprégnation. La couleur assouplit en effet l’empesage, créant un jeu de matière. « Le choix de la tarlatane n’est pas fortuit : c’est le support qui peut répondre à la nécessité d’une graphie, réglant un processus d’apparition/disparition de la forme où les vides ne sont plus le simple envers du plein, mais le délié hétérogène du temps dans l’espace, le continu dans sa brisure absolue », affirmait Christian Prigent 5. Dans le sillage d’un Matisse dessinant dans l’espace avec ses Gouaches découpées, Dezeuze entaille, perfore de minces et fragiles morceaux de tissu amidonné. Jouant avec l’immatérialité de son support, il semble autant dessiner que peindre ou sculpter. Dans sa perpétuelle remise en question de la peinture, Dezeuze s’amuse à conférer à ces formes légères l’apparence d’« étranges lépidoptères » 6. Dans ces libres exercices, la gaze apparaît comme un lointain souvenir de l’épaisse toile. Cette fois-ci, c’est le châssis qui a disparu. Tout en privilégiant l’épure, Dezeuze réinvestit de manière extrêmement subtile le champ de la peinture.
Cat. 29 (détail)
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Dans une logique assez proche de celle des Triangulations, Daniel Dezeuze vient encore bousculer et troubler notre approche traditionnelle de l’espace. En forme d’idéogrammes, les Gazes scandent et ponctuent le lieu dans lequel elles sont présentées. « Plus que telle
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Portes (1982-1984) « Il y a quelque chose d’une désolation. Les matériaux utilisés étaient très peu nobles, ils n’étaient pas “installés” au sens où on l’entend maintenant, mais simplement posés contre les murs de la galerie. » [...] « On est passé d’un monde de légèreté à des morceaux de lave très pesants. »
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DANIEL DEZEUZE, Entretien avec Xavier Girard, « Daniel Dezeuze. État des lieux », 1989 1
En regard des pièces en tarlatane, les Portes (cat. 34-39), tout comme les Diptyques et Blocs de bois (1982-1984), affirment leurs formes lourdes, leurs surfaces pleines et opaques. En contrepoint des Gazes, légères et graciles, ces pièces ou morceaux de bois arrachés affirment une pesanteur, une tout autre relation à l’espace et à la gravité. Si les Gazes, aériennes et diaphanes, se fondaient parfois dans le mur, les portes, brutes, imposantes et frustes, sont simplement posées au sol, comme abandonnées et délaissées. Dans une pratique faite d’allers et retours et qui assume volontiers ses contradictions, Dezeuze change ici subrepticement de cap. À la faveur de la démolition d’habitations, l’artiste récupère de simples portes sur lesquelles il intervient par de franches perforations et de légers tracés. L’artiste découpe à la scie des formes rudimentaires dans ces portes épaisses. Jamais son action ne se systématise au point que l’on puisse déceler une série. Avec ces planches mal équarries, Dezeuze se situe davantage du côté du quotidien et de l’expérience ordinaire. Rien de plus commun qu’une porte, rien de plus évident pour affirmer le réel et la banalité de nos existences quotidiennes. L’aggloméré ne se laisse pas facilement « sculpter ». Les portes affichent ainsi pleinement l’anti-héroïsme dont Dezeuze se fait le « chantre ». Déconcertants « objets désolés » 2, ces parois découpées n’ouvrent sur rien. Toutefois, en dépit de leur réalité tangible, de prime abord prosaïque, ces seuils, qui se situent à nouveau à mi-chemin entre le tableau et la sculpture 3, recèlent une forme de mystère insondable et les jeux de matières et de couleurs qui animent leurs surfaces révèlent encore un sens aigu de la picturalité. La pleine affirmation du matérialisme qui anime Daniel Dezeuze, depuis les prémices de Supports/Surfaces – comme il le dit lui-même, « Leroi-Gourhan met en vedette le “matérialisme” de l’Homo faber » 4 – ressurgit avec ce type de travaux. Dans le sillage de « Supports/ Surfaces qui rejetait toute exaltation des matériaux “modernistes” », Dezeuze nous met face à l’évidence de modestes portes arrachées à leur fonction première.
Cat. 39 (détail)
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Mais qui mieux que Christian Prigent 5 ne saurait exprimer l’essence de sa démarche : « Les portes sont à la fois ouvertes ET fermées » : si elles font parfois écran, elles entrouvrent et percent également le mur de la représentation, permettant de donner forme à « l’espace
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Armes de poing (1986-1989) « Je fais surtout appel aux dimensions quasi musculaires d’un geste très simple et très concentré. » [...] « Un pistolet est une arme de poing, j’aimerais pouvoir écrire qu’il est aussi une arme de point. À partir de ce point immobile et concentré, je crois qu’on peut deviner une trajectoire dans l’espace. »
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DANIEL DEZEUZE, Entretien avec Xavier Girard, « Daniel Dezeuze. État des lieux », 1989 1
Quoi de plus étranger à l’esthétique des premiers Châssis, aux Gazes et aux fins treillis, que celles des Armes de poing (cat. 41-47) ? Daniel Dezeuze réalise des Armes à partir de 1986. L’artiste renoue, en fabriquant ces objets, « avec les matériaux frustes et oubliés, le travail de la main, le toucher et la dépense physique » 2. « À partir d’objets, de fragments, de matériaux récupérés dans les alentours de sa maison, “en son lieu”, “en son territoire”, Daniel Dezeuze crée des assemblages de bois, de fer, d’ustensiles usagers dont il fait, dans l’écart, le semblant : des figures d’armes. Des armes d’hast, des armes de main, d’estoc et de taille, des armes de jet, des armes à feu qui, dans un premier temps, prennent forme en des dimensions impliquant généralement le corps dans son entier », rappelle Marie-Hélène Grinfeder 3. Traditionnellement, une arme de poing est une arme à feu qui se manie d’une main, revolver ou pistolet. Les frustes assemblages de Daniel Dezeuze s’en rapprochent par leur forme tout en conservant une identité singulière, sujette à maintes interrogations. On peut y voir de simples jouets, des armes de collection ou d’improbables prototypes 4. L’artiste s’amuse en réalité à fabriquer en nombre de petites armes inoffensives, témoins d’une époque aujourd’hui révolue. La pratique de l’objet trouvé se situe chez Dezeuze moins du côté de celle, euphorique, des Nouveaux Réalistes – qui sacralisaient l’objet de consommation urbain et industriel –, que du goût d’un Kurt Schwitters pour les assemblages de rebuts. Les Armes de poing, tout en s’inscrivant dans une tradition du bricolage modeste, se distinguent par leur grande plasticité, obtenue par la réunion d’objets aux textures, aux matières, formes et couleurs volontairement fort différentes (bois, métal, liège, entonnoirs, chaînettes, fragments de jouets, etc.). C’est pourquoi Dezeuze aime à dire : « Chemin faisant, j’ai pu comprendre que lorsque je fabriquais des “armes”, je touchais à la sculpture (les premières sculptures ne sont-elles pas des armes ?) 5... » Admirateur de Picasso, Dezeuze assimile volontiers sa pratique à celle du maître assemblant ses guitares en carton, et si l’intention et le motif diffèrent, il conçoit la proximité imaginée entre ses armes de poing et certaines créations d’art brut (cf. les Fusils d’André Robillard, LAM, Villeneuve-d’Ascq).
Cat. 45 (détail)
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Aussi n’est-il pas étonnant que l’artiste mette l’accent sur le « caractère implosif des objets » 6, qui font des armes un concentré d’énergie et de force. Fruit d’un « travail de
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Skis (1985) « Les Grecs parlaient beaucoup de metis, c’est-à-dire de la ruse avec les éléments, avec la matière. C’est cette ruse qui permet de se dégager quand on commence à s’engluer, à être pris dans ce qui fait style, dans ce qui fait époque, qui nous a empêchés de tomber dans le fétichisme. » Daniel DEZEUZE, « Dossier Supports-Surfaces », 1991 1 117
Cat. 48 (détail)
Si l’œuvre de Daniel Dezeuze avait atteint, au fil des années soixante-dix un degré inégalé de légèreté avec les Gazes, les années quatre-vingt seront davantage placées sous le sceau du réemploi, du retour au réel et à la matérialité. Moins abstraits et conceptuels que les séries des Triangulations ou des Échelles, les Skis (cat. 48-49) apparaissent comme d’ingénieuses et insolites constructions habitées par des tensions mettant en lumière des processus et des gestes particuliers. Ainsi advient un univers moins austère, que d’aucuns ont qualifié de « figuratif » 1. Ces assemblages semblent refléter une double orientation, l’une venue de Duchamp et l’autre héritée du matérialisme dialectique. Entre dérision duchampienne et expérimentation scientifique, c’est à ce point d’articulation que se situent notamment toute l’ambivalence et l’intérêt de ces énigmatiques constructions. Isolés dans la production de Daniel Dezeuze, les skis – Articulation gothique (1985) (cat. 49) et Moïse (1985) (cat. 48) – constituent des travaux uniques et apparaissent du même coup particulièrement identifiables. Leur perfection et leur pureté formelles les distinguent d’autres assemblages contemporains comme les Armes, plus hétéroclites et plus bruts. Avec leurs titres ironiques, ils ne renouent qu’en apparence avec l’iconographie de la peinture classique ou le vocabulaire de l’architecture médiévale. Si l’on peut voir dans leur structure graphique et linéaire un lointain souvenir pour l’un, de la tradition de représentation d’un prophète cornu ou quelque allusion à l’architecture gothique faite d’arcs et de structures ogivales pour l’autre, ils apparaissent avant tout comme un clin d’œil à l’héritage duchampien des ready-made modifiés. La titraison se pose volontiers en profond décalage avec les constituants des assemblages, qui eux-mêmes ne sont pas sans évoquer le célèbre ready-made In Advance of a Broken Arm (1915) de Marcel Duchamp, ironique pelle à neige suspendue, objet indispensable à qui chercherait à éviter toute entorse ou bras cassé.
1. Table ronde animée par Catherine Millet, « La dernière avant-garde ? L.Cane, D.Dezeuze, C.Viallat », Art Press, no 154, janvier 1991, p. 16-17. 2. « Notes d’atelier », 1968, in Textes, entretiens, poèmes, 1967-2008, Paris, Beaux-Arts de Paris éditions, coll. « Écrits d’artistes », 2008, p. 39. 3. É. de Chassey , « Alléger la peinture », in Daniel Dezeuze, Roche-la-Molière, Ceysson éditions d’art, 2009, p. 9. 4. D. Dezeuze, « À portée de main », in À portée de main, cat. exp. [Sète, musée Paul Valéry, 13 juin-28 septembre 2008], Sète, musée Paul-Valéry, 2008, p. 233.
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Dezeuze a montré, depuis le châssis de 1967, l’intérêt qu’il portait à l’œuvre de Duchamp, production qui lui offrait « un champ ouvert, par son activité critique, à de nouvelles positions » 2. On notera l’élégance presque maniériste de ces sculptures de skis aux surfaces lisses en forme d’arabesques, qui malgré leur singularité font corps avec le reste de l’œuvre de l’artiste. On retrouve la graduation des Échelles dans les neuf barreaux de Moïse ou encore l’esprit des Triangulations dans la structure géométrique et ternaire d’Articulation gothique et plus généralement les jeux de tension qui traversent tout son travail depuis les années soixante. Dans la pratique du décalage et du pied de nez qui préside à la création de ces assemblages, Dezeuze rejoint une généalogie d’artistes tels que Fischli et Weiss qui, tout en acceptant le « caractère non héroïque de l’œuvre d’art » 3, font l’apologie de la banalité et de l’absurde. Dezeuze se fait l’apôtre d’une physique fantaisiste et le jeu avec l’espace et les volumes prend la forme d’exercices où l’oisiveté le dispute à la didactique. La désublimation tant recherchée par l’artiste trouve à s’exprimer dans ces impertinentes sculptures qui viennent à n’en point douter prolonger « le geste de Duchamp, [s]on maître en insolence » 4. S. B.
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Per una selva oscura I (1990) « Ô poète ! je te le demande au nom de ce Dieu que tu n’as pas connu, aide-moi à fuir cette forêt et d’autres lieux plus funestes ; accompagne-moi dans ces régions dont tu m’as entretenu ; fais que je voie ceux que tu dis plongés dans un si profond désespoir, et conduis-moi jusqu’à la porte confiée à saint Pierre. » DANTE, La Divine Comédie, Chant I : L’Enfer, 1472 Cat. 50 (détail)
Installée pour la première fois au château de Chambord en 1990, Per una selva oscura I (1990) est une pièce imposante et circulaire, posée au sol, fruit d’une commande du ministère de la Culture célébrant alors les vingt ans du mouvement Supports/Surfaces. L’artiste la décrit en ces termes : « Cette sculpture est constituée de six quartiers contenant deux hexagones chacun. Un treizième hexagone vient se former au centre si l’on fait converger chacun de ces six quartiers, comme c’est le cas ici même. Les douze hexagones peuvent correspondre au nombre de peintres et sculpteurs qui ont participé au mouvement Supports/Surfaces, le treizième hexagone étant de toute manière aléatoire et essentiel. Aléatoire, parce que dépendant de la position des quartiers, essentiel parce qu’il recueille l’ensemble des énergies éparses depuis la circonférence. »
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Conçue et réalisée par Dezeuze lui-même, cette construction gigantesque de plus de six mètres de diamètre est constituée de six modules imbriqués les uns aux autres dont les parois enchevêtrées en un réseau de motifs géométriques exercent un grand pouvoir de fascination. Si l’artiste, rappelant le caractère souvent modeste de sa démarche aime à dire « Mon corps d’artiste reste la mesure de tout ce que je fais » 1, il outrepasse ici ce dernier comme en témoigne la photographie le montrant minuscule au cœur de la sculpture qu’il construit. La structure compartimentée dont le dessin en surplomb nous rappelle la forme d’un labyrinthe ou la configuration d’un mandala, semble réalisée à l’aune des grands espaces du château de Chambord et se fait d’ailleurs peut-être l’écho du décor en relief de l’une de ses portes sculptées. La rigueur constructive du cloisonnement géométrique de Per una selva oscura I évoque à nouveau l’idée d’une tension dialectique, cet équilibre des contraires si cher à la pensée chinoise et qui traverse l’œuvre de Dezeuze : contrastes entre les vides et les pleins, entre la sphère et les motifs géométriques, opposition entre l’impression de mouvement et le sentiment de stabilité. On peut aussi relier ce grand dédale de bois, véritable graphie dans l’espace, au souvenir des labyrinthes médiévaux qui pavaient l’entrée des églises. Comme souvent, Dezeuze introduit volontiers une dimension métaphysique dans son travail. Et quantité de questions ou d’interprétations affleurent alors. L’artiste nous apprend-il à cheminer au sein des fluctuations de l’existence ? Le sens serait-il enclos dans la matière ? Ou encore, n’est-ce pas à force de détours et de rebours, que la vie même, la lumière ou la création émergent des ténèbres ?
1. Entretien à la galerie Daniel Templon, 2016. 2. Ibid.
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Fin lettré et poète, Daniel Dezeuze convoque l’une des plus célèbres passages de la Divine Comédie de Dante Alighieri. Alors que Dante s’égare dans la forêt au Chant I de l’Enfer, Virgile, son guide, l’invite à un voyage initiatique hors de ce lieu de perdition. Per una selva oscura (1990) donnera donc son titre à cette forêt métaphorique ainsi qu’à d’autres créations jalonnant ainsi l’œuvre de Dezeuze. Les photographies de l’artiste au cœur même de sa structure – qui apparaît alors comme un immense et inextricable labyrinthe, mais aussi comme un monde miniature créé par l’artiste lui-même –, reflètent bien sa pensée tout en ramifications, cette idée d’une création rhyzomatique où l’art lui-même est éternel retour, voyage ou quête incessante. « L’artiste chemine, dit-il, il ne sait jamais où il va arriver. » « Il faut accepter d’avoir des vides dans sa production, je crois qu’il faut garder des clairières et dans ces clairières peut-être reçoit-on mieux la lumière, mieux le soleil, puis après on reprend son chemin dans la forêt 2. » S. B.
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Per una selva oscura II (1991) « Au milieu de la course de notre vie, je perdis le véritable chemin, et je m’égarai dans une forêt obscure : ah ! il serait trop pénible de dire combien cette forêt, dont le souvenir renouvelle ma crainte, était âpre, touffue et sauvage. »
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DANTE, La Divine Comédie, Chant I : L’Enfer, 1472
Comme un leitmotiv venant ponctuer son œuvre, Dezeuze, avec Per una selva oscura II (1991), fait à nouveau référence à l’un des plus célèbres passages de la Divine Comédie de Dante, le Chant I, où l’auteur perdu dans la forêt obscure retrouve son chemin grâce à l’esprit du poète Virgile. De petits cylindres de métal oxydé compartimentés forment ici constellation. Ils se font à certains égards l’écho de l’imaginaire médiéval qui nourrit la pensée de Dezeuze depuis les années 1980. Motifs privilégiés de la série Armes et Forteresses par exemple, les petites roues apparaissent dans plusieurs pastels comme le Char des lions (1986, crayons pastel sur papier Canson, collection privée). La compartimentation géométrique de ces douze roues rejoint aussi formellement l’immense Per una selva oscura I, sculpture en forme de labyrinthe aux structurations rhyzomatiques. Mais plus largement, la roue n’est-elle pas le symbole de la vie même, de ses cycles et de leurs commencements, en soi de la création permanente et continue ? Orientés dans plusieurs directions, les petits cylindres de Per una selva oscura II sont, au gré des expositions, tantôt présentés à nu, tantôt discrètement immobilisés par des cales en forme de quartiers de bois brut. Et l’on attend tout naturellement de ses formes un mouvement, une pulsion, qui se trouve comme interrompue dans sa course par ces butées.
Cat. 51 (détail)
Tout l’œuvre de Daniel Dezeuze est habité par un jeu dialectique qui se cristallise dans des oppositions fondamentales et archétypales venant libérer le regard des conventions : le vide et le plein, la matière et l’immatérialité, le rigide et le mou, la pesanteur et l’envol, le mouvement et la stabilité. Le mouvement empêché est ici une forme d’oxymore soulignant la dimension parfois linguistique de l’œuvre de Dezeuze, qui prend souvent l’écriture et le signe comme fondement de son langage pictural. On sait combien le cheminement de Daniel Dezeuze fut influencé par la pensée chinoise et la conception taoïste du vide. Il semble encore être ici question de vide, de ce vide qui occupe l’artiste depuis les Claies et les Châssis. Daniel Dezeuze se serait-il inspiré du chapitre 11 du Tao Te King ou Livre de la vie et de la vertu de Lao Tseu où l’on peut lire : « Bien que trente rayons convergent au moyeu, c’est le vide médian qui fait marcher le char » ? Aussi pourrait-on dire de même que le vide anime, fait « fonctionner » ces étranges cylindres de métal 1. S. B.
1. P. Javault, « Daniel Dezeuze, une critique aveuglée », Artistes, no 16, 1983, p. 39-41. Voir aussi « Interview avec François-Xavier Amprimoz, conservateur du musée Crozatier », Petit Journal de l’exposition, 8 mai-28 juin 1983.
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Arcs et Arbalètes (1985-2010) « Le musée de l’Indien, à New York, bien qu’il sente le rempaillage, m’avait autant, si ce n’est plus intéressé que le Musée d’Art moderne et autres Whitney de cette même ville. » Daniel DEZEUZE, « Questions d’itinéraire », 1976 1 129
« Il y a chez Daniel Dezeuze, la solidité d’une poétique, inquiète et allègre, la position d’un guerrier qui ne s’en laisse pas compter et dont les seules armes sont les interrogations qu’il lance, avec nous, avec les formes qu’il crée, dans cette vie qu’il crée, dont il n’a pas oublié l’amplitude. » Olivier KAEPPELIN, « Un battement », 1989 2
« Jouer et déjouer la visée, le point de vue est peut-être un de ces fils qui semblent échapper au visiteur lors de chaque nouvelle exposition de Dezeuze... » Tristan TRÉMEAU, « Daniel Dezeuze », 2003 3
Aux yeux de Daniel Dezeuze, l’ensemble des Armes (1985-1991) ne signifie en rien un projet guerrier mais illustre une représentation parmi d’autres du concept d’énergie. Depuis le début des années quatre-vingt, celles-ci occupent une place essentielle dans l’œuvre de l’artiste : Armes de poing, modestes assemblages d’objets trouvés en forme de pistolet ou fusil, Arcs et Arbalètes plus proches de l’univers des Indiens. Que l’on y voit un « dérisoire arsenal médiéval » (Alfred Pacquement) ou de simples « machines de guerre dénaturée » (Marie-Hélène Grinfeder), ces armes insolites, inoffensives et surprenantes demeurent pleines de mystère : dispositifs de survie individuelle puisant leurs sources dans l’utilisation de matériaux quotidiens ou constructions spontanées témoins d’une société inconnue ? Antiques, médiévales ou modernes ? Leur origine et leur destination demeurent sujettes à maints questionnements. On sait combien Daniel Dezeuze s’est montré sensible et ce, dès les années soixante, aux écrits des philosophes (Barthes, Kristeva, Sollers, Derrida) et plus généralement ouverts aux sciences humaines. Claude Lévi-Strauss, dans son ouvrage La Pensée sauvage (1962) devenu un classique de l’ethnologie, démontre la proximité de la pensée primitive et « bricoleuse » et de la pensée moderne « ingénieuse ». Il lui revient de réhabiliter de cette manière la « science du concret » qui préside aux pratiques archaïques. On retrouve cette pensée du bricolage chez Dezeuze, prédateur et agenceur d’objets de rebut : « Il y a tout naturellement du chasseur chez cet anthropologue spontané », écrivait de ce fait HenryClaude Cousseau 4.
Cat. 55 (détail)
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En fait d’armes, les Armes de jet (cat. 52-56) ont trait par essence à la visée, elle-même fondée sur les notions d’énergie, de vitalité et de concentration. Avec leurs flèches ou traits imaginaires, les Arcs ou Arbalètes fendent l’espace, le traversent. Leur fonction se trouve dévoyée par l’artiste, au point que l’art de la guerre s’estompe devant l’art du
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Objets de cueillette (1992-1995) « J’aime beaucoup cueillir des baies sauvages dans la forêt et le plaisir provient en partie du fait de revivre une expérience plus ancienne que le Néolithique. Mes Objets de cueillette dont évidemment des prothèses du bras comme les premiers outils pour récolte et comme début de notre course technologique. »
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Daniel DEZEUZE, « Comme un lexique », 1998 1
« Les objets de cueillette, assemblages hétéroclites de cuirs, plastiques, bois ou paille, objets trouvés, précaires, sont prêts à être abandonnés dès qu’ils auront rempli leur fonction essentielle. Objets utilitaires sans fonction, créés pour survivre, ils n’aideront jamais quiconque à trouver une quelconque nourriture. Ils sont l’âme de l’outil, le prolongement du bras de l’homme. Primitifs, évidents quand on les regarde, impossibles quand on les détaille, ils évoluent dans la zone interdite de l’apparence et de l’absurde réalité. » Marie-Hélène GRINFEDER, 1995 2
« Ce sont des “outillages” à travers lesquels se dessine la figure du braconnier, figure à la limite de la légalité, marginale de toute façon. » Daniel DEZEUZE, 2003 3
À l’apparente austérité des travaux inauguraux de Daniel Dezeuze – les Châssis, les Échelles ou les Triangulations –, fait indéniablement contrepoint l’ingénuité des assemblages d’objets hétéroclites apparus plus tardivement dans son œuvre. Au début des années quatre-vingt puis à partir de 1993, Daniel Dezeuze, en véritable « anthropologue spontané » (Henry-Claude Cousseau) réalise les Armes, les Objets de cueillette et les Réceptacles qui se rapprochent davantage de l’art brut et de la pensée du bricolage théorisée par un Claude Lévi-Strauss. « Dans un entretien avec Henry-Claude Cousseau, Dezeuze affirme vouloir opposer au “monde pariétal” (à ces parois têtues qu’érigent dans notre civilisation les rigueurs de la raison) “celui des peuples sans architecture, de culture nomade (qui tressent, qui tissent, entrelacent des fibres végétales, façonnant des objets souples, élastiques et flottants”)4. » Avec leurs formes oblongues, reliant la terre au ciel, les Objets de cueillette (cat. 58-60) sont de minces constructions hétéroclites que l’artiste perçoit volontiers comme les prolongements mêmes de son bras. Réalisés à partir de filets à papillons, seaux et autres objets du quotidien (lampes, bottes, résilles, entonnoirs, cuillères, etc.), ils assument paradoxalement et avec un certain panache leur fragile identité. Poétiques et dérisoires, ils sont, par une curieuse mise en abîme, tant le fruit du glanage et des déambulations de l’artiste que destinés à la cueillette d’énigmatiques proies.
Cat. 59 (détail)
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S’inspirant de peuples « nomades » et sans architecture, Daniel Dezeuze nous fait revivre des époques reculées dont il analyse et reproduit les pratiques artisanales. Il récupère et assemble des objets qui tiennent tant du piège que du filet à papillons ou du panier à provisions. L’enfance passée dans le Sud ressurgit alors. « Sur la côte catalane, dans ma jeunesse, j’ai appris à amorcer des nasses pour girelles et à ferrer les calmars la nuit. Plus
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Réceptacles (1992-1995) « Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son enjeu est de toujours s’arranger avec les “moyens du bord” [...]. Mais il y a plus : la poésie du bricolage lui vient aussi, et surtout, de ce qu’il ne se borne pas à accomplir ou exécuter ; il raconte [...] le caractère et la vie de son auteur. Sans jamais remplir son projet, le bricoleur y met toujours quelque chose de soi. »
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Claude LÉVI-STRAUSS, La Pensée sauvage, 1962 1.
« Voici des assemblages prosaïques semblables à ceux des braconniers, récoltants de miel, distillateurs à la sauvette dans les campagnes. [...] La vraie Histoire est celle des gens de peu, qui n’étant presque rien, n’ont laissé que des traces infimes. » Daniel DEZEUZE, « Notes sur les Objets de cueillette (Réceptacles) », 1994-1995.
Depuis le fameux Châssis de 1967 jusqu’aux Extensibles (1995-1997), l’œuvre de Daniel Dezeuze s’est construit par de permanents allers et retours entre la peinture et la sculpture, entre « l’abstraction du plan et la tactilité de la terre » 2. A priori dégagé de tout souci esthétique, Dezeuze compose des sculptures qui lui offrent la possibilité de se réapproprier le travail de la main et le sentiment du tactile. Par ces pratiques d’assemblages, il reste fidèle à la théorie matérialiste de l’art défendue au temps de Supports/Surfaces, notamment par la revue Peinture – Cahiers théoriques, qui rappelait à ses membres la nécessaire prise en compte méticuleuse du geste et des outils. Dans un contexte, celui des années soixante-dix, marqué par un engouement sans précédent pour les pratiques du bricolage, Dezeuze, dans une visée bien opposée à celles des Nouveaux Réalistes, travaillait à l’aide de matériaux fragiles et légers (bois de placage, gaze, etc.). Dans les années quatre-vingt, il collecte autour de sa maison des objets et matériaux abandonnés qu’il assemble en de fragiles constructions. Sa démarche tient moins de la quête surréaliste de l’objet trouvé que, semble-t-il, de l’éloge de la banalité théorisé par Arthur C. Danto.
Cat. 63 (détail)
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Alors que les Objets de cueillette, prolongements de la main, semblaient destinés à saisir des proies dans les hauteurs, les Réceptacles (cat. 62-68), plus ancrés au sol, ont l’apparence de pièges de fortune destinés à attraper de petits animaux terriens. Peu esthétiques, ces assemblages de rebuts – entonnoirs et vaches à eau, plastique avec cordages, filets de pêche, bois, bidons bricolés, cages – nous surprennent par des formes peu attendues, des rassemblements d’objets plus ou moins orthodoxes, et par leur caractère volontairement
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Peintures sur panneaux extensibles et Peintures sur chevalet (1996-2000) « J’ai toujours cherché à alléger la peinture, au propre et au figuré, de ce qui me semble son obscénité fondamentale. » Daniel DEZEUZE, « Entretien avec J. Beauffet », 1980 1 163
« Dès les Châssis vides, de 1967, et avec toutes les œuvres en forme de grilles, extensibles ou non, il a ajouré la peinture, l’a trouée, comme si cette effraction devait abattre le “mur” de la représentation. » Christian BESSON, « Ventilation. Les gazes de Daniel Dezeuze (1977-1981), l’histoire en filigrane », 2003 2
« On peut voir dans les croisillonnages de Dezeuze un tissage extensible. Or Freud a toujours parlé du rêve comme d’un “tissu d’idées”, un “art de tisser”. » Christian LIMOUSIN, « Bords et rebords », 1977 3
Pointant le caractère plus libre et anti-programmatique des œuvres de Supports/Surfaces en regard de celles de BMPT ou de l’art minimal, Marcelin Pleynet affirmait : « Dezeuze ne fait pas que des châssis, les “châssis” s’inscrivant dans une œuvre tridimensionnelle plus complexe 4. » On a bien souvent à tort réduit l’entreprise de Dezeuze et plus largement celle de Supports/ Surfaces à une déconstruction de la peinture, à une négation de toute picturalité, alors que subsistaient un indéniable plaisir de peindre et une ambition plus complexe. N’est-ce pas la nature inébranlable et close du tableau que conteste Daniel Dezeuze depuis les années soixante, en proposant un « autre espace », un espace « hétérogène » pour reprendre la terminologie de Christian Prigent, un espace non spéculaire qui ne soit ni écran, ni miroir, incluant quantité d’espaces invisibles (psychologiques, mentaux, culturels). En 1969, alors que les artistes disséminent leurs travaux en plein air à Coaraze, petit village de l’arrière-pays niçois, Dezeuze choisit de présenter des treillis extensibles entre les murs extérieurs d’une maison. Ce matériau, lointain souvenir de la grille moderniste ou du tissage de la toile, depuis lors innerve sa création. Utilisé pour faire grimper les plantes sur les tonnelles des jardins, il est d’emblée décliné par Daniel Dezeuze qui en apprécie la résille de bois tramée. C’est au rayon horticulture des magasins de bricolage BHV que l’artiste se procure la matière première de ses Treillis extensibles, prolongements naturels des expérimentations sur la grille nées avec le châssis brut et les Échelles de bois souple. Ces treillis, avec leurs formes géométriques qui ponctuent l’œuvre, ne sont pas sans rappeler (losanges, ellipses) les motifs décoratifs peints sur les cuirs des Indiens d’Amérique du Nord. Comme l’indique leur appellation même, ces extensibles ont en outre une capacité d’extension et de contraction qui bouscule allègrement l’idée d’une quelconque stabilité spatiale.
Cat. 77 (détail)
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Avec les Peintures sur panneaux extensibles (cat. 69-74), le motif régulier du treillis, originellement neutre et peu séduisant, acquiert, grâce aux modulations de couleurs, une qualité de texture et une indéniable « plasticité » (É. de Chassey), métamorphosant ces installations en
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Per una selva oscura III (1997-1999) Cat. 80 (détail)
Comme l’évoquait Deborah Laks, « a priori, il n’y a aucun mystère dans le travail de Dezeuze : le mode opératoire est transparent ; les matériaux simples. Et pourtant l’œuvre dépasse ses seuls composants 1. » Per una selva oscura III l’illustre bien. Formé par l’addition de vingt-huit panneaux extensibles teintés en jaune, c’est un « feuilleté » d’extensibles, un assemblage en forme de mille-feuille, qui loin d’« alléger la peinture », cherche au contraire à affirmer sa présence physique. Là où les treillis ajourés affirmaient le refus de la surface-écran du tableau classique, leur réunion signe un retour à la troisième dimension de la sculpture. Les Extensibles, emboîtés, imbriqués les uns dans les autres, abolissent la frontière entre peinture et sculpture. La couleur projetée sur le volume accentue encore cette tension dialectique entre les deux médiums, opérant leur fusion définitive. Cet entre-deux est caractéristique du travail d’un artiste que Jean-Pierre Greff considère comme simultanément soumis à un principe pictural et sculptural 2.
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Le format est ici monumental révélant une pratique en continuelle métamorphose, passant volontiers de la bidimensionnalité à la tridimensionnalité, de la peinture à la sculpture jusqu’à l’architecture. Dans le droit fil de l’héritage de Supports/Surfaces, Per una selva oscura III réagit à son espace d’inscription. Daniel Dezeuze revient ici comme avec la pratique des Palans expérimentée en 1968, abandonnée puis retrouvée, à une expérience laissée en suspens. Avec les Peintures sur panneaux extensibles (1995-1997), il renoue après plusieurs décennies avec la pratique des premiers treillis réalisés au cours des années 1968-1969 et initiée à Coaraze au temps de Supports/Surfaces. La question du volume de l’espace d’exposition, fondamentale pour l’accrochage des Gazes et des Triangulations, mais aussi pour les Poulies et les Palans, ressurgit ici avec le volume imposant et cubique de cette pièce qui se love dans l’espace qui lui est dévolu. Toujours inspiré par les célèbres vers de Dante extraits de la Divine Comédie, Dezeuze fait de cette sculpture une forêt dense, inextricable treillis de bois, traversé par d’infinies percées de lumière.
1. D. Laks, « Dezeuze, Saytour, Viallat : le dépassement par l’œuvre », in Daniel Dezeuze, Patrick Saytour, Claude Viallat, Ceysson éditions d’Art, Saint-Étienne, 2012. 2. J.-P. Greff, F. Hergott, C. Prigent et A. Samardzija, Daniel Dezeuze. Nefs et polychromies, cat. exp. [Strasbourg,La Chaufferie, galerie de l’École supérieure des arts décoratifs et musée d’Art moderne et contemporain, 22 juin-2 septembre 2001], Strasbourg, La Chaufferie, 2002, p. 8. 3. D. Dezeuze et O. Kaeppelin, « Comme un lexique », in G. Tosatto, P. Javault, O. Kaeppelin et D. Dezeuze, Daniel Dezeuze, cat. exp. [Nîmes, Carré d’art – musée d’Art contemporain, 23 octobre 1998 – 17 janvier 1999], Arles, Actes Sud/Carré d’Art, 1998, p. 35.
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Sensuel, tactile et haptique, Per una selva oscura III fait encore du vide un espace générateur de sens. Le vide est décuplé par l’assemblage des croisillons, ces trames que Daniel Dezeuze envisage comme une forme d’« esperanto décoratif » commun à une multitude de peuples 3. Le cube est parfois accompagné d’une autre variante d’extensibles pointus et effilés : les Flèches, mystérieuse série ouverte en 1997, également nommée « peintures furtives. » Que l’on veuille y voir un condensé des recherches sur les armes et le devenir de la peinture, ces immenses lances primitives déconcertent par leur surface dentelée ou crantée, visuellement proche de la peau de quelque espèce reptilienne. S. B.
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Pavillons (2000-2001) et Dyptiques (2005) « Cher Daniel, pourquoi tes œuvres si apparemment désincarnées, ironiques, puritaines me donnent-elles une si vive impression de corporalité, de réel ? » Christian PRIGENT, « Ce qui fait tenir l’image... », 2001 1
La couleur a son propre poids et ne se pose pas comme la poussière, sa densité n’est pas superficielle (rosée, vaporisation). La couleur n’est pas non plus profonde, pourtant, elle sait se dilater, se nouer, se greffer sur sa propre surface. »
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Daniel DEZEUZE, « Été 71 » 2 Cat. 87 (détail)
1. In J.-P. Greff, F. Hergott, C. Prigent et A. Samardzija, Nefs et polychromies, cat. exp. [Strasbourg, galerie de l’École supérieure des arts décoratifs, 22 juin-2 septembre 2001 ; Strasbourg,La Chaufferie, musée d’Art moderne et contemporain, 22 juin-2 septembre 2001], Strasbourg, La Chaufferie, 2002, p. 27. 2. Texte publié dans J.-C. Ammann, J. Beauffet, B. Ceysson et F. Guichon, Nouvelle Peinture en France : pratiques et théories, cat. exp. [Saint-Étienne, musée d’Art et d’Industrie, 21 juin-29 juillet 1974 ; Chambéry, musée d’Art et d’Histoire, 5 août15 septembre 1974 ; Lucerne, Kunstmuseum, 29 septembre-3 novembre 1974 ; Aachen, Neue Galerie, Sammlung Ludwig, 1974-1975 ; Bordeaux, CAPC, mars-avril 1975], SaintÉtienne, musée d’Art et d’Industrie/Chambéry, musée d’Art et d’Histoire, 1974. 3. J.-C. Hauc, « Le sujet menacé », Textuerre, nos 34-35, Montpellier, juin 1982. 4. D. Dezeuze, « Dossier Supports/Surfaces », Art Press, no 154, Paris, janvier 1991, p. 16-17. 5. Entretien avec Chantal Béret, « Entre le visible et l’invisible », in Textes, entretiens, poèmes, 1967-2008, Paris, Beaux-Arts de Paris éditions, coll. « Écrits d’artistes », 2008. 6. « Réponse à six questions de Georges Roque », +-0, no 12 bis, Bruxelles, maijuin 1976. 7. C.Limousin, « Bords et rebords », Gramma, no 6, Pont-sur-Yonne, 1977.
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On a souvent reproché aux tenants de Supports/Surfaces la rigueur de leur « abstraction analytique » 3. Se souvenant de ses débuts, Daniel Dezeuze lui-même confiait que « les travaux manquaient [alors] totalement de séduction » 4, rappelant l’« aspect sec » de ses productions d’antan 5. Des corolles résillées, ourlées et colorées que forment au début des années 2000 les Pavillons (cat. 83-85), émane en revanche une jubilation franche. Flexibles et souples, ils apparaissent comme une version plus « maniériste » des treillis extensibles. Inclassables et réfractaires à toute définition, on pourrait voir dans ces formes déployées, constituées par l’enroulement d’une feuille de polyéthylène recourbée sur elle-même, des étendards colorés, d’immenses coiffes de dentelle, ou peut-être des drapeaux, gonflés par le vent, souvenir des pavillons hissés sur la proue des navires. L’artiste semble moins renouer avec le volume qu’avec les joies de la picturalité. La couleur appliquée en subtils dégradés vient dissoudre la trame résillée. À ses débuts déjà, Dezeuze s’érigeait en faux contre les géométries de type euclidien et la monochromie de l’art minimal. Ici, ces formes subtilement ourlées présentent d’infimes variations colorées. Dès 1976, l’artiste s’entretenait clairement de sa relation particulière à la couleur, qui semble encore d’actualité aujourd’hui : « Le niveau chromatique de mon travail est actuellement toujours aussi simple (n’excédant pas trois couleurs) ; les couleurs sont là pour consumer “sur place” l’aspect optique de la trame répétitive qui se prête aux jeux rétiniens 6. » Au temps de Supports/Surfaces et après le voyage qu’il effectue en 1987 et en 1994 en Asie, la peinture chinoise et la Chine ancienne ont toujours représenté un ailleurs rêvé pour Daniel Dezeuze. Lointains souvenirs des rouleaux de poèmes chinois, les Échelles doubles ou Dyptiques (cat. 86-88) associent par paires une échelle pleine et une échelle ajourée, une échelle peinte de dégradés de couleurs et une échelle brute. Il s’agit, après les échelles de bois souple et les échelles de gaze, d’une énième déclinaison du thème mais qui semble davantage liée à l’« imaginaire primitif » (Henry-Claude Cousseau) qui nourrit l’artiste. Enroulées, les échelles pleines forment d’étranges ombilics colorés, témoignant d’une œuvre en constante transformation et définition. Dans les années soixante-dix, l’œuvre de Dezeuze s’affirmait, disait-on, comme un refus et une réinterprétation de volumes épurés et géométriques du minimalisme américain. S’inspirant de la grille ou de la trame résillée, les séries mises au jour par l’artiste au cours des dernières décennies se succèdent sans pour autant se ressembler. Christian Limousin l’analysait avec justesse : « La répétition n’est pas, chez [Dezeuze], retour (reprise) du même mais mesure de l’écart, de la différence, de l’altération, etc. 7 » S. B.
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Nefs (2000-2001), Peintures qui perlent (2007-2009) et Icônes (2009-2014) Défiant la pesanteur et la matérialité, les Nefs, blanches et ajourées (cat. 89), semblent voguer dans l’espace et se soustraire à toute définition précise, à toute interprétation définitive : fragiles esquifs, étranges conques ou vaisseaux fantômes, leur mystère reste entier. Celui que Marie-Christine Grinfeder décrivait volontiers comme un « nomade [transcrivant] l’intangible » poursuit, avec ses immenses origamis de dentelles simplement posés au sol, les « pratiques d’ajour » (Claude Minière) qui l’ont fait connaître dans les années soixante et soixante-dix : Toiles perforées, Échelles, Triangulations, Colombages, Quadrillages de rubans ou encore Échelles de tarlatane. À l’aide d’un matériau prosaïque, les panneaux de polyéthylène blanc trouvés dans les magasins de bricolage et utilisés communément pour les palissades ajourées de jardin, l’artiste édifie des constructions énigmatiques, en incurvant et en emboîtant des panneaux dont la structure souple et tramée n’est pas sans rappeler celle des premiers treillis et dont la découpe rappelle la création des Gazes.
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On a souvent convoqué l’ethnologie pour comprendre l’œuvre de Dezeuze. Ces architectures éphémères qui, à peine érigées, semblent pouvoir être déconstruites, ne sont pas sans rappeler les campements des « peuples sans architecture et nomades » admirés de l’artiste ou encore certaines pratiques de l’art océanien ou africain. En cela, Dezeuze reste l’héritier de Supports/Surfaces. « Certaines pratiques du groupe Supports/Surfaces peuvent en effet se référer aux pliages et déploiements des surfaces souples chez les peuples nomades, aux graphies orientales, à la sparterie indienne, aux quipus incas, aux idéogrammes chinois 1. » Mais il se révèle avant tout marqué par les découvertes des cultures extra-européennes qu’il fit au cours des années soixante au Mexique comme au Canada, puis plus tard lors de ses voyages en Asie. Claude Minière émettait même une autre hypothèse, imaginant « que ces pratiques d’ajour (telles que pour les Nefs et les Extensibles) » auraient quelque lien avec « un possible réseau de contacts avec l’art africain » 2. Ce que les Nefs suggèrent en creux, c’est dans tous les cas un geste précis, une main habile et délicate, le retour au tactile dont Daniel Dezeuze s’est toujours fait le défenseur absolu. « La gestualité dans mon travail ? Je l’ai ressentie dans un premier temps en termes de tension, rigidité, extensibilité (formats gigognes), puis souplesse (lames de bois) et cassure 3. » Le processus créateur est encore visible dans ces constructions qui peuvent être défaites dans l’instant.
Cat. 89 (détail)
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Dès l’origine, Dezeuze cherche à approfondir un vide qu’il envisage sensible et régénérateur. Avec les Nefs, l’artiste sculpte, entaille, retravaille la dentelle des plaques de polyéthylène, recréant par là même un nouveau motif de treillis au cœur même du treillis existant. Avec ces « néosculptures » évanescentes 4 qui semblent capables de disparaître sur-le-champ, Dezeuze atteint le vide taoïste et la plénitude zen 5. Avec leurs incurvations gothiques, les
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Blasons (2009-2011) et Boucliers (2009-2013) À l’occasion de l’exposition organisée à Strasbourg en septembre 2001 et intitulée « Nefs et polychromies », l’artiste prévenait : « Aucun mythe, aucune narration, aucune fiction n’ont alimenté (ou ne doivent alimenter) ce qui est là, à portée du regard. » Dans ses travaux les plus récents, l’artiste se passionne toutefois pour l’Histoire et le monde médiéval, la chevalerie, ses armes et ses blasons, dans une perspective qui, mettant à distance l’anecdote et le récit, flirte davantage avec la poésie et la philosophie. Des assemblages d’Armes (1985-1991), en passant par les dessins d’Armes et Forteresses aux Blasons et boucliers, il n’y a qu’une distance ténue, que Claude Minière analyse avec clairvoyance, assimilant volontiers les assemblages énigmatiques et curieux des Armes à « ceux que composaient en matière d’héraldique les “armes” d’une ville ou d’un domaine » 1. De la série de dessins Armes et Forteresses (1986-1987) émergeaient déjà en effet, sur fond noir, de mystérieux dessins de blasons (1989) qui préfiguraient à leur manière la série éponyme.
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Les Blasons (cat. 97-100) réalisés à l’aide de papiers peints marouflés sur bois sont de petites peintures d’un extrême raffinement. Les tout premiers réalisés en 1991 et de format modeste, sont de petits morceaux de peintures monochromes et unis sur carton, dont on retrouve l’esprit dans la décoration de l’Hôtel Sully à Paris ; les plus récents, avec leurs lignes de clous et leurs effets de couleur, illustrent clairement le retour à la peinture de Dezeuze qui, après avoir remis très tôt en question l’autorité du tableau, renoue ici clairement avec le plaisir de peindre et le sens du chromatisme. Papiers peints à fleurs délicatement cernés, peinture vive appliquée en épaisseur au couteau, imprégnations délicates, coulures d’encre ou de peinture : chacun des blasons, en son format concentré, nous raconte son histoire. Divers agencements de cloutages dorés – en forme de flèche, de losange ou de croix – ornent les panonceaux. Chaque blason semble porter des armoiries fictives, celle d’une lignée princière ou royale ou, plus prosaïquement, d’une corporation. En réalité, c’est par le soin particulier qu’il prête au raffinement pictural de ces Blasons que Dezeuze donne à chacun une individualité et une véritable identité plastique.
Cat. 98 (détail)
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En 2010, avec Chevaliers, prêtres, paysans, Daniel Dezeuze consacre son exposition à la galerie Templon à ce qu’on appelle communément la « peinture d’Histoire ». En faisant référence à la période médiévale, il continue de parler de la peinture et de ses modes d’apparition. En comparaison des Blasons, les Boucliers (cat. 101-104) sont de plus grande dimension, en forme d’ogive ou arrondie. Leur structure croisillonnée et résillée est visible à travers les maigres dépôts de pigment séché. La fragilité de la surface peinte en polychromie et le fin réseau métallique en transparence rappellent à certains égards la tarlatane de la série des Gazes. Couleurs vives en dégradé, motifs tachetés ou striés, compositions de clous dorés, jeux de transparence, sont encore déclinés à l’infini. Par leur nombre, par leurs variations de couleurs et de formes, par leur surprenante légèreté, ces boucliers irradient presque et leur pouvoir prophylactique pourrait résider dans la dimension jubilatoire de leur décor, proche en cela du raffinement des Blasons. Et l’esprit se met à divaguer encore, à voir dans ces œuvres « ouvertes » des vitraux colorés ou des plans d’abside, leur conférant une véritable dimension spirituelle.
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Tableaux-valises (2015-2017) Si l’œuvre de Daniel Dezeuze s’est nourrie dès ses origines d’un sens critique et d’une réflexion sur l’art l’inscrivant dans la société et l’histoire, elle s’est toutefois toujours tenue à distance des discours artistiques les plus pesants. Énigmatique et ludique, Dezeuze aime à regarder le monde de manière légère, tout en se posant des questions d’apparence ingénue mais essentielles pour qui veut prendre pleinement conscience de l’univers dans lequel nous vivons. L’artiste convoque ainsi maints motifs (comme la grille), maints archétypes comme les armes, les portes, ou les valises, renouvelant par là même notre regard sur le monde visible. « Peut-on rendre compte du trajet d’un voyageur ? », interrogeait-il ainsi il y a peu à la galerie Daniel Templon, exposant ses Tableaux-valises tout en invoquant l’ouvrage mythique de Lewis Carroll.
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À propos de ces objets hybrides, l’artiste affirmait en 2016 : « C’est une constante dans mon travail de prendre des supports variés, de les alléger à l’extrême soit par les découpes, soit par les évidements, soit par des contenants qui n’ont pas de contenus perceptibles ou tangibles 1. » Les valises aérées et ventilées par un fin grillage sont ainsi pour Daniel Dezeuze un énième signe de légèreté. Leur forme rappelle un peu celle des Nasses de la série des Réceptacles, contenants impossibles et absurdes. Avec humour et ironie, Dezeuze manifeste un goût certain pour l’hybridation des formes et des mots. Dans son univers, les tableaux peuvent être des valises, voire des mots-valises, et la sculpture dialogue en permanence avec la peinture. Adoptant un support peu commun, une simple valise évidée, l’artiste poursuit son travail de déconstruction des supports et matériaux traditionnels de la peinture. Légèrement obliques, perchés sur de petites cales en bois, les drôles de bagages donnent le sentiment d’atterrir ou de s’envoler. [ci-contre et double-page suivante] 105. Tableaux-valises 2015-2017 Ensemble de 20 valises colorées Métal, résille, textile, peinture et petits socles en bois Collection Marc et Martine Jardinier
1. D. Dezeuze, Entretien à la galerie Daniel Templon, 2016. 2. Ibid. 3. C. Besson, « Ventilation, les Gazes de Daniel Dezeuze (1977-1981). L’histoire en filigrane », in C. Besson, E. Latreille, Daniel Dezeuze : Gazes découpées et peintes. Œuvres 19771981, cat. exp. [Dijon, Fonds régional d’art contemporain de Bourgogne, 18 avril-4 juin 2003], Dijon, FRAC Bourgogne, 2004, p. 17.
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De ses réalisations et de sa pratique artistique, Daniel Dezeuze aime à dire qu’elles procèdent volontiers « par dérives et digressions. » Du vol de papillon au trajet d’un voyageur, l’intervalle est ténu. La série de Réceptacles présentait déjà de modestes valises en osier ou d’étranges chariots de fortune. Les valises sont ici colorées et présentées en nombre. Dezeuze ne cesse ainsi de conjuguer réflexion sur la peinture, pratiques artisanales et clins d’œil à l’anthropologie. Et l’on retrouve ici l’astuce et l’impertinence si chères à l’artiste quand il s’exclame : « Ces valises, on ne sait pas si elles arrivent ou si elles partent, c’est au spectateur de décider 2 ! », nous offrant par là même des œuvres définitivement ouvertes à l’interprétation. Loin du caractère épuré et analytique de son œuvre première, Dezeuze convoque ici un archétype du voyage et du mouvement, en soi une métaphore amusée de la vie. La valise est un objet idéal pour signifier l’art comme une quête incessante, une trajectoire sans cesse renouvelée, en soi une traversée. Christian Besson l’avait bien perçu quand il écrivait : « Puis, aussitôt allégée du poids contraignant des images, l’œuvre [de Dezeuze] se montrera souplement attentive à l’espace du monde puis à ceux qu’elle y rencontrera, au militaire, au pêcheur, à l’homme d’Église ou au saint, au braconnier et à l’ouvrier, au jardinier et au géomètre, la “peinture” étant le fil conducteur permettant de raconter les errances de l’art dans l’espace des hommes 3. » S. B.
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Dessins « Il n’y a pas de “science” du dessin, il y a une pratique. » Alain COULANGE, « D’un trait », 1977 1
« Mais je peux faire une constatation personnelle : le dessin est plutôt de l’ordre de la dilatation, de l’explosion, en opposition avec le caractère implosif des objets. Car ces derniers sont réalisés en effet en concentrant différents éléments vers un même point physique, par une pression convergente des mains et des outils alors que le dessin correspond à des trajectoires différentes de la main et du bras vers l’extérieur de la feuille de papier. »
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Daniel DEZEUZE, « Entretien avec Henry-Claude Cousseau », 1990 2
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Parce qu’il jalonne son œuvre et en permet une compréhension intime, la place et le rôle du dessin dans l’œuvre de Daniel Dezeuze ont été étudiés par de nombreux exégètes 3. L’artiste s’est souvent exprimé sur la nécessité pour lui de va-et-vient entre la feuille de papier et l’objet, entre l’expression de la ligne et la troisième dimension. Dans sa prime jeunesse, Dezeuze dessine beaucoup dans la nature dans la vallée du Lez (près de Montpellier), puis à Avilés en Espagne. Progressivement, les années soixante le voient toutefois prendre ses distances avec une pratique considérée comme intrinsèquement liée à la peinture et à l’illusionnisme pour lui préférer le collage et la conception de pièces plus expérimentales, mais néanmoins éminemment graphiques : les empreintes des marquages de plaquettes de terre cuite évoquant l’écriture cunéiforme des Sumériens, les peintures de fil de fer titrées TensionDé-tension, les châssis nus en forme de grille ou encore les échelles de bois ou de tarlatane ponctuant l’espace de leurs lignes souples et déliées. De 1967 à 1976, Daniel Dezeuze ne pratique donc plus le dessin de manière autonome, même si celui-ci innerve encore en profondeur son travail. À partir du milieu des années soixante-dix, cependant, ayant pris ses distances avec la doxa de Supports/Surfaces, Daniel Dezeuze revient progressivement à une pratique qu’il interroge, au même titre que la peinture, dans des productions aussi minimalistes et radicales que les Triangulations, mais qui, réalisées à la plume et à la mine de plomb, ont la force visuelle des graphies primitives ou des idéogrammes.
1. Gramma, no 6, Pont-sur-Yonne, 1977, p. 32. 2. Art/Cahier, no 9, 1990. 3. H.-C. Cousseau, dans le présent catalogue et A. Coulange, op. cit. ; C. Prigent, « Vérités du dessin », in ibid. ; C. Minière, Le Dessin pour liberté, Marseille, Galerie Athanor/ Saint-Julien-Molin-Molette, J.-P. Huguet éditeurs, 2008 ; N. Tuffelli et C. Stoullig avec « Entretien avec Daniel Dezeuze » et « Une fausse leçon de choses », in Daniel Dezeuze. La Vie amoureuse des plantes, cat. exp. [Paris, musée national d’Art moderne, Cabinet d’art graphique, 20 janvier-4 avril 1993], Paris, Centre Georges Pompidou, 1993. 4. C. Minière, « Dezeuze monte au créneau », Opus international, Paris, automne 1987.
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114. Sans titre
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1987 Série Chine et Retour de Chine, Beijing Pastel sur papier Collection privée
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La Vie amoureuse des plantes (1985-1998), Dessins hérétiques (1997) « Cher Daniel, je regarde tes dessins. Je vois des formes. De quoi sont-elles la forme ? “Paysages”, dis-tu parfois. La “nature”, en somme. » Christian PRIGENT, « Ce qui fait tenir l’image », 2002 8
« Aujourd’hui, voici des pastels à l’infini de clairières. » Claude MINIÈRE, « La défenestration meurtrière », 1986 9
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« Il me faut, il n’y a pas de doute, certains déclencheurs, et à ce moment-là je rentre dans une série, car j’ai bien le sentiment que d’un dessin, je constitue une série. Ce n’est pas de type répétitif puisqu’il y a des embranchements, des retours, des bifurcations, ce n’est pas de l’ordre de la série minimaliste, [...], je me permets beaucoup de licences, beaucoup de liberté, un certain type de gratuité dans le fait de passer d’un dessin à l’autre. » Daniel DEZEUZE, « Entretien avec Daniel Dezeuze » par Nicole Tuffelli, 1993 10
Dans l’entretien qu’il accorde à Henry-Claude Cousseau en 1990, Dezeuze explicite le point d’équilibre d’une démarche tendue entre l’objet et le dessin : « Le dessin est plutôt de l’ordre de la dilatation, de l’explosion, en opposition avec le caractère implosif des objets. » Au début des années quatre-vingt-dix, le dessin qu’il pratique de manière autonome depuis le milieu des années quatre-vingt acquiert une grande vitalité. Traits de sanguine ou de crayons aquarelle, lavis : la matière vibre. Que l’artiste parle d’un « monde sans suite » ou d’un « dessin en morceaux », c’est pour mieux souligner la spontanéité d’un dessin qui veut mimer la vie même. La feuille est le réceptacle d’énergies diverses ; c’est un espace ouvert à des forces contradictoires : flux, reflux et entrelacs. La nature, celle du Sud de la France, a inspiré les artistes de Supports/Surfaces, avides d’échapper au monde des musées : les bois flottés, les solarisations de Viallat et Saytour, les cordages passés à la peinture, disent cette proximité avec les éléments naturels et cette soif de plein air. Dans un contexte tout autre, pour la suite de dessins intitulée La Vie amoureuse des plantes (cat. 116-128), Daniel Dezeuze s’inspire de la nature de son jardin méditerranéen. Celui-ci, à demi-sauvage, sur le mont Saint-Clair, surplombe la baie de Sète. Balayé par les vents, il inspire profondément l’artiste. Y fleurissent fleurs de bourrache, anthémis et autres plantations variées. « Finalement, ce sont des documents de plain-pied dans un petit jardin. Je vais les regarder et je reviens » 11, rappelle l’artiste. Dezeuze, admirateur de la peinture traditionnelle chinoise, expérimente la nature au plus proche dans ces dessins où priment la sensation du vivant, la légèreté et le souffle de l’air. Par les techniques employées s’y déploient une gestuelle fa presto, une énergie tout en vibrations, un effeuillage du réel que Claude Minière assimile volontiers à l’« épluchure du pluriel » 12. On y trouve aussi la sensualité et la spontanéité d’un Cy Twombly, admiré de Dezeuze. Celui qui avait renoncé à ses débuts à l’illusionnisme de la peinture traditionnelle, renoue ici encore avec des préoccupations purement picturales. « J’ai beaucoup dessiné sur le motif, c’està-dire en m’appuyant sur les données de ce qu’on appelle la “nature” 13. » Dezeuze semble chercher à reproduire le bouillonnement de la nature par cette création un rien brouillonne, dont le trait nerveux et les couleurs estompées au chiffon humide sont là pour rendre les processus de germination qui y sont à l’œuvre. « [L]’encre suggère la sève
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8. Nefs et polychromies, cat. exp., [Strasbourg, La Chaufferie, galerie de l’École supérieure des arts décoratifs, et musée d’Art moderne et contemporain, 22 juin-2 septembre 2001], Strasbourg, La Chaufferie, 2002. 9. In C. Minière et C. Creste, Daniel Dezeuze. Suite pour Cid Hamet Ben Engeli, cat. exp. [Nîmes, galerie des Arènes, 6-30 juin 1986], Nîmes, Carré d’art – musée d’Art contemporain, 1986. 10. Entretien réalisé pour l’exposition « La Vie amoureuse des plantes », MNAM, 1993, in Textes, entretiens..., op. cit., p. 291 11. D. Dezeuze, « Entretien avec Daniel Dezeuze par Nicole Tuffelli » in ibid. p. 291. 12. C. Minière, op. cit. 13. Propos de Daniel Dezeuze recueillis dans « Entretien avec Dezeuze » par Christian Prigent, Gramma, no 6, Nouvelle Série, 1977.
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131. Dessin hérétique
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1997 Roseaux, crayon sur papier Collection privée
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Papillons (1994-2014) « La lente progression des insectes vers leur état adulte (appelé imago) est une aventure observée depuis la plus haute Antiquité, et peut-être fut-elle l’inspiration des métamorphoses des dieux et de toutes les surprises dont l’Olympe fut plutôt généreux. » DANIEL DEZEUZE, texte d’exposition « Sur les chemins de l’imago », 1997 15
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« La poudre de mes pastels n’approche pas suffisamment de ces poudres pigmentées et irisées, si légèrement déposées sur leurs ailes. Pourtant je ne cherche pas, en le dessinant, à mimer l’aisance et la séduction de ces créatures qui symbolisent au plus haut point le chromatisme. » DANIEL DEZEUZE, « Comme un lexique », 1998 16
On a pu observer, des châssis nus aux Peintures sur panneaux extensibles, des Échelles de fibre de verre aux Gazes, que l’œuvre entier de Daniel Dezeuze, traversé par le dessin, l’est aussi par l’idée de légèreté. Aussi les Papillons (cat. 133-137) reflètent-ils le cheminement parcouru par Dezeuze depuis les Gazes (1977-1981) – que Christian Besson aimait à qualifier d’« étranges lépidoptères ». On y trouve les mêmes formes aériennes et mouvantes. Par leur légèreté et leurs couleurs irisées, les papillons exercent une grande fascination sur Daniel Dezeuze. On a l’impression que les grilles, les nasses, les réceptacles, les filets à papillons et autres épuisettes multicolores appelaient in fine la création ou le « vouloir-saisir » de ces insectes aériens. Comment piéger leur couleur, comment saisir leur légèreté et faire sienne leur grâce ineffable ? « Un vol de papillon est énigmatique », s’exclame l’artiste à la galerie Daniel Templon en 2016. Il est en effet par essence insaisissable et impossible à représenter. La quête de l’immatérialité qui animait les premières expériences picturales de Daniel Dezeuze se poursuit dans la couleur pulvérisée et impalpable de ces multiples papillons. L’artiste compare volontiers les papillons emportés par le vent à la légèreté des poudres de pastel 17. De dessin en dessin, ce n’est que mouvement, chorégraphie éphémère, figures multicolores et aériennes. Daniel Dezeuze éprouve un plaisir évident à représenter l’envol, les trajectoires comme les battements d’ailes de ces petits êtres colorés. D’autres artistes se sont laissés séduire par cet insecte à la grâce éphémère – pensons par exemple à Jean Dubuffet avec ses collages d’ailes de papillons. Mais Daniel Dezeuze semble leur prêter une tout autre signification. Parfois nommés Persistance du taoïsme (cat. 138-140), les vols de papillons parlent ainsi du vide taoïste et incarnent à leur manière la circulation allègre de la pensée. Si, au temps de Supports/Surfaces, Daniel Dezeuze est celui qui maniait la couleur avec le plus de retenue et de parcimonie, parlant volontiers de « minimisation ironisante » 18, il parvient quelques décennies plus tard, en dessinant ces petits êtres vibrants à la poudre de pastel, à un phénomène d’« irisation », mélange de légèreté et de couleurs diaphanes. Nuancée ou extrêmement vive, la couleur vibrante traduit la vie même. La peau de chamois permet des estompages qui rendent visible la trajectoire rapide et insaisissable dans la réalité. Avec ces formes qui virevoltent sur la feuille blanche, Daniel Dezeuze poursuit sa quête d’un dessin de liberté et d’imagination, où la rêverie semble laisser libre cours à l’éclosion des motifs et des couleurs. «... il y a beaucoup de sortes de dessins. Mais ici je traite uniquement d’un dessin de liberté, d’imagination, de surgissement des formes, des couleurs aussi 19. »
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15. 1997, in Textes, entretiens..., op. cit., p. 189. 16. In G. Tosatto, et al., Daniel Dezeuze, cat. exp. [Nîmes, Carré d’Art – musée d’Art contemporain, 23 octobre 1998 – 17 janvier 1999], Arles, Actes Sud/Carré d’Art, 1998. 17. D. Dezeuze, Entretien à la galerie Daniel Templon, 2016. 18. « Réponse à six questions de Georges Roque », + - 0, no 12 bis, mai-juin 1976 19. « Texte d’exposition. Note sur les « Nouveaux grotesques » », 2003, in Textes, entretiens..., op. cit., p. 203.
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GAZE
DANIEL DEZEUZE. CHRONOLOGIE
1980 Gaze découpée, peinture bleue, rose et verte vaporisée, ruban adhésif, 1980-1981 176 x 66 cm Collection Daniel Dezeuze Inv. DD 551
Sophie BERNARD
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Daniel Dezeuze à la Cité des arts, 1972, Paris [Photo André Morain]
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1962-1969
Daniel Dezeuze avant Supports/Surfaces : des voyages outre-Atlantique à l’invention du châssis
Daniel Dezeuze après son service militaire effectué au titre de la coopération à Ontario au Canada, 1966
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1970-1979
L’après-Supports/Surfaces ou l’individualisation d’un parcours
Daniel Dezeuze à la Cité des arts, 1972, Paris [Photo André Morain]
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Revue VH101, no 5, printemps 1971, p. 90-91.
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1980-1989
Objets récupérés, bricolage et matérialité : le retour à la réalité
Daniel Dezeuze dans son atelier, Sète, 1984
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1990-1999
Variations nouvelles. Des Objets de cueillette (1992-1995) aux Peintures sur chevalet (1998-1999)
Daniel Dezeuze lors de l’installation de l’exposition « Daniel Dezeuze. Palans » [Sète, Espace Paul Boyé, 10 juillet – 24 août 1991]
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2000-2017
Entre matérialisme, poésie et spiritualité
Daniel Dezeuze dans son atelier, Sète, 2008
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À l’ascétisme des années 1970, au retour à la matérialité des années 1980, à l’économie précaire des assemblages de rebuts et aux dessins d’après nature des années 1990, les années 2000-2010, à l’image d’un cheminement tout en digressions et revirements, opposent une allégresse et une liberté jamais observées. La poésie, cette forme suprême de l’art, à laquelle se livre Daniel Dezeuze, illustre la nature profonde d’un travail rétif à toute définition. Les années 2000 s’ouvrent avec les Nefs (2000) (cat. 89), mystérieux vaisseaux de polyéthylène blanc, formant, selon les termes de JeanPierre Greff, une flottille imaginaire, et avec les Pavillons (2000-2001) (cat. 83-85), mandorles ourlées sur ellesmêmes, offrant à nos yeux ébahis d’étranges étendards multicolores. Le matériel de bricolage, matière première des Échelles et des Treillis extensibles, est encore transcendé mais, par sa forme et sa couleur, acquiert une dimension sinon musicale à tout le moins poétique. La pureté et l’onirisme des nefs blanches comme la jubilatoire harmonie des Pavillons, s’ils contrastent avec l’art de la collecte qui avait prévalu lors de la décennie précédente, renouent avec la trame résillée et colorée des Extensibles, et tout en conjuguant fantaisie et raffinement, disent le souhait de Daniel Dezeuze d’approcher une forme d’expérience religieuse et spirituelle. Dans le sillage du décor du sol de l’église du Puy-en-Velay (1987), Daniel Dezeuze répond à une commande publique pour la décoration du premier étage de l’Hôtel Sully (20002001). Son projet audacieux consiste à redonner vie et dynamisme à ce bâtiment du XVIIe siècle en ornant ses espaces de blasons monochromes et de murs de couleurs vives – bleu, magenta, rouge et jaune. « Faire dialoguer les couleurs, dans l’ombre de Matisse et... d’Henri IV n’était pas, on en conviendra, chose aisée 1. » Toute l’œuvre de Daniel Dezeuze, et ce depuis ses débuts, oscille entre la peinture et la sculpture, entre la picturalité et le volume. La troisième dimension constitue un besoin physique pour l’artiste, tandis que la peinture plus intellectuelle se situe davantage du côté de la réflexion et de la méditation. Sous le titre « Troisième dimension », l’exposition du musée Fabre en 2009 illustre ainsi sa capacité à investir l’espace, avec des pièces qui s’imposent comme autant d’évidences plastiques. Dans un entretien avec Gilbert Perlein en 2011, Dezeuze revient sur la nécessité d’un art privilégiant le volume et la tactilité dans notre monde contemporain envahi d’écrans plats. Il émane des travaux des années 2000 une forme de jubilation. Avec les Échelles doubles (2005) (cat. 86-88) proches des rouleaux chinois, les Petites Échelles pour vent d’ouest (2007) ou les Peintures qui perlent (2007-2009) (cat. 90-92), l’humour et la poésie atteignent une forme de quintessence.
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Les années 2000-2010 sont chez Daniel Dezeuze celles d’un retour à la peinture. Celui qui s’était attaché à alléger cette dernière joue allègrement avec la couleur indépendamment de l’image. Support et surface se répondent avec légèreté. L’exposition « Robinson, ou la force des choses » (2011-2012), organisée au MAMAC de Nice au début des années 2010, s’attache à mettre en lumière la proximité de trois artistes du groupe Supports/Surfaces (Dezeuze, Dolla, Saytour) ayant su s’approprier les objets considérés comme pauvres ou triviaux. En 2016, les Tableaux-valises exposées à la galerie Daniel Templon, mise en abîme ou métaphore du voyage artistique entrepris par l’artiste, sont un exemple parmi d’autres de cette liberté acquise et développée au fil des dernières années. La couleur, comme au temps de Supports/Surfaces, échappe au support traditionnel pour libérer des énergies nouvelles.
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Dans un très beau texte de 2011, Le Dessin pour liberté, Claude Minière rend un hommage vibrant et poétique à la pratique du dessin chez Daniel Dezeuze. Le FRAC Languedoc-Roussillon consacre en 2015 une exposition entière dévolue à sa création graphique. Avec les Gnostiques (1997-2006), Le Salon noir, les Grotesques (1997-2004), les Figures en suspens (2004), Giverny (2006) et les Papillons (1994-2014), Daniel Dezeuze n’a eu de cesse de faire exploser la liberté du trait comme en témoignent également les formes mouvantes, végétales et diffractées des illustrations pour Courtoises frimousses avec fleurs (Éditions Tarabuste, 2006) Au cours des dernières décennies, avec une allégresse jamais observée jusqu’alors, Daniel Dezeuze donne donc corps à un ensemble d’œuvres en tous points drôles, poétiques, spirituelles et raffinées. Des Nefs (2000) (cat. 89) aux Peintures qui perlent (2009) (cat. 90-92), des Pavillons (2002) (cat. 83-85) chamarrés aux Grotesques (1997-2004), Dezeuze parvient à conjuguer le « matériologisme » de ses débuts à un sens peu commun de la fantaisie teintée d’ironie. Chemin faisant, l’artiste ne cesse d’interroger l’énigme du visible et de mener à bien sa méditation sur le réel. Toujours fasciné par la philosophie chinoise et l’art oriental, il interroge notre relation à la spiritualité en créant des œuvres dont le « matérialisme suave » trouve encore ses sources chez les peintres chinois oublieux de la perspective et de la géométrie. Il recouvre ce qu’il décrivait lui-même comme « la petite sensation cézannienne » 2, l’être-là du peintre, « dans sa façon d’[humer] les moindres mouvements de la moindre couleur », et il revient ainsi à la picturalité.
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ANNEXES
Sans titre (détail) 1991 Série La Vie amoureuse des plantes Encre typographique et lavis sur papier Collection privée
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Daniel Dezeuze une rétrospective
Membre fondateur en 1970 du mouvement Supports/Surfaces, Daniel Dezeuze, né en 1942 à Alès, apparaît comme un des artistes français les plus passionnants de sa génération. Retraçant son parcours depuis 1962 jusqu’à aujourd’hui, cet ouvrage permet de saisir à la fois la complexité et la cohérence de sa démarche sur plus de cinq décennies. Il met notamment en évidence son originalité dans l’analyse du tableau comme objet en soi et support de la peinture. Il rend compte aussi des différentes voies qu’il emprunte, toujours à mi-chemin entre peinture et sculpture, pour renouveler son approche de la création artistique, tout en veillant à l’ancrer dans le réel. Ainsi, avec une liberté réjouissante, Daniel Dezeuze transforme les châssis en sculptures, crée des peintures avec des assemblages d’objets, quitte l’atelier pour musarder dans les jardins, en quête de motifs naturels mais aussi de constructions hybrides faites pour la cueillette et la chasse. Dans son œuvre, le Moyen Âge croise le XXIe siècle, et les études de balistique le taoïsme, avec une profusion de formes et de couleurs qui constitue une formidable démonstration de la capacité de l’art à émouvoir tout en enrichissant la vision et la compréhension du monde.
Daniel Dezeuze une rétrospective
32 €
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