Cet ouvrage est édité à l’occasion de deux expositions Elle était une fois. Acte I : la Collection Sainte-Anne, les origines présentée du 15 septembre au 26 novembre 2017, et Elle était une fois. Acte II : la Collection Sainte-Anne, autour de 1950 présentée du 30 novembre 2017 au 28 février 2018 au musée d’Art et d’Histoire de l’hôpital Sainte-Anne – MAHHSA–.
© Somogy éditions d’art, Paris, 2017 © Musée d’Art et d’Histoire de l’hôpital Sainte-Anne, Paris, 2017
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Suivi éditorial : Lore Gauterie Conception graphique : Élise Julienne Grosberg Contribution éditoriale : Françoise Cordaro Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Coéditions et développement : Véronique Balmelle
ISBN 978-2-7572-1328-5 Dépôt légal : septembre 2017 Imprimé en Union européenne
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ENTRE ART DES FOUS ET ART BRUT La Collection Sainte-Anne
Anne-Marie Dubois
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Remerciements
Pour cet ouvrage : Le musée d’Art brut de Lausanne Le musée du LaM à Villeuneuse-d’Ascq Le musée du Docteur Guislain de Gent Le centre de documentation du Centre d’Étude de l’Expression L’attachée de collection du MAHHSA Dominique Baliko pour les photographies des œuvres Pour les deux expositions : Commissariat : Anne-Marie Dubois Assistante et régie des œuvres : Pascale Saint-Jean Coordination : Éric Bolzan Scénographie : Anne Grolleau et Marcos Vinuesa, assistés de Mariska Hammoudi, Shirley Leong-Ho Graphisme : Maëva Gabagnou Communication : Florence Patenotte pour le CHSA, Camille Plantade et Roddy Laroche pour le MAHHSA Accueil des publics et visites : Camille Plantade Les services techniques et de reprographie du CHSA Le service de sécurité du CHSA
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Sommaire
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Introduction
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Acte I
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LA COLLECTION SAINTE-ANNE LES ORIGINES 12 22 24 28 32 38 40 46 47 52 56 62 66 68 73 74 76 78
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Paul-Ferdinand Gachet Le voyageur français H.A.R. Les classiques Justin Gesp, Melitt, C. Mottale G. Martin Anonyme aux appareils autolocomoteurs Anonyme aux manuscrits Charles Macario René-Ernest Brédier Anonyme polonais Auguste Millet Louis-Émile Gros-Brun René Héroult Charles-Octave Leg ( ?) Godier Marcel de Valoy Hillairet Témoignages singuliers Albert Vecchiarelli, Oannès, P. G. et quelques anonymes Les artistes du Vinatier C. Gay, Marius Génin, J. de Golberry, Tray, E. Vernus, J. Housset, Jean Carreau, Katharine van Oss et anonyme
Acte II
LA COLLECTION SAINTE-ANNE AUTOUR DE 1950 94
120
144 146
152
Les artistes emblématiques 94 Guillaume Pujolle 102 Aloïse Corbaz 110 Gaston Duf 118 Adolf Wölfli Les artistes brésiliens de la Collection 120 Maria Alves C. 122 Francisca Baron 124 Antonio Bragança 126 Haydée de Carvalho 127 João S. Carvalho 128 João Rubens Neves Garcia 130 Ozorio Prado 133 Sabato Quinterni 135 José Romanho Santos 136 José Théofilo R. 138 Albino Braz Alexandre Nélidoff Les artistes de la période 1949-1950 Even, R. Neveu, Bézard, Henning et quelques anonymes Guido Ferrari
158 Bibliographie 160 Crédits photographiques
Les numéros figurant dans les textes renvoient le lecteur aux références bibliographiques.
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Introduction Anne-Marie Dubois Responsable scientifique de la Collection Sainte-Anne et commissaire des expositions. Secrétaire générale du Centre d’étude de l’expression (Centre hospitalier Sainte-Anne)
C
ette année, l’hôpital Sainte-Anne fête ses 150 ans ; l’occasion de retracer l’histoire de la Collection Sainte-Anne et celle du MAHHSA – musée d’Art et d’Histoire de l’hôpital Sainte-Anne –, grâce à deux expositions successives et complémentaires. Elle était une fois. Acte I : la Collection Sainte-Anne, les origines est présentée du 15 septembre au 26 novembre 2017. Elle rappelle les prémices de la collection en montrant ses œuvres les plus anciennes, celles qui furent réalisées entre 1858 et 1949. Certaines figuraient à l’Exposition internationale d’art psychopathologique de 1950 à Paris. Cependant, leur réalisation était généralement bien antérieure, c’est pourquoi elles font partie de la première exposition. Sont exposées tant les œuvres d’artistes qui ont témoigné de la vie asilaire à la fin du XIXe siècle, que des productions spontanées de malades qui se sont progressivement inscrits dans une démarche – et parfois dans une passion – créatrice. Après certains portraits de malades, viennent des scènes de la vie quotidienne telle qu’elle se déroulait dans les asiles au début du XXe siècle. Ces images sont des témoignages subtils, esthétiques et précis de l’atmosphère qui pouvait régner autour de ceux qui ont transmis ces dessins. La section suivante regroupe des œuvres dont les créateurs ont peint ou dessiné souvent dans l’ombre, dans les asiles de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Ces œuvres anciennes ont été faites de façon spontanée ou avec l’encouragement de psychiatres qui avaient découvert chez leurs patients un talent artistique ou une
façon de rendre leur vie quotidienne plus agréable. Ces productions sont de factures très diversifiées. Certaines sont à rapprocher de celles d’artistes qui leur étaient contemporains, d’autres valent essentiellement pour la profondeur de leur expression et la qualité de l’émotion qu’elles font naître chez le spectateur. Si les œuvres les plus reconnues – celles qui sont présentées dans l’Acte II – ont traversé tant bien que mal leurs longues années de vie hospitalière malgré les conditions parfois difficiles de leur conservation, d’autres n’ont pas eu le même parcours. Un certain nombre d’œuvres qui avaient été exposées en 1950 – donc constitutives du début de la Collection rassemblée par Robert Volmat –, avaient été laissées dans l’oubli, voire dans l’incurie. Elles n’avaient été reconnues ni par les tenants de l’art psychopathologique ni par ceux de l’art brut, en raison de leur style et de leur référence possible à certaines catégories esthétiques. Elles ont donc fait l’objet d’un sauvetage tant sur le plan de leur restauration que sur le plan de leur identification à partir de 1992 et après leur regroupement dans de réelles réserves. Le travail minutieux de Volmat, réuni dans son ouvrage L’Art psychopathologique (63 et 65), a permis de les documenter et de situer le contexte de leur réalisation. La troisième section, intitulée « Témoignages singuliers », rassemble des œuvres également exposées en 1950, mais pour lesquelles aucun écrit ne fut retrouvé, contrairement à celles de la section précédente. Par chance, les organisateurs de cette exposition avaient numéroté toutes les œuvres présentées, à l’aide d’une étiquette d’écolier collée au verso des productions – et parfois au recto. Ce n’était pas sans risque pour la conservation de celles-ci, mais ce fut une chance quant à la possibilité de reconstituer ce fonds. Au-delà de l’Exposition internationale d’art psychopathologique, ces œuvres furent négligées voire oubliées. La nature de ce qu’elles représentaient, des natures mortes, des scènes assez académiques, des essais humoristiques, des impressions de vie quotidienne, des expressions imaginatives et rêveuses, en est peut-être la cause. Elles étaient trop sages, trop conventionnelles, trop savantes, parfois trop jolies, pas suffisamment folles ou pas suffisamment brutes. Néanmoins, l’émotion qui s’en dégage et la qualité plastique de beaucoup d’entre elles valaient bien qu’une
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section leur soit consacrée et que leurs auteurs soient d’une certaine façon réhabilités. Leur style, parfois sophistiqué, parfois naïf, rappelle que l’œuvre d’un malade – comme d’ailleurs celle d’un artiste – n’est pas nécessairement l’expression et la projection d’un malaise ou d’une angoisse ; elle peut être aussi la mise en image d’un monde imaginaire qui échappe à la maladie (22 et 34). La quatrième section regroupe les productions que le docteur Charpentier de l’hôpital du Vinatier de Lyon a transmises au docteur Volmat en 1950. Ces artistes, malgré la présentation significative dont ils ont fait l’objet lors de l’exposition, font partie des oubliés, mal référencés et plus jamais exposés jusqu’à une période récente. Il a cependant été possible de leur redonner leur identité car les auteurs avaient signé leurs œuvres, souvent au verso de celles-ci. Ce sont Gay, Génin, De Golberry, Tray, Vernus, Housset, Carreau, Van Oss et un anonyme. Par ailleurs, la présence d’un tampon, également au dos de ces productions, a permis de connaître leur provenance, c’est-à-dire de l’hôpital du Vinatier. Tous sont des artistes que le docteur Charpentier avait remarqués. Ce dernier écrivit à Robert Volmat dans un courrier accompagnant le don : « Une exposition comme celle-ci, laquelle nous apporte une contribution à l’étude des étranges pouvoirs de l’esprit, qui existent avant que leur essence soit cernée ou discernée, a donc des résonances avec les ondes de la pensée moderne prise notamment sous ses aspects de l’esthétique et de la psychologie, et son importance synthétique dépasse la considération qui consisterait à ne voir là qu’une accumulation de productions où règnent uniquement le bizarre et la fantaisie. » (65) Le regard de certains psychiatres de l’époque dépassait largement celui du médecin en quête de signes évocateurs de symptômes. L’émotion esthétique et le sens à accorder aux œuvres de leurs patients sont parfois soulignés de façon affirmée. Ce corpus, comme la plupart des œuvres présentées dans cet Acte I, n’a pas été montré entre 1950 et 2000. Le parti pris pour la présentation des cent quinze œuvres choisies, est de les regrouper de façon à rendre compte de la préfiguration du futur musée lorsqu’il sera installé dans ses nouveaux locaux, à savoir la chapelle de l’hôpital. Ce sont en quelque sorte les premières salles du musée qui seront ainsi évoquées.
Elle était une fois. Acte II : la Collection Sainte-Anne, autour de 1950 est une exposition qui s’inscrit dans la continuité de la précédente. Elle se tient du 30 novembre 2017 au 28 février 2018. Son propos est davantage axé sur la singularité de la constitution de la Collection Sainte-Anne et sur l’événement fondateur que représente l’exposition présentée à Sainte-Anne en 1950. Cette Exposition internationale d’art psychopathologique montra au public près de 2 000 œuvres de patients-artistes de dix-sept pays différents. Elle marqua la réelle naissance de la collection en tant que corpus défini, protégé et valorisé. C’est à ce moment-là qu’eurent lieu les dons internationaux. Pour rendre compte du contexte de cette époque, il est proposé de mettre en relation les œuvres exposées par Jean Dubuffet en 1949 à la galerie Drouin de Paris et celles présentées par Robert Volmat un an plus tard à l’hôpital Sainte-Anne. Les organisateurs étaient un artiste collectionneur d’une part et un psychiatre amateur d’art d’autre part. Deux regards mais aussi deux conceptions fort différents sur les œuvres que l’un et l’autre donnaient à voir presque au même moment. L’un était en train de tenter de définir ou plutôt d’inventer l’art brut comme préféré aux arts culturels, et l’autre cherchait à répertorier des signes d’ordre psychopathologiques au travers des œuvres dont il organisait la présentation. Pourtant il était possible de voir, à la galerie Drouin comme à SainteAnne, des œuvres des mêmes artistes tels Aloïse Corbaz, Albino Braz, Gaston Duf et Adolf Wölfli. Parallèlement à sa carrière d’artiste, Dubuffet était engagé dans la constitution de sa collection selon les normes qu’il avait définies. Il prônait pour les œuvres ainsi rassemblées une certaine confidentialité ; cependant, de façon contradictoire, il avait aussi le souhait d’une notoriété et d’une exclusivité pour cette entreprise. Ceux qui l’avaient accompagné au début de sa démarche devenaient donc rapidement des obstacles. Des conflits et des ruptures ont vite été inévitables et nécessaires pour Dubuffet qui a su les initier, voire les mettre en scène : Paulhan, Breton et les surréalistes, mais aussi les médecins et les psychiatres qui avaient révélé « l’art des fous », plus d’un siècle auparavant. Il savait bien sûr qu’il avait été précédé par ces derniers et il connaissait les travaux de Reja, Prinzhorn, Morgentalher, Ladame, Ferdière et Steck. Il lui fallait donc 7
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Introduction
se différencier et prendre l’ascendant au travers d’un discours qui lui était propre sur la nature de ces œuvres et sur leurs auteurs (42 et 43). C’est pourquoi Dubuffet s’attacha-t-il à essayer de dégager la notion d’art brut de la question de la folie. Il semble que ce soient des enjeux stratégiques plus que des convictions théoriques ou idéologiques qui aient guidé ses réflexions. Il devait se démarquer de Ferdière et de Breton qui, selon lui, faisaient de l’art des fous un « département spécial ». Ainsi radicalisa-t-il ses positions et, en précurseur de l’antipsychiatrie, en vint-il à dissoudre la notion même de folie et donc celle de la normalité. À la même époque et dans un même mouvement, « en contestant la valeur artistique de la majorité des œuvres exposées et en réfutant le bien-fondé d’une approche de la création étayée sur le concept d’aliénation, Dubuffet s’autorise à disqualifier la multiplication des expositions d’art d’aliénés organisées par des médecins psychiatres » (35). Pourtant une grande majorité des œuvres collectionnées par Dubuffet ont été trouvées par lui-même dans les hôpitaux psychiatriques de l’Europe entière et surtout en Suisse. Au-delà de l’intérêt que Dubuffet portait aux œuvres de sa collection, il avait le désir de s’approprier ce domaine et cette appellation. Ce positionnement d’ailleurs s’amplifia par la suite. L’histoire ne valant que pour les questions qui lui sont posées, peu de biographes et de chercheurs travaillant sur « l’inventeur de l’art brut » ont mis l’accent, à l’instar de Jakobi et Dieudonné (40) sur ses contradictions et sur ses désirs d’exclusivité. Il semblerait plutôt qu’au travers de ces recherches, ce ne soit pas la connaissance ou le savoir qui soient privilégiés, mais la passion ou la notion d’appartenance. Constatation qui reste relativement actuelle, lorsque l’art brut est évoqué. Dans ce contexte, la demande de Volmat à Dubuffet de participer à l’Exposition internationale d’art psychopathologique ne pouvait qu’être embarrassante pour lui. C’est ainsi qu’il répondit par une sorte de pirouette : il ne proposa pas des œuvres de sa Collection mais quelques-unes de la collection du docteur Ladame qu’il avait récemment acquises, au détriment de Ferdière qui devait en être initialement le destinataire. Dubuffet contestait l’initiative de Volmat, Delay, Ferdière et Ey – les psychiatres organisateurs de l’exposition de 1950 –,
mais il ne pouvait se résoudre à en être absent. Dubuffet accompagna ce prêt (qui était alors non encore identifié dans sa collection) d’une lettre à Volmat, dans laquelle il donnait une opinion assez contradictoire sur l’art des fous (12 et 65), tentant encore une fois de démontrer que l’art brut n’était pas la continuation sous un autre nom de la découverte de l’art des fous. Une forme de réponse ne vint pas directement de Volmat, mais de psychiatres brésiliens. En effet, l’hôpital de São Paulo et celui de Rio de Janero furent à l’origine des principaux envois pour l’Exposition internationale d’art psychopathologique. Les œuvres présentées provenaient d’« ateliers ». Il ne s’agissait pas d’ateliers d’art-thérapie, dans le sens où peut l’entendre aujourd’hui, mais d’ateliers au sein desquel les malades étaient invités à avoir une activité créative, en parallèle de leur prise en charge psychiatrique. Alors que les autres corpus envoyés étaient essentiellement constitués d’œuvres réalisées hors de contextes thérapeutiques ou artistiques. Les échanges épistolaires de Volmat et Mario Yahn rendent compte de l’intérêt de cet ensemble et de l’immense apport artistique et théorique qu’il a induit en France (6). « Votre collection était parmi les plus importantes et les plus intéressantes. Elle fut remarquée tant par les congressistes, que par le grand public et la presse », écrivait Volmat avant de préciser que la réflexion qui était menée au Brésil sur l’art des malades mentaux, était en avance sur ce qu’elle pouvait être dans d’autres pays. Au regard de la façon dont les œuvres de la Collection Sainte-Anne sont maintenant mises en lumière, les remarques liminaires des propos de Yahn sont essentielles : « Un résumé d’observations a été joint aux travaux effectués par 35 malades et envoyés à l’exposition. Naturellement ce serait pour nous un long travail que de traduire en français les observations dans le détail et nous sommes de plus certains que cela ne serait pas d’une grande aide en général, pour l’interprétation de l’œuvre d’art de l’aliéné. […] D’une façon générale, nous trouvons une grande difficulté à établir une corrélation entre l’œuvre d’art du malade et son état mental, même à l’aide de la connaissance de sa vie antérieure. » (72 et 73) Ces propos sont d’autant plus notables qu’ils datent d’une époque où dominait en Europe la croyance de liens directs entre création et pathologie mentale. Les termes employés
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par l’un et par l’autre sont à souligner comme différences conceptuelles : lorsque Volmat parle « d’art pathologique », Yahn répond par l’expression « œuvre d’art du malade ». Un an plus tard, un autre psychiatre de Juquéri, Osorio César, fut invité à témoigner lors de la séance du 24 novembre 1952 de la Société médico-psychologique de Paris. Son intervention, accompagnée de nombreuses reproductions de dessins se terminait ainsi : « Devant cette richesse, nous pensons que les psychiatres, les critiques d’art, devraient hésiter à employer dans leur vocabulaire la dénomination humiliante d’art pathologique pour désigner cette expression artistique chez les aliénés. Il n’y a en fait rien de pathologique, c’est à peine une expression du sentiment d’un monde intérieur différent du nôtre. » Le terme d’« art psychopathologique » utilisé systématiquement en France pendant près de quarante ans, était alors déjà considéré comme impropre et clairement contesté de l’autre côté de l’Atlantique. L’hôpital Juquéri de São Paulo était un lieu incontournable où furent précocement introduites des propositions de soin humanistes. C’est dans ce contexte expérimental que Mario Yahn et Osorio César ont introduit des médiations artistiques à l’hôpital. Ainsi parlent-ils de « Section d’art plastique », de « Section de peinture », d’un « Laboratoire de recherches plastiques », fondés début 1949. Yahn écrivait également : « Notre opinion sur l’art psychopathologique est basée sur l’observation des études déjà faites. Nous nous dispensons d’entrer dans la biographie du sujet afin de pouvoir nous attarder plus longtemps sur l’analyse de nos cas. La première question est de savoir s’il y a un art psychopathologique. À proprement parler il n’y en a pas […]. Un aliéné peut également, pour aussi grave que soit son état et selon certaines circonstances, produire des œuvres d’art identiques à celles d’individus normaux. » Quant à Osario Cesar, il notait que les résultats de ces ateliers étaient étonnants et difficilement prévisibles. En effet, « après un certain temps de travail, les malades commençaient à produire des œuvres d’une valeur inestimable. Les tendances variées de l’expression artistique surgissaient alors : le symbolisme, le primitivisme, l’impressionnisme, l’expressionnisme, l’abstraction ou l’académisme. Ces œuvres pourraient figurer dans n’importe
quel Musée du monde ». Les observations de ces deux psychiatres mettent l’accent sur la capacité créative des malades et sur la permanence de leurs dons malgré la maladie. Néanmoins, comme toutes les œuvres exposées en 1950 à Paris, les œuvres venues du Brésil portaient la mention d’un diagnostic. La deuxième exposition « Acte II », se distingue de la première par la nature et l’histoire des artistes présentés. Ceux « des origines » sont restés méconnus jusqu’à une période récente. Les autres, en revanche, furent reconnus, même de leur vivant et ils occupaient une place de choix tant en 1949 qu’en 1950. Par ailleurs, certains artistes exposés à Sainte-Anne ne figuraient pas parmi les deux cents œuvres proposées par Dubuffet à la galerie Drouin. Cependant ils figurent maintenant à la Collection de l’art brut de Lausanne, tel Guillaume Pujolle. Lors de sa quête de travaux affranchis de normes culturelles, Dubuffet rencontra les dessins de Pujolle bien avant 1949 ou 1950, lors de ses premiers contacts avec Ferdière, c’est-à-dire en 1945. Mais la démarche de Pujolle et la nature de ses productions ne correspondaient pas vraiment aux idées qu’il commençait à prôner. La formation initiale de Pujolle au métier d’ébéniste se reflète parfois dans son œuvre et il fait référence à de nombreuses reprises dans ses dessins à ses connaissances culturelles. En réalité, Dubuffet s’intéresse à Pujolle parce qu’il use d’une modalité de représentation inédite qui procure un sentiment de surprise et une perception nouvelle. Est-ce à dire que pour Dubuffet, toute forme nouvelle de création serait à rapporter à l’absence de référence culturelle ? Est-ce considérer que la culture est un frein à l’inventivité ou à de nouvelles perspectives créatives ? Quoi qu’il en soit, les œuvres de Pujolle n’ont rejoint sa collection que plus tard. De la Collection Sainte-Anne sont exposées les œuvres emblématiques de l’exposition de 1950. Leur seront associées des œuvres de ces mêmes artistes, provenant du LaM de Villeneuve-d’Ascq pour Aloïse Corbaz et pour Gaston Duf, du musée d’Art brut de Lausanne pour Gaston Duf et Guillaume Pujolle et du musée du Dr Guislain à Gent pour Adolf Wölfli. Parallèlement sont présentées des œuvres d’artistes également présents à Sainte-Anne en 1950 et dont la production était récente, en particulier l’étonnant corpus de Guido Ferrari. 9
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Acte I
LA COLLECTION SAINTE-ANNE LES ORIGINES
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Paul-Ferdinand Gachet (1828-1909)
Les œuvres les plus anciennes de la Collection n’ont pas été réalisées par un patient ou par un ancien patient-artiste mais par un médecin -artiste, devenu par la suite un célèbre modèle, puisqu’il s’agit du docteur Gachet. Ces croquis réalisés en 1858 à l’hôpital de la Salpêtrière parlent de la folie et en sont l’expression particulièrement touchante ; ils sont à la fois un témoignage historique et une démarche artistique. Ces vingt-quatre Dessins de folles ont été offerts par le fils du docteur Gachet au docteur Vinchon qui en fit ensuite don au Département d’art psychopathologique de Sainte-Anne (8 et 9). Paul-Ferdinand Gachet était destiné par son père à l’industrie de la filature, mais il s’y oppose et il choisit de devenir médecin. À vingt ans, il arrive à Paris et prend sa première inscription en médecine. Son désir de secourir « l’homme malade » mit du temps à se réaliser, les examens étant des épreuves auxquelles il échoua à de nombreuses reprises. C’est ainsi qu’il dut aller terminer ses études à Montpellier. Il y obtint son diplôme en 1958, en soutenant une thèse qui est à la fois un
hommage au professeur Falret qui l’avait accueilli à la Salpêtrière et au souvenir de l’expérience qui fut la sienne à ce moment-là, l’expérience du lien avec la folie. Le titre de cette thèse, Étude sur la mélancolie, renvoie directement aux croquis qui figurent dans la Collection. Ces croquis sont sans doute le fait d’un étudiant en médecine suivant la « visite hospitalière » de son maître. Ils allient précision de l’observation, émotion, beauté et sobriété du trait. Falret fut le premier à reconnaître les qualités de cet étudiant peu chanceux dans ses examens, mais très talentueux dans ses observations cliniques et dans son lien avec les malades. En tant que médecin, Paul-Ferdinand Gachet était décrit comme un philanthrope ; son sens du dévouement était souligné par tous ceux qui l’ont approché. Il se proposa dans un premier temps de se consacrer aux maladies nerveuses et mentales, mais il fit en définitive de la médecine générale. Ses premières années furent plus occupées par la médecine que par l’art. Cependant, boîte à aquarelle et carnets à
Gachet, Paul-Ferdinand (Dr) Série de 25 croquis Sans titre Vers 1854 Encre sur papier 25 x 16 cm Inv. 0675-700
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G. Martin (début du
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siècle – ?)
Les neuf dessins de G. Martin réalisés au crayon de couleur sont des évocations de paysages de campagne dans des tonalités dominantes de vert et de rouge. Cette série réalisée sur des papiers de mauvaise qualité et de petits formats, au crayon de couleur, est
très soignée dans sa réalisation. Le côté sage et académique de ces paysages prête peu à des interprétations d’ordre psychopathologique. C’est certainement pour ces raisons qu’ils sont restés ignorés si longtemps et que leur exposition est relativement récente (25 et 34).
Martin, G. Sans titre 1900-1950 Crayon de couleur sur papier 19 x 26 cm Inv. 0028
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Auguste Millet (vers 1905 – ?)
Auguste Millet est né en 1905 dans la région de Lyon. Il était employé dans la soierie. Il a été interné en 1927 à l’asile du Vinatier alors qu’il était âgé d’une vingtaine d’années. Les productions faisant partie de la Collection Sainte-Anne sont aujourd’hui au nombre de dix-neuf. Cinq seulement sont exposées. Elles sont les fragments de travaux réalisés par Auguste Millet durant son séjour à l’asile entre 1927 et 1929. Elles ont été données par le docteur Roger Charpentier de Lyon à Sainte-Anne en 1950. Les œuvres exposées à l’époque devaient être plus nombreuses si l’on se réfère aux reproductions photographiques des journaux et des publications scientifiques consultés. Par ailleurs, les numérotations indiquées sur certaines œuvres, par exemple
Minus et Goliath disparus, no 254 bis, laissent supposer que la production d’Auguste Millet fut très importante (14, 39, 54). Ses dessins proposent souvent une triple adresse : « Mlle Maximovitch, Mme Collet, M. Charpentier », qui étaient ses principaux interlocuteurs à l’hôpital du Vinatier. L’œuvre de Millet évoque un univers verbal et pictural fascinant par sa multiplicité. Ce sont des aquarelles au charme désuet, des scènes tragi-comiques issues de quelques historiettes, des paysages inquiétants aux tons sourds avec parfois des coloris plus soutenus. On trouve aussi bien des œuvres picturales de facture classique, voire naïve, que des textes littéraires d’une inventivité étonnante. Il nommait d’ailleurs ces derniers sa « rhétorique ». Selon son
Millet, Auguste ATTENTION ! VOILA M. LE DUC ET SON PONEY 1er décembre 1927 Encre et aquarelle sur papier 26,8 x 20,8 cm Inv. 0002
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Louis-Émile Gros-Brun (1880-1959)
Louis-Émile Gros-Brun était maréchal-ferrant de profession. Il fut interné en mai 1917 à l’hôpital de Saint-Égrève où il mourut plus de quarante ans plus tard. Les trois productions faisant partie de la Collection Sainte-Anne ont été données par le docteur M. Jourdran en 1950. Son psychiatre avait alors confié les éléments cliniques suivants : « Délire de persécution et de jalousie envers sa femme. État stationnaire, habituellement calme, il présente des périodes d’excitation et de panique. Hallucinations. » (13 et 66) Les propos qui sont rapportés à son sujet dans l’ouvrage de Volmat concernent essentiellement sa vie quotidienne asilaire à la fois contenante et riche en créativité : « Il travaille
régulièrement à l’économat, va régulièrement à la messe le dimanche ; il dessine et se promène. Il entend surtout les voix quand il est seul le soir. Ces voix sont ironiques, injurieuses et menaçantes ; il leur répond, dialogue avec elles, se défend contre elles […]. Il présente une bonne adaptation asilaire et l’on ne note pas d’affaiblissement intellectuel. » Il est facile d’imaginer à la lecture de ces textes que GrosBrun s’adonnait régulièrement à sa peinture dans le temps très structuré de sa vie asilaire. Cependant, excepté les trois pièces conservées dans la Collection Sainte-Anne, son œuvre semble aujourd’hui avoir été dispersé ou perdu. Certains dessins exposés en 1950 sont décrits et reproduits par Volmat dans son ouvrage.
Gros-Brun, Louis-Émile VIVE CHRIST ROI Vers 1920 Colle (?), encre noire et crayon de couleur sur papier 21,5 x 34 cm Inv. 0266
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Charles-Octave Leg (?) (1882-?)
Avant son internement, Charles-Octave Leg exerçait la profession de monteur sur bronze. Ses compétences et ses connaissances artistiques étaient donc certaines. Il fut hospitalisé à partir de 1930 à la suite d’un incident sur la voie publique et il resta à l’hôpital SainteAnne jusqu’à sa mort. Selon Delay cité par Volmat, il aurait été influencé par les surréalistes venus peindre en
1946 sous la direction de Frédéric Delanglade, l’une des nouvelles fresques de la salle de garde de l’hôpital. À la même époque, il était employé à éplucher les légumes pour les cuisines dans ce même endroit. Il semblerait qu’il ait été tellement intéressé par ce qui se passait dans ce nouveau lieu de création, qu’il allait même jusqu’à retoucher la fresque, le soir, après le départ des artistes. (31 et 64)
Leg, Charles-Octave (?) Les Monstres et la petite mariée Entre 1946 et 1950 Huile sur carton 105 x 75 cm Inv. 0948
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Les artistes du Vinatier Gay, Génin, de Golberry, Tray, Vernus, Housset, Carreau, Van Oss, Anonyme, tous sont des artistes que le docteur Charpentier avait particulièrement remarqués. D’ailleurs il écrivit à Volmat, lors du don de ces œuvres en 1950 : « Une exposition comme celle-ci, laquelle nous apporte une contribution à l’étude des étranges pouvoirs de l’esprit, qui existent avant que leur essence soit cernée ou discernée, a donc des résonances avec les ondes de la pensée moderne prise notamment sous ses aspects de l’esthétique et de la psychologie,
et son importance synthétique dépasse la considération qui consisterait à voir là qu’une accumulation de productions où règnent uniquement le bizarre et la fantaisie. » Il est important de constater que le regard de certains psychiatres de l’époque dépassait largement celui du médecin. L’émotion esthétique et le sens à accorder aux œuvres sont aussi soulignés. Ce corpus comme de nombreuses autres œuvres présentées dans cet Acte I n’a pas retenu l’attention au-delà de leur présentation en 1950 (16, 31 vol. 4, 34).
Carreau, Jean Sans titre Avant 1950 Aquarelle et crayon 50 x 50 cm Inv. 1080
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Acte II
LA COLLECTION SAINTE-ANNE AUTOUR DE 1950
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Les artistes emblématiques Guillaume Pujolle (1883-1971)
Sept œuvres de Guillaume Pujolle sont entrées dans la collection en 1950 ; le docteur A. Perret de Toulouse en fit le don. Pujolle est l’aîné d’une fratrie de quatre enfants. C’est son frère cadet qui avait été considéré précocement comme un artiste par son entourage. Le père de famille est artisan ébéniste et Pujolle se forme au métier d’ébéniste auprès de son père. Il se montre particulièrement sensible à ce domaine artistique et même assez talentueux. Il s’adonne principalement à un travail de restauration et de création de meubles. Il dessinait donc déjà beaucoup de croquis à cette époque (1907 à 1911) et peut-être nourrissait-il déjà ses inspirations artistiques futures. Pujolle quitte le domicile familial le 24 avril 1913 à l’âge de vingt ans, pour s’engager dans l’armée. Il vit l’expérience de la Première Guerre mondiale au centre des combats. À la fin de la guerre, il retourne dans sa région natale, avec l’idée de compléter son expérience en ébénisterie. Mais assez rapidement, il quitte l’entreprise familiale à la suite de vifs affrontements avec son père. Cette période se caractérise ainsi par une double rupture avec la figure paternelle et avec l’investissement professionnel et artistique, les deux étant étroitement liés.
Rapidement, son comportement se révèle perturbé. Il est présenté comme rebelle vis-à-vis de toute forme d’autorité et comme extrêmement jaloux envers son épouse. L’expression manifeste de la maladie de Pujolle se situe avec une première hospitalisation le 9 juin 1926 à l’hôpital militaire de Bordeaux, puis à l’asile de Cadillac et enfin à l’hôpital Braqueville de Toulouse. Guillaume Pujolle restera interné jusqu’à la fin de sa vie. C’est dans ce contexte qu’il commence sa vie de peintre (31 vol. 2, et 44). Ses premières œuvres datent de 1935. Son mouvement créatif semble s’être tari vers 1947, lorsque Pujolle a 54 ans. Il reste cependant des zones d’ombre concernant son activité artistique pendant les vingt dernières années de sa vie. Au point que de nombreux auteurs situent la mort de l’artiste à ce moment-là – erreur de quelque vingt années. Un certain malaise se dégage de cette confusion, comme si les œuvres de Pujolle et leur reconnaissance avaient toujours maintenu l’homme en vie, et qu’un désinvestissement relatif à ce niveau-là l’avait fait disparaître. Pujolle termine sa vie à l’hôpital Marchant le 18 décembre 1971 dans la solitude et l’oubli. Cette disparition plus que discrète est à mettre en relation avec la façon inhabituelle dont les œuvres de Pujolle ont rapidement Pujolle, Guillaume Combat du Giaour et du Pacha 10 janvier 1939 Crayon noir, crayon de couleur, produits pharmaceutiques et encre sur papier 50 x 65 cm Inv. 0154
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Aloïse Corbaz (1886-1964)
Aloïse Corbaz dite Aloïse ou Aloyse, est née à Lausanne, en Suisse, le 28 juin 1886. Son père était employé des postes et sa mère est décédée lorsque Aloïse avait onze ans. Elle laissait aussi cinq autres enfants. C’est la sœur aînée, Marguerite qui joua le rôle d’une mère exigeante, autoritaire et possessive. L’atmosphère de la maison semble refléter les coutumes d’une famille traditionnelle du canton de Vaux de cette époque. On y célèbre les fêtes traditionnelles et chacun joue d’un instrument de musique ou chante. Aloïse participe à la chorale locale et elle semble s’être vite passionnée pour le chant et en particulier pour l’opéra. Elle prend des cours de musique avec l’organiste de la cathédrale de Lausanne. Elle aurait voulu devenir cantatrice et ses aptitudes musicales semblent à ce moment-là prévalantes. À l’âge de 25 ans, elle part en Allemagne afin d’exercer le métier de gouvernante des enfants du chapelain de Guillaume II. Elle
vit alors au château de Potsdam, dans l’atmosphère de la cour impériale. Cependant, la déclaration de la guerre en 1914 met un terme aux fastes de la vie de cour. Elle doit rejoindre sa famille à Lausanne. Son comportement à ce moment-là ne manque pas d’inquiéter. Elle s’isole pour rédiger des textes religieux et s’affirme comme pacifiste et antimilitariste à une époque où ce type de propos n’était pas de mise. De même, un certain nombre de thèmes qui pouvaient être considérés comme délirants, semblent émerger de son discours. C’est ainsi qu’elle est hospitalisée le 21 février 1918 à l’hôpital universitaire de Cery, près de Lausanne. Son état se dégrade, son regard devient figé et ses propos de plus en plus rares. Elle est transférée le 12 octobre 1920 dans un établissement pour malades chroniques, l’asile de la Rosière, en raison de l’absence d’espoir de guérison souligné par son médecin. Il s’agit d’un ancien hôtel avec terrasses et jardins, au sein duquel l’atmos-
Corbaz, Aloïse Pape Jean 24 Vers 1960 Craie grasse sur papier filigrané 62,4 x 48,4 cm Prêt du LaM Inv. 999.21.6
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Gaston Duf (1920-1966)
Gaston Duf (ou Gasduf) est le pseudonyme de Gaston Dufour selon Roger Cardinal (58). Il est également dénommé « Gaston le zoologue » par Jean Dubuffet qui lui consacre un long article dans le cinquième Cahier de l’art brut publié en 1965 (36 et 51). Il est né le 22 mars 1920 dans un village minier du Pas-de-Calais. Il est l’avant-dernier d’une fratrie de dix enfants dont quatre sont morts en bas âge. Son père avait été ouvrier manœuvre avant de devenir tenancier d’un cabaret. Il est décrit comme un homme sombre et explosif, avec des accès de violence. Sa mère passait pour une femme fruste et irritable. Gaston Duf est, selon le rapport du docteur Paul Bernard qui fut son psychiatre pendant de nombreuses années, « un enfant chétif et timide à l’extrême, pleurnichard, sans énergie, renfermé, colérique et capricieux, toujours accroché aux jupes de sa mère ». Il va à l’école primaire jusqu’à l’âge de quatorze ans, sans beaucoup de succès, puis il est mis en apprentissage chez un boulanger. Cette expérience est de courte durée en raison de ce qui fut nommé
son « incapacité ». C’est comme manœuvre de surface à la mine qu’il travaille ensuite pendant trois ans. Sa grande inconstance et l’irrégularité de sa présence dans ce travail sont généralement mises en avant dans les différentes notes bibliographiques le concernant. En juillet 1940, à l’âge de vingt ans, Gaston Dufour est interné à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu à Saint-André-les-Lille. Quelques jours auparavant, il avait tenté de se suicider par pendaison dans le grenier de la maison familiale. À partir de ce moment-là et jusqu’à la fin de ses jours, il vit dans un enfermement total ; seules ses périodes créatives témoignent de sa vie imaginaire. Gaston Duf n’avait pas eu de formation artistique et il n’avait jamais dessiné ou peint avant son enfermement. D’ailleurs, plusieurs années d’hospitalisation s’écoulent avant que son médecin ne remarque qu’il dissimule de curieux dessins dans la doublure de ses vêtements. Il dessine sur des morceaux de journaux, sur des papiers hétéroclites, une sorte de monstre, toujours le
Duf, Gaston Riqûme Rônâûzerâûse Détail Avant 1950 Gouache sur papier 28 x 36 cm Inv. 0270
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Adolf Wölfli (1864-1930)
De multiples ouvrages et publications ont été consacrés à cet artiste célèbre. Il semble donc qu’il soit préférable de considérer les raisons de la présence de Wölfli au sein de cette exposition. Aucune œuvre de cet artiste n’est à l’inventaire de la Collection Sainte-Anne, cependant il était présenté tant à SainteAnne en 1950 – dix dessins – qu’à la galerie Drouin en 1949 – cinq dessins. L’Exposition internationale d’art psychopathologique pré-
senta un choix d’œuvres du musée de la Waldau, musée de la Société psychiatrique suisse, parmi lesquelles, celles d’Adolf Wölfli (48). Cet artiste avait déjà une réelle notoriété à cette époque et les écrits de Morgenthaler à son égard avaient déjà été publiés (47). Il est aujourd’hui dans de nombreuses collections privées et dans les principaux musées d’art brut d’Europe.
Wölfli, Adolf Selbstdarstellung Vers 1915 Crayon et crayon de couleur sur papier 22 x 23 cm Prêt du musée du Dr Guislain Inv. 21010501 Collection privée, musée du Dr Guislain, Gent
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