Fêtes et Plaisirs au temps des Princes de Condé (extrait)

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Cet ouvrage est publié avec le soutien du Centre de recherche du château de Versailles

© Somogy éditions d’art, Paris, 2015 © Fondation pour la sauvegarde et le développement du Domaine de Chantilly, 2015

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Laurence Verrand et Sarah Houssin-Dreyfuss Conception graphique : Carine Simon Contribution éditoriale : Françoise Cordaro Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

ISBN : 978-2-7572-0963-9 Dépôt légal : octobre 2015 Imprimé en République tchèque (Union européenne)


Fêtes et plaisirs au temps des Princes de Condé Charles Hénin


À Maryse (†) À Odile


Mes remerciements s’adressent tout particulièrement à Madame Nicole Garnier-Pelle, conservateur général du Patrimoine chargée du musée Condé de Chantilly, ardent défenseur de cet ouvrage, et à Madame Astrid Grange, assistante de conservation qui, pour ce livre, a mené à son terme un remarquable travail de recherches iconographiques, à Monsieur Raphaël Masson, conservateur en chef du Patrimoine qui, alors adjoint au directeur du Centre de recherche du château de Versailles, a, dès l’origine, soutenu ce projet et qui, après sa nomination au département des Ressources documentaires, l’a confié à Monsieur Mathieu da Vinha, directeur scientifique du Centre de recherche, à Monsieur Frédéric Nancel, responsable du Développement et des Événements du Domaine de Chantilly, à Madame Emmanuelle Toulet, à Monsieur Olivier Bosc, conservateurs des bibliothèque et archives du musée Condé, à Madame Léa Ferrez-Le Guet et à Monsieur Florent Picouleau, à Mesdames Isabelle Diry, conservateur du département des Manuscrits et Livres anciens de la bibliothèque de la Sorbonne, Éliane Lochot, conservateur en chef des archives municipales de Dijon, Agathe Sanjuan, conservateur de la bibliothèque de la Comédie-Française, et à Monsieur Villain, conservateur de la bibliothèque municipale de Senlis, à mes amis du CMBV (Centre de musique baroque de Versailles) et du CNRS : Mesdames Georgie Durosoir, Anne Delvare, Viviane Niaux et Messieurs Jean Duron et Gérard Geay, à Messieurs Jérôme de La Gorce et Denis Herlin, historiens et musicologues, à Mesdames Marie-Hélène Beck, présidente du Comité de jumelage Chantilly-Überlingen à Überlingen, et Marie-Paule Mallard, guide-conférencière, pour la communication et la traduction d’un manuscrit d’Überlingen. D’autres encore, partageant mes interrogations, m’ont prodigué leur aide, leurs conseils et leurs encouragements : Jean-Noël Laurenti et Loïc Chahine du Centre d’études supérieures de la Renaissance à Tours [Fuzelier, Lesage et d’Orneval], John S. Powell, musicologue, université de Tulsa (USA) [Fuzelier], Jean-Claude Montanier [abbé d’Allainval] et Daniel Couturier, historien, découvreur de Philandre. Je veux également remercier Monsieur André Bergery qui a bien voulu consacrer une partie de son temps à relire mon manuscrit et y relever « quelques » fautes… Je veux aussi remercier Maryse, trop tôt disparue, et Odile qui, tous les jours, affectueusement, patiemment et sans murmures, m’ont, avec tous les membres de ma famille, accompagné et incité à entreprendre puis à terminer cet ouvrage.


Avertissement L’utilisation du « ° » après un patronyme renvoie le lecteur à l’état des maîtres et artistes, p. 223.

Abréviations aaaann Année et numéro du registre des recettes et dépenses Les astérisques renvoient aux registres d’Henri-Jules* et Louis II** AC

Chantilly, Archives du château de Chantilly

BnF Paris, Bibliothèque nationale de France F-Ps Paris, Bibliothèque de la Sorbonne


SOMMAIRE

Avant-propos _______________________________________________________ p. 9

Vie des princes et des princesses Louis Ier de Condé (1530-1569) _______________________________________ p. 13 Henri Ier de Condé (1552-1588) _______________________________________ p. 17 Henri II de Condé (1588-1646) _______________________________________ p. 21 Louis II de Condé (1621-1686) _______________________________________ p. 49 Henri-Jules de Condé (1643-1709) ____________________________________ p. 81 Louis III de Condé (1668-1710) ______________________________________ p. 111 Louis-Henri de Condé (1692-1740) ___________________________________ p. 115 Louis-Joseph de Condé (1736-1818) __________________________________ p. 159 Louis-Henri-Joseph de Condé (1756-1830) ____________________________ p. 217 Épilogue ___________________________________________________________ p. 219

Annexes tats de service É Des librettistes, compositeurs et intendants de la musique, maîtres de musique (clavecin, vielle, luth, guitare, chant), maîtres de danse, artistes et interprètes, facteurs, accordeurs d’instruments et autres maîtres ________________________________ p. 223 Les musiciens de la Chapelle particulière du prince de Condé, Louis-Joseph _____ p. 241 Les comédiens du Grand Condé ________________________________________ p. 247 Théâtre de l’Orangerie, dit Palais d’Orontée ______________________________ p. 261 Répertoire des pièces de théâtre jouées chez Louis-Joseph, prince de Condé _____ p. 269 Généalogie des Bourbon-Condé ________________________________________ p. 275 Bibliographie _______________________________________________________ p. 281 Index des noms de lieux ______________________________________________ p. 287 Index des noms de personnes __________________________________________ p. 288



« Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a dit que Chantilly était un lieu enchanteur où les plaisirs naissent à chaque instant et à chaque pas. » Journal du voyage du Roy [Louis XV] à Rheims (La Haye, 1723)


Cette citation anonyme confirme la qualité du plaisir ressenti à Chantilly par l’un des musiciens de l’équipage du roi dans « ce beau Lieu où l’art fait revivre le printemps avec les Richesses de l’automne et les Plaisirs comme l’Opéra, comédie et Grand Bal… » (Norbert Dufourcq et Marcelle Benoît). Cinquante ans plus tôt, Loret qui se faisait l’écho de la réception de Monsieur, duc d’Orléans et de Madame HenrietteAnne Stuart d’Angleterre du 27 au 29 juillet 1662, ajoutait dans la lettre intitulée « Passionnée » de sa Muze historique du samedi 29 juillet : « On dit que le Roi même, exprès, Se rendit quelque temps après Et dans cette maison Royale Le Grand Condé leur fit Régale. » Innocent peut-être, ce lapsus calami de « maison royale » imposé par la rime témoigne de l’imbrication fusionnelle entre le roi et le prince de Condé. D’un siècle à l’autre, l’image du roi à Chantilly, Saint-Maur, Vanves, Paris et Sceaux, et le reflet de celle du prince au Louvre, Tuileries, Vincennes, Versailles, Marly, Compiègne et Fontainebleau, s’éclairent et se nourrissent de leurs ressemblantes différences. « Rayez Louis XIV, Chantilly, c’est Versailles ; mettez la couronne de France au front du Grand Condé, Versailles s’appellera Chantilly. L’un est le palais d’un roi, l’autre est le palais d’un prince. » (Nodier). Cet ouvrage n’est ni celui des champs de bataille et des succès militaires, ni celui des querelles politiques, ni même celui de la chasse qui ont déjà fait l’objet de nombreuses publications. Il veut en revanche inviter le lecteur à suivre les méandres d’une histoire pleine d’inattendus, de bosquets secrets, d’allées de traverse et d’instants, le plus souvent inédits, dans lesquels évoluent les princes et princesses de Condé.

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Certes, ces jeux de regards et de miroirs se sont construits au fil des années. Sans fortune et sans piedà-terre parisien, les deux premiers princes de Condé, Louis Ier et Henri Ier, ne peuvent qu’être invités à partager les plaisirs du roi et de ses courtisans et, après le funeste ballet du Paradis d’amour, les inciter à défendre leurs situations familiales, financières et religieuses. Celles-ci changent radicalement avec l’avènement du roi Henri IV. Encanaillé par son cousin royal, Henri II de Condé, héritier présomptif du trône jusqu’à la naissance de Louis XIII, devra neutraliser les galanteries du roi (Alcandre) envers sa belle et jeune épouse Charlotte de Montmorency (Oranthe). Le 14 mai 1610, l’assassinat du roi le libère de la tutelle royale. Gouverneur du Berry, gratifié d’un pied-à-terre parisien (hôtel de Gondy) puis du gouvernement de la Bourgogne, il protège la Confrérie des Gaillardons de Chalon-sur-Saône et celle de la Mère-Folle de Dijon. Le monde de la fête quitte l’enceinte du palais pour s’offrir à tous. Après la victoire de son fils Louis II, dit le Grand Condé, sur les Espagnols, Chantilly fête le héros. La dépense est louée pour elle-même ; on passait « insensiblement d’un divertissement à un autre […] sans qu’on s’en aperçût ni que personne pût s’en ennuyer » (Lefèvre d’Ormesson). Pour magnifier « ce diamant entouré d’émeraudes », Louis II confie à Le Nôtre le soin d’organiser ses jardins et de tracer la grande perspective Nord-Sud qui passe par la terrasse du Connétable, traverse le Grand Canal et se poursuit au-delà de « l’allée des huit rangs » de Vineuil-Saint-Firmin. Héritier du goût paternel pour la farce et la comédie, il recrute ses propres comédiens tels Jean-Baptiste Monchaingre, dit Philandre, ou Jean-Baptiste Raisin, dit le « Petit Molière ». Quelques-uns des acteurs de « la meilleure [troupe] qui soit en France », seront, comme Jeanne-Olivier Bourguignon, fille adoptive de Philandre, « mandés » par Molière lui-même pour rejoindre la Troupe du Roy. Chantilly se transforme en laboratoire d’idées où le prince, ami et défenseur de Molière, n’hésitant pas à braver les Dévots, fera lever l’interdiction de jouer Tartuffe.


Avant-propos

À la fin avril 1671, il reçoit fastueusement Louis XIV et sa cour. « Jamais, il ne s’est fait tant de dépenses au triomphe des empereurs qu’il y en aura là. Rien ne coûte. On reçoit toutes les belles imaginations sans regarder à l’argent ; on croit que monseigneur le prince n’en sera pas quitte pour quarante mille écus […], il y aura pour mille écus de jonquilles ; jugez à proportion […]. » Mais ne citer que cette lettre de madame de Sévigné qui déplorera le suicide de Vatel, « chose fâcheuse à une fête de 50 000 écus », ne limiter notre curiosité qu’au Grand Condé et n’y ajouter que dix lignes de Saint-Simon, c’est oublier la magnificence des fêtes que ses successeurs offriront aux rois, aux empereurs et aux princes venus les visiter, incognito ou non. Henri-Jules, son fils, grand maître de la Maison du Roi, fier d’être un « bon courtisan », est le premier à imaginer, en 1683, le concept versaillais des « appartements ». Reprise plus tard par madame de Pompadour, cette expression nouvelle désignera une fête ou une réjouissance préparée tous les lundis, mercredis et vendredis à Versailles dans des appartements « superbement meublés et éclairés avec musique, bals, danse, collations, jeux et autres divertissements magnifiques ». Le Mercure galant ajoute : « Beaucoup prodiguent l’argent, mais peu, en le prodiguant, savent donner d’agréables fêtes. Quand Monsieur le Duc [Henri-Jules] donne une Fête, il invente tout lui-même et un Prince n’imagine rien que de grand. » La mode est lancée. Ses enfants Anne-Louise-Bénédicte, duchesse du Maine, et Louis III, duc d’Enghien, auront les meilleurs professeurs du royaume : Couperin (maître de clavecin), Favier (maître à danser la « belle danse »), Lorin (maître à danser la « contredanse »), Matho (maître de chant)… Dans le climat de liberté galante de la Régence, Louis-Henri, petit-fils d’Henri-Jules, accueille le jeune roi Louis XV qui, sacré à Reims, s’en retourne à Versailles. À Chantilly, du 4 au 8 novembre 1722, Jacques Aubert, Intendant de la musique princière, lui offre le Ballet des XXIV heures. « On vida 60 000 bouteilles de vin, on mangea 55 000 livres de viande de boucherie et M. le Duc dépensa 500 000 écus. » Veuf, ce prince discuté, ambitieux et sans vision politique, vit sous l’influence de madame de Prie, sa jeune maîtresse, dont l’ambition est de gouverner le royaume. Engageant des travaux somptueux, il nous ouvre la porte vers un nouvel art de vivre et fait entrer Chantilly dans le siècle des Lumières. Le décor est planté. Son fils Louis-Joseph passe sa prime jeunesse à l’Hôtel de Condé en compagnie de Donatien-François, le « divin marquis » de Sade, fils de Marie-Éléonore de Maillé, madame de Sade, dame de compagnie de Caroline de Hesse-Reinfelds, duchesse de Condé. Rapidement orphelin de père et de mère, il épouse Charlotte-Godefride de Rohan-Soubise en 1753. Veuf en 1760, il fait le galant au cours du Ballet des collets montés qu’il danse à Fontainebleau avec madame de Monaco qu’il épousera en 1798. À Chantilly, il joue la comédie avec sa belle-fille, Louise-Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon, « avec une telle aisance, goût et naturel […] qu’ils auraient pu être comédiens s’ils ne fussent nés princes » (Mercier). Violoniste émérite, auréolé de ses victoires contre le duc de Brunswick en 1762, il invite Mozart à Dijon et transforme Chantilly en un lieu de « délices » auxquels seront, le plus souvent, associés les commensaux du prince avec les bourgeois de Chantilly et ceux des villages voisins (Vineuil, SaintFirmin, Avilly, Saint-Léonard…). Avec ses Intendants de la musique (F.-J. Gossec, J.-P.-E Martini, celui du Plaisir d’amour, et M.-A. Guénin), Louis-Joseph, huitième prince de Condé, donnera, jusqu’aux tout débuts de la Révolution, un éclat tout particulier à la renommée de Chantilly et aux fêtes et plaisirs de sa « maisonnée ». Cet ouvrage Fêtes et plaisirs au temps des princes de Condé est soutenu par le musée Condé, la Fondation du Domaine de Chantilly et par le Centre de recherche du château de Versailles. Fertile en événements plus brillants et étonnants les uns que les autres, il rend compte, pour la première fois, aussi bien du luxe des féeries et des réceptions, de leurs décors, de la richesse des habits et des pierreries que du

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faste des convois funèbres ou de celui des feux d’artifice. Plusieurs années de consultation d’archives en Sorbonne, à la bibliothèque Mazarine, à la Bibliothèque nationale de France (Richelieu et Opéra) et bien évidemment de celles du musée Condé, ont très vite montré l’immensité des richesses de ce patrimoine méconnu. Consulter les imprimés, les manuscrits et d’autres documents (registres, cartons, courriers…) à longueur de temps, redonne vie à ce lieu prestigieux. Jadis habité par des personnages illustres, il montre par exemple que la musique (clavecin, guitare, harpe…) et la danse (la « noble » danse française et la contredanse anglaise), étaient alors enseignées aux jeunes princes et princesses dès l’âge de six ans et demi par les meilleurs maîtres (Couperin, Buterne, Visée, Favier, Gardel, Lorin…). Après cela, en compagnie du roi qui était à Chantilly le 7 novembre 1722, nous pourrons voir « entrer de l’un et de l’autre côté du grand canal, des vaisseaux et chaloupes en nombre égal qui donnèrent le spectacle d’un combat naval, avec tant de justesse et de précision qu’on n’a jamais vu une plus parfaite imitation. Ces petits bâtiments étaient remplis d’illuminations et d’artifice ; ceux qui les montaient étaient habillés, les uns en Turcs, les autres en Chinois… » (Mercure de France). et, « dans la salle de bal dressée dans le grand manège couvert du château de Versailles », assister au « bal paré [qui] s’ouvrit par un menuet que dansa Monseigneur le Dauphin avec Madame la Dauphine ; ce prince, ayant pris l’ordre du Roi, en dansa un second avec Madame, qui dansa ensuite avec M. le Duc de Chartres […] qui dansa avec Madame Adélaïde qui prit M. le Prince de Condé, lequel prit Madame la Duchesse de Penthièvre qui dansa son second menuet avec M. le Comte de la Marche ; ce dernier dansa avec […]. Après quelques menuets encore, le Roi jugea à propos qu’on dansa des contredanses jusqu’à la fin du bal […] [qui] dura jusqu’à dix heures du soir » (Mercure de France, avril 1745). 12

Charles Hénin Chantilly, mai 2015


Louis II de Condé (1621-1686)

LE GRAND CONDÉ, 4e prince de Condé, Grand Maître de la Maison du roi


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Des « petits violons du prince » à la confiscation de Chantilly

50 FIG. 15 Juste d’Egmont (1601-1674). Portrait de Louis II de Bourbon, prince de Condé, dit Le Grand Condé (1621-1686). Huile sur toile. Chantilly, musée Condé, PE 132

Deux ans plus tard, le 5 janvier 1649, le marquis de Villequier requiert les services de ce « petit orchestre » pour donner le change à la fuite, après minuit, de la régente et de sa famille vers Saint-Germain. L’État est en faillite et chacun murmure assez haut que le cardinal, au mépris des finances de l’État, a tant dépensé en comédies que « le luxe, les sommes englouties, les ragots colportés sur les chanteuses italiennes et les castrats jouèrent un rôle inattendu dans le déclanchement [sic] de [cette première] Fronde » (Beaussant), dite des parlementaires4. Pour les calmer, Condé engage, pour huit cent mille livres5, les propres pierreries de sa famille et, pendant son séjour à Dijon, met ses violons à la disposition de Louis XIV pour charmer les oreilles de Charles II, roi d’Angleterre6 qu’il doit recevoir à Compiègne le 18 juin 1649. Par contre, aux cris de « Vive le Roi ! Point de Mazarin », la seconde fronde entraîne Condé dans une aventure sans issue. « Ce gredin de Sicile » le fait interner le 18 janvier 1650 à Vincennes avec son frère Conti et son beau-frère Longueville. Les princesses ont ordre de se retirer à Chantilly où elles arrivent le 21 janvier. Pendant trois mois, avec la duchesse de Châtillon7 et une petite cour essentiellement féminine :

Louis II de Condé, gouverneur de Bourgogne et du Berry1, est chef du Conseil, jusqu’à la minorité du roi en 1654. Dès mars 1647, pour « efface[r] tout ce qu’il avait lu des Alexandres et des Césars, sitôt qu’il parut à la tête d’une armée » 2, il est subtilement chargé par Mazarin de soumettre la Catalogne solidement contrôlée par les Espagnols. Lérida est investie le 11 mai : « Le début fut beau […]. L’obstacle était formidable. Tout était difficile. » (Aumale). Alors, joignant le panache à l’audace, les soldats du régiment « Champagne », entraînés par une rangée de violons3, « entrèrent dans la tranchée comme on va à la noce ».

« Tout cela nous attirait des couplets de chansons, des sonnets et des élégies […]. On faisait là des bouts-rimés et des énigmes. […] On voyait les unes et les autres se promener sur le bord des étangs, dans les allées des jardins ou du parc, sur la terrasse ou sur la pelouse […], pendant que d’autres chantaient un air et récitaient des vers ou lisaient des romans sur un balcon en se promenant, ou couchées sur l’herbe. » (Lenet)

1. Dans le même temps, il cède son gouvernement de Cham-

son père, dès 1640. 4. La Fronde, marquée par trois périodes

pagne et de Brie à son jeune frère Armand, prince de Conti,

distinctes, met en mouvement différentes couches de la société.

encore au collège des Jésuites. 2. Cette dédicace de Corneille

La première Fronde est parlementaire (1648-1649), la seconde

n’apparaît que dans les éditions de Rodogune antérieures à

nobiliaire (1650-février 1651) et la troisième princière (sep-

1660. 3. L’un de ces violonistes, vraisemblablement plus à

tembre 1651-1653). Les Condé sont frondeurs dans les deux

l’aise dans une salle de bal que dans les combats, devait être

dernières. 5. État du 20 mars 1649 des pierreries engagées

ce Jean Musnier qui avait déjà servi comme violon d’Henri II,

par le prince de Condé (AC). 6. Cromwell avait fait condamner,


LOUIS II DE CONDÉ

FIG. 16 Jean-Marie Ribou (1744-1817). Portrait de ClaireClémence de Maillé-Brézé (1628-1694), épouse du Grand Condé. Huile sur toile. Chantilly, musée Condé, PE 397-29

La jeune princesse Claire-Clémence, très éprise du prince, est prête à tout pour mettre son fils en sûreté et délivrer son mari. Quittant Montrond où elle s’était réfugiée, la princesse se dirige vers Bordeaux dont la turbulente population, acquise à sa cause, la propulse à la tête de l’armée des Ducs (La Rochefoucauld et Bouillon). Le 26 novembre 1650, les prisonniers, transférés au Havre, y apprennent le décès le 2 décembre de la princesse douairière Charlotte-Marguerite à Châtillon-sur-Loing dans le château de sa cousine, duchesse de Châtillon. Sans eux, les cérémonies se déroulent le 23 décembre à l’église Saint-Louis des Jésuites à Paris et se poursuivent, le 11 janvier 1651, « aux Grandes Carmélites » de la rue SaintJacques.

Condé, absent « excusé », se réfugie à Bruxelles Les prisonniers sont libérés le 13 février 1651 au matin. Condé, persuadé que sa vie est en danger, quitte la cour. Claire-Clémence et son fils se réfugient à Bourges. Inquiets, les partisans de Condé menacent de prendre les armes. La régente, manipulée, l’accuse « d’intelligences avec l’ennemi ». Les incidents se multiplient. Le 7 septembre 1651, la cérémonie pour la majorité du roi se déroule en grande pompe. Condé, absent « excusé », galope vers Bordeaux. Avec l’Espagne et Gaston d’Orléans, il s’engage, dans une alliance signée le 24 janvier 1652, « à déposer les armes si le roi commande à Mazarin de sortir du Royaume ». Mazarin manœuvre. La Fronde s’effiloche. Condé se réfugie à Bruxelles auprès de l’archiduc Léopold-Guillaume. La sentence royale de novembre 1652 le déclare « criminel de lèse-majesté, perturbateur de l’ordre public et traître à sa patrie ». Déchu « de tous honneurs et dignités », le château de Chantilly est à nouveau rattaché au domaine royal8.

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FIG. 17 Gilles Guérin (1606 ou 1611-1678). Louis XIV terrassant la Fronde (1654). Marbre. Chantilly, musée Condé, OA 4239

puis exécuter Charles Ier le 30 janvier 1649. 7. Élisabeth-

investi de la charge de capitaine de Chantilly, en fait les honneurs

Angélique, fille de François de Montmorency-Bouteville, mariée

à la reine Christine de Suède. Le roi vint également s’y réfugier

à M. de Châtillon, fils aîné de Gaspard de Châtillon-Coligny.

pour cacher son chagrin après sa rupture, imposée pour raison

8. Louis XIV, sacré à Reims le 7 juin 1654, fait plusieurs séjours

d’État, avec Marie Mancini, « la perle des précieuses ».

à Chantilly : en mai 1655, puis en septembre où Charles II, duc de Mantoue est reçu par le roi, la reine, le duc d’Orléans et Mazarin. En septembre 1656, le marquis de Saint-Simon,


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Condé, empereur des Turcs

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Sept ans plus tard, Condé quitte Bruxelles où il avait croisé la troupe ambulante des comédiens de campagne dirigée par Jean-Baptiste Filandre9. Y ayant vécu comme un souverain en exil, avec faste et éclat mais « dans une continuelle gueuserie », quelques beaux esprits tels l’abbé de Marigny10, « épicurien délicat » et chansonnier, se sont fait fort d’inscrire dans le catéchisme de la Fronde que si « nous n’avons pas été meilleurs que les autres, nous avons été plus gais ». Le traité des Pyrénées est signé le 7 novembre 1659 : les rois de France et d’Espagne conviennent que le jeune Louis XIV épousera sa cousine, l’infante Marie-Thérèse d’Autriche (1638-1683), fille de Philippe IV et d’Élisabeth, fille d’Henri IV. À Aixen-Provence, le 27 janvier 1660, Condé se jette aux pieds de « Sa majesté [qui] rétablira ledit Prince réellement […] en la libre possession et jouissance de tous ses biens, honneurs, dignités et privilèges de premier prince du sang de France ». Le procèsverbal de la « reprise de Chantilly au nom du Prince de Condé » est publié le 22 février 1660. Dans sa Gazette (lettre ix, 28 février 1660), Loret ajoutera : « Enfin, son glorieux retour, M’a renflâmé, pour luy, d’amour […] Il s’est si bien r’acomodé, Que ses vertus et son courage, La grandeur de son Ame sage, Et ses services pour le Roy, Sont mieux que jamais avec moy. »

Courtoisement invité à être à Saint-Jean-de-Luz pour assister au mariage du roi célébré le 9 juin 1660, Condé se récuse. Toutefois, c’est avec HenriJules que, revenant de Dijon11, il va, le 8 juillet, saluer le roi et la jeune reine à Chambord. Avec Claire-Clémence, montée dans le carrosse de la reine, ils caracolent en bonne place derrière le carrosse du roi lors de son entrée solennelle dans Paris le 26 août 1660. Durant l’arrière-saison et l’hiver, Mathieu Quinot « cy-devant Garde du Corps du Roy […] [pour] ces jours passés à un petit Concert de Musique » auprès de Claire-Clémence, lui dédie ses dix-huit Airs à quatre parties (Robert Ballard, 1662). « M’ayant enflé le courage […]. J’ay fait passer sous la Presse tous ces accords dans lesquels vous eustes la bonté de me dire que vous aviez trouvé un Air agréable, doux et galland. Ce n’a esté que pour les offrir à V. A. et pour satisfaire l’ardent désir que j’avois de contribuër quelque chose à immortaliser vostre nom […] et ce d’autant plus volontiers que j’ay crû qu’[ils] avoient je ne sçay quoy d’enjoüé et de gay qui pourra donner quelque sorte de divertissement aux personnes de condition […]. » Mazarin meurt dans la nuit du 8 au 9 mars 1661. Le lendemain, le roi prend « la résolution de commander lui-même son État ».

7 février 1662 : Ercole amante Condé est alors invité à participer aux festivités programmées pour célébrer les noces du roi. Digne de l’événement, la salle de théâtre, construite avec l’ambition de pouvoir accueillir de cinq à six mille personnes, est conçue par Gaspare Vigarani et ses enfants Carlo et Ludovico. Ce gigantesque vaisseau est édifié par Le Vau dans le prolongement du château des Tuileries (entre le « côté cour » du Louvre et le « côté jardin » des Tuileries). Les

travaux, commencés au milieu de l’été 1659 après la signature de la paix, sont terminés le 7 février 1662. En présence de tous les ambassadeurs, la salle est inaugurée le 7 février 1662 avec Ercole amante et le Ballet des Sept Planètes. L’ouvrage réunit les talents de Francesco Buti, librettiste, de Francesco Cavalli, compositeur vénitien élève de Monteverdi, d’Isaac de Bensérade (16131691), dramaturge choyé par la cour (bientôt remplacé

9. Le fils légitime de Filandre, baptisé le 14 avril 1656, sera

Bourbon, prince de Condé (Henri Liebrecht). 10. Réjouissant

prénommé Louis en l’honneur de son parrain, Louis II de

tout le monde par mille facéties, ce Marigny fut mis en cause


LOUIS II DE CONDÉ

par Molière) et du Florentin Jean-Baptiste Lully (1632-1687) chargé des entrées de ballets : « La première entrée est celle du Roi et de la Valeur, La seconde est celle de la Maison de France avec le Roi, la Maison d’Autriche : l’Hymen est représenté par Monsieur, l’Amour par le duc d’Enghien et la Famille impériale par Mademoiselle […], Après le dernier acte, la première entrée du Ballet des sept Planètes est celle du dieu Mars (le Roi), suivi d’Alexandre (le Prince de Condé), un des preux de la terre […]. La treizième voit Vénus (Mlle Hilaire) et les Plaisirs représentés par le duc d’Enghien […]. »

Son succès, considérable, repose essentiellement sur l’aspect visuel : on adore les ballets, les costumes de Gissey (1621-1673) et la machinerie qui, pouvant élever près de cent personnes à la fois, transporte la famille royale dans les airs avec les artistes du Chœur des Planètes. En revanche, d’une durée de six heures, l’opéra ennuie. Cavalli et les chanteurs regagnent l’Italie. Vigarani, qui sera à Chantilly lors du voyage du roi en 1671, s’impose en France. En mai, Lully est nommé surintendant de la musique de la Chambre du Roi.

Carrousel des 5 et 6 juin 1662 Quelques semaines plus tard, Condé, premier prince du sang, mène l’une des quadrilles du carrousel que Louis XIV, le « Roi-Soleil », a décidé d’organiser les 5 et 6 juin 1662 pour célébrer la naissance du dauphin et… éblouir Mlle de La Vallière. Les travaux, commencés dès le mois de mars (aussitôt après la représentation d’Ercole amante), suppriment le jardin de Mademoiselle situé entre le « Palais des Thuilleries » et l’ancien fossé de l’enceinte de Charles V. Dès le début de l’après-midi du lundi 5 juin, les belles de la cour, au milieu de cet espace (appelé depuis « place du Carrousel ») aménagé par Carlo Vigarani, s’extasient devant la richesse des habits de leurs galants, « la grandeur de leur suite, la galanterie de leurs devises et la différence de leurs couleurs » (Motteville). Le roi, en empereur romain à l’habit d’or et d’argent parsemé de rubis, coiffé d’un casque surmonté de plumes rouges et « avec 30 chevaux de main, 24 pages, 24 trompettes, 4 timbaliers, 48 valets de pied et 100 palefreniers », dirige la quadrille des Romains, la plus prestigieuse des nations qui, au cours du carrousel, devra affronter les « quatre Nations les plus renommées et les plus prestigieuses » du monde. Naguère frondeurs, les « grands » deviendront

ainsi satellites du soleil « dissipant les nuages » que Louis XIV avait choisi comme emblème avec ces mots : Ut vidi vici (aussitôt que j’ai vu j’ai vaincu).

dans une affaire de pain bénit (abbé Lenet à Condé, le 2 juillet

scandale. 11. Loret, Muze historique, lettre xvii, 1er may 1660.

1671). L’affaire, plaidée, ne fut pas poursuivie par peur du

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FIG. 18 Hendrick Bary (1640-1707) d’après Antoon Van Dyck (?). FrançoiseLouise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière (1644-1710). Gravure en taille-douce, épreuve avant la lettre. Chantilly, musée Condé, Est-P-1142


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

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La quadrille des Perses, de couleur incarnat et blanc, est dirigée par Monsieur, « dont la veste toute brillante de rubis, semblait recevoir un nouvel éclat par la bonne grâce de celui qui la portait ». Puis, avec sa livrée bleu et noir, celle « de ces Gens qui riment en Urcs »12 est menée par le prince de Condé, premier prince du sang, « dont la mine guerrière s’accommodait fort bien à la fierté de l’habillement ». Il représente l’empereur des Turcs, avec lequel la France entretient des relations de plus en plus fréquentes ; l’écu de sa devise est « une Planette [sic] avec ce demy vers : crescit ut aspicitur (il augmente selon qu’il est regardé) ». On voit ensuite la quadrille des Indiens dirigée par le duc d’Enghien dont l’écu représente une étoile avec la devise : Magno de lumine lumen (lumière qui vient d’une plus grande) ; la livrée chair, blanc et noir lui confère « un air si grand et si noble, qu’il faisait assez connaître l’illustre Père dont il est sorty, et ce que l’on doit en attendre dans la suite des temps ». Enfin, avec la livrée « verd [sic] et blanc et les peaux de toutes sortes d’Animaux Sauvages » évoquant un pays fabuleux, peuplé de satyres, de licornes et autres peuples ou animaux mythiques, le duc de Guise dirige les sauvages de l’Amérique « avec cette contenance galante et cavalière, qui luy donne tant d’avantage en ces sortes d’occasions ».

d’argent et garny de diamans et de turquoises, paroissoit un croissant de mêmes pierreries, sur une grande enseigne de même soûtenant une masse de plumes bleuës, blanches et noires, desquelles sortoient quatre hérons […]. Le caparaçon de la croupe étoit de satin bleu brodé d’argent et chargé de grands croissans de vermeil doré […]. Sur le front du cheval, qui étoit un grand coursier de Naples blanc, pendoit un grand croissant de mêmes pierreries […]. Tous les crins étoient noüez de roses de rubans de même couleur ». Puis, avec le duc d’Enghien, le spectateur entre dans le monde merveilleux des Indes :

Henri Gissey fait montre d’imagination, d’élégance et de fantaisie. Pour le prince de Condé, il avait choisi une

« [Son] corps étoit de brocart or et noir rebrodé d’argent et semé de diamans […], au col une écharpe d’or […], par-dessous les bras se rejoignoit entre les deux épaules et remontoit […] au derrière du col, chargée de diamans, au bas de chacun desquels pendoit une grosse perle en poire […]. La coiffure étoit un bonnet à l’Indienne, [avec] des plumes feintes de broderie d’or et d’argent qui soutenoient les naturelles jaunes, blanches et noires […]. Le poitral et le caparaçon de la croupe étoient de brocart noir […] et de plusieurs rangs de grosses perles qui tournoient à l’entour des morceaux de broderies d’argent […]. »

« sûveste de satin rouge cramoisy, brodé d’argent, qui se joignoit par devant avec de grosses agraffes de turquoises et de diamans. Les entourneures des épaules de dessus étoient aussi de turquoises et de diamans et celles de dessous de croissans d’argent d’Orfèvrerie. De dessous celles-cy sortoient des lambrequins semez de diamans et de turquoises, enchassez dans la même broderie et étoffe que la sûveste […]. » « Au devant du turban, qui étoit de même étoffe, et environné de bandes de brocart

Aussitôt après le carrousel et les États de Bourgogne, Condé regagne Chantilly où, en dépit d’un dénuement financier tout relatif, il a déjà restauré le pavillon et le jardin de Sylvie, ancien asile de Théophile de Viau. Peinant à obtenir le respect des engagements espagnols, il rêve toujours d’un parc immense agrémenté de pièces d’eau, de fontaines, de cascades, peuplé d’animaux et d’oiseaux. Impatient, il fera appel à André Le Nôtre, le plus illustre des « jardiniers » qui déjà travaille à Versailles pour le roi. À Chantilly, il dirige une équipe de collaborateurs de talent dont La Quintinie (1626-1688),

12. Loret, Muze historique, 13e livre, lettre xxii, 10 juin 1662. 13.

Bonnevie, orfèbre, pour la somme de 2 400 livres » [1680,

Bourdelot à M. le Prince, Paris, 2 juin 1665 (AC). 14. Mgr le

604]. 15. Loret ajoutera : « Là (je ne sçay si c’est baye, / Ou

Prince, parrain de l’enfant de Jacques de Manse baptisé à

si c’est une chose vraye) / On dit que le Roy, mesme, exprés,

l’église Saint-Roch le 12 octobre 1679 [1680, 554], lui fait

/ Se rendit quelque temps après, / Et dans cette Maizon

le 22 février 1680 présent d’un diamant acheté « au sieur

Royale / Le Grand Condé leur fit Régale, / Qui, selon les


LOUIS II DE CONDÉ

créateur du Potager du roi et « habile à la culture des arbres13 ». Le principal maître d’œuvre du Grand Canal, du perron et de la terrasse du Connétable est Daniel Gittard (1625-1688), remplacé par Jules Mansart (1646-1708) le 28 mai 1674. En avril-mai 1676, Jacques de Manse (1625-1703)14, hydraulicien qui a laissé son nom au pavillon de la machine élévatoire (1679), rejoint cette équipe de maîtres d’œuvre dont les travaux d’aménagement du grand parc au nord et de la forêt au sud de « cette maison de Plaisance […] [où] Monsieur le Prince qui s’y plaist, l’a fait de beaucoup augmenter ». L’intérieur du château connaît aussi de nombreuses transformations. Peu à peu, les pièces s’enrichissent d’œuvres d’art, de meubles, tapis, sièges recouverts de moquette ou de maroquin rouge frangé d’or et

d’argent, de glaces, de vaisselle, de flambeaux de vermeil et d’argent… Les travaux vont durer plus de vingt ans, mais la boue des chantiers ne fait pas reculer les invités. Condé rêve de recevoir le roi qui se fait attendre. Son frère, Monsieur le duc d’Orléans, et son épouse, Henriette-Anne Stuart, fille de Charles Ier d’Angleterre, sont parmi les premiers à s’y rendre du 27 au 29 juillet 1662. Rien n’est épargné pour agrémenter leur séjour15. Enchantés, ils reviennent l’année suivante où, selon Loret, Condé se surpassa encore et « à ces deux Altesses Royales, Donna des divertissements À causer de ravissements, Pèche, chasse, danse, musique »16.

Condé, Molière, les « Dévots » et Tartuffe Le 2 mai 1662, Filandre, « comédien de son Altesse sérénissime Monseigneur le prince, gouverneur de notre province […] [a été] autorisé à jouer en cette ville de Dijon ». Condé invite Molière à séjourner à Chantilly du samedi 29 septembre au vendredi 5 octobre 1663 » (La Grange). Il y représente L’École des femmes (1662), la Critique [de L’École des femmes] (1663), Le Prince jaloux ou Dom Garcie (1661), L’École des maris (1661), L’Étourdi (1655), Le Dépit amoureux (1656) et reçoit 1 800 livres. Face aux « Dévots » le prince s’affiche comme protecteur de Molière. Pour assouvir sa rancune, Boursault fait imprimer, en octobre 1663, son Portrait du peintre ou la Contre-Critique de l’École des femmes. Stigmatisant Élomire (anagramme de Molière), la pièce était dédiée au duc d’Enghien car, écrit le dramaturge, « je ne vois point de Protecteur qui soit si Auguste que Vous ». Mauvaise pioche, les Condé – un tantinet provocateurs – accordent un appui public éclatant à Molière : le 16 octobre, ils font jouer L’Impromptu de

Versailles devant le roi. En réplique, Jean Donneau de Visé17 – autre détracteur de Molière – tente, dans sa Vengeance des Marquis ou Réponse à l’Impromptu de Versailles, d’influencer le souverain en lui faisant remarquer que les « ridicules » bafoués par Molière sont les propres courtisans du roi. On échange noms d’oiseaux et calomnies. Troisième larron, en janvier 1664, Antoine-Jacob, dit Montfleury (1640-1685), fils de l’un des acteurs que Molière a également tourné en dérision, riposte par de grossières attaques. Dans son Impromptu de l’Hôtel de Condé, il raille le jeu de Molière dont la « perruque était plus pleine de lauriers qu’un jambon de Mayence ». Un trait particulier était réservé à Madeleine Béjart, l’une des « guenons » de la troupe, dont on voulait, disait-il, « nous faire trouver beaucoup de jeunesse dans un vieux poisson ». Ne désarmant pas, cette cabale des Dévots relancera ses anathèmes lors de la première représentation du Tartuffe en 1664 (version en trois actes).

comuns discours, / Dura, du moins, Plus de deux jours ; / […]

16. Loret, Muze historique, lettre XXXIX « Odorante », 6 oc-

/ Pour, en cette Réception, / Signaler son afection / […]. / Il

tobre 1663. 17. Jean Donneau de Visé (1638-1710) eut la ma-

donna Bal, Chasse et Muzique, / Les grands Comédiens du

lencontreuse idée de se quereller avec Molière, de ne pas

Roy / Eurent, mesme, illec de l’employ. » (Loret, Muze histo-

aimer Racine et d’irriter La Bruyère. Il fonde Le Mercure ga-

rique, livre 8, lettre xxix « Passionnée », 29 juillet 1662).

lant en 1672.

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FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

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FIG. 19 François Chauveau (1613-1676) (d’après Henri Gissey). Le Prince de Condé, Empereur des Turcs dans Charles Perrault, Courses de testes et de bague faites par le Roy et par les princes et seigneurs de sa cour en l’année M.DC.LXII. Chantilly, bibliothèque et archives du château, II-D-028


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FIG. 20 François Chauveau (1613-1676) (d’après Henri Gissey). Le Duc d’Anguien [sic] Roy des Indes dans Charles Perrault, Courses de testes et de bague faites par le Roy et par les princes et seigneurs de sa cour en l’année M.DC.LXII. Chantilly, bibliothèque et archives du château, II-D-028


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

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FIG. 21 École française du xviie siècle. Portrait présumé d’Anne de Bavière, princesse de Condé (1648-1723). Huile sur toile. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon, MV 3555


LOUIS II DE CONDÉ

Pendant cette querelle, on prépare le mariage entre Anne-Henriette-Julie de Bavière, princesse palatine (1648-1723) et Henri-Jules, alors dans sa vingtième année. Le contrat est signé le 10 décembre 1663 au Louvre. Les fiançailles sont bénies par le cardinal Antoine Barberini18. Un divertissement, suivi d’une collation et d’un bal dans l’appartement de la reine, est offert par la troupe et les violons du roi. Le lendemain, le mariage est célébré dans la chapelle du Louvre. Le soir, grande fête à l’Hôtel de Condé où, au cours du souper, le roi sera, suivant le protocole, servi par

le duc d’Enghien, Grand Maître fraîchement marié. Première réponse de Condé à la cabale lancée contre Molière, on rejoue les comédies de L’École des femmes (1662) et La Critique [de L’École des femmes] (1663)19, déjà interprétées à Chantilly quelques mois auparavant et L’Impromptu de Versailles (1663) (La Grange). Le prince accorde une gratification de 400 livres aux comédiens. Ce fut vraisemblablement à cette occasion que Molière écrivit le sonnet Boutsrimés sur le bel-air20 dont la dernière rime « Adieu, grand Prince, adieu ; tenez-vous guilleret » invite le prince à la vigilance.

Tartuffe contre les dévots : match en quatre rounds En dépit des amitiés royales, Condé, « guilleret », n’a aucune envie de quémander des faveurs. Sa seule préoccupation est de faire valoir les qualités de son fils21 qu’il envoie participer aux Plaisirs de l’île enchantée que, pour inaugurer le nouveau Versailles, le roi voulait donner à la reine et à toute la cour. Secrètement destinées à Mlle de La Vallière, ces festivités commencent le 7 mai et « continuées plusieurs autres jours » (du 7 au 13 mai 1664). Joutes, course de bague, carrousel, collations, festins, comédie, danse, musique, feux d’artifice et autres fêtes galantes sont inspirés par un épisode du Roland furieux de l’Arioste remis à la mode par les Précieuses : le double charme de la beauté et du savoir de la magicienne Alcine doit retenir Roger et ses preux chevaliers dans son palais. Aux côtés de Le Nôtre et de Carlo Vigarani, « fort savant dans le domaine des fêtes galantes […] », Lulli fit jaillir ses fanfares triomphales.

« Roland fera bien loin son grand nom retentir, La gloire deviendra sa fidèle compagne, Il est sorti d’un sang qui brûle de sortir Quand il est question de se mettre en campagne, Et pour ne vous en point mentir, C’est le pur sang de Charlemagne », le char d’Apollon (dix-huit pieds de haut, vingt-quatre de long et quinze de large, éclatant d’or et de diverses couleurs) s’avance en compagnie des « douze Heures du jour et des douze Signes du Zodiaque [qui], habillés fort superbement […] marchaient en deux files aux deux côtés de ce char […]. Tous les pages des chevaliers deux à deux (après celui de Monsieur le Duc), entrèrent dans la lice. Le roi s’avançant au milieu, prit sa place vis-à-vis du haut dais […] puis la course de bague commença ».

Le premier jour (7 mai), Roger, représenté par le roi, défile avec ses vaillants chevaliers habillés et armés « à la grecque ». Arrive ensuite Roland (Monsieur le Duc) qui, avec sa devise Certo ferit (« il frappe à coup sûr »), porte une livrée couleur de feu, blanc et argent avec un grand nombre de diamants attachés sur la broderie de sa cuirasse. Pendant que l’on proclame ces quelques vers de louange :

Le deuxième jour, la nuit venue, on joue La Princesse d’Élide ; puis le 12 mai 1664, la comédie en trois actes de Tartuffe que Molière avait écrite contre les hypocrites rencontrés à Paris ou dans l’entourage du prince de Conti. En raison même de son vif succès, elle déclenche une violente cabale menée conjointement par la reine mère et le « parti dévot22 ».

18. Antoine Barberini (1607-1671), neveu d’Urbain VIII, arche-

lettre du 11 janvier 1664 à Marie-Louise de Gonzague, reine

vêque, duc de Reims, cardinal et Grand Aumônier de France.

de Pologne. 22. En France, exaltant aussi bien le mysticisme

19. Loret, Muze historique, lettre XLIX « Nuptiale », 15 dé-

et le rigorisme que la piété aimable et mondaine des puis-

cembre 1663. 20. Sonnet publié pour la première fois dans

sants, la Compagnie du Saint-Sacrement est fondée en 1629

l’édition de 1682 de la Comtesse d’Escarbagnas (les rimes

par le duc de Ventadour, neveu de Charlotte-Marguerite de

avaient été fournies par le prince de Condé). 21. Condé,

Montmorency, dont le fils, prince de Conti, est un chaleureux

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FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Cinq jours plus tard, le 17 mai, la pièce est interdite par le roi dont on connaissait « son extrême délicatesse pour les choses de la religion ». Condé qui avait déjà pris la défense de Molière devant le roi23, s’engage à nouveau pour le soutenir et s’opposer au modèle moral que les « Dévots » voulaient construire et protéger. Ainsi, le prince, appréciant la présence et la conversation de la princesse palatine24, toujours outrée des excès de dévotion, fait inviter discrètement Molière dans le grand salon du château du Raincy, maison de plaisance achetée par la princesse en septembre 1663 :

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« Monsieur mon père […] voudrait avoir Molière pour y jouer la comédie des Médecins et l’on voudrait aussi y voir Tartuffe. Parlez-lui en donc pour qu’il tienne ces deux comédies prêtes et s’il y a quelques rôles à repasser qu’il les fasse repasser à ces [sic] camarades. S’il en voulait faire quelques difficultés, parlez-lui “d’une manière qui lui fasse comprendre que Monsieur mon Père et moi en avons bien envie et qu’il nous fera plaisir en cela et de n’y point apporter de difficultés”. Si le quatrième acte de Tartuffe était fait, demandez-lui s’il ne le pourrait pas jouer. Et ce qu’il faut lui recommander particulièrement c’est de n’en parler à personne et l’on ne veut point que l’on sache devant que cela soit fait. […] N’en parlez du tout qu’à Molière […]. Je vous prie de me faire savoir la réponse de Molière25. » Cette représentation « confidentielle » est jouée en cinq actes le 29 novembre 1664 (La Grange). Le prince présente quelques suggestions ; le quatrième acte est remanié. Gratifiée, comme la première, de la somme de 1 100 livres, la seconde représentation est donnée au Raincy le 8 novembre de l’année suivante en 1665.

Le 5 août 1667, alors que le roi est aux armées, on joue Tartuffe en plein Paris. La recette de 1 890 livres est exceptionnelle. Les Dévots réagissent immédiatement. Redonnons la parole à La Grange : « Le lendemain, 6 août, un huissier de la Cour du Parlement est venu de la part du premier Président M. de la Moignon [membre de la Compagnie du SaintSacrement] deffendre la pièce. Le 8me [d’août], le Sr de la Torilière et moy De la grange sommes partis de Paris en poste pour aller trouver le Roy au sujet de la deffence. S. Mté était au siège de l’Isle en Flandre où nous fusmes très bien reçus. Monsieur nous protégea à son ordre et Sa Mté nous fit dire qu’à son retour à Paris il ferait examiner la pièce de Tartuffe et que nous la jouerions après quoi nous sommes revenus. Le voyage a cousté 1 000 livres à la Troupe. La Troupe n’a point joué pendant notre Voyage et nous avons recommencé le 25me de Septembre Dimanche par le Misantrope. » Le 11 août, l’archevêque de Paris, ancien précepteur royal, défend « à toutes personnes de voir représenter, lire ou entendre réciter la comédie nouvellement nommée l’Imposteur, soit publiquement, soit en particulier, sous peine d’excommunication ». Bravant toutes ces condamnations, la pièce est reprise à Chantilly où, le 20 septembre 166826, Philippe d’Orléans, frère du roi, et son épouse sont venus se divertir et goûter du fruit défendu. Prudemment Robinet écrira : « Le grand Condé leur fit chère, Je vous assure, tout entière, Et Molière y montra son nez. C’en est, je pense, dire assez. »

défenseur. Dans ce climat de ferveur religieuse, deux clercs

leur construira sur les bords de la Seine, face au Louvre,

réguliers théatins, ordre créé en 1524 par Gaétan de Thiene

l’église Sainte-Anne-la Royale dans laquelle la musique, exerçant

(1480-1547), acteur vigoureux de la Contre-Réforme, arrivent

un rôle essentiel dans l’attrait exercé sur le public courtisan,

à Paris en août 1644. Mazarin les accueille avec prudence car ils

annoncera le proche développement du « grand motet

sont sujets de l’Espagne contre laquelle il fait la guerre. En re-

versaillais ». 23. Le roi, après la représentation de la pièce

vanche, Anne d’Autriche et Charlotte-Marguerite « princesse

Scaramouche ermite, aurait dit à Condé : « Je voudrais bien

sérénissime, mère des Condé, principale protectrice de notre

savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comé-

Ordre et extrêmement attachée au Bienheureux Gaétan », leur

die de Molière ne disent mot de celle de Scaramouche. » Le

accordent protection et soutien financier (Joseph Silos,

prince rétorqua avec franchise : « La raison de cela, c’est que

Historiarum clericorum reguliarum, pars tertia, Palerme,

la comédie de Scaramouche joue le Ciel et la religion, dont

1666, p. 298). Plus tard, en 1661, grâce au legs de Mazarin, on

ces Messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les


LOUIS II DE CONDÉ

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FIG. 22 Pierre Mignard (1612-1695). Portrait de Molière, vers 1658. Huile sur toile. Chantilly, musée Condé, PE 313

Enfin, cinq années après son interdiction, la pièce que La Grange nomme L’Imposteur ou Tartuffe, est autorisée le mardi 5 février 1669. La première a lieu le jour même au Palais-Royal. Affluence

record, la recette est de 2 860 livres. Jouée 32 fois avec un égal succès jusqu’au 9 avril27, elle marque la fin du quatrième « round » gagné par Molière et Condé.

joue eux-mêmes : c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. » (Cette

est la mère d’Anne-Henriette de Bavière qui vient d’épouser

anecdote sera rapportée dans la préface de l’édition du Tar-

Henri-Jules, duc d’Enghien. Elle ne doit pas être confondue

tuffe, le 23 mars 1669 après la levée de la censure). Selon

avec sa nièce, Charlotte-Élisabeth de Bavière, dite « Liselotte »,

Voltaire, la pièce Scaramouche aurait été sans intérêt si elle

seconde princesse palatine qui, en secondes noces, épousera

n’eût été licencieuse ; entre autres situation indécente, on y

Monsieur, Philippe d’Orléans, veuf d’Henriette-Anne Stuart.

voyait un moine monter par une échelle à la fenêtre d’une

25. Lettre du duc à Ricous pour Molière (1664). 26. Cette

femme mariée et y reparaître plusieurs fois en disant :

représentation fut rétribuée 1 100 livres (La Grange). 27. La pièce

« Questo per mortificar la carne. » 24. Anne de Gonzague de

est jouée 55 fois en 1669.

Clèves (1616-1684), princesse palatine, fille de Charles de Gonzague, duc de Nevers et de Mantoue, et de Catherine de Lorraine. Sœur cadette de Marie, reine de Pologne, elle


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

De Molière à « Philandre »

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FIG. 23 Pierre Daret (1604 ?-1678). Philandre suivant la permission de l’édit. Gravure sur cuivre. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, Rés. QB-201 (28)-F°

C’est le 14 août 1665 à Saint-Germain que le roi avait dit à Molière « qu’il voulait que [sa] troupe dorénavant lui appartint et la demanda à Monsieur. Sa Majesté donna en même temps six mille livres de pension à la Troupe qui prit congé de Monsieur, lui demanda la continuation de sa protection et prit le titre La Troupe du Roi » (La Grange). Sa complicité amicale avec Molière ne pouvant qu’être affectée par la dépendance du fondateur de l’Illustre Théâtre avec le pouvoir royal, Condé accorde alors son patronage à Jean-Baptiste Monchaingre, dit Philandre° (1616-1691), déjà rencontré à Bruxelles. Chef des premiers comédiens du prince de Condé, sa troupe, parmi les douze à quinze troupes de province existant à l’époque, est la seule – avec celle de la Béjart (Molière) – qui, dans les Historiettes de Tallemant des Réaux, « a aussy de la réputation ». Il dut réussir car Jean Daret (ca 1613-1668) lui fit l’honneur de graver son portrait. En habit de théâtre, Daniel Couturier nous le décrit « bien campé, le visage encadré de cheveux bouclés, orné d’une moustache et d’une barbe en pointe, à la mode de l’époque. Élégant seigneur, il porte chapeau à plumes, col en dentelles, l’épée au côté, le manteau sur le bras ». En juin 1649, nous le retrouvons à Utrecht dans la troupe de comédiens français entretenus par Guillaume II, prince d’Orange-Nassau. La mort de son protecteur, le 26 octobre 1650, le met en grande difficulté. Il se replie à Bruxelles puis à Gand avant de rallier La Haye d’où, sur ordre, il va distraire Claire-Clémence arrivée à Valenciennes depuis le 18 septembre 1653. En avril 1655, sa troupe trouve une nouvelle protection en la reine Christine de Suède. Le 9 avril 1656, les registres de la paroisse de Sainte-Gudule de Bruxelles font état de la présentation du fils légitime de « Johan Mouschingre et Demoiselle Angélique de Manée [sic] » qui, baptisé le 14 avril suivant, est prénommé Louis en l’honneur de son parrain, Louis II de Bourbon, prince de Condé (Liebrecht).

28. Le Registre de La Grange est explicite : « Deux mois

Campagne Mr et Mlle de Beauval pour une part et demye à la

après [Pâques], Mr de Molière manda de la mesme troupe de

charge de payer 500 lt de la pension dudit Sr Béjard et 3 lt


LOUIS II DE CONDÉ

Ayant abdiqué, Christine de Suède quitte Bruxelles pour gagner Rome, via Paris et Chantilly où elle passe en septembre 1656. Privé de son soutien, Philandre décide alors de repartir en Hollande. Il est à La Haye le 1er octobre 1657. C’est vraisemblablement au cours de ce séjour en Hollande qu’il recueille une orpheline de dix ans que Ricord fait naître vers 1647 ; trouvée abandonnée, elle s’appelle Jeanne-Olivier Bourguignon°. Sa vivacité lui plaît ; il en prend un soin particulier et, croyant reconnaître en elle du talent pour le théâtre, lui fait jouer quelques petits rôles dont elle s’acquitte fort bien (Lemazurier). Philandre regagne la France. À La Rochelle, par acte notarié du 17 novembre 1659, il fonde une troupe qui, avec sa femme, « sa fille adoptive » et Michel Du Rieu, réunit des comédiens chevronnés comme Raymond Poisson, dit Belleroche, et Henri Pitel, sieur de Longchamp, ancien comédien de la troupe de la Grande Mademoiselle. Après Lyon en 1661, ils sont à Dijon où, par délibération du Conseil de la ville en date du 2 mai, il est permis aux « comédiens de son Altesse Sérénissime Monseigneur le prince gouverneur de notre province [de jouer] à commencer de dimanche prochain après les vespres ». On les retrouve à Nantes puis à Rennes. Philandre, comédien reconnu, tire profit de ses voyages pour acquérir le domaine de La Brosse, près de Brissac, dans la commune de Quincé où son fils Louis est « sépulturé le 7ème jour de May 1664 ». De Chantilly, il se rend à Dijon puis à Lyon en fin d’année 1665. Durant ce séjour lyonnais, JeanneOlivier Bourguignon, tout juste âgée de dix-huit ans, épouse Jean Pitel°, sieur de Beauval dont elle est follement amoureuse. Son père adoptif, Philandre, s’étant opposé à son mariage avec un moucheur de chandelles, elle se rend à l’église et

FIG. 24 École française du xviie siècle. Portrait de Jeanne-Olivier Bourguignon, dite Mlle de Beauval. Huile sur toile. Paris, bibliothèquemusée de la Comédie-Française, I 257

cache Beauval sous la chaire à prêcher. À la fin du prône, le curé ne s’attendant pas à être témoin malgré lui, elle déclare à haute voix, en présence de tous les fidèles présents, qu’elle prend Beauval pour époux ; celui-ci sort de sa cachette et déclare qu’il se marie à la demoiselle Bourguignon. Après cet éclat, on fut bien forcé de les marier. Après dissolution de la troupe en 1677, ils sont, deux mois après Pâques 1670, « mandés » par Molière pour entrer dans la Troupe du Roy. Célèbres, on les appelle Beauval et Mlle Beauval28.

RETOUR EN GRÂCE (1667-1671) Condé, attristé par la mort, le 10 mai 1667, de son amie Marie, reine de Pologne, goûte enfin la vie familiale. Henri-Jules, duc d’Enghien, malgré son

caractère emporté, brutal ou hautain et ses humeurs qui le conduisent à se croire lièvre, plante, loup ou chauve-souris, devient le « parfait courtisan ».

chaque jour de représentation à Chasteauneuf gagiste de la

une lettre de cachet leur ordonnant de regagner Paris pour

trouppe. » (p. 112). Le 31 juillet 1670, les Beauval reçoivent

entrer dans la Troupe du Roy au Palais-Royal.

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FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Le 21 février 1667, on le voit par exemple « à costé de son Altesse Royale, superbement habillé en Indien et monté à l’avantage » pour la course organisée à la fin du carnaval de Versailles. Détente princière rapidement interrompue car Louis XIV, excipant de son droit de Dévolution, voudrait hériter de son beau-père, Philippe IV d’Espagne, décédé le 17 septembre 1665. Le 2 février 1668, Condé, jusqu’alors au « chômage technique »,

conquiert la Franche-Comté (sous tutelle espagnole). Guerre inutile. Face à la Triple-Alliance (conclue en janvier 1668 entre l’Angleterre, les ProvincesUnies et la Suède), le traité d’Aix-la-Chapelle signé le 2 mai 1668 restitue la Franche-Comté à l’Espagne et ne donne à Louis XIV que les douze places conquises par Turenne en Flandre dont Lille, Tournai, Douai, Charleroi et Armentières.

Henri-Jules, génial enchanteur

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En moins d’un an, Jean Hérault de Gourville, surintendant « des maisons et des affaires de Monsieur le Prince », solde les comptes du prince avec l’Espagne29. Condé, libéré de son cauchemar financier, ouvre l’ère des grandes fêtes de Chantilly. Le premier invité de marque est Jean II Casimir Vasa (1609-1672). Ex-roi de Pologne, ancien jésuite et cardinal, veuf de Louise-Marie Gonzague de Nevers (1611-1667), il est le père adoptif d’Anne de Bavière. «  Fatigué des embarras du gouvernement  » (Voltaire) et voulant vivre heureux, il abdique en septembre 1668. Du 13 au 17 octobre, Henri-Jules et le prince de Condé lui offrirent, chaque soir à Chantilly, des banquets somptueux, la comédie italienne du fameux et célèbre Arlequin, Biancolelli°, la musique, les jeux et, la journée, des parties de chasse au loup, au cerf, au sanglier ou de longues promenades dans le parc. Ces quatre jours, remplaçant les divertissements de l’hôtel parisien, contiennent déjà tous les ingrédients des futures fêtes « cantiliennes » pour lesquelles Henri-Jules possédait un génie particulier30. Gourville précise : « Monsieur le Duc, qui a plus d’imagination que personne au monde, proposait toujours des choses nouvelles et Monsieur le Prince, quoiqu’elles dussent coûter, les faisait exécuter31. » Soutenues par l’affabilité du Grand Condé qui « aime extrêmement la dispute et n’a jamais tant d’esprit que quand il a tort » (La Fontaine), elles favorisent l’émergence d’une cour princière

autonome. Éloignée de la raideur du protocole, « la beauté du lieu, la chasse, le jeu, la musique, la comédie, les promenades s’y trouvaient en abondance » (Lefèvre d’Ormesson). Sans grand apparat, Louis XIV s’y arrête au printemps 1670 pour, au passage, prendre le prince dans son carrosse et faire ensemble la tournée des places de Flandre et d’Artois. Lors de son retour, Condé apprend la mort de son premier petit-fils décédé le 5 juillet 1670. Affligé, il confie le gouvernement de la Bourgogne à son fils Henri-Jules. Suprême détresse. Claire-Clémence, se sentant disgraciée, se tient à l’écart de la vie du prince. On ne la visite plus. Sa tendance au mysticisme et à la pieuse mélancolie accentue cet isolement. Le 13 janvier 1671, on apprend qu’elle vient d’être sérieusement blessée au cours d’une rixe à laquelle l’un de ses valets avait pris part. Les rumeurs attribuent cet incident à un « faux pas » dont les raisons ne seront jamais clairement élucidées. Le prince demande au roi le châtiment du coupable qui, en blessant la princesse, avait commis un crime de lèse-majesté ; il lui demande également une lettre de cachet pour ClaireClémence. Le 15 janvier, il envoie son fils, le duc d’Enghien, auprès d’elle pour lui dire que, par décision royale, elle est exilée dans le duché de Châteauroux. Selon la volonté de Condé, elle ne conserve que l’usufruit de ses biens que, sur-lechamp, elle donne en totalité à Henri-Jules.

29. Il restait encore à verser 500 000 livres qui seront réglées

dans son château de Sceaux. 31. Ces choses « nouvelles »

jusqu’en 1679. 30. Cette tradition sera reprise un peu plus

finirent par se monter à plus de deux cent mille livres par an

tard par la duchesse du Maine, petite-fille du Grand Condé,

(Gourville). 32. Carlo Vigarani, le 1er mai 1671 à Laure Martinozzi,


LOUIS II DE CONDÉ

« Monseigneur, votre bonté m’achève » (Vatel, 24 avril 1671) Quelque trois mois plus tard, Louis XIV, pour honorer Monsieur le Prince et montrer à tous qu’il était revenu dans ses bonnes grâces, décide de venir passer trois jours à « sciantigli [Chantilly], casa di delicie del Sig. Di Conde » (Vigarani)32. Il y entraîne la reine MarieThérèse, Monsieur et la cour. Enjeu particulièrement important, Condé, dont la maison compte environ cinq cents personnes, ne néglige aucun détail pour éblouir son royal visiteur et les quelque deux mille personnes qui, « con grandezza e generosita », vont être ses hôtes du 23 au 25 avril 1671. Le soin de recevoir tout ce beau monde, « banqueti tavole aperte », est confié à Fritz Karl Watel, dit François Vatel, un ancien de la maison Fouquet, en disgrâce comme son maître depuis l’affaire de Vaux-le-Vicomte. On aménage toutes les pièces du château, on réquisitionne les maisons des villages avoisinants, on prend diverses mesures pour nourrir les équipages, le personnel, les domestiques et les chevaux qui font partie du cortège royal et, pour la cour, on dresse des tentes sur les pelouses pour abriter une soixantaine de tables. Avant d’entreprendre la tournée d’inspection des armées en Flandre, le roi et toute la cour arrivent donc le soir du 23 avril. « À la tête d’une importante troupe de personnes de qualité et de Noblesse des plus brillantes et des plus lestes », le prince et son fils, le duc d’Enghien, les attendent à l’entrée de la forêt de Chantilly. Entrés « en un petit bois, appelé Bois des Canaux, qui est des plus agréables par les eaux qu’on y voit serpenter de toutes parts, formant un nombre infini de petits ruisseaux, dont le murmure est des plus gracieux […] l’Ouïe avait un régal des plus ravissants d’un Concert de Voix qui se firent entendre d’un autre Cabinet, appelé le Cabinet des Peintures et qui n’est embelli que de Chefs d’œuvres des plus habiles Pinceaux. « Ces belles Voix répétaient un Air du dernier Ballet du Roy, où Vulcain animait les Cyclopes à travailler, en diligence, à des Vases d’or destinés à l’enrichissement du Palais que l’Amour faisait préparer pour Psyché ;

duchesse de Modène (courrier inédit aimablement communiqué par Jérôme de La Gorce qui en avait signalé l’existence (sans références) dans son ouvrage Carlo Vigarani, intendant

et l’on eût dit que ce même Air était employé là, pour exciter l’Art et la Nature, à joindre leurs beaux efforts, pour les plaisirs du Monarque. « Il semblait […] [que] les eaux, les fleurs […] joignaient tous leurs agréments à la Symphonie des Violons et des Musettes à laquelle tous les Oiseaux des Bois vinrent, aussi, mêler leurs ramages ». Ainsi, sur les conseils de Vigarani, Condé n’a pas hésité à reprendre l’un des épisodes phares du spectacle joué par des cyclopes et des fées de la tragédie-ballet Psyché (Lully) récemment présentée le 17 janvier 1671 aux Tuileries » (La Grange). Ce conte, proposé par Molière, inspiré du mythe créé par Apulée dans son poème L’Âne d’Or, avait été remis à la mode dans Les Amours de Psyché et de Cupidon de La Fontaine. Offrant de magnifiques divertissements, on y avait vu – aux Tuileries – violons, théorbes, luths, clavecins, hautbois, flûtes, trompettes et timbales être transportés dans les airs… Hommage au roi. « Tout ce qu’il y a de musique, de violons et de joueurs d’instruments » (Gourville) est venu de Paris : dans cet intermède de clôture du second acte, Vulcain, représenté par Chicanneau°, maître à danser, exhorte avec force six cyclopes et quatre fées à achever sans délai quatre vases d’argent destinés au palais que l’Amour destine à Psyché : « Dépêchez, préparez ces lieux Pour le plus aimable des Dieux ; Que chacun pour lui s’intéresse. N’oubliez rien des soins qu’il faut : Quand l’Amour presse, On n’a jamais fait assez tôt. » Enfin, le souper est « servi avec une abondance prodigieuse de Viandes, les plus exquises, ainsi qu’avec une magnificence […] et une somptuosité extraordinaire ». Leurs Majestés et Monsieur prennent place à la table qui leur est réservée. La seconde est tenue par le prince de Condé, la troisième par le duc d’Enghien et la quatrième

des plaisirs de Louis XIV, édité en 2005).

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FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

par le duc de Longueville, beau-frère de Condé. Les autres seigneurs et dames de la cour se répartissent autour des autres tables. Leur nombre varie selon les sources. La Gazette parle de soixante tables, madame de Sévigné mentionne vingt-cinq tables fixes et une infinité d’autres, Gourville indique simplement que l’on « avait fait mettre une quantité de tentes sur la pelouse de Chantilly […] et encore plusieurs tables que l’on servait à mesure qu’il y avait des gens pour les remplir » si bien que, en raison de la présence de quelques dîneurs inattendus, il y en eut quelques-unes où le rôti manqua. Après ce repas, on tira le premier grand feu d’artifice :

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« Les ombres commençaient à faire place, de tous côtés, à la lumière […]. L’Orient paraissant en un lieu appelé le port de la Gerbe, on vit en sortir l’Aurore sur un nuage d’or […] accompagné de douze amours […] [puis] le tintamarre de quatre cents boîtes annonça la venue du soleil […] [qui] sortit du fond, environné de cent fusées volantes, sur un char des plus brillants, attelé de quatre chevaux, tous en feu […]. Ce spectacle qui dura plus de deux heures […] termina, enfin, les plaisirs de cette première journée. « Le lendemain, [les plaisirs] de la Pesche, de la promenade et de la chasse succédèrent aux premiers […]. Après le déjeuner, la Cour s’embarqua sur le Grand Canal qu’elle traversa […], un buffet dressé entre les arbres qui semblaient courber leurs rameaux pour en former une couronne à l’or, à l’argent […]. Ce régal était accompagné d’un charmant concert de Violons, de Haut-Bois, dont tous les accords étaient fidèlement répétés par les Échos en sorte qu’ils semblaient former un autre Concert en faveur de tous les lieux d’alentour. » Peu de chroniqueurs firent état du geste fatal de Vatel. Qu'en retenir ? Selon la longue relation épistolaire de madame de Sévigné des 24 et 25 avril, « voyant […] que la marée n’était point arrivée », Vatel se poignarde le matin du vendredi 24 avril : « Vous pouvez penser [à] l’horrible désordre qu’un si terrible accident a causé dans cette fête. Songez

que la marée est peut-être ensuite arrivée comme il expirait. Je n’en sais pas davantage […]. Je ne doute pas que la confusion n’ait été grande, c’est une chose fâcheuse à une fête de 50 000 écus ». Bien que la dépense, énorme, ait mérité d’être louée, les témoignages, en dehors de celui de Carlo Vigarani, inédit, et de madame de Sévigné, fort connu, sont rares. Pour montrer que ces journées ont été parfaites, la Gazette de France du 8 mai 1671 n’évoque que les réjouissances et les festivités offertes au roi. La cour ne pleura guère. Louis XIV et Condé, admettant qu’il avait de « l’honneur en sa manière », lui octroyèrent un brevet d’honneur domestique. Sur place, Gourville prit le relais et « l’on mangea comme si un grand deuil n’était pas inopinément tombé sur la cuisine ». L’étiquette, interdisant au roi de demeurer dans la maison d’un mort, la dépouille fut, le jour même, emmenée à Vineuil-Saint-Firmin où, sur le registre paroissial, le curé porta cette brève mention : « [vendredi] 24 avril, a été amené ici dans un carrosse de Monseigneur le prince de Condé le corps de M. Vatel, contrôleur général, pour être inhumé dans le cimetière par l’ordre que m’en ont apporté messieurs ses officiers qui ont signé pour ma décharge. » En fait, peu d’éléments relatent les mobiles de ce « hara-kiri » fatal. Contrairement à madame de Sévigné, Vigarani ne fait état que de « quelque pagaille dans le service des tables ». D’un autre côté, Bussy-Rabutin, qui n’aime guère Condé, écrit que « la marée n’étant point arrivée dans le temps que le roi demanda à manger, M. le Prince se mit en grande colère contre Vatel, son maître d’hôtel, qui, de regret s’alla poignarder, et, pour ce sujet, le roi y resta un jour de moins qu’il n’eût fait ». La Grande Mademoiselle confirme le récit : « Nous séjournâmes à Chantilly où il arriva un tragique accident. Un maître d’hôtel […] qui était en réputation d’être très sage, se tua parce que M. le Prince s’était fâché d’un service qui n’était pas arrivé à temps pour le souper du Roi. » En résumé, Vatel devait régaler un vendredi, jour maigre. Or, au xviie siècle, l’approvisionnement en marée reste l’une des branches les plus périlleuses du ravitaillement alimentaire. Vatel a dû


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l’organiser lui-même car les clauses consenties par les pourvoyeurs excluent de leurs obligations les festins que le prince offre au roi ou aux membres de la famille royale, ce qui est le cas. Les glacières n’étant encore utilisées que pour conserver ou rafraîchir les fruits et légumes, Vatel devait donc s’en remettre aux arrivages du matin même. C’était un choix risqué car la conduite des chasse-marée est soumise à l’état d’entretien du réseau routier. Ceux, attendus à Chantilly vers trois ou quatre heures du matin, voyageaient de nuit et le plus souvent ventre à terre dans des chemins qui, pouvant se transformer en bourbiers, ralentissaient la progression. De toute évidence, les conditions de transport furent très mauvaises. Mme de Sévigné, note d’ailleurs que le beau

temps qui s’installa sur Chantilly le jeudi matin « succédait à des pluies épouvantables ». Puis le roi part inspecter les places du Nord. Dans un voyage que Gourville appelle la « campagne des brouettes », le souverain, cahotant sur les mauvaises routes, emporte dans sa suite les musiciens de la Chambre. À Dunkerque, ils se joignent aux trompettes, fifres, hautbois, cromornes et tambours des régiments de la région. Le 18 mai, le spectacle de Psyché est grandiose. Les sept cents tambours retentissent aux incantations de Mars ; une salve de quatre-vingts pièces d’artillerie éclate lorsque tombe le dernier accord. Condé, aux côtés du roi, écrit de Dunkerque qu’il avait « tous les sujets du monde de [se] louer des bontés que Sa Majesté a pour [lui] ».

Dans les plaines inondées des Provinces-Unies… Dès le 12 mai 1672, Louis XIV, décidé à envahir la Hollande, met ses armées en marche. Condé, résolu à confier une nouvelle troupe de comédiens à Michel Du Rieu°, n’a guère le temps de jouir du calme hivernal à Chantilly auprès de ses quatre petits-enfants : Marie-Thérèse (Mlle de Bourbon), Louis III (duc de Bourbon), Anne (Mlle d’Enghien) et le jeune nourrisson Henry (comte de Clermont). Le 3 avril 1673, il prend le commandement de l’armée assemblée du côté d’Utrecht où, arrivé le 2 mai, il est retenu par un douloureux accès de goutte. Guillaume d’Orange ouvre les écluses pour contrer la progression des armées royales. Les eaux du Zuiderzee déferlent sur le pays et transforment Amsterdam en une île et toute la région en marécages. À la mi-juin, son poignet ayant été fracassé par un coup de pistolet lors du passage du Rhin et « appréhendant de n’être pas si tôt guéri33 », il vient en convalescence à Chantilly mais, en septembre, les Français, empêtrés dans les terrains inondés, risquent d’être encerclés. Condé quitte Chantilly le 28 octobre pour rassembler une armée sur la Moselle où elle prend ses quartiers d’hiver. « Le pays paraît une mer, le temps est exécrable, il pleut tous les jours et le vent

33. Condé au duc de Hanovre le 9 juillet 1672. 34. Condé à Louvois, lettres des 6 et 7 juin 1673 (AC).

est contraire », écrit-il à Louvois en juin 167334. Henri-Jules, qui l’accompagne, confirme qu’il habiterait volontiers un lieu stérile et sec. Le 3 juin, l’abbé Lenet, « honnête homme, d’une grosseur monstrueuse, plein d’esprit et d’agrément, d’excellente compagnie », reprend sa prose par les anecdotes de sa « pastorale de la peur » propres à préparer les esprits à la révocation de l’édit de Nantes : « M. de Sens, ayant […] convoqué un synode, commanda à tous les Curés […] de lui apporter le nombre de tous les blasphémateurs, jurognots [?], ennemis irréconciliables, et surtout de toutes les filles qui auraient été engrossées et de toutes les femmes adultères de leurs paroisses : [et] leur ordonna d’excommunier ces dernières et de ne les point recevoir qu’auparavant elles n’eussent fait une pénitence publique à la porte de l’église. On dit que le pape [Clément X (1590-1676)] a eu une révélation qu’il n’y a eu que quatre personnes qui ont gagné le dernier jubilé et que depuis sept ans il n’y a eu que deux personnes qui sont entrées en paradis. »

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FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Condé veut de la comédie Ainsi soit-il ! Maëstricht tombe le 30 juin. Condé se retire à Utrecht dont la vie austère contraste avec l’ambiance joyeuse de Cologne où se tient la conférence de la paix. À Courtin et Barillon, plénipotentiaires français qui viennent de lui écrire « que […] Nanette [Anne Pitel de Longchamp] qui se vante d’être filleule de V. A. S., le dispute sur le théâtre à la Champmeslé », il avoue les « envier beaucoup [du] plaisir que vous avez de la Comédie […]. Je vous offre au moins mes bons offices auprès de Nanette sur qui je me vante d’avoir quelque pouvoir, mais je crains qu’elle ne sache bien faire la différence entre deux assez vieux plénipoten­tiaires et un fort jeune Secrétaire d’Estat35 ».

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Condé, contrarié par les ordres du roi qui lui commande de s’installer à Lille, suggère à Gourville de lui envoyer une troupe de comédiens. Gestionnaires attentifs des plaisirs princiers, les plénipotentiaires de Cologne proposent galamment à Mgr le Duc – pour ce qui concerne les dames de Lille – « d’honorer de quelques attouchements madame d’Oual, la petite de Gaulants ; de coqueter avec Mlle Aulain ou de dire quelques petits mots à Janneton Laisnel36 ». Le fils [Enghien] comblé, reçoit quelques jours plus tard les compliments de ces « connaisseurs » qui, « aux belles dents, aux petits pieds bien tournés et à la coiffure avec des fleurs, ont reconnu notre petite amie Mlle de Gaulants […] [mais], comme les généraux d’armées prennent plusieurs plans pendant une campagne, nous ne doutons pas que Son Altesse Sérénissime n’en use de même avec les dames de l’Isle [sic] […]. Cela serait beau si la vie n’était point si courte et si toutes les femmes étaient aussi fidèles que celles qui sont honorées de leurs regards37 ».

Condé clame sa déréliction : « Notre occupation n’est que d’aller tous les jours à la Comédie et au bal […]. Enfin jamais dans la paix la plus profonde nous n’avons été si oisifs que nous le sommes présentement38. » À Chantilly, écartant les importuns, courtisans, artistes et poètes qui, réclamant la permission de chasser dans l’un des plus beaux domaines princiers, y usent, comme Boileau, beaucoup de poudre pour effrayer le gibier39, Gourville gère la renommée de « ses patrons » absents et leur avoue en jouir avec félicité : « Plust à Dieu que vos Alt. y fussent pour se divertir ; Madame la duchesse, Mlle de Bourbon, M. le Duc et M. le Comte sont, Dieu merci, en très bonne santé. Nous avons icy [Louis-Charles] Porion° et d’Ardelles [Jacques Hardel°] qui font des merveilles avec le luth et le clavessin40. » Début janvier 1674, Condé est en Flandre. Louis XIV, mal informé, décide d’ouvrir la campagne par la reconquête de la Franche-Comté. Le duc d’Enghien y fait merveille. « On ne cesse de lui donner des éloges41 » : Besançon capitule le 12 mai, la citadelle quelques jours plus tard. Turenne fait face aux Impériaux sur le Rhin et Condé, à peine convalescent, verrouille la Flandre. Peu lui chaut alors que, le 7 juin à ce moment-là, Gourville lui fasse part de l’absence de « Madame Scarron [qui] devait dîner au Pavillon [avec lui et] avec M. le Cardinal de Retz, […] madame de Grignan, madame de Lafayette et l’abbé Testû [car] elle avait reçu ordre le jour précédent d’aller à Versailles avec la famille42 » ou que l’abbé Lenet, dans un autre courrier, lui annonce l’entrée au Carmel de Mme de La Vallière et de ses difficultés à « supporter l’austérité de la religion ; elle a les jambes enflées, les pieds écorchés et ne se porte pas bien43 ». Les soucis du prince sont d’une autre nature : ses forces sont d’un tiers inférieures à celles de ses adversaires. Renonçant à l’affrontement direct, il culbute l’arrière-garde de la lourde armée des coalisés et,

35. Condé à Courtin et Barillon, le 11 juillet 1673 (AC). 36. Courtin

24 septembre 1673 (AC). 40. Abbé Lenet, le 3 septembre

et Barillon à Condé, le 22 août 1673 (AC). 37. Courtin et Barillon

1673 (AC). 41. Lenet à Condé, Paris le 18 mai 1674 (AC).

à Condé, le 5 septembre 1673 (AC). 38. Condé à Courtin et

42. Gourville à Condé, le 7 juin 1674 (AC). [Madame Scarron,

Barillon, le 12 septembre 1673 (AC). 39. La Rue à Condé, le

future madame de Maintenon]. 43. Lenet à Condé, les 3 et


LOUIS II DE CONDÉ

le 11 août, enfonce les lignes hollandaises à Sennef. La joie est à la hauteur des angoisses. Les familiers du prince en sont tout retournés de fierté ; « il y eût hier Académie chez moi […] on n’y pu jamais parler de doctrine, on revenait toujours à la bataille […]. Mes amis étaient mêlés avec des Cordons Bleus et des Évêques44. » Chacun « chante victoire dans les rues et l’Hôtel [de Condé] est si rempli de peuple qu’on ne s’y peut remuer45 », s’exclame l’abbé Lenet. Louis XIV invite Madame la Duchesse à Versailles pour lui témoigner sa joie. Le dauphin se réjouit46. Le 24 août, le roi fait chanter le « Te Deum à Notre-Dame. On y fait porter les étendards avec les timbales et les trompettes47 ». Le 21 octobre, le roi autorise enfin Condé à se rendre à Chantilly « pour mettre un peu d’ordre dans sa santé ». Arrivée discrète. Enghien avait demandé à Gourville de préparer les relais car Condé « ne reprend point du tout ses forces. Il ne dort pas bien les nuits et sa santé continue à n’être point en trop bon état. […] Monsieur le Prince sera bien aise de n’y point trouver d’Étrangers. Si quelques gens voulaient venir au devant de lui, vous lui ferez plaisir de les en détourner tout doucement48 ».

En fait, il ne s’y arrête que pour se mettre en tenue convenable et pouvoir se présenter à SaintGermain devant la cour. Le 2 novembre, le roi l’attend en haut du grand escalier du château alors que, tenaillé depuis novembre par une fièvre récurrente, Condé ne songe qu’au repos. Chroniques locales et affaire de pain bénit ! C’est à la sortie de la messe du 13 mai 1674 à SaintFirmin. Claude Richard, capitaine du château, est interpellé par Nonon fils, valet de pied du roi. Altercation virile. Les fidèles séparent les protagonistes, on dépose plainte auprès des officiers de la justice de Chantilly mais l’empoignade (avec des blessés) s’est poursuivie dans le cimetière de SaintFirmin qui dépend de la juridiction de Senlis ! Turenne est tué le 27 juillet 1675 d’un coup de boulet à Sasbach. Condé prend le commandement de l’armée d’Allemagne. En éclaireur, Enghien lui signale le très mauvais état de la cavalerie et les faiblesses de l’infanterie et de l’artillerie. Sans combat, Condé contraint son redoutable ennemi, le prince Raimondo Montecuccoli à lever le siège de Haguenau et de Saverne et à prendre ses quartiers d’hiver en Souabe et en Poméranie. Condé quitte l’Alsace après avoir préparé les quartiers d’hiver de sa propre armée.

RETRAITE À CHANTILLY Après trente-cinq ans de combats où il s’est follement exposé, Condé, dès novembre 1675, reporte toute son intelligence à rendre son domaine encore plus splendide. Les eaux jaillissent ou dorment dans un bassin. La machine hydraulique de Jacques de Manse – le « pavillon de Manse » actuel – actionnée par l’eau de la Nonette, élève l’eau d’un profond forage jusqu’à un vaste réservoir creusé sur la pelouse. Ses eaux sont restituées aux jets

et nombreuses cascades du parc. Il se fait envoyer des plants de vigne des vignobles de Volnay, Pommard ou Meursault et les fait planter sur les pentes ensoleillées de Vineuil. De toute part, Condé fait rechercher de nouvelles essences d’arbres et des plants de fleurs rares et, en mai 1676, sa troupe n’étant pas encore totalement reconstituée, invite les Comédiens italiens à venir jouer à Chantilly [1676, 696].

26 juin 1674 (AC). 44. Bourdelot à Condé, le 15 août 1674

à Condé, de Versailles le 17 août 1674 (AC). 47. Lenet à Condé

(AC) [Le Cordon bleu de l’Ordre du Saint-Esprit, fondé en 1578,

le 24 août 1674 (AC). 48. Enghien à Gourville le 24 octobre

est la plus illustre des décorations réservées à l’aristocratie].

1674 (AC).

45. Lenet à Condé, à Paris le 17 août 1674 (AC). 46. Le dauphin

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FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Éducation de Louis III, son petit-fils Ne se faisant plus d’illusion sur l’avenir guerrier de son fils, il consacre alors toute son attention sur l’éducation de son petit-fils Louis, duc de Bourbon qui, handicapé par une sorte de pied-bot, est déjà, à huit ans, indolent et colérique. En 1676, il lui donne Chicanneau°, maître de danse aux gages annuels de 500 livres et Perelle, maître de dessin. De tous côtés, pendant que chacun ne parle que de l’exécution de la marquise de Brinvilliers, on sollicite la protection du prince et ses faveurs49. Les visiteurs s’empressent. Une petite cour se constitue. Pour les Menus-Plaisirs du duc d’Enghien et de la duchesse, on dépense 72 540 livres 10 sols dont 17 800 livres pour les habits [1676, 434 à 439] et, le 10 août 1676, il fait, par ordre du duc d’Enghien, venir des musiciens du roi et leur accorde

70

« trente deux pistoles d’or valant cent cinquante deux livres à savoir 10 pistoles à La Grille° [Normandin dit], 4 à Fleury° [probablement Nicolas Fleury], 4 à Jacquau° [?], 3 à Ressié° [Urbain Reffier ?], 3 à Verdier° l’aîné [Jacques Verdier ?], 4 à Philidor l’aîné° (1647-1730) et 4 à Philidor le Cadet° (1657-1708) » [1676, 505]. C’était en août. Le ton étant plus libre à Chantilly qu’à Versailles ou à Saint-Germain, il s’agissait peut-être de la fête évoquée par madame de Sévigné décrivant la mode des « transparents » : « Monsieur le Prince a mandé […] aux dames que leurs transparents seraient mille fois plus beaux si elles voulaient les mettre à cru sur leurs belles peaux. » Combien suivirent ce conseil coquin ? La marquise, pudibonde, doutant « qu’elles fussent mieux », dédouane « les de Grancey et les Monaco [qui] n’ont point été

de ces plaisirs à cause que cette dernière est malade et que la mère des Anges (la Maréchale de Grancey) a été à l’agonie…50 ». Il est vrai que Condé aime être entouré de jolies femmes qui, à ses côtés, forment une compagnie agréable auprès des philosophes (Bourdaloue, Bossuet, Malebranche), des poètes (Boileau, Racine), des moralistes comme La Bruyère – professeur de ses petits-enfants – ou Jean-Baptiste de Santeuil (1630-1697), aimable amuseur et poète, qui jouissent du gîte et du couvert. Ce dernier, chanoine régulier de Saint-Victor, tient à cette maison comme l’arbre tient au sol. D’humeur joyeuse et changeante, « enfant aux cheveux gris […] [qui] parle comme un fou, et pense comme un sage », il est le Théodas de La Bruyère. Latiniste distingué, il s’adonne tout autant à la rédaction d’hymnes religieux qu’à écrire, à Chantilly, un nombre incroyable de vers, latins ou français, inspirés par les naïades, les ondines, les hamadryades, les faunes, les satyres et les nymphes…, des ruisseaux, des prés et fontaines, des aimables forêts et agréables plaines du château et des vertus éminentes du prince51. Épicurien délicat qui fait écrire la devise « Castigat ridendo mores » (c’est en riant que la comédie corrige les mœurs) au bas du rideau de scène d’Arlequin [Biancollelli°], il meurt des suites d’une plaisan­ terie assassine du duc de Bourbon [Louis III] qui, au cours de joyeuses agapes, aurait, pour rire, mis du tabac d’Espagne dans son vin. Cela se passe à Dijon le 5 août 1697. Son agonie dura quatorze heures pendant lesquelles il se disposa à la mort avec une piété et des sentiments dignes de sa religion et de son bon cœur. La ville de Dijon, qui tous les ans lui envoyait deux muids de son meilleur vin, fit les frais de ses obsèques et le prince de Condé fit transporter ses cendres à l’abbaye Saint-Victor à Paris52.

Condé et Jean Racine Au début de l’année 1677, le prince accorde ouvertement ses suffrages à Racine. Présenté par Boileau, Condé le soutient contre une cabale montée

par les petits cénacles de la comtesse de Soissons, du duc de Nevers et de sa sœur, la duchesse de Bouillon. Le scandale éclate le 3 janvier. En même

49. Voir par exemple, la requête des Pénitents bleus de Saint-

Louis XIII en voulut jeter la première pierre, votre illustre père

Jérôme à Toulouse qui, ayant élu le prince de Condé à leur tête,

fit achever l’ouvrage » (lettre du 5 février 1676, AC). 50. Marquise

« répondraient mal de cette auguste élection […] s’ils n’entre-

de Sévigné, Lettres de Marie de Rabutin-Chantal à sa fille et

prenaient point un grand ouvrage dans leur chapelle […].

à ses amis, courrier du 6 novembre 1676. 51. Il suivra à Sceaux


LOUIS II DE CONDÉ

de Mortemart connue pour être d’une grande beauté), sœur de madame de Montespan et du maréchal duc de Vivonne [1677, 716].

La troupe de M. le Prince est la « meilleure qui soit en France » (1677) Nous savons que pendant ses dernières années de campagnes militaires, la troupe des comédiens de campagne « de mon dit seigneur », avait fusionné avec celle du dauphin dirigée par Jacques Raisin° et par De Villiers°, son beau-frère. Or, le roi désirant ne conserver à Paris que la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, celle de la rue de Guénégaud et celle de l’Opéra, la nouvelle troupe « Condé 3 » se fixera donc à Rouen d’où il était facile de la faire venir à Chantilly. Les comptes mentionnent sa présence en septembre 1677 (gratification de 2 200 livres accordée « au Sr Durieu° [1677, 763]). Au printemps 1678, elle parcourt les cités bourguignonnes et est à Chantilly ou à l’Hôtel de Condé du 1er septembre au 10 octobre. Ses représentations sont très suivies et très estimées. Le 31 octobre, par exemple, 71 FIG. 25 D’après Jean-Baptiste Santerre (1651-1717). Portrait de Jean Racine (1639-1699). Huile sur toile. Chantilly, musée Condé, PE 798

temps que le tragédien fait jouer Phèdre et Hippolyte par les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne53, la troupe de l’Hôtel de Guénégaud lui oppose une tragédie de Pradon, de même sujet et de même titre. Racine et Boileau, menacés de bastonnade, se réfugient à l’Hôtel de Condé. Condé met le duc de Nevers en demeure de cesser cette dispute. La cabale cesse en octobre. Boileau et Racine, nommés historiographes du roi, sont, avec Henri-Jules, priés d’accompagner le roi aux armées. De son côté, Gourville reçoit dans son « pavillon » de l’hôtel parisien. En août 1677, il y fait venir le sieur Marin [Marais]°, joueur de basse de viole, pour « un souper enchanté au clair de lune » avec madame de Thiange (Gabrielle de Rochechouart

« Madame la Duchesse a eu deux fois la comédie, l’une au Petit-Luxembourg et l’autre à l’hôtel de Condé où étaient M. de la Rochefoucault et Mesdemoisles ses filles […]. Les Comédiens sont admirables. Tous les Comédiens de l’hôtel de Bourgogne et de Guénégaud y étaient ; ils les louèrent fort […], ils les trouvent si bons qu’ils en sont surpris ». C’était le jour de l’éclipse de lune, observée avec soin par tous les mathématiciens de Paris et par Madame la Duchesse qui en avait suivi le début avant d’aller à la Comédie voir jouer Iphigénie54. « […] les deux troupes de Paris y étaient qui ont trouvé qu’ils ont fort bien joué, particulièrement les femmes55 »

sa jeune muse, la duchesse du Maine. À Chantilly, il lui avait

des Plantes. 53. Condé y avait loué deux loges pour 110 livres

dédié, en octobre 1696, le poème Salpetria Nympha Cantilliaca.

[1677, 623]. 54. Alleaume à Condé, le 31 octobre 1678.

52. En 1811, les bâtiments de l’abbaye laissent place à la halle

55. Gourville à Condé, le 5 novembre 1678.

aux vins sur le site actuel de l’université Jussieu et du Jardin


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

représentées par la Verneuil° (Marie Vallée), la Du Rieu° (Anne Pitel de Longchamp), la Desbrosses° (Jeanne de la Rue) et la Longchamp (Charlotte Legrand), ont joué « dans la sale à manger vis-à-vis l’appartement de Madelle de Bourbon » et que, dans les entractes, « Mgr le Duc de Bourbon et Madelle avec Madelle Gouvernet jouaient au volant, ce qui faisait un effet fort agréable56 ». Le 6, on y donne Tartuffe. Le mardi 8, « les comédiens jouent Cinna et le Médecin par force ». Après la représentation, les comédiens prirent congé, reçurent la somme de 4 400 livres et se retirèrent à Rouen pour s’y fixer définitivement. Quant aux violons de Monsieur, qui avaient joué à l’Hôtel de Condé, ils reçurent, le 15 novembre 1679, la somme de 198 livres que Madame la Duchesse avait ordonné de leur remettre [1679, 804].

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À Chantilly, dans l’atmosphère détendue de la paix de Nimègue signée le 5 février 1679, le prince, au travers d’un courrier quasi quotidien, est informé du moindre détail concernant l’aménagement de son domaine : tracé du labyrinthe, construction de la Ménagerie à Vineuil, livraison de tuyaux d’alimentation des fontaines et des cascades… et, le 16 avril 1679, apprend avec douleur la mort de sa sœur bien-aimée Anne-Geneviève, madame de Longueville, qui a consacré les dix dernières années de sa vie à la prière et à la pénitence à l’ombre de l’abbaye de Port-Royal des Champs. À la même époque, le Mercure galant d’avril 1679 signale que trois des comédiens de la nouvelle troupe du prince sont « recrutés » par la troupe royale :

[25e sociétaire], fille d’Henri Pitel de Longchamp, dite Fanchon, « la petite comédienne qui était cet automne à Chantilly57 ». Le 8 juillet 1679, Henri-Jules va ouvrir les États généraux de Bourgogne. Préférant le coche d’eau au carrosse, il passe à Régennes, lové dans une boucle de l’Yonne (au nord d’Auxerre), puis à Chalon-sur-Saône, à Sénozan au nord de Mâcon. Le 23, de La Sausaye (aux environs de Lyon), il prend enfin le carrosse pour Bourg-en-Bresse et arrive à Dijon le 4 août. Enfin, du 1er septembre au 13 novembre 1679, la troupe, amputée de ceux qui l’avaient quittée en avril, arrive de Rouen avec quatre violons et des gagistes. Après quelques jours au Raincy pour y recevoir Madame la duchesse d’Osnabruck58, elle passe deux mois et demi à Chantilly et à Paris. Quant au règlement des gages, Gourville, pour éviter tout malentendu, se fait préciser les conditions de rétribution des comédiens car « si S. A. S. a bien prévu 5 000 livres qu’il fera donner à celui qui viendra pour les prendre, [il] ne s’est point expliqué si les violons sont compris dans cette somme ou non. […] Je ferai donner outre cela dix louis d’or [soit 110 livres] aux gagistes […]. « Le Sr Richard mande qu’il faut deux écus par jour aux violons, du jour de leur départ de Rouen qu’il dit estre le 24 aoust jusques au 15 novembre, qui monteront à 500 livres […]59 ».

Le plus marquant de ces transfuges est Jean-Baptiste Raisin° [24e sociétaire de la Comédie-Française], que l’enthousiasme de ses contemporains surnomme déjà le « Petit Molière° ». Les second et troisième étaient Jean de Villiers° [26e sociétaire], dit Deschamps, beau-frère de Raisin, et Françoise Pitel°

Monsieur le Prince règle la dépense : 5 000 livres aux comédiens, 500 pour les violons et une gratification de 110 livres pour les gagistes. Pour marquer sa profonde satisfaction, Madame la Duchesse y ajoute gracieusement une gratification complémentaire de 500 livres. Le paiement est fait à Paris, le 14 novembre 1679, entre les mains de Du Rieu, de Longchamps et de Raisin° [l’aîné] [1680, 216 et 217], dont le père, Edme Raisin°, qui avait étonné le roi avec son épinette « savante », prolongera son séjour jusqu’au 23 novembre 1679 pour installer « des orgues dans la Chapelle à Chantilli » ; il les factura 660 livres [1680, 218].

« [ils] ont eu de grands applaudissements. Vous n’en serez point surpris quand vous scaurez qu’ils étaient dans la troupe de M. le Prince, qui après les deux [troupes] qui jouent à Paris, est la meilleure qui soit en France. »

56. Bourdelot à Condé, le 6 novembre 1678. 57. Richard

aller au Raincy » furent gratifiés de la somme de trois cent

à Condé, le 27 juin 1679. Fanchon épousera Raisin en no-

trente livres [1679, 783]. 59. Gourville à Condé, lettres des

vembre 1679. 58. Les « musiciens et danseurs qu’on a fait

11 et 12 novembre 1679.


LOUIS II DE CONDÉ

Potins et petits plaisirs Le 16 janvier 1680, c’est le mariage de Louis-Armand de Conti (1661-1685) avec Mlle de Blois (16661739), Marie-Anne de Bourbon, « bâtarde du soleil » et de Louise de La Vallière. « Monsieur le Prince [se] fit faire hier la barbe. Il était rasé ! Ce n’est point une illusion, ni de ces choses que l’on dit en l’air ; c’est une vérité. Toute la Cour en fut témoin. Mme Langeron lui fit mettre un justaucorps avec des boutonnières de diamants. Un valet de chambre le frisa […]. Voilà le prodige de la noce60. » Resté seul à Chantilly, Condé, dans le courant de l’été, accueille la princesse de Conti venue avec son frère, le duc de Vermandois, lui rendre visite pendant plusieurs jours ; il lui en coûte cinq cent vingt-huit livres… pour plusieurs instrumentistes [1681, 551]. Peu après, les comédiens, venus de Rouen à l’automne 1680, reçoivent 4 770 livres [1681, 551). À Paris, Chicanneau°, maître à danser de Louis III, duc de Bourbon, est, le 31 mars 1681, remplacé par Jacques Favier° le Père, dit l’Aîné. À Chantilly, toute l’attention du prince est absorbée par les travaux qui se poursuivent sans discontinuer : massifs et allées garnies d’œillets. Narcisses, tulipes, hémérocalles, décorent son parc, les eaux ruissellent et jaillissent de toute part. Dans le calme, il s’adonne à la lecture et à la controverse que philosophes et théologiens, physiciens et savants, dramaturges et poètes alimentent à loisir. Dans ce climat serein, les comédiens reviennent à Chantilly du 1er septembre au 3 novembre 1681. « Tant pour avoir joué la comédie à Chantilly que pour leur dépense pour être

venus de Rouen à Chantilly et pour leur retour », leurs responsables Du Rieu et Raisin° (Jacques, l’aîné, frère de Jean-Baptiste le cadet) donnent quittance de la somme de 5 793 livres [1681, 212]. Événement… « Le sixième de mai [1682], le roi quitte Saint-Cloud pour s’établir à Versailles où il souhaitait être depuis longtemps, quoiqu’il fut encore rempli de maçons » 61. Gourville informe Condé que Mansart lui avait montré les appartements destinés au prince : « Votre Altesse Sérénissime pourra bien s’y tenir pendant le jour parce que tous les plafonds de plâtre ont été faits, l’année passée62. » Mais le prince, qui vient d’entrer dans sa soixante et unième année, reste à Chantilly ; il attend que Mansart vienne examiner son projet de construction d’une vaste Orangerie au droit de la « galerie des Cerfs » à l’ouest du château, au-delà du grand parterre dessiné par Le Nôtre. Vie bien réglée, les comédiens reviennent à Chantilly en septembre et en octobre 1682 et « tant pour eux que pour leurs violons et les frais de leur voyage de Rouen à Chantilly que pour leur retour de Chantilly à Rouen », sont gratifiés de la somme de 5 610 livres [1682, 195]. Ailleurs, à Fontainebleau, Mlle de Bourbon, petite-fille de M. le Prince, « y a paru fort bonne cavalière63 » tandis que, d’un autre côté, Bourdelot, très satisfait du petit duc Louis III qui « dansa parfaitement bien64 », l’est moins « des soupirs et sangloteries [sic] de Madame la Princesse Palatine ; si cela eust duré, nous l’aurions fait saigner65 ».

Henri-Jules et son concept des « appartements du roi » Le roi veut alors faire de Versailles sa résidence officielle et le siège de son gouvernement. Pour y attirer « des gens de qualité qui sont souvent à la Cour », Henri-Jules, Grand Maître, met en œuvre toutes les ressources de sa fertile imagination. Au « Monseigneur, vous voilà courtisan » du Père de La Chaise, le duc aurait répondu : « Il est vrai,

mais ce n’est pas assez car il faut être des bons. » C’est donc avec soin qu’il organise les premiers divertissements que le roi veut donner :

60. Madame de Sévigné, lettre à madame de Grignan, Paris

Fontainebleau le 12 novembre 1682. 64. Bourdelot, Paris le

le 17 janvier 1680. 61. Marquis de Sourches, Mémoires. 62. Gour-

26 novembre 1682. 65. Bourdelot, Paris le 4 décembre 1682.

ville, Paris le 7 mai 1682. 63. Le duc d’Enghien à M. le Prince,

« On ne peut rien imaginer de plus grand : le Roi et la Reyne vont voir jouer et ne permettent pas que les joueurs se lèvent

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FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

quand ils approchent. Il y avait deux chambres […] de jeux, une chambre où les Dames dansent quand il leur plaît, une pour la Simphonie, une ensuite pour toutes sortes de vins et de liqueurs et une salle où les tables sont toujours couvertes pour ceux qui veulent manger […]66. » Le succès s’est installé définitivement durant l’hiver. Pour le carnaval,

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« Il n’y a jamais eu tant de joye à la Cour qu’à présent. Samedy [14 février 1683] l’on fit médianoche, l’on mangea et but, on rit et après on fit des folies à se faire jetter des serviettes à la teste. Le Roy mettait tout en train. Il s’alla assoir sur le bout d’un pliant […]. On propose des mascarades très bizarres : M. de la Rocheguyon entra en raccourci petit et M. l’Amiral gros et grand comme un colosse qu’à peine les portes étaient-elles assez grandes pour lui donner passage. « On devait faire une entrée de Champignons avec de grosses têtes, le bas serré et étriqué. Les habits dans le bal sont très superbes. M. le Chevalier de Châtillon emporta le prix ; il avait un justaucorps de velours vert brodé […]67 ».

le Duc pria le Roi d’entrer dans cette troisième […] meublée d’une Tapisserie de Velours cramoisi sur laquelle étaient brodées d’espace en espace des Colonnes d’or […] » (Mercure galant). En face de lui, la princesse de Conti, costumée en reine d’Égypte, est entourée d’esclaves maures à ses pieds et d’une cour évoquant ce pays exotique. « Dans l’enfoncement de deux croisées étaient les Petits Violons du Roi, habillés aussi en Égyptiens et M. de Lully vêtu de même, mais très magnifique, qui battait la mesure ». Au milieu de cette pièce, un espace avait été réservé aux divertissements qui commencèrent par une mascarade de plusieurs entrées : « La première fut dansée par deux Biscains et deux Biscaines et par une véritable Bohémienne. La seconde par deux Biscains avec des Tambours de Basque, dont deux dansèrent un Branle Basque à la mode du Païs, et les deux autres dansèrent des Canaries68. Ensuite Madame la Princesse de Conti dansa une Chaconne69 faite par M. de Lully […]. »

« Son Altesse Sérénissime Monsieur le Duc [Henri-Jules] fit paraître la galanterie et la magnificence qui lui sont ordinaires en recevant à son tour dans son Appartement toute la Cour déguisée. Il y avait trois Salles de Bal […]. On n’en ouvrit d’abord que deux et l’on ne donna pas même à connaître qu’il y en eu une troisième […]. Monsieur

Le chroniqueur, décrivant des collations toutes plus magnifiques les unes que les autres, conclut par une louange dithyrambique de Monsieur le Duc qui vient de créer la mode des « appartements ». Mot nouveau, il désigne une fête ou une réjouissance préparée, tous les lundis, mercredis et vendredis à Versailles, dans des appartements « superbement meublés et éclairés avec musique, bals, danse, collations, jeux et autres divertissements magnifiques ». Le Mercure galant ajoute : « Beaucoup prodiguent l’argent, mais peu, en le prodiguant, savent donner d’agréables fêtes. Quand Monsieur le Duc donne une Fête, il invente tout lui-même et un Prince n’imagine rien que de grand70. » Condé, à Chantilly, apprendra que « la Cour avait été surprise et charmée de la fête qu’a donnée Monseigneur le Duc et […] que le Roi en a paru plus content qu’on ne saurait l’imaginer71 » ; « le Roi l’a dit à cent personnes. Sept

66. Gourville, de Paris les 23 et 24 novembre 1682. 67. Bourde-

et la mesure bien marquée. 70. Mercure galant, mars 1683,

lot, Paris, lettre du 16 février 1683. 68. Danse très rapide au

p. 309- 331. 71. Gourville, Paris le 19 février 1683. 72. Bourdelot,

Gourville reprend ces louanges dans son courrier du mardi 17 février : « Monseigneur le Duc […] pour rendre le divertissement de demain agréable […] y a disposé une mascarade de 3 ou 4 des Comédiens Italiens qui surprendra tout le monde n’y ayant que le Roi qui le sache. » En effet,

style plus vif que celui de la gigue. 69. Longue pièce de mu-

Paris le 23 février 1683. 73. Jacques Thomelin sera remplacé par

sique à trois temps dont le mouvement majestueux est modéré

François Couperin en 1695, Nivers par Louis Marchand en 1708 ;


LOUIS II DE CONDÉ

ou huit de mes amis et amies sont venus m’en faire des compliments et s’en réjouir avec moi72. » La mode est lancée. Progressivement, on affecte une occupation précise à chacune des pièces de cet appartement royal : le salon de Diane est dévolu au billard, celui de Mercure est réservé à la famille royale pour jouer aux cartes ou à des jeux de hasard, celui de Mars accueille les autres joueurs.

On déguste fruits, oranges, citrons, pâtes, confitures dans le salon de Vénus. Trois buffets sont dressés dans le salon de l’Abondance : boissons chaudes (café, chocolat) et liqueurs, jus de fruits, sorbets et vins. Enfin, le salon d’Apollon sert pour la musique et la danse. Lorsque l’on est las d’un jeu, l’on joue à un autre. On entend la symphonie et l’on se plaît… à prendre la main et à danser.

Nouvelles orgues… et Louis XIV Henri-Jules, Grand Maître, informé et à l’affût de la moindre innovation, sait que la pratique musicale de la Chapelle royale est en pleine mutation. Le plain-chant est progressivement remplacé par le faux-bourdon et la polyphonie. Après la mort de son organiste Joseph Chabanceau de La Barre en 1678, le roi veut « pourvoir à ce qu’il y ait dans ladite Musique de la Chapelle des organistes qui ayent toute la capacité et expérience nécessaires ». Il en choisit quatre qui servent chacun un quartier par an : Jacques Thomelin (ca 1653-1693) [quartier de janvier], Jean-Baptiste Buterne° (ca 16501727) [quartier d’avril], Guillaume-Gabriel Nivers (1632-1714) [quartier de juillet] et Nicolas Lebègue (1631-1702) [quartier d’octobre]73. Colbert est chargé de conclure un marché ambitieux avec Étienne Énocq et Robert Clicquot pour la construction de nouvelles orgues à Versailles. Mais la chapelle royale, bénie le 30 avril 1682, n’est sanctuaire définitif qu’après 1710. Le marché initial du 10 août 1679 est donc profondément remanié. Ainsi, pendant 28 ans, servant par quartiers, les organistes n’auront vraisemblablement sous leurs doigts qu’un instrument « de dix jeux, muni d’un seul clavier » ne permettant que « quelques préludes, quelques pleins-jeux, quelques fugues graves [et] quelques versets sur les fonds » (Dufourcq), tout comme celui qui, pour 660 livres [1680, 218], avait été installé en 1678-1679 dans la chapelle du château de Chantilly. Henri-Jules, courtisan éclairé, décide de le remplacer. Monsieur le Prince paie. Une commande est donc passée auprès de Jacques Raisin qui habite paroisse

Saint-Éloy à Rouen. On y trouve non seulement le bois, le cuir et l’étain utiles et nécessaires à la facture d’orgue (Noisette de Crauzat), mais également Jacques Boivin (1653-1706), organiste de la cathédrale Notre-Dame de Rouen qui, avec Jean Titelouze (1563 ?-1633) son prédécesseur, sont considérés comme fondateurs de l’école française d’orgue annonciatrice du grand siècle des Marchand, Buterne° et Couperin°. À quelle date situer la commande ? Nous devons nous fier à deux mémoires d’entreprise : le premier est établi par le sieur Henri Bonnard, peintre doreur qui, pour donner à la chapelle du château de Chantilly le caractère achevé d’un lieu de culte, signale, après l’installation de ces nouvelles orgues, avoir passé

Buterne par Jean-François d’Andrieu en 1721. 74. Mémoire du

dépenses pour les nouvelles orgues (quittance du 25 novembre

Sieur Bonnard peintre et doreur (carton 1 B 8, AC). [Richard

1683, carton 1 B 8, AC).

précise que les ouvrages mentionnés au mémoire ont été peints « de blanc avec des filets d’or »]. 75. Mémoire des

« quarante trois journées de deux hommes […] pour avoir nettoyé et regratté le lambris de la chapelle, les pieds d’estaux [sic] des grandes colonnes, le devant d’autel et les quatre grandes figures qui sont au dessus de l’autel et quatre croix d’or sur fonds de marbre […]. La Tribune, le Jubé, l’orgue, le tout peint de blanc en huille [sic] et redoré74 ». Contrôlé par Richard le 21 juillet 1683, ce mémoire de 641 livres (ramené à 505 livres), permet de remonter le temps et d’affirmer que les peintres devaient avoir commencé leurs travaux le 8 juin 1683 au plus tard. Le second mémoire de 1 468 livres75 concerne les « dépanse [sic] pour les nouvelles orgues de S. A. S.

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FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

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FIG. 26 Jacques Androuet du Cerceau (1510-vers 1585). CHANTILLI / PLANUM AEDIFICII / LE PLAN DU BASTIMENT (détail). Gravure en taille-douce, tirée des Plus Excellens Bastimens de France, 1579. Chantilly, musée Condé, 1971.3.2


LOUIS II DE CONDÉ

Monseigneur ». Il est présenté par Jean[-Baptiste] Raisin°, comédien du roi, demeurant à Paris rue Mazarine, paroisse Saint-Sulpice76 au nom de son frère Jacques, demeurant à Rouen. Le montage de cet instrument ayant « exigé la présence de deux facteurs pendant quatre mois », doit donc avoir été commencé à Chantilly au plus tard dès la mi-février 1683. Compte tenu de la nécessaire construction « en atelier » et des délais de transport des fournitures et du matériel par voie fluviale de Rouen jusqu’à Saintd’Esserent et, de là, par chariots jusqu’à Chantilly, il est fort vraisemblable que la commande a été passée pendant le second semestre de l’année 1682. Il s’agit en effet d’un instrument important à trois claviers, deux sommiers et un soufflet, soit, selon les critères de l’époque, deux claviers manuels de quatre octaves comme étaient les grandes orgues de la cathédrale de Rouen et un pédalier d’une trentaine de notes. Parmi les fournitures, on trouve : « – l e bois du buffet, des tuyaux, des portevents77 pour 62 livres 12 sols, – 2 douzaines de peaux de mouton pour 12 livres, –d e la colle, du clou [sic] et du parchemin pour 15 livres 10 sols […] – 70 livres d’estein à 14 sols la livre, – 12 livres d’estein doux à 18 sols la livre, – 1 50 livres de plomb à 2 sols la livre […] [pour faire contrepoids au soufflet] – de l’estein de glace à faire de la soudure […] et de quoi forger le plomb et l’étain […] – l e châssis de la montre et l’estein des tuyaux pour 200 livres, – l a menuiserie et la dorure du dôme pour 33 livres […]. » Par contre, le mémoire donne peu d’informations sur les jeux installés et ne signale nullement le réemploi éventuel d’éléments de l’orgue précédemment monté en 1679. Nous savons cependant que les noyaux, anches et languettes de la trompette et voix humaine ont été facturés 22 livres. Avant réception, un facteur de Luzarches viendra, pendant huit jours, accorder l’instrument.

Heureuse surprise : le 3 juin 1684, un an après la fin des travaux, le roi, désirant se faire « quelques plaisirs après la prise de Luxembourg […] et un beaucoup plus grand de ce que je vous y verrai moi-même78 », annonce sa venue à Chantilly. Tout doit être prêt. Henri-Jules ordonne à Raisin « d’envoyer le facteur d’orgues […] pour la mettre en estat et l’accorder […]. Pour luy et son garçon tant pour le voyage que pour le travail, [il leur sera donné] la somme de quinze escus [soit 45 livres] ayant esté cinq jours entiers à Chantilly79 ». Ce réaccord était d’autant plus nécessaire que Condé attend Jean-Baptiste Buterne°, organiste titulaire de la Chapelle royale, accompagné par les deux Philidor°, l’aîné et le cadet, René Pignon°, dit Descoteaux, son collègue Philibert Rébillé°, dit Philibert, tous deux flûtistes, Robert de Visée°, théorbiste et guitariste et Augustin Jean I Le Peintre°, joueur de violon du roi. Si le détail des œuvres jouées n’est pas connu, on sait cependant que l’homme qui a porté les instruments reçut 12 livres et chacun des instrumentistes la somme de 66 livres [1684, 526] et qu’ils exécutèrent « après souper une symphonie dont les auditeurs se montrèrent charmés80 ». Dangeau note dans son Journal que le roi trouva « Chantilly un lieu délicieux ». C’est sans doute pendant cette halte royale du 8 juin qu’est décidé le mariage du jeune Louis III, duc de Bourbon (il a alors seize ans), petit-fils de Monsieur le Prince, avec Louise-Françoise de Bourbon (1673-1743), dite Mlle de Nantes (elle a onze ans), fille de Louis XIV et de madame de Montespan. En raison de l’âge des promis, l’annonce n’est rendue publique que l’année suivante. Le 6 juillet 1684, la mort de la princesse palatine, Anne de Gonzague, attriste Chantilly dont elle était la maîtresse lorsqu’elle y séjournait. L’année suivante, le 15 avril 1685, Monsieur le Prince, rendant publique sa « conversion », fait ses Pâques dans la chapelle du château de Chantilly. Cette conversion ne passe inaperçue ni à Versailles, ni à l’Hôtel de Condé. Gourville lui écrit aussitôt : « Je viens d’apprendre que Votre Altesse Sérénissime fit hier ses dévotions, je pense qu’elle ne doute pas que cela m’ait donné bien de la joie81. »

76. Procuration passée par Jacques Raisin devant le garde-

78. Louis XIV à Condé, Péronne le 3 juin 1684. 79. Mémoire

notes [notaire] du roi à Rouen le 21 octobre 1683, contresignée

de Raisin, vérifié par Gourville le 28 juin 1684 (carton 1 B 8, AC).

par Jean Raisin à Paris (carton 1 B 8, AC). 77. Les portevents

80. Henri Malo. 81. Gourville, Versailles, 16 avril 1685.

portent le vent du soufflet dans les sommiers de l’orgue.

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FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Fêtes et plaisirs pour le mariage de Louis III et de Mlle de Nantes

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En prélude, Henri-Jules organise « un très beau bal masqué dans le grand appartement du roi ». Deux troupes s’y affrontent le 12 janvier 1685 : celle du dauphin et celle de la dauphine avec la princesse de Conti, Mlle de Bourbon et Mlle de Nantes. Comme à son habitude, il surprend l’assemblée : les costumes taillés par le Sr Daraillon représentent « cinq fantômes de taffetas d’argent avec leurs coiffures de chauve-souris pour 550 livres82 » et de grandes robes de différentes couleurs, diversement et richement chamarrées, d’où sortait un col qui s’élevait et s’abaissait. En habit de Strasbourgeoise, Louis III, qui était sous l’une de ces machines, avait une tête de mouton coiffée en chauve-souris avec « des aisles ». Dans la troupe de la dauphine, sa sœur Mlle de Bourbon, était habillée en magicienne avec « une coiffure de chauve-souris toute de moiré feu et argent ». La semaine suivante, Louis III paraît avec un habit de seigneur hongrois, Mlle de Bourbon en habit de paysanne et Monseigneur le Dauphin en docteur italien (Dangeau). Pendant ce temps, sur un argument tiré de l’ouvrage Guerres civiles de Grenade publié en Espagne à la fin du xvie siècle, on prépare à Versailles le carrousel des Galants maures : deux quadrilles de quarante cavaliers chacune doivent s’affronter, celle des Abencérages avec Monseigneur le Grand Dauphin à sa tête, et celle des Zégris, avec le duc de Bourbon. Avec la participation de trois cent vingt-quatre personnes, il est donné devant une importante foule de Parisiens les lundi 4 et mardi 5 juin 1685 derrière la Grande Écurie de Versailles. Elle coûte plus de cent mille livres au roi et selon l’usage, il en coûte deux fois autant aux chevaliers. Pour le jeune duc de Bourbon, les dépenses s’élèvent à 15 000 livres environ : 658 livres pour les broderies or et argent, 160 livres pour la fourniture de dards, 78 livres pour des têtes de Méduses et, au titre de dépenses diverses, 11 471 livres 4 sols et 1 denier pour le peintre, l’éperonnier, le parfumeur, le joaillier, les tailleurs et le bonnetier [1685, 107, 111, 120 et 121]. Le duc de Bourbon (il n’a que dix-sept ans)

82. État des fournitures du Sr Daraillon (carton 1 AB 2, AC) :

« sceut se signaler par une grâce insigne. Il fit dire à chacun qu’à la suite du temps De l’Ayeul et du Père il aurait les talents »83. Précédé de deux timbaliers et entouré de douze palefreniers noirs aux colliers d’argent et armés de carquois, il mène la quadrille des Zégris. Son habit bleu brodé d’or mat et rebrodé de fleurs de rubis et de diamants d’or brillant, sa coiffure en turban doré enrichie de rubis et la housse festonnée de son cheval en font un personnage magnifique. Les habits des chevaliers de sa première brigade, tous enrichis de pierreries, sont « verd, or et argent », ceux de la seconde brigade « en habit jaune et argent », ceux de la troisième en « habits à fond cramoisy brodez d’or et d’argent » et ceux de la dernière en « habits feuille-morte et argent ». Spectacle splendide accompagné des éloges nuancés du sieur Allaume, son précepteur : « La fermeté avec laquelle Mgr le Duc de Bourbon est à cheval et son adresse à darder et à courre les têtes croîssent tous les jours […] mais les carrousels, les chasses et les promenades qu’il fait avec le Roi ou avec Mgr nous ôtent quelquefois un peu de temps de nos études84. » Les cérémonies du mariage princier approchent. Le 2 mai, « presque tous les habits et les dentelles pour la nopce de Mlle de Nantes sont achevés. Sa toilette et son assortiment couste 13 200 livres sans compter l’argenterie85 ». Henri-Jules requiert les services de Buterne° pour apprendre à « toucher le clavessin » à Mlles de Bourbon [Marie-Thérèse] et Danguien [Marie-Anne] pendant les six derniers mois de l’année 1685 ; au cours du dernier trimestre, le Sr de Vallasoy° leur apprendra même à jouer de la guitare. Enfin, pour faire bonne figure, ses pages suivront l’enseignement du Sr Varelle°, maître à danser [1685, 450]. Le 23 juillet 1685, les fiançailles sont célébrées à Versailles dans le salon des petits appartements du roi. La promise porte un habit d’or brodé de perles

sept aunes de taffetas à trois livres dix sols l’aune [ndlr : un

« Pour doubler les manches, les devants de la robe et faire la

peu plus de huit mètres de taffetas avaient été nécessaires]. »

coiffure de chauve-souris du costume de Mlle de Bourbon,

83. Laurent. 84. Allaume, Paris, le 4 mai 1685. 85. Gourville à


LOUIS II DE CONDÉ

sur fond de taffetas noir. L’évêque d’Orléans, premier aumônier du roi, fait les demandes ordinaires aux fiancés « auxquelles l’un et l’autre ne voulurent point répondre sans avoir demandé permission, Monsieur le duc au roy, à Monsieur le Prince [le Grand Condé, son grand-père], à Monsieur le duc [HenriJules, son père] et à Madame la duchesse [Anne-Henriette, Palatine de Bavière, sa mère], Mademoiselle de Nantes au roy seulement ». Cette cérémonie terminée, le roi donne à souper à Trianon où, pour aller et en revenir, le roi, le dauphin, Monsieur, Madame… prirent « des gondoles dorées et des chaloupes. À la fin, un feu d’artifice, composé d’une infinité de fusées volantes » est tiré à l’extrémité du canal. Le lendemain, le mariage est béni à la Chapelle royale. La mariée, menue et fragile, est noyée dans un habit de brocart d’argent semé de rubis et d’émeraudes. La musique (perdue) de « l’Épithalame sur les Nopces de Mgr le Duc de Bourbon et de Mlle de Nantes » est de MichelRichard Delalande (1657-1726), son professeur de clavecin. Le roi donne un million comptant à la mariée, plus cent mille écus de pierreries et cent mille francs de pension à chacun des époux. Le duc de Bourbon obtient la survivance du gouvernement de Bourgogne. Pendant l’hiver 1685-1686, le roi décide enfin que sa fille, Mlle de Nantes, maintenant madame de Bourbon, demeurera avec Madame la Duchesse, sa belle-mère, au palais de Versailles mais que sa maison sera installée à l’Hôtel de Condé, avec celle de son mari. Instants de bonheurs partagés. À Marly, le samedi 5 janvier 1686, le roi offre à ses invités la loterie des Quatre Saisons : « Les salons sont fort éclairés […] Monsieur le Duc et Mme de Thianges tiennent la boutique de l’été et Madame la duchesse de Bourbon avec Madame de Chevreuse celle du printemps. Il y avait des bijoux […], des étoffes magnifiques […] on croit qu’il y avait bien pour 15 000 pistoles de hardes86. » Quelques semaines plus tard, madame de Bourbon, fine

Condé, 2 mai 1785 (AC). 86. Dangeau, Journal. (éd. SaintSimon), janvier 1686. 87. Condé à Louis XIV, Chantilly, le 29 avril 1686, p. 271-272. 88. Marquis de Sourches, Mémoires.

danseuse, représente la Jeunesse, dans le Ballet de la Jeunesse, divertissement mêlé de comédie et de musique, créé le 28 janvier 1686 à Versailles. Sur le livret de Florent Carton, sieur d’Ancourt (16611726), dit Dancour, bergers et bergères sont invités « [à se donner] tous aux plaisirs pleins d’appas. Que la Jeunesse Soit avec nous sans cesse Et l’Amour suivra par tout nos pas ». puis, faisant pendant aux Galants maures de l’année précédente, la cour donne, les 28 et 29 mai 1686, le divertissement du carrousel d’Alexandre et Thalestris ou des Galantes Amazones. Mêlant les thèmes guerriers et galants, chacune des deux quadrilles comprenait quinze cavaliers accompagnés d’autant de dames. Il avait pour sujet « Thalestris, reine des Amazones, laquelle, attirée par la réputation d’Alexandre, était venue le trouver dans son camp, accompagnée de trente dames de sa cour. Ce conquérant, plein de reconnaissance, avait voulu leur donner le divertissement de quelques guerrières, et, pour cet effet, avait choisi trente de ses courtisans les plus adroits » (Sourches). Le Grand Dauphin conduisait la première quadrille avec la duchesse de Bourbon ; la seconde était menée par le duc de Bourbon [Henri-Jules] avec mademoiselle de Bourbon. Ce fut le dernier carrousel du règne de Louis XIV. Quelques jours plus tard, le 2 juin, jour de la Pentecôte, le prince de Condé, « si accoutumé à estre comblé des bienfaits » du roi87, est à Versailles pour l’élévation du duc de Bourbon et de son cousin, le prince de Conti, au grade de chevaliers de l’Ordre du Saint-Esprit. Malade, il suit cette cérémonie « assis et si défiguré qu’à chaque moment on s’attendait à le voir mourir88 ». Revenu à Chantilly, il quitte sa retraite le 11 novembre 1686. Bravant la maladie, il se rend à Fontainebleau sur l’avis que Louise-Françoise, sa petite-fille, y était attaquée de la petite vérole. Arrivé dans la nuit, il monte dans l’appartement de la duchesse à laquelle on administre les derniers sacrements. Seul, il veille à la porte de la chambre et en interdit

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FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

l’accès au roi. Le lendemain, les médecins la déclarent hors de danger. Resté à Fontainebleau pendant la convalescence, Condé s’affaiblit de plus en plus. Il y meurt le 11 décembre 1686, restant jusqu’à la fin le « Grand Condé », calme, lucide et maître de lui. Suivant la tradition, le cœur du défunt est prélevé, placé dans une cassette de plomb revêtue de vermeil doré et transporté en grande pompe à l’église Saint-Louis des Jésuites, rue Saint-Antoine. Le corps du prince, « exposé pendant plusieurs jours sur un lit de parade à Fontainebleau, couvert d’un grand poële de velours noir, avec le Manteau

80

de Prince du Sang, la couronne de vermeil doré, le collier de l’ordre du Saint-Esprit et le Cordon bleu » (Mercure galant) est, le 23 décembre, conduit à Vallery par l’évêque d’Autun qui le confie à l’archevêque de Sens afin de l’inhumer au pied de l’autel, dans la sépulture familiale des Condé. Sur ordre royal, Bossuet prononce son oraison funèbre, le 10 mars 1687, à Notre-Dame de Paris avec une magnificence extraordinaire. La décoration de la cathédrale réalisée pour cette céré­ monie passe pour la plus belle et la plus considérable qu’on ait jamais vue.


Épilogue


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Il sera réservé à Henri-Eugène-Philippe-Louis d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897) de rebâtir un nouveau château. Immense collectionneur de livres d’art, de tableaux et de dessins, sa victoire du 16 mai 1843 sur la smala d’Abd el-Kader est largement mise en scène par la monarchie de Juillet. Transformés en véritable triomphe, les discours, banquets et bals conquièrent tous les cœurs. Cependant l’Algérie ne disparaît pas aisément de son horizon. Il faudra attendre son mariage à Naples le 25 novembre 1844 avec Marie-Caroline-Auguste de Bourbon-Sicile (1822-1869), sa cousine germaine, fille du prince de Salerne, pour que, après les fêtes napolitaines, il songe à s’échapper de Paris et à lancer à Chantilly les travaux nécessaires à la modernisation des appartements que le jeune couple se propose d’habiter. La vie y est brillante et gaie « comme si les divinités de ces eaux bienveillantes se fussent réveillées de leur long sommeil pour célébrer, avec des voix d’enthousiasme et d’amour, cette poétique et royale renaissance du vieux Chantilly ».

Courses, chasses, événements familiaux, sont à nouveau l’occasion de splendides réceptions qui, pour rivaliser avec les « Fêtes et Plaisirs » du Grand Condé, de son fils Henri-Jules ou de Louis-Joseph, arrière-petit-fils d’Henri-Jules, deviennent des instants propices à la création de nombreuses romances, quadrilles ou valses… dédiées aux Altesses. En 1848, la révolution oblige le duc à un nouvel exil en Angleterre. Son éloignement durera vingttrois ans. Il habite à Twickenham, dans « Orléans House » acheté en 1855. À l’été 1857, il y reçoit Jacques Offenbach et sa troupe. Dragonette figure au programme. C’est l’histoire d’un petit fifre, engagé de l’armée, qui disparaît au moment du combat. On le croit déserteur, on va proclamer sa honte quand il revient serrant dans ses bras le drapeau arraché à l’ennemi. Au chant de triomphe qui s’élève alors : « Crions en chœur : vive la France ! », la reine Marie-Amélie, présente, éclate en sanglots, les princes maîtrisent à grand peine leur émotion.

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FIG. 75 Auguste-Paul-Charles Anastasi (1820-1889). Le Petit Château de Chantilly, 1857. Aquarelle. Chantilly, musée Condé, NA 312


ÉPILOGUE

Le domaine de Chantilly est alors « vendu » à deux Anglais qui, pendant ces années, vont gérer Chantilly et y organiser des festivités et réceptions. Le 28 octobre 1871, au lendemain de la chute du Second Empire, le duc d’Aumale retrouve son château de Chantilly qui, assez dénué de tout ce qui est nécessaire à l’habitation, n’est remeublé que l’hiver suivant avec le déménagement d’Angleterre des meubles et de la bibliothèque. Le 23 août 1875, il charge Honoré Daumet, architecte (1826-1911), de lui présenter un projet respectant le tracé triangulaire des anciennes fondations. Pour redonner vie « au cygne endormi sur l’eau », les travaux, lancés dès le début de l’année 1876, ne sont totalement achevés qu’en 1885. Entretemps, par testament du 3 juin 1884, le prince lègue le domaine et ses richesses à l’Institut pour en faire un musée pour la France. Le 15 juillet 1886, à nouveau exilé, il transforme son testament en donation (acte de 26 octobre 1886). Le 9 mars 1889, il revient à Paris après la signature du décret qui autorise son retour en France. À Chantilly, « drapeaux, lampions, clairons et tambours » fêtent l’arrivée du prince.

Aujourd’hui, ces beaux lieux retrouvent une nouvelle jeunesse. Comme le revenant qui se souviendrait d’avoir vécu un beau rêve, l’on ne peut s’empêcher d’évoquer la magnificence, le faste et « les plaisirs que nous avons eus tous les dimanches et fêtes de l’année ». Face à ce symbole de l’Histoire et de la permanence de la culture de la France, la Fondation pour la sauvegarde et le développement du domaine de Chantilly a été, en coordination avec l’Institut de France, créée en 2005 par Son Altesse l’Aga Khan. Avec détermination et « dans le respect de l’esprit et de la lettre de la donation du duc d’Aumale » (article 6 des statuts de la Fondation), cette politique s’appuie non seulement sur la sauvegarde et l’entretien du château et des parcs mais également sur une programmation culturelle et une activité « événementielle » de toute nature : expositions, spectacles équestres, manifestations pyrotechniques, concerts, opéras en plein air, théâtres, colloques et événements associatifs, sportifs ou médiatiques…

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États de service des librettistes, compositeurs et Intendants de la musique, maîtres de musique (clavecin, vielle, luth, guitare, chant), maîtres de danse, artistes et interprètes, facteurs, accordeurs d’instruments et autres maîtres


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Librettistes, compositeurs et Intendants de la musique

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Allainval Léonor-Jean-Christian Soulas (d’), dit abbé d’Alainval (1696-1753). Auteur dramatique, son ode La Nonette, l’une de ses dernières, est publiée par le Mercure de France (octobre 1748). Œuvre de circonstance dédiée « à Son Altesse Sérénissime M. le Prince de Condé, arrivant pour la première fois à Chantilly » le 3 septembre 1748, elle était vraisemblablement destinée à recevoir une gratification que, sans liens connus avec la Maison de Condé, le comte de Charolais n’accorda pas. D’Allainval mourut dans la misère en 1753.

Conseil », futur quartier des musiciens et éditeurs de musique de Paris. Mme de Prie, ne voulant pas être en reste, « donne et lègue à la demoiselle Aubert, femme du sieur Aubert, musicien du Roy et de S. A. S. Mgr le Duc, cinq cents livres de pension viagère ». Testament olographe de Mme de Prie du 15 novembre 1726 (Arch. Nat., Y 52), révoqué par codicille en date du 19 septembre 1727 transformant en « une pension de cent cinquante livres de pension viagère sa vie durant […] à la demoiselle Aubert, fille à présent pensionnaire à Lisieux ».

Aubert Jacques, dit le Vieux (Paris 30 septembre 1689-Belleville 19 mai 1753), violoniste et compositeur. Ancien élève de Sénaillé, il est, le 3 octobre 1719, qualifié de « musicien de notre très cher et très aimé cousin le duc de Bourbon, prince de notre sang ». Il habite alors « sur les fossez de M. le Prince, au-dessus de la traverse de l’Hôtel de Condé ». Son fils Louis Aubert, né le 15 mai 1720, est baptisé en l’église Saint-Sulpice le 25 du même mois ; ses parrain et marraine sont Louis-Henri, duc de Bourbon et Louise-Anne, Mlle de Charolais, sœur du duc. Collaborant avec Thomas-Louis Bourgeois dans le Divertissement de Diane donné à Vanves le 8 septembre 1721, Jacques Aubert, connu dans quelques-uns des spectacles de la foire Saint-Germain, puis, Intendant de la Musique de Monseigneur le Duc, compose le Ballet de Chantilly et le Ballet des XXIV heures (livret de Le Grand et chorégraphie de Blondi) présenté au roi, à Chantilly le 5 novembre 1722. Plus tard, sous l’œil de madame de Prie, il écrit La Reine des Péris (livret de Fuzelier) en mai 1725. Le 11 juin 1726, le duc de Bourbon, disgracié, le gratifie d’une pension annuelle de 1 000 livres réversible sur la tête de sa femme. Le 14 décembre 1727, Aubert entre aux 24 Violons de la Chambre du roi sur la démission de Noël Converset. « Ordinaire de la Chambre du Roy et de l’Académie Royale », il signe toujours avec la mention d’« Intendant de la Musique de S. A. S. » qui lui accorde 2 000 livres en 12 quittances de 500 livres [17371739, 695]. Après le décès du prince le 27 janvier 1740, cette mention devient « Intendant de la Musique de feüe S. A. S. Monseigneur le Duc ». Il habite alors « rue Saint-Honoré vis-à-vis le grand

Bourgeois Thomas-Louis-Joseph (1676-1750), « Surintendant de la musique de S. A. S. Monseigneur le Duc » Louis-Henri de Condé de 1715 à 1721. Maître de musique des cathédrales de Strasbourg et de Toul, il est, de 1708 à 1711, chanteur haute-contre à l’Opéra de Paris. Il écrit Les Amours déguisés (opéra-ballet sur un livret de Fuzelier), représenté pour la première fois à l’Académie royale de musique en 1713 [Anne Delvare, Bull. Atelier Études du CMBV, no 11, 2003]. En octobre 1714, Mouret lui offre de mettre en musique l’opéra-ballet de la 11e Nuit blanche de Sceaux. Auteur de la musique vocale du Divertissement de Diane donné, en collaboration avec Jacques Aubert, au roi à Vanves le lundi 8 septembre 1721. Instable, directeur du théâtre de la Monnaie à Bruxelles il est, comblé de faveurs, à Dijon en 1728 [Maurice Barthélemy, Ann. Liège, 1968]. En septembre 1749, le motet Beatus vir qui timet Dominus pour solistes, chœur et orchestre est son dernier ouvrage [éd. Anne Delvare]. Boutroy [Boutry, Bourtroy] Charles-FrançoisDenis (?-Senlis, 1789), organiste de l’église NotreDame et de Saint-Rieul de Senlis, aurait été un excellent élève de Forqueroy [Bull. archéol. du Comité…, Ernest Leroux, Paris, 1889]. Également symphoniste, il est requis pour réparer et accorder l’orgue et le clavecin du château de Chantilly le 21 avril 1755 [1756, 60]. Maître de musique et de composition de Lechopié Pierre-Martin-Nicolas (Choron, Dict. historique, vol. 1, 1817). Il reçoit 108 lt en 1781 et 132 lt en 1783 (carton 1 AB 30, AC) et accorde les instruments de S. A. S. à Chantilly de 1784 à 1787 (carton 1 AB 27, AC).


Les musiciens

de la Chapelle particulière du prince de CondÊ Louis-Joseph


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

242

En cette fin du xviie, la musique veut exprimer l’idéal de beauté et de sensualité véhiculé dans les cénacles de la cour et de l’aristocratie. Les princes de Condé n’échappent pas à cette obligation courtisane, mais cousins et Grands Maîtres de la Maison du Roi n’hésitent pas à faire venir les musiciens de leur cousin ou ceux des Académies royales de Musique et de Danse. C’est ainsi que la duchesse de Berry put entendre « une belle musique jusqu’à l’heure du souper » lors de son séjour du 25 septembre au 2 octobre 1718 à Chantilly. Rarement identifiés par les chroniqueurs, nous savons que le 8 septembre 1721, en présence de Louis XV et de sa cour assemblée à Vanves, les musiciens du rang « très proprement habillés des couleurs de Condé, avec un galon d’argent sur toutes les coutures » ont donné « un magnifique Concert […] [dirigé par] le sieur Bourgeois, auteur de la musique vocale et le sieur Aubert de la Symphonie »1. De même, du 4 au 8 novembre 1722, le jeune roi Louis XV, revenant des cérémonies de son sacre à Reims, est accueilli « par les Acteurs et les Actrices de l’Opéra, de la Comédie Française et Italienne, les Danseurs et les Symphonistes… » placés sous la direction de Jacques Aubert ! Revenu en juil-

let 1724 pour un séjour qui aurait dû être « croustilleux », le roi n’est intéressé que par la chasse, le jeu et la bonne chère alors que les « musiciens du château » concertent avec la « fameuse cantatrice italienne Francesca Cuzzoni (1696-1778) et la signora Margherita Durastanti » invitées par Mme de Prie. Du 8 juin au 8 août 1725, au cours d’un autre séjour royal, « c’est une table de 25 couverts dont 15 seigneurs et 10 dames qui tient depuis 9 jusqu’à 11 heures [du soir], après quoi le lansquenet et les autres jeux, avec la symphonie, durent jusqu’à une ou deux heures après, minuit2 ». Le 26 septembre 1762 – presque quarante ans plus tard – il y eut artillerie, « fanfares, harmonie de tous les instruments pendant les santés » puis trois bals : l’un pour les personnes de distinction dans le grand salon du Palais d’Orontée, le second dans le petit salon du même palais pour la bourgeoisie et le troisième dans la galerie des Cerfs pour le peuple à qui on distribua une abondance de vins et de toutes sortes de vivres pour fêter les victoires de LouisJoseph mettant fin à la guerre de Sept Ans3. Ainsi, à l’exception de quelques vedettes, les musiciens du rang, obscurs et sans grades, désignés sous l’expression générale de « musiciens du château », restent anonymes…

Recrutement des musiciens de la Chapelle particulière du prince Louis-Joseph, prince victorieux de la guerre de Sept Ans, met fin à cet anonymat. Excellent violoniste, il apprécie les sonorités nouvelles des ensembles d’instruments à vent introduits par des interprètes venus d’Europe centrale. Il recrute six instrumentistes (deux clarinettes, deux cors et deux bassons)4. Avec un répertoire essentiellement constitué de transcriptions et d’arrangements, ces sextuors, également plus économiques que les grands ensembles orchestraux, sont alors un moyen particulièrement souple pour s’offrir une vie musicale régulière.

Les sieurs Stick et Herenfeld [Erenfeld], corps [sic] de chasse, Klein [Klyn] et Laudé [Clodée] clarinettes et Baudroux [Poudroux], basson, sont donc, le 20 juin 17635, engagés « en qualité de musiciens ». Âgés d’environ 36 ans, leur taille correspond à celle (5 pieds 2 pouces soit 1,68 m) fixée par les ordonnances de Louis XIV pour le recrutement des fantassins : d’âge moyen (35 ans), Klein est le plus grand (5 pieds 7 pouces soit 1,81 m) et Poudroux, le plus âgé (50 ans en 1763), est le plus petit (5 pieds 2 pouces soit 1,68 m).

1. Notons également la présence du sieur Belleville, musicien

retrouve dans la symbolique franc-maçonnique. 5. Contrôle

du rang, bassoniste, gagé 1 000 livres par an pendant les

général des Gens qui composent la livrée de la Chambre de

années 1737, 1738 et 1739 [1737-1739, 696]. 2. Bésenval au

S. A. S… à l’époque du 1er janvier 1775 (Ms 1261, AC). 6. Musée

marquis d’Avaray, sa lettre « désabusée » du 6 juillet 1725

Condé, cote U/I-274 et carton NA 1, AC. 7. En 1767, Stiegler,

(carton NA, AC). 3. Jean-Baptiste Quin, Le Triomphe de Chantilly

Erenfeld et Klein, « professeurs de musique et ordinaires du

(carton NA 17, AC). 4. Configuration instrumentale que l’on

prince de Condé », demeuraient rue Mazarine [Michel Brenet,



Les comĂŠdiens du Grand CondĂŠ


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Bon vivant, dans un temps où les mécènes étaient extrêmement rares, Henri II de Condé demande au Champenois François Vautrel de former une troupe de comédiens qu’il prendrait sous sa protection. Jean Gracieux, dit Bruscambille, le « bonimenteur », félicitera lui-même Condé de « la bienveillance particulière qu’il vous a pleu […] me porter [et] […] chérir la scène française par-dessus tous les autres princes ». Vautrel, avec quelques autres comédiens déjà connus à Paris autour de l’inimitable trio des farceurs Turlupin, Gros-Guillaume et Gaultier-Garguille, fera,

pendant les premières années du xviie siècle, les délices du parterre de l’Hôtel de Bourgogne. Plus tard, son fils Louis II, duc d’Enghien, initié dès son plus jeune âge aux « turlupinades » de son père et des écarts de la « mère-folle dijonnaise », héritera du goût paternel pour le théâtre. Il défendra Molière contre les Dévots. Autour de ses propres comédiens tels Jean-Baptiste Monchaingre°, dit Philandre, Du Rieu° ou Jean-Baptiste Raisin°, dit le « Petit Molière », la troupe de M. le Prince deviendra « la meilleure qui soit en France ».

Monchaingre, dit « Philandre » (1616-1691)

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Nous avons appris plus haut que, né vers 1616, Jean-Baptiste Monchaingre, comédien, dit Philandre, n’avait guère plus de vingt ans lorsqu’il avait pris la direction de l’une des plus célèbres troupes ambulantes de son temps. À Saumur, au moment même où, en 1638, Scarron est au Mans, il rencontre la troupe de Josias de Soulas, dit Floridor. Intelligents, ils préféreront « s’accorder, se mesler ensemble et ne faire qu’un théâtre » dans la même ville. Après Utrecht, Bruxelles en décembre et janvier 1650-1651, nous retrouvons Monchaingre à Gand en juillet 1651 puis à Bruxelles. À La Haye, en 1653, il va distraire Claire-Clémence, princesse de Condé, qui, avec son fils, était arrivée à Valenciennes le 18 septembre 1653, puis revient à Bruxelles où JeanneFrançoise, dite Jeanneton Filandre, naît de ses « amours avec sa servante Marthe Boisseau » qui, venue accoucher à Paris, dépose plainte contre le comédien qui l’a séduite. Par procuration du 28 avril 16571, il accepte de prendre l’enfant à sa charge et obtient de la mère qui habite à Paris paroisse Saint-Sauveur, le retrait de sa plainte contre une indemnité forfaitaire de 30 livres. Le comédien est ainsi chargé d’une fillette, véritable enfant de la balle, « pour icelle faire nourrir, instruire et élever à la foy catholique, apostolique et romaine ».

Le 9 avril 1656, les registres de la paroisse de Sainte-Gudule à Bruxelles font état de la présentation de Chrétien, fils légitime de « Johan Mouschingre et Demoiselle Angélique de Manée2 ». Nous avons vu que, baptisé le 14 avril suivant, il sera prénommé Louis en l’honneur de son parrain3, Louis II de Bourbon, prince de Condé. En septembre, Christine de Suède, qui a abdiqué, quitte Bruxelles pour Rome, via Paris et Chantilly où elle est reçue par le marquis de Saint-Simon, alors capitaine du château à nouveau rattaché à la couronne. Philandre part à La Haye. Il y recueille (à Bruxelles ou à La Haye) une orpheline de dix ans née vers 1647. Abandonnée, elle s’appelait Jeanne-Olivier Bourguignon. Sa vivacité lui plut. Il en prit un soin particulier et, croyant reconnaître en elle du talent pour le théâtre, lui fit jouer quelques petits rôles dont elle s’acquitta fort bien. Avec sa femme, « sa fille adoptive » et un débutant, Michel Du Rieu, il forme une nouvelle troupe en novembre 1659. Protégée par le prince de Condé et identifiée à Saint-Jean-de-Luz le 16 mai 1660, elle aurait suivi la cour lors des cérémonies du mariage du roi avec l’infante MarieThérèse. Troupe itinérante réunissant des comédiens chevronnés comme Raymond Poisson4, dit Belleroche, et Henri Pitel5, sieur de Longchamp, elle est à Lyon en 1661 puis à Dijon en 1662 où,

1. Procuration du 28 avril 1657, liasse 1948, notaire De Beerthe

du théâtre français à Bruxelles aux xviie et xviiie siècles, Paris, 1923.

(citée par Daniel Couturier). 2. Angélique Mesnier, dite made-

4. Henri-Jules, duc d’Enghien, fut, le 2 novembre 1669, le parrain

moiselle Desmarest, épousée en 1637. 3. Henri Liebrecht, Histoire

de son fils, également prénommé Henri-Jules (Mongrédien).


Théâtre de l’Orangerie dit palais d’Orontée


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Construction de l’Orangerie

262

Il avait fallu attendre les fêtes de fin d’année 1682 pour que Monsieur le Duc Henri-Jules, agissant au nom de son père, alors dans son hôtel de Paris, vienne à Chantilly examiner avec MM. Mansart et Le Nôtre comment élever l’Orangerie que Gourville assure pouvoir faire « en la place qu’on la voudra mettre1 ». C’est donc de Chantilly que Richard, concierge, informe le prince que l’on « a commencé hier [12 janvier 1683] à abattre les poutres […] [qui] seront toutes abattues cette semaine2 ». Projet rondement mené. Le 5 février [1683], Mansard donne le dessin « des croisées pour les fenestres […] » et par conséquent de toute la serrurerie qui sera nécessaire […] et, « même si nous avons plus d’un an et demy pour les faire faire3 », Gourville, signale le 17 février qu’il « va envoyer à M. Mansard l’élévation de l’Orangerie afin qu’il fasse les deux côtés de l’Orangerie comme V. A. S. le souhaite ». Le 26 février, les tailleurs de pierre et les maçons ont ordre de commencer à travailler aux fondations4. Pendant que la Sorbonne ratiocine sur l’infaillibilité du pape, Gourville annonce le 22 mars que le couvreur est parti à Angers acheter trente-deux thoises [sic] d’ardoise qui n’a « jamais […] été si rare qu’elle l’est à Paris […] on la veut vendre […] trente livres ce qui est un tiers plus qu’elle n’avait accoutumé de valoir5 ». De leur côté, les charpentiers, posant en septembre la cinquième travée au bout de l’Orangerie du côté de la galerie des Cerfs6

« sont en peine pour les combles des deux pavillons fins des bouts de l’Orangerie sur quoy M. Mansard n’a rien voulu résoudre » sans être revenu à Chantilly7. Le 24 décembre 1683, Richard annonce que, dans la neige et le gel, « les solives sont arrivées hier soir à Saint-Leu avec quatre charrettes de châssis et de croisées ; j’attends à présent, poursuit-il, les portes et lundi les vitriers8 ». Un an plus tard, on « travaille avec toute la diligence possible pour achever la couverture de tout le comble du pavillon de l’Orangerie9 ». En juillet 1685, le 23, Richard annonce que « les marbriers ont achevé le salon du bout de l’Orangerie ; ils travaillent présentement à mettre les carreaux de marbre dans le cabinet du bout de la Galerie des Cerfs10 ». Sans encore parler de théâtre, on sait cependant que, le 14 décembre 1685, « les couvreurs […] travaillent à présent à la croupe qui regarde la Galerie des Cerfs dont la charpente sera achevée demain. Il restera à faire la jonction du comble de l’Orangerie avec celui du Pavillon11 ». Ce pavillon, faisant la jonction de l’Orangerie avec la galerie des Cerfs, est prêt pour recevoir le Grand Dauphin en août 1688. Très richement décoré, M. Berain l’avait divisé en trois parties :

FIG. 77 Plan de la Gallerie [sic] des Cerfs. Mine de plomb, aquarelle. Chantilly, Bibliothèque et archives du château de Chantilly, CP-CHA-B-003-(01)

1. Gourville, Paris, ses lettres du 21 et 29 décembre 1682.

1683. 8. Richard, Chantilly le 24 décembre 1683. 9. Gourville,

2. Richard, Chantilly, le 13 janvier 1683. 3. Gourville, Paris,

les 5 et 7 décembre 1684. 10. Richard, Chantilly, le 23 juillet

lettre du 6 février 1683. 4. Gourville, Paris, le 26 février 1683.

1685. 11. Richard, Chantilly le 14 décembre 1685. 12. Ano-

5. Gourville, Paris, ses courriers des 22, 24 et 25 mars 1683.

nyme, La Feste de Chantilly [N. B. : jusqu’à sa réhabilitation

[N. B. : la toise carrée représente 3,79 m2]. 6. Père Berger,

en 1767, ce pavillon sera appelé palais d’Orontée]. 13. Lettre

Chantilly, le 6 septembre 1683. 7. Richard, Chantilly, le 22 mai

du prince de Condé (Louis II) au duc d’Enghien (Henri-


Répertoire

des pièces de théâtre jouées chez Louis-joseph, prince de Condé


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

Le nombre de représentations de la même œuvre est signalé par 1re, 2e…, la précédente étant rappelée par [jj/mm/aaaa].

1766 14 août Le Somnambule (1re), com. 1 acte en prose, Antoine Fériol (dernière comédie représentée

aux « Bains du Palais d’Orontée »).

1767 19 août 20 août

Le Devin du village, J.-J. Rousseau, Salon d’Isis de la Ménagerie. Le Coq du village, vaudeville, Favart.

1768 6 novembre

28 novembre

29 novembre 30 novembre

Le Philosophe sans le savoir (1re), com. 5 actes en prose, Sedaine, On ne s’avise jamais de tout (1re), opéra-bouffe 1 acte en prose, Sedaine, mus. Monsigny. Le Philosophe sans le savoir (2e, 6 novembre 1768), Zélindor, ballet 1 acte, Moncrif, mus. Francœur et Rebel. Le Bourgeois gentilhomme (1re), comédie-ballet 5 actes, Molière, mus. Lully. Églé (3e acte des Fêtes d’Hébé ou Les Talents lyriques), opéra-ballet, Rameau, Pygmalion, opéra en 1 acte, Rameau.

1769

270

19 juillet

30 juillet 9 août

Le Philosophe sans le savoir (3e, 28 novembre 1768), Les Deux Chasseurs et la Laitière (1re), opéra-comique 1 acte, Anseaume, mus. Duni. Crispin médecin, com. 3 actes en prose, Hauteroche. Les Plaideurs (1re), com. 3 actes en vers, Racine, L’Esprit de contradiction (1re), com. 1 acte en prose, Du Fresny.

1771 28 juillet

xxx ?, proverbe. Les Religieuses, proverbe. 4 août Les Frères de la charité et le médecin, proverbe. 6 octobre Le Philosophe et les deux Chasseurs, com. 24 octobre La Cérémonie d’un mariage juif, com. 1er novembre Mariage d’un roi et d’une reine, La Mère confidente, com. 3 actes en prose, Marivaux. 2 novembre Rose et Colas (1re), opéra-comique, 1 acte, Sedaine, mus. Monsigny. 9 novembre L’Avocat patelin (1re), com. 3 actes en prose, de Brueys et Palaprat, On ne s’avise jamais de tout (2e, 6 novembre 1768), Le Rendez-vous [ou L’Amour supposé] (1re) com. en vers, Fagan. 20 novembre Le Mort marié, com. 2 actes en prose, Sedaine, Isabelle et Gertrude [ou Les Sylphes supposés] (1re), opéra-comique, 1 acte, Favart, mus. Grétry, L’Impromptu de campagne (1re), com. 1 acte en vers, Poisson. 14 décembre La Fausse Agnès ou Le Poète campagnard, com. 3 actes en prose, Destouches. 31 juillet


Généalogie

des Bourbon-Condé


FÊTES et PLAISIRS AU TEMPS des Princes de Condé

1. LOUIS Ier de CONDÉ (Vendôme, 7 mai 1530 – Jarnac, 13 mars 1569) [protestant] Né Loys de Vendôme, dit prince de Condé en 1557 et Monsieur le Prince, marquis de Conti (1551), comte de Soissons, d’Anisy et de Vallery, duc de Vendôme. Septième fils de Charles IV de Bourbon, duc de Vendôme, pair de France (1489-1537)1 et de Françoise d’Alençon (1491-1550)2, fille de René de Valois, duc d’Alençon, comte du Perche. Souche de la Maison des Bourbon-Condé, il eut3 : • de son premier mariage, le 22 juin 1551 au château de Plessier-les-Roye, avec Éléonore de Roye (Châtillonsur-Loing, 24 février 1535 – Condé-en-Brie, 23 juillet 1564), dame de Roye, Conti, Muret [protestante] : 1. Henri Ier de Bourbon, qui suit, 2. Marguerite de Bourbon, (Roucy, 8 novembre 1556 – Montpellier, après le 12 juillet 15724), 3. François de Bourbon, prince de Conti (La Ferté-sous-Jouarre, 19 août 1558 – Abbaye Saint-Germaindes-Prés à Paris, 3 août 1614), sans postérité, 4. Charles III de Bourbon, cardinal de Bourbon, archevêque de Rouen (Gandelu, 30 mars 1562 – Abbaye Saint-Germain-des-Prés à Paris, 30 juillet 1594), 5. Louis de Bourbon, frère jumeau, comte d’Anisy (Gandelu, 30 mars 1562 – Muret, 19 octobre 1563), 6. Madeleine de Bourbon (? – Muret, 7 octobre 1563), 7. Catherine de Bourbon (Roucy, 1564- ?).

276

• de son second mariage, le 8 novembre 1565, avec Françoise d’Orléans-Longueville (Châteaudun, 1549 – Hôtel de Soissons à Paris, 11 juin 1601) : 1. Charles de Bourbon-Soissons, comte de Soissons (Nogent-le-Rotrou, 3 novembre 1566 – Blandyles-Tours, 1er novembre 1612) [branche des comtes de Soissons], 2. L ouis de Bourbon (1567 – mort après le 12 avril 1569 et avant le 15 août 1571), 3. B enjamin de Bourbon (1569 – mort après 1573). 2. HENRI Ier de BOURBON-CONDÉ (La Ferté-sous-Jouarre, 29 décembre 1552 – Saint-Jean-d’Angély, 5 mars 1588) [protestant] Duc d’Enghien, puis 2e prince de Condé, appelé Monsieur le Prince, gouverneur de Picardie. Il eut : • de sa première épouse, Marie de Clèves, [protestante], comtesse de Beaufort-en-Champagne, marquise d’Isle (1553 – morte en couches le 30 octobre 1574), épousée le 10 août 1572 à Blandy : 1. Catherine de Bourbon-Condé, marquise des Isles (titre provenant de sa mère) (Paris, octobre 1574 – Palais du Louvre, 30 décembre 1596), dite Mlle de Bourbon, sans descendance. • de sa seconde épouse, Charlotte-Catherine de La Trémoille [protestante] (Thouars, 25 septembre 1565 – Hôtel de Condé, 28 août 1629), épousée le 16 mars 1586, fille de Louis III de la Trémoille (1521-1577) et Jeanne de Montmorency ( ?-1596) : 2. Éléonore de Bourbon-Condé (30 avril 1587 – Muret, 20 janvier 1619), mariée le 23 novembre 1606 à Philippe-Guillaume d’Orange-Nassau, prince d’Orange mort le 21 février 1618, fils de Guillaume Ier, sans postérité [protestants], 3. Henri II (1588-1646), 3e prince de Condé, qui suit. 1. Les Bourbon sont issus de Robert de Clermont, cinquième fils de Saint Louis. 2. Treize enfants naîtront de cette union : six filles et sept fils (Louis est le dernier des fils). 3. Les enfants vivants au décès de leurs pères respectifs sont notés en caractères gras. 4. Le musée Condé possède une facture de 249 livres 2 sols et 5 deniers, émise le 12 juillet 1572 par Jacomy Belon, tailleur,


BIBLIOGRAPHIE A. Sources et bibliographie générales I. Sources manuscrites Musée Condé, Chantilly Anonyme, Recueil anonyme relatif aux cérémonies entre 1692 et 1701, Ms 1183. Anonyme, Pompes funèbres de Louis de Bourbon, prince de Condé, premier prince du sang, 1686, Ms 1237. Anonyme, Contrôle général des Gens qui composent la livrée de la Chambre de S. A. S. Monseigneur le Prince de Condé à l’Époque du premier janvier 1775, Ms 1261. Bisincourt (de), Relation du carrousel donné le 5 juin 1662, Ms 950. Luiller Mathieu, Recueil de pièces très curieuses, Ms 1064 (musée Condé). Rosnel, Henry (du) et Guillemard, Desseins des livrées de M. le Prince de Condé, 1776, Ms 1262. Tallemant De Réaux Gédéon, Historiettes, Ms 926. Toudouze, Journal des Chasses de Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince de Condé à Chantilly… mêlé d’Anecdotes et Événements relatifs aux fêtes données à l’occasion des Entrées, Mariages, Naissances… des Princes et Princesses de la Maison des dites Altesses Sérénissimes depuis l’année 1748 jusques et compris 1778. Cartons séries 1A (Papiers de famille, 1AB (Administration générale), 1B, NA (Nouvelles acquisitions).

Registres série 2AB (2 à 187) : Délibérations du Conseil de famille (1669 à 1789). Registres série 2AB 188 à 203, Louis II, Recettes et Dépenses (1675 à 1686). Registres série 2AB 204 à 227, Henri-Jules, Recettes et Dépenses (1686 à 1709)*. Registres série 2AB 228 à 239, Louis III, Recettes et Dépenses (1686 à 1710) **. Registres série 2AB 240 à 249, Henri-Jules, Recettes et Dépenses, Successions (1709 à 1727)*. Registres série 2AB 250 à 256, Louis III, Recettes et Dépenses, Successions (1711 à 1726) **. Registres série 2AB 257 à 258, Louis-Henri, Recettes et Dépenses (1737 à 1738). Registres série 2AB 259 à 291, Louis-Joseph, Recettes et Dépenses (1740 à 1781). Registres séries M, N, P, T, U : lettres (1600-1789). BIBLIOTHÈQUE DE LA SORBONNE Fonds ancien. Collection d’autographes de Victor Cousin, MSCV 1, Hommes Illustres (1621-1800). STADTARCHIV ÜBERLINGEN, Allemagne Baubuch 1791-1831.

II. Sources imprimées

SOURCES ANTÉRIEURES À 1800 Anonyme, La Feste de Chantilly, contenant tout ce qui s’est passé pendant le séjour que Mgr. le Dauphin y a fait, avec une description exacte du chasteau et des fontaines, 2de partie, Septembre 1688, Paris, 1688. Anonyme, Le Sacre de Louis XV, Roi de France et de Navarre, dans l’église de Reims, le dimanche XXV octobre MDCCXXII (dessins d’Antoine Danchet) [1722]. Bachaumont Louis Petit (de), (1690-1771), Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des lettres en France, Londres, 1762-1789.

Coste Olivier (de) (en religion Hilarion de), Éloges et Vies des reynes, des princesses et des dames illustres en piété, en Courage et en Doctrine, Paris, 1647. Duclos Charles, Mémoires secrets sur les règnes de Louis XIV et de Louis XV, Paris, 1791. Dulaure Jacques-Antoine, Nouvelles Descriptions des environs de Paris, première partie, Lejay, Paris, 1787, p. 73-74. Faure, Fête royale donnée à Sa Majesté par S. A. S. Mgr le Duc de Bourbon à Chantilly le 4, le 5, le 6, le 7 et le 8 novembre 1722 où l’on verra un détail de tout ce qui s’est passé de curieux et qu’on n’a point imprimé dans les relations…, Paris, 1722. Gourville Jean Hérault (de), Mémoires, 1698, t. II.

281


INDEX des NOMS de LIEUX A Avilly, p. 11, 134, 173, 197, 258

B Belesbat, p. 145 Betz, p. 213 Blandy-les-Tours, p. 16, 18 Bordeaux, p. 31 Bourges Hôtel Jacques Cœur, p. 33 Bruxelles, p. 28, 51, 62

C Chalon-sur-Saône, p. 33 Chantilly Auberges, p. 83 Château xvie, p. 46, 122 note 13 Château xviiie, p. 123 Chaloupes, p. 165 Chapelle (orgues), p. 75-77 Chapelle « musiciens », p. 182, 241-245 Clergé paroissial, p. 140 Église paroissiale, p. 82, 90, 140 Fête Dauphine, p. 84-89 Fête Royale, p. 131-139 Feux d’artifice, p. 130, 138, 155, 173, 176, 192 Galerie des Actions, p. 84 Grand Canal, p. 206 Grandes Écuries, p. 123 Hameau, p. 201, 202 Hôpital, p. 140 Île du Bois-vert, p. 170, 182 Jeu de Paume, p. 175 Maison de Sylvie, p. 54, 88, 188 Ménagerie (Vineuil), p. 99, 190, 198 Palais d’Orontée, p. 84, 164, 174, 261-268 Pavillon d’Enghien, p. 194 Pavillon Romain, p. 201 Chartres, p. 22 Châteauroux, p. 96-98 Châtillon-sur-Loing, p. 48 Clermont-en-Beauvaisis, p. 31, 124 note 19 Coucy-le-Château, p. 31 Condé-en-Brie, Château de, p. 14, 15 Courbépine, p. 147 Courteuil, p. 184, 202

Coye-la-Forêt, p. 122 note 14, 123, 134, 190, 197, 199 Creil, p. 31, 122 note 14, 170

D

Petit palais Bourbon, p. 129 Palais Bourbon, p. 184 Vincennes, Château de, p. 50 Saint-Sulpice, p. 140 Pézenas, p. 48 note 41

Dieppe, p. 170 Dijon, p. 35, 186

Q

F Fontainebleau, Château de, p. 15, 23, 27, 104, 183 Fontaine-Française, p. 22

I Italie, Voyage en, p. 33, 34

J Jarnac, p. 16

L La-Ferté-Ancoul, voir La-Fertésous-Jouarre La-Ferté-sous-Jouarre, p. 14 note 2 Lamorlaye, p. 205 La Rochelle, p. 16, 20 Laversine, Château de, p. 99, 122 note 14, 170 Lérida, p. 50 Le Raincy, p. 60, 61

M Marly, p. 99 Mazeroy, voir Saint-Jean-d’Angély Moncontour, Bataille de, p. 18 Montrond, Château de, p. 33 Muret, p. 14 note 3, 27

N Nogent-le-Rotrou puis Nogent-leBéthune, p. 11, 14, 16, 33 Noyers[-sur-Serein], p. 16

P Paris Hôtel de Bourbon, p. 19, 30 Hôtel de Condé, p. 28, 165 Hôtel d’Évreux, p. 211 Louvre, Château du, p. 19 Panthémont, p. 195 Petit Luxembourg, p. 99, 110

Québec, p. 29, 33

R Reims, p. 131 Régennes, p. 72, 107 Rouen, p. 253

S Saint-Denis, p. 16 Saint-Germain, Château de, p. 22, 99 Saint-Jean-d’Angély, p. 22 Saint-Léonard, p. 11, 83, 258, 259 Saint-Leu, p. 218 Saint-Maur, Château de, p. 31, 103-108, 112, 147, 160 Sceaux, p. 105, 106, 121 Senlis, p. 31, 69, 83, 90, 110

T Trémoille, Château de, p. 20 note 6 Trèves, Château de, p. 250

U Überlingen, p. 215

V Vallery Château de, p. 16, 27, 32, 47, 154 note 51

Mausolée, p. 48 Vanves, Château de, p. 123, 129, 167, 196, 204, 231 Verneuil-en-Halatte, Château de, p. 122 note 14 Versailles, 73 Appartements, p. 104 La Minière (le Désert), p. 90, 92 Vineuil-Saint-Firmin, p. 65-67, 69

W Wassy, Massacre de, p. 15

287


Crédits photographiques Chantilly, bibliothèque et archives du château de Chantilly, fig. 8, 9, 19, 20, 41, 42, 48, 53, 56, 60, 64

Chantilly, musée Condé, D.R., fig. 2, 17, 18 André Pelle, fig. 14 Chantilly, musée Condé, Bridgeman images, fig. 25 Chantilly, musée Condé, RMN-Grand Palais, Agence Bulloz, fig. 12 Chantilly, musée Condé, RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly), Harry Bréjat, fig. 22, 77 Chantilly, musée Condé, RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly), Hervé Lewandowski, fig. 74 Chantilly, musée Condé, RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly), René-Gabriel Ojéda, fig. 1, 15, 26, 33, 43, 44, 57, 58, 61, 65, 66, 67, 70, 75, 78, 79

Chantilly, musée Condé, RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly), Thierry Ollivier, fig. 4, 16, 47, 49

Chantilly, musée Condé, RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly), Michel Urtado, fig. 5, 11, 13, 27, 35

Paris, musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais (musée du Louvre), Martine Beck-Coppola, fig. 37, 55

Charles Henin / D.R.,

Marly-le-Roi, musée-promenade, Marly-le-Roi-Louveciennes, Louis Bourjac, fig. 72

fig. 6, 10, 30, 52, 68, 73, 76

Dijon, musée des Beaux-Arts de Dijon, François Jay, fig. 51 Dijon, archives de la Ville de Dijon, fig. 59

Paris, Archives nationales, fig. 28

Paris, Bibliothèque nationale de France, fig. 3, 7, 23, 32, 39, 45, 50, 54, 63, 71

Paris, bibliothèque-musée de l’Opéra Garnier, dist. Photo © RMN-Grand-Palais, Jean-Pierre Lagiewski, fig. 62 Paris, Comédie-Française, © P. Lorette, coll. ComédieFrançaise, fig. 24 Paris, musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais (musée du Louvre), Gérard Blot, fig. 69 Paris, musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais, Pierre Philibert, fig. 38

Nantes, musées des Beaux-Arts de Nantes, dist. Photo © RMN-Grand Palais, Gérard Blot, fig. 46 Sceaux, Collection musée du domaine départemental de Sceaux, Pascal Lemaître, fig. 29

Tours, musée des Beaux-Arts de Tours, fig. 36 Versailles, château de Versailles, dist. RMN-Grand Palais, Christophe Fouin, fig. 21 Versailles, château de Versailles, dist. RMN-Grand Palais (château de Versailles), Gérard Blot, fig. 31, 40 Versailles, château de Versailles, dist. RMN-Grand Palais (château de Versailles), Franck Raux, fig. 34

295


Cet ouvrage a été composé en Baskerville et Gotham et imprimé sur papier Garda Matt, intérieur, 150g, et couverture, 400g. La photogravure a été réalisée par Quat’Coul (Toulouse). Achevé d’imprimer sur les presses de PBTisk (République tchèque) en octobre 2015.



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