HISTOIRE DE L'ART N° 79 - L'ARTISTE-HISTORIEN (extrait)

Page 1

Perspectives

11 France Nerlich Palette contre plume. Peindre l’histoire de l’art : le cas de Paul Delaroche et de Johann Friedrich Overbeck 25 Jean-Philippe Garric Trois architectes historiens 33 Michel Poivert La mémoire photographique ou la sensibilité historique des photographes Études

41 Manon Vidal Un architecte-historien dans la tourmente révolutionnaire : le cas de Jacques-Guillaume Legrand (1753-1807) 51 Sidonie Lemeux-Fraitot Girodet ou la conscience de l’Histoire 61 Matthieu Fantoni Ingres historien et partisan de Jules Romain 71 Laurens Dhaenens Faire et écrire l’histoire de l’art à Buenos Aires dans les années 1870 et 1880 : de Santiago Vaca Guzmán à Eduardo Schiaffino 81 Émilie Hammen Couturiers historiographes : écrire l’histoire de la mode. Le cas de Gaston Worth (1895)

91 Benjamin Chavardés La scuola romana et la critique opératoire 101 Sandra Delacourt « Primary Structures » : un tournant décisif dans le partage de l’histoire 111 Théo Bélaud Rosen hors de son propos : portrait de l’artiste en canoniste

HISTOIRE DE L’ART

123 Gauthier Bolle Quand les architectes se livrent à l’Histoire : témoignage d’un mandarin des Trente Glorieuses 135 Jelena Martinovic L’histoire de l’art comme artefact Leo Steinberg vu à travers Juan Downey 145 Lilian Froger Les écrits de Homma Takashi sur l’histoire de la photographie : mise en récit et prises de vue Méthode

157 Hubert Locher Querelle de compétence : historiens contre artistes varia

[Publié en ligne sur le blog de l’APAHAU]

Pamela Bianchi (prix de l’Apahau 2016) Un espace à part : le plafond

l’artiste-historien

Juliette Lavie et Pierre Sérié Introduction

informations

165 Résumés/Abstracts 173 Auteurs ayant participé à ce numéro

31 € ISBN : 9782757211885

79 / 2016

5

histoire de l’art

l’artiste-historien

79 / 2016

l’artiste-historien


Directeur de la publication : Arnauld Pierre, Université Paris-Sorbonne (Paris IV). Rédacteur en chef : Simon Texier, Université de Picardie Jules-Verne. Coordination de ce numéro : Juliette Lavie et Pierre Sérié. Ce numéro est publié avec le généreux soutien de Monsieur Yves Blanc. Comité de rédaction : Philippe Bettinelli, Centre national des arts plastiques – Olivier Bonfait, Université de Bourgogne – Dominique de Font-Réaulx, Musée du Louvre – Jean-Marie Guillouët, Université de Nantes – Thomas Kirchner, Centre allemand d’histoire de l’art – Jérémie Koering, Centre André Chastel, CNRS – Pascal Liévaux, Ministère de la Culture – Camille Morando, Musée national d’art moderne-Centre Pompidou – Sophie Mouquin, Université Charles-de-Gaulle Lille 3 – Édith Parlier-Renault, Université Paris-Sorbonne (Paris IV) – Natacha Pernac, École du Louvre, Université Paris Ouest Nanterre – François Queyrel, École pratique des hautes études – Claudia Rabel, CNRS (IRHT) – Pierre Sérié, Université BlaisePascal Clermont-Ferrand – Olivia Voisin, Musées d’Orléans. Comité scientifique : Isabelle Balsamo, Direction de l’architecture et du patrimoine – François Baratte, Université Paris-Sorbonne (Paris IV) – Angelos Delivorrias, Musée Bénaki, Athènes – Alexandre Farnoux, école française d’Athènes – Christian Freigang, Université libre de Berlin – Christopher Green, The Courtauld Institute of Art, Londres – Martial Guédron, Université de Strasbourg – Bernard Holtzmann, Professeur émérite, Université de Paris-Ouest – Françoise Levaillant, Centre André Chastel, CNRS, Paris – Neil F. McWilliam, Université de Duke – Nabila Oulebsir, Université de Poitiers – Roland Recht, Collège de France – Éliane Vergnolle, Université de Franche-Comté, Besançon – Christiane Vorster, Université de Bonn – Pierre Wat, Université Paris I. Secrétariat de rédaction et site Internet : Juliette Hernu-Bélaud Courriel : revueredachistoiredelart@gmail.com Relecture des résumés anglais : Katherine Baker Abonnements et gestion : Catherine Bachollet Revue Histoire de l’art Galerie Colbert – INHA 2, rue Vivienne, F-75002 Paris Tél. : +33 (0)1 47 03 84 00. Courriel : revue.histoiredelart@inha.fr Bulletin d’abonnement sur le blog de l’APAHAU : http://blog.apahau.org/revue-histoire-de-lart-abonnement-et-vente-au-numero/

prochains numéros : n° 80 L’art et la fabrique de l’histoire 2017/1 n° 81 Animal-Animalité 2017/2

Fondée en 1988 et éditée par l’Association des professeurs d’archéologie et d’histoire de l’art des universités, Histoire de l’art est une revue de recherche et d’information dont l’objectif principal est de publier les résultats des travaux de jeunes chercheurs, qu’il s’agisse de l’Antiquité, du Moyen Âge, de l’époque moderne (xvie-xviiie siècles) ou contemporaine (xixe-xxie siècles). Elle complète la production éditoriale française en histoire de l’art en faisant connaître rapidement les résultats des recherches, du master au doctorat. De plus, Histoire de l’art offre aux chercheurs confirmés et aux acteurs de l’aire culturelle concernée – professeurs, conservateurs du patrimoine, critiques – les rubriques « Perspectives », « Dossier », « Méthode », « Varia ». Loin de tout sectarisme, elle veut rendre compte de la diversité féconde des approches de l’œuvre d’art et de l’architecture, sans négliger l’analyse des représentations, de l’image et du discours. Histoire de l’art paraît deux fois par an. Les numéros sont le plus souvent thématiques (Art et érotisme, Parallèles entre les arts, Approches visuelles…) et intègrent en « varia » des articles hors thème.

Périodicité : semestrielle. Éditeur : Association des professeurs d’archéologie et d’histoire de l’art des universités (APAHAU) Trésorier : Pierre Sérié Diffuseur auprès des libraires : Somogy éditions d’art, 57, rue de la Roquette, F-75011 Paris Tél. +33 (0) 1 48 05 70 10. Maquette : Anne Desrivières Logo créé par Pierre-Louis Hardy Dépôt légal : avril 2017 – ISBN : 9782757211885

Couverture : Détail de Paul Delaroche, Hémicycle des beaux-arts, 1836-1841, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, RMN.

Achevé d’imprimer sur les presses de l’Imprimerie Corlet Imprimeur à Condé-sur-Noireau en avril 2017 ­– N° d’impression : 180877 – Dépôt légal : avril 2017 Imprimé en France


Directeur de la publication : Arnauld Pierre, Université Paris-Sorbonne (Paris IV). Rédacteur en chef : Simon Texier, Université de Picardie Jules-Verne. Coordination de ce numéro : Juliette Lavie et Pierre Sérié. Ce numéro est publié avec le généreux soutien de Monsieur Yves Blanc. Comité de rédaction : Philippe Bettinelli, Centre national des arts plastiques – Olivier Bonfait, Université de Bourgogne – Dominique de Font-Réaulx, Musée du Louvre – Jean-Marie Guillouët, Université de Nantes – Thomas Kirchner, Centre allemand d’histoire de l’art – Jérémie Koering, Centre André Chastel, CNRS – Pascal Liévaux, Ministère de la Culture – Camille Morando, Musée national d’art moderne-Centre Pompidou – Sophie Mouquin, Université Charles-de-Gaulle Lille 3 – Édith Parlier-Renault, Université Paris-Sorbonne (Paris IV) – Natacha Pernac, École du Louvre, Université Paris Ouest Nanterre – François Queyrel, École pratique des hautes études – Claudia Rabel, CNRS (IRHT) – Pierre Sérié, Université BlaisePascal Clermont-Ferrand – Olivia Voisin, Musées d’Orléans. Comité scientifique : Isabelle Balsamo, Direction de l’architecture et du patrimoine – François Baratte, Université Paris-Sorbonne (Paris IV) – Angelos Delivorrias, Musée Bénaki, Athènes – Alexandre Farnoux, école française d’Athènes – Christian Freigang, Université libre de Berlin – Christopher Green, The Courtauld Institute of Art, Londres – Martial Guédron, Université de Strasbourg – Bernard Holtzmann, Professeur émérite, Université de Paris-Ouest – Françoise Levaillant, Centre André Chastel, CNRS, Paris – Neil F. McWilliam, Université de Duke – Nabila Oulebsir, Université de Poitiers – Roland Recht, Collège de France – Éliane Vergnolle, Université de Franche-Comté, Besançon – Christiane Vorster, Université de Bonn – Pierre Wat, Université Paris I. Secrétariat de rédaction et site Internet : Juliette Hernu-Bélaud Courriel : revueredachistoiredelart@gmail.com Relecture des résumés anglais : Katherine Baker Abonnements et gestion : Catherine Bachollet Revue Histoire de l’art Galerie Colbert – INHA 2, rue Vivienne, F-75002 Paris Tél. : +33 (0)1 47 03 84 00. Courriel : revue.histoiredelart@inha.fr Bulletin d’abonnement sur le blog de l’APAHAU : http://blog.apahau.org/revue-histoire-de-lart-abonnement-et-vente-au-numero/

prochains numéros : n° 80 L’art et la fabrique de l’histoire 2017/1 n° 81 Animal-Animalité 2017/2

Fondée en 1988 et éditée par l’Association des professeurs d’archéologie et d’histoire de l’art des universités, Histoire de l’art est une revue de recherche et d’information dont l’objectif principal est de publier les résultats des travaux de jeunes chercheurs, qu’il s’agisse de l’Antiquité, du Moyen Âge, de l’époque moderne (xvie-xviiie siècles) ou contemporaine (xixe-xxie siècles). Elle complète la production éditoriale française en histoire de l’art en faisant connaître rapidement les résultats des recherches, du master au doctorat. De plus, Histoire de l’art offre aux chercheurs confirmés et aux acteurs de l’aire culturelle concernée – professeurs, conservateurs du patrimoine, critiques – les rubriques « Perspectives », « Dossier », « Méthode », « Varia ». Loin de tout sectarisme, elle veut rendre compte de la diversité féconde des approches de l’œuvre d’art et de l’architecture, sans négliger l’analyse des représentations, de l’image et du discours. Histoire de l’art paraît deux fois par an. Les numéros sont le plus souvent thématiques (Art et érotisme, Parallèles entre les arts, Approches visuelles…) et intègrent en « varia » des articles hors thème.

Périodicité : semestrielle. Éditeur : Association des professeurs d’archéologie et d’histoire de l’art des universités (APAHAU) Trésorier : Pierre Sérié Diffuseur auprès des libraires : Somogy éditions d’art, 57, rue de la Roquette, F-75011 Paris Tél. +33 (0) 1 48 05 70 10. Maquette : Anne Desrivières Logo créé par Pierre-Louis Hardy Dépôt légal : avril 2017 – ISBN : 9782757211885

Couverture : Détail de Paul Delaroche, Hémicycle des beaux-arts, 1836-1841, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, RMN.

Achevé d’imprimer sur les presses de l’Imprimerie Corlet Imprimeur à Condé-sur-Noireau en avril 2017 ­– N° d’impression : 180877 – Dépôt légal : avril 2017 Imprimé en France


N° 79 2016/2

Revue de recherche et d’information publiée sous l’égide de l’Association des professeurs d’archéologie et d’histoire de l’art des universités (APAHAU), avec le soutien de la Direction générale des patrimoines, de l’École du Louvre, de l’Institut national d’histoire de l’art et du Centre allemand d’histoire de l’art


SOMMAIRE N°79 – 2016/2

L’artiste-historien 5

Juliette Lavie et Pierre Sérié Introduction

91

Benjamin Chavardés La scuola romana et la critique opératoire

101

France Nerlich Palette contre plume. Peindre l’histoire de l’art : le cas de Paul Delaroche et de Johann Friedrich Overbeck

Sandra Delacourt « Primary Structures » : un tournant décisif dans le partage de l’histoire

111

25

Jean-Philippe Garric Trois architectes historiens

Théo Bélaud Rosen hors de son propos : portrait de l’artiste en canoniste

123

33

Michel Poivert La mémoire photographique ou la sensibilité historique des photographes

Gauthier Bolle Quand les architectes se livrent à l’Histoire : témoignage d’un mandarin des Trente Glorieuses

135

Jelena Martinovic L’histoire de l’art comme artefact Leo Steinberg vu à travers Juan Downey

145

Lilian Froger Les écrits de Homma Takashi sur l’histoire de la photographie : mise en récit et prises de vue

Perspectives 11

Études 41

Manon Vidal Un architecte-historien dans la tourmente révolutionnaire : le cas de JacquesGuillaume Legrand (1753-1807)

51

Sidonie Lemeux-Fraitot Girodet ou la conscience de l’Histoire

61

Matthieu Fantoni Ingres historien et partisan de Jules Romain

71

Laurens Dhaenens Faire et écrire l’histoire de l’art à Buenos Aires dans les années 1870 et 1880 : de Santiago Vaca Guzmán à Eduardo Schiaffino

81

Émilie Hammen Couturiers historiographes : écrire l’histoire de la mode. Le cas de Gaston Worth (1895)

Méthode 157

Hubert Locher Querelle de compétence : historiens contre artistes

varia

[Publié en ligne sur le blog de l’APAHAU]

Pamela Bianchi (prix de l’Apahau 2016) Un espace à part : le plafond informations 165 173

Résumés/Abstracts Auteurs ayant participé à ce numéro


introduction

Juliette Lavie et Pierre Sérié

Introduction

Cette livraison consacrée par la revue Histoire de l’art aux artistes qui ont pris en charge, par l’écrit ou l’image, l’histoire de leur art, trouve son origine dans l’actualité de la recherche et des expositions. Elle est en partie le fruit d’un projet post-doctoral retenu en 2015, par le Labex Création, Arts et Patrimoines et développé dans le laboratoire de l’HiCSA de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sur La mise en récit(s) de la photographie en France. Le cas des praticiens-historiens de 1945 à nos jours1 et de la carte blanche laissée par le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris au printemps 2016 au photographe Jan Dibbets pour revisiter, sous la forme d’une exposition, l’histoire de la photographie2. Dans ce rôle d’artiste-commissaire, Dibbets a proposé un récit intuitif et personnel, éloigné des modèles méthodologiques de l’histoire de l’art, qu’il a en outre affranchi des conventions muséales en donnant une place égale aux originaux et aux reproductions, aux vintages et aux tirages postérieurs. Si ces travaux consacrés à l’historiographie de la photographie ont été à l’origine du choix fait de retenir le thème de l’artiste-historien pour ce numéro, nous avons souhaité élargir la discussion, afin de poursuivre la tradition de la revue depuis sa création en 1988, en ouvrant ses pages aux études qui, de la Renaissance – moment inaugural de l’émergence de cette figure – à l’époque contemporaine, proposeraient des analyses sur les artistes qui ont apporté leur contribution à l’écriture ou au renouvellement de l’écriture de l’histoire de l’art. Outre des éclairages sur l’apparition de figures d’artistes-historiens dans la Compagnie de Saint-Luc et des études sur les conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, le modèle de Giorgio Vasari, l’apport de Carel van Mander et de Gérard de Lairesse, et les discours de Joshua Reynolds à la Royal Academy3, l’appel à contributions aspirait à recevoir des articles sur les artistes qui avaient dû, à partir du xviiie siècle, renégocier leur place parmi les auteurs – critiques d’art, collectionneurs, érudits, historiens de l’art – qui écrivaient sur l’art et qui, par leurs approches nouvelles et les formes diversifiées de leurs discours, les marginalisaient dans le rôle d’historien. L’enjeu de ce numéro était d’obtenir des essais variés, touchant à tous les domaines de la création : peinture, architecture, arts décoratifs, sculpture, photographie, vidéo, etc., susceptibles d’inscrire dans un horizon géographique le plus large possible la question de l’artiste en tant qu’opérateur de récit. Le but était également d’éclairer la stratégie de carrière de ces artistes, et d’interroger le lien qui unissait ou non leur pratique artistique à celle de l’écriture. Avec ce numéro, nous souhaitions répondre à un ensemble de questions : qu’advient-il lorsqu’un artiste fait de son art un objet d’études historiques ? Quelles conséquences son parcours et ses fonctions pédagogiques exercent-elles sur sa prise en compte de l’historicité de l’art ? Comment l’artiste renégocie-t-il sa place quand sa position d’historien est contestée par le monde de l’art ? Et quels types d’écrits produitil : traités ou dictionnaires, généalogies tutélaires, histoires générales et techniques, HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

5


mémoires, recueils d’articles, etc. ? Outre que nous attendions d’éventuelles réponses à ces questions, nous cherchions à constater quel avait pu être l’impact des choix de ces artistes sur l’histoire de l’art. En somme, il s’agissait de savoir si la sélection historique que ces artistes avaient opérée, comme l’élection de tels ou tels prédécesseurs, ou la réflexion sur les éléments constitutifs de tels ou tels mouvements artistiques, avaient eu valeur de référence pour les historiens de l’art. Le présent numéro traduit imparfaitement l’ensemble de ces objectifs. Car les propositions reçues se sont principalement centrées sur l’époque contemporaine en envisageant essentiellement des études monographiques. Alors que nous pensions recevoir quelques textes sur la prise en charge par les artistes de leur histoire sous l’angle de l’image, ce sujet n’a pas trouvé son public parmi les jeunes chercheurs peut-être parce que la littérature sur la représentation par la peinture des grands maîtres sur le mode de l’anecdote ou du portrait est abondante4. Seule l’étude de Matthieu Fantoni s’inscrit dans cette perspective, analysant la place très particulière accordée par Ingres à la figure de Jules Romain, figure qui tient à la fois lieu de modèle et de reflet de sa propre difficulté à exister aux yeux de la critique de son temps. À travers Jules Romain, Ingres semble « interpeller le présent ». Et si l’essai de France Nerlich dans la rubrique « Perspective » fait le point sur la représentation figurée de l’histoire de l’art et sur la réinvention du passé par les arts dans la première moitié du xixe siècle et ses enjeux historiographiques, il remet en question cette tradition de la représentation qui vise l’anecdote à travers le cas de Paul Delaroche et de Johann Friedrich Overbeck qui « tentent […] d’explorer les possibilités structurelles et plastiques de la peinture pour en faire le médium même de son histoire ». La peinture y est présentée comme le « langage des peintres » avec ses sources visuelles et savantes, et l’image produite comme le « compendium de l’histoire de l’art ». France Nerlich propose ici une histoire croisée simultanée entre le fait de peindre l’histoire de l’art et la genèse de la discipline de l’histoire de l’art en France et en Allemagne et souligne l’apport incontestable des artistes à la fondation de la discipline. Ce constat se retrouve esquissé dans l’article sur Girodet proposé par Sidonie Lemeux-Fraitot. Elle montre comment ce peintre féru d’histoire et collectionneur a fait de sa peinture un outil au service de l’histoire avant de poser « dans ses écrits les fondements d’une grande histoire de l’art, matière aussi nouvelle qu’inédite ». Girodet est ici présenté comme un artiste-historien soucieux de léguer par ses écrits poétiques l’histoire de l’école néoclassique et sa sélection des maîtres du passé présentée selon la méthode hagiographique propre à Vasari. Point d’orgue de cet article, se trouve le regard porté par Girodet, véritable homme des Lumières, sur son œuvre et sur les transformations de la peinture de son temps. Outre cette présentation d’une histoire de l’art redevable aux artistes, France Nerlich précise dans sa conclusion que « les modèles épistémologiques proposés par Delaroche et Overbeck ouvrent des voies différentes aux artistes se confrontant à leur histoire : la quête de généalogie d’un côté, la réflexion sur la relativité historique et ses tensions inhérentes de l’autre ». Cette remarque fondamentale trouve un prolongement au xxe siècle dans l’étude de Jelena Martinovic sur Juan Downey. L’auteur indique en effet que Downey a fait de l’histoire de l’art, en particulier des écrits et conférences de Léo Steinberg, la matière de son œuvre et a exploré conjointement les possibilités plastiques de son médium, la vidéo, pour mettre en images l’histoire de l’art. Cherchant à apporter des réponses à l’apport des artistes à l’histoire de l’art, Jelena Martinovic s’interroge sur le type d’histoire composé par Downey, plus référentielle selon elle que répondant aux méthodes historiques de la discipline. La revue pensait également accueillir quelques propositions sur la figure de l’artiste historiographe. Mais les propositions en ce sens furent peu nombreuses ; et seule l’étude de Gauthier Bolle sur l’architecte Charles-Gustave Stoskopf aborde finalement cet aspect du sujet. Sa participation contribue à comprendre que la posture de Stoskopf en tant 6

introduction


perspectives

France Nerlich

Palette contre plume Peindre l’histoire de l’art : le cas de Paul Delaroche et de Johann Friedrich Overbeck

« C’est la forme qui compte dans une œuvre d’art. Elle ne doit pas être jugée d’un point de vue philosophique, mais esthétique […]. C’est de la faute d’Overbeck, si nous procédons de manière plus philosophique qu’esthétique ; il a peint un catéchisme, il a écrit un traité avec son pinceau, il dispute avec sa palette à la main, nous répondons donc par la plume1. » C’est avec violence que le critique d’art, ancien théologien, Friedrich Theodor Vischer s’attaque en 1841 au peintre Johann Friedrich Overbeck, grand représentant de l’art nazaréen allemand2, installé à Rome depuis 1809 et figure incontournable de la scène artistique contemporaine malgré le – ou en raison du – caractère passéiste de ses œuvres. L’objet qui déclenche la colère du critique allemand, c’est le tableau Le Triomphe de la Religion dans les Arts qui arrive à Francfort en octobre, à l’issue d’une longue période d’attente (fig. 1). Commandé dès 1829 par le conseil d’administration du Städel de Francfort, à la fois musée et école d’art, le tableau concentre l’idéal esthétique et éthique de l’artiste en offrant une relecture très personnelle de l’histoire de l’art. Catholique Fig. 1. Johann Friedrich Overbeck, Le Triomphe de la Religion dans les Arts, 1840, huile sur toile, 392 x 392 cm, © Städel Museum, Frankfurt am Main - U. Edelmann/ ARTOTHEK.

HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

11


fervent, Overbeck comprend son tableau comme un véritable credo dans lequel il stipule que le seul art valable et légitime est l’art religieux, et il met en scène une communauté de maîtres anciens qui incarnent, selon lui, ce seul art véritable auquel il faudrait désormais emboîter le pas3. Au même moment, à Paris, Paul Delaroche achève son œuvre monumentale destinée à orner la salle de l’Hémicycle au cœur du palais construit par Félix Duban qui accueille désormais l’École des beaux-arts (fig. 2)4. Il s’agit d’une commande du ministère de l’Intérieur pour laquelle Delaroche a choisi de représenter, lui aussi, une communauté de maîtres anciens engagés dans une conversation à travers les âges. Regroupés par affinités plus que par écoles nationales, ces maîtres anciens offrent une image de l’histoire de l’art qui surprend la plupart des critiques qui vont entamer le dialogue avec le peintre sur un terrain plus scientifique qu’esthétique5. Concrètement, les deux œuvres répondent à des commandes curieusement similaires : réaliser une œuvre pour une école d’art qui soit en même temps accessible au grand public. Le Städel de Francfort, institution fondée grâce au legs privé du banquier Johann Friedrich Städel, endosse en effet la double fonction d’école et de musée, lorsqu’il ouvre ses portes en 18296. À Paris, l’École des beaux-arts n’est pas seulement l’héritière de l’institution de formation la plus influente depuis le xviie siècle, mais elle permet aussi aux visiteurs d’accéder à ses collections7. Dès les années 1830, des projets de « musée » sont entrepris comme le musée des copies, hanté entre autres par le souvenir du musée des Monuments français qui logeait au Couvent des Augustins jusqu’à la Restauration et dont certains vestiges sont alors toujours visibles8. La salle de l’Hémicycle, quant à elle, a été conçue comme salle des récompenses (fig. 3), notamment pour la remise des prestigieux Prix de Rome, mais elle accueille les curieux dès l’achèvement de l’œuvre de Delaroche9. Cette double vocation pédagogique et muséale joue un rôle indéniable dans la conception même des deux œuvres qui s’adressent à un public spécifique – les élèves – avec cependant un postulat plus général qui transcende la dimension purement didactique. Dans les deux cas, l’inscription dans le lieu de destination détermine la conception plastique – Overbeck concevant son tableau de format carré de 3,92 m de côté comme un tableau d’autel d’un genre nouveau, tandis que Delaroche, avec sa peinture monumentale de près de 25 m de long et presque 4 m de hauteur, la conçoit comme une extension de l’espace des spectateurs, assez proche, dans son effet, des spectaculaires dioramas de l’époque10. Les deux œuvres, bien qu’elles défendent des visions diamétralement opposées, témoignent d’un changement de paradigmes aussi bien dans la conception de la peinture d’histoire que dans l’acception même des possibilités pour un artiste de s’exprimer à travers sa langue médiatique propre dans un champ jusqu’alors réservé aux textes – savants ou amateurs, dilettantes ou professionnels. Le texte de Vischer est particulièrement explicite à ce sujet (Overbeck aurait « écrit un traité avec son pinceau ») et rend compte – au-delà des insurmontables différends religieux et philosophiques qui l’opposent à Overbeck – d’un effet de rupture dans les habitudes de vision et de conception artistique et esthétique. En France, Charles Blanc revient lui aussi sur cette « langue du peintre » très singulière que Delaroche a mobilisée pour traiter un sujet somme toute très abstrait11. Sans revenir trop longuement sur la description même des œuvres12, il s’agira ici d’éclairer plus particulièrement les enjeux qu’elles soulèvent pour mettre en lumière la place des artistes dans le contexte du débat scientifique, les possibilités offertes par leur médium spécifique pour y contribuer et la dimension didactique inhérente à leur démarche.

Les peintres et l’histoire de l’art La représentation des maîtres anciens n’est pas nouvelle en 1840. Depuis la fin du xviiie siècle, les sujets liés à la vie des grands maîtres reviennent même en force dans la peinture d’histoire ou de genre historique, à partir d’anecdotes tirées le plus 12

Palette contre plume


Perspectives

Jean-Philippe Garric

Trois architectes historiens

Avant même que l’imprimerie n’ait imposé la dialectique fructueuse du livre et de l’édifice1, les architectes ont écrit sur leur art bien davantage que d’autres artistes sur leurs propres domaines. Leurs traités, d’abord guidés par l’interprétation du De Architectura de Vitruve2, ont toujours affronté les mythes et les récits des origines fondateurs de cette discipline autoréférentielle3, qui procède de l’imitation par de nouveaux projets des corpus d’œuvres à partir desquels elle se définit. Que l’architecture trouve ainsi ses modèles en elle-même, plutôt que dans la Nature ou l’Histoire, explique en effet l’enjeu particulier d’en établir les généalogies : une démarche qui ne suffit pas pourtant à fonder une approche historique, au sens contemporain. Sans doute convient-il donc de se garder d’une conception trop inclusive de l’architecte historien de l’architecture, qui n’est pas l’architecte auteur en général, ni même l’architecte théoricien. Pour autant, plutôt que de s’aventurer à fixer des critères par trop restrictifs, nous voudrions nous arrêter ici à trois exemples emblématiques, dans lesquels pratique de la conception architecturale et écriture de l’histoire s’articulent étroitement, à travers une série de démarches et de publications dont les modalités diffèrent franchement les unes des autres. Ramenant ainsi notre sujet aux dimensions d’un tel article, nous nous saisirons d’une coïncidence, autour d’un événement majeur pour l’architecture française du xixe siècle, dont quelques-uns des principaux acteurs sont des architectes historiens de première importance, et qui montre ainsi par ellemême l’ampleur qu’a pris cette question au cœur du Siècle de l’Histoire4. Partant d’un moment fort de la production architecturale bâtie ; laissant à part le cas plus ambigu et plus contemporain des transfuges, anciens architectes devenus historiens, nous porterons une attention particulière à l’histoire de l’architecture comme avatar de la littérature architecturale, à la contiguïté entre histoire et projet, enfin à la question du public pour lequel s’écrivent ces histoires. Dans les premières semaines de 1861 se joue à Paris, avec le concours pour la construction d’un nouvel opéra, l’un des temps forts de la transformation de Paris, un événement appelé à marquer puissamment le cœur des grands travaux haussmanniens qui bouleversent alors la capitale. En dépit d’une organisation improvisée dans des délais trop brefs, 171 propositions sont reçues par un jury de huit architectes5 présidé par le comte Walewski, qui vient d’être nommé ministre d’État chargé des beaux-arts. On sait qu’à l’issue d’une sélection en trois étapes, dont le compte rendu par Jacques Ignace Hittorff (1792-1867) paraît dans Le Moniteur universel du 10 mars, Charles Garnier (1825-1898) est déclaré vainqueur, contre la préférence du couple impérial, qui allait à Viollet-le-Duc (1814-1879)6. HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

25


Ces trois protagonistes, Hittorff le porte-parole du jury, Garnier le gagnant et Violletle-Duc le perdant, ont quelques racines communes, qui remontent aux débuts de l’école des beaux-arts. Hittorff est l’élève de Charles Percier, tandis que Charles Garnier a été formé par l’un de ses principaux disciples, Hippolyte Lebas, également membre du jury, de même que Viollet-le-Duc, qui a fréquenté l’atelier d’Achille Leclère avant de poursuivre sa formation en autodidacte, contre l’institution. Sans doute ces liens plutôt directs avec l’école de Percier contribuent-ils à expliquer qu’en dépit d’approches et de parcours très différents ils aient reçu en partage une maîtrise approfondie des techniques de la représentation architecturale, du tracé à la plume au rendu au lavis et à l’aquarelle. Comme leurs contemporains et comme leurs professeurs, ces grands bâtisseurs avaient aussi appris à nourrir leurs pratiques de la création contemporaine, entre historicisme et éclectisme, de références antiques, médiévales ou Renaissance. Tous trois pouvaient revendiquer une connaissance approfondie des édifices du passé, acquise au travers de longues et scrupuleuses études graphiques. Mais au-delà de cette formation par le dessin, à l’origine d’une culture de l’œil et de la main et d’une intimité en partie ineffable avec leur objet, chacun d’eux s’est aussi attaché à la construction d’un discours historique : une qualité partagée d’architecte historien qui les réunit, mais qui recouvre, en l’occurrence, des réalités profondément contrastées, même si elle implique à chaque fois une capacité à enchaîner pratique du projet et pratique de l’histoire et mobilise leurs savoir-faire de dessinateurs. Hittorff infléchit dans une perspective historique les approches des architectures italiennes conduites par ses prédécesseurs Prix de Rome, essentiellement à l’attention du monde de l’architecture. Viollet-le-Duc, qui se donne lui pour ambition à la fois théorique et concrète l’édification et la continuation d’une histoire de l’architecture française, élabore sa conception de l’histoire à travers des publications majeures et variées, s’adressant à des lectorats qui vont des architectes restaurateurs aux archéologues et au grand public. Quant à Garnier, c’est en guise d’épilogue d’une carrière d’architecte Beaux-Arts qu’il bâtit et publie son histoire de l’habitation humaine, pour la plus grande joie des visiteurs de l’exposition universelle de 1889.

Jacques Ignace Hittorff Hittorff, le plus ancien des trois, est l’auteur d’un recueil de modèles italiens, qui s’inscrit dans la continuité directe de ceux publiés par Percier et Fontaine à partir de 1798, puis par leurs élèves7. Mais, contrairement à ses prédécesseurs, il choisit d’enrichir cette publication d’un volet historique, affirmant ainsi à la fois son inscription dans une tradition culturelle et éditoriale importante pour la tradition Beaux-Arts et son basculement dans une nouvelle époque.8 Poursuivant en Sicile l’enquête collective commencée à Rome et continuée avant lui, notamment en Toscane par Grandjean de Montigny et Famin9 et à Gênes par Gauthier10, il lance par souscription, à partir de 1826, la publication parallèle de deux volumes, dont l’un est consacré aux monuments grecs et l’autre aux édifices modernes 11. Il contribue ainsi à bousculer, en les mettant en cause et les renouvelant, les références antiques et italiennes Beaux-Arts, ce qui revient en fin de compte à renforcer leur statut central, au cœur du débat. Sa défense de la polychromie, thème principal du premier ouvrage, reprend une controverse amorcée avant lui, en poursuivant une révision du modèle classique fondée sur un progrès des connaissances, auquel Le Jupiter olympien de Quatremère de Quincy12 avait déjà puissamment contribué. Mené sa vie durant, ce combat est étroitement lié à sa production d’architecte. Le frontispice de L’Architecture polychrome chez les Grecs13, où il revient vingt ans plus tard sur la même question, résume sa démonstration en juxtaposant trois temples, égyptien, grec et romain, enrichis de décors peints. En se prévalant ainsi 26

Trois architectes historiens


Perspectives

Michel Poivert

La mémoire photographique ou la sensibilité historique des photographes

On aurait tort de croire que l’histoire de la photographie fut longtemps l’affaire des photographes pour devenir récemment une discipline pratiquée par les seuls historiens patentés. Le meilleur spécialiste de l’inventeur de la photographie britannique William Henry Fox Talbot, l’Américain Larry Schaaf, est photographe et a enseigné la photographie, tout comme les premiers travaux sur l’inventeur français Hippolyte Bayard sont aussi ceux du photographe français Jean-Claude Gautrand dans les années 19801. Dans la génération suivante, Clément Chéroux en France (Centre Pompidou) et très prochainement aux États-Unis (conservateur au SFMOMA) avant sa thèse d’histoire de l’art, est formé à la photographie (à l’École nationale supérieure de la photographie). Il n’est lui-même pas une exception, sa consœur Luce Lebart en charge jusque récemment des collections de la Société française de photographie (SFP) et fraîchement nommée à la tête de l’Institut canadien de la photographie (Ottawa) ou bien encore Christine Barthe responsable depuis de nombreuses années des collections photographiques du Musée du Quai Branly sont également diplômées de l’École nationale supérieure de la photographie. On pourrait ajouter à ces noms d’autres encore, comme Florian Ebner également photographe contemporain conservateur des collections photographiques du musée Folkwang d’Essen et Paul-Louis Roubert, historien de la photographie à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis et président de la SFP lui aussi formé aux arts visuels. Certes, on répliquera que la plupart d’entre eux ne consacrent pas leur activité principale à la production photographique, mais leur connaissance du médium est bel et bien liée à une pratique et leur culture s’est forgée dans une connaissance intime des enjeux de la technique et de la création. On l’aura compris, s’intéresser aux photographes historiens n’est pas une tâche qui se résume à l’étude de cas anecdotiques ou à une historiographie parallèle, mais peut-être bien à l’historiographie même de la photographie. Un regard en arrière s’impose donc.

L’historiographie en acte La photographie entretient un lien avec la mémoire par sa fonction même de témoignage et de trace. Mais elle suscite aussi des types de pratiques qui prennent en charge sa valeur qui est toujours à inventer et à défendre : plus qu’une technique ou même qu’un art, pour ceux qui la pratiquent la photographie est souvent une cause. Au nom de cette conscience s’est forgée une sensibilité historique très particulière, faite de récits, de remplois et d’héritages. Il y a un entre-soi photographique qui, lorsqu’il s’agit du passé, s’approprie l’histoire sur le modèle d’une mémoire – une histoire de famille en quelque sorte. La « mémoire photographique », cette belle expression populaire qui signifie se rappeler les choses par le truchement de la vue, peut être reprise ici pour caractériser ce sentiment historique des photographes. Beaucoup, et des plus célèbres, HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

33


ont eu à cœur de revendiquer le statut de la photographie en soulignant l’héroïsme des pionniers, les combats menés pour l’imposer parmi les techniques et les arts. Mais surtout, certains d’entre eux ont pris en charge cette dimension historique comme constitutive de leur œuvre, et selon des modes bien différents. C’est donc à travers une typologie, tout en gardant un œil sur la chronologie, que l’on propose ici un examen du sentiment historique chez les photographes. Ces derniers ne sont pas plus historiens de leur médium que ne le sont les artistes. Ils ont en revanche l’intuition et l’expérience que toute pratique soumise à l’histoire des inventions techniques procède par inversion temporelle : dès qu’un nouveau procédé voit le jour, il ouvre une relecture des pratiques du passé tout autant qu’il en inaugure une à venir. Cette consécration de l’ancien par le nouveau s’exprime par une survalorisation des instruments désormais dépassés et engage par l’obsolescence de l’outil une forme de nostalgie qui, libérant le photographe de l’assignation au moderne, lui ouvre paradoxalement une vision renouvelée du monde. L’appareil comme les procédés de tirage « démodés » deviennent des instruments de création car ils permettent de voir autrement, ou pour reprendre l’expression de Victor Chklovsi, ils « défamiliarisent2 » : ils autorisent une rupture avec l’automatisme qu’institue la norme culturelle. Cette inversion temporelle est parfois accompagnée d’un détournement de l’usage de la machine ou des procédés, mais pas toujours. Disons qu’un appareil, ou bien une technique de tirage, longtemps pensé et adapté à une fonction (le paysage, le portrait, etc.) peut alors être employé à d’autres fins et révéler un potentiel artistique jusqu’alors inaperçu. C’est ce qui explique l’usage que tous les grands photographes ont fait de procédés « dépassés » comme la chambre photographique à l’heure des appareils à main disponibles dès les années 1900. Une pratique de la chambre qui n’a nullement cessé à l’heure des avant-gardes, avec le style documentaire, et jusqu’à la photographie contemporaine si friande de grands formats. Tout photographe est pris dans une pensée réversible des pratiques, ils sont des antiquaires et des visionnaires, car, encore une fois, ils comprennent que le nouveau permet de relire l’ancien. Ceci se vérifie aujourd’hui avec la rupture numérique qui ouvre une révision historiographique en même temps qu’un nouveau mouvement dit de « slow photo » réunissant procédés anciens et attitudes en rupture avec les flux d’images. Ou bien encore, en observant le succès de la photographie vernaculaire chez nombre de photographes contemporains, on constate qu’ils se saisissent de matériaux du passé, triviaux et prosaïques comme des photos de famille ou de presse, pour exprimer plastiquement et émotionnellement ce que les images anciennes peuvent contenir. Toute invention technologique est l’instance de relectures et de rétro-pratiques. Les photographes sont donc historiens en acte de leur médium parce qu’il font ce travail nécessairement engagé par un art soumis au progrès technique – ce qui n’est pas le cas des autres arts traditionnels gouvernés par les styles, les mouvements ou le goût. D’une certaine manière, et de façon paradoxale, le sentiment historique du photographe est une manière de conjurer la loi du progrès, de réagir en permanence à la nouveauté des procédés. C’est le propre d’une cause que d’être défendue, de susciter une attitude de réaction : le photographe est historien d’abord lorsqu’il se confronte au moderne, et il s’y confronte nécessairement au vu des techniques dont il fait ses instruments.

La mémoire et la stratégie historienne Cela peut surprendre, mais dès les origines de la photographie, dans les années 1850 – soit à peine une décennie après la divulgation du daguerréotype en 1839 – les débats entre photographes et premiers chroniqueurs reposent sur une question d’histoire : qui a réellement inventé la photographie ? Est-ce Nicéphore Niépce dès 1826-1827 avec son héliographie, ou bien Daguerre dix ans plus tard sur la base de ses travaux avec 34

La mémoire photographique ou la sensibilité historique des photographes


études

Manon Vidal

Un architecte-historien dans la tourmente révolutionnaire : le cas de Jacques-Guillaume Legrand (1753-1807)

Peu connu du grand public, Jacques-Guillaume Legrand1 pourrait à bon droit être qualifié d’artiste mineur. Architecte reconnu avant la Révolution, confronté par la suite au manque de commandes et à la concurrence croissante des ingénieurs, cantonné à des opérations de faible envergure, Legrand fit de son goût pour l’histoire de l’architecture une stratégie de carrière. Loin de ne constituer qu’une réaction aux difficiles conditions d’exercice de son métier, cette reconversion lui permit de poser les jalons d’une nouvelle histoire de l’architecture. Sa première approche de l’histoire de l’architecture remonte probablement au voyage en Italie qu’il effectua en 1785, avec Jacques Molinos. À Rome, ils rencontrèrent Seroux d’Agincourt qui se consacrait à l’écriture d’un ouvrage retraçant l’histoire de l’art médiéval par ses monuments, alors mal connue2. Son objectif était de rassembler des plans et relevés précis des monuments les plus significatifs de l’évolution de l’architecture de cette époque3. Il usait à cet effet d’un réseau de correspondants à travers l’Italie, et faisait appel aux artistes français de passage. Legrand et Molinos lui fournirent deux relevés, ceux du temple de Malatesta à Rimini et de Saint-André à Mantoue4. Cette expérience semble avoir été capitale dans la maturation des idées de Legrand en matière d’histoire de l’architecture. Les dernières décennies du xviiie siècle marquent en effet un moment d’intense réflexion autour de la notion d’histoire de l’art. Winckelmann, considéré comme l’« inventeur » de l’histoire de l’art par les contemporains de Legrand, y tient un rôle central. Seroux d’Agincourt se voyait comme son continuateur pour les temps médiévaux, tandis que Quatremère de Quincy5 percevait en lui le fondateur de l’histoire de l’art comme discipline scientifique6. En souhaitant rompre avec une histoire fondée sur l’anecdote érudite et les généalogies d’artistes, pour œuvrer à la mise en place d’une histoire de l’architecture normée, Legrand historien se plaça dans sa filiation directe. Son originalité réside dans un élargissement de son propos au-delà de l’Antiquité, à l’échelle de toutes les époques et de toutes les civilisations. Par ailleurs, faire œuvre d’historien ne se résume pas chez lui à une réflexion solitaire, mais tire sa justification de la transmission du savoir qui en découle : la diffusion des connaissances par l’écrit, l’enseignement et la présentation muséale de l’architecture afin de contribuer à sa régénération dans une société française en pleine mutation.

Une stratégie de carrière Les débuts de Legrand ne furent pas ceux d’un historien. Il se fit connaître avec Molinos, par son travail aux halles de Paris et pour des particuliers7. La Révolution semble avoir été l’élément déclencheur d’une nouvelle réflexion, en suscitant une certaine insatisfaction professionnelle. Legrand choisit de se mettre au service du changement de régime. Architecte fonctionnaire, il se retrouva cantonné à des travaux d’entretien8. HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

41


Malgré ses participations à divers concours, il ne parvint pas à décrocher de chantier important avant que Napoléon Ier ne lui confie la transformation de la basilique SaintDenis en mausolée impérial9. Mais ce chantier prestigieux intervint tardivement et sa mort en 1807 le laissa inachevé. Quant à sa situation économique dans ses dernières années, elle semble avoir été très précaire, sans doute liée à la concurrence d’hommes issus d’autres filières de formation que l’Académie d’architecture : L’architecture, si justement honorée chez les anciens peuples […] n’est pas appréciée à sa juste valeur en France. Il n’est pas rare d’y rencontrer des hommes […] qui, n’ayant presque aucune idée de l’existence de cet art, le confondent sans cesse avec la bâtisse vulgaire, et le circonscrivent dans les bornes étroites du métier10.

L’amertume de l’architecte est perceptible dans ce constat du manque de reconnaissance dont souffrait sa profession en France. La Révolution avait bouleversé les cadres hérités de l’Ancien Régime. En 1791, la Constituante décidait de mettre un terme au système des corporations et instaurait la contribution des patentes. Mais la loi du 22 octobre 1798 qui exempta les peintres, sculpteurs et graveurs de la patente ne toucha pas les architectes. Ils perdirent leur bataille pour la reconnaissance de leur condition d’artistes11, et subirent dès lors la concurrence d’ingénieurs et d’entrepreneurs. Bien que formé à l’École des ponts et chaussées en parallèle à l’Académie royale d’architecture, Legrand se considérait avant tout comme un artiste. Ces difficultés rencontrées à partir des années 1790 le poussèrent à un changement de tactique nécessaire à ses ambitions institutionnelles. En mars 1792, il présentait sa candidature à l’Académie royale d’architecture12. Ses candidatures successives aux places vacantes de la section d’architecture de l’Institut national créé en 1795 13 font écho à ses efforts pour acquérir une reconnaissance d’historien. Il candidata à l’entrée dans la classe de littérature et beaux-arts dès 1796, en vain. Il réitéra sa candidature en mars 1798, quelques mois après la parution du Voyage pittoresque de la Syrie, de la Phénicie, de la Palestine et de la Basse Égypte de Louis-François Cassas14. Legrand et Cassas, condisciples à l’École des ponts et chaussées dans les années 1770-1774, se connaissaient de longue date. S’étant détourné de la carrière d’ingénieur, Cassas embrassa celle d’artiste-dessinateur15. Très intéressé par l’architecture antique qu’il dessina, il se définissait plus comme un artiste voyageur érudit que comme un historien. En 1798, il rassembla une équipe scientifique chargée d’écrire le commentaire des gravures exécutées d’après ses dessins et confia à Legrand la partie théorique et descriptive de l’architecture. Ce fut le début d’une longue collaboration, et la première publication dans laquelle Legrand s’affichait publiquement comme historien de l’architecture. En mars 1799, il était de nouveau candidat. Ce fut un échec, mais Legrand poursuivit son repositionnement professionnel. À l’automne, il présenta devant la classe de littérature et des beaux-arts un manuscrit intitulé Relation d’un voyage aux déserts lybiques16, dans lequel il affirmait rapporter le récit d’un voyage effectué en Libye par un explorateur anonyme. Persuadé qu’il y avait découvert les ruines du temple de Jupiter Ammon, Legrand accompagnait cet écrit d’un mémoire sur le temple17, dans lequel il s’employait à identifier ces ruines en faisant appel aux textes anciens et en s’appuyant sur la découverte in situ de monnaies datant d’Alexandre le Grand (fig. 1)18. L’année 1800 marque un tournant dans la carrière d’historien de Legrand. Le 8 janvier, il présenta devant la classe de littérature et des beaux-arts un prospectus annonçant la parution de l’Histoire générale de l’architecture19, et candidata à l’entrée à l’Institut, sur le point d’être réorganisé. Le 10 septembre 1800, Bonaparte invitait son frère Lucien, ministre de l’Intérieur, à constituer une liste des artistes dignes de figurer dans la nouvelle organisation de l’Institut20. Une liste temporaire fut alors établie21. Legrand figurait parmi les architectes signalés, preuve de la reconnaissance dont il jouissait. Mais en 1803, la liste finale ne retint pas son nom. Il se vit préférer Gondouin, Peyre, Raymond, Dufourny, Chalgrin et Heurtier, six architectes dont les quatre premiers figuraient déjà 42

Un architecte-historien dans la tourmente révolutionnaire


études

Sidonie Lemeux-Fraitot

Girodet ou la conscience de l’Histoire

Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824), élève de Louis David, se rendit célèbre comme peintre d’Histoire dès l’exposition de son Sommeil d’Endymion (1790). Sa Scène de déluge (1806) lui permit de remporter le concours décennal de 1810 et ses Funérailles d’Atala (1808) puis son Pygmalion et Galatée (1819) l’établirent comme un maître incontesté. Objet de ses travaux artistiques, qui plaçaient la représentation des faits et des récits mémorables au cœur de son œuvre comme dans tous les genres abordés, jusqu’à ceux du portrait et du paysage, l’Histoire fut également pour Girodet sujet de réflexions et d’études. Avec l’ambition de se faire aussi connaître comme homme de lettres, il laissa sur le sujet des écrits nombreux. Son abondante correspondance, ses discours académiques, ses poèmes, réunis à des articles et des essais, forment un corpus où se manifestent – outre ses convictions esthétiques et des notes autobiographiques – une attention aux gloires de la France et aux chroniques célèbres, des analyses sur les événements contemporains, des réflexions critiques et théoriques sur l’art et les artistes. Au fil de ces pages vivantes et érudites se dessine un profil d’historien aussi net qu’original.

Une conscience de l’Histoire L’éducation soignée dont Girodet bénéficia dans sa jeunesse fit de lui une personne cultivée. Dans sa première pension parisienne du quartier de Picpus comme plus tard au Collège Mazarin1, l’apprentissage de l’histoire rythma sa scolarité. En 1777, il reçut en prix l’Histoire romaine de Florus2. En février 1781, le docteur Trioson, son bienfaiteur puis tuteur, l’invitait à compléter ses études par la lecture de l’Histoire ancienne des Égyptiens, des Carthaginois, des Assyriens, des Babyloniens, des Mèdes et des Perses, des Macédoniens, des Grecs de Charles Rollin (Paris, Estienne, 1730-1738)3. En juillet suivant, le jeune homme annonçait à sa mère avoir déjà lu les quatorze volumes de cet ouvrage4 et à l’automne, une parente lui offrait les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence de Montesquieu5, auxquelles s’ajoutèrent au début du mois de mai 1782 les quatre volumes des Essais historiques sur Paris de M. de Saint-Foix. Girodet portait par ailleurs un intérêt profond à l’histoire de sa région. Il possédait la Vie de Coligny (Cologne, Marteau, 1691)6 de Gatien Courtilz de Sandras, mémorialiste et romancier historique natif de Montargis dont les Mémoires de d’Artagnan (Cologne, Marteau, 1700), inspirèrent Alexandre Dumas, ainsi que nombre d’ouvrages documentaires dont l’Histoire générale du pays du Gâtinois, Senonois et Hurepoix de Dom Morin (Paris, Chevalier, 1630)7 et le Mémoire sur Montargis de Hureau de Livoy (Paris, Hérissant 1766)8. Cette approche théorique se doubla d’expériences sensibles, telle cette excursion pittoresque effectuée en compagnie du docteur Trioson, en septembre 1785, au cours de laquelle il dessina sites et monuments rencontrés : Montbard, pour son enceinte médiévale, Montcresson, pour le théâtre romain de Chenevières, Chateaurenard, HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

51


pour son castel9. Plus tard, dans le souci de transmettre aux générations futures les témoignages d’édifices disparus, l’artiste dessina les ruines du château des Coligny à Châtillon vers 180010, celui de Saint-Maurice-sur-Aveyron11, l’abbaye de Fontaine-Jean12, ainsi que le château de Montargis, entre février et mars 1810. N’ayant pu acquérir ce haut lieu qu’il souhaitait alors soustraire aux spéculateurs en matériaux « pour ne permettre qu’à la main pittoresque du temps de le détruire13 », il en consigna attentivement les élévations intérieures comme extérieures, n’omettant aucun détail architectural et historique14. La familiarité de ces monuments – ce « château romantique » dont il admirait les « noirs créneaux » et parcourait les « arceaux déserts », ses visites à l’« élégant Châtillon, palais des fils de Mars » dont il étudiait les « lambris dorés15 » – lui permit de rattacher naturellement des récits, des réflexions à des sites illustres, des demeures singulières, des pierres chargées d’ans. Les études pittoresques et architecturales construisirent ainsi sa vision de l’histoire, discipline qu’il associa intimement à sa vocation d’artiste comme à sa renommée dans Le Peintre, grand poème qui l’occupa la moitié de sa vie : Cependant à quel titre obtiendra-t-il la gloire ? Sans cesse méditant les fastes de l’histoire, Ses pinceaux évoquant les générations, Feront revivre encor d’antiques nations, Les exploits de leurs chefs, les vertus de leurs sages, Et, remontant pour eux le long torrent des âges, Sauvé du sombre oubli qui dut l’ensevelir, Le passé renaîtra pour charmer l’avenir16.

De la lecture des chroniques jusqu’à l’enquête de terrain, il s’initia ainsi dès sa jeunesse à la méthode historique de la collecte de faits et de documents. L’enseignement de Nicolas-Guy Brenet, à qui David, parti pour Rome, confia son atelier de septembre 1784 à l’automne 178517, influença également largement son intérêt pour l’histoire de France. Girodet reprit ainsi le sujet de « Bayard à Brescia », sur lequel Brenet venait d’exposer un tableau au Salon de 1783 (n° 12 du livret), comme sujet d’un dessin dédicacé au docteur Trioson18 puis d’un tableau (fig. 1) qui montrent toute l’importance accordée au renouveau historiciste de la peinture d’Histoire, cette préférence pour des sujets nationaux et non plus des thèmes antiques institutionnalisée depuis 177519. Quelques années plus tard, dans ses Veillées, suite de discours, poème didactique conçu vers 1800 comme un manuel d’instruction pour ses élèves, Girodet revint longuement sur l’esprit de ces chroniques médiévales françaises, les recommandant particulièrement au pinceau des jeunes artistes. Il en profitait pour analyser ce mouvement de peinture « dérivé de l’histoire » qu’il appelait alors « genre chevaleresque20 ». Rappelant de manière chronologique, en parallèle au genre littéraire du Tasse et de l’Arioste, le pittoresque de la vie d’Henri IV et les amours de Louis XIV et La Vallière, Girodet évoquait à nouveau la figure de Bayard, consacrant un long passage au sujet du « Bayard à Brescia » qu’il avait autrefois peint, en vertu d’un ut pictura poesis pratiqué avec enthousiasme : Mais, j’aperçois Bayard, la fleur des chevaliers : Respectant la vertu d’une vierge innocente, Il la rend aux regrets d’une mère indigente, Et lui donne un époux : [le chevalier sans peur Est sans reproche encor dès que parle l’honneur21.]

La pérennité de cet attrait constant pour l’Histoire de France explique la présence dans sa bibliothèque de deux manuels de référence rangés côte à côte, L’Histoire de France de l’abbé Paul-François Velly (Paris, Desaint & Saillant, 1766-an VII), célébré comme le « restaurateur » de cette discipline22 et le Nouvel Abrégé chronologique de l’histoire de France, contenant les événements de notre histoire depuis Clovis jusqu’à la mort de Louis XIV 52

Girodet ou la conscience de l’Histoire


études

Matthieu Fantoni*

Ingres historien et partisan de Jules Romain

Lorsque Charles Baudelaire visite l’Exposition universelle de 1855, il regrette l’« amour de l’antithèse1 » des critiques qui opposaient Ingres à Delacroix. Son commentaire pourrait aussi s’appliquer dans le domaine de l’histoire de l’art tel qu’il est construit par les artistes, tant les opinions semblaient tranchées entre « classiques » fidèles au culte de Raphaël, et « romantiques » fascinés par Michel-Ange2. Revendiqués pour distinguer les partis-pris picturaux contemporains, le récit de l’histoire de l’art ancien et les hiérarchies qu’il véhicule pouvaient cependant constituer un objet de contestation et être critiqués par les artistes eux-mêmes. Ingres se révolte ainsi dans une déclaration rapportée par son biographe Henri Delaborde contre les historiens de l’art qui furent incapables de reconnaître les qualités de Jules Romain3 qui, selon lui, sut comprendre l’antique mieux que son maître Raphaël. Il formule un véritable plaidoyer pour inciter ses contemporains à réécrire l’histoire de la Renaissance, alors que son enthousiasme ne semble pas avoir eu de conséquences dans ses œuvres. L’empathie qu’Ingres éprouve pour Jules Romain pourrait en réalité révéler les angoisses du peintre français sur sa propre place dans l’histoire.

Jules Romain contre Raphaël ? Ingres et les catégories de l’histoire de l’art ancien Quel maître que celui qui a fait, à Mantoue, la figure de Polyphème et la femme nue, au premier plan, dans les Noces de Psyché ! Voilà ce que tout peintre d’histoire devrait copier, pour acquérir des trésors qui le feront vivre toute sa vie et pour venger ce grand homme de l’injustice ou de l’impertinence avec laquelle les ignorants parlent de lui. On le regarde généralement comme « un aide docile », comme un simple imitateur de Raphaël, presque comme un habile ouvrier. Il suffirait pourtant de voir ses cartons ou ses dessins du Louvre ; mais c’est convenu, Jules Romain n’a su qu’imiter son maître, voilà tout : tandis que son génie était sinon aussi fort, aussi créateur que celui de MichelAnge, au moins aussi original et aussi ample que celui de Fra Bartolomeo. Est-il, dans aucune école, un seul maître qui ait interprété l’antique comme celui-là ? Les Joueuses de cymbales des Noces et toutes les compositions de l’Histoire de Psyché, cela ressemble-t-il à Raphaël ? Il n’avait pas, lui, malgré son divin génie, le sentiment de l’antique comme Jules Romain. Raphaël, c’est la grâce, c’est la beauté, c’est l’harmonie, enfin c’est Raphaël : Jules Romain, c’est l’antique. Et l’exécution de ces peintures à Mantoue ! Je n’en connais pas de plus parfaite ni de plus surprenante, quand on songe que ce sont des fresques. Oh ! quel maître ! Comment a-t-il eu si peu de réputation de son vivant ? et il faut encore qu’après lui cette iniquité subsiste ! Non, cela ne doit pas être. Il faut que tous les honnêtes gens qui comprennent l’art se liguent pour lui faire rendre les honneurs qu’il mérite et pour le mettre enfin à sa place4 !

L’objectif d’Ingres est double : il veut démontrer l’importance historique de Jules Romain tout comme il incite les artistes contemporains à étudier la manière avec laquelle le peintre romain a traité l’histoire comme sujet de peinture. C’est donc à la HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

61


fois dans la « doctrine » d’Ingres comme historien et dans sa production picturale qu’il faut chercher à déterminer les moyens par lesquels il compte mener sa réhabilitation et l’intérêt qu’elle présente pour sa propre œuvre. Il faut auparavant essayer de dater ou de replacer son plaidoyer dans un moment déterminé de sa carrière, ce que ne fait pas Delaborde. Dès 1829, le peintre français avait développé une opinion positive sur Jules Romain, qu’il assumait publiquement. Il milite en effet cette année-là aux côtés d’Antoine-Jean Gros devant l’Académie des Beaux-Arts pour faire acheter des grands cartons de la Tenture de Scipion qui lui avaient causé une « vive sensation5 ». L’échec de sa démarche a pu l’inciter à s’alarmer, comme le rapporte son biographe, de « l’injustice et de l’impertinence » des jugements portés sur Jules Romain. Il est cependant possible de dater sa déclaration plus tardivement et de l’associer à son voyage en Italie du nord, durant l’été 1834. Ingres vante l’exécution des fresques de Mantoue, ville qui constituait une des nombreuses étapes de son trajet entre Milan et Venise6. Après avoir pris son poste de directeur de l’Académie de France à Rome, il rédige au début de l’année 1835 une lettre très enthousiaste sur sa découverte des « ouvrages divins » de Jules Romain à Mantoue7. Ce ton correspond aux propos rapportés par Delaborde qui paraissent donc avoir été exprimés après la fin de l’année 1834. En attribuant à Ingres en 1857 l’origine du surnom de « peintre antique » donné à Jules Romain8, Charles Blanc fournit par ailleurs un témoignage qui permet de restreindre l’intervalle de datation du plaidoyer à une vingtaine d’années. L’avis très positif d’Ingres ne semble pas très partagé par ses contemporains, des « ignorants » qui reprocheraient à Jules Romain de n’être qu’un suiveur incapable de se hisser à la hauteur de son maître. Cette critique constitue un poncif reproduit depuis la seconde édition des Vite de Giorgio Vasari (1568), qui loue l’artiste romain pour son caractère mais regrette les excès de sa pratique picturale, incapable d’égaler celle de Raphaël9. Au début du xixe siècle, si Quatremère de Quincy avait fait de Jules Romain le « légataire de Raphaël, et l’héritier de son génie […] déclaré prince de l’école [romaine]10 » à la mort de ce dernier, il souligne lui aussi le caractère trop apprêté de sa peinture11 et fait de son œuvre le marqueur du déclin de la production romaine au xvie siècle. En contestant cette opinion, Ingres se range dans une tradition historiographique qui trouve son origine dans les Entretiens d’André Félibien, pour lequel « Jules avait beaucoup plus de feu que Raphaël et inspirait à toutes ses peintures certaine vie et certaine action qui manquaient aux dessins de son maître12 ». Au tournant du xixe siècle, la dimension épique et l’originalité de ses œuvres sont appréciées par un artiste comme Anne-Louis Girodet-Trioson qui, comme s’en souvient Étienne-Jean Delécluze, « se donnait un mal infini pour être original, aussi parlait-il avec les plus grands éloges de Michel-Ange et de Jules Romain, et répétait-il souvent à ses élèves que ‘dans le choix des défauts il préférait le bizarre au plat’13 ». Stendhal, menant la fronde de la critique romantique, cherche à situer Jules Romain au même rang que Michel-Ange ou Salvator Rosa, qui exprimeraient comme lui une « imagination tempétueuse et noire14 ». Ingres adopte un point de vue similaire en comparant son « génie créateur » à ceux de Raphaël et Michel-Ange, mais il cherche aussi à dépasser le rapport à ces deux derniers artistes. Jules Romain n’apparaît pas dans sa déclaration dans cette situation inconfortable de moyen-terme ou de « trait d’union » que lui donne Charles Blanc15, une définition qui apparaît dans la publication monographique de Carlo d’Arco en 1838 sans être particulièrement avantageuse16. Ingres définit une démarcation plus frontale entre « la grâce » de Raphaël et le « sentiment de l’antique » de son élève et collaborateur. Il ne confond pourtant pas les fresques du palais du Té avec les peintures linéaires des vases grecs, qu’il connaît très bien pour les avoir précisément décalquées17. Il veut démontrer que Jules Romain a su faire revivre une certaine Antiquité, celle des reliefs romains, distincte de l’idéalisme associé à Raphaël. Il s’agit d’une Antiquité profane, terrestre et héroïque, d’une Antiquité romaine et non grecque. Les qualités de Raphaël étaient en effet associées depuis la parution de l’Histoire de l’art de l’Antiquité de Johann Joachim Winckelmann à 62

Ingres historien et partisan de Jules Romain


études

Laurens Dhaenens

Faire et écrire l’histoire de l’art à Buenos Aires dans les années 1870 et 1880 : de Santiago Vaca Guzmán à Eduardo Schiaffino

Ce texte se propose d’examiner les mécanismes de la construction d’une histoire de l’art en Argentine à travers le cas des critiques d’art et artistes Santiago Vaca Guzmán et Eduardo Schiaffino, l’un et l’autre fortement attachés à la Sociedad Estímulo de Bellas Artes, la première organisation artistique du pays, dont ils sont plus ou moins les porte-parole. Si Vaca Guzmán n’a pas rédigé une histoire de l’art argentin à proprement parler, ses écrits sont empreints d’une approche profondément historique et théorique nourrie de ses lectures européennes, notamment de l’œuvre d’Arsène Houssaye. En s’appropriant les idées de ce critique français, Vaca Guzmán constate dans les travaux de ses contemporains la fondation d’un art argentin moderne et produit un récit fondateur tourné vers l’avenir plutôt que vers le passé. Schiaffino adopte lui aussi cette lecture, sans pour autant nier l’activité artistique historique de l’Argentine. Il propose ainsi une réflexion sur l’ancrage historique de l’art argentin, en retraçant les débuts de la création artistique dans son pays, et développe la première histoire de l’art locale. Il s’agit de montrer que Vaca Guzmán et Schiaffino sont à l’origine de la formation de l’histoire de l’art dans une période déterminante pour l’art argentin, celle de la consolidation d’une scène artistique nationale, au moment où l’identité de la jeune nation argentine est en train de se constituer.

Absence de l’image et image de l’absence L’apparition d’une pratique artistique à vocation nationale et l’institutionnalisation de l’art en Argentine interviennent entre 1876 – date de la fondation de la Sociedad Estímulo de Bellas Artes – et 1910, année du centenaire de la Révolution de Mai1. Au cours de cette période, la première revue d’art locale est publiée (1878), le Musée national des beaux-arts est créé (1896) et l’Académie est reconnue par l’État comme une institution de statut national (1905). Le nombre d’artistes argentins qui partent étudier dans des académies européennes augmente considérablement à cette époque, contribuant ainsi à forger des liens culturels forts entre Buenos Aires et les capitales européennes. Ces artistes installés en Europe – Eduardo Sívoro, Ángel Della Valle, Ernesto de la Cárcova et Eduardo Schiaffino – envoient à Buenos Aires les œuvres qu’ils composent en s’inspirant de leur expérience de l’art européen, tandis que les collectionneurs argentins rassemblent et intègrent à leurs collections les œuvres de maîtres européens tels que Jan Fyt, Francisco de Zurbarán, Charles Chaplin et William Adolphe Bouguereau. Cette période, propice à la diffusion des œuvres d’art entre l’Argentine et l’Europe, est fréquemment considérée sous l’angle de cette dynamique2. Le projet de création d’un art moderne national est au cœur de ces échanges qui reflètent le vif débat concernant HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

71


la question de l’identité culturelle dans un pays profondément marqué et transformé par les vagues successives d’immigration venues d’Europe 3. Dans ces débats le rôle attribué à l’art est important, alors même que les œuvres d’art sont peu nombreuses et difficilement visibles à Buenos Aires. En effet, il n’y a pas de musées ou de galeries d’art dans la capitale, la presse locale ne reproduit pas d’œuvres d’art, seuls quelques commerces sur l’Avenida Florida donnent à voir des œuvres d’art, mais là encore il ne s’agit que d’expositions très réduites, le plus souvent limitées à quelques vitrines4. Quant aux collections privées, elles ne sont pas accessibles au public ou de façon très limitée5. Les quelques ateliers d’artistes présents dans la capitale sont également peu nombreux et n’offrent pas de réelle alternative à l’absence de lieux d’exposition, même si leur influence n’est pas négligeable. Malgré ces difficultés, le milieu artistique de Buenos Aires a accès aux écrits sur l’art et connaît l’actualité de la scène artistique européenne. Cette situation est la conséquence, d’une part, de la circulation de livres, de journaux et de revues internationales, et, d’autre part, de la presse locale qui traduit les publications étrangères comme les textes sur l’art, les textes de critiques européens et les articles de quelques correspondants argentins installés à l’étranger. La presse joue donc un rôle essentiel dans la diffusion et la circulation des idées des auteurs européens auxquels font référence les critiques d’art installés en Argentine, dont la culture artistique est à l’époque essentiellement livresque6. Ainsi, dans l’Argentine des années 1870-1880, voir des œuvres d’art signifie être allé en Europe, ou avoir arpenté les bibliothèques pour feuilleter les livres, les revues et journaux pour la plupart étrangers. L’un des objectifs de la Sociedad Estímulo de Bellas Artes, créée en 1876, est donc de se doter d’une bibliothèque afin de donner à ses membres accès aux « meilleures publications illustrées d’Europe » comme en témoignent les procès-verbaux de 18787. Ainsi L’Artiste, L’Art, La Gazette des Beaux-Arts, Le Monde illustré, L’Art moderne, La Nature, La Ilustración Española, Illustrazione Italiana, Galerie contemporaine et La Revue des deux mondes figurent au catalogue de la bibliothèque8. Le rôle de la Sociedad dans la diffusion de la critique d’art est de fait inestimable, tout comme le soutien qu’elle apporte à quelques-uns de ses membres reconnus comme les pionniers de l’histoire de l’art en Argentine. En effet, ses membres ont contribué à enrichir la discipline en publiant des articles sur la peinture et la sculpture, ainsi que des comptes rendus sur les quelques expositions d’œuvres d’art organisées par les commerces de l’Avenida Florida, tel que la Casa Bossi y Botet. C’est dans le but de soutenir ces actions qu’en janvier 1878 la Sociedad apporte son concours à la création de la revue El Arte en El Plata dont l’objectif est de donner la parole aux critiques sur les arts et la littérature. Malgré l’intérêt qu’elle suscite, la revue disparaît à cause des difficultés financières qu’elle rencontre après la parution d’un seul numéro9. La même année, la revue Gaceta Musical annonce sa collaboration avec la Sociedad et exprime son souhait de devenir « le vecteur de tous les beaux-arts10 ». Mais le nombre limité d’articles qu’elle consacre aux arts visuels, puis leur absence complète des numéros de 1880 et 1881, suggèrent que cette collaboration n’a pas été aussi harmonieuse qu’escompté11. Aussi faut-il attendre la création de la revue La Ilustración Argentina, en 1881, pour que s’engage réellement un discours (parole et images) sur l’art tel que l’entend la Sociedad à travers les écrits de deux de ses membres : Santiago Vaca Guzmán et Eduardo Schiaffino.

Les écrits sur l’art de Santiago Vaca Guzmán L’écrivain d’origine bolivienne Santiago Vaca Guzmán (1847-1896) trouve refuge, en 1871, à Buenos Aires suite aux critiques qu’il a émises contre le pouvoir politique bolivien12. Alors qu’il est employé d’imprimerie, puis ministre plénipotentiaire de Bolivie auprès de la République d’Argentine, Vaca Guzmán publie plusieurs essais, romans – Días Amargos et Sin Esperanza – et œuvres critiques sur des questions artistiques et politiques et 72

Faire et écrire l’histoire de l’art à Buenos Aires


études

Émilie Hammen

Couturiers historiographes : écrire l’histoire de la mode Le cas de Gaston Worth (1895)

Fig. 1. Gravure d’après une photographie de Felix Nadar, Portrait de Charles Frederick Worth, 1892 (publié dans Elizabeth Ann Coleman, The Opulent Era, Fashion of Worth, Doucet and Pingat, Thames and Hudson, Londres, 1989).

Fig. 2. Portrait de Gaston Worth, s.n, s.d. (publié dans Jean-Philippe Worth, A History of Feminine Fashion, Londres, Burow and Co, 1927).

Les histoires de la mode s’ouvrent invariablement par le récit de la vie et de l’œuvre de Charles Frederick Worth (1825-1895)1, considéré comme le père fondateur de la haute couture (fig. 1). Relayée depuis plus d’un siècle par les littérateurs comme par les historiens, aussi bien dans les histoires vulgarisées que dans les ouvrages de référence sur la mode2, cette image qui entoure Charles Frederick Worth trouve son origine dans l’ouvrage La Couture et la confection des vêtements de femmes publié par son fils, Gaston Lucien Worth (fig. 2) en 18953. Dans cette étude Gaston Worth propose un récit canonique sur son père et met en lumière un tournant fondamental dans l’histoire de la mode, celui d’un moment singulier où discours et pratiques se rejoignent pour faire de la mode un art industriel et de Charles Frederick Worth l’inventeur de ce nouveau système. Ce récit témoigne également de l’évolution du secteur de la mode dans la seconde moitié du xixe siècle. Celui-ci s’industrialise, se transforme structurellement, de nouvelles logiques de création et de dissémination des modes s’imposent. Les rôles des acteurs de ce domaine HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

81


marchand sont redistribués. Les figures prescriptrices ne sont plus issues du seul monde aristocratique, mais viennent également de la bourgeoisie4 qui requalifie par son mode de vie les préceptes de l’élégance. Enfin, le rôle et l’image du créateur et faiseur des modes se transforment radicalement à cette époque. Il assimile les innovations portées par la confection au sein des magasins de nouveautés qui apparaissent dès le début du siècle et tente d’être reconnu en tant qu’artiste5. Ce sont ces mutations que Gaston Worth donne à lire dans son récit et qu’incarne son père en devenant un chef d’entreprise doué d’une sensibilité artistique, capable de redéfinir la mode dans un contexte propice à l’émergence des arts issus de l’industrie, après avoir été un simple fournisseur. Charles Frederick Worth représente ainsi la figure nouvelle du grand couturier qui met en avant l’unicité de ses modèles, originaux par leur coupe et sur mesure, tout en favorisant paradoxalement leur reproduction, au profit de l’exportation. En présentant son père et son œuvre, Gaston Worth propose une étude « promotionnelle » de la maison Worth, tout en mettant en récit les transformations profondes d’une industrie nouvelle. Il s’efforce également de qualifier et d’organiser un passé encore récent afin d’éclairer une situation contemporaine où la couture parisienne participe à l’essor économique de la France avec une position de choix dans le commerce extérieur de la nation, sans être pour autant considérée comme une pratique autonome. Si l’étude de Gaston Worth répond à un impératif économique, dans la mesure où elle a été commandée par la Commision Permanente des Valeurs de Douane6, ne lui sert-elle pas également à transformer le couturier en un artiste des modes et à l’imposer dans le rôle légitime de l’historiographe de la mode ?

Gaston Worth : portrait du couturier en artiste industriel Gaston Lucien Worth naît en 18537, alors que son père Charles Frederick Worth et sa mère Marie travaillent pour la Maison Gagelin, Opigez Chazelle et Cie 8. Charles Frederick Worth jouit d’un certain succès auprès de ses employeurs qui lui laissent la possibilité de développer comme il l’entend le rayon de confection et de présenter ses créations aux Expositions Universelles de 1851 à Londres et de 1855 à Paris9. Le couple quitte Gagelin en 1858 et s’associe quelque temps au suédois Otto Bobergh, pour fonder la maison Worth & Bobergh10. Jean-Philippe, le frère cadet de Gaston, naît en 1856, deux ans avant que la famille installe ses appartements et sa maison de couture au 7 rue de la Paix. C’est semble-t-il auprès de leurs parents que les deux fils apprennent tacitement le fonctionnement d’une maison de couture telle que la conçoit leur père, avant que leurs rôles au sein de cet établissement ne soient décidés entre 1874 et 1875. Si Jean-Philippe, qui a suivi les cours de Jean-Baptiste Camille Corot, proche de la famille11, seconde son père dans la composition des parures que la maison exporte, Gaston est chargé de la gestion financière de l’entreprise. Cette répartition des rôles illustre la dualité du rôle du couturier, entre appétence esthétique et connaissances techniques d’une part et rationalité économique d’autre part. Si l’opposition entre un frère artiste et un autre gestionnaire semble manifeste, elle n’est pas si évidente. Car les choix stratégiques et le goût personnel de Gaston Worth semblent tout autant façonner la destinée artistique de la maison que ceux de son frère, comme le souligne l’invitation que Gaston envoie, en 1901, à un jeune créateur prometteur du nom de Paul Poiret : La maison Worth était à cette époque dirigée par les deux fils du grand couturier qui avait habillé l’impératrice Eugénie. Ils s’appelaient Jean et Gaston. C’est Gaston qui me fit la proposition suivante : – Jeune homme, vous connaissez la maison Worth, qui, de tout temps, habilla les cours du monde entier. Elle possède la clientèle la plus élevée et la plus riche, mais aujourd’hui cette clientèle ne s’habille pas exclusivement avec des robes d’apparat. Les princesses prennent quelquefois l’autobus, et vont à pied dans la rue. Mon frère Jean a toujours refusé de faire certaine qualité de robes, pour laquelle il ne se sent pas de goût, des robes simples et pratiques, qui pourtant nous sont demandées12. 82

Couturiers historiographes : écrire l’histoire de la mode


études

Benjamin Chavardés

La scuola romana et la critique opératoire

Le lien entre culture du passé et pratique de la conception est une récurrence de l’histoire de l’architecture. La nécessité croissante pour les maîtres d’œuvre d’intervenir avec l’existant rend cette problématique de plus en plus prégnante. Alors que l’historien de l’architecture investit la recherche afin de produire du savoir, d’évaluer et de comprendre une œuvre, l’architecte lit l’histoire comme un support pour le projet lui permettant de décrypter un lieu, un site, un territoire, un bâti, et plus largement, un existant. Mais au-delà d’une situation et d’un objet, la question se pose toujours au maître d’œuvre de savoir dans quelle mesure l’histoire peut également nourrir une posture et être le support d’une théorisation. La recherche historique peut alors dépasser son dessein de producteur de connaissance pour être producteur de théorie et finalement nourrir une pratique entendue comme une pensée à l’œuvre. Ce questionnement est au cœur des travaux de nombreux architectes italiens des années 1920 aux années 1980. En Italie comme ailleurs, la figure de l’architecte est perçue comme un hybride entre un artiste et un homme de science. Par conséquent, jusqu’en 1919, l’enseignement de l’architecture est divisé entre Académie des Beaux-Arts et école d’ingénieurs. À cette date est fondée la Scuola Superiore d’Architettura di Roma. L’histoire de l’enseignement de l’architecture dans ce pays est dès lors profondément marquée par la personnalité de Gustavo Giovannoni (1873-1947), père de ce que l’on peut nommer l’école romaine d’architecture. Dès le début, la question de l’histoire est au cœur de la définition du nouvel enseignement. Dans leurs cours de conception architecturale, Arnaldo Foschini (1884-1968) et Marcello Piacentini (1881-1960) plaident pour que l’enseignement de l’histoire n’ait qu’un rôle formateur général. À l’inverse, Vincenzo Fasolo (1885-1969), responsable de l’enseignement d’histoire, attribue à ce dernier un rôle déterminant, puisqu’il permet de fournir des modèles architecturaux et décoratifs à adopter pour un projet. C’est la position de synthèse de Gustavo Giovannoni qui l’emportera. Il partage l’idée de l’apport par l’histoire de modèles susceptibles d’être utilisés dans la composition, non pas du point de vue formel mais en considérant plutôt les principes opératoires de l’architecture1. L’histoire de l’architecture est alors considérée comme un champ d’action spécifique des architectes, étant donné qu’ils sont les seuls, par leur expérience de l’art d’édifier, à être capables d’appréhender pleinement le processus créatif, projectuel et constructif des édifices. Giovannoni distingue ainsi l’histoire de l’architecture des autres sciences historiques et particulièrement des méthodes de l’histoire de l’art et de l’archéologie. Plus généralement, la création de facultés d’architecture, distinctes des facultés d’ingénieurs et des écoles des beaux-arts, s’appuie sur la complexité de l’objet architectural et donc sur la nécessité d’une pluridisciplinarité afin d’étudier les types, les systèmes constructifs, les matériaux, le lexique architectural, l’organisation, l’ornementation, etc. HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

91


La figure de l’architecte historien L’une des particularités italiennes est que l’enseignement de l’histoire de l’architecture est assuré par des architectes de formation2. Dans la culture allemande, anglo-saxonne ou française, les historiens de l’architecture sont alors, pour la plupart, historiens de l’art. Cette spécificité peut paraître pertinente dans la mesure où elle aide à analyser les œuvres architecturales, toutefois elle renvoie nécessairement l’architecte à sa propre pratique du projet avec le danger de faire des ponts, si ce n’est des raccourcis, entre les pratiques historiques et projectuelles au risque de générer un nouvel historicisme. Ce dialogue a produit des expériences aux perspectives diverses au sein de la faculté de Rome, comme l’histoire opérante et l’analyse typo-morphologique développées par Saverio Muratori et la restauration critique de Renato Bonelli, qui positionnent pour l’un l’analyse historique de la forme urbaine, pour l’autre la connaissance de l’histoire de l’architecture comme préalables au projet. Néanmoins, Paolo Portoghesi souligne à quel point le fait d’être architecte praticien apporte une vision plus concrète à l’historien : Un des petits avantages qu’offre le fait d’être à la fois critique et architecte praticien est de savoir à quel point les sources et les documents sont susceptibles, à quelque époque que ce soit, de falsifications et d’erreurs involontaires, combien la vérité historique peut être mise sous le boisseau par des facteurs contingents qui influencent l’enregistrement documentaire2.

L’histoire est en effet riche d’exemples où l’architecte a pu modifier ou au contraire s’abstenir de modifier des documents volontairement ou involontairement, au détriment des règles de l’art, soit pour contrôler si ce n’est construire sa propre postérité, soit pour contourner des contraintes règlementaires ou autres, ou bien encore simplement parce qu’une modification avait été décidée directement sur le chantier et exécutée sans que les plans n’aient besoin d’être modifiés en amont. L’école de Rome a ainsi formé la plupart des historiens de l’architecture ayant connu la postérité internationale la plus importante comme Bruno Zevi avant son exil, Leonardo Benevolo et Manfredo Tafuri, pour ne citer que les trois principaux traduits en français.

La critique opératoire Lors de son retour à la faculté de Rome en tant qu’enseignant en 1963, après plusieurs années passées à l’Istituto Universitario di Architettura di Venezia (IUAV), Bruno Zevi prononce une leçon inaugurale dans laquelle il évoque l’utilisation de « l’histoire comme méthode du faire architectural ». Il définit ainsi ce qu’il nomme la critique opératoire : « la nouvelle critique, que nous pouvons définir comme ‘opératoire’ car elle ne consiste pas en un jugement a posteriori mais en une participation à la dynamique projectuelle3 ». Il ajoute : « toute l’histoire devient moderne, actuelle4 ». Ce faisant, son histoire n’a pas la volonté et la rigueur scientifique de vouloir établir les faits, mais veut mettre en exergue des enseignements. Pour obtenir une opérativité architecturale, il faut selon lui une médiation linguistique. Cela passe par la définition de l’espace intérieur et des caractères de nouveauté d’une réalisation architecturale, par l’abstraction du dessin et l’interprétation5. Manfredo Tafuri consacre également un chapitre de son ouvrage Théorie et Histoire de l’architecture à cette question de la critique opératoire. Mais pour lui « la critique n’existe pas, il y a seulement l’histoire6 ». « Comme instrument de progettazione, l’histoire est stérile, elle ne peut fournir que des solutions et des indications connues7. » Tafuri définit donc son « projet historique8 » comme distinct de la pratique du projet architectural. Prenant ses distances avec la scuola romana, il crée ainsi l’Institut d’Histoire de l’Architecture à l’intérieur de l’IUAV, au sein duquel il crée le premier centre de recherche en Italie sur l’architecture et l’art moderne. Il développe ainsi une école d’histoire de 92

La scuola romana et la critique opératoire


études

Sandra Delacourt

« Primary Structures » : un tournant décisif dans le partage de l’histoire

Le 27 avril 1966 s’ouvre au Jewish Museum de New York l’exposition « Primary Structures ». Y est réunie par Kynaston McShine une sélection d’artistes américains et britanniques fédérés, non par leur appartenance à un mouvement artistique ou à une école stylistique, mais par « un sens de l’histoire1 ». D’abord suggéré comme un phénomène international, cet engagement artistique sur le terrain de la pensée historique est rapidement célébré comme une spécificité américaine dont la genèse est étroitement – puis durablement – associée à celle de l’art minimal. Si l’intérêt des artistes américains pour les régimes d’historicité de l’art n’est en rien inédit, ce qui l’est en ce milieu des années 1960 est sa valorisation par le milieu artistique professionnel. En ce sens, « Primary Structure » indique un changement de paradigme majeur dans l’écriture de l’histoire de l’art américain jusqu’alors encline à revendiquer une tradition picturale d’autodidaxie et d’anti-intellectualisme. À la lecture des débats théoriques que cette exposition a suscités, il est possible de prendre la mesure de l’aspiration à voir apparaître aux États-Unis une nouvelle figure de l’artiste capable de réfuter l’héritage historique qui lui est assigné et de rivaliser d’autorité avec ceux qui sont alors socialement désignés comme les producteurs du savoir historique. En effet, dans le sillage de McShine, Mel Bochner, Lawrence Alloway, Wayne W. Andersen ou encore Gregory Battcock insistent, entre 1966 et 1968, sur le pouvoir de ces artistes à opérer une révision épistémologique de l’histoire. Alors que l’enjeu politique des discours historiques a été mis à nu par des décennies de guerres mondiales puis de Guerre froide, l’œuvre de Dan Flavin, de Robert Morris, de Donald Judd ou encore de Walter de Maria apparaît comme une entreprise de dénaturalisation dans laquelle ne manquera pas de s’engager toute une génération de critiques résolus à en découdre avec l’histoire en tant que facteur, monosémique et autoritaire, de légitimation culturelle. Avec ces artistes, la compétence historique change de camp pour temporairement revendiquer l’histoire comme une pratique partagée, pluraliste et conflictuelle.

Mise en déroute de l’histoire institutionnelle et insurrection des savoirs assujettis ? Aux yeux d’une part de la critique d’art américaine, « Primary Sructures » annonce ce que Michel Foucault qualifiera, dans d’autres contextes, d’insurrection des savoirs assujettis2. À bien des égards, cette exposition marque la reconnaissance par des savoirs autorisés de savoirs jusqu’alors disqualifiés, ainsi que leur alliance nouvelle dans une critique conjointe des discours historiques dominants. Les protestations des artistes quant aux modalités d’historicisation de l’art ont été abondantes depuis l’émergence d’un corps spécialisé dédié à l’écriture de l’histoire de l’art dans les années 18703. Mais jugées circonstancielles ou subjectives, elles sont longtemps restées inaudibles, sinon HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

101


reléguées au rang du pittoresque. Or en 1966, McShine suggère, par la démonstration artistique, la faillite des discours englobants que l’histoire institutionnelle tend à apposer sur les formes pour préserver la cohérence de son récit. Si elle a pu être perçue comme telle, « Primary Structures » ne clôt pas une tradition d’allégeance des artistes américains envers l’histoire de l’art. En dépit des récits dépeignant Pollock travaillant sous la dictée de Clement Greenberg, l’hypothèse d’une telle sujétion est peu crédible au regard des tensions qui ont caractérisé les liens entre artistes et historiens aux ÉtatsUnis. Néanmoins, les œuvres réunies au Jewish Museum entérinent l’acceptation sociale d’une inversion des relations de pouvoir entre l’art et l’histoire ainsi que de nouvelles modalités de reconnaissance artistique. Leur inadéquation aux grilles de lectures historiques en vigueur y est érigée en critère qualitatif et assumée comme un prisme factuel imposant à l’histoire de réviser ses récits idéels. S’y joue une remise en question de l’idéalisme historique qui n’avait cessé de se heurter à une pensée plus fortement nourrie d’empirisme et de pragmatisme. Il n’est donc pas anodin que cette compétence historique soudainement reconnue aux artistes soit particulièrement décisive aux ÉtatsUnis. Plus que leurs confrères britanniques, les artistes américains ont eu à déplorer un clivage culturel persistant entre le savoir transmis par la discipline historique et la réalité de la création qu’ils observaient ou pratiquaient à l’échelle locale. Dans cette mesure, « Primary Structures » précipite un changement de régime d’historicité dans l’écriture américaine de l’histoire de l’art que l’on pourrait qualifier d’entrée dans le présentisme4. Il ne s’agit pas ici de prétendre que l’art minimal serait, à lui seul, à l’origine de ce renversement de perspective historique puisque celui-ci s’opère dès la Seconde Guerre mondiale dans les pratiques américaines de l’histoire5. Toutefois, l’histoire de l’art en tant que champ disciplinaire spécifique est restée globalement indifférente à ces tentatives de réécriture du passé à l’aune du présent. Et de manière tout à fait paradoxale, elle l’est demeurée dans la pratique des historiens de l’art qui se sont intéressés à l’art de leur temps. L’émergence d’œuvres tridimensionnelles résistant aux modalités et aux catégories traditionnelles de l’évaluation artistique exacerbe, dans le milieu de l’art, un sentiment de scepticisme envers les pratiques contemporaines de l’histoire et envers l’autorité qu’elles ont acquise entre les années 1930 et 1960. Au cours de ces décennies, l’histoire de l’art connaît aux États-Unis un essor considérable et conquiert un rayonnement international sans précédent6. L’autorité que le savoir historique professionnel entend exercer sur la création artistique est alors vécue comme un phénomène d’acculturation et jette le doute sur les conditions d’entrée de l’art américain dans l’histoire de l’art internationale au cours des années 1940. Dès le milieu des années 1960, les griefs nourris à l’encontre de Greenberg, d’Harold Rosenberg ou de Thomas B. Hess s’attachent en effet à dénoncer l’impasse historique dans laquelle ils ont précipité les artistes qui ne travaillaient pas selon ce qu’ils percevaient être le sens de l’histoire7. S’ils ont permis à l’art américain de s’inscrire dans la grande histoire, leurs récits modernistes apparaissent en inadéquation avec la réalité des pratiques artistiques développées aux États-Unis au lendemain du « triomphe » de l’École de New York8.

Destitution du style et des figures de l’autorité historique Les œuvres de « Primary Structures » ont pour singularité d’être conçues comme des « objets », de rejeter la composition, d’affirmer le caractère physique des matériaux, d’entretenir avec l’espace une relation « architectonique » et d’impliquer des processus de fabrication technologiques ou industriels9. Si elles ne sont pas des préoccupations inédites, la sérialité, l’autoréférentialité ou l’impersonnalité sont alors analysées comme relevant d’une volonté nouvelle de mettre en défaite toute vision transcendante, cyclique ou déterministe de l’histoire. En ce sens, James Meyer rappelle que 102

« Primary Structures »


études

Théo Bélaud

Rosen hors de son propos : portrait de l’artiste en canoniste

À l’automne 1962, les presses universitaires de Princeton faisaient paraître le premier numéro de Perspectives of New Music. Pour le lancement de cette nouvelle revue, les éditeurs Arthur Berger et Benjamin Boretz avaient placé la barre haut – c’est du moins l’effet rétrospectif que produit la lecture du sommaire – : les articles sélectionnés avaient pour auteurs Igor Stravinsky et Robert Craft (en entretien), Milton Babbitt, Ernst Krenek, Edward T. Cone (sur Stravinsky), son élève David Lewin (sur la théorie sérielle), Andrew Imbrie (sur son maître Roger Sessions), Karlheinz Stockhausen, et Charles Rosen. Ce dernier, bien qu’il fût le seul de la sélection à pratiquer le métier d’interprète instrumental, fut aussi le seul à ne consacrer son texte ni à un compositeur, ni à une œuvre, ni à un problème théorique ou pratique d’écriture musicale, mais à la question de l’histoire de la musique1. L’article, relativement provocateur et radical (en cette période, notamment à Paris, Darmstadt et Princeton, la verve iconoclaste des musiciens nés dans les années 1920 connaissait peu de limites), dénonçait l’isolement de l’enseignement et de la recherche musicologiques vis-à-vis de la pratique musicale vivante, au premier chef celle des compositeurs, et de leurs interprètes (qui déjà avaient cessé, le plus souvent, d’être les mêmes que ceux des compositeurs morts). Plus spécialement, Rosen déclarait nécessaire de confier aux compositeurs le soin d’éclairer le travail des historiens, pour ne retenir (ou du moins, ne valoriser) dans l’étude du « répertoire » que ce qui pouvait être reçu et réinterprété avec intérêt pour la pratique contemporaine, s’appuyant sur l’introduction d’une thèse simple et forte : le canon, c’est-à-dire l’institution des artistes ayant survécu à la sélection du temps, n’est pas le fait des historiens, mais des artistes, qui contre le goût du moment, mais aussi parfois contre la rétrospection critique qui suit, élèvent leurs prédécesseurs à un rang si élevé qu’il en devient intouchable, l’historien n’ayant plus ensuite qu’à attester de cette canonisation. Il donnera la clarification la plus évidente de cette position trente ans plus tard, dans la seconde des trois admirables conférences à Rome, « Comment on devient immortel », rapprochant sa conception de la réception historique de celle du manifeste de l’Athenaeum : comme l’œuvre d’art contient sa propre critique et explication, elle contient aussi, en partie, son propre canon pour la postérité, qui ne lui est attribué qu’en apparence par celle-ci2. Le pianiste de 35 ans aurait pu se contenter d’un plaidoyer vigoureux pour une meilleure formation des jeunes instrumentistes à la création et ses enjeux, et d’une meilleure inclusion des courants les plus récents dans l’histoire enseignée de la musique. Mais la seule pétition de principe (« Soyons modernes ») ne pouvait, seule, satisfaire le désir de Rosen, déjà évident ici, de questionner les formes et le sens de la réception dans l’histoire des arts ; question qui apparaîtra comme l’une de celles, sinon celle de sa vie entière, et qu’on se propose ici de réinterpréter comme celle de la redécouverte édifiante du fait institutionnel dans les arts. HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

111


Rosen était déjà tout à fait coutumier de ce genre de contre-pied, sinon de braconnage intellectuels, pratique qui à force de réitération le conduisit à constituer un champ d’études stylistiques multidisciplinaire qui, par son ampleur et son originalité, eut peu d’équivalents au xxe siècle (et dont la reconnaissance seulement partielle nous semble tenir à la position isolée de la musique vis-à-vis de l’histoire des arts, visuels ou littéraires), sinon de la stature d’un Jean Starobinski ou d’un Georges Steiner. La double référence est facile, peut sembler même automatique, mais n’est pas dénuée de raisons, tant du point de vue du style méthodologique, et de celui de la cohérence interne des champs d’études. Mentionnons dès à présent qu’en 1991, pour le colloque qu’Yves Bonnefoy organisa sur « Poésie et musique » le grand poète tint à réunir au Collège de France Rosen, Jean Molino, Starobinski (Jean et son fils pianiste, Georges) et Steiner. En 1962, Rosen n’avait encore écrit ni sur Mallarmé, ni sur Bonnefoy, mais sa francophilie était déjà aussi bien établie que son tropisme avant-gardiste – il venait juste d’enregistrer les premières de la Sonate et du Double Concerto de Carter. L’article pour Perspectives of New Music n’était que le second qu’il consacrait à la musique. Le premier, paru trois ans plus tôt, portait sur Ravel et Debussy (il venait du reste d’enregistrer Gaspard de la Nuit et Le Tombeau de Couperin). Il avait assis sa réputation de jeune virtuose audacieux en gravant la première intégrale des Études de Debussy dès 1951, trois ans avant celle de Walter Gieseking. À 24 ans, l’ancien élève de Moritz Rosenthal (de 1938 à sa mort en 1945) faisait également ses débuts à Town Hall, et avait un métier assuré aux confortables perspectives : pianiste concertiste. Il avait néanmoins, quelques mois plus tôt, soutenu sa thèse, une étude stylistique serrée des Fables de La Fontaine3 venant couronner ses études à Princeton, entièrement consacrées à la littérature française (la musicologie lui ayant paru être une voie trop facile). Durant les trois années suivantes, ses cachets étant encore irréguliers (il n’avait pas d’agent et, du reste, appréciait l’indépendance et le calme d’un rythme de vie universitaire), il fut chargé de cours dans cette matière au MIT voisin. Henri Zerner fait une évocation saisissante de cet épisode : « Il faisait un cours assez novateur qui était un cours de civilisation, une sorte de cours très général sur la culture occidentale, dans cette institution qui est essentiellement scientifique et, il faut le souligner, ce cours était en français. Il a dû marquer ses étudiants […], j’ai rencontré quelqu’un qui m’a raconté spontanément : ‘J’ai été au MIT et le seul professeur vraiment intéressant que j’ai eu, ce n’était pas du tout dans ma discipline, c’était un pianiste’. […] Il leur faisait lire des textes qui allaient de l’Antiquité aux temps modernes, de la Grèce à la littérature contemporaine en passant par le Roman de la rose 4. » Il abandonna ensuite cette activité mais sa passion érudite pour les lettres françaises ne se démentit plus jamais. La modernité musicale le préoccupa pourtant tout aussi tôt. Alors qu’il n’était qu’undergraduate, il parvint avec son camarade d’internat Michael Steinberg, également destiné à une belle carrière de critique et de musicologue, à rencontrer Bohuslav Martinu˚, depuis peu professeur au département de musique, et à se lier d’amitié avec le compositeur, si bien que l’on vit bientôt les trois compères régulièrement attablés au meilleur restaurant français de Princeton, Lahire. L’été 1949, Rosen et Martinu˚ se retrouvèrent en vacances à Paris et allèrent, pour le centenaire de la mort de Chopin, visiter ensemble Nohant. En 1959, quelques mois avant sa mort, c’est encore Martinu˚ qui enjoignit les anciens étudiants de ne pas manquer l’événement de la première new-yorkaise du Wozzeck de Berg, donné sous la direction de Karl Böhm au Met. Le rôle de Martinu˚ à Princeton, passager et discret, mérite d’être signalé : compositeur peu associé aux avant-gardes (viennoises ou d’ailleurs), voire qualifié de néoclassique, attaché aux styles slaves et français du début du siècle, son influence n’en fut pas moins réelle sur toute la nouvelle génération du jeune département de musique de Princeton (alors moins prestigieux et avant-gardiste que celui de Berkeley). Steinberg déplora qu’il ne fût pas resté au département aux côtés de Roger Sessions et Milton Babbitt par la suite5, 6. 112

Rosen hors de son propos


études

Gauthier Bolle

Quand les architectes se livrent à l’Histoire : témoignage d’un mandarin des Trente Glorieuses

Nés au début du xxe siècle, certains architectes, portés par les années de croissance, marquent d’une empreinte considérable le paysage urbain français d’après-guerre. Si leurs noms se sont estompés au profit de figures plus iconiques, l’importance de leur production bâtie conduit l’historiographie de ces dernières années à reconsidérer leur rôle. Tel est notamment le cas de Charles-Gustave Stoskopf (1907-2004)1, deuxième second grand prix de Rome en 1933. Fils d’un célèbre peintre, auteur dramatique et journaliste alsacien2, Stoskopf est élevé dans un milieu protestant et artiste, puis formé à l’École régionale de Strasbourg (Éras)3 et à l’École nationale des beaux-arts4 durant l’entre-deux-guerres. Il entame véritablement sa carrière au fil des années 1940, dans le cadre de la Reconstruction, lorsqu’il est chargé de rebâtir des villages anéantis dans sa région natale, en projetant de relever ces localités meurtries dans une veine régionaliste5 (fig. 1-2). Au fil des années 1950, l’architecte devient l’un des maîtres d’œuvre privilégié de la Société Centrale Immobilière de la Caisse des dépôts (SCIC), filiale créée en 1954 et dédiée à la construction de grands ensembles6. Il est le maître d’œuvre notamment de la cité de Créteil Mont-Mesly (à partir de 1955, fig. 3) et de plusieurs autres grands ensembles en région parisienne et en Alsace. Il démontre alors son attachement à la tradition académique par le biais de grandes compositions monumentales. Son assise professionnelle, principalement fondée sur la construction de logements, est confortée par la direction de trois agences à Colmar, Paris et Strasbourg7 et par plusieurs responsabilités institutionnelles8. Fig. 1. Remise des insignes de chevalier de la Légion d’honneur à Stoskopf en 1949, debout entre le maire d’Ammerschwihr et le préfet. En haut à gauche, la mère et le fils de l’architecte, Jean-Léonard © fonds G.S., document conservé aux Archives départementales du Bas-Rhin sous la cote 60J1.

HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

123


Fig. 2. Article « Reconstruire », écrit et illustré par Stoskopf, publié dans Saisons d’Alsace en 1949.

Fig. 3. Vue nocturne sur la place centrale (place de l’Abbaye) du grand ensemble de Créteil Mont Mesly, v. 1960, C.-G. Stoskopf arch. © photo J. Biaugeaud (fonds SCIC archives CDC).

Au crépuscule du xxe siècle, Stoskopf, qui est aussi un homme de plume, fournit son témoignage, livrant un matériau riche pour l’histoire. Ses textes permettent de cerner la singularité de sa position tout en nous renseignant sur le contexte de son action. Les documents considérés ici se limitent à des écrits autobiographiques, une catégorie de textes ayant fait, jusque-là, l’objet de peu d’attention de la part des historiens9. Ce témoignage constitue, au premier regard, une forme de soliloque destiné aux archives. C’est aussi un plaidoyer en faveur d’une certaine vision du métier, inscrite dans une perspective historique. Ainsi, l’examen de ce corpus permet d’enrichir la compréhension d’un héritage bâti jugé parfois encombrant : celui de l’architecture des Trente Glorieuses. Après avoir exploré la forme et les intentions de l’auteur dans ses textes de souvenirs, nous évoquerons certains des thèmes majeurs qui en émergent ou encore certaines des phases essentielles dépeintes par l’architecte, afin de mieux saisir l’histoire qu’il tente d’esquisser.

Entre témoignage professionnel et testament historique L’écrit occupe très tôt une place importante pour l’architecte, fortement marqué par la figure de son père, homme de culture prolifique. Les articles, discours et conférences rédigés par Stoskopf fils à partir de la fin des années 1940 constituent surtout 124

Quand les architectes se livrent à l’Histoire


études

Jelena Martinovic

L’histoire de l’art comme artefact Leo Steinberg vu à travers Juan Downey1

« The biggest mistake that can be made in watching Downey’s tapes is to take them for art history2 ». Tel est l’argument utilisé par la critique d’art Ann-Sargent Wooster en guise de conclusion de son compte rendu paru en 1985 dans Afterimage d’Information Withheld (1983) et de Shifters (1984), deux pièces vidéographiques exposées par Juan Downey à la Biennale du Whitney Museum de New York. Au centre de ces deux vidéos se trouve une réflexion sur les signes et la peinture, leurs fonctions et leur place au sein d’une économie du regard. Un intérêt tout particulier y est porté à l’historien de l’art new yorkais Leo Steinberg (1920-2011) dont l’interprétation picturale est exposée par le biais de la simulation numérique. Wooster conclut que la qualité de l’œuvre de Downey rejoint celle des autres vidéos exposées (Dara Birnbaum, Joan Jonas, Dan Reeves, Ed Ernschwiller) qui placent la manipulation digitale au cœur de leurs recherches : « ce que vous obtenez au contraire [de l’œuvre de Downey] sont les tournures et les torsions d’un esprit captivant élargi par la technologie3 ». La déclaration d’une histoire « truquée » relevée à cette occasion par la critique d’art s’avère être un excellent point d’entrée pour questionner la notion d’artiste-historien au sein de la pratique vidéographique de Downey. L’artiste produit déjà de l’histoire, en faisant de l’histoire de l’art un élément clef de son œuvre vidéographique, mais il se sert également du registre esthétique et technologique afin de mettre cette histoire en images. Enfin, il participe, au même titre que les historiens, à la diffusion des sources historiques. S’il est assez courant de lire des études portant sur l’impact des historiens de l’art sur les artistes, il est plus rare que des travaux traitent de l’influence des artistes sur l’élaboration de l’histoire de l’art même4. Downey s’avère être un cas particulièrement opportun pour expliciter ces deux tendances. En se focalisant sur deux de ses vidéos, The Looking Glass (1981) et Information Withheld (1983) et sur l’intérêt que l’artiste y accorde à Steinberg, ce travail souhaite revisiter l’historiographie des années 1960-1970, notamment les relations entre pratique artistique, histoire et critique.

Histoire d’une réception Figure incontournable de l’avant-garde artistique new-yorkaise des années 1960-1980, l’artiste chilien Juan Downey (1940-1993) est davantage connu pour ses performances multimédia, ses sculptures « électroniques » et cybernétiques, ses vidéos ethnographiques et son architecture radicale que pour ses travaux produits en dialogue étroit avec l’histoire de l’art5. Or l’histoire occupe une place centrale au sein de son œuvre vidéographique, notamment dans les séries The Thinking Eye (1974-1986) et Hard Times & Culture (1990). Mais déjà dans ses travaux réalisés au sein de la forêt amazonienne (The Abandonded Shabono, 1978 et The Laughing Alligator, 1979) et Video Trans Americas (1973-1976) – une œuvre ambitieuse dans laquelle Downey enregistre des communautés HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

135


diverses à travers l’Amérique du Sud et l’Amérique Centrale – Downey atteste d’un intérêt explicite pour le contexte culturel, social, architectural ou anthropologique d’une société donnée qu’il visite et revisite à travers son histoire. Si l’on s’en tient à la réception courante, il est possible de dégager trois « tendances » qualifiant la production de Downey dans les trois décennies en question (1960, 1970, 1980). Durant les années 1960, Downey a fait partie de ce que John Margolies intitulait la tendance de l’« artiste-communicateur6 ». Travaillant avec les nouveaux médias de la communication, il a intégré des discours cybernétiques et les théories des médias (Marshall McLuhan, Buckminster Fuller) dans sa pratique visuelle et écrite7. Dans les années 1970, il s’est intéressé principalement à l’exploration de l’« autre » à travers ses travaux ethnographiques réalisés sur le terrain (il a séjourné pendant neuf mois au sein de la communauté de Yanomami dans la forêt amazonienne). Cette exploration lui a valu la dénomination par Julieta Gonzalez d’« anthropologue truqué8 ». Gonzalez a notamment montré dans quelle mesure Downey a participé, bien qu’en marge, à la focalisation du monde de l’art contemporain sur la question anthropologique à partir de Joseph Kosuth (« l’artiste comme anthropologue », 1975) et la réécriture de l’art conceptuel par Hal Foster9. On pourrait donc, à l’occasion de ce numéro, ajouter une troisième catégorie pour rendre compte de la pratique de Downey dans les années 1980 : « histoire de l’art truquée », faisant nôtre le propos de la critique d’art cité au début de cet article, autrement dit, l’histoire de l’art comme artefact. En effet, la série The Thinking Eye réalisée dans les années 1980 reflète de par son approche déconstructiviste, didactique et subversive la place prédominante qu’occupent, au sein de la critique, de la pratique de l’art et de l’histoire, le postmodernisme, les visual studies et la discussion sur une crise de l’histoire de l’art en tant que discipline académique10. Entrent aussi en jeu les transformations matérielles liées à la réalisation et à la production de la vidéo : après deux décennies de pratiques marquées par la technologie du feedback et les médias décentralisés (1960-1970)11, les artistes renouent désormais avec la télévision. Ce lien se consolide notamment durant les années 1980, lorsque de nombreux artistes (dont Downey, T. R. Uthco, Ant Farm, Jaime Davidovich) exploitent le format de la télévision et profitent des soutiens généreux accordés aux artistes collaborant avec les studios de post-production12. Ainsi l’histoire de l’art sert-elle à Downey à expérimenter à la fois le format de la télévision et les nouvelles technologies et à penser son art pour le grand public. Downey a planifié The Thinking Eye pour la télévision (la durée moyenne d’une vidéo est d’une trentaine de minutes) et certaines de ces vidéos ont été réellement diffusées sur une chaîne de télévision13. Afin de pouvoir parler de Downey en tant qu’artiste-historien, il faut donc prendre en considération les transformations sociales, technologiques et économiques liées à la pratique de l’art vidéo (son rapprochement avec la télévision) qui permettent d’expliquer, du moins en partie, les raisons pour lesquelles l’artiste privilégie la mise en scène de l’historien.

The Thinking Eye 14 Dans The Thinking Eye (et Hard Times & Culture) Downey produit une histoire fortement personnelle et fragmentaire, l’exposant à la lumière des travaux d’historiens contemporains célèbres tels Raymond Bellour, Michel Foucault, Leo Steinberg, Georg Kubler, Eunice Lipton, John Summerson. Ces auteurs sont connus pour leurs approches innovantes dans leurs champs d’étude respectifs. Ils reflètent également un contexte intellectuel dans lequel prédomine l’intérêt pour l’épistémologie, la sémiotique, les concepts psycho-psychanalytiques et l’analyse culturelle et sociale de l’art. Dans ses œuvres vidéographiques, Downey utilise ces auteurs en les citant, en les interviewant, ou en collaborant directement avec eux. Ainsi Raymond Bellour a-t-il rédigé le scénario d’Hard Times & Culture: part one, Vienna-fin-de-siècle (texte complété par les extraits de 136

L’histoire de l’art comme artefact


études

Lilian Froger

Les écrits de Homma Takashi sur l’histoire de la photographie : mise en récit et prises de vue

Le photographe japonais Homma Takashi1, né en 1962 et actif depuis le début des années 1990, accède à la reconnaissance artistique après la parution de son livre de photographies Tôkyô kôgai2 en 1998. Ses clichés sont alors abondamment reproduits dans les revues japonaises qui lui confient également la rédaction de rubriques, comme par exemple le mensuel Asahi kamera dans lequel il écrit, à partir de 2007, sur l’actualité photographique3. Son attention pour les formes photographiques les plus contemporaines aiguise dans le même temps son intérêt pour l’histoire de ce médium, car « pour appréhender la photographie ‘d’aujourd’hui’, il faut d’abord [, dit-il,] revenir sur l’histoire de la photographie4 ». Mais Homma n’aspire pas à écrire une histoire complète de la photographie, seulement à proposer une lecture personnelle sur le passé de ce médium, en lien avec son parcours de photographe. Il revendique parfaitement la partialité de son approche : « il n’est pas possible de revenir de manière exhaustive sur deux cents ans d’histoire de la photographie. Par conséquent, pour réfléchir à la photographie d’aujourd’hui, je propose de reconsidérer trois points qui me semblent importants. Cela concerne l’instant décisif, le mouvement New Color et le postmodernisme5 » (fig. 1). D’autres aspects sont traités par Homma dans ses écrits, mais ces trois moments de l’histoire de la photographie forment la colonne vertébrale de sa réflexion, autour de laquelle se structure sa pensée. Constamment, il revient sur certains grands noms de la photographie : Henri Cartier-Bresson, William Eggleston, Robert Frank, Araki Nobuyoshi et Wolfgang Tillmans, qui ont par ailleurs influencé ou orienté sa pratique.

Fig. 1. Homma Takashi, Tanoshii shashin (couverture), 2009, 19,2 x 12,7 cm © Homma Takashi, Heibonsha. HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

145


À travers l’étude des différents articles et publications de Homma, il s’agira d’observer en quoi l’histoire de la photographie qu’il rédige vise à fournir au grand public des repères clairement identifiés autant qu’elle représente une source d’inspiration destinée à nourrir sa propre production. Revenir sur les supports de diffusion de ces textes, les publics visés, leur contenu et le rapport à la pratique créatrice permettra de saisir la fonction et le statut de ces écrits. Toutefois, un retour sur les histoires de la photographie écrites au Japon depuis le xixe siècle s’avère utile pour mieux apprécier le rôle de Homma comme historiographe.

Les histoires de la photographie disponibles au Japon En 1857, dix-huit ans après les premiers clichés de Daguerre et alors même que le procédé du collodion humide se développe en Europe, les premiers daguerréotypes réalisés par des Japonais sont produits au Japon6. Les questions techniques retiennent alors toute leur attention, tandis que les aspects historiques intéressent peu les auteurs japonais. De fait, au xixe siècle, les publications consacrées à la photographie sont avant tout des manuels techniques destinés à maîtriser les questions optiques, chimiques ou photosensibles7. Si la revue Shashin shinpô publie quelques articles en lien avec l’histoire du médium à partir de 1893, les livres sur l’histoire de la photographie sont encore une catégorie d’ouvrages inconnue au Japon au début du xxe siècle. Seul le livre Tsuki no kagami (1916) du photographe Kuwata Shôzaburô fait exception8. En tant que dictionnaire des photographes de la période du bakufu et de l’ère Meiji9, il est l’un des rares ouvrages à se pencher sur le passé de la discipline. Après la Seconde Guerre mondiale, la situation évolue résolument. Trois types d’histoires de la photographie sont alors disponibles : celles publiées par les fabricants de matériel photographique, les publications occidentales traduites en japonais, et les histoires centrées sur la photographie japonaise. Sans surprise, les publications réalisées par les industriels comme Fuji, Canon, Nikon, Oriental, etc., abordent surtout la question de la technique, même si elles le font d’un point de vue historique10. Les publications de ces grandes firmes s’attachent principalement à montrer l’évolution du médium comme une suite d’avancées : mise au point d’« émulsions de plus en plus sensibles, miniaturisation des appareils, correction des optiques, instantanéité, couleur, autonomisation11 ». Ce n’est qu’en 1956 que paraît la première histoire générale de la photographie au Japon. Il s’agit de la traduction japonaise de l’ouvrage The History of Photography from 1839 to the Present Day (1949) de l’américain Beaumont Newhall, ancien conservateur pour la photographie au MoMA12. Deux ans après sa parution initiale, le livre A Concise History of Photography (1965) d’Alison et Helmut Gernsheim est traduit en japonais13. Abordée de manière chronologique, à la fois d’un point de vue technique puis esthétique, l’histoire de la photographie y est vue comme une évolution des procédés (photographie sur métal, sur papier, sur film, passage à la couleur) et une diversification des genres (le paysage, la photographie d’architecture, le portrait, la photographie de guerre). Dans les décennies suivantes, d’autres histoires occidentales de la photographie sont traduites en japonais : Histoire de la photographie (1970) de Jean A. Keim en 1972, Pioneers of Photography. An Album of Pictures and Words (1976) d’Aaron Scharf en 1979, ou encore Photography. A Concise History (1981) de Ian Jeffrey en 1987. Toutes ces publications présentent cependant des histoires de la photographie dans lesquelles le Japon est pratiquement absent, au même titre que les autres pays asiatiques. Pour pallier ce manque, différents acteurs de la photographie au Japon (historiens, critiques, photographes) réfléchissent à partir des années 1970 à l’écriture d’une histoire de la photographie où la photographie japonaise serait le cœur de leur propos. Plusieurs études sont publiées par des critiques à cette période. Ils y développent un récit historique sur la photographie au Japon : depuis les origines pour Tanaka Masao14, 146

Les écrits de Homma Takashi sur l’histoire de la photographie


méthode

Hubert LOCHER

Querelle de compétence : historiens contre artistes

Jusque dans les années 1870, histoire de l’art et critique d’art sont étroitement liées. Jacob Burckhardt prodigue encore ouvertement aux artistes ses conseils d’historien de l’art1. Le fait que ses avis n’aient pas été suivis est toutefois significatif. Au dernier quart de ce siècle, les artistes ne reconnaissaient plus inconditionnellement aux historiens la compétence à juger revendiquée par ces derniers. En 1866, dans une revue qui venait d’être fondée, la Zeitschrift für bildende Kunst, Wilhelm Lübke reconnaissait aux historiens de l’art leur participation à l’activité artistique comme étant une tâche importante. « L’étude de l’art ne doit pas s’épuiser à explorer le passé, toutefois le regard vers l’ancien temps ne doit pas émousser son œil au détriment de la fraîcheur du présent. Elle doit soutenir, encourager, aider l’art contemporain, être à ses côtés, lui aplanir la route, conserver les principes fondamentaux et éternels de la beauté2. » Cela revient à donner à l’histoire de l’art le rôle d’une instance théorique chargée de veiller à sa substance. Ce n’est qu’au dernier quart du xixe siècle, quand l’histoire de l’art commence à être admise comme matière autonome dans les universités allemandes et autrichiennes, que l’on peut observer une prise de distance entre l’histoire de l’art et l’activité artistique. Caractéristique des pays germanophones, cette séparation n’a pas d’équivalent dans les autres pays. Dans les premiers, l’histoire de l’art se construit au sein de l’université un nouvel environnement qui ne tarde pas à dominer les débats, à poser des exigences spécifiques et à agir sur la recherche muséale. La tendance à donner à cette matière le profil d’une science exacte se renforce, tout comme celle de circonscrire avec plus de précision son objet et ses méthodes. Une répartition pragmatique des tâches ne tarde pas à s’imposer : la critique d’art journalistique3 s’empare de plus en plus de l’exégèse et parvient à se développer dans une presse en pleine expansion. L’histoire de l’art, quant à elle, abandonne ce terrain dédié à l’actualité et, dans son nouveau contexte universitaire, tente de se mesurer avec les disciplines réputées les plus scientifiques. Ce sont avant tout les sciences naturelles et la psychologie. On y perçoit la signification générale de cette nouvelle orientation ainsi que ses tentatives esthétiques de se rapprocher des sciences empiriques par le biais de la psychologie. La question de la « posture de l’histoire de l’art en tant que science » était en 1873 tellement d’actualité dans les cercles académiques que Moriz Thausing l’a prise pour thème de son cours inaugural à Vienne4. Deux événements viennent encadrer cette déclaration de principe. Lors de cette conférence, le « Premier congrès scientifique » viennois ne datait que d’un mois, et cet auteur y avait d’ailleurs participé5. À ce congrès, peu de nouvelles recherches avaient fait l’objet d’exposés ; on y avait plutôt discuté de problèmes professionnels et des domaines de compétence de l’histoire de l’art. Il avait été question entre autres de revendiquer pour les représentants de la nouvelle science la conservation des musées qui, jusque-là, avait été confiée le plus souvent à des artistes. En pratique, cette discussion avait été précédée de ce que l’on a appelé la « querelle HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

157


de Holbein » (en allemand « Holbeinstreit »), c’est-à-dire le conflit au sujet des Madones de Hans Holbein6. Survenue en 1871, cette controverse avait pour objet l’authenticité des deux versions du tableau La Vierge et l’Enfant avec la famille du bourgmestre Meyer exécuté par Hans Holbein, dont l’une était conservée à Darmstadt et l’autre à Dresde. Les historiens modernes de l’art se voulaient des scientifiques face à la fraction des artistes qui, cette fois encore, revendiquaient la compétence de juges universels de l’art ; la plupart de ces derniers penchaient en faveur de la version de Dresde et de son idéal de beauté considéré comme plus parfait. Moriz Thausing s’était lui-même impliqué dans le différend et avait fini par signer la déclaration commune d’un groupe d’historiens qui prônaient, avec raison, l’authenticité du tableau de Darmstadt. Dans son discours inaugural, cet auteur tente de tirer la leçon de cette polémique, en délimitant de manière précise les compétences respectives des artistes et celles des historiens de l’art. Aux seconds, il demande de se distancier vis-à-vis d’un idéal normatif. Il condamne la pratique répandue de juger de la valeur en fonction d’idéaux historiques arbitraires, de « se servir de l’histoire de l’art en la rattachant perpétuellement et directement à des notions générales plus ou moins mystérieuses, à un canon fortuit de beauté emprunté de manière avouée ou inconsciente la plupart du temps à l’Antiquité, parfois aussi à Raphaël ». Cette orientation de la « littérature artistique » serait comparable aux « phases passées de la philosophie naturelle de l’histoire du droit et des sciences naturelles. Celle-ci est le plus souvent suivie par des artistes ou des personnes qui s’adonnent à l’art et […] sont parvenues à une compréhension plutôt subjective des formes et des monuments artistiques. Ils examinent les œuvres d’art sur la base de règles de goût toutes faites dans le seul but de leur accoler le degré adéquat de plaisir ou déplaisir personnel, et ce, dans les termes les plus choisis possible » (p. 4). Les nouveaux historiens de l’art, en revanche, ne veulent pas « prononcer de jugements esthétiques, mais révéler au grand jour des faits historiques » ; suit la réflexion souvent citée depuis lors au sujet de « la question de savoir, par exemple, si une peinture est belle [qui] n’est en aucun cas justifiée en histoire de l’art ; […] je peux imaginer la meilleure histoire de l’art possible où le mot ‘beau’ n’apparaîtrait même pas » (p. 5). Dans la suite, Thausing dénie à l’artiste tout droit de juger le passé : « Présent et passé sont totalement dissociés et la connaissance du second est l’affaire exclusive de la science. » Il justifie cela par le regard de l’artiste, concentré sur sa pratique et incapable, selon lui, de considérer un tableau de manière purement théorique. La contrepartie de cette argumentation consisterait à nier à l’historien le droit de se mêler de l’activité artistique contemporaine. Vers la fin de son essai, Thausing déclare en effet : « Nous autres, historiens de l’art, sommes bien loin de nous arroger une quelconque influence sur la pratique de l’art » (p. 18). Cependant, qu’entend-il au juste par cette remarque ? Et à quel point est-elle représentative de l’ensemble de la corporation des historiens de l’art ? Si ceux-ci adoptent le point de vue sur l’art du passé prôné par cet auteur, cela signifie en premier lieu qu’en tant que groupe professionnel doté d’un domaine de compétence spécifique, de méthodes spécifiques et de tâches spécifiques, ils tentent de se séparer de l’autre fraction, des autres experts en matière d’art, les artistes. Un divorce aussi net n’avait pas eu lieu jusqu’alors dans les musées et les académies. Jusque-là, l’histoire de l’art était considérée par les artistes comme faisant aussi partie de leur domaine de compétence, avec raison, si l’on part du principe de l’existence d’un idéal intemporel de l’art, accessible à l’observation dans la mesure où l’on dispose des connaissances nécessaires qui, dans cette perspective, ne doivent pas être purement historiques, mais aussi esthétiques. La dénégation aux artistes du droit de juger l’art du passé ne peut se fonder que sur la thèse de la variabilité historique de l’idéal artistique, qui exclurait l’application de critères actuels au passé. En revanche, Thausing réitère l’ancienne prétention des historiens de l’art, la faculté d’être utile au présent et en particulier aux artistes : « Nous voulons défricher, aplanir et construire ce champ (historique) également pour le bien des artistes 158

Querelle de compétence : historiens contre artistes


HISTOIRE DE L’ART 79/2016 L’artiste-historien résumés

Perspectives

France Nerlich Palette contre plume. Peindre l’histoire de l’art – le cas de Paul Delaroche et de Johann Friedrich Overbeck Faire de la peinture le nouveau médium de l’histoire de l’art, c’est là le projet ambitieux de deux peintres, l’un français, l’autre allemand, à un moment charnière où l’histoire de l’art s’invente en tant que discipline. Les œuvres que Paul Delaroche et Johann Friedrich Overbeck réalisent autour de 1840 ne renouent pas avec la représentation traditionnelle des grands maîtres sur le mode de l’anecdote ou du portrait mais proposent délibérément une certaine idée de l’histoire de l’art en tant qu’interprétation de ses manifestations. Si les deux peintres fondent leur réflexion sur une étude des sources et un étroit échange avec les savants, ils ne visent guère l’exhaustivité encyclopédique ou le consensus canonique, mais imposent avec autorité leur vision de l’histoire de l’art, de sa cohérence et de ses contingences. Le passage du langage savant vers la « langue des peintres » est un enjeu central de ces deux projets et leurs auteurs sont pleinement conscients de la transformation qu’ils imposent à leur propre médium. Mots-clés : Paul Delaroche, Johann Friedrich Overbeck,

École des beaux-arts, Städel de Francfort, peinture d’histoire.

Jean-Philippe Garric Trois architectes historiens Rassembler des corpus d’édifices du passé a été une priorité pour les architectes, au moins depuis la Renaissance. Mais si les architectes ont toujours écrit sur leur art davantage que les autres artistes, l’architecte historien n’est pas l’architecte auteur en général.

Plutôt que de proposer une définition, cet article interroge l’idée de l’architecte historien en se saisissant d’un événement hors du commun pour l’architecture française, lorsque le concours pour le nouvel opéra de Paris en 1861 rassemble trois architectes de premier plan qui se révèlent être en même temps trois importants historiens de l’architecture : Jacques Ignace Hittorff, l’un des principaux membres du jury, Eugène Viollet-le-Duc, le candidat de la famille impériale qui fut néanmoins éliminé et Charles Garnier le lauréat. Mots-clés : Charles Garnier, Jacques Ignace Hittorff,

Eugène Viollet-le-Duc, exposition d’architecture, arc brisé, historicisme, éclectisme.

Michel Poivert La mémoire photographique ou la sensibilité historique des photographes Les photographes ont très tôt pris en charge le récit de leur passé. Le caractère polémique des débuts de la photographie est l’occasion de disputes sur la reconnaissance de l’inventeur (Niépce ou Daguerre) et la production de premiers récits. Puis des stratégies visent à légitimer le caractère artistique de la photographie dès la fin du xixe siècle (Emerson) ou au début du xxe siècle avec Stieglitz et la Photo-Sécession qui définit un panthéon de « maîtres anciens » de la photographie. Durant l’Entre-deux-guerres, les expositions rétrospectives, les collections et le désir d’un musée traduisent en France le sentiment historique des photographes. Alors qu’aux États-Unis le musée d’art moderne (MoMA) devient le lieu où l’on affirme l’essence de la photographie en sacrifiant l’histoire, celle-ci fait néanmoins son retour sous la forme d’une critique du modernisme (Sekula). Histoire des photographes et « archéologie » de la photographie HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

165


HISTOIRE DE L’ART 79/2016 L’artiste-historien abstracts

candidate supported by the Imperial family but who was nevertheless defeated and Charles Garnier the winner. Keywords: Charles Garnier, Jacques Ignace Hittorff, Eugène

Viollet-le-Duc, Architecture exhibition, pointed arch, Historicism, Eclecticism. Perspectives

France Nerlich Palette versus plume. Painting the history of art– the case of Paul Delaroche and Johann Friedrich Overbeck Turning painting into the new medium of art history was the bold project of two major 19th century painters, Paul Delaroche and Johann Friedrich Overbeck. This goal occurred just as art history was inventing itself as a scientific discipline. Delaroche and Overbeck did not rely on traditional representations of old masters, however, but deliberately proposed a view of art history as an interpretation of its manifestations. If their works were grounded on strong documentation and exchanges with scholars, they did not intend it to illustrate scholarly discourses, encyclopedic exhaustiveness, or canonical consensus. On the contrary, both artists established their own authoritative view of art history as nurtured by their artistic practice. Turning the “language of the painter” into a new scholarly language, they set new paradigms for painting and had a lastingly affect on the way art history is visualized. Keywords: Paul Delaroche, Johann Friedrich Overbeck,

École des beaux-arts, Städel de Francfort, History painting.

Michel Poivert The photographic memory, historic sensibility of the photographers Early on in their history, photographers took control of the narrative of their own past. The polemical character of the beginning of photography was the occasion for quarrels over the recognition of the medium’s inventor (Nièpce or Daguerre?), which accompanied the production of the first historical narratives. This period was followed by strategies aimed at legitimizing the artistic character of photography, with the end of the xixth century (Emerson) or the beginning of the xxth century with Stieglitz and the Photosecession attempting to defining a pantheon of «old masters» of photography. During the Interwar period, retrospective exhibitions and collections fueled a growing desire for a museum to translate for France the historic feeling of photographers. In the United States, the museum of modern art (MoMA) became the place where the essence of photography was asserted by sacrificing History, although this approach nevertheless returned in criticisms of modernism (Sekula). The history of photographers and the «archaeology» of photography are today joined in the success of vernacular photography in the museum as in contemporary artistic practices. Keywords: History, photography, modernism, vernacular,

Jean-Philippe Garric Three historians architects Gathering corpuses of buildings from the past has been a main concern for architects, at least since the Renaissance. But, although architects have always written more about their art than other artists, the architect historian of architecture, is not the architect author in general. Rather than proposing a definition, this paper investigates the idea of an architect historian by seizing an outstanding event of French architecture, when the competition for the new opera house of Paris in 1861 brought together three important architects who appear to be in the same time three important historians of architecture: Jacques Ignace Hittorff, a leading member of the jury, Eugène Viollet-le-Duc the

pionneers, strategy, avant-guard, pictorialism, essentialism, MoMA.

Études

Manon Vidal An architect and historian in the storm of the French Revolution: the fall JacquesGuillaume Legrand (1753-1807) Jacques-Guillaume Legrand was a rather famous Parisian architect during the 1780s. The French Revolution, however, had turned his career upside-down. Facing a lack of orders and the growing competition of engineers, he worked for the Civil Service. Job insecurity and professional dissatisfaction drove him to make his interest in architectural history a strategy for HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

169


Ont participé à ce numéro

Théo BÉLAUD Critique musical, chercheur associé à l’université Paris I. Courriel : theophane.belaud@openmailbox.org Gauthier BOLLE Architecte, docteur en histoire de l’architecture de l’université de Strasbourg, maître-assistant à l’ENSAP Bordeaux. Courriel : gauthier.bolle@bordeaux.archi.fr

Émilie HAMMEN Doctorante en histoire de l’art à l’université Paris I et à l’Institut français de la mode. Courriel : emiliehammen@gmail.com Juliette LAVIE Docteur de l’université Paris Ouest-Nanterre La Défense, postdoctorante au Labex CAP. Courriel : juliette.lavie@gmail.com

Benjamin CHAVARDES Architecte, docteur en architecture de l’université Paul Valéry de Montpellier, maître-assistant associé à l’ENSA Lyon. Courriel : benjamin.chavardes@lyon.archi.fr

Sidonie LEMEUX-FRAITOT Docteur en histoire de l’art de l’université Paris I, chargée des collections au Musée Girodet. Courriel : sidonie.fraitot@agglo-montargoise.fr

Sandra DELACOURT Docteur en histoire de l’art contemporain de l’université Paris I. Courriel : sandradelacourt@gmail.com

Jelena MARTINOVIC Docteur de l’université de Lausanne, postdoctorante au département d’histoire des sciences, Harvard University. Courriel : martinovic.j@gmail.com

Laurens DHAENENS Doctorant à l’université catholique de Louvain et à l’Universidad Nacional de San Martín (Buenos Aires). Courriel : laurens_dhaenens@hotmail.com

France NERLICH Professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université François Rabelais de Tours. Courriel : france.nerlich@univ-tours.fr

Matthieu FANTONI Élève conservateur du patrimoine à l’INP. Courriel : matthieu.fantoni@inp.fr

Michel POIVERT Professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris I. Courriel : michel.poivert@univ-paris1.fr

Lilian FROGER Docteur en histoire de l’art contemporain de l’université Rennes 2. Courriel : lilianfrog@hotmail.com Jean-Philippe GARRIC Professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris I. Courriel : jean-philippe.garric@univ-paris1.fr

Pierre SÉRIÉ Maître de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Courriel : pierre.serie@univ-bpclermont.fr Manon VIDAL Élève conservateur du patrimoine à l’INP. Courriel : manon.vidal@inp.fr

HISTOIRE DE L’ART N°79 2016/2

173



Perspectives

11 France Nerlich Palette contre plume. Peindre l’histoire de l’art : le cas de Paul Delaroche et de Johann Friedrich Overbeck 25 Jean-Philippe Garric Trois architectes historiens 33 Michel Poivert La mémoire photographique ou la sensibilité historique des photographes Études

41 Manon Vidal Un architecte-historien dans la tourmente révolutionnaire : le cas de Jacques-Guillaume Legrand (1753-1807) 51 Sidonie Lemeux-Fraitot Girodet ou la conscience de l’Histoire 61 Matthieu Fantoni Ingres historien et partisan de Jules Romain 71 Laurens Dhaenens Faire et écrire l’histoire de l’art à Buenos Aires dans les années 1870 et 1880 : de Santiago Vaca Guzmán à Eduardo Schiaffino 81 Émilie Hammen Couturiers historiographes : écrire l’histoire de la mode. Le cas de Gaston Worth (1895)

91 Benjamin Chavardés La scuola romana et la critique opératoire 101 Sandra Delacourt « Primary Structures » : un tournant décisif dans le partage de l’histoire 111 Théo Bélaud Rosen hors de son propos : portrait de l’artiste en canoniste

HISTOIRE DE L’ART

123 Gauthier Bolle Quand les architectes se livrent à l’Histoire : témoignage d’un mandarin des Trente Glorieuses 135 Jelena Martinovic L’histoire de l’art comme artefact Leo Steinberg vu à travers Juan Downey 145 Lilian Froger Les écrits de Homma Takashi sur l’histoire de la photographie : mise en récit et prises de vue Méthode

157 Hubert Locher Querelle de compétence : historiens contre artistes varia

[Publié en ligne sur le blog de l’APAHAU]

Pamela Bianchi (prix de l’Apahau 2016) Un espace à part : le plafond

l’artiste-historien

Juliette Lavie et Pierre Sérié Introduction

informations

165 Résumés/Abstracts 173 Auteurs ayant participé à ce numéro

31 € ISBN : 9782757211885

79 / 2016

5

histoire de l’art

l’artiste-historien

79 / 2016

l’artiste-historien


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.