Jean Lurçat - Le Chant du Monde (extrait)

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Musées d’Angers Ariane James-Sarazin, conservateur en chef du patrimoine, directeur des musées et de l’artothèque d’Angers Coordination : Nathalie Planson Administration : Thierry Berlatier, Sonia Lavigne Documentation : Clémence Alexandre, Dominique Sauvegrain Photographie : François Baglin Communication : Juliette Rudel (musées) et Nicolas Ballais (Ville d’Angers) © Musées d’Angers, Angers, 2015 © Somogy éditions d’art, Paris, 2015

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Conception graphique : Nelly Riedel Coordination éditoriale : Benjamin Baulé Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros ISBN : 978-2-7572-0996-7 Dépôt légal : octobre 2015 Imprimé en Lettonie (Union européenne)


Jean Lurรงat Le Chant du Monde Gร RARD DENIZEAU


AVANT-PROPOS « La poésie sera comme la peinture ; et que la peinture soit semblable à la poésie ; à l’envi, chacune des deux reflète sa sœur, elles échangent leurs tâches et leurs noms ; on dit que la peinture est une poésie muette, on donne habituellement à la poésie le nom de peinture parlante ; les poètes chantent ce qui est agréable à l’ouïe, les peintres s’occupent de dépeindre ce qui est beau pour la vue ; et ce qui est indigne des vers des poètes ne mérite pas non plus que les peintres y consacrent leurs efforts. » CHARLES DU FRESNOY De arte graphica, Paris, 1667, vers 1-8

Depuis la Renaissance, la gémellité de la poésie et de la peinture fait partie des lieux communs de la littérature artistique : théoriciens et critiques racontent à l’envi l’aphorisme du grec Simonide de Céos, cité par Plutarque dans son De gloria Atheniensium, selon lequel la poésie est une peinture parlante et la peinture, une poésie muette. Condensée par Horace en une formule promise à une belle fortune (« Ut pictura poesis », « La poésie est comme la peinture »), les deux termes de cette équivalence furent vite renversés pour proclamer que « la peinture est comme la poésie ». Loin d’être anecdotique ou de pure forme, l’inversion permettait de poser en principe le statut libéral de la peinture, par là sa noblesse et celle de ses adeptes. En tant que première expression littéraire de l’humanité, la poésie fut d’abord faite pour être déclamée et transmise de manière orale, avant que d’être écrite. Si elle est peinture parlante par ses figures de style et la suggestivité de ses images, elle est aussi musique par la rythmique de ses mots et leurs effets de sonorité. Comme le rappellent les poèmes fondateurs de notre civilisation, Iliade, Odyssée ou Énéide, l’aède a toujours partie lié avec les sons, les couleurs et les mots : il chante, « ô Muse » (Iliade, chant 1), « la guerre et l’Homme » (Énéide, livre I)… Fidèle à cet héritage et le dépassant même, Jean Lurçat (1892-1966) est, avec Le Chant du Monde – tout à la fois épopée, symphonie, fresque tissée –, un aède de nos temps contemporains, chez qui se réalise l’alchimie des sens. C’est de cette alchimie d’un démiurge nommé Lurçat que Gérard Denizeau se fait ici, pour notre délectation, l’exégète inspiré. ARIANE JAMES-SARAZIN Conservateur en chef, directeur des musées et de l’artothèque d’Angers

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REMERCIEMENTS À l’instar du catalogue raisonné de l’œuvre peint et de la monographie qu’il m’a été donné de consacrer à Jean Lurçat, cet ouvrage sur Le Chant du Monde doit son existence à bon nombre de personnes ayant droit à ma profonde gratitude : Françoise de Loisy, conservateur en chef au musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie contemporaine, à Angers, qui m’a proposé, dès 2003, la rédaction d’une étude actualisée et documentée sur la grande tenture et en a suivi toutes les étapes. Ariane James-Sarazin, conservateur en chef et directeur des musées et de l’artothèque d’Angers, qui a apporté à ce projet et à son auteur un appui cordial et décisif. Toute l’équipe des musées angevins auprès de laquelle, depuis 1986, j’ai toujours trouvé le plus efficace des soutiens. Bernard Dorival, qui dirigea avec une bienveillante attention ma thèse sur Jean Lurçat, soutenue en Sorbonne, le 23 février 1989. Jean Agamemnon, intime de Lurçat dont il me précisa les goûts musicaux en rapport avec Le Chant du Monde. Sylvain Bertoldi, directeur du Service des archives, de la documentation et de la photothèque d’Angers, et tout le personnel de cette institution. Jean-Luc Blum, principal assistant de Jean Lurçat, témoin précieux et lecteur attentif. Claude Brizay, Paul-José Gosselin, Janine Dassonval, Josep Grau-Garriga, assistants de Lurçat pour Le Chant du Monde. Pierre Delbos, ami de Lurçat, dont le témoignage enregistré m’a été remis avec une amicale célérité par Gérard Perrier et Sabine Millecamps. Robert Doisneau, grand photographe, ami de Lurçat dont il partageait les idéaux. Sabine Gignoux, journaliste à La Croix, qui m’a éclairé sur l’actualité éthique et artistique du Chant du Monde. Catherine Giraud, documentaliste des musées d’Aubusson, qui a puisé pour moi dans les archives de l’atelier Tabard. Suzanne Goubely et Raymond Picaud, lissiers à Aubusson. Sophie Guérin Gasc, directrice de l’association Dom-Robert, à qui je dois d’indispensables précisions, puisées dans les archives de l’atelier Goubely. Béatrice Latscha-Angel, fille de Bella Angel, médecin traitant de Lurçat au soir de sa vie. Emma Lingwood qui, en surcroît de son travail de traductrice vers l’anglais, m’a souvent amené à corriger diverses imprécisions ou impropriétés. Mme et M. Jean-François Picaud, qui m’ont transmis les données conservées dans les archives de l’atelier Picaud. Isabelle Rooryck, conservateur en chef des musées du Lot, qui m’a fait bénéficier de sa scrupuleuse lecture et de ses lumières relativement à la spiritualité du Chant du Monde. Dans un désordre librement accepté : Nicole Amblard, Pierre Biro, Françoise Garnaud, Catherine Isidoro-Lurçat, Denise Majorel, Yvette Moch, Claude Roy, Vercors. Le personnel de nombreuses institutions : Bibliothèque nationale, Archives nationales, bibliothèques des Arts décoratifs, du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, de la Sorbonne, centres de documentation du County Museum (Los Angeles), du musée de la Légion d’honneur (San Francisco), de la Victoria & Albert Museum Library (Londres).

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INTRODUCTION C’est à Pierre Biro, cinéaste et ami de Jean Lurçat, qu’est dû le titre du Chant du Monde. Un titre à vocation fusionnelle, destiné à inscrire le lyrisme des formes et des couleurs dans l’ordre du temps musical. Si donc cet intitulé ne revient pas au peintre (lui-même avait proposé La Joie de vivre1), rien n’est plus révélateur que son adhésion immédiate, enthousiaste, à la proposition de Biro. Car, dans sa dimension visionnaire, Le Chant du Monde propose moins un agrégat anarchique des rumeurs du monde que leur restitution méthodique, rigoureuse, soumise au programme d’un discours inédit. À déambuler face aux dix pièces du chef-d’œuvre de Lurçat, le visiteur prend vite conscience – surtout si aucun élément extérieur ne vient troubler sa méditation – que le silence de ces laines multicolores porte l’écho de terribles turbulences : éruptions volcaniques, grondements telluriques, déflagrations atomiques, jaillissement des grandes eaux, cris d’animaux, hymnes rituels, clameurs de souffrance ou d’alarme, de joie, d’espérance, ou d’appel… Rapatriant tous les signaux sonores qui balisent, depuis le début des temps, le destin de l’humanité, l’œuvre textile se place ainsi dans la durée tourmentée de l’histoire. Une durée avérée, factuelle, contingente, étrangère à toute démonstration d’ordre métaphysique. Plus ferme dans ses refus – particulièrement ceux de la « complainte » et de la « romance » – que dans ses choix, Lurçat laisse ainsi à l’observateur vigilant du Chant du Monde une liberté de cheminement ouverte, à proprement parler, sur l’infini. Le poids du Livre Surtout, le peintre reste fils de cette civilisation méditerranéenne au sein de laquelle toute transmission est fondée sur la primauté du livre. Il n’est évidemment pas neutre que sa propre production livresque réunisse quelque vingt-deux ouvrages, didactiques ou illustrés, légués en marge de la production gravée, picturale ou textile. Sans préjudice de trois préfaces et d’une centaine d’articles attestant la permanence de son goût pour l’écrit imprimé. Ce n’est pas non plus un hasard s’il usera de l’expression « table des matières d’une existence » pour désigner la tenture du Chant du Monde, recueil de dix gigantesques folios, tous tramés dans la laine, chacun porteur de la totalité d’un chapitre. Une tenture dont l’inachèvement finit, avec le temps, par devenir un élément esthétique, organique. Le peintre ne semble-t-il pas ici se régler sur le modèle de ces livres de contes (au premier rang desquels le recueil des Mille et Une Nuits qu’il aimait à citer) dont le vivier reste, par nature, inépuisable ? Du principe livresque, Le Chant du Monde retient au moins, fixés et affirmés dès sa première pièce, La Grande Menace, deux paramètres : la narrativité linéaire et la lecture de gauche à droite. Certes, les dix tapisseries peuvent être appréhendées dans un ordre différent et leur lecture effectuée dans la dispersion, mais on voit mal quel bénéfice elles en tireraient2 . Disloqué, perturbé, roman aux chapitres mélangés, poème aux quatrains embrouillés, opéra aux numéros enchevêtrés, l’ensemble n’y perdrait-il pas l’essentiel de sa signification ? Une thématique aux développements variés Réfutant le caractère de « romance » pour son chef-d’œuvre, Lurçat se montre plus formaliste qu’il n’y paraît. Car, bien plus qu’à une simple mélodie, Le Chant du Monde s’apparente au poème symphonique, structure fondamentalement romantique au sein de laquelle le musicien évolue librement entre variation et développement. De la grande tenture, chronique et miroir de l’histoire contemporaine, on relèvera ainsi que presque tous les éléments sont contenus dans La Grande Menace, épisode initial. Mais variés et développés dans les pièces suivantes au point de les rendre le plus souvent méconnaissables. Parmi les signes les plus frappants de cette thématique épique, le spectateur est sollicité au premier regard par un principe d’opposition à peu près systématique : lutte farouche de la lumière contre les ténèbres, des sons contre le silence, du mouvement contre l’immobilité, de la paix contre la guerre, du plein contre le vide, des monuments contre leur ruine annoncée… tout se 6

1. « Le premier titre de ce Chant du Monde, c’était La Joie de vivre. Je n’ai pas tardé à me convaincre que la vie, pour qui tente de vivre droit, c’est chose sucrée et salée, douce et amère, convulsive et sereine. » (Manuscrit de Lurçat, 1963, s. p.) 2. L’ordre de présentation des dix tapisseries du Chant du Monde est fixé par un usage que le peintre lui-même avait établi au gré des premières expositions de l’œuvre (encore privée d’Ornamentos sagrados) ; des variantes peuvent, bien entendu, en être proposées, mais non point un bouleversement.


passant comme si l’incitation à choisir entre le Bien et le Mal évacuait les mots au profit des images, éliminait le verbal au seul bénéfice du visuel. Un tel engagement renvoie encore à une donnée historique. Au soir du Moyen Âge, le chœur des églises recevait souvent, au même titre que les chambres des demeures royales, la protection d’un vaste décor textile à dimension variable, le clotet, chargé de l’embellissement et du réchauffement de l’espace sacré ou princier. Excellent connaisseur de la tapisserie médiévale, Lurçat ne pouvait ignorer qu’avec Le Chant du Monde, il réaliserait en quelque sorte le clotet monumental du xxe siècle, entreprise dont l’anachronisme ne serait que d’apparence. Protectrice, prophétique, didactique, opposant la fermeté du cœur au scepticisme de l’intelligence, la tenture portera ainsi témoignage des plus hautes valeurs spirituelles de l’homme moderne. La force de la vision De l’image médiévale dont il aimait, dans sa dimension monumentale, chanter les effets « pléniers », Lurçat semble avoir, pour la conception même du Chant du Monde, retenu les deux principes fondateurs : voir pour croire, montrer pour persuader. Double règle dont le dessein didactique justifie la franchise des formes et des couleurs. Montrer, c’est dire ; voir, c’est croire, savoir, se connaître. Ainsi se justifie la prolifération des images dans Le Chant du Monde, la vision devenant élément structurant du récit par la multiplication des référents oculaires. Affronté à la grande tenture, le spectateur éprouve souvent le curieux sentiment que ses yeux découvrent ce que voient d’autres yeux, qui montreraient sans passer par l’artifice du verbe : ainsi de La Fin de Tout, reconstituée par le créateur omniscient lors même qu’elle n’a laissé, en théorie, aucun survivant pour la raconter. Montrant ses joies, exposant ses terreurs, c’est par effet-rebond que le regard de Lurçat provoque l’émotion chez le spectateur. Enchaînées, juxtaposées comme les divers épisodes d’un spectacle, les dix scènes induisent, dans leur enchaînement dramatique, un parallèle immédiat avec la fresque romane, réalisée pour l’édification de ceux qui, regardant et méditant, voient et croient. Reprenant certains procédés très anciens de l’imagerie médiévale, soucieux de créer ici un sentiment constant de refrain sonore, d’écho visuel, Lurçat met en œuvre tout un arsenal structurel pour assurer sans hiatus la transition entre les scènes : répétition des motifs, reprise des couleurs, ou, à l’inverse, juxtaposition de teintes expressives dans leur contraste, usage des courbes et des obliques pour diriger le regard, effets imitatifs dans la distribution des figures… Plus familier de la chanson de geste que de l’épopée antique, le peintre use abondamment du principe médiéval de parataxe (construction par simple juxtaposition, sans liaison), faisant le choix d’un seul sujet par pièce, d’où une inévitable variabilité de longueur pour chacune de ces pièces. L’usage de principes parents est seul à assurer la linéarité narrative de l’ensemble, par assemblage de scènes autonomes. Ainsi la destruction nucléaire du monde est-elle réduite à une séquence de quatre épisodes distincts (La Grande Menace, L’Homme d’Hiroshima, Le Grand Charnier, La Fin de Tout). Il revient alors à l’intelligence visuelle du spectateur d’en assurer la cohérence, par sollicitation d’une trame continue mais invisible qui, au prix d’un jeu constant de dilatation et de contraction, provoquera une fusion spatio-temporelle soumise à la double loi du fractionnement et de l’unité. Il n’est pas jusqu’à la fausse naïveté du dessin et à l’assemblage de couleurs vives qui ne participent de cette esthétique du didactisme visuel. Héritier de l’imagerie médiévale, Lurçat attache plus d’importance à la luminosité – entre Lux divine et lumen physique – et à l’intensité de la teinte qu’à ses nuances, le noir et le blanc acquérant le statut de couleurs de l’infini. Au même titre que la sculpture, le vitrail et la fresque du Moyen Âge, Le Chant du Monde atteste ainsi qu’il n’est de révélation plus sûre que celle de l’œil. Contournant la tentation du doute quant à la nature absolue de cette vérité qui dépend d’un regard humain, donc subjectif, Lurçat confère à ses visions le caractère d’un rêve éveillé, débarrassé de toute ambiguïté psychologique. 7



L’ŒUVRE : SOURCES, GENÈSE, ACCOMPLISSEMENT CI-CONTRE

Roger Pic, Portrait de Jean Lurçat. DOUBLE PAGE SUIVANTE

La Chute de Babylone envahie par les démons, tenture de L’Apocalypse d’Angers, cinquième pièce, scène 66, Angers, château, Centre des monuments nationaux.

Dans Le Chant du Monde, Jean Lurçat a tenté et réussi l’étonnante gageure de concentrer le total des expériences et découvertes d’une longue carrière parvenue à son crépuscule. Les souvenirs lointains de l’École de Nancy ou de la Première Guerre mondiale y voisinent avec les plus récents développements de son aventure textile, et les plus anciennes influences de la jeunesse y seront revues au filtre de la maturité. Aux sources du grand ouvrage, on trouvera donc toutes les « matières d’une existence », transfigurées, métamorphosées, voire dénaturées, mais toujours agissantes. Sans doute faut-il, en premier lieu, parler de la rencontre avec L’Apocalypse d’Angers, mais l’univers mis en formes et en couleurs dans Le Chant du Monde se réclame de racines bien plus anciennes, celles des poètes rencontrés au temps de la jeunesse, notamment. Puis, reste cette dimension prophétique, cet appel ultime aux forces de la lumière auxquelles Lurçat, infatigable guetteur de l’aube, ne voulut jamais renoncer. L’APOCALYPSE D’ANGERS

Cassagnade avait lu le livre sur L’Apocalypse d’Angers. Il a harcelé Lurçat pendant trois mois, lui faisant observer que si l’Apocalypse médiévale était fondée sur la peur de l’Enfer, aujourd’hui la grande terreur avait pour objet la bombe nucléaire. C’est en 1957 qu’ont été présentées, au Casino de Saint-Céré, les premières pièces du Chant du Monde 3 . Ainsi Pierre Delbos, neveu de Jean Cassagnade et directeur du Casino d’art de SaintCéré des décennies durant, évoque-t-il, quelques mois avant sa mort survenue le 17 mai 2013, le rôle capital de son oncle, ami et jardinier de Lurçat, dans le projet du Chant du Monde. Recueilli par Gérard Perrier et Sabine Millecamps, ce témoignage inédit corrobore celui du peintre : Le Chant du Monde, c’est Cassagnade. Un matin, sur le coup de 10 heures, Cassagnade s’est présenté aux Tours avec un visage grave et solennel. […] Il a attaqué tout de suite : « Voilà. Vous nous avez parlé cent fois de L’Apocalypse d’Angers. Vous nous avez expliqué que c’était le plus grand monument de l’art français, du point de vue de la tapisserie ; que ça exprimait magnifiquement l’époque où ça avait été créé. […] Pourquoi ne faites-vous pas quelque chose dans ce genre-là4 ? »

3. Les Films du Genièvre, Creysse, 2012. 4. Claude Faux, Lurçat à haute voix, Paris, Julliard, 1962, p. 199. 5. Confidence de Lurçat en 1962 : « Je commence à être persuadé que cette petite plaisanterie-là finira par aller jusqu’à 1 000 mètres carrés… et peut-être même au-delà ! » (Ibid., p. 211.) 6. Dimensions à comparer à celles du Chant du Monde : une longueur de 80 mètres pour une hauteur de 4,40 mètres, soit une surface approximative de 348 mètres carrés.

Dans l’enthousiasme du premier moment, ce ne sont pas moins de 1 000 mètres carrés de surface qui sont virtuellement alloués à la nouvelle Apocalypse, soit un budget d’environ 80 000 000 de francs anciens ! Étourdi tout d’abord par l’énormité du projet (et de son financement !), Jean Lurçat obtient de Cassagnade qu’il « transige à 500 mètres carrés ». Quelques années plus tard pourtant, lui-même sera conduit à en revenir à la prévision initiale, donnant ainsi raison au jardinier inspiré 5 . En juillet 1938, c’est en compagnie de l’ami américain Catesby T. Jones et de sa femme que Jean Lurçat avait découvert L’Apocalypse d’Angers, tenture du Moyen Âge finissant, aussi impressionnante par le gigantisme de sa taille que par l’économie de sa palette, d’une grande austérité et d’une prodigieuse efficacité. Commandée vers 1375 au lissier Nicolas Bataille pour le duc d’Anjou, Louis Ier (1339-1384), réalisée d’après les cartons de Hennequin (ou Jean) de Bruges, peintre attitré du roi Charles V, elle avait été probablement terminée aux environs de 1382, puis offerte par le roi René à la cathédrale d’Angers au xve siècle. Longue de 138 mètres (il en reste 104 de nos jours), haute de 6 mètres, soit une surface initiale de quelque 830 mètres carrés pour un total de six grands tableaux6 , la formidable tenture offre un ensemble sans rival d’illustrations à l’Apocalypse de saint Jean, dernier livre du Nouveau Testament et sommet poétique de l’univers biblique. 9





UN CHANT EN DIX STROPHES Dès 1957 donc, La Grande Menace, L’Homme d’Hiroshima et La Fin de Tout entrent en chantier, ouvrant le cycle du Chant du Monde. D’emblée, Lurçat a fait le choix de confier l’essentiel du tissage de son grand œuvre à l’atelier de François Tabard, celui de ses tout débuts en 1937, celui aussi qui a exécuté, de loin, le plus grand nombre de ses pièces. Cependant, il n’exclut nullement de solliciter d’autres maîtres lissiers, à commencer par Raymond Picaud, auquel il demande le tissage de La Fin de Tout, de la même façon qu’un peu plus tard il confiera le tissage de L’Eau et le Feu à Suzanne Goubely. Bien conscient du risque ainsi couru de dispersion et d’hétérogénéité de facture, il contrôlera fermement les travaux des lissiers, exigeant d’eux une collaboration en profondeur, ainsi que l’atteste la lettre envoyée à Suzanne Goubely, le 12 février 1958, au sujet de L’Eau et le Feu46 :

46. À Sophie Guérin Gasc, docteur en histoire de l’art et directrice de l’association Dom-Robert, je dois nombre des précisions qui suivent, issues de la fouille des archives Goubely conservées en mairie de Dourgne (carnets de fabrication INV I2H2 et I2H11, correspondance Goubely / Lurçat – I2H70 – I2H81/82/83, lettre du 16 décembre 1957 de Suzanne Goubely à Jean Lurçat, lettre du 12 février 1958 de Jean Lurçat à Suzanne Goubely, lettre du 28 juillet 1958 de Simone Lurçat à Suzanne Goubely, lettre du 25 octobre 1960 de Suzanne Goubely à Jean Lurçat, listing des tapisseries de Lurçat tissées par l’atelier Goubely). Qu’elle en soit vivement remerciée.

Chère Madame Goubely, Je suis ici à Paris et en train de préparer les premiers éléments du catalogue de mon exposition au musée d’Art moderne. Je m’inquiète évidemment beaucoup plus que du reste, de cette grande tapisserie qui d’après les premiers pourparlers, va faire un tour d’Europe, Paris, Amsterdam, Hambourg, Prague, Rome (uniquement des musées d’État). Il faut donc que l’exécution de ce panneau soit 100 % impeccable, et cela aussi bien dans l’intérêt des ateliers que de moi-même et de la tapisserie française en général. Jusqu’ici, j’ai à peu près 25 mètres de longueur exécutés et qui sont d’une qualité qui ne laisse absolument aucun doute sur les connaissances des chefs d’ateliers et les connaissances des exécutants. Il faut d’autre part que toutes les tapisseries faisant partie de cet ensemble soient de la même texture, même teinture, même grosseur de points, même nombre de fils, etc. Je vous demande instamment avant de commencer la grande tapisserie de vous mettre en rapport avec Raymond Picaud pour que vous soient fournies les bases de départ des panneaux tissés jusqu’ici par son atelier et par celui de Tabard. Ce sont en effet les trois ateliers qui exécuteront les 500 mètres prévus, et comme les morceaux seront intercalés et parfois même cousus ensemble, il faut que nous ayons strictement la même qualité, la même densité, le même poids. Passez donc chez Picaud et demandez-lui les normes, ainsi que – j’allais oublier de vous le dire – la hauteur exacte que doit avoir le panneau terminé. […] Merci d’avance de tout le soin que vous allez apporter à ce travail. Croyez, chère Madame Goubely, à mes amitiés. Jean Lurçat

Robert Doisneau, François Tabard, Aubusson, 1945.

Aubusson, atelier Goubely, années 1960 ; au fond, Suzanne Goubely.

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La Grande Menace 1957, laine, 4,47 × 8,75 m, Aubusson, atelier Tabard Frères et Sœurs47 [Carton réalisé par Claude Brizay et Jean-Luc Blum, janvier 1957 – tombée de métier le 13 juin 195748 ]

La Grande Menace, c’est évidemment la bombe nucléaire, qui offre à l’humanité le moyen de s’anéantir. Si la terrifiante puissance des armes atomiques a été démontrée par la destruction totale des villes japonaises d’Hiroshima49 et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945, c’est surtout l’accroissement de leur capacité exterminatrice et leur prolifération qui provoquent l’angoisse de l’artiste. À la suite des États-Unis, l’Union soviétique (en 1949) et le Royaume-Uni (en 1952) ont mis au point leurs propres modèles (la France suivra en 1960, la Chine en 1964). Surtout, dès le 1er novembre 1952, les États-Unis ont procédé à l’explosion de la première bombe H, infiniment plus destructrice que la bombe A, suivis en ce funeste exemple par l’Union soviétique en 1953, puis par le Royaume-Uni en 1957. Le danger devient mondial, c’est toute la terre des hommes dont l’avenir est en péril, d’où la volonté du peintre de conférer un caractère planétaire à ses visions, notamment par la multiplication d’édifices distinctifs des grandes civilisations50 . Le choix est donc clair : tout conserver au prix de la paix, ou tout détruire par le lâcher de la bombe. Là encore, il faut en revenir au manuscrit de Jean Lurçat, légèrement amendé pour la publication destinée aux expositions des neuf premières pièces de la tenture : L’Épouvante atomique […] explique et justifie le titre de ma première tenture : la GRANDE MENACE, explique et justifie cet aigle au regard camus qui plane sur le monde, et ce buffle qui essaime du poison sur tous les êtres créés ou à la veille d’être engendrés51 ; notre monde vit en effet sur un volcan, il est là, il crache ses souffres. La terre, c’est rond, c’est broussailleux, c’est du liquide et c’est du solide, et c’est surtout des êtres humains de toutes mesures, de tous calibres, de toutes les couleurs. Et tout, germes, êtres, végétaux, minéraux, vents qui sont comme l’haleine de la terre, tout cela est solidaire. Que la bombe soit lâchée par l’Aigle ou par le Fauve et toute la création ne sera plus qu’un magma empoisonné 52 . Tout, et New York et Pékin et Le Caire et Paris et Moscou ou Marrakech ; et Clamart et Le Lido, ce ne sera plus53 , on nous en avise d’ailleurs, qu’une innommable bouillie de pierrailles, de hurlements et d’hommes éperdus comme il en fut de Nagasaki et d’Hiroshima. À droite de cette première tenture 54 flotte sur une onde rare le bateau de la Création ! L’Homme est à la barre. Il gouverne, l’homme, puisque désormais le voilà devenu le maître de la Création. Oui, le maître de la création puisqu’il est en pouvoir de l’infecter, de la détruire. C’est donc, je le répète, l’homme qui tient désormais le gouvernail. Mais au-dessus de lui il y a l’aurochs, la Menace, la brute, le monstre qui éjacule sur la création 55 . C’est pourquoi toutes les bêtes, toutes les plantes qui se trouvent dans la nef sont déjà touchées, entamées, lépreuses parfois. Dans le ciel, les premières explosions strient le fond. Mais rien n’est perdu encore ! Au-dessus de l’homme se tient perchée près du gouvernail 56 la chouette de Pallas Athénée. Blanche. La Sagesse, quand même, qui veille en dépit de tout. Pour clarifier son message de menace et d’espérance, Lurçat a organisé sa composition en deux vastes compartiments, d’importance inégale, imposant d’emblée cette lecture de gauche à droite qui sera le fait de toute la tenture. Techniquement, l’application des calques joue ici à plein, le peintre reprenant des figures animales ou florales de ses compositions antérieures et en demandant la transcription rigoureuse à ses assistants. Selon son plus assidu collaborateur, Jean-Luc Blum, l’usure de certains calques trop sollicités serait d’ailleurs seule à expliquer certaines altérations du trait pour la facture de plusieurs motifs. 26

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L’Homme d’Hiroshima 1957, laine, 4,43 × 2,92 m, Aubusson, atelier Tabard Frères et Sœurs [Carton réalisé par Jean Lurçat, assisté par Jean-Luc Blum, 1956-1957 – tombée de métier le 18 novembre 1957]

Ou « La Grande Menace suivie d’effet ». Pressenti dès L’Homme H, petite gouache de 1954, L’Homme d’Hiroshima est caractérisé par son inscription dans le champignon vert (annoncé dans La Grande Menace) au cœur duquel il se consume, rigide, pétrifié, défiguré par la souffrance. Perceptible dans le commentaire qu’il a donné de sa vision, l’émotion de l’artiste le pousse à marquer son regret d’avoir refusé les effets d’une certaine outrance : Cependant, il y a eu Hiroshima… La folie s’est déjà manifestée à deux reprises… Hiroshima, Nagasaki… L’homme d’Hiroshima a été brûlé, dépouillé, vidé par la bombe… mais avec lui, ce sont nos raisons de vivre qui ont été saccagées… C’est pourquoi, autour de mon personnage, comme une pluie de ruines, tombent les fleurs, les livres, la Croix, la Faucille et le Marteau… La bombe n’épargne aucune idéologie, aucun système… Elle anéantit toutes les pensées de l’homme, tout le patrimoine culturel commun… À nouveau, les bibliothèques d’Alexandrie flambent et s’anéantissent… Mais cette fois-ci, c’est un enlisement général… Je ne sais pas si j’ai assez bien montré cet aspect terrific du drame… Si je devais recommencer L’Homme d’Hiroshima, ça serait encore plus terrible62… La chute du livre est particulièrement distinctive de cette signalétique du malheur. Pour Lurçat, comme pour nombre d’intellectuels et d’artistes de l’époque, aucun symbole n’est plus significatif de la mort des civilisations que celui du livre en flammes63 . La Croix renvoie à la révélation chrétienne, la faucille à l’idéal communiste, alliance contre-nature pour les esprits étroits, naturelle chez un artiste marxiste qui, militant pour le rassemblement de tous les hommes de bonne volonté, entretient des liens étroits avec de nombreux théologiens, jésuites ou dominicains. Quant aux gants du coin supérieur droit, ils viennent droit d’une série de petites gouaches qui, exécutées en 1945 sous le titre explicite d’Apocalypse des Mal Assis, illustraient « l’aventure [de] tous les imbéciles – il n’y a pas d’autre mot – qui ont cru au triomphe du nazisme64 ». Au-delà de la grande leçon d’humanisme, le spectateur perçoit ici l’écho de l’interrogation immémoriale de l’homme sur sa précarité, le cadavre décharné s’apparentant à ces transis de la sculpture médiévale tardive que les xve et xvie siècles avaient multipliés. Il est peu probable, par exemple, que Jean Lurçat, Lorrain d’origine, ait pu ignorer le célèbre transi de René de Chalon, prince d’Orange, réalisé par Ligier Richier en 1547 et conservé en l’église Saint-Étienne de Bar-le-Duc. Et, plus que les suppliciés renaissants d’un Dürer ou d’un Mantegna, cette désincarnation de l’homme détruit semble illustrer les mots du grand poète médiéval François Villon, dans la Ballade des pendus (vers 1462) : Frères humains, qui après nous vivez, N’ayez les cœurs contre nous endurcis, Car, si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous mercis. Vous nous voyez ci attachés, cinq, six : Quant à la chair, que trop avons nourrie, Elle est piéça dévorée et pourrie, Et nous, les os, devenons cendre et poudre. Il est à noter que la hantise de l’arme atomique traverse alors les frontières. Car en ce temps, plus encore que les « ordinaires » horreurs de la guerre, l’épouvantable drame des bombes nucléaires larguées sur le Japon par les Américains en 1945 obsède les 36




Le Grand Charnier 1959, laine, 4,40 × 7,31 m, Aubusson, atelier Tabard Frères et Sœurs [Carton réalisé par Josep Grau-Garriga et Jean-Luc Blum – tombée de métier le 28 mai 1959]

Cette troisième pièce du Chant du Monde en constitue l’épisode le plus lisible, particularité probablement due à l’intervention de Josep Grau-Garriga. La distance que Lurçat a toujours pris soin d’établir avec ses visions les plus noires est ainsi abolie dans ce Grand Charnier qui, élaboré en 1959, « traduit la mort générale », conséquence de la chute inéluctable de la bombe. Autour d’un astre imprécis, soleil aux rayons ensanglantés, le cosmos est en ruines et ce qui reste de la terre tourbillonne follement, tous destins confondus dans l’horreur : À partir de l’homme, le massacre est collectif… Le Grand Charnier traduit la mort générale… La bombe a éclaté et son rayonnement s’épanouit de façon concentrique… Le monde n’est plus qu’un cercle squelettique, un peu écrasé… Il est symbolisé par l’animal décharné qui le surmonte. C’est un bouc dévoré, rongé par le mal… et toute la tapisserie est organisée comme une ronde, comme une danse macabre… Pour moi, la mort, c’est cette ronde, ce tourbillon… C’est cette idée qui m’a suggéré l’économie de la composition… Mais ce n’est pas une ronde harmonieuse. Elle est heurtée, brisée par des contrepoints – ce que j’appelle des contrechants, c’est-à-dire que je lance une direction et puis, brusquement, il y a rupture… C’est une de mes préoccupations actuelles : je lutte contre la symétrie… J’ai besoin de créer ces ruptures… On pourrait dire que, mot à mot, c’est pour moi une manière d’éviter de tourner en rond 69… Le faisceau d’influences lointaines Sous le grand bouc décharné, symbole biblique de malédiction et ici dérivé du Bélier de Francesco del Cossa au palais Schifanoia de Ferrare70 , le monde finit de se dissoudre dans une harmonie sombre. Surtout, l’immense ronde macabre renvoie à cette iconographie médiévale qui a toujours fasciné l’artiste : squelettes et crânes tournoient au-dessus de l’arche funèbre qui abrite la hiérarchie sinistre du transi et du gisant. Oiseaux morts, tortue percée, tête de lion, reptile triomphant (à l’image du terrifiant serpent du Déluge de Poussin)… c’est tout un monde encore en pleine efflorescence que le bouc funeste anéantit. Au sein de cette formidable danse macabre, les gants chutent, les poissons sont réduits à de vagues squelettes d’arêtes, d’étranges fragments de couleurs persistent sur les ailes de papillons troubles. Relativement aux deux premières pièces du Chant du Monde, il est remarquable que l’invention porte beaucoup moins sur le renouvellement des motifs que sur leur métamorphose. Formes et couleurs sont abolies au profit d’une sinistre symphonie en noir et blanc qui met en exergue, d’une part la figure du serpent (la seule qui n’ait subi aucune altération), d’autre part, sur la droite, toute une théorie de crânes désignés par une main décharnée qui sort du néant comme jadis, dans l’iconographie romane, la main de Dieu surgissait des nuées. Dans la partie inférieure aussi, il est significatif que l’arche soit réduite à l’état d’un vague radeau de la Méduse, échelle brisée et couchée qui, ayant perdu toute sa fonction symbolique d’aspiration à un état supérieur, fait désormais office de cercueil pour le cadavre au cœur sanguinolent du timonier foudroyé qui conjurait La Grande Menace. Au chapitre des sources d’inspiration du Grand Charnier, on trouve nombre d’occurrences modernes des rondes funèbres que le Moyen Âge s’était plu à multiplier, la plus célèbre restant probablement la Danse macabre (1875) de Camille Saint-Saëns, bref poème symphonique dont l’argument est tiré du poème Égalité-Fraternité du recueil Heures sombres, dû à Henri Cazalis (alias Jean Lahor) 71. Nous savons, par le témoignage de Jean Agamemnon72 , que Jean Lurçat connaissait et aimait cette œuvre, très souvent 46

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La Fin de Tout 1957, laine, 4,52 × 2,26 m, Aubusson, atelier Picaud75 [Carton réalisé par Jean Lurçat et Jean-Luc Blum, 1957 – tombée de métier en 1957]

Pour La Fin de Tout76 , par un stupéfiant coup d’audace, c’est à une simple fleur brisée qu’il est demandé de traduire la catastrophe. L’artiste, qui là encore a tenu à réaliser lui-même la plus grande partie du carton, tient cette gageure en constellant le fond noir, silencieux, abiotique, infini, d’un poudroiement de flocons (procédé dont il usait déjà pour ses huiles funestes de 1928-1929, comme pour la gouache Paysage atomique de 1952) évoquant moins la fraîcheur de la neige que l’âcreté des cendres éparpillées77. Symbole de vie, de lutte, la fleur choit lentement, déjà promise au destin de son reflet exténué, la tige-mèche foudroyée qui sombre à gauche, telle la flammèche consumée d’un feu d’artifice. Curieusement proche du volcan de La Grande Menace, le fragment de terre rouge se présente moins comme un ensemble de pétales que comme une sorte d’astéroïde qui, à l’image de la minuscule planète du Petit Prince de Saint-Exupéry78 , offrirait tout juste assez de place à un développement minimal de la vie. Pour Lurçat, cette quatrième pièce du Chant du Monde est l’occasion de justifier ses choix les plus personnels : la fleur brisée, le fond noir, la neige de cendres, le vide. Maintenant tout a disparu. C’est un stade à peine imaginable. Il n’y a plus de soleil, plus d’astres, plus de poissons, plus d’oiseaux, plus d’hommes. C’est la grande nuit, le grand vide, l’éternel silence. C’est tellement inconcevable qu’il m’a fallu cette dernière plante, dans le bas, à droite. Une plante brisée, qui va mourir, qui est déjà morte, mais quelque chose, tout de même. Une tige foudroyée et des cendres. Maintenant, c’est fini. C’est la fin de tout. J’ai d’abord songé à faire un fond entièrement noir. Mais il y avait un manque. Ça n’allait pas. Il fallait expliquer. Or, la bombe, qu’est-ce que c’est ? C’est, d’abord, la dispersion dans l’espace des cendres, des germes de mort. Ces germes devaient apparaître et c’est pourquoi j’ai eu l’idée de cette neige. Or voilà qu’en la faisant, j’ai compris qu’elle représentait aussi une nécessité esthétique. Les germes, les flocons blancs meublaient ma surface, équilibraient l’ensemble. Il y avait là, à la fois nécessité de contenu et nécessité formelle. Bien entendu, ce n’est jamais tout à fait un hasard que la nécessité technique corresponde à la nécessité de la chose à dire79. Mots significatifs : Le Chant du Monde n’est pas seulement message ou protestation par les images qu’il transmettrait, les notions qu’il véhiculerait, ou les sentiments qu’il provoquerait. Il l’est également « en soi », et Lurçat ne cessera d’en prendre conscience et de s’en émerveiller au fur et à mesure que les pièces tomberont des métiers. Ici, le trait le plus frappant reste probablement la quasi-disparition de la couleur. Deux nuances rosées pour l’astéroïde, quelques traces de rouge et de vert pour la tige de gauche, traces ultimes d’une vie qui sombre dans l’éternité du néant. Ainsi s’achève le cycle de la terreur. Désormais, à partir des faibles indices de vie qui persistent et qui, corrigeant quelque peu le pessimisme du titre, attestent que Tout n’est pas fini, il faut construire le chant de l’espérance. Pourtant, c’est presque à regret que Lurçat quitte les champs obscurs du pessimisme, incertain de sa capacité à pouvoir persuader les hommes de l’imminence du danger : Je me demande parfois si mes quatre panneaux ont assez de puissance de persuasion. La Fin de Tout, par exemple. Ça n’a que 2,26 mètres. Il faudrait cette neige empoisonnée pendant 10 mètres. Il faudrait que le drame soit presque insupportable et qu’il s’étale sur 100 mètres. Les gens ne pourraient pas aller jusqu’au bout. Ils foutraient le camp. Ça devrait leur donner une telle panique qu’ils ne pourraient pas tenir le coup. Mais, finalement, je préfère développer le côté de la vie, le côté de la ferveur. Seulement, tout de même, si cette bon dieu de bombe tombait, le monde paierait un tribut épouvantable. On reculerait de plusieurs milliers d’années. Il faut que les gens le sachent80. 58

75. Successeurs de Raymond Picaud, Mme et M. Jean-François Picaud ont puisé aux archives de l’atelier pour compléter ma documentation, ce dont je ne saurais trop les remercier. 76. Étymologiquement parlant, ce titre est seul à souligner clairement la portée eschatologique de la tenture, signal gigantesque de la fin des temps. 77. « Ne flotte plus dans l’espace qu’une neige blanche, stérile, énucléée. Une tige foudroyée et des cendres flottant au milieu d’un grand vide. Ah, nous aurons le droit d’être fiers de nous, de notre Néant ! » (Manuscrit de Lurçat, p. 13-14.) 78. « C’est comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile,
 c’est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries. » (
Le Petit Prince, chap. xxvi .) 79. Manuscrit de Lurçat, 1963, s. p. 80. Ibid.


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L’Eau et le Feu 1958, laine, 4,54 × 5,85 m, Aubusson, atelier Goubely [Carton réalisé par Dinh Van Trinh, 1958 – tombée de métier le 29 avril 1958]

Avant même la réalisation du carton, Lurçat en avait confié le tissage à l’atelier Goubely, ainsi que l’atteste le mot que lui adresse Suzanne Goubely le 16 décembre 1957 : « En ce qui concerne le fragment de la grande tapisserie mesurant 440 × 600, je le mettrai sur métier au reçu du carton. » Il est à noter que, sur le carnet de l’atelier, le titre général de la tenture sera encore, en février 1958, La Joie de vivre. Pour le tissage de cette pièce (numéro d’atelier : 1867), Suzanne Goubely demandera 60 000 francs par mètre carré. Chiffre à rapprocher de celui proposé par Jean Lurçat – par l’intermédiaire de sa secrétaire, Madeleine Braun – dans son courrier du 28 juillet 1958 : « Je vous signale que pour les grandes tapisseries commandées par Lurçat et plus compliquées que cette dernière, les prix oscillent entre 45 et 48 000 francs le mètre carré » ! Querelle domestique, apparemment fort éloignée des préoccupations de l’artiste : L’eau et le feu, ces apparents contraires, c’est là ce qui méritait un nouveau chant. L’homme ne vit que d’apparents paradoxes, que de contradictions qui se résolvent. L’eau et le feu, voici que dominés par nous, l’eau qui étouffe et la flamme qui consume ensemencent le monde, le fécondent, l’engrossent. Le froment se débauche sous l’effort et la terre se fendille, s’ouvre à la lumière. Les nuées, la chair, les femmes, les toisons des chênes et des vignes, les pierres même prennent aspect 85 de feux. Le couple a pris forme et jaillissent l’efficacité et les descendances86 . Nulle part ailleurs, dans Le Chant du Monde, la symbolique n’est aussi précise que pour L’Eau et le Feu ; là encore, le carton a été rapidement mis en place. Réalisé en 1958, il oppose, en les associant, les grands principes de vie. À droite, l’eau bienfaisante et poissonneuse nourrit les rousseurs énergiques d’une plante dressée ; dans le coin supérieur, la lune halète et postillonne. À gauche, jailli d’une bouche infernale, le feu consume l’univers mais projette aussi vers la voûte céleste le spoutnik87 cerné de trois étranges étoiles sans branches, géantes rouges à l’image de la célèbre Antarès. Au centre, l’homme repose sur une terre verdoyante traversée de flammes ; le halo bleu qui le cerne témoigne de sa puissance bienveillante. Devant lui brillent les éléments de l’univers qu’il maîtrise : serpent (identique à celui que l’on trouvera, dû au crayon de Paul Cosandier, dans Conquête de l’Espace, mais renversé), tortue, coquillage, poissons, oiseaux… Sur la droite, les surfaces du déferlement des eaux se présentent comme un lointain souvenir des collages surréalistes. Pour le choix de l’eau et du feu, forces primordiales, rien de plus explicite que le propre commentaire de l’artiste, rappelant qu’il s’agit là de deux éléments qui, composant nos joies de vivre, sont à la source du conflit immémorial d’où jaillit la vie. Lumière et ténèbres, nature et science… rien, dans l’univers, n’échappe aux lois de ce binôme fondamental, de la sagesse ancestrale de la tortue à l’audacieuse anticipation du spoutnik : L’eau et le feu, dominés par l’homme, sont chacun à leur manière la Source de toute vie. J’ai donc repris la symbolique des règnes de la nature et je les ai organisés selon le cercle qui, pour moi, définit et décrit l’univers. On retrouve, par exemple, la tortue qui exprime la durée, la patience, et la salamandre qui, selon l’imagerie populaire, passe à travers les flammes sans périr. Et puis il y a des choses qui s’imposent, on ne sait pas trop pourquoi ; dans la partie supérieure de la tapisserie, à gauche, il y a, au bout des flammes, une forme qui est, sans aucun doute, un spoutnik88… 78

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Champagne 1959, laine, 4,38 × 6,97 m, Aubusson, atelier Tabard Frères et Sœurs [Carton réalisé par Jean-Luc Blum, 1958 – tombée de métier le 30 septembre 1959]

Cette tenture pourrait évidemment se passer de commentaire. À partir de la cuve, c’est le jaillissement des joies que procure le vin mais en même temps, cela va de soi, la vie elle-même. Ce qui m’a intéressé, c’est de tout organiser à partir de l’angle gauche : cette éjaculation heureuse, si on me permet l’expression89… Que le peintre lui-même ait reconnu l’inutilité de tout commentaire pour Champagne 90 dit assez la clarté de la symbolique ici mise en œuvre. Tout au plus observera-t-on que le thème de la fécondité, développé en fusées bariolées et foisonnantes, s’y affirme avec une évidence qui n’était pas le fait des pièces précédentes. Reprenant le terme d’éjaculation, déjà utilisé dans son commentaire du Grand Charnier, Lurçat assigne à Champagne une tâche explicite : imager le « jaillissement des joies que procure le vin […], la vie elle-même ». Ce qui le conduit à choisir le motif de la cuve multicolore – peutêtre issue des Vendanges, célèbre tapisserie du xve siècle conservée au musée national du Moyen Âge, à Paris. Puissamment enraciné dans le sol, le vaste récipient pulvérise au ciel une multitude colorée de papillons (figures exécutées à part et ensuite épinglées sur le grand carton, selon le témoignage de Jean-Luc Blum) et de grappes, tandis qu’à sa droite s’épanouit, croissant, le tronc de vie habillé de flammes bleues, de ce bleu qui traduit l’ineffable et pure émotion du matin où tout renaît et redevient possible. De ce festival de formes et de couleurs végétales et animales, le plus audacieux motif, en bouquet, occupe le coin inférieur droit de la composition qu’il contribue à équilibrer. Discret mais saisissant, le motif renversé du crâne y renvoie à ces vanités par lesquelles le xviie siècle se plut tant à rappeler la précarité de leur condition aux hommes. Une précarité combattue par l’ivresse des sens, telle que la chante tout le reste de la tapisserie. La dimension cosmique demeure, même si fleurs et papillons sont seuls à scintiller sur l’immensité du vide ténébreux. À partir de Champagne se vérifie l’observance de nouveaux principes : jubilation des couleurs, régularité du grand format, prépondérance des masses chamarrées… tous caractères rendant hommage aux compositions florales du dernier Monet. Que la joie soit donc un bien à la portée de l’homme ; que l’angoisse demeure, mais que confiance soit l’arme tenue ferme dans nos doigts crispés. Champagne, jaillissement. Le vin n’est rien, n’est qu’un liquide pervers si le cœur n’en est pas le vase91.

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89. Ibid. 90. Champagne est la seule pièce du Chant du Monde à avoir connu une deuxième édition (destinée à la marque Champagne G. H. Mumm, à Reims) ; par ailleurs, un détail du carton (la cuve) a été spécialement reconstitué pour le film de Pierre Biro, Le Chant du Monde de Jean Lurçat (1965). 91. Manuscrit de Lurçat, 1963, s. p.

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Conquête de l’Espace 1960, laine, 4,43 × 10,18 m, Aubusson, atelier Tabard Frères et Sœurs [Carton réalisé par Paul-José Gosselin, Jean-Luc Blum, Francis Michelet et Pierre Delclaux, 1959 – tombée de métier le 14 mai 1960]

Elle dit bien ce qu’elle veut dire, cette tenture avant-dernière : Conquête de l’Espace. Spoutnik ou Observer92 . L’homme s’élève et s’élèvera chaque jour davantage dans et à travers l’espace sidéral. Le grand silence, cette épouvante des grands espaces peuplés de lumières étranges, voyageuses et clignotantes, voici que des hommes apparemment désunis, mais déjà réunis et liés par une haute sagesse, cette épouvante un jour viendra où ceux qui nous suivent en souriront. Nous n’en sommes qu’au prélude, nous ne sommes encore que des explorateurs de banlieues. Le ciel désormais, nous n’en touchons que les bords, mais nous les touchons quand même du doigt. Nous avons abordé l’épouvante des grands vides, mais nous en sommes revenus. Vifs et déjà prêts à la récidive93 . En 1960, pressé de commandes, Jean Lurçat suit la mise au point et le tissage du carton de Conquête de l’Espace, appelée à occuper la huitième position dans Le Chant du Monde. C’est le 2 décembre 1959 que l’œuvre est vraiment entrée en gestation, son carton étant, d’après les esquisses tracées par le maître 94 , entrepris et réalisé pour l’essentiel par Paul-José Gosselin, Jean-Luc Blum, Francis Michelet et Pierre Delclaux. Deux ans auparavant, le 4 octobre 1957, le lancement, par les Soviétiques, de Spoutnik, premier satellite de l’histoire, avait ouvert l’infini cosmique à l’imagination de l’homme. Science et fiction Plus proche, si l’on s’en rapporte au témoignage de Paul-José Gosselin et de Jean-Luc Blum, de l’Histoire comique des États et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac95 que des reportages soviétiques ou américains sur la conquête spatiale, cette pièce fait exception dans la grande tenture : la profusion des règnes et des couleurs y caractérise la planète découpée en bandes colorées qui ne sont pas sans évoquer Fernand Léger, récemment disparu ; l’astronaute s’élance à la conquête des cieux dans un vaisseau spatial volontairement naïf ; tracée par Paul-José Gosselin, le 7 décembre 195996 , la double arabesque qui court l’espace construit un tortueux labyrinthe, défi au génie et à la puissance de l’homme… Prolifération des végétaux et des insectes, acuité des flèches, désordre du cosmos, cavalcade des nuages, magma des couleurs, satellites ludiques, tout atteste ici la fertilité d’une imagination transcendée par le sujet qui la sollicite. Encore une fois, la thématique de La Grande Menace réapparaît, transformée, commutée, mais toujours féconde. Les grands règnes demeurent, coalescents et intriqués : le minéral et l’animal, le végétal et l’humain… Le bandeau supérieur bleu de gauche est particulièrement révélateur à cet égard : deux profils hiératiques, ceux de la femme97 et de l’homme, y cernent la figure de la chouette posée sur une tête de taureau qui prend elle-même racine dans le socle végétal inférieur aux verts rehaussés de rouge et de jaune. Les figures du paon et du coq, symboles de naissance, de fidélité et d’immortalité, projettent la destinée de l’humanité dans une durée illimitée, nuancée de transcendance par l’évocation du papillon, mais fragilisée par les nœuds du serpent funeste. Dans les registres inférieurs, la vie pullule, toute d’algues et de végétaux, de crustacés et de reptiles, d’insectes et de poissons. Quant au cosmonaute-sagittaire, propulsé par l’un de ces volcans fabuleux dont l’activité caractérisait déjà La Grande Menace ou L’Eau et le Feu, il vient de gagner la stratosphère, laissant derrière lui une banlieue terrestre animée par un foisonnement végétal qui prend la forme de papillons multicolores multipliés, symboles d’aspiration à une condition supérieure. Devant lui s’ouvre l’infini, non point ces espaces vides dont le silence effrayait Pascal, mais un univers aux formes et couleurs dansantes, où la silhouette caractéristique 100

92. Biffant et remplaçant, sur son manuscrit, « Pamplemousse » par « Observer », Lurçat associe le satellite américain à son homologue soviétique, indice de la volonté de concorde et de paix qui anime la tenture, la fantaisie poétique dût-elle y perdre une partie de ses prérogatives. 93. Manuscrit de Lurçat, 1963, s. p. 94. Qui, dès le 3 décembre, dessine toutes les silhouettes d’animaux animant la surface de la terre. 95. Histoire comique des États et Empires de la Lune est la chronique d’un voyage imaginaire sur la lune, prétexte à une satire des mœurs de l’époque. Écrit par Cyrano de Bergerac vers 1650, il sera publié par son ami Henry Le Bret deux ans après sa mort, survenue le 28 juillet 1655. Avec Histoire comique des États et Empires du Soleil, il est traditionnellement considéré comme le seuil de la science-fiction littéraire. 96. Précision chronologique due aux carnets régulièrement tenus par Paul-José Gosselin et dont la version photocopiée a été confiée par ses soins au Conseil général du Lot, sous la direction scientifique d’Isabelle Rooryck. 97. Qui semble directement inspiré par le beau visage de Rossane, disparue cinq ans plus tôt.


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La Poésie 1962, laine, 4,43 × 10,15 m, Aubusson, atelier Tabard Frères et Sœurs [Carton réalisé par Jean-Luc Blum et Francis Michelet, 1961 – tombée de métier le 15 février 1962]

Dans La Poésie, le poète est là, présent, dominant, flanqué de rayons : feu lui-même, engendreur, archer bardé de chausses, tentant d’atteindre le cœur des choses, le centre du cercle103. Avant-dernière pièce du Chant du Monde, La Poésie en forme, en 1961, l’ultime fragment tissé du vivant de Lurçat. La composition de cette tapisserie, la plus vaste de la tenture, est inspirée des principes mis en œuvre dans L’Apocalypse d’Angers : position d’observateur du sagittaire aux pieds en forme de sabots et à la tête taurine surmontée par un soleil inquiet, placé, comme saint Jean, sous un dais brûlant, et compartimentation du reste de la surface en rectangles égaux destinés à accueillir les signes transfigurés du Zodiaque. L’immensité qui s’ouvre à droite n’est ainsi que le reflet de la vision intérieure du poète, comme les scènes de l’Apocalypse étaient le fruit de la vision de Jean. En contraste insolite, on relève l’illisibilité de la figure du sagittaire – poète identifié par ses seuls poèmes –, opposée au naturalisme brut de la femme agenouillée, créature du poète dont elle matérialise l’inspiration. Une symbolique ordonnée, mais libre Sans doute le Zodiaque est-il pour d’aucuns une forêt touffue de facilités, de tromperies futiles, de symboliques boiteuses. Mais l’homme qui sait voir et croit et aime savoir retrouve dans ces étranges figures, l’eau, la terre, les vapeurs, les minéraux, ces quatre coins sublimés ou familiers où s’insèrent les confiances, les espoirs, les semences et les gestes de l’homme qui chante face au soleil, les yeux fichés droit dans la Lumière104 . C’est dans un vigoureux désordre que seront donc présentés les douze signes du grec (littéralement, « [cercle de] petits animaux »), douze visions poétiques libres, autonomes, souveraines, mais renvoyant chacune aux sujets déjà proposés dans les huit pièces précédentes du Chant du Monde : humains, animaux, plantes… toutes créatures conviviales du monde. Ouvrant le cycle, le Bélier, figure la plus intelligible, est placé au centre exact de la composition. Son cadre est surmonté, à droite, par la tête du Taureau, image reproduite à neuf reprises sur la pièce, blanc sur noir ou noir sur blanc. Quant aux Gémeaux, troisième constellation printanière, ils occupent, sous la forme de deux cœurs signalés par les figures de la Lune et du Soleil, le coin inférieur droit de la grande composition. Viennent ensuite, emblèmes estivaux, le Cancer, placé au voisinage immédiat du poète, à gauche du Bélier, puis le Lion, à la droite de ce même Bélier. La Vierge, enfin, offre deux occurrences : agenouillée face au poète, elle apparaît à l’autre extrémité de la tapisserie, en pied et signalée au niveau du nombril par l’œuf de la fécondité ; dans les deux cas, la poitrine est généreuse et l’environnement floral prodigue. Les constellations d’automne et d’hiver sont tout aussi librement disposées. La Balance occupe la place centrale de l’extrémité gauche de l’œuvre, l’énigmatique Scorpion apparaissant en position inférieure, sous le Bélier. Quant au Sagittaire, il n’est autre que le poète lui-même, porteur d’une harpe unicorde qui, bien que privée de flèche, s’apparente plus à l’arme de l’archer qu’à l’instrument du rhapsode : On m’a fait remarquer que Rainer Maria Rilke était né sous le signe du Sagittaire. C’est une coïncidence parce que, avant que de connaître Rilke sur les collines de Sceaux et les jardins de l’hôtel Byron, l’archer fut toujours dans mon esprit au poste, à celui qui tape dans le MILLE105. Première constellation hivernale, le Capricorne fait la plus discrète des apparitions, à l’extrémité supérieure droite de la tapisserie, sous forme d’un profil élémentaire, aux teintes blafardes dans son écrin bleu. C’est enfin dans le compartiment inférieur, de part et d’autre du Scorpion, que nous trouverons le Verseau, signalé par son exubérance florale, et les Poissons qui, fermant le cycle, nagent au pied du poète106 . 112

103. Manuscrit de Lurçat, 1963, s. p. 104. Ibid. 105. Ibid. 106. Il est à noter, par ailleurs, que nombre de figures du Zodiaque apparaissent, de façon allusive, dans la partie centrale et supérieure de la composition, la plus libre, la moins contrôlée.


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Ornamentos sagrados 1966, laine, 4,36 × 10,15 m, Aubusson, atelier Tabard Frères et Sœurs [Carton réalisé par Jean-Luc Blum, Jean Perruchoux et Jean Bourdin, 1965 – tombée de métier le 10 mars 1966]

Quatre ans séparent donc La Poésie de l’ultime volet du Chant du Monde, ces Ornamentos sagrados dont Lurçat a peut-être trouvé le titre dans un monastère mexicain et qui tomberont des métiers après sa mort. L’homme y reçoit, concentriquement et verticalement disposés, les « ornements sacrés » du monde : la pluie s’échappe des nuages traversés d’étoiles ; les entrelacs d’une tige gigantesque sont illuminés par des astres en fusion ; rayons ardents et flammes en maquis s’échappent du soleil central qui enferme le bestiaire de l’artiste au-dessus d’un mufle taurin. Çà et là, d’inquiétantes mains obscures, des gouttes de sang. À gauche, les perles bienfaisantes du Déluge, prêtes à féconder le chapelet des planètes-atomes reliées par une chaîne mouvante. À droite, le bâton magique des étoiles, ouvrant les frontières du cosmos. Et, dans le fond, le noir infini dans lequel l’homme précaire finira de se dissoudre… Un message sacré, au déchiffrage ambigu Dans nombre d’écrits consacrés au Chant du Monde, il est significatif que la perplexité des commentateurs confrontés à Ornamentos sagrados ait été moins provoquée par le silence de l’artiste disparu que par le caractère exceptionnel, au sein même de son univers habituel, de cette vision. Certes, il revient au seul hasard d’avoir fait coïncider la disparition de Lurçat avec le tissage de cette œuvre, mais deux particularités ajoutent beaucoup au mystère d’Ornamentos sagrados : son surgissement après quatre années d’interruption dans l’élaboration de la tenture (précédées par cinq années d’intense activité) et le secret entretenu par le peintre sur sa gestation108 . Tout au plus sait-on qu’au cours de son voyage mexicain de 1965, Lurçat avait été impressionné par la visite d’une exposition d’art sacré colonial et par celle de l’ancienne capitale toltèque, connue sous son nom aztèque de Teotihuacan. Sur ce dernier site notamment, plus encore que les pyramides du Soleil et de la Lune, le temple de Quetzalcóatl, haut sanctuaire pyramidal, avait puissamment sollicité l’imaginaire de l’artiste, par ses extraordinaires sculptures (serpents emplumés, masques du dieu de la pluie, coquillages, escargots…), mais surtout par la trace subsistante des couleurs (rouge pour les gueules, vert pour les plumes…) qui, à l’origine, les rehaussaient. Si la signification religieuse semble patente dans Ornamentos sagrados, il apparaît avec la même clarté qu’elle se réfère ainsi beaucoup moins aux rites du christianisme colonial qu’à ceux des cultes précolombiens. Avec ses figures compartimentées, le soleil central – noyau initial, œil suprême, cible idéale – renvoie aux supports des plus anciennes écritures : carapaces de tortues et écailles des premiers idéogrammes chinois, disque de Phaistos de l’ère minoenne (dont il n’est pas établi qu’il soit porteur d’un vrai texte), calendriers mésoaméricains… En position centrale, l’énigmatique figure en profil constitue la marque ultime de la maîtrise de l’homme sur son destin. Un homme non plus timonier, cosmonaute, ou poète, mais prêtre – prêtresse peut-être – d’une religion disparue ou à renaître. Toujours demeure l’idée du voyage cosmique de l’homme, bien agrégé aux quatre éléments terrestres, mais déjà projeté vers le futur stellaire de la partie droite de la composition, après qu’il a puisé son énergie dans le monde, développé sur la gauche, des atomes dansants. Enfin, sorte de phylactère sacré, une étrange inscription, plus proche de Lautréamont, de Saint-John Perse, voire de Francis Ponge, que de Rilke ou de Whitman, sollicite le regard, inscrivant l’œuvre dans une durée qui n’est plus celle de l’image : « Tu t’éveilles véridique, Seigneur des deux pôles – Astre aux griffes d’obsidienne. » Le sens de cette inscription semble avoir jusqu’ici découragé les exégètes. Il est pourtant à observer qu’en 1963, alors qu’il vivait à Gênes, le grand écrivain guatémaltèque Miguel Ángel Asturias, 124


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HISTORIQUE DE L’ACHAT DU CHANT DU MONDE PAR LA VILLE D’ANGERS114 Une négociation longue et complexe Trop rarement prise en compte, la brutalité du décès de Lurçat reste une donnée capitale de la destinée posthume du Chant du Monde. À la veille de ce 6 janvier 1966 qui lui fut fatal, l’artiste souffrait certes de défaillance cardiaque chronique, mais son traitement médical, patiemment suivi, ne laissait pas prévoir une disparition si rapide115 . Sa mort devait ainsi donner à la dixième pièce de la tenture, Ornamentos sagrados (avant même sa tombée des métiers), une dimension testamentaire dont il n’avait nullement songé à la charger. Si la perplexité des exégètes quant à cette dernière tapisserie tient pour une bonne part aux circonstances tragiques de sa réalisation, bien des questions surgissent dans le même temps, relatives aux thèmes qu’aurait pu exploiter la suite de la tenture et aux doutes du peintre lui-même quant à la destinée de son chef-d’œuvre. En réalité, le Lurçat de la maturité jouissait d’une telle popularité, d’une admiration si unanime, qu’il lui était loisible de spéculer sur un succès historique du Chant du Monde. Pourtant, si l’on se rapporte aux propos de sa veuve, la question de la conservation de la tenture en un lieu unique avait profondément sollicité sa réflexion dans les toutes dernières années. Sous le couvert d’un bon sens dissimulant faiblement ses appréhensions, n’avait-il pas pris le parti de se retrancher derrière l’inconnu d’une postérité, seule habilitée à statuer sur la validité de l’œuvre ? Beaucoup de gens me demandent où pourra être exposé « en entier » Le Chant du Monde. Je réponds toujours : C’est fort simple. Si cette œuvre a une valeur véritablement humaine, eh bien ! on trouvera toujours de la place… Si dans cinquante, soixante ans, Le Chant du Monde est ratifié par le temps, on lui trouvera une place. Si elle n’a pas de valeur, on la foutra au panier !… En tout cas, j’ai confiance. Autrement dit, le souci de l’emplacement final de la tenture ne devait pas incomber à son auteur. Validé par la postérité, Le Chant du Monde trouverait par simple nécessité le lieu de son exposition permanente ; réfuté, il n’aurait plus aucun titre à une quelconque vie publique et pourrait finir « au panier » ! Du fait de sa disparition, Jean Lurçat n’aura ainsi jamais eu à se préoccuper d’un problème qui, au sortir d’une négociation longue et complexe, serait en définitive résolu par l’accord intervenu entre sa veuve et la Ville d’Angers.

114. Je dois ici exprimer ma chaleureuse gratitude au personnel du Service des archives, de la documentation et de la photothèque d’Angers – particulièrement à son directeur, Sylvain Bertoldi – à qui je dois une aide décisive dans la recherche et dans l’exploitation des documents qu’il conserve. 115. Sur ce point, j’ai recueilli l’avis autorisé de Béatrice Latscha-Angel, elle-même praticienne et fille de Bella Angel, médecin traitant de l’artiste au soir de sa vie (entretien du vendredi 13 mai 1988, à Paris). 116. Germain Bazin (et al.), Les Domaines de Jean Lurçat, Angers, Musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie Contemporaine, 1986. 117. Occasion pour moi de saluer la mémoire de la collaboratrice et amie, précocement disparue le 2 juillet 2005.

La position de Simone Lurçat Pour comprendre la position et le rôle de Simone Lurçat dans le processus de vente de la grande tenture, le mieux est peut-être de revenir momentanément à la date du mardi 6 mai 1986. Ce jour-là, dans son hôtel particulier du 14e arrondissement parisien, au 4, villa Seurat, la veuve de l’artiste recevait l’auteur de ces lignes, engagé depuis trois ans dans la rédaction d’une thèse sur l’œuvre peint de Jean Lurçat. Mais de peinture, il devait être très peu question au cours des heures suivantes. Visiblement préoccupée, voire agacée, Simone Lurçat tenait à la main un petit nombre de feuillets dactylographiés, porteurs de textes destinés au catalogue de la toute prochaine exposition, « Les domaines de Jean Lurçat », présentée du 22 juin au 31 décembre 1986 aux cimaises du musée JeanLurçat à Angers, et la totalité de ce mardi serait finalement consacrée à la relecture et au remaniement des écrits de ce catalogue116 . Au prix, notamment, de divers échanges téléphoniques avec le conservateur des musées d’Angers en charge de cette importante manifestation, Viviane Huchard117. Le point le plus litigieux portant précisément sur le mode d’acquisition du Chant du Monde par Angers, deux décennies plus tôt. Simone Lurçat tenait absolument à ce que son point de vue ne souffrît aucune équivoque : 139






LA QUESTION DES CARTONS Souvent oubliés dans l’histoire de l’illustre tenture, les cartons du Chant du Monde ont fait, le 18 novembre 1969, l’objet d’une note adressée par E. Dumont, directeur du Service des bâtiments de la Ville d’Angers, à Pierre Rouillard : Sur ordre de M. le maire, une camionnette du Service des bâtiments s’est rendue à Saint-Céré (Lot) pour prendre en charge les cartons du Chant du Monde, le samedi 15 novembre 1969. Madame Lurçat a remis à notre représentant les cartons en sa possession, conformément au bordereau joint écrit de sa main, à savoir : neuf cartons. Nota : il manque L’Eau et le Feu dont les cartons n’ont pas été retrouvés123 . Le stockage est réalisé dans la réserve attenante à la salle rénovée du premier étage, du musée des Beaux-Arts. […] La mission du Service des bâtiments se trouve donc terminée, ces cartons étant maintenant sous la responsabilité de M. le conservateur des musées.

PAGE DE DROITE

L’Homme d’Hiroshima (carton), 1956-1957, dessin, 4,37 x 2,92 m, Angers, musées. Champagne (carton), 1958, dessin, 4,40 x 7,17 m, Angers, musées. PAGES 124-135

Champagne (carton), détails.

Envoyée le 25 octobre 1960 à Jean Lurçat, une lettre de Suzanne Goubely évoque la dégradation, due à une inondation de la fabrique, du carton de L’Eau et le Feu : Voici la liste de vos cartons sinistrés, […] L’Eau et le Feu de la série du Chant du Monde qui est sauvée mais qui est assez endommagée. Je vous assure que si vous aviez vu l’étendue des dégâts et la situation où nous nous sommes trouvés jusqu’à cette semaine, vous auriez sûrement montré moins d’impatience ! La question demeure donc posée de l’état matériel et de l’actuel emplacement de ce carton, le seul qui manque aux collections du musée d’Angers.

123. Au moment où nous mettons sous presse, Isabelle Rooryck a la gentillesse de me confirmer qu’apparemment ces cartons ne figurent toujours pas dans le fonds du muséeatelier des Tours-Saint-Laurent.

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JEAN LURÇAT – REPÈRES BIOGRAPHIQUES 1892 Naissance de Jean Lurçat le 1er juillet à Bruyères (Vosges). 1910-1911 Élève de Victor Prouvé à Nancy. 1912 Élève du graveur Naudin à Paris, académie Colarossi. Rencontre Rossane Soskice, Rainer Maria Rilke, Élie Faure. 1914 Assistant du fresquiste Jean-Paul Laffitte ; premier voyage en Italie. Le 21 août, s’engage dans l’Infanterie ; le 15 novembre, évacué sur l’hôpital de Roanne.

en Asie mineure, avec Marthe qui tisse ses canevas et qu’il épouse le 15 décembre. 1925 Voyage en Espagne, au Maghreb ; rencontre Marie Cuttoli qui œuvre à la renaissance de la tapisserie. 1926 Interrompt ses voyages pour se consacrer à la peinture. 1923-1927 Voyage en Espagne, Afrique du Nord, Grèce, Asie mineure.

1915 Longue permission à Sens ; peint et dessine.

1927 Grand succès en tant que peintre ; divorce d’avec Marthe le 18 novembre.

1916 Blessé au bras le 3 mars, il est retiré du Front. Première exposition à la galerie Tanner (Zurich).

1928 Période de profond pessimisme. Expose à New York, Moscou, Berlin. Voyage en Grèce.

1917 Premiers canevas, tissés par sa mère et par Marthe Hennebert.

1929 Voyage au Maroc. Placé par la critique internationale au premier rang des peintres de sa génération.

1918 Voyage à Ischia et Pérouse. 1919 Voyage en Suisse avec Rilke et Jeanne Bucher. Découvre la poésie de Walt Whitman. 1920 Vit à Paris avec Marthe. Exposition à la Maison d’art alsacienne de Strasbourg. 1921 Décors théâtraux pour les Pitoëff. Séjour en Allemagne chez Walter Hasenclever. 1922 Deux expositions à Paris et premiers articles dans la presse parisienne.

1930-1931 Intense production picturale (environ deux cents toiles en deux ans). Expositions triomphales à Paris, Londres, New York, Philadelphie, Bruxelles, Berlin. Production de canevas tissés par Marthe. 1931 Le 12 mai, épouse Rossane, grand amour de sa vie et sculpteur de talent. 1932 Vit en Suisse avec Rossane et son fils, le petit Victor ; ne peint presque plus.

1923 Voyage en Espagne.

1933 Milite à Russie d’aujourd’hui, soutien du régime soviétique. Reçoit le prix Barnes à Philadelphie.

1924 Contrat avec le marchand d’art Étienne Bignou. Voyage au Maghreb, en Grèce,

1934 Voyage en Amérique, en Suisse, en Russie. Expose à Chicago, Philadelphie, Moscou, Kiev. 167



ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES Documents d’archives Angers, Archives municipales : le dossier, non coté, de l’acquisition du Chant du Monde ; les dossiers 1571 W 75 et 76 : acquisition, acceptation par la Ville (avec délibérations du Conseil municipal, correspondance, actes notariés) et mise en valeur (documents provenant de l’Action culturelle, 1967-1994) ; série R, dossier 86 Paris, villa Seurat : archives personnelles de Mme Simone Lurçat ; consultées du vivant de cette dernière, actuellement en classement

« Le Chant du Monde, Jean Lurçat », Le Courrier de l’Unesco, 1er novembre 1964 Collectif, Le Chant du Monde. Jean Lurçat, Marseille, Musée des Beaux-Arts – Palais Longchamp, 1965 Collectif, Hommage à Jean Lurçat : Le Chant du Monde, Le Havre, Nouveau Musée du Havre, 1966 Anonyme, « Angers possède et présente un nouveau trésor : Le Chant du Monde de Jean Lurçat », Angers, notre ville, 2, 1968

Abbaye d’En-Calcat : archives Suzanne Goubely

Jean-Pierre Laurent, « Le Chant du Monde », La Revue française, supplément au no 219, avril-mai 1969

Galerie Picaud, Aubusson : archives Raymond Picaud

Jean Lurçat, Le Chant du Monde, Angers, Angers, Siraudeau, 1980

Archives départementales de la Creuse : fonds Tabard

Françoise de Loisy, Jean Lurçat (1892-1966). Conquête de l’Espace, Musées d’Angers, 1996

Ouvrages Jean Lurçat, Le Travail dans la tapisserie du Moyen Âge, Genève, Pierre Cailler, 1947 Jean Lurçat, Le Bestiaire de la tapisserie du Moyen Âge, Genève, Pierre Cailler, 1947

Gérard Denizeau, L’Apocalypse de Jean Lurçat, le Verbe visualisé, Le Mans, CAJF, 2001 Bernhard Mensch, Der Gesang der Welt, Oberhausen, Ludwiggalerie Schloss, 2001

Monique Escat, Jean Lurçat, Le Grand Charnier, carton, Saint-Laurent-les-Tours, Jean Lurçat, Tapisserie française, Paris, Bordas, Conseil général du Lot, 2004 1947 Le Chant du Monde [brochure], Musées Denis Clavel, Jean Lurçat, les tapisseries d’Angers, Impr. Plot, 2011 du Chant du Monde, introduction de J. Lurçat, Sabine Gignoux, « Les deux Apocalypses Annecy, Gardet, 1963 d’Angers », La Croix, 25 janvier 2013 Préface Film Jean Lurçat, Défense et illustration d’une 1965, Le Chant du Monde de Jean Lurçat. tapisserie française vivante. Tapisserie de l’Apocalypse, Angers, Au masque d’or, 1955 Production : Roger Mercanton, Téléfilms Paris. Réalisation : Pierre Biro Articles et catalogues Martin Malvy, « Sur les murs d’un café souillaguais, Citations du Chant du Monde dans : le maître Jean Lurçat a repensé les douze signes Société des anglicistes de l’enseignement du Zodiaque », Sud-Ouest, 13 septembre 1960 supérieur, Raison et sur-raison, Paris, Didier, 1981 Jean Lurçat, « Le Chant du Monde », Les Lettres françaises, 1000, octobre 1964 Georges Boudaille, « Jean Lurçat a tissé dans la laine la grande menace de notre temps », Les Lettres françaises, 24-30 juillet 1964

Christopher Dingle, Nigel Simeone, Olivier Messiaen: Music, Art and Literature, Farnham, Ashgate, 2007 Élodie Kohler, Musée d’Annecy, 150 ans d’histoire des collections, Lyon, Lieux Dits, 2010

Juliette Darle, « L’épopée magistrale de Jean Lurçat », L’Humanité, 28 juillet 1964

Carole Bauguion (dir.), Rivages frontière tremplin tension, Paris, L’Harmattan, 2010

Jean-Pierre Farkas, « Jean Lurçat dénonce la grande menace de la bombe atomique », L’Humanité, 23 septembre 1964

Nicole Lucas et Vincent Marie, La Carte dans tous ses états, Paris, Le Manuscrit, 2011

Michel Faré et Jean Lurçat, Le Chant du Monde et œuvres récentes de Jean Lurçat, Annecy, Musée des Arts décoratifs, Gardet, 1964

À titre anecdotique : Dans la collection « Petit Futé », les titres Angers et Pays de la Loire proposent un bref descriptif 173



TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS D’ARIANE JAMES-SARAZIN

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REMERCIEMENTS

5

INTRODUCTION

6 6 6 7

Le poids du Livre Une thématique aux développements variés La force de la vision L’ŒUVRE : SOURCES, GENÈSE, ACCOMPLISSEMENT

L’Apocalypse d’Angers Le vivier de la poésie Rilke : l’intimité particulière La grandiloquence visionnaire de Whitman Mutations symboliques Un grand dessein inachevé Le rêve enfin réalisé d’une œuvre collective En marge du Chant du Monde Une épopée définitivement inachevée Au seuil de l’œuvre, le discours de l’artiste UN CHANT EN DIX STROPHES

La Grande Menace Le mirage de la catastrophe L’ Arche en eau trouble Un message ambigu L’Homme d’Hiroshima Le Grand Charnier Le faisceau d’influences lointaines La Fin de Tout L’Homme en gloire dans la Paix Entre Bien et Mal, Vie et Mort : les choix de l’homme L’Eau et le Feu Champagne Conquête de l’Espace Science et fiction Une œuvre éminemment textile La Poésie Une symbolique ordonnée, mais libre Le chaos vital contre la fatalité Ornamentos sagrados Un message sacré, au déchiffrage ambigu Le temps de la réhabilitation HISTORIQUE DE L’ACHAT DU CHANT DU MONDE PAR LA VILLE D’ANGERS

9 9 12 13 15 17 18 19 20 21 22 25 26 28 30 30 36 46 46 58 64 64 78 90 100 100 101 112 112 113 124 124 129

Une négociation longue et complexe La position de Simone Lurçat Premières tractations sous le signe de l’optimisme Querelles et incertitudes La solution de l’association La phase ultime des négociations L’œuvre en ses murs Un écrin à la mesure de l’œuvre, l’hôpital Saint-Jean Le Chant du Monde hors les murs d’Angers

139 139 139 141 144 145 147 150 152 153

LA QUESTION DES CARTONS

154

JEAN LURÇAT – REPÈRES BIOGRAPHIQUES

167

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

173



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