Coordination
Pour la coordination et le suivi photographique Philippe Ayrault, photographe, service Patrimoines et Inventaire, Région Île-de-France Pour la coordination et le suivi éditorial Emmanuelle Philippe, conservatrice du patrimoine, service Patrimoines et Inventaire, Région Île-de-France
Remerciements
Un remerciement particulier doit être adressé au général André Bourachot et à Arlette Auduc, qui a été à la tête du service Patrimoines et Inventaire de la Région Île-de-France durant neuf ans. Ils sont tous deux à l’origine de ce colloque et du présent ouvrage. Pour l’organisation du colloque : le général Christian Baptiste, directeur du musée de l’Armée ; Éric Goulouzelle, directeur général adjoint de l’Agence des espaces verts (AEV) d’Île-de-France ; Jean-Jacques Becker, professeur émérite de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense et président du comité scientifique du colloque ; Sophie de Moustier, chargée de mission valorisation, service Patrimoines et Inventaire, Région Île-de-France ; et tous les partenaires de cet événement : la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) du ministère de la Défense ; le Service historique de la Défense (SHD) ; l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD) ; le musée du Génie ; l’Agence des espaces verts (AEV) d’Île-de-France ; l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) de la Région Île-de-France ; l’Office national des forêts (ONF). Nous tenons enfin à remercier la Mission du centenaire qui, en labellisant ce projet, lui a apporté soutien et visibilité.
© Somogy éditions d’art, Paris, 2015 © Inventaire général, Paris, 2015 © Adagp, Paris, 2015 pour les photographies de Stéphane Asseline, Philippe Ayrault, Laurent Kruszyk et Jean-Bernard Vialles ISBN 978-2-7572-0967-7 Dépôt légal : septembre 2015 Imprimé en Italie (Union européenne)
Le camp retranché de Paris Actes du colloque régional 9-10 octobre 2014
Sommaire Préface Jean-Paul Huchon Préface Jean-Jacques Becker
7 9
Journée du 9 octobre 2014 – matin
La genèse du camp retranché de Paris
11
Présidence de séance Henri Ortholan
La défense de Paris au xixe siècle, le siège de Paris en 1870-1871 Marie-France Sardain
13
Pourquoi le camp retranché ? Origines, rôles et évolutions Christophe Pommier
21
Pouvoir civil et pouvoir militaire en France pendant la Grande Guerre (juillet 1914-fin 1915) Jean-Jacques Becker
31
Le gouverneur militaire de Paris : du général Michel au général Gallieni Colonel (H) Gérard Bieuville
39
Journée du 9 octobre 2014 – après-midi
Organisation et fonctionnement du camp retranché de Paris
47
Présidence de séance Jean-Paul Amat
La description du camp retranché de Paris en août 1914 Général de corps d’armée (2S) André Bourachot et Alain Senée
49
La mise en état de défense du camp retranché de Paris Colonel (ER) Henri Ortholan
59
Poincaré en 1914 et en 1918 : le gouvernement doit-il quitter ou ne pas quitter Paris ? François Lagrange
71
Journée du 10 octobre 2014 – matin
Le camp retranché de Paris dans le territoire de l’Île-de-France Présidence de séance Alexandre Lafon
81
L’apport de l’archéologie et du LIDAR dans la découverte du camp retranché de Paris Cécile Dardignac et Sophie David
83
Place et rôle des forêts dans la défense du camp retranché de Paris Jean-Paul Amat et Guillaume Benaily
99
Le fort de Cormeilles-en-Parisis dans le camp retranché de Paris durant la Grande Guerre Emmanuelle Philippe
123
Le camp retranché de Paris et l’agglomération francilienne, « de l’oubli à la mémoire retrouvée » Philippe Montillet
135
Journée du 10 octobre 2014 – après-midi
Camp retranché de Paris, société et guerre
153
Présidence de séance François Lagrange
Les départs de la population parisienne face à la menace allemande en 1914 et en 1918 Philippe Nivet
155
Les Allemands face au camp retranché de Paris en 1914 Gerd Krumeich
167
Paris et son armée dans la bataille de la Marne Lieutenant-colonel Christophe Gué
175
Les transformations du camp retranché sous l’action du général Dubail, aperçu de son évolution ultérieure jusqu’en 1940 Général de corps d’armée (2S) André Bourachot
185
Mémoires et histoire du camp retranché de Paris : transmettre aux jeunes générations Alexandre Lafon
195
Conclusion
211
Clôture
215
Jean-Jacques Becker
Général d’armée (2S) Elrick Irastorza
Préface
D
Vanves (92). Salle des fêtes de la mairie, peinture murale intitulée Pro Patria représentant un fort.
ans le cadre des commémorations organisées pour célébrer le centenaire de la Grande Guerre (2014-2020), la Région – au titre de l’action menée sur la compétence relative aux Patrimoines et à l’Inventaire – a été sollicitée pour s’associer à un projet sur le camp retranché de Paris. Entre août 1914 et septembre 1915, ce sont plus de 350 kilomètres de structures militaires (réseau de tranchées, abris et positions de tir reliés par d’étroites voies ferrées) qui ont été aménagés dans toute l’Île-de-France pour assurer la protection de la capitale. De ce vaste dispositif ne subsiste plus que 30 % environ, essentiellement en milieu forestier. Si ce camp retranché a déjà été étudié sous son aspect historique et militaire, ses vestiges, rares et ténus, commencent à peine, grâce au travail des archéologues, à être mis au jour – en particulier dans les forêts régionales, comme celles des buttes du Parisis, en Val-d’Oise, ou de Ferrières, en Seine-et-Marne. Et c’est là l’un des mérites de ce colloque, labellisé par la Mission du Centenaire : avoir permis de prendre la mesure de son empreinte, passée et actuelle, sur le territoire francilien. Les limites du camp retranché de Paris recouvrent de nos jours une partie des secteurs clefs du Schéma directeur de la Région Île-deFrance (SDRIF), aux franges de l’agglomération ou encore en ceinture verte. Elles coïncident avec des lieux aujourd’hui confrontés à la question des fronts urbains ou à celle de la préservation des espaces naturels, forestiers ou agricoles. Des lieux « périphériques », « d’entre deux », où la valorisation de ces vestiges pourrait contribuer aux projets d’aménagement, grâce à une meilleure connaissance de leur histoire et de leur identité. La commémoration s’incarne et prend ainsi une tout autre dimension puisqu’elle rejoint ici l’une de nos missions fondamentales : aménager la métropole francilienne et penser son avenir. Jean-Paul HUCHON Président du conseil régional d’Île-de-France 7
Préface
C
Montlignon (95). Entrée du fort.
urieuse idée, à première vue, de s’intéresser au camp retranché de Paris pendant la Grande Guerre, car si les Allemands s’en sont approchés à deux reprises en 1914 et en 1918, ils n’ont jamais pu y pénétrer. Curieuse idée ? Pour un homme de ma génération, Paris dans la guerre, c’est d’abord le siège de Paris pendant la guerre de 1870, que je n’ai évidemment pas vécu, mais qui, dans mon enfance, tenait une grande place dans le récit historique. C’est ensuite la décision, en 1940, de ne pas défendre Paris. Elle est restée dans les mémoires comme la manifestation d’un véritable écroulement national. Le camp retranché de Paris pendant la Grande Guerre, c’est tout autre chose, il fut un des symboles de la France en guerre. Pour 1914, il suffit de rappeler ce que le général Gallieni avait proclamé, après avoir été nommé le 26 août gouverneur militaire de Paris, en remplacement du général Michel : « J’ai reçu mandat de défendre Paris contre l’envahisseur. Ce mandat, je le remplirai jusqu’au bout. » Pour qui connaissait Gallieni, ce n’était pas une parole de circonstance, il l’aurait évidemment fait. La fermeté du gouverneur de Paris fut d’autant plus importante que la population parisienne, du moins une part notable, affolée par la crainte d’un siège, fuyait en masse : les gares étaient prises d’assaut. Le commandement allemand préféra – ou n’eut pas les moyens de faire autrement – éviter le siège de Paris. Quand elles approchèrent de la capitale, les forces allemandes obliquèrent vers le sud-est, et ce fut la bataille de la Marne. Qui a vu le premier la possibilité de les attaquer sur leur flanc droit à partir de Paris, Joffre ou Gallieni ? On ne le saura vraiment jamais. En tout cas, les taxis de la Marne devaient illustrer la décision, « une idée de civil » grommela Gallieni qui en récolta pourtant la gloire. Les quelques milliers d’hommes que transportèrent les taxis parisiens ne changèrent pas le sort de la bataille, mais ils sont restés aussi un symbole de la volonté de se battre jusqu’au bout. Une deuxième fois, pendant la Grande Guerre, en 1918, Paris fut menacé et surtout bombardé par les avions allemands – les Gotha – et par des canons géants installés loin au nord de Paris, baptisés par ses habitants la « Grosse Bertha ». Là encore, le moral des Parisiens fut ébranlé. Puis-je raconter un souvenir familial ? Mon père, jeune soldat, arrivé du front, est alors en permission, il refuse de descendre à la cave, comme l’en suppliait sa mère, ma grand-mère. C’est encore là un exemple de la fermeté des soldats, en même temps que se manifestait celle des pouvoirs publics, alors personnifiés par Clemenceau. Est-ce donc exagéré de dire que Paris et son camp retranché pendant la Grande Guerre furent les symboles de la France en guerre, d’une France qui, au prix d’épouvantables sacrifices, n’allait jamais abandonner ? Alors lui consacrer un grand colloque, c’est, tant au plan historique qu’à celui de la mémoire, une idée forte. Jean-Jacques BECKER 9
Intervenants Marie-France SARDAIN, docteure en histoire contemporaine Christophe POMMIER, assistant de conservation au département Artillerie du musée de l’Armée, doctorant en Histoire des techniques à l’université Paris-Sorbonne, enseignant à l’École du Louvre dans le cours de spécialité « Patrimoine et archéologie militaires » Jean-Jacques BECKER, professeur émérite de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, président d’honneur du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, président du comité scientifique du colloque sur le camp retranché de Paris Colonel (H) Gérard BIEUVILLE, chargé de mission au musée de l’Armée, vice-président de la Société des amis du musée de l’Armée (SAMA)
Journée du 9 octobre 2014 – matin
La genèse du camp retranché de Paris Présidence de séance Henri Ortholan
La défense de Paris au xixe siècle, le siège de Paris en 1870-1871
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Pourquoi le camp retranché ? Origines, rôles et évolutions
21
Pouvoir civil et pouvoir militaire en France pendant la Grande Guerre (juillet 1914-fin 1915)
31
Le gouverneur militaire de Paris : du général Michel au général Gallieni
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Marie-France Sardain Christophe Pommier
Jean-Jacques Becker
Colonel (H) Gérard Bieuville
La défense de Paris au xixe siècle, le siège de Paris en 1870-1871 Marie-France Sardain docteure en histoire contemporaine
N
Vincennes (94). Les fours du fort avec les paniers remplis de pâte (1915).
ous sommes en 1814, l’année de l’invasion. Les troupes russes, autrichiennes et allemandes abordent le nord de Paris. Les fortifications se résument aux barrières fiscales non terminées construites par Ledoux en 1785. Napoléon veut faire de Paris une place forte et il donne des directives au général Clarke, ministre de la Guerre, et à son frère le roi Joseph. Il dispose de 40 000 hommes. La garde nationale aurait constitué une force réelle (environ 100 000 hommes) si le recrutement avait été moins sélectif mais Napoléon hésita à armer ceux qui avaient vécu la Révolution. L’armée coalisée réunit 110 000 hommes. À l’approche des colonnes alliées, les travaux commencent par les redoutes de Montmartre et de Romainville, les barricades du Pré-Saint-Gervais, Pantin, Charonne et Aubervilliers. Les hauteurs qui dominent le nord de la capitale ne sont défendues par aucun ouvrage de campagne. Vincennes renfermait 700 bouches à feu : c’est plus que l’on ne pouvait en utiliser. Au final, les faubourgs ne sont pas fortifiés car les travaux, entrepris tardivement, se limitent à de faibles retranchements. Napoléon ne voulait pas alarmer la population parisienne, le vainqueur de l’Europe n’était pas réduit à craindre le pire pour la capitale de son empire. Les Alliés font leur entrée dans Paris le 31 mars 1814 par la porte de Pantin après de violents combats et la résistance de Moncey à la barrière de Clichy, de Marmont au plateau de Romainville-Belleville et Mortier à Pantin et La Chapelle. Le premier traité de Paris, le 30 mai 1814, coûte à la France ses frontières acquises pendant la Révolution. Mais la chute de l’Empire n’est pas définitive. Dès le 26 février 1815, Napoléon quitte l’île d’Elbe, débarque à Golfe-Juan et fait son entrée dans Paris. Triomphe de courte durée nommé les Cent Jours, de mars à juin 1815, pendant lesquels Napoléon ordonna au maréchal Davout, ministre de la Guerre, d’entreprendre la mise en œuvre de la défense de Paris sur les collines de Montmartre, de Ménilmontant, des Buttes-Chaumont, de Belleville et de Charonne, correspondant aux zones d’attaque de 1814. Les généraux Haxo et Rogniat dirigent la construction du système de défense de la capitale. 13
Pourquoi le camp retranché ? Origines, rôles et évolutions Christophe Pommier assistant de conservation au département Artillerie du musée de l’Armée, doctorant en Histoire des techniques à l’université Paris-Sorbonne, enseignant à l’École du Louvre dans le cours de spécialité « Patrimoine et archéologie militaires »
E
Paris (75). Mitrailleuse installée sur la tour Eiffel pour la défense antiaérienne de la capitale (26 juillet 1915).
n France, après la défaite de 1871, le comité de défense doit décider de l’orientation à donner en matière de fortification, notamment en ce qui concerne la défense à mettre en œuvre pour assurer la sécurité des frontières, redessinées par le traité de Francfort. Celles-ci, quasiment vierges d’ouvrages de défense, ne présentent pas une géographie capable de retarder une offensive ennemie et sont impropres à protéger la concentration des armées françaises. Cette volonté de modernisation du système défensif prend place au sein d’une réforme globale de l’armée, tant sur le plan organisationnel1 – institution du service militaire obligatoire (1872), création du Conseil supérieur de la guerre (1872) puis des régions militaires (1873), renouvellement des fortifications (1874), définition de plans de mobilisation et de concentration (1875) et création de l’École supérieure de guerre (1876) – que sur le plan matériel2 : adoption du fusil d’infanterie Gras (1874) et du système d’artillerie de Bange (1877). Le système de défense doit également être modernisé pour une raison technique : la fortification bastionnée en pierre et terre héritée de l’Ancien Régime a été rendue obsolète par l’emploi d’une artillerie rayée et à chargement par la culasse tirant des obus oblongs explosifs. S’impose une refonte en profondeur de la fortification française, tout en demeurant fidèle aux principes d’une organisation défensive permanente : compenser un rapport de force défavorable et faciliter la concentration des troupes en cas de guerre. Quels sont les principes généraux de ce nouveau système de défense et d’où sont-ils issus ? Comment a-t-il évolué entre 1874 et 1914 ? 21
Pouvoir civil et pouvoir militaire en France pendant la Grande Guerre (juillet 1914-fin 1915) Jean-Jacques Becker professeur émérite de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, président d’honneur du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, président du comité scientifique du colloque sur le camp retranché de Paris
A
Paris (75). La protection des œuvres d’art aux Tuileries (1918).
près que l’Allemagne eut déclaré la guerre à la France le 3 août 1914, le commandement appliqua immédiatement le plan Schlieffen. Il prévoyait que l’armée allemande opérerait un vaste mouvement tournant par la Belgique. Chef du grand état-major de 1891 à 1906, Alfred von Schlieffen (il était mort en 1913) avait été remplacé par Helmuth von Moltke, le neveu du vainqueur de 1870. Lorsqu’il avait pris ses fonctions en 1906, il n’avait, en apparence, que très peu modifié le plan de son prédécesseur, encore qu’en affaiblissant l’aile droite du dispositif, il en avait compromis l’efficacité. Le plan prévoyait d’éliminer l’armée française en environ quatre semaines, avant de se retourner toutes forces réunies contre la Russie, dont l’opinion publique craignait la puissance militaire et – cela reste un mystère – le commandement allemand aussi ! Ceci explique que, lorsque l’empereur Guillaume II s’était étonné de l’attaque contre la France qui n’était pour rien dans la crise balkanique d’où sortait la guerre, l’état-major lui avait rétorqué qu’il n’était pas possible de modifier un plan où, si l’adversaire principal était la Russie, la France était son alliée. Des élections générales avaient eu lieu en France le 26 avril et le 10 mai 1914. Si les chiffres des électorats n’avaient pas bougé de façon importante, elles avaient pourtant donné le sentiment d’un succès de la gauche, surtout grâce à la progression des socialistes qui gagnaient une trentaine de sièges, alors que la droite perdait un peu plus de 4 % des voix. Ces élections avaient eu comme thème principal la durée du service militaire, porté de deux à trois ans l’année précédente, ce qui avait donné lieu à un débat passionné. Les socialistes en avaient été les adversaires les plus convaincus. Au total, néanmoins, les partisans des trois ans représentaient à peu près 55 % des votants et leurs adversaires un peu moins de 44 %. Si les Français 31
Le gouverneur militaire de Paris : du général Michel au général Gallieni
Colonel (H) Gérard Bieuville chargé de mission au musée de l’Armée, vice-président de la Société des amis du musée de l’Armée (SAMA)
L
e Bulletin des communes avait pour objet de porter à la connaissance de tous les habitants, par voie d’affichage, les faits essentiels survenus chaque jour. Celui du 27 août 1914 est ainsi rédigé :
Bulletin des communes Le 27 août 1914. Aujourd’hui paraît au journal officiel un décret, nommant le général Gallieni commandant de l’armée de Paris et gouverneur militaire. Avec une admirable abnégation, le général Michel a demandé un commandement sous les ordres du chef éminent qu’est le général Gallieni. Le préfet de l’Eure Armand Bernard.
Le récit des événements par Gallieni est d’une allure tout à fait différente :
Torcy (77). Les ouvrages de défense (1915).
26 août 1914 à dix heures, je suis appelé chez le Ministre qui m’annonce que c’est décidé : je suis nommé commandant du camp retranché et des armées de Paris. « Tâche formidable ! » ajoute-t-il en m’embrassant. Retour à deux heures. Je trouve Michel dans l’antichambre. Il me serre la main, mais nous parlons peu. Chez le Ministre : devant moi, il lui annonce la chose en la motivant par le fait que j’ai toujours ma lettre de commandement pour remplacer Joffre. Michel s’insurge, refuse. Le Ministre se fâche, Michel refuse encore, demande à passer en Conseil de guerre. Messimy menace de le faire conduire à la prison du Cherche-Midi ; et il me laisse seul avec lui. Mais Viviani arrive et s’efforce d’arranger les choses. Bref, Michel accepte de commander le secteur sud de Paris. À trois heures et demie, Michel me remet le service. 39
Intervenants Général de corps d’armée (2S) André BOURACHOT, vice-président du musée du Génie d’Angers Alain SENÉE, archéologue Colonel (ER) Henri ORTHOLAN, docteur en histoire, ancien conservateur au musée de l’Armée François LAGRANGE, chef de la Division de la recherche historique, de l’action pédagogique et des médiations du musée de l’Armée
Journée du 9 octobre 2014 – après-midi
Organisation et fonctionnement du camp retranché de Paris Présidence de séance Jean-Paul Amat
La description du camp retranché de Paris en août 1914
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La mise en état de défense du camp retranché de Paris
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Poincaré en 1914 et en 1918 : le gouvernement doit-il quitter ou ne pas quitter Paris ?
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Général de corps d’armée (2S) André Bourachot et Alain Senée Colonel (ER) Henri Ortholan
François Lagrange
La description du camp retranché de Paris en août 1914 Général de corps d’armée (2S) André Bourachot vice-président du musée du Génie d’Angers
Alain Senée archéologueAlain SENÉE, archéologue
L’état des lieux avant le conflit
M
Paris (75). Tranchée, porte de Châtillon (1915).
algré l’élaboration d’un plan de défense, le camp retranché de Paris au premier jour de la mobilisation, le 2 août 1914, est encore une coquille vide. Seules existent les fortifications constituant les trois ceintures fortifiées léguées par les soixante-dix années précédentes : l’enceinte continue de Thiers, la ceinture de forts détachés construite au même moment et enfin la nouvelle ceinture de forts due à Séré de Rivières, cette dernière étant accompagnée d’un certain nombre de petits ouvrages, notamment à l’ouest de Paris – au total, un ensemble impressionnant, ainsi qu’en témoigne la carte page suivante. Depuis l’achèvement de ces fortifications dans les années 1880, rien de nouveau n’a été entrepris ; pire, par suite des demandes réitérées de la ville de Paris, dès 1882, on a beaucoup étudié le déclassement plus ou moins total de l’enceinte continue, avec en compensation des projets de renforcement des ouvrages restants, surtout la ceinture de forts Séré de Rivières. Les militaires de l’époque ont toujours été très réticents à abandonner l’enceinte et ont, avec constance, demandé sa reconstitution plus au large, si les projets de déclassement étaient avalisés. Alors que ce qu’on appelait la « zone », espace non aedificandi de 250 mètres de large, faisait l’objet d’une contestation de plus en plus vive dans l’opinion publique, les militaires continuaient à n’envisager la reconstitution d’une nouvelle enceinte qu’accompagnée de sa zone de sûreté ! On verra sur les deux plans joints un des projets datant de 1895, qui se limitait à reconstituer une enceinte allant du fort d’Aubervilliers au Point-du-Jour, enceinte plus légère, bordant la Seine et faisant dans le jargon de la fortification une « chemise de sûreté ». À plusieurs reprises, l’avis du Conseil supérieur de 49
La mise en état de défense du camp retranché de Paris Colonel (ER) Henri Ortholan docteur en histoire, ancien conservateur au musée de l’Armée
A
u moment de l’entrée en guerre de début août 1914, il existait donc un plan de défense de la capitale, certes imparfait et à peine validé, mais donnant les grandes lignes des travaux à réaliser. L’état de siège est proclamé le 31 juillet pour Paris, avec pour effet de subordonner l’autorité civile (préfet de police et préfet de la Seine) à l’autorité militaire. Pour l’ensemble du territoire national, il est proclamé le 2 août, premier jour de la mobilisation. À la mobilisation, le général Michel, gouverneur militaire de Paris (GMP), prend le titre de « commandant supérieur de la défense du groupe des places de Paris ». Dès sa prise de fonction, il réunit quotidiennement tous ses grands subordonnés pour un rapport d’état-major.
Les travaux à exécuter
Aubervilliers (93). Vue du fort (12 août 1915).
Il existait déjà deux ceintures fortifiées autour de Paris, celle des années 1840, connue sous le nom de « ceinture Thiers », et celle réalisée à partir de 1874 sous l’égide du général Séré de Rivières, alors directeur du service du Génie ; or il s’avère que l’emprise du camp retranché de Paris (CRP) en août 1914 va bien au-delà de la seule ceinture Séré de Rivières pourtant déjà vaste. Le CRP s’étend à l’ouest au-delà de la forêt de Marly, sur le plateau des Alluets, et sur le plateau de l’Authie, au-delà de celle de Saint-Germain, rive gauche de la Seine. Au nord de la capitale, le CRP englobe la forêt de Montmorency, par Pontoise, Écouen, Montmorency et Gonesse. À l’est, le tracé va au-delà de Lagny, frôle la lisière de la forêt d’Armainvilliers et se rabat derrière Brie-Comte-Robert et Brunoy. Au sud, le tracé du CRP suit à peu près celui de la ceinture Séré de Rivières, par Juvisy, Longjumeau et Chevreuse. Le tout représente un développement de près de 200 kilomètres. 59
Poincaré en 1914 et en 1918 : le gouvernement doit-il quitter ou ne pas quitter Paris ? François Lagrange chef de la Division de la recherche historique, de l’action pédagogique et des médiations du musée de l’Armée
C
Paris (75). Protection contre avions. Poste des Champs-Élysées, près du Grand Palais (1918).
e qui touche à Paris, capitale administrative et politique de la France, dans un contexte séculairement centralisateur, acquiert automatiquement une importance considérable1. La question du départ de Paris du gouvernement, effective en 1914, envisagée à deux reprises et finalement deux fois écartée en 1918, en constitue un excellent exemple. Or il est possible d’en suivre les enjeux politico-stratégiques grâce à Raymond Poincaré, président de la République2, qui présente un double avantage. D’une part, il est la seule personnalité du pouvoir exécutif à être demeurée en poste durant tout le conflit, du fait de la longévité du mandat présidentiel ; d’autre part, il a laissé des souvenirs qui, de par leur régularité et leur richesse, sont un témoignage exceptionnel : sept des onze volumes de ses souvenirs portent sur la période de la Première Guerre mondiale3 (et huit des onze cahiers de notes journalières ayant servi à la rédaction desdits souvenirs4). Leur exploitation, avec la prudence critique adéquate5 et en les recoupant par d’autres sources, donne d’intéressants résultats. Il convient enfin de rappeler que les pouvoirs du président de la IIIe République sont, depuis 1877, relativement limités. La présidence est une instance d’influence (laquelle varie selon les circonstances et les personnalités) et non de décision (sauf, jusqu’à un certain point, pour la désignation du président du Conseil, véritable tête de l’exécutif 6).
71
Intervenants Cécile DARDIGNAC, archéologue à l’Office national des forêts (ONF) Sophie DAVID, archéologue et géomaticienne à l’Office national des forêts (ONF) Jean-Paul AMAT, professeur émérite de l’université Paris-Sorbonne Guillaume BENAILY, archéologue à l’Office national des forêts (ONF) Emmanuelle PHILIPPE, conservatrice du patrimoine, service Patrimoines et Inventaire, Région Île-de-France Philippe MONTILLET, directeur du département Information, documentation, mémoire de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région Île-de-France (IAU-îdF)
Journée du 10 octobre 2014 – matin
Le camp retranché de Paris dans le territoire de l’Île-de-France Présidence de séance Alexandre Lafon
L’apport de l’archéologie et du LIDAR dans la découverte du camp retranché de Paris
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Place et rôle des forêts dans la défense du camp retranché de Paris
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Le fort de Cormeilles-en-Parisis dans le camp retranché de Paris durant la Grande Guerre
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Le camp retranché de Paris et l’agglomération francilienne, « de l’oubli à la mémoire retrouvée »
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Cécile Dardignac et Sophie David
Jean-Paul Amat et Guillaume Benaily
Emmanuelle Philippe
Philippe Montillet
L’apport de l’archéologie et du LIDAR dans la découverte du camp retranché de Paris Cécile Dardignac archéologue à l’Office national des forêts (ONF)
Sophie David archéologue et géomaticienne à l’Office national des forêts (ONF)
C’
est en 2006, avec la découverte de vestiges de tranchées en forêt domaniale de Sénart (77, 91) par Alain Senée (Société d’art, histoire et archéologie de la vallée de l’Yerres), que le voile a commencé à se lever sur le camp retranché de Paris. Suite à cette découverte, l’Office national des forêts (ONF) a organisé une exposition, des animations destinées aux scolaires et une publication (Gauvry, 2008) qui ont permis au public de découvrir sur Sénart une partie des vestiges des fortifications édifiées pour défendre la capitale à la veille de la Première Guerre mondiale. Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Grande Guerre, l’ONF a souhaité étendre ce travail initié sur le camp retranché de Paris à l’ensemble du territoire francilien. Les recherches en archives ont été poursuivies, aussi bien sur les sources écrites qu’iconographiques et photographiques. Pour compléter ces données, une campagne de prospections archéologiques a été entreprise afin de vérifier sur le terrain l’ensemble des vestiges liés au camp retranché de Paris conservés dans les forêts domaniales d’Île-de-France.
Où se trouvent les vestiges du CRP en forêt ?
Signy-Signets (77). La batterie des Vaseliers (août 1915).
De nombreuses cartes établies à partir d’août 1914 représentent le camp retranché de Paris (CRP). Deux d’entre elles ont été retenues et utilisées pour la recherche sur le terrain des ouvrages liés au CRP. La première, conservée au Service historique de la défense (SHD), est une carte d’état-major (relevés 1901, éditée en 1906) au 1/50 000e sur laquelle ont été dessinés les éléments du CRP. Elle est composée de neuf feuilles, et les 83
Place et rôle des forêts dans la défense du camp retranché de Paris Jean-Paul Amat professeur émérite de l’université Paris-Sorbonne
Guillaume Benaily archéologue à l’Office national des forêts (ONF)
La forêt, composante du camp retranché de Paris, 1871-1914 Jean-Paul Amat
L
Frépillon (95). Poste d’écoute (1915).
es forêts sont « des zones à part, plus ou moins pénétrables et offrant au défenseur aussi bien qu’à l’assaillant des opportunités d’action qui seront toujours recherchées ou... redoutées1 ». L’auteur souligne ainsi l’ambivalence du monde forestier, qui est autant un espace, défini par une surface, un périmètre, une géométrie, une morphométrie, une insertion dans un environnement non boisé, qu’un milieu, marqué par substrat et sol, relief et modelés, espèces végétales, type et densité du boisement... Brossant, au début du xxe siècle, un tableau de la géographie de la France, Paul Vidal de La Blache entame ainsi la description du site de Paris : « Entre les forêts qui occupent les sables des hauteurs et les graviers qu’enserrent autour de Paris les bras fluviaux, on distingue des intervalles qui ont toujours été découverts, ensoleillés, plus ou moins à l’abri des inondations2 ». Hauteurs, intervalles, découverts, trois caractéristiques des paysages de la région parisienne à forte portée militaire, qu’il fallut, durant le xixe siècle, contrôler, aménager, intégrer dans un programme de défense... et dans le contexte d’un puissant dynamisme territorial, d’ordre démographique, urbain, viaire. Au début du xxe siècle, les forêts d’Île-de-France appartiennent encore au monde rural. « Ce pays [la région parisienne] garda longtemps, grâce aux abondantes forêts qui l’entourent presque, le pénètrent même par endroits, une 99
La forêt, acteur de la défense de Paris, 1914 Guillaume Benaily
Les aménagements militaires en sous-bois
À
la mobilisation du 2 août 1914, le dernier plan de défense de Paris, conçu par le général Michel, gouverneur militaire de Paris, et arrêté le 10 juillet 1914, est mis en application. Ce plan prévoit de créer, au-delà des deux premières lignes de forts, deux lignes de fortifications : « une ligne principale », composée de centres de résistance protégés par des tranchées, des lisières de bois (peuplements de taillis et de taillis sous futaie) et des abattis ; « une ligne avancée », implantée au-devant de cette ligne principale, organisée autour de positions défensives composées d’ouvrages dits « du moment ». Ce nouveau camp retranché de Paris (CRP), qui s’étend sur un rayon de plus de 30 kilomètres autour la capitale en septembre 1914 intègre de grands espaces boisés (forêts et parcs) d’Île-de-France. Dans ces parcs, petits bois, massifs forestiers ou simples buttes arborées, le génie aménage à partir d’août 1914, avec l’aide de l’infanterie territoriale, d’importants ouvrages militaires : batteries de canons, magasins d’artillerie, abris et tranchées, reliés par un maillage de voies ferrées de 60.
Les incidences des aménagements sur le couvert forestier L’établissement de positions avancées en milieu boisé nécessite de dégager les champs de tir. Les déboisements portent sur environ 600 mètres au-devant de ces positions et des crêtes de feu des forts Séré de Rivières. Les travaux sont considérables. Sur l’ensemble du camp retranché de Paris, on prévoit 2 400 hectares de déboisement.
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page ci-contre
Parc de Croissy-Beaubourg (77). Canons de 155 millimètres de long (1915). Bois-Corbon, massif forestier de Montmorency (95). Magasin à poudre et sa voie de 60 (1915). Champlan (91). Abris sur la Butte Chaumont (1915). Coupe stratégique dans l’est de la forêt de Sénart, été 1915. En limite des tranchées en élévation (vaguement perceptible derrière les soldats de l’infanterie territoriale), on perçoit nettement le déboisement réalisé et les quelques jeunes chênes conservés.
le camp retranché de paris dans le territoire de l’île-de-france Place et rôle des forêts dans la défense du camp retranché de Paris
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Le fort de Cormeilles-en-Parisis dans le camp retranché de Paris durant la Grande Guerre Emmanuelle Philippe conservatrice du patrimoine, service Patrimoines et Inventaire, Région Île-de-France
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Sannois (95). Observatoire installé au sommet du Moulin (1915).
itué à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Paris, dans le département du Val-d’Oise, le fort de Cormeilles se trouve au cœur de l’un des chaînons majeurs de la ceinture verte de l’Île-de-France : le domaine régional des buttes du Parisis, massif boisé qui s’étend entre la vallée de la Seine et la forêt de Montmorency. Il occupe le sommet de la butte-témoin de Cormeilles, qui culmine à près de 170 mètres au-dessus de la commune éponyme. Ce joyau de l’architecture militaire appartient à la seconde couronne de forts érigés sous l’égide du général Séré de Rivières pour défendre Paris après la « terrible1 » défaite de 1871. Classé dans la catégorie des ouvrages « de première urgence » à bâtir immédiatement après la promulgation de la loi du 27 mars 18742, il est considéré comme prioritaire car il doit remplir une triple mission : protéger la route de Paris à Rouen3, interdire l’accès aux quatre voies ferrées reliant Poissy, ConflansSainte-Honorine, Pontoise et L’Isle-Adam à la capitale et contrôler la plaine d’Argenteuil, zone de cultures maraîchères indispensable dans le cas d’un nouveau siège. En raison de cette importance stratégique, le fort de Cormeilles est le premier à être achevé dans le secteur nord, ou « chefferie de Saint-Denis ». Malgré la difficulté à acheminer les matériaux de gros-œuvre sur le site4, il est érigé entre juillet 1874 et décembre 1877. Remarquable par son emprise (11 hectares) et sa capacité (il est prévu pour loger 1 096 soldats), il l’est également par le « luxe ornemental exceptionnel5 » de certains de ses bâtiments. Sa caserne des officiers, en particulier, se distingue par un riche décor sculpté et des jeux de polychromie qui détonnent dans une architecture éminemment fonctionnelle. La puissance de feu de l’ouvrage n’en est en rien diminuée : affectant la forme d’un trapèze irrégulier, le fort de Cormeilles est flanqué d’ouest en est de six batteries et d’une redoute6, déployées le long d’une route stratégique (l’actuelle départementale 222) qui 123
Le camp retranché de Paris et l’agglomération francilienne, « de l’oubli à la mémoire retrouvée » Philippe Montillet directeur du département Information, documentation, mémoire de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région Île-de-France (IAU-îdF)
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Paris (75). Tranchées à la porte de la Chapelle (27 juillet 1915).
oursuivant l’étude du camp retranché de Paris par rapport à l’Île-de-France, cette communication aura une approche plus large, en le replaçant dans le cadre de l’évolution qu’a connue l’agglomération parisienne depuis les débuts de la Première Guerre mondiale et son incidence sur le patrimoine particulier du CRP. Elle est basée sur la similitude entre la troisième ligne de défense telle qu’elle se voit sur la carte du camp retranché (1915) exhumée des archives du ministère de la Défense1 et la limite de l’agglomération actuelle. Cette similitude ne pouvait qu’interpeller. D’autant que les urbanistes savent que les années d’immédiat avant-guerre sont aussi celles des premiers travaux de planification régionale2. Pouvait-on voir une quelconque analogie entre la planification urbaine et la planification stratégique ? Les premiers sondages en ce sens n’ont pas permis de poursuivre plus avant. En effet, il y avait d’emblée une très forte différence entre le plan militaire et la manière dont l’Île-de-France avait vu sa tache agglomérée s’étendre. Dans le premier cas, il y avait un vrai plan, dans le second trop de place avait été laissée aux opportunités. Malgré les importants travaux de planification (PARP, puis PADOG, SDAURP, SDAURIF et SDRIF), la maîtrise de l’occupation du sol n’était pas aussi « planifiée » que ce que pouvaient obtenir les militaires. Fallait-il s’arrêter ? Et n’évoquer qu’une coïncidence ? Non ! La question méritait d’être traitée plus en profondeur et l’analyse des militaires et des historiens complétée par un regard d’urbaniste, c’est-à-dire en étudiant le CRP non pour lui-même mais comme un élément du développement de 135
colloque le camp retranchĂŠ de paris
Poste de mitrailleuse en forĂŞt domaniale de SĂŠnart (77, 91).
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le camp retranché de paris dans le territoire de l’île-de-france
L’apport de l’archéologie et du LIDAR dans la découverte du camp retranché de Paris
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Intervenants Philippe NIVET, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Picardie, Centre d’histoire des sociétés, des sciences et des conflits Gerd KRUMEICH, professeur émérite de l’université Heinrich Heine de Düsseldorf Lieutenant-colonel Christophe GUÉ, Service historique de la Défense, officier adjoint du département de la Recherche des études et de l’Enseignement et chef de la division armée de terre Général de corps d’armée (2S) André BOURACHOT, vice-président du musée du Génie d’Angers Alexandre LAFON, docteur en histoire contemporaine, conseiller pour l’action pédagogique de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale
Journée du 10 octobre 2014 – après-midi
Camp retranché de Paris, société et guerre Présidence de séance François Lagrange
Les départs de la population parisienne face à la menace allemande en 1914 et en 1918
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Les Allemands face au camp retranché de Paris en 1914
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Paris et son armée dans la bataille de la Marne
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Les transformations du camp retranché sous l’action du général Dubail, aperçu de son évolution ultérieure jusqu’en 1940
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Mémoires et histoire du camp retranché de Paris : transmettre aux jeunes générations
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Philippe Nivet
Gerd Krumeich
Lieutenant-colonel Christophe Gué
Général de corps d’armée (2S) André Bourachot
Alexandre Lafon
Les départs de la population parisienne face à la menace allemande en 1914 et en 1918 Philippe Nivet professeur d’histoire contemporaine à l’université de Picardie, Centre d’histoire des sociétés, des sciences et des conflits
À
l’été 1914 comme au printemps 1918, les offensives allemandes provoquent le départ de nombreux Français du nord et de l’est, qui redoutent les actions des envahisseurs et colportent le récit des atrocités. La menace pèse également sur la capitale et sa banlieue, intégrées dans le camp retranché de Paris. De nombreux habitants, à leur tour, prennent le chemin de l’exil. Quels ont été les éléments déclencheurs des départs ? Comment se sont-ils effectués ? Comment les Parisiens ont-ils pu se loger dans les villes de province ? Quels ont été les rythmes de retour ? Quel regard a été porté sur ces nombreux départs ? Telles seront les questions auxquelles tentera de répondre cette communication, essentiellement fondée sur des témoignages imprimés, parus parfois avant même la fin de la guerre, et sur les rapports d’inspecteurs de police conservés aux archives de la préfecture de police1.
Les éléments déclencheurs du départ
Paris (75). Dommages causés par les avions sur la capitale dans la nuit du 30 au 31 janvier 1918. Un avion français a atterri dans l’urgence place de la Concorde.
L’offensive allemande menace la région parisienne dans les derniers jours d’août 1914 et les premiers jours de septembre. L’armée du général von Kluck avance avec une marche de 30 à 40 kilomètres par jour. Des communes franciliennes se vident de leurs habitants. Le 27 août, « il importait [...] d’envisager comme possible, sinon très probable, une attaque du camp retranché de Paris2 », souligne Henri Galli. Le 28 août, le bruit commence à courir dans les milieux informés que Paris pourrait ne pas être défendu3. Le Figaro du 31 août croit possible la prise de la capitale et La Guerre sociale considère que les vieux forts 155
Les Allemands face au camp retranché de Paris en 1914 Gerd Krumeich professeur émérite de l’université Heinrich Heine de Düsseldorf
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Thorigny (77). Batterie et voie de 60 (1915).
uite à la guerre franco-prussienne de 1870-1871, la périphérie de Paris fut transformée en grande forteresse. Et ceci à cause de l’expérience du bombardement de Paris et des désastres que furent les sorties des troupes parisiennes mal organisées et mal couvertes par les forts en place. La nouvelle enceinte, construite sous l’égide du général Séré de Rivières, fut importante, à la mesure de l’émotion dont le grand Dictionnaire Larousse, édition de 1874, se fit l’écho : « La dernière guerre ayant démontré l’insuffisance des forts à protéger la capitale jusqu’au centre de laquelle arrivaient les obus lancés par les énormes canons Krupp, l’opinion publique s’en émut. » Et le comité de défense présenta un projet, le rapport Chabaud-la-Tour, le 26 mars 1874. Ce plan prévoyait la construction de sept forts, dont le plus important serait celui de Saint-Cyr, ainsi que dix ouvrages de moindre importance. Les coûts annoncés étaient de l’ordre de 60 millions, mais, en 1874, l’Assemblée nationale n’en alloua de fait que 7 millions1. Mais, à la longue, la nouvelle ceinture de forts prendra quand même de l’importance et présentera un caractère redoutable pour tout attaquant. Moltke, le vainqueur de Sedan, en fut tout de suite assez convaincu. C’est en avril 1874, déjà, que Moltke note, dans un Mémoire intitulé « Opérations contre la France », que tant que les fortifications de Paris ne seront pas achevées, la France aura à craindre une offensive allemande sur Paris. Cependant, au fur et à mesure que ces projets gigantesques se réaliseront, la ville de Paris ne pourra plus être complètement encerclée par aucun adversaire. Cela n’empêchera pas, dit-il, que dans une guerre future contre la France, on cherchera à trouver la « dernière décision dans Paris2 ». Mais, cinq ans plus tard, les travaux ayant beaucoup progressé, Moltke changera complètement d’avis. 167
Paris et son armée dans la bataille de la Marne Lieutenant-colonel Christophe Gué Service historique de la Défense, officier adjoint du département de la Recherche des études et de l’Enseignement et chef de la division armée de terre
L
Monthyon (77). Tranchée en bordure d’une route (août 1915).
e 24 août 1914, les offensives que les armées françaises avaient lancées en Alsace, en Lorraine, dans les Ardennes et à Charleroi avaient toutes échoué. Elles étaient parvenues à se rétablir en Alsace et en Lorraine ; mais du nord de Verdun aux plaines belges, elles s’étaient mises à retraiter. La direction suprême des armées allemandes (Oberste Heeresleitung ou OHL) pensait qu’il suffirait désormais de poursuivre sans relâche les armées françaises pour les vaincre définitivement, et elle était persuadée que Paris tomberait ensuite facilement entre ses mains. Déjà des médailles commémoratives, célébrant l’entrée des troupes allemandes dans la capitale française, avaient été frappées. Or, au dernier moment, les Allemands évitèrent le camp retranché, d’où ils eurent la désagréable surprise de voir surgir l’armée de Paris sur leurs arrières. Non seulement la capitale ennemie leur échappait, mais un coup d’arrêt, suivi d’un important recul fut donné à leurs armées, qui se replièrent précipitamment sur l’Aisne. Cependant, les armées françaises n’exploitèrent pas la situation, si bien que les Allemands purent s’installer solidement sur leurs nouvelles positions d’où on ne parvint pas à les déloger avant octobre 1918, non sans qu’ils aient de nouveau menacé Paris à partir de celles-ci pendant leurs grandes offensives du printemps 1918. Le camp retranché de Paris et la composante mobile de son armée avaient assurément joué un rôle important dans l’échec allemand de septembre 1914, mais les résultats obtenus étaient incomplets. N’était-ce pas là la conséquence de la progression finalement limitée de l’armée de Paris qui n’avait pas atteint l’Ourcq ? Cependant, cette progression, apparemment médiocre d’un point de vue tactique, n’avait-elle pas provoqué des effets stratégiques importants sur les armées allemandes, en amenant notamment des transferts de forces qui désorganisèrent leur dispositif ? 175
Les transformations du camp retranché sous l’action du général Dubail, aperçu de son évolution ultérieure jusqu’en 1940 Général de corps d’armée (2S) André Bourachot vice-président du musée du Génie d’Angers
A
près la bataille de la Marne, le général Gallieni va vouloir continuer à parachever le plan de défense du camp retranché, mais, paradoxalement, la première évolution ne sera pas due au gouverneur, mais au général Joffre qui va souhaiter préparer une ligne défensive au nord de la capitale au profit des armées de campagne. Les organisations de défense en cours d’achèvement à la mi-septembre lui semblent très insuffisantes et, manquant de ce que les militaires appellent « de profondeur », elles paraissent trop collées à l’agglomération parisienne.
La construction de lignes défensives jusqu’en janvier 1915
Vaujours (93). Batterie installée au nord-ouest du fort (1915).
Le 21 septembre, Joffre prescrit au gouverneur de mettre à sa disposition des détachements de travailleurs pour organiser défensivement la rive gauche des hauteurs de l’Authonne, de Verberie jusqu’à la forêt (lisières comprises) de VillersCotterêts. Le 23, il demande de compléter la ligne sur le flanc sud du Thérain, petite rivière coulant entre Creil et Beauvais. Ces deux lignes en feront une seule qui prendra le nom de ligne ThérainAuthonne ; elle court sur une centaine de kilomètres et elle sera établie par les territoriaux et réservistes de l’armée territoriale du camp retranché. Gallieni sera contraint d’obéir, un peu à contrecœur, Joffre ayant reçu l’appui de son ministre Millerand. Il avait d’autant plus de raisons de protester que les unités qu’il « prêtait » au GQG seront aspirées par ce dernier avant même qu’elles eussent terminé leur tâche. 185
Mémoires et histoire du camp retranché de Paris : transmettre aux jeunes générations Alexandre Lafon docteur en histoire contemporaine, conseiller pour l’action pédagogique de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale
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Aubervilliers (93). Territoriaux arrangeant des branches pour servir à la construction des tranchées (août 1915).
e centenaire de la Première Guerre mondiale est l’occasion en France, mais aussi dans de nombreux pays, de tourner notre regard collectivement vers le passé et en particulier vers les traces, les marques qu’il a pu laisser dans notre environnement proche. Au « devoir de mémoire », nous préférons dans ce cadre la notion de « travail de mémoire » : il s’agit bien de profiter de ce temps symbolique et social de convergence des attentions pour retisser les liens entre le passé et le présent, en amenant les plus jeunes à prendre conscience de ce nécessaire apprentissage. À l’image de la réflexion portée par Philippe Joutard, la mémoire collective est fondée sur un rapport affectif au passé qui ne s’oppose pas à l’histoire. Les deux notions s’influencent réciproquement et se complètent pour accéder à la recherche d’une part de vérité1. Nous resterions au milieu du gué si cette occasion n’était pas un formidable moyen de donner du sens, de construire du lien social à partir de cette recherche de vérité. Et la découverte par les jeunes générations des traces laissées par les générations qui se sont succédé avant eux fonde leur rapport à la mémoire collective comme à une histoire partagée. Nous nous trouvons là au cœur du triangle mémoires-histoire-patrimoine dont le centre oriente la formation et la prise de conscience citoyenne des (futurs) hommes et femmes qui seront demain la Nation et qui, heureusement encore, fréquentent toutes et tous l’école. La question de la transmission se trouve donc posée au cœur de l’action de la Mission et en particulier de son action pédagogique. La disparition des témoins, l’effacement des mémoires notamment sensibles liées au conflit, le passage de l’événement dans l’histoire, obligent à une approche commémorative différente. Les cérémonies héritées des années de guerre et de l’après-guerre ne font plus – ou peu – sens immédiatement aux élèves des jeunes générations. Il convient donc de s’appuyer sur les traces, les marques laissées par le conflit afin d’en faire 195
Conclusion Jean-Jacques Becker professeur émérite de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, président d’honneur du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, président du comité scientifique du colloque sur le camp retranché de Paris
J’
Bessancourt (95). Batterie no 109 en 1915. Dessin de Jules-Raymond Koenig.
avais 12 ans en 1940. Au moment de la « drôle de guerre », je n’étais pas à Paris. Quand le conflit a éclaté, les pouvoirs publics avaient demandé aux familles qui le pouvaient de rester dans leur lieu de villégiature et un lycée avait été créé à Cayeux-sur-Mer, à l’embouchure de la Somme, où j’ai passé l’année scolaire 1939-1940. J’étais alors en cinquième. C’est de là que ma famille et moi sommes partis pour l’exode, d’où nous sommes revenus pour rentrer dans un Paris occupé... et qui n’avait pas été défendu. Pourquoi je vous dis cela ? Parce que vous pouvez imaginer, à la fois à titre personnel et au titre d’historien, combien j’ai été passionné par ce grand colloque consacré au camp retranché de Paris au temps où on aurait défendu la capitale. Je ne peux revenir sur toute la richesse, incroyable par certains côtés, de ce colloque consacré au camp retranché de Paris. Disons tout de même combien il a été important d’étudier les origines de ce dispositif et le rôle, finalement tragique, mais si important, que la défense de Paris joua en 1870. Disons aussi combien l’existence de ce camp retranché de Paris a été un élément décisif dans la Grande Guerre. S’il n’avait pas existé et si on n’avait pas prévu de le défendre, les Allemands auraient occupé Paris, et la guerre aurait probablement été terminée par la défaite de la France. 211
colloque le camp retranché de paris
C’est parce qu’il existait et que les Allemands, quand ils s’en sont approchés, se sont rendu compte qu’ils n’avaient pas les moyens d’en faire le siège, ni même de le contourner, qu’ils ont infléchi leur marche vers le sud-est en passant devant la capitale et en donnant au général Gallieni la possibilité de lancer l’armée de Paris sur leur flanc. Ils croyaient que l’armée française, en retraite depuis tant de jours, n’avait plus les moyens de faire face. Ils se trompaient et ce fut la bataille de la Marne. Une victoire que quelques journaux déchaînés croyaient décisive. En réalité, ce ne fut que le début d’une guerre qui devait encore durer près de quatre années. Si, quatre ans plus tard, la guerre se termina comme on le sait, c’est parce qu’en 1914, le camp retranché de Paris existait et qu’on avait bien l’intention de le défendre. Alors, lui avoir consacré pendant ces deux jours ce magnifique colloque, c’était une magnifique idée et elle fut magnifiquement réalisée. Un dernier mot qui vaut pour ce colloque, comme pour l’ensemble des commé morations du centenaire. Doit-on rappeler ce passé d’il y a un siècle quand les adversaires d’alors, disons mieux les ennemis d’alors, sont devenus, après un siècle tourmenté, des amis ? Je pense que oui, parce que le présent trouve toute sa force dans le souvenir de l’histoire, et d’ailleurs, que des historiens allemands y aient participé en a été une richesse particulière. Un colloque sur le camp retranché de Paris en 1914-1918 restera un des moments importants de cette commémoration, et il faut particulièrement remercier le général Bourachot d’avoir été à l’initiative de ce projet et de l’avoir porté, avec le soutien de la Région Île-de-France.
212
Montmorency (95). Vue intérieure de la caponnière double de tête du fort.
Conclusion générale
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Clôture Général d’armée (2S) Elrick Irastorza président du conseil d’administration de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale
V
Meaux (77). Mémorial américain, monument dit de la « Liberté éplorée » (1932).
ous me permettrez de conclure cette journée sous un angle sans doute un peu décalé, celui des relations entre le Politique et le Soldat car enfin, ce ne sont ni les politiques ni les militaires qui ont décidé seuls, chacun dans leur coin, du déploiement de systèmes de défense aussi complexes que celui qui nous rassemble durant ces deux jours. Bien sûr l’histoire se plaît à souligner la faiblesse des analyses stratégiques des officiers généraux et l’inadéquation de leurs choix, mais c’est sans doute exonérer un peu trop vite les politiques de leurs propres responsabilités. Je ne suis pas historien. J’aime l’histoire et cette passion tout autant que les fonctions que j’ai occupées, qui me permettent d’avoir une perception très particulière de ce centenaire, qui nous offre une belle opportunité de réfléchir sans tabous aux relations entre les uns et les autres car, en y regardant bien, entre méfiance et manque de considération, les tendances lourdes n’ont guère évolué dans un pays où les armées redoutent désormais plus l’indifférence que l’antimilitarisme. S’il est tout à fait compréhensible que l’histoire ait attribué la paternité de la victoire à Georges Clemenceau, on peut s’étonner que les chefs militaires qui l’ont rendue possible, et notamment les maréchaux Joffre et Foch, ne soient plus guère cités. Alors ? Simple outrage du temps ? Pas sûr. Cet hommage singulier au sens strict du terme est en fait révélateur de la survivance d’une suspicion réciproque latente et je forme le vœu que ce centenaire nous permette de tirer des enseignements de ce qui a pu apparaître comme une rupture momentanée de l’équilibre souhaitable entre le Politique et le Soldat, et d’éviter ainsi que ceux qui assumaient, sous contrôle de l’Exécutif et du Parlement, la charge écrasante de la conduite des opérations ne soient les grands oubliés de ce cycle mémoriel, voire ses boucs émissaires. Après être très brièvement revenu sur quelques principes que l’on a tendance à oublier, je reviendrai sur les choix stratégiques qui nous ont conduits aux revers initiaux de l’été 1914, avant de me demander si nous n’avons pas commis les mêmes erreurs dans l’entre-deux-guerres, pour finalement m’interroger sur notre situation aujourd’hui. 215