JEAN PAUL BARBIER-MUELLER
LE MYTHE DE CRÉATION OUBLIÉ DES KARO BATAK OCCIDENTAUX
Couverture. Ornement de façade jadis nommé takal singa et aujourd’hui kuda kuda (qui ressemble à un cheval). Province de Nord Sumatra, pays Karo occidental, kecamatan Taneh Pinem, kabupaten Dairi, village de Lau Pĕrimbon. abm – archives barbier-mueller. Photo de l’auteur, 1995.
JEAN PAUL BARBIER-MUELLER
LE MYTHE DE CRÉATION OUBLIÉ DES KARO BATAK OCCIDENTAUX 4
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TABLE DES MATIÈRES ĕ PRÉAMBULE
P. 7
Chapitre I
LA MAISON TRADITIONNELLE DES KARO OCCIDENTAUX
P. 16
Chapitre II
LA NOTION DE « DIVINITÉ » CHEZ LES KARO ET CHEZ LES TOBA
P. 50
Chapitre III
LE CULTE DE L’ÂME (TENDI) CHEZ LES KARO
P. 64
Chapitre IV
L’ORGANISATION SOCIALE DES KARO BATAK
P. 72
CONCLUSION
P. 80
CARTES
P. 84
BIBLIOGRAPHIE - GLOSSAIRE
P. 92
7
Femmes karo batak. Vers 1920. Nord Sumatra, kabupaten Karo. Photo Kon. Instituut v/d Tropen, Amsterdam.
PRÉAMBULE
A
ucune étude approfondie, globale, ne me semble avoir été entreprise sur les Karo Batak orientaux et occidentaux – entre lesquels pourraient exister quelques différences sur le plan de la religion–, dans la seconde moitié du XXe siècle, même si l’on a vu paraître des travaux comme ceux (fondamentaux) de Rita Smith Kipp ou d’Uli Kozok, un Allemand parlant le karo et lisant couramment l’écriture employée pour rédiger les livres de magie ; il est difficile de trouver un meilleur résumé de l’alphabet et des ouvrages écrits par les Karo (et les autres groupes Batak) que son chapitre intitulé Schrift und Literatur der Batak, paru en 19901 ainsi qu’une meilleure introduction à la préhistoire et à l’histoire des Batak, que celle se trouvant dans le même ouvrage. En effet, Kozok remarquait justement que les gens ayant créé des amas de coquillages hauts de plusieurs mètres sur la côte de Sumatra à la hauteur du pays Batak entre le Xe et le IIIe siècle avant notre ère à l’époque du Hoabinhien – qui suit la dernière glaciation2 et voit le niveau de l’océan monter de 150 mètres, transformant en îles Sumatra, Java et Bornéo – étaient sans doute des Australoïdes. Au cours des trois derniers millénaires avant J.-C., les Austronésiens (qui sont des mongoloïdes3 à leur départ de Taïwan) quittent les Philippines, gagnent Sulawesi, Bornéo, Sumatra, Nias, et finalement même Madagascar ! Malheureusement, Kozok a été trahi par le traducteur de l’édition française, qui ne connaît qu’un seul mot pour traduire « austronésien » et « australoïde » ; les deux sont qualifiés d’« australoïdes ». On imagine la confusion créée par une telle erreur chez le lecteur non averti ! Celui-ci doit aussi savoir que le terme « Austronésien » a aujourd’hui remplacé celui de « Malayo-polynésien », plus évocateur de la grande migration jamais connue dans l’histoire de l’humanité, puisque les Austronésiens, surnommés « Argonautes du Pacifique » ont navigué vers l’est jusqu’à la Polynésie centrale et de là, sont partis coloniser la Nouvelle-Zélande au sud-ouest, Hawaï au nord et l’île de Pâques à l’est.
1. In Sibeth, Mit den Ahnen leben: Batak, Menschen in Indonesien, 1990, p. 102 et pp. 13 sqq pour la préhistoire. 2. La dernière glaciation (dite « de Würm » du nom d’un affluent du Danube) a pris fin il y a 12 000 à 10 000 ans. La culture hoabinhienne, représentée par des outils de pierre taillée d’un type particulier, à qui l’on a donné le nom du site vietnamien de Hoa Binh, remonterait, selon certaines sources récentes, à une plus grande antiquité, et aurait été présente il y a plus de 15 000 ans dans des grottes de l’Asie du Sud-Est. Près du pays Batak, ce n’est que sur la côte nord-est de Sumatra et sur la côte sud-ouest de la Malaisie (face à Sumatra) que l’on retrouve, jusqu’il y a 5 000 à 3 000 ans, ses traces dans des amas de coquilles sur les rivages. 3. Le terme « Austronésien » doit se comprendre comme désignant les peuples parlant des langues issues d’un langage commun (dit « proto-Austronésien ») sans doute originaire de Chine, il y a quelque six mille ans. Ces peuples ne possèdent pas forcément le même patrimoine génétique. En Indonésie et en Mélanésie, comme aux Philippines, on rencontre des Négritos ayant adopté une langue austronésienne, que chaque groupe a modifié au cours des siècles. Les Batak sont certainement issus d’immigrants asiatiques s’étant métissés avec des occupants antérieurs de Sumatra, peutêtre des Australoïdes. 8
PRÉAMBULE
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Il faut aussi mentionner le beau livre de Masri Singarimbun, karo lui-même4. Il fit un long séjour dans le kecamatan (prononcer : ketjamatan) de Taneh Pinem, à l’extrême limite occidentale du pays Karo (Taneh Karo)5. Grâce à lui, nous savons tout de l’organisation sociale des villages étudiés. Habitant dans la maison du chef du village de Liren, non loin de la bourgade de Kutabuluh, il a brièvement décrit l’architecture locale, et ses éléments « décoratifs », en réalité symboliques, placés sur les façades : Les murs et les pignons font aussi l’objet d’un traitement artistique et symbolique. Chaque angle est décoré par une tête de lion (takal singa), une sculpture en bois qui ressemble plus à une tête humaine qu’à une tête de lion6. Cette constatation – si elle est réinsérée dans l’histoire générale des religions des groupes batak voisins, particulièrement des Toba et des Pakpak, et que l’expression « takal singa », est interprétée comme « tête de singa », non « tête de lion », puis rapprochée des « singa ni ruma » des Toba (fig. 1 et 2), et du rôle joué par le singa, animal mythique tenant du Serpent et du Buffle, représentant du dieu du Monde Souterrain Naga Padoha – réduit à néant la constatation du même Singarimbun, suivant laquelle les Karo ne possédaient pas de « mythe d’origine » : Les Karo n’ont pas de mythe d’origine de leur propre société. Aujourd’hui, certes, ils l’ont oublié, mais, comme on va le voir, ils en ont sans aucun doute possédé un, que l’on peut croire très semblable à celui des Toba, assez bien connu, dans ses diverses variantes. C’est, à mon sens, une erreur de ne pas aborder l’étude de n’importe quel peuple Batak par la lecture des principaux ouvrages concernant les Toba Batak. Je suis convaincu – tout en étant conscient d’avancer en terrain dangereux, n’ayant rien qui puisse étayer ma conviction – que la richesse des mythes toba, l’emplacement privilégié de ce groupe autour du lac Toba, fait bien d’eux le « peuple initial », comme ils le revendiquent, et comme les Karo le nient (carte I).
4. M. Singarimbun, Kinship, Descent and Alliance among the Karo Batak, 1975, p. 56. Masri Singarimbun (1930-1997) avait séjourné à Kuta Gamber, avant de s’établir à Liren (kecamatan Taneh Pinem) de septembre 1960 à avril 1962 pour les recherches nécessaires à la rédaction de son livre. À l’exception d’une famille musulmane, toutes les autres familles des deux villages voisins étaient fidèles à l’ancienne religion traditionnelle des Batak, agama pĕrbegu (culte des âmes des ancêtres). 5. Singarimbun 1975, p. 3 note que : « a small part of the highland Karo resides in the Pinemland district (Kecamatan) of Kabupaten Tapanuli Utara... » Il y a là une inexactitude assez curieuse, sous la plume d’un Karo. En effet le district de Pinem (kecamatan Taneh Pinem) est un des quinze districts (kecamatan), non pas du kabupaten Tapanuli Utara, peuplé de Toba Batak et qui n’est pas limitrophe du kabupaten Karo, mais bien du kabupaten Dairi, peuplé de Pakpak Batak, dont c’est le district le plus nordique et le plus grand, avec le camat résidant à Kutabuluh. Bien que situé dans le Dairi, le kecamatan Taneh Pinem est peuplé de Karo, les derniers situés tout à l’ouest du pays Karo (Taneh Karo), séparés des Pakpak par une chaîne montagneuse. Voir la carte p. XXX. 6. Op. cit., p. 56 : « The walls and the gables also are objects of artistic and symbolic expression. Each corner is adorned by a “ lions head ” (takal singa), a wooden carving that looks more like a human than a lion’s. » 10
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Fig. 1. Grand grenier à riz sopo des Toba Batak. La plateforme encadrée par les deux poutres se terminant par une tête de singa servait de lieu de réunion et de dortoir aux jeunes hommes célibataires. Nord Sumatra. Lieu inconnu. Photo Kon. Instituut v/d Tropen, Amsterdam.
Fig. 2. Un des quatre ornements de façade d’une maison des Karo occidentaux ayant la même fonction que le singa chez les Toba. Les Toba n’ont qu’une façade principale et une entrée donc seuls deux singa encadrent celle-ci. Les maisons karo ayant une entrée à chaque extrémité de la maison, il y avait des têtes de takal singa à chaque extrémité de la poutre latérale pardingdingan. Pays Karo occidental, kecamatan Taneh Pinem. Village de Lau Pĕrimbon. abm – archives barbier-mueller. Photo de l’auteur, 1995.
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Nombreux sont les clans pakpak à se réclamer d’un fondateur toba, ou à descendre d’un noble toba exilé, sans l’afficher. Neuf sous-clans de la merga Ginting, l’une des cinq « grandes merga » karo, sont réputés avoir été fondés par un Kalasan Batak (Kelasen ou Kalasen en karo), dont le groupe comprend cinq clans, tous descendants d’ancêtres toba émigrés dans la région de Parlilitan...7 Il va de soi que la présente publication n’a nullement l’intention de s’appuyer sur la mythologie toba pour en créer une à l’usage des Karo, lesquels, apparemment, n’en ont plus (ce que confirme expressément Singarimbun). Nous partirons de la découverte, faite en 1995, d’une maison traditionnelle (ruma adat) ignorée de tous, aux confins de la partie occidentale du pays Karo (ce serait, selon les habitants des villages avoisinants, la seule qui subsiste, intacte) pour montrer que les Karo partageaient à l’évidence la cosmogonie des Toba – les noms de leurs divinités étant probablement différents – et sans doute de tous les autres groupes se réclamant de la nation batak (bangso batak). Fig. 3. Cette photo (détail de la façade de la maison de Raja Pane Sitorus, chef du village de Lumban Binanga II, Uluan) permet de voir (pointillés) la poutre latérale pandingdingan qui est le corps du Serpent Cosmique soutenant le Monde Moyen, où habitent les hommes. La tête du serpent adopte la forme du singa ni ruma, que l’on ne retrouve que sur une seule statue de « cavalier » en pierre (fig. 166). abm – archives barbier-mueller. Photo de l’auteur, 1978.
Fig. 4. Détail d’un bâton magique toba en bois (tunggal panaluan) montrant un personnage (magicien ou ancêtre ?) à cheval sur la nuque d’un buffle au corps couvert d’écailles. Serpents cornus et buffles écailleux sont des évocations du singa, avatar ou représentation symbolique du grand serpent cosmique Naga Padoha, maître du Monde Inférieur et support du Monde Moyen. Toba. Haut. : 189 cm. Musée du quai Branly, Paris. abm – archives barbier-mueller. Photo Studio Ferrazzini Bouchet. 12
PRÉAMBULE
Pour revenir aux takal singa observés par Singarimbun, force est d’évoquer Naga Padoha, le Dragon-Serpent-Buffle. Maître du Monde Souterrain dans les mythes toba, le singa est son animal-attribut ou avatar, et aussi le support du Monde Moyen Banua Tonga, où vit l’humanité ; c’est le rôle que lui a assigné la déesse créatrice du Monde Moyen, toujours dans les mythes de création toba. De même, Naga Padoha porte aussi les habitants d’une maison (fig. 1–3). Comment ne pourrait-il pas être choisi pour servir de monture – sous sa forme de buffle, parfois représenté avec un corps couvert des écailles du Serpent (fig. 7. Voir l’appendice I de Singarimbun (1975, pp. 199 sqq.) consacré au fils d’un Pakpak Kalasan, nommé Mantangken, lequel émigra en pays Karo avec son oncle paternel et fonda le village de Layo Lingga. Parti à la chasse, il captura une femme d’essence surnaturelle, d’une grande beauté, et l’épousa (le lieu de cette rencontre se nomme Deleng Sibolangit, la montagne qui a une senteur céleste). Leur fils aîné, Tindang, fonda le village de Gurubenua. L’épouse de Tindang lui donna dix enfants ressemblant à des gourdes, couvertes d’une sorte de membrane, que l’on plaça dans des jarres. Làdessus un groupe de sept magiciens pakpak (guru Pakpak pitu sendalanen) s’arrêtèrent à Gurubenua et furent consultés par Tindang. Ils demandèrent un vêtement blanc et sept épaisseurs de nattes. Puis ils marmonnèrent leurs paroles magiques, la tête couverte par le tissu blanc, et les dix membranes se déchirèrent, laissant voir une fille et neuf garçons. Ceux-ci reçurent les noms d’Arjatambun, Babo, Beras, Jadibata, Bukit, Garamata, Gurupatih, Sugihen, et Suka. Chacun d’entre eux fonda une sous-marga du grand clan Ginting, le rattachement aux Ginting n’étant pas expliqué par le mythe résumé ci-dessus. On aura noté le nom Sugihen, dont la racine est sugi, soit sogi, « souffrir » en toba (voir mon livre sur les Kalasan de 2011). C’est le nom d’un des cinq clans kalasan : Kesugihen (Hasogihon en toba). Parmi les autres sous-mĕrga du grand clan Ginting, se voit la mĕrga Tumangger, dont le nom paraît trop semblable à celui de la marga kalasan Tumanggor, pour qu’il n’y ait pas là un lointain fondateur kalasan. 13
4) – à celui qui est l’essence même d’un lignage ou d’une mĕrga, le raja, à plus forte raison si celui-ci est aussi un magicien renommé ? Donc une maison des Karo occidentaux – si elle n’était pas seulement « ornée aux quatre coins » (Singarimbun) de têtes de singa, monstre cosmique, mais qu’elle possédait des poutres soutenant la partie de la maison où vivent les hommes, poutres représentant le corps du Serpent et se terminant par des têtes de singa – devait être considérée comme une représentation en miniature du Cosmos8. Avant la découverte d’une maison karo dont les poutres latérales se terminaient par des têtes de singa, ce symbolisme (le Monde Inférieur supportant la représentation du Monde Moyen qu’est la maison) n’était, en somme, visible que chez les Toba Batak et les Pardembanan Batak de l’Asahan (voir fig. 11a et 11b). Les Pakpak, au début du XXe siècle, n’avaient pas de tête d’animaux sur les façades de leurs maisons, à l’architecture assez semblable mais plus simples que celles des Karo (fig. 5). Volz a visité le village de Batu Rědan, dont la population est formée de Karo et de Pakpak, la chefferie appartenant à ceux-ci. Pas de têtes de singa sur les huit petites maisons en bambou, dit-il.
Fig. 5. Kuta Raja, un village des Pakpak Kepas au début du XIXe siècle. Tiré de Volz 1909, p. 28, fig. 12. abm – archives barbier-mueller.
Quant aux Karo, on connaissait surtout leurs beaux villages orientaux, proches des hôtels de B’rastagi, dont les poutres latérales se terminent par un ornement non figuratif en forme de « nez en trompette » et appelé « boucle d’oreille » (j’y reviendrai). Leurs grosses maisons traditionnelles ne comportent pas de sculptures tri-dimensionnelles en façade, même quand elles sont d’une richesse prodigieuse (fig. 6). Il fallait donc chercher chez les Karo de l’Ouest, s’il subsistait encore une bâtisse ressemblant à celle qu’avait habitée Singarimbun vers 1960, et si elle avait gardé ses têtes bizarres, non « aux quatre angles », mais à l’extrémité des poutres de soutien pardingdingan, celle-ci figurant le corps du Serpent Cosmique dont la tête était le takal singa. Une photo prise par Volz dans le nord-ouest du pays Karo occidental, à Sěrpang, était de nature à décourager le chercheur (fig. 7) ! Une autre photo de même source montre la « maison du raja » de Paropo (en pays Karo central, sur la côte du lac Toba) : les poutres latérales semblent être des troncs d’arbre que l’on n’a même pas songé à équarrir, et aucune sculpture, aucun décor symbolique n’est visible (fig. 8).
8. Ce qui précède est largement expliqué dans mon livre de 2011 sur les Batak Kalasan. Je suis obligé de revenir sur le sujet le plus brièvement possible, pour ne pas obliger mon lecteur à mettre son nez dans un autre volume...
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PRÉAMBULE
Fig. 6. Grande et célèbre maison d’un chef important des Karo orientaux. Village de Kabanjahé. Ce village est devenu aujourd’hui une bourgade importante et la maison n’existe plus. Photo Kon. Instituut v/d Tropen, Amsterdam. 15
Fig. 7 et 8. Ci-dessus, un village des Karo occidentaux nommé Sěrpang. Construits de bric et de broc, ces greniers à riz et maisons à moitié affaissés ne présentent pas la moindre décoration. Sans doute ces gens étaient-ils très pauvres. Ils ne l’étaient pas moins dans la partie plus centrale du pays Karo (Karo Taneh) comme le montre la petite photo à droite de la maison du raja du village de Paropo, au nord-ouest du lac Toba. On peut observer que les poutres latérales sont des troncs d’arbres à peine équarris. Dans l’un et l’autre cas, aucun ornement ou sculpture protectrice n’est visible. Photos tirées de Volz 1909, p. 88 et p. 68, n°26. abm – archives barbier-mueller.
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PRÉAMBULE
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CHAPITRE I
LA MAISON TRADITIONNELLE DES KARO
Fig. 9. La maison traditionnelle des Pinem à Kuta Lau Pĕrimbon. Pays Karo occidental. abm – archives barbier-mueller. Photo de l’auteur, 1995.
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CHAPITRE I
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Fig. 11a. Ornement de façade «singa ni ruma» des Toba Batak. La longue poutre latérale, comme chez les Karo Batak est le corps du serpent-dragon mythique, dont la tête, elle aussi, revêt un caractère composite, mi-animal (buffle cornu) et mi-humain. Presqu’île de Samosir, kecamatan Lumban Suhi Suhi, village de Huta Raja. abm – archives barbier-mueller, photo de l’auteur, février 1980.
Fig. 10. Ornement de façade takal singa (actuellement nommé kuda kuda). Contrairement aux singa des Toba (p. 11 en haut et p. 12), la tête (mi-humaine, mi-animale) est fixée sur l’extrémité saillante de la poutre pardingdingan. Chez les Toba, la tête de singa dissimule entièrement l’extrémité saillante de la poutre latérale (voir les deux photos). Pays Karo occidental, kecamatan Taneh Pinem. Village de Lau Pĕrimbon. abm – archives barbier-mueller. Photo de l’auteur, 1995.
Chapitre II
Fig. 11b. Détail de la façade du parsurhoan vu sur la fig. précédente (où l’on peut apercevoir la tête du serpent, au niveau du haut de l’escalier). Appelées naga (serpent mythologique, dragon), ces « têtes de poutres » sont à comparer à certaines « décorations » identiques des Karo occidentaux (fig. 16). Bartlett ne nous dit pas si le mot « singa » est employé par les Pardembanan Batak pour désigner le Serpent Cosmique qui supporte l’édifice, mot employé par les Toba, comme par des Karo occidentaux au début du XXe siècle encore (takal singa).
LA MAISON TRADITIONNELLE DES KARO
A
u contraire de Singarimbun, qui ne fait que mentionner les takal singa du district de Taneh Pinem (pays Karo occidental), enclave dans le Daïri, Volz avait reproduit, en 1909, des dessins de ces « têtes de poutres (Balkenköpfer) » – comme il les appelait – (voir ici fig. 13-17). Mais il n’avait pas jugé nécessaire de photographier – comme il l’avait fait chez les Pakpak – une maison entière, avec ses takal singa ! En faisant ma propre enquête, j’espérais combler cette carence. Lors de mes recherches sur le terrain, il m’apparut vite que la maison du village de Liren, vue et décrite par Singarimbun 30 ans plus tôt en 1960, mais plus d’un demi-siècle après le passage de Volz, avait été massacrée. Il n’y avait plus de takal singa (voir plus loin les fig. 25 et 28). Volz avait cité plusieurs villages ayant des « têtes de poutres ». Certains étaient devenus des bourgs modernes, comme Kutabuluh. D’autres pouvaient avoir gardé leurs anciennes traditions. Parmi diverses représentations de têtes animales, ou vaguement humaines, il avait reproduit une « sculpture de façade », un takal singa ayant la forme d’une tête de serpent9, ce qui devait donner à la maison une certaine ressemblance avec celle10 (un « temple ») que vit et 20 CHAPITRE I
9. Wilhelm Volz, Nord Sumatra, Die Batakländer, Band I, 1909, p. 350, fig. 123. 10. Bartlett décrit le bâtiment dont il donne ici un détail comme un « temple » (parsurhoan). Il n’existe pas de « temple » chez les Toba historiques et encore moins chez les Pakpak et les Karo. Tout au plus le magicien (datu chez les Toba, guru chez les Karo) du village possédait-il une petite cabane ruma pantangan dans laquelle il conservait tous les instruments nécessaires à ses diverses activités : guérisseur, devin, jeteur de sort, fabriquant de fétiches protecteurs contre différentes sortes d’agressions et médiateur avec le Monde Invisible, etc.
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Fig. 12. Tertre funéraire en pays Pakpak Pegagan, au début du XXe siècle. Localisation exacte inconnue. Dessin de Volz 1909, p. 175, fig. 59.
photographia Bartlett en Asahan, chez des Toba émigrés, loin du pays Karo (fig. 10 et 11) ! Dans les deux cas, la bâtisse était soutenue par deux poutres formées du corps du serpent dont la tête saillait sur la façade ; on se trouvait au plus près du mythe toba faisant de Naga Padoha un reptile cosmique géant.
Fig. 15 gauche. Ornement de façade de Kuta Liren, au début du XXe siècle. Aujourd’hui disparu. Dessin de Volz 1909, p. 105, fig. 38. Fig. 16 milieu. Ornement de façade en forme de gueule de serpent chargée de dents de Kuta Sulkam. Dessin de Volz 1909, p. 350, fig. 123. Fig. 17 droite. Ornement de façade d’une maisonnette des morts à Sĕrpang. Dessin de Volz 1909, p. 292, fig. 89.
Préoccupé par mes recherches sur les monuments de pierre toba et d’autres tâches, ce n’est qu’au début des années 1990 que je lus attentivement le livre consacré au pays des Batak par W. Volz, paru en 1909, pour y découvrir un fait m’ayant échappé jusque-là : Volz indiquait, en appuyant sa déclaration d’une carte géographique11 difficile à lire, que les Karo occidentaux étaient seuls à posséder (au moins à la fin du XIXe siècle) des takal singa, dont il fixait à peu près la limite de diffusion vers l’est, au centre du pays Karo sur une petite carte que je reproduis (voir carte II). Cet auteur était formel : les takal singa manquent chez les Karo orientaux, comme chez les Pakpak12, mais ils se trouvent sur quelques tombes vues dans le pays des Pakpak Pegagan (fig. 12), dont les planches graduellement superposées à la façon d’une ziggurat évoquaient des pardingdingan, les poutres latérales soutenant une maison munie de deux entrées, donc avec une tête d’animal à chaque extrémité, comme ce devait être le cas pour les maisons karo occidentales13. Volz passe d’un sujet à l’autre avec désinvolture, et parfois ne nomme pas le village où il a vu une sculpture importante14 !
Le même auteur a publié le dessin de plusieurs takal singa, observés dans divers villages. Il y avait là différents « modèles » : un oiseau – un calao de toute évidence15 (fig. 13) –, une autre tête pouvant être humaine, quoique portant de petites cornes (fig. 14), une tête impossible à définir surmontée d’assez grosses cornes – précisément vue à Liren (fig. 15) –, et encore une autre, possédant une seule corne (?) plus grande (fig. 16), et enfin une tête anthropozoomorphe à cornes (oreilles ?), dont la large gueule n’est pas celle d’un homme (fig. 17)...
Fig. 13. Ornement de façade en forme de tête de calao du village de Lau Peranggun. Dessin de Volz 1909, p. 350, fig. 122.
22 CHAPITRE I
Fig. 14. Ornement de façade en forme de visage humain avec des oreilles d’animal de Lau Peranggun. Dessin de Volz 1909, p. 104, fig. 37.
Singarimbun avait séjourné à Kuta Gamber, puis à Liren dans le kecamatan Taneh Pinem, au pied d’une chaîne montagneuse parallèle16 à la côte assez lointaine de l’océan Indien, chaîne dont le point culminant est le Deleng Pěrimbon (ou P’rimbon). Il avait mentionné les takal singa, sans commentaire autre que cette qualification : « des objets d’expression artistique et symbolique »17. Visiblement, les habitants des maisons ornées de ces têtes mi-animales, mihumaines, n’avaient aucune idée de leur raison d’exister. Ceci correspond à l’ignorance des informateurs de l’intrépide Modigliani, quand celui-ci s’aventura en 1890 près du lac Toba, en pleine guerre coloniale et vit des grosses têtes de singa de chaque côté des façades des maisons. Il demanda quel était leur rôle et s’entendit répondre que « cela écartait les mauvais esprits ».
11. Volz 1909, p. 296. 12. Op. cit., 1909, p. 350 : « Chez les Pakpak, la diffusion de représentations animales est plus restreinte. Les « têtes de poutre » manquent...» 13. Volz, op. cit., 1909, p. 195. 14. Comme le montrent les légendes des reproductions de dessins publiés par Volz, ceux-ci sont distribués tout au long de son livre, et non regroupés dans un chapitre particulier. 15. Chez les Toba, le calao paraît être interchangeable avec le cheval. En effet, une danse funéraire était intitulée hodahoda (« des chevaux », ou « qui ressemble à un cheval »), et le danseur portait un cimier en forme de tête de calao. 16 Selon Singarimbun, il s’agit d’une des deux chaînes formant la cordillère de Bukit Barisan, se prolongeant jusqu’au sud de l’île, quelque 1 500 kilomètres plus au sud. 17. M. Singarimbun, op. cit., 1975, p. 56. 23
Fig. 18. Les têtes de singa toba ayant suscité l’étonnement de Modigliani ne figurent pas seulement de chaque côté de la façade des maisons d’habitation mais aussi de chaque côté de la façade des sopo (greniers à riz, lieux de réunion, dortoirs des jeunes hommes). Les singa des sopo ont des cornes rabattues sur la tête et sont censés être « masculins » au contraire des singa placés sur des maisons d’habitation qui ont une haute corne centrale entourée de deux plus petites cornes et sont réputés être « féminins ». Village toba de Lumban Tabu au sud-est du lac. abm – archives barbier-mueller. Photo de l’auteur, 1980.
Fig. 19. Ornement de façade situé à l’extrémité des pardingdingan. Il est nommé cuping-cuping. Village de Lingga. Pays Karo oriental. abm – archives barbiermueller. Photo de l’auteur, 1977.
Personnellement, je n’avais jamais vu de tels ornements sculptés sur les maisons traditionnelles de plusieurs villages karo orientaux brièvement visités en 1974 et 1977 puis à nouveau en 1995. Ces maisons étaient décorées sur les façades latérales de « lézards » formés de fibres insérées dans le bois à espaces réguliers, zigzagantes (pengeret-ret) (fig. 20 et 24), et dont les grosses poutres latérales de soutien pardingdingan (bien présentes) se terminent par une sorte de bec d’oiseau renversé, nommé cuping-cuping (soit « boucle d’oreille », prononcez : tjuping-tjuping) (fig. 19 et 20), alors qu’aucune boucle d’oreille karo ne ressemble à cet élément architectural dont la forme n’évoque pas de silhouette connue dans le monde animal. De Kabanjahe, chef-lieu du kabupaten Karo correspondant en gros au pays Karo d’origine (Taneh Karo), la traversée du territoire karo se fait aujourd’hui facilement. La route est bien goudronnée. À droite, le volcan Sibayak (2 070 m d’altitude), apparaît loin derrière une petite maison de culte pour les « esprits de la nature » au milieu d’un champ de maïs (fig. 21), puis le volcan Sinabun (2 417 m d’altitude) fumant comme toujours, mais aucun village avec de belles maisons. En revanche, ce qui est étonnant, c’est le nombre invraisemblable de paraboles, fixées sur le toit de masures modestes. Elles avaient poussé comme des champignons élevés en caves depuis mon dernier passage, cinq ou six ans plus tôt. L’oubli des ancêtres se faisait définitivement avec l’adoration de James Bond.
Fig. 20. Maison traditionnelle des Karo orientaux à la décoration particulièrement riche (voir le décor des cuping-cuping). Lieu inconnu. Photo Instituut v/d Tropen, Amsterdam. 24 CHAPITRE I
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Fig. 31.Vue rapprochée d’un des takal-singa de la p. 35. Le monstre vaguement anthropomorphe possède un visage humain, un nez saillant, une bouche légèrement gravée et sur les tempes, des yeux d’animal. Musée du quai Branly, Paris. abm – archives barbier-mueller. Photo Studio Ferrazzini Bouchet.
LE DOUBLE VISAGE (HUMAIN ET ANIMAL) DES TAKAL-SINGA ET DU SINGA
Fig. 32.
Fig. 32. Détail du museau de la monture du mejan d’une statue des Pakpak Simsim en pierre avec un « double visage », humain sur le museau, et animal à l’emplacement de la bouche du buffle-singa. Musée du quai Branly, Paris. abm-archives barbier-mueller. Photo Studio Ferrazzini Bouchet. Fig. 33. Détail du fourreau d’un couteau de magicien (piso ni datu) collecté en 1970 à Samosir. Les oreilles en forme de petites cornes ressemblent à celles du singa de la figure précédente. La langue est bifide ce qui ne se voit qu’assez rarement dans les statues pakpak en pierre représentant un singa chevauché par un personnage important. Musée du quai Branly, Paris. abm – archives barbier-mueller. Photo Studio Ferrazzini Bouchet.
Fig. 33.
Un seul des quatre takal singa du musée du quai Branly doit être examiné avec attention. Je reproduis ici un agrandissement de son visage (fig. 31). On peut considérer comme certain que la maison dont il a été arraché en possédait deux paires, à chaque extrémité des poutres latérales pardingdingan supportant le plancher où vivait une famille répartie en plusieurs groupes, de chaque côté du couloir central. Il montre une particularité capitale : il possède sur les tempes, légèrement incisés, deux yeux en amande : ceux d’un animal. Sous les sourcils, deux petits yeux circulaires nous aident à voir un visage humain, car ils sont placés de chaque côté de la naissance du nez. Enfin, sous le nez, la bouche lenticulaire est simplement incisée. Le « double visage » est moins flagrant que dans les exemples provenant d’autres groupes batak, déjà reproduits dans mon livre de 2011, et que je publie à nouveau (fig. 32 et 33), sans les explications extensives.
Voici en effet deux images de singa (les têtes de quadrupèdes supportant un « cavalier »), soit chez les Pakpak Simsim, soit chez les Toba leurs voisins qui possèdent un double visage très élaboré : dans les deux cas, la tête de la monture porte, sculpté sur le mufle du « buffle »34, un visage humain (fig. 32 et 33). Ce mufle reste celui d’un animal, puisqu’il possède une deuxième bouche, ou plutôt une gueule dentue, à l’endroit où elle se trouve chez les ruminants. De cette gueule s’échappe toujours une épaisse langue en spirale, qui peut ressembler à une trompe d’éléphant, par hasard ou à dessein. Elle est absente chez les takal singa des Karo occidentaux.
34. J’ai établi dans mon livre de 2011 sur les Kalasan que le quadrupède de pierre sur lequel sont montés des « cavaliers » – chez les Pakpak Simsim et Kalasan, comme chez les Toba du Haut et du Bas-Barus gagnés au rituel de crémation des ossements des ancêtres – était le « Buffle » cosmique, dont le corps est parfois couvert d’écailles, ce qui le rend interchangeable avec le « Serpent » cosmique, cornu. Tous deux évoquent Naga Padoha, le dieu du Monde Inférieur. 38 CHAPITRE I
39
Le schéma symbolique des « double-visages » simsim, toba, et maintenant karo occidental, est exactement le même. Ma remarque est encore renforcée par un ultime dessin de Volz (fig. 34), où le takal singa résulte d’un concept absolument identique à celui des têtes de singa simsim et toba reproduites plus haut : un visage humain avec sa bouche et une seconde bouche, une gueule dentue pour l’animal, sous le mufle. Comme les singa pakpak simsim et toba (fig. 32 et 33), le takal singa est ici plus humain qu’animal, puisqu’il n’a que les yeux du visage de l’homme, et non ceux du buffle sur les tempes.
Fig. 35. Singa de droite sur la façade de la maison du chef de Huta Raja (kecamatan de Lumban Suhi Suhi), au nord de Pangururan (Samosir, marga Simarmaata). abm – archives barbier-mueller. Photo de l’auteur, février 1980.
Compte tenu de l’emplacement de la tête anthropozoomorphe, à l’extrémité d’une poutre pardingdingan, ce schéma pourrait rejoindre celui que j’ai trouvé dans quelques villages toba du sud de la presqu’île de Samosir35, où le singa ni ruma n’est pas qu’une tête monstrueuse, mais un personnage entier, accroupi, possédant bras et jambes (fig. 35 et 36) : une petite effigie humaine cornue et pourvue d’une longue langue, une autre forme, humaine du singa, avatar du dieu du Monde Inférieur, à moins que ce ne soit le dieu lui-même ? Nous ne le saurons sans doute jamais, à moins d’une indication à trouver dans les livres de magie qui n’ont pas tous été traduits, laissés à Leyde par Herman Neubronner van der Tuuk.
Fig. 34. Ornement de façade en forme de visage humain (yeux, nez, petite bouche) avec des oreilles animales et une large gueule dont les dents sont apparentes. Pays Karo occidental, kecamatan Taneh Pinem, Kuta Batugaja. Dessin de Volz 1909, p. 95, fig. 33.
Fig. 36. Singa de droite sur la façade de la maison du chef de Huta na Godang (kecamatan Nainggolan, marga Parhusip, Samosir). abm – archives barbier-mueller. Photo de l’auteur, novembre 1980.
35. Tout au sud de la presqu’île, entre 1977 et 1980, j’ai photographié tous les singa ni ruma rencontrés sur des maisons parfois abandonnées, sachant qu’ils allaient bientôt disparaître, à en juger par les quantités de sculptures arrachées de maisons traditionnelles, de coffres (hombung), de bagues et de pendentifs en laiton, empilés devant les boutiques ou dans les vitrines des nombreux brocanteurs de Parapat. Dès les années 1990, ces « antiquaires » s’étaient reconvertis : ils vendaient des copies de « cornes magiques », de masques « topeng » assez bâclées (déjà présentes dans les années 1970 à côté des objets authentiques) et beaucoup de peintures contemporaines abstraites aux couleurs criardes. L’horreur ! 40 CHAPITRE I
41
CHAPITRE II
LA NOTION DE « DIVINITÉ » CHEZ LES KARO ET CHEZ LES TOBA
Fig. 48. Le chef Pa’m Belgah montrant les crânes de ses ancêtres. Pays Karo oriental. Photo Kon. Instituut v/d Tropen, Amsterdam. 52
CHAPITRE II
53
Chapitre II
LA NOTION DE « DIVINITÉ » CHEZ LES KARO ET CHEZ LES TOBA
L’
oubli par les Karo orientaux, comme occidentaux, d’une mythologie ressemblant, avec des variantes, aux différentes versions de la mythologie des Toba, ne signifie pas que la notion de « divinité » leur ait toujours été étrangère. Depuis assez longtemps, constatant avec amertume le succès connu par les Toba auprès des étrangers, ils ont cherché à se démarquer de ces encombrants voisins. Cette jalousie a dû commencer très tôt. C’était une bonne raison de refuser de descendre de Si Raja Batak, ancêtre de tous les Toba ! Ceux-ci, connaissant le Maître du Monde Supérieur, ses trois fils, sa petite-fille (créatrice du Monde Moyen), leur adressaient des prières, certes, sans leur faire de sacrifices et d’offrandes, réservés aux âmes des « grands ancêtres ».
Chez les Toba, comme chez les Karo, le terme debata ou dibata est emprunté au mot indien deva41, un mot dont la racine sanscrite est div-42 et qui désigne toutes les divinités, dans l’hindouisme. Chez les Karo, selon Neumann43, dibata a un assez grand nombre de significations : dieu, dieux, le monde des dieux, le ventre d’une femme enceinte. Dibata est aussi une manière d’appeler le clan « donneur d’épouses » (nommé dibata niidah), alors que les Toba appellent volontiers ce clan rajanami, « mon raja », c’est-à-dire « mon Seigneur »44. Dans les deux cas il s’agit d’exprimer le respect et la supériorité surnaturelle du clan kalimbubu chez les Karo (hulahula chez les Toba) sur le clan auquel il a donné une épouse.
ont conservées, tout en les modifiant. Je l’ai constaté de mes yeux dans la minuscule maison de culte malim de Huta si Jabat, à Samosir47 : ils font de menues offrandes sur l’autel suspendu de la jabu porsantian, en récitant une prière à Mula Jadi na Bolon, à Debata Asiasi (dont le professeur Gultom dit que les parmalim l’ont pratiquement oublié), aux trois fils du dieu suprême, mais je n’ai pas entendu prononcer le nom de Sideak Parujar, créatrice du Monde Moyen. Il faut se rappeler que Warneck écrivait sur un ton las qu’il y avait autant de versions du mythe d’origine toba que de régions, de bius où les clans géographiquement voisins, même non parents, se réunissaient chaque année pour une immense fête, animée d’une grande ferveur, vite interdite par le pouvoir colonial hollandais, sous le prétexte que trop de buffles y étaient tués ! Fig. 49. Devant la grande maison de Pa’m Belgah à Kabanjahe chez les Karo Batak orientaux, un guru se livre à un rituel devant un autel provisoire en utilisant le grand bâton magique tungkat penaluen. Photo Kon. Instituut v/d Tropen, Amsterdam.
L’existence d’une mythologie oubliée ne saurait guère être mise en question si l’on se réfère à la phrase prononcée par un guru karo, au début d’une incantation (fig. 49) : « Je vous en prie, descendez, Dieux du Haut. Je vous en prie, asseyez-vous, Dieu du Milieu. Je vous en prie venez à nous, Dieux d’En bas »45. Neumann précise qu’il n’y a aucun culte prévu pour ces dieux, aucune offrande qui leur soit faite. Chez les Toba Batak qui se rappellent encore aujourd’hui très bien les noms de leurs dieux du Monde supérieur et Inférieur, la situation est exactement la même. En ce sens qu’on les interpelle, et qu’ils ont droit à des prières. Les parmalim46 les
41. On retrouve cet emprunt au sanscrit dans maintes autres régions, et parfois l’on a cru qu’il venait d’une langue européenne, emprunt qui aurait été fait par l’entremise des missionnaires chrétiens. C’est une piste à abandonner. Quand les Nage de Flores appellent ana deo le couple de statues d’ancêtres fondateurs de villages divinisés, le mot deo dérive aussi du sanscrit deva. L’emprunt du vocabulaire indo-européen est donc beaucoup plus ancien. 42. Un des sens de div- est : resplendissant. 43. J. H. Neumann, Karo-Bataks – Nederlands Woordenboek, 1951, p. 75. 44. J’ai entendu cette expression, prononcée par un membre de la marga Siregar-Lali, s’adressant collectivement à un groupe de membres d’une marga hulahula de son clan, lors d’une petite fête locale près de Muara (côte sud du lac Toba). 45. La phrase rapportée par Neumann est exactement la suivante : « Please come down Upper Dibata, please sit down Middle Dibata, and please come up Lower Dibata », citée dans Singarimbun 1975, p. 138. 54
CHAPITRE II
46. Sur cette secte, voir mon livre sur les Batak Kalasan, 2011 p.55-58. 47. Voir Barbier-Mueller 1982, p. 174, fig. 173. 55
CHAPITRE III
LE CULTE DE L’ÂME (TENDI) CHEZ LES KARO
66 CHAPITRE III
Fig. 58. Le village de Kuta Gunung (voir carte) n’est pas situé dans le kecamatan de Pinah Tanem mais il se trouve (Volz le confirme) en pays Karo occidental de justesse. Le fait que Kuta Gunung ait été en grande partie restauré et même qu’il comporte un nombre important de maisons toutes neuves, absolument semblables à celles des Karo occidentaux de Taneh Pinem, montre que l’architecture dont l’unique spécimen ancien est aujourd’hui la maison de Lau Pĕrimbon s’étendait assez loin vers l’est. abm – archives barbier-mueller. Photo de l’auteur, 1995.
67
Chapitre III
LE CULTE DE L’ÂME (TENDI) CHEZ LES KARO
L
a disparition du mythe de création chez les Karo (occidentaux comme orientaux), à une date que l’on doit croire antérieure à la colonisation hollandaise (puisque les Toba avaient conservé plusieurs versions de ces mythes), n’a pas empêché la conservation d’autres croyances. La plupart se retrouvent chez les Toba, certaines se présentent de façon différente, quelques-unes, enfin, sont propres aux Karo. Prenons le culte de l’âme. Pour Singarimbun69, c’est la tendi (âme d’un être humain vivant) qui devient begu. Nous avons ici le phénomène auquel ont cru de nombreux ethnologues à une époque ancienne, concernant les Toba Batak : la tondi deviendrait begu. On sait aujourd’hui que c’est inexact : pour les Toba, la tondi retournait dans le Monde Supérieur pour être attribuée à un nouveau-né, et la begu, l’âme propre du mort (tondi ni na mate) apparaissait soudain. Si Singarimbun est dans le vrai, le système karo est beaucoup plus simple.
N’ayant jamais procédé à une enquête moi-même auprès de Karo Batak pratiquant la religion pĕrbegu, je me fonde essentiellement sur l’enquête de Singarimbun, aussi honnête que véridique. Étant né et ayant grandi dans un village karo, si quelque fait lui a échappé, on peut vraiment croire que le fait en question était complètement oublié, et non pas que son rapport comportait une erreur résultant d’une incompréhension entre informateur et enquêteur, maîtrisant mal la langue de son interlocuteur. Une chose est certaine, les Karo font une nette distinction entre les âmes (begu) des personnes décédées de causes naturelles (maté gerpagerpa), et celles des gens qui meurent de façon soudaine (maté sada uari) : accident, suicide. Ces dernières sont alors nommées dibata jabu, les « divinités de la maison ». Sont aussi différentes des begu, les âmes des filles mortes vierges (tungkup). De surcroît, dit Singarimbun70, les âmes, les « esprits » (l’auteur écrit en anglais ghosts, soit fantômes) des personnes possédant un talent exceptionnel – les charpentiers qui édifient les maisons traditionnelles, les musiciens faisant partie des orchestres formés de tambours et de hautbois scandant tout rituel, les magiciens bien sûr – voient leurs âmes rangées dans la catégorie des dibata. Ces âmes d’élite vivent dans les maisons de leurs anciennes familles. On organise périodiquement pour elles des cérémonies appelées perumah dibata. Les simples begu, elles, demeurent quelque temps près de la tombe où leur corps a été enterré. Seuls se rappellent d’elles leurs proches parents, et elles sont assez vite oubliées. Pour les Karo occidentaux, Singarimbun ne mentionne pas de double enterrement ni de cérémonie de crémation des ossements, peu de crânes placés dans un gěriten (voir fig. 50) –
Fig. 59. Běběren (lieu à offrandes) à Kampong Gaja en pays Karo. Cette enceinte sacrée contenait en majeure partie du kalinjuhang (une variété ornementale à feuille rouge de Cordylina fruticosa) qui est de loin la plante cérémonielle la plus importante des Karo Batak. Tiré de Bartlett 1934, planche XIX.
69. Op. cit., 1975, p. 138. 70. Id. 68 CHAPITRE III
69
CHAPITRE IV
L’ORGANISATION SOCIALE DES KARO BATAK
Fig. 63. Jeunes femmes karo orientales portant de lourds ornements d’oreilles (padung) supportés par leur turban. J’ai montré cette photographie dans la région de Taneh Pinem où l’on m’a dit que les Karo occidentaux ne connaissaient pas ce genre de bijoux. J’ai questionné trop peu d’informateurs pour garantir l’exactitude de cette réponse. Photo Rijksmuseum voor Volkenkunde. 74
CHAPITRE IV
75
Liste des clans (měrga silima) et des sous-clans (měrga) Karo
Chapitre IV
Marga d’origine indienne (tamoul) ( I) Marga d’origine toba (T) Marga d’origine pakpak (P)
Sembiring
L’ORGANISATION SOCIALE DES KARO BATAK
L
es Karo sont répartis en cinq grandes merga ou mieux měrga (měrga si lima) : Karokaro, Peranginangin, Ginting, Tarigan et Sembiring. Le tableau ci-contre, qui identifie 83 sous-merga donnant leur patronyme à leurs membres, est repris de Singarimbun79.
Les Sembiring, qui pratiquent (pas pour tous leurs sous-clans) la crémation des ossements des morts, et dont les membres ont la peau foncée, sont réputés être issus d’immigrants tamoul. Certaines de leurs sous-měrga portent des noms sans équivoque : Muham, Pandia, Colia, Pelhavi, Milala. Ce sont des noms de tribus ou de lieux au Tamil Nadu. La société karo est patrilinéaire, exogamique (comme tous les autres groupes se réclamant de leur appartenance au bangso batak). Les hommes portent le nom de leur sous-měrga (senina) qui a ses clans donneurs d’épouses (kalimbubu, en toba hulahula) et les clans auxquels ils ont donné des filles (anakberu, en toba boru). L’appartenance au clan est immuable. Comme chez les Toba, les femmes resteront membres de leur clan, dont elles portent le nom. Leurs enfants, garçons ou filles, prendront pour patronyme le nom de la sous-měrga du père. Pour Singarimbun, la condition des 83 sous-měrga qu’il a recensées paraît être figée. Ce qui est en contradiction avec le mythe rapporté dans son Appendice I, où l’on voit le fils d’un Pakpak Kelasen (Kalasan) fonder neuf sous-měrga karo, dépendantes du « grand clan » Ginting, on ne sait comment. Il y a là quelque chose que je ne suis pas en mesure d’éclaircir, mes connaissances du peuple karo n’étant pas celles d’un ethnologue professionnel. À la faveur de quelle cérémonie, neuf nouvelles sous-měrga peuvent-elles s’introduire dans une « grande měrga » existante, au lieu d’être regroupées dans une nouvelle, une sixième « grande měrga »? Je n’ai trouvé nulle part d’explication à ce phénomène. D’après les indications de Singarimbun, il pourrait résulter que le peuple karo augmentait le nombre de ses měrga par la création ex nihilo de nouvelles entités dont le fondateur était parfois (souvent ?) un étranger. Le phénomène se serait arrêté avec la domination coloniale, laquelle mit également fin à l’apparition de nouvelles marga toba, celles-ci n’étant autres que les lignages devenus assez nombreux, assez anciens, pour se séparer de leur marga originelle, et lever l’interdit de mariage avec les lignages continuant à appartenir à cette dernière…
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A.
Ceux qui ne mangent pas de la viande de chien
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14.
Muham Pandia Colia (Soliyan) Gurukinayan Berahmana Bunuhaji Busuk Depari Pelawi (Pahlava) Keling Milala (Malayalam) Pandebayang Sinukapur Tekang
B.
Ceux qui mangent de la viande de chien
15. 16. 17. 18.
Keloko Kembaren Sinulaki Sinupayung
Ginting
Ils jettent les cendres de leurs ancêtres dans la rivière et sont réputés être d’origine indienne pour la plupart
1. 2. P 3. 4. 5. 6. 7. P 8. P P 9. ? 10. 11. P 12. 13. T 14. 15. 16.
Ajartambun Babo Beras Jadibata Bukit Garamata Gurupatih Sugihen Kesuginen Suka Manik Munte Tumangg ou Tumangger Jawak Seragih Saragi Sinusinga Capah
Ne jettent pas les cendres dans la rivière
Karo-karo
Perangin-angin
Tarigan
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1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.
Barus Bukit Jung Gurusinga Kaban Kaciribu Kemit Ketaren Purba Samura Sekali Sinubulan Sinuhaji Sinukaban Sinulingga Sinuraya Sitepu Surbakti
Pinem Sebayang Bangun Benjerang Kacinambun Keliat Laksa Mano Namohaji Penggarun Pincawan Perbesi Singarimbun Sinarat Sukatendel Tanjung Ulunjandi Uwir
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Bondang Jampang Ganagana Gereng Gersan Pekan Purba Selangit Sibero Tambak Tambun Tegur Tua (Sarajih Tua)
79. Op. cit., 1975, p. 74. 76
CHAPITRE IV
77
CONCLUSION
Détail de la façade d’un toit de gěriten. Lingga. abm – archives barbier-mueller. Photo de l’auteur, 1978.
82 CONCLUSION
83
CONCLUSION
C
e petit volume n’a pour but que de publier une découverte me paraissant importante, celle de la dernière maison traditionnelle des Karo occidentaux encore intacte (selon toute apparence).
Nous avons vu que la position des takal singa à l’extrémité des poutres latérales pardingdingan, soutenant la partie habitable de la maison, correspond en tous points à l’emplacement, donc à la fonction des singa ni ruma (ou gaja dompak) encore visibles sur un assez grand nombre de maisons traditionnelles toba. L’identité du singa comme représentation, ou animal-attribut du Serpent-Dragon maître du Monde Souterrain (Naga Padoha pour les Toba), est maintenant assez bien établie84, pour que la supposition que j’avais émise en 1982 (d’ailleurs adoptée par plusieurs ethnologues ne citant pas toujours leur source) puisse être considérée comme une certitude, en tenant compte des confirmations obtenues en 1995 et 1996 de la bouche de plusieurs Toba près de Dolok Sanggul et auprès des vieillards pakpak kalasan85. En 1996, de telles confirmations orales n’ont pu être recueillies chez les vieillards karo du district de Taneh Pinem. Les takal singa sont (pour qui esquisse une réponse) une figure magique éloignant le mal. C’est aussi ce que les Toba de la région de Balige avaient répondu à Elio Modigliani il y a... plus d’un siècle. Et dans les régions toba proches du lac, au sud-est et au sud, c’est toujours ce que disent les propriétaires de maisons ornées de singa86. Le plus étonnant, on l’a dit plus haut, c’est que les Karo présentent encore aujourd’hui le plus fort pourcentage d’individus non convertis au christianisme ou à l’islam. Ils pratiquent simultanément, dans certains grands villages, la religion chrétienne ou l’islam et le culte des ancêtres, attaché aux croyances relatives aux différentes catégories d’âmes. Mais dans des
84. Voir mon livre sur les Kalasan Pakpak de 2011. 85. Ibid., pp. 74-75. 86. Depuis mes premiers contacts, les Toba riverains du lac Toba (ceux de la plaine de l’Uluan avaient les plus belles maisons) m’ont toujours dit que le singa à la haute corne centrale s’élançant vers le haut, accompagnée de deux cornes plus petites, présent sur les maisons d’habitation est féminin. Au contraire, le singa aux cornes repliées sur la nuque, placé sur les façades des sopo (grenier à riz dans le toit et dortoir pour garçons pubères au niveau intermédiaire) était masculin (voir mon ouvrage de 2011, fig. 53 et 54). En principe, en face de chaque maison toba, se trouve un sopo. Tous les Toba que j’ai rencontrés dans le Haut et le Bas-Barus, ou sur la côte de l’océan Indien entre Sibolga et Barus, (où visiblement n’ont jamais pu être édifiées de grandes maisons traditionnelles avec un décor en bas-relief peint et des singa sculptés sur la façade), qui font remonter le départ de leurs ancêtres du pays d’origine, vallée de Silindung ou région du lac Toba, au début du XVIIIe siècle, connaissent l’existence des maisons traditionnelles et n’ignorent pas l’importance du singa comme protecteur de la maison. Ont-ils voyagé jusqu’au pays d’origine, où bien ce souvenir est-il transmis de génération en génération ? Je n’en sais rien. 84 CONCLUSION
régions plus reculées, ils ont gardé les croyances animistes, tout en perdant les notions de cosmologie, de cultes de certaines divinités ou êtres surnaturels. En 1952 déjà, avant Singarimbun, un ethnologue karo nommé P. Tambun87 proposait de reconnaître un ancêtre primordial nommé Batak, dont les fils se seraient nommés Toba, Pakpak, Karo, Maidailing et Angkola (il excluait les Simalungun). Tambun ne disait pas quelle était sa source. Simpliste, cette légende est à rejeter. Singarimbun (cette assertion m’a beaucoup motivé !) se contentait de constater que les Karo n’avaient pas de mythe d’origine, sans se livrer à aucune conjecture. Quant à la maison ruma adat, sa qualité de reproduction en miniature du Cosmos est oubliée depuis bien longtemps. De façon générale, la lecture de l’ouvrage de Singarimbun (qui traduit takal singa par « tête de lion ») montre que les leçons du demi-frère de son oncle ne lui ont rien appris de l’ancienne religion de son peuple, et que selon ses propres dires, même le culte des « âmes des ancêtres » n’avait pas l’importance qu’il a encore chez certains Toba. À cet égard, la démonstration faite plus haut permet d’affirmer que les Karo occidentaux, à une date remontant bien au-delà de la colonisation, possédaient un mythe d’origine, fondé sur l’existence de trois mondes, édifié sur le modèle de la cosmogonie (connue) des Toba Batak. Il reste à découvrir si les sculptures cuping-cuping décorant les deux extrémités des poutres pardingdingan des maisons traditionnelles des Karo orientaux constituent la fin de la lente évolution d’une tête mi-humaine, mi-animale, devenue une « boucle d’oreille » ! Je suis personnellement très tenté de répondre positivement à cette question, tout en n’ayant aucune proposition à faire, concernant cette transformation. Le bois pourrissant très vite dans le climat humide équatorial, il y a fort peu de chances que l’on retrouve lors de fouilles archéologiques une ancienne poutre pardingdingan karo mise au rebut, vieille de quelques siècles, pourvue de takal-singa, ou d’autres sculptures, en cours de modification de leur aspect, leur ressemblant !
87. In Adat-Istiadat Karo, Jakarta, Balai Pustaka, 1952, p. 64. Cité par Singarimbun.
85
CARTES
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TTOB OBA O BA
Huta Sitonggitonggi Huta Pea Raso
Dolok Sanggul Martiti Dua
90 CARTES
Siborongborong
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BIBLIOGRAPHIE GLOSSAIRE
Détail de la façade d’une maison karo à Lingga, tombant en ruine. abm – archives barbiermueller. Photo de l’auteur, 1987.
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