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Le chantier du nouveau Palais de Justice de Paris Une aventure picturale‌ et humaine
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Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy Éditions d’Art Directeur éditorial Nicolas Neumann Responsable éditoriale Stéphanie Méséguer Coéditions Jean-Louis Fraud Conception graphique François Dinguirard Contribution éditoriale Sandra Pizzo Fabrication Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros
© Somogy Éditions d’Art, Paris, 2017 © Guillaume Cuirot, 2017 © Société Bouygues Construction, 2017
978-2-7572-1344-5 Dépôt légal : décembre 2017 Imprimé en Union européenne
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GUILLAUME
LE CHANTIER
du nouveau Palais de Justice de Paris Une aventure picturale... et humaine
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PRÉFACE « Quand je serai grand, je voudrais bâtir des cathédrales. Parce que c’est plus beau, plus grand, plus fort. » Le Tribunal de Paris, le plus grand Palais de Justice d’Europe, le plus grand chantier de France, fait de béton, d’acier, de verre et de bois intègre la beauté, l’intelligence et la sérénité qui distingue un monument du patrimoine. Haut de 160 mètres, érigé en 40 mois à peine, visible dans le skyline parisien, il marque de façon majestueuse la Présence, la Force et la Clarté de la Justice du xxie siècle. Entrepreneurs, fiers de notre Œuvre, nous avons l’ambition, grâce à cet ouvrage, d’immortaliser les étapes de sa construction au travers des toiles et aquarelles du peintre Guillaume. Ainsi, le bâtisseur se transforme en artiste pour célébrer la passion de ceux qui ont œuvré et donner envie à de futurs artistes et bâtisseurs de vivre de formidables aventures humaines. Bonne lecture… Giovanni Villa Directeur général adjoint Bouygues Bâtiment Ile-de-France / Directeur délégué projet
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SOM M A I R E PEINTRE DU FUTUR TRIBUNAL DE PARIS. . . . . . . 8 DU RISQUE ET DE L’ART . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 GENÈSE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12 LES NOYAUX
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
VISA POUR UN ATELIER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 UNDERGROUND . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20 COLONNES D’ACIER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .26 ASCENSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .28 CANOPÉE MÉTALLIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .40 LA VILLE AU QUOTIDIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 PÉRIPHÉRIQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .48 LE PARC MARTIN-LUTHER-KING. . . . . . . . . . . . . . . .50 VERTICALITÉ
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
JARDINS SUSPENDUS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .54 SUR LE PONT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .60 LES COULISSES D’UN PALAIS SOUS-SOL
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .72
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LE LIFT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 TAILLES DE GUÊPE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78 BÉTON PRÉCONTRAINT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .84 PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES . . . . . . . . . . . . . . . .88 FAÇADES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .94 TEMPS CALME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .98 DÉMONTAGE DES GRUES
.......................
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LA SALLE DES PAS PERDUS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 COULOIRS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 SALLES D’AUDIENCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 BIBLIOTHÈQUE
...................................
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REMERCIEMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
Autoportrait, 23 décembre 2015
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PEINTRE DU FUTUR TRIBUNAL DE PARIS Né en 1960, Guillaume est un ancien élève des BeauxArts de Paris en peinture (atelier Carron) et en fresque (atelier Delamarche). Son atelier se situe dans les anciens Entrepôts Frigorifiques du 13e arrondissement de Paris, transformés dans les années 1980 en lieu de création. Le quartier incluant la bibliothèque François-Mitterrand fut un temps la plus grande zone d’aménagement de la capitale. Cette mutation urbaine a été une importante source d’inspiration pour l’artiste. Avec la construction du nouveau tribunal de Paris, Guillaume retrouve donc l’un de ses sujets privilégiés : le paysage de chantier. http://art.guillaume.free.fr Dans mon parcours de peintre, j’ai eu la chance d’avoir accès au gigantesque chantier du Palais de Justice de Paris, quand les premiers murs ne dépassaient pas encore le niveau du sol. J’ai ainsi réalisé de nombreuses huiles sur toile et plus de quatre grands carnets d’aquarelles. Mon travail donne une vision d’ensemble très complète de l’évolution du projet de Renzo Piano dans le temps mais aussi dans l’espace : on y voit les grandes étapes de la construction sous différents angles – vue du parc Martin-Luther-King, vue du périphérique, vue de la porte de Clichy avec en bas des piétons, des autobus, des voitures. Dans d’autres œuvres, l’œil se rapproche et ce sont les compagnons au travail dans la diversité de leurs tâches qui en constituent le médium. Plus haut, des grues relèvent et tournent leur bras articulé pour distribuer, au bout du câble glissant, tout ce qui est nécessaire à l’avancement du chantier. Méthodiquement, les niveaux s’ajoutent aux niveaux jusqu’à ce que le regard embrasse toute la ville, sa banlieue et loin, bien loin, des collines arborescentes. En bas, en tout petit, circulent les piétons, les bus, les voitures. Mes peintures témoignent de ces moments où de multiples intervenants secondés par des machines travaillent à la réalisation d’une œuvre collective. Toute cette énergie tend vers l’édification d’un monument parisien en ce début de xxie siècle.
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BD
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DU RISQUE ET DE L’ART Sur le chantier, de nombreuses règles de sécurité sont à respecter. Une équipe de Bouygues dédiée uniquement au respect de leur application arpente les couloirs, escaliers et autres niveaux du futur tribunal. Dans mes nombreux dessins faits sur le vif, j’ai été amené à négliger de reproduire quelques garde-corps, quelques harnais et filins anti-chute, quelques paires de gants, quelques lunettes en Plexiglas… C’était parfois un oubli de ma part, ou bien une volonté de ne pas surcharger le papier. Pire, il m’est arrivé d’ajouter, de supprimer ou de déplacer des détails tirés de la réalité pour améliorer la composition de la page ! Une commission de sécurité, se penchant sur mes carnets, risquerait
de mettre à l’amende certaines aquarelles pour manque de rigueur. Revendiquant la paternité de ces œuvres, je m’en ferais aussitôt l’avocat fervent. Et d’invoquer en priorité la clause, jamais écrite mais incessamment réitérée depuis les fresques de la grotte Chauvet, permettant à l’artiste de se rapprocher au plus près de la réalité tout en l’interprétant. Cette longue lignée de peintres, illustres ou inconnus, viendrait à la barre témoigner qu’eux-mêmes, s’ils avaient eu à représenter un tel chantier, auraient à coup sûr introduit quelques nacelles en porte-à-faux, quelques escabeaux ineptes, quelques banches bancales. Je plaide donc, avant toute forme de procès, pour un non-lieu.
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Clichy
BASTION
SALLES D’AUDIENCE
Porte de Clichy
Parc Martin Luther King
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LES NOYAUX Des entrailles de la terre émergent deux quadrilatères de béton surmontés de coffrages « glissants » rouge-orangé. Au rythme de 1,60 mètre par jour, leur ascension est rapide. Le plus haut approchera les 160 mètres. Par ces noyaux passeront tous les « fluides » : eau, électricité, climatisation, fumées, ascenseurs… et piétons athlétiques libres d’emprunter les escaliers sur trente-neuf niveaux.
Aquarelle, 13 mai 2015, 42 × 29 cm (page suivante) Huile sur toile, 100 × 65 cm
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LES NOYAUX
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VISA POUR UN ATELIER Début 2015, vu de l’extérieur, le chantier se présente comme une forêt de grues de couleur minorange* s’activant autour d’une excavation. Des palissades empêchent de voir les profondeurs. Il s’y déroule pourtant un intense travail si l’on en juge par l’incessant mouvement de la canopée métallique des grues, par le va-et-vient des camions déposant des matériaux bientôt soulevés puis descendus hors du champ visuel, par les pelleteuses charriant les derniers mètres cubes de sédiment. Deux tours rectangulaires, tels des donjons, entament leur ascension. Pour moi que les chantiers attirent en tant que sujet pictural, cette mécanique bien huilée est du pain bénit. Je viens donc régulièrement traduire en lignes, courbes et couleurs l’engouement que me procure ce spectacle en perpétuel renouvellement. Avec mes aquarelles ou tableaux commencés en pleine rue, j’ai mon petit succès auprès du « quidam » et auprès de ceux qui ont le privilège de passer le barrage des vigiles puis le portillon électronique filtrant l’accès à tout un univers industriel implanté dans la ville. J’étais en train de peindre rue André Suarès lorsque l’un d’eux me demanda si mes œuvres étaient à vendre. Les quelques propos échangés m’apprirent que l’interlocuteur n’était autre que le directeur du chantier. Quel heureux hasard ! Il me laissa sa carte de visite et accepta que je vienne peindre sur place en échange de l’exposition d’œuvres dans la salle de communication. Un visa me permettant de franchir la frontière et de me déplacer en toute liberté sur le chantier ! Grâce à cette rencontre impromptue, grâce à cette confiance, le « futur » Palais de Justice de Paris allait devenir mon grand atelier. *Couleur déposée par Bouygues Construction.
Aquarelle, 18 mars 2015, 21 × 30 cm
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VISA POUR UN ATELIER
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UNDERGROUND Une fois à l’intérieur du périmètre réservé, je m’installe sur la terrasse du troisième niveau de bungalows temporaires, là où se trouvent les bureaux d’études, le vestiaire des compagnons, la salle de communication… Je fixe sur une rambarde, mon carnet 30 × 40 à l’aide d’une pince crocodile. J’attaque directement le dessin à l’encre noire avant d’ajouter des couleurs à l’aquarelle. Je peux aussi déployer un chevalet et réaliser des peintures à l’huile. Séparé par la rue de livraison, où passent des camions toupies, j’ai une vue plongeante sur les sous-sols en devenir du tribunal de Paris. À ma gauche, dans le « Bastion », des cellules individuelles bien rangées pour les détenus. À droite, au pied des deux noyaux et sous les futures salles d’accueil du public, une myriade de petites pièces, de murs, de couloirs, de culs-de-sac. On a du mal à comprendre comment les chefs de chantier déchiffrant les plans parviennent, sans erreur aucune, à agencer les cloisons. Je m’inquiète silencieusement de savoir comment arriveront à se repérer dans ce dédale souterrain ceux qui plus tard y descendront. Je présume que, lorsque le tribunal sera opérationnel, on embauchera des spéléologues pour retrouver quelque magistrat égaré dans les caves de l’administration judiciaire…
Aquarelle, 19 juin 2015, 42 × 29 cm
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UNDERGROUND
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LA VILLE AU QUOTIDIEN La porte de Clichy était juste un lieu de passage pour automobilistes et piétons en route pour le travail, ou de retour le soir vers la périphérie de Paris. Là où il y avait une station d’essence et quelques entrepôts se déploie maintenant le plus gros chantier d’Europe.
Aquarelle, 2016, 59 × 42 cm (page suivante) Aquarelle, juin2015, 42 × 29 cm
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LA VILLE AU QUOTIDIEN
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VERTICALITÉ La dalle du rez-de-chaussée est entièrement coulée, puis celle du premier niveau, et ainsi de suite. Ce qui était à portée de regard grimpe inéluctablement. Bientôt, levant les yeux, on ne voit plus dépasser des garde-corps que quelques bras, quelques visages, quelques casques orange : mon belvédère sur le toit des bungalows est devenu le fond d’un puits. On dit que la faim chasse le loup du bois. Le filon pourvoyeur d’inspiration se tarissant, il faut que je bouge. Jusqu’à présent, j’ai hésité. Parallèlement à mon emplacement privilégié sur ma terrasse, j’ai continué à peindre à partir de la porte de Clichy, du périphérique et du jardin Martin-Luther-King. Mais où trouver l’audace pour aller
au cœur de l’action, non plus autour, mais au milieu de cette machinerie énorme qui bâtit une cathédrale contemporaine ? Comment enjamber cette ligne virtuelle pour se projeter dans une nouvelle expérience ? J’ai le sentiment d’être un lilliputien voulant s’immiscer dans un monde de géants où tout est démesuré par la taille et par le poids. La solution survient spontanément grâce à Beck, qui travaille à la logistique et me fournit une partie de l’équipement de protection individuelle, et grâce au chef de maîtrise, qui me donne de belles chaussures renforcées. Avec de telles attentions, avec mes bottes de sept lieues, je ne peux plus reculer, je me jette dans l’arène.
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(page précédente) Aquarelle, septembre 2015, 42 × 59 cm Aquarelle, novembre 20115, 42 × 29 cm
VERTICALITÉ
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JARDINS SUSPENDUS Sur la terrasse du huitième, des cylindres ajourés posés à la verticale permettront à la lumière naturelle de se diffuser dans la salle des pas perdus. Pour le reste de la dalle, les paysagistes ont conçu un jardin artificiel. De la terre odorante dégorge de sacs en nylon blanc que l’on éventre. Des jardiniers bêchent, égalisent le sol et poussent des brouettes. Suspendu au câble d’une grue, un arbuste plane dans les airs. Emmaillotés dans des filets
protecteurs, des chênes verts reposent sur le flanc à côté d’arbres fraîchement plantés. Au-dessus de cette petite forêt atypique, la construction des trois autres volumes superposés se poursuit invariablement, juxtaposant visuellement le travail de la terre et celui du ciment. Les dix-neuvième et vingt-neuvième étages seront aussi pourvus de végétation : des oasis en miniature, haut perchées, pigmenteront la façade de feuillage vert.
Aquarelle, décembre 2015, 42 × 29 cm (page suivante) Aquarelle, décembre 2015, 42 × 29 cm
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JARDINS SUSPENDUS
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SUR LE PONT À partir du huitième étage, pour les ferrailleurs et dallagistes, la tâche réside essentiellement dans l’élaboration de grands plateaux s’arrimant aux noyaux et soutenus par des colonnes en béton armés. Pour la fabrication des dalles, une puissante pompe draine le béton liquide du niveau zéro jusqu’au niveau en cours de réalisation. Plus tard, des cloisons morcelleront ces open spaces en bureaux pour la magistrature. J’admire à quel point les compagnons connaissent bien leur métier. Chacun sait ce qu’il doit faire et, lorsqu’ils travaillent en équipe, cela s’effectue avec fluidité. Des ferrailleurs lient des tiges en fer avec du fil, un dallagiste oriente le béton éjecté d’un tuyau, un charpentier découpe un panneau noir, un géomètre prend des relevés, des responsables de Bouygues, identifiables à leur veste couleur minorange, s’entretiennent avec le chef de maîtrise… À l’autre extrémité de la plateforme, le sol est déjà ferme. Des colonnes en béton sont dressées et scellées sur le pourtour. Reposant sur des armatures amovibles, un plancher jaune annonce la création d’une nouvelle dalle. Au milieu de tout un enchevêtrement de bois, de fer, de béton, je dois repérer un emplacement pour dessiner en respectant quelques contraintes : ne pas contrarier le déplacement des ouvriers, ne pas m’appuyer ou poser la boîte d’aquarelle sur une masse susceptible d’être enlevée par une grue, éviter de me placer dans le champ de son énorme crochet ou de la chaîne en suspens… J’ai bien sûr l’équipement complet de sécurité : le casque, le gilet jaune avec bandes fluo, les lunettes, les gants et les bouchons d’oreilles. Je suis visible de loin et protégé au mieux, mais je ne voudrais pas qu’un grutier, malgré son adresse, vienne par inadvertance me raboter le crâne avec sa charge titanesque. Pour l’heure, j’ai devant moi un sujet passionnant : des structures verticales et horizontales, des diagonales, des couleurs vives, une fourmilière de bâtisseurs. De grandes palissades ajourées confinent l’espace de travail. Au-delà du vide, c’est Paris ! Paris dans le brouillard, ou dans la grisaille, ou encore au soleil avec des nuages blancs éparpillés au-dessus. Paris avec ses avenues, ses toits bleutés, ses multiples monuments. Une ville pas très haute et homogène d’où émergent allègrement la tour Eiffel, la tour Montparnasse et, avec plus de rondeur, la colline
Montmartre et sa basilique blanche. Avec ses 160 mètres, le nouveau monument dédié à la justice sera visible, lui aussi, de très loin. Certains intervenants viennent jeter un œil sur mes aquarelles. Des sourires, quelques commentaires obligeants, une certaine accoutumance à me voir sur place, des selfies avec le carnet grand ouvert… Je fais partie du chantier.
Photo de l’écran vidéo d’un conducteur de grue.
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Aquarelle, mars 2016, 29 × 42 cm
SUR LE PONT
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LES COULISSES D’UN PALAIS Les alentours du chantier sont une gare de triage qui ordonne l’arrivée puis le déchargement des camions, ainsi que l’embarquement des matériaux indésirables. Il y a aussi un atelier de ferraillage et un autre de moulage qui fabrique, entre autres, des colonnes en béton armé.
A Aqua
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(page précédente) Aquarelle, avril 2016, 42 × 29 cm Aquarelle, novembre 2015, 42 × 29 cm Aquarelle, 2 février 2016, 42 × 29 cm
LES COULISSES D’UN PALAIS
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SOUS-SOL Des kilomètres de canalisations d’eau et d’air sillonnent le bâtiment. Dissimulées, elles ne sont visibles que dans les sous-sols. Là, des salles entières sont remplies de tuyaux avec des parcours alambiqués. Ils s’évitent, fusionnent, se retrouvent en parallèle, virent, frôlent des machines énigmatiques dans lesquelles ils bifurquent parfois.
Aquarelle, 16 septembre 2016, 29 × 42 cm (page suivante) Aquarelle, septembre 2016, 29 × 42 cm Aquarelle, 13 septembre 2016, 29 × 42 cm
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SOUS-SOL
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LE LIFT Les deux ascenseurs extérieurs sont de grosses cages minoranges rudimentaires montant et descendant le long d’une armature de ferraille accrochée à la façade ouest du bâtiment. Chacun a sur le côté trois roues dentées qui s’emboîtent dans un rail crénelé. En tournant, elles permettent au container de se mouvoir. Je me demande comment un mécanisme aussi succinct arrive à faire bouger une telle masse en porte-à-faux et à l’empêcher de basculer… Indubitablement, les ingénieurs font des miracles. Le lift est le lieu où tout le monde se rencontre, discute, où des blagues sont échangées et où le silence peut au contraire être pesant. On attend sa venue un peu comme le téléphérique aux sports d’hiver. Le rater, c’est être obligé de gamberger jusqu’au suivant pour un temps indéterminé. Quand le portail glisse verticalement, puis que les deux portes suivantes s’ouvrent, la foule s’approche tandis que des transpalettes, prioritaires, posent leur cargaison. Nous nous infiltrons dans les interstices, contents de l’aubaine. Alors que l’on s’élève, par les petits trous des cloisons on voit l’étendue du paysage : l’arrière-cuisine du Palais avec le stockage du matériel, l’atelier de moulage, la soudure de panneaux… Plus loin le futur centre de police judiciaire, lui aussi entouré de grues, le périphérique avec son flot de véhicules, les rails qui filent vers la banlieue, Asnières. Plus loin encore, un bouquet de gratte-ciel : La Défense avec en arrière-plan des collines boisées. En bas du lift,
les êtres humains en gilet orange ou jaune deviennent tout petits, les voitures sont des jouets d’enfant. Emprunter le lift pour redescendre est une autre paire de manches. Il y a une heure à éviter : celle où tout le monde a faim et se presse pour aller déjeuner. Après ce rush, le va-et-vient devrait se faire sans entrave, mais, on ne sait pourquoi, les liftiers s’inscrivent aux abonnés absents. Parfois, l’un d’eux arrive à toute vitesse et… ô rage ! ô désespoir ! il « oublie » de s’arrêter malgré les grands signes qu’on lui fait. J’ai donc plusieurs fois eu le privilège de descendre jusqu’à trente-neuf étages à pied, ce qui est un excellent entraînement physique pour les mollets… et je n’étais pas le seul à bénéficier de cet exercice spartiate. N’exagérons pas. Il peut arriver qu’un liftier survienne et vous prenne à bord. Soudain on est très reconnaissant, soudain on se dit que c’est un vrai copain malgré les cris de ceux aux étages inférieurs qui voient passer le viatique sans escale, les propulsant de fait vers les interminables marches des escaliers gris. Il arrive aussi que le liftier, dans un moment de clémence, contrariant ceux qui sont pressés, remonte de quelques étages pour recueillir des passagers. Les portes s’ouvrent, nous nous serrons un peu plus et la mécanique se remet en branle. Dehors, le paysage se précise. Un camion toupie verse du béton dans un godet minorange, un membre de la logistique coordonne le déchargement des panneaux photovoltaïques, un groupe de visiteurs suit la responsable de communication… On ralentit. Les portes ouest nous libèrent sur la terre ferme. Une équipe d’ascensoristes réquisitionne l’engin et enfourne du matériel à débarquer là-haut. Il lui faudra ensuite assembler les différentes pièces du Meccano pour permettre au lift de desservir un tout nouvel étage.
Aquarelle, avril 2016, 42 × 29 cm (page suivante) Aquarelle, septembre 2016, 42 × 29 cm
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LE LIFT
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TAILLES DE GUÊPE Aux huitième, dix-neuvième et vingt-neuvième paliers, les façades reculent pour faire place à des jardins. De plus, l’équivalent des deux niveaux suivants se rétracte avant de reprendre une assise plus large. C’est ce qu’on appelle les tailles de guêpe.
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(page précédente) Huile sur toile, 80 × 80 cm Aquarelle, 29 mai 2016, 52 × 42 cm Aquarelle, 2 mai 2016, 29 × 42 cm
TAILLES DE GUÊPE
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BÉTON PRÉCONTRAINT Aux vingtième et trentième étages, des câbles sont incorporés dans les structures mêmes du bâtiment. Ils maintiennent une tension entre les noyaux et les poutres extérieures horizontales en béton armé. Groupés dans des gaines, ils sont ensuite noyés dans un mortier pour empêcher l’oxydation.
Aquarelle, 30 mars 2016, 29 × 42 cm
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Aquarelle, mai 2016, 29 × 42 cm
BÉTON PRÉCONTRAINT
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LA SALLE DES PAS PERDUS Les onze grues minorange sont démontées les unes après les autres quand, leur parcelle d’œuvre achevée, elles n’ont plus de raison d’être. La plus haute, dénommée G1, ancrée au bâtiment par des poutres métalliques, poursuivra longtemps seule ses girations. Hiératique, elle persistera à signaler de très loin, comme un phare, l’activité hors norme du quartier nord des Batignolles. Son démantèlement, malgré les apparences, ne signifie pas la fin du chantier : à l’intérieur du tribunal, dont l’enveloppe est achevée, une nuée de protagonistes mesure, perce, visse, scie, tire des câbles, soude, calcule, assemble, contrôle… Le cœur de la ruche est le grand hall des pas perdus, où sont visibles les colonnes d’acier érigées à l’air libre en juillet 2015. Au zénith, quatre-vingt-dix ouvertures circulaires, les
« Marilyn », diffusent une lumière naturelle. Autour, et jusqu’au sixième niveau, ce sont quatre-vingt-dix salles d’audience qui se couvrent de vastes panneaux de bois tandis que des électriciens se démènent avec des boîtiers et une myriade de fils colorés. Dans le département pénal, des couloirs, ascenseurs et escaliers indépendants sont conçus pour faire circuler trois groupes censés ne pas se croiser dans leurs pérégrinations : le public, les magistrats, les prévenus. Pour ces derniers, on assemble dans les salles d’audience des boxes en verre épais où ils pénétreront par une porte isolée. Bien plus haut, au trentième étage, des menuisiers ébauchent la future bibliothèque. À travers ses fenêtres se dessine la capitale : un livre ouvert sur l’histoire et sur la vie.
Aquarelle, 42 × 29 cm, mars 2017 (page suivante) Aquarelle, mars 2017, 42 × 29 cm
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LA SALLE DES PAS PERDUS
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Aquarelle, mai 2017, 42 × 54 cm
BIBLIOTHÈQUE
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REMERCIEMENTS Je remercie Christophe Couvras qui m’a ouvert les portes du chantier du Palais de Justice de Paris. Je remercie Giovanni Villa qui, non seulement a dirigé ce gigantesque projet, mais a eu la sagacité de mener à bien un autre dessein : celui de permettre à ce livre de voir le jour. J’ai une pensée amicale pour tous ceux qui, dans les bureaux ou sur le terrain, ont manifesté leur intérêt pour mon travail. Ils ont par leur bienveillance alimenté mon énergie à fixer l’éphémère.
La photogravure a été réalisée par Quat’Coul, Toulouse. Cet ouvrage a été achevé d’imprimer par Leporello (Union européenne) en décembre 2017.
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