LES ILES de Grenier et kijno. Manuscrit retrouvé (extrait)

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LES ILES de

Grenier et Kijno

MANUSCRIT RETROUVÉ

Préface d’Albert Camus et présentation de Renaud Faroux

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Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial Nicolas Neumann Responsable éditoriale Stéphanie Méséguer Coéditions Véronique Balmelle Conception graphique Nelly Riedel Contribution éditoriale Gaëlle Vidal Fabrication Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

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SOMMAIRE Grenier-Kijno : Au cœur des îles R ENAUD FAROUX page 9

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Manuscrit retrouvé Les Iles, Grenier - Kijno page 23 L’attrait du vide, page 29 Le chat Mouloud, page 53 Les îles Kerguelen, page 77 Les îles Fortunées, page 113 L’île de Pâques, page 135 L’Inde imaginaire, page 149 Jours disparus, page 171 Les îles Borromées, page 179

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« [ ] L’existence s’était soudain dévoilée. Elle avait perdu son allure inoffensive de catégorie abstraite : c’était la pâte même des choses […]. » JEAN-PAUL SARTRE, La Nausée, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Folio », 1938, p. 181-182

Grenier-Kijno : Au cœur des îles « Allons voir le bon maître […]. » Ce sont les mots que prononçait Albert Camus lorsqu’il emmenait ses enfants rendre visite à son ancien professeur de philosophie. Comme l’auteur de L’Étranger, le peintre Ladislas Kijno, lui aussi élève de Jean Grenier, pourrait à son tour les prononcer et affirmer : « Je n’ai pas cessé pendant des années de vous prendre à témoin […]. » Ce maître à penser exceptionnel a trouvé dans ces artistes des disciples de qualité, l’un au Lycée d’Alger avant la décolonisation, l’autre à la faculté des lettres de Lille en pleine Occupation. C’est de Grenier qu’ils ont reçu une impulsion irrésistible qui a renforcé leur puissance intellectuelle. Tous deux, comme bien d’autres, vont être bouleversés par la lecture des Iles qui va leur ouvrir toutes grandes les portes de la création. Ils vont être touchés par « ce sentiment pénible d’étrangeté intérieure » que provoque ce vagabondage vers des îles réelles ou imaginaires et en particulier par l’éloge du voyage « non pour se fuir, chose impossible, mais pour se trouver ». La lecture de cet ouvrage a donc eu un impact décisif sur Ladislas Kijno. Déjà sa parution en 1933 dans la collection « Les essais » chez Gallimard avait révélé à Camus sa vocation d’écrivain. Dans la préface de la réédition de l’ouvrage en 1959, il rappelle l’influence de la pensée et de l’art de Grenier et écrit : « Les grandes révélations qu’un homme reçoit dans sa vie sont rares, une ou deux le plus souvent. Mais elles transfigurent, comme la chance. À l’être passionné de vivre et de connaître, ce livre offre, je le sais, au tournant Ladislas Kijno Automain 1985 Stylo feutre 13 x 23 cm

de ses pages, une révélation semblable. ( ) Et j’envie, sans amertume, j’envie, si j’ose dire, avec chaleur, le jeune homme inconnu qui, aujourd’hui, aborde ces Iles pour la première fois » Plus loin l’auteur de Noces confesse : « Les Iles venaient, en somme, de nous initier au désenchantement ; nous avions découvert la culture. »

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Les Iles J’avais vingt ans lorsqu’à Alger je lus ce livre pour la première fois. L’ébranlement que j’en reçus, l’influence qu’il exerça sur moi, et sur beaucoup de mes amis, je ne peux mieux les comparer qu’au choc provoqué sur toute une génération par Les Nourritures terrestres. Mais la révélation que nous apportait Les Iles était d’un autre ordre. Elle nous convenait, tandis que l’exaltation gidienne nous laissait à la fois admiratifs et perplexes. Nous n’avions pas besoin, en effet, d’être délivrés des bandelettes de la morale, ni de chanter les fruits de la terre. Ils pendaient à notre portée, dans la lumière. Il suffisait d’y mordre. Pour certains d’entre nous, misère et souffrance existaient, bien sûr. Simplement, nous les refusions de toute la force de notre jeune sang. La vérité du monde était dans sa seule beauté, et dans les joies qu’elle dispensait. Nous vivions ainsi dans la sensation, à la surface du monde, parmi les couleurs, les vagues, la bonne odeur des terres. C’est pourquoi Les Nourritures venaient trop tard, avec leur invitation au bonheur. Le bonheur, nous en faisions profession, avec insolence. Nous avions besoin, au contraire, d’être détournés un peu de notre avidité, arrachés enfin à notre heureuse barbarie. Bien entendu, si des prédicateurs sombres s’étaient promenés sur nos plages en jetant l’anathème sur le monde et les êtres qui nous enchantaient, notre réaction eût été violente, ou sarcastique. Il nous fallait des maîtres plus subtils et qu’un homme, par exemple, né sur d’autres rivages, amoureux lui aussi de la lumière et de la splendeur des corps vînt nous dire, dans un langage inimitable, que ces apparences étaient belles, mais qu’elles devaient périr et qu’il fallait alors les aimer désespérément. Aussitôt, ce grand thème de tous les âges se mit à retentir en nous comme une bouleversante nouveauté. La mer, la lumière, les visages, dont une sorte d’invisible barrière soudain nous séparait, s’éloignèrent de nous, sans cesser de nous fasciner. Les Iles venaient, en somme, de nous initier au désenchantement ; nous avions découvert la culture. Ce livre, en effet, sans nier la réalité sensible qui était notre royaume, la doublait d’une autre réalité qui expliquait nos jeunes inquiétudes. Les transports, les instants du oui, que nous avions vécus obscurément, et qui ont inspiré quelques-unes des plus belles pages des Iles, Grenier nous rappelait en même temps leur goût impérissable et leur fugacité. Du même coup, nous comprenions nos subites mélancolies. Celui qui, entre une terre ingrate et un ciel sombre, besogne durement, peut rêver d’une autre terre où le ciel et le pain seraient légers. Il espère. Mais ceux que la lumière et les collines comblent à toute heure du jour, ils n’espèrent plus. Ils ne peuvent plus que rêver d’un ailleurs imaginaire. Ainsi les hommes du Nord fuient aux rives de la Méditerranée, ou dans les déserts de la lumière. Mais les hommes de la lumière, où fuiraient-ils, sinon dans l’invisible ? Le voyage décrit par Grenier est un voyage dans l’imaginaire et l’invisible, une quête d’île en île, comme celle que Melville, avec

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Le tirage de cette édition est limité à cinq cents exemplaires constituant l’édition originale de la publication de ce manuscrit inédit de Ladislas Kijno.

© Éditions Gallimard, 1959, pour les textes de Jean Grenier issus de Les Iles. Préface d’Albert Camus aux Iles de Jean Grenier : © Éditions Gallimard, 1959 © Adagp, Paris, 2017 pour les œuvres de Kijno © Somogy éditions d’art, Paris, 2017 978-2-7572-1284-4 Dépôt légal : décembre 2017

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La photogravure a été réalisée par Quat’coul, Toulouse. Cet ouvrage a été achevé d’imprimer sur les presses de PBTisk, République tchèque, en décembre 2017.

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